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Enseignement du fle et perspectives historiques, Quels apports réciproques ? (G. Vigner

eNSeiGNemeNT DU FLe eT PerSPeCTiVeS HiSToriQUeS. QUeLS aPPorTS rÉCiProQUeS ?

Gérard ViGNer inspecteur d’académie SiHFLeS

résumé

La recherche en histoire du français langue étrangère ou seconde a connu, notamment mais non exclusivement, avec la contribution de la SIHFLES, d’importants développements. On rend compte ici de l’évolution de ce champ de recherche, en nous interrogeant sur la contribution que de tels travaux peuvent apporter de façon plus générale à la didactique du français et des langues, ainsi qu’à la formation, initiale ou continue, des enseignants de langue.

1. aUX oriGiNeS

La SIHFLES (Société pour l’histoire du français langue étrangère ou seconde) a été fondée en décembre 1987, au CIEP,à l’initiative d’un groupe de chercheurs animé par André Reboullet, ancien rédacteur en chef de la revue Le Français dans le monde. A cet effet, va d’ailleurs être bientôt célébré le 25ème anniversaire de sa création, en décembre prochain, au CIEP de Sèvres.

La SIHFLES dispose d’un site : http://fle.asso.free.fr/sihfles/ et publie une revue, Documents pour l’histoire du français langue étrangère ou seconde, revue indexée dans l’International Bibliography de la MLA (Modern Language Association) et dans la banque de données LLBA (Linguistics & Language Behavior Abstracts). La revue en est à son quarante sixième numéro et fait l’objet d’une mise en ligne sur le site Revues.org et consultable à l’adresse http://dhfles.revues. org/ (n° 30 à 43 en ligne). Société internationale, la SIHFLES regroupe des chercheurs présents dans différents pays d’Europe, Allemagne, Pays-bas, Espagne, Italie, et bien évidemment la France, avec progressivement un élargissement vers d’autres régions d’Europe, et nous le souhaitons pour plus tard, du monde. Chercheurs qui peuvent être aussi bien des historiens que des didacticiens soucieux de mieux connaître l’histoire de leur discipline, ou encore professionnel dela diffusion du français désireux de mieux connaître les conditions dans lesquelles le français put se diffuser et être enseignés auprès de publics étrangers.

Au-delà des liens établis déjà avec la FIPF et avec l’ASDIFLE, la SIHFLES entretient des relations étroites avec d’autres associations intéressées par l’histoire de l’enseignement d’autres langues européennes, l’ APHELLE Association portugaise pour l’histoire de l’enseignement des langues et littératures étrangères http://www.aphelle.pt, le CIRSIL Centro Interuniversitario di Ricerca sulla Storia degli Insegnamenti Linguistici http://www2.lingue.unibo.it/cirsil, la PHG Société Peeter Heyns Peeter Heynsgenootschap http://www.peeterheynsgenootschap.nl/ et la SEHEL Sociedad Española para la Historia de las Enseñanzas Lingüísticas http://www.ugr.es/~sehel.

2. UNe SeNSiBiLiTÉ rÉCeNTe

Fondée en 1987, la SIHFLES constitue le point d’émergence d’un long processus de réflexion, nous y reviendrons un peu plus loin, mais s’inscrit aussi dans un mouvement plus large d’institutionnalisation du F.L.E. C’est en effet dans les années 80 que sont créées les filières universitaires de F.L.E., que sont mis en place le DELF et le DALF et que l’ASDIFLE voit le jour. Rien qui ne soit ici le fait d’un simple hasard, mais bien au contraire la volonté d’explorer l’histoire d’une discipline dont la légitimité institutionnelle ne pouvait plus être contestée.

En même temps, un besoin d’histoire qui trouvait certainement son origine dans une certaine lassitude à l’égard de débats méthodologiques, et l’on sait que les spécialistes et acteurs du F.L.E. en étaient particulièrement friands, dont on ne voyait guère l’aboutissement. Comment trancher entre écoles de pensée aussi fortement ancrées dans leurs certitudes ? Quelle place accorder encore à des pratiques, notamment dans l’institution scolaire, qui s’inscrivaient dans une tradition fort ancienne et qui, semble-t-il, avaient poursuivi leur chemin comme si de rien n’était ? Le progrès n’était certainement pas ce que l’on pensait qu’il avait pu être, et l’on pouvait se déclarer innovant à bon compte. Une analyse rétrospective permettrait certainement de voir plus clair dans un présent qui semblait échapper aux rassurantes catégories du progrès pédagogique. En même temps l’expression d’un souci, celui de rompre avec une vision manichéiste de l’histoire de l’enseignement du français, qui opposait les temps obscurs, qu’incarnait la malheureuse méthode de grammaire-traduction, aux temps des lumières qui selon les moments trouvait son expression dans les approches SGAV ou dans le communicatif.

1. Des recherches déjà engagées

Aux origines de ces recherches, une œuvre de référence, celle de Ferdinand Brunot, son Histoire de la langue française des origines à 1900, en onze volumes, dont plusieurs d’entre eux posaient les premiers jalons d’une histoire encore méconnue, celle du français à l’étranger. Des publications virent le jour en différents endroits d’Europe, mais de façon ponctuelle, sans qu’un mouvement général soit véritablement engagé8. Mais André Reboullet s’était déjà attaché à collationner à titre personnel un certain nombre de ces travaux et put de la sorte réfléchir à un plan de travail de ce qui serait la feuille de route de la SIHFLES.

Signalons encore une thèse qui dans la fin des années 80 connaîtra un plus large écho, celle de Daniel Coste, sous la direction de Jean-Claude Chevalier, Institution du français langue étrangère et implications de la linguistique appliquée. Contribution à l’étude des relations entre linguistique et didactique des langues de 1945 à 1975, université de Paris 8, 1987. De même l’ouvrage de Christian Puren Histoire des méthodologies de l’enseignement des langues, CLE Nathan, 1988 qui fait apparaître, à partir d’une analyse historique, une autre manière d’aborder le débat sur les méthodologies.

Dans le même temps les travaux se rapportant à l’enseignement du français en France se multipliaient. Des chercheurs comme Jean Hébrard (avec Anne-Marie Chartier) , publient un Discours sur la lecture (1880-1980), Centre Georges Pompidou, 1989 ; travail que reprend Anne-Marie Chartier avec L’école et la lecture obligatoire. Histoire et paradoxes des pratiques d’enseignement de la lecture, Retz, 2007. Pierre Boutan, dans La langue des Messieurs. Histoire de l’enseignement du français à l’école primaire, Armand Colin, 1996, explore les premiers moments de l’histoire du français dans l’école de la IIIème République. Dan Savatovsky, avec « La crise du français », dirige un numéro de la revue Études de linguistique appliquée, 2000. Martine Jey dansLa littérature au lycée : invention d’une discipline (1820-1925), Université de Metz, Klincksiek, 1998 aborde l’histoire du français dans l’enseignement secondaire et on ne peut enfin manquer de signaler la somme qu’est l’Histoire de l’enseignement du français, du XVIIe au XIXe siècle, Retz, 2006, d’André Chervel qui offre une vaste synthèse, sur plus de trois siècles, portant sur les conditions d’émergence et de développement de l’enseignement du français. Références utiles pour situer le français enseigné à destination des publics étrangerspar rapport à ce qui se met en place en France

8 On trouvera plus particulièrement dans Michel Berré (2010) une revue des travaux engagés en ce domaine antérieurement aux années 50.

auprès des enfants et adolescents, dont tous, loin de là encore, ne sont pas des francophones natifs. Mais les deux domaines didactiques que sont les français à destination des publics étrangers et celui à destinations des publics de francophones natifs ne sont pas séparés par des barrières aussi étanches quel’on pourrait penser à priori. L’article d’André Chervel, « Pour une histoire comparée du français langue étrangère et du français langue maternelle »,Le Langage et l’homme, vol. XXXXIV, 2008, met bien en évidence les points de contact existant entre les deux disciplines. On ne peut manquer non plus de citer Jean-Claude Chevalier et ses nombreux travaux consacrés à l’histoire de la grammaire qui éclairent aussi bien l’histoire de l’enseignement du français en France que celle à l’œuvre dans les pays étrangers. Plus récemment la thèse de Clémence Cardon-Quint, Lettres pures et lettres impures. Les professeurs de français dans le tumulte des réformes. Histoire d’un corps illégitime (1946-1981), université de Rennes 2, qui s’inscrit dans le champ d’une histoire d’autant moins bien connue qu’elle est au plus près de nous, et contemporaine de l’émergence du F.L.E. comme domaine d’intervention propre.

Signalons enfin que l’histoire des disciplines est désormais intégrée dans les épreuves du CAPES en France (arrêté du 28 décembre 2009), ce qui est la traduction d’une sensibilité nouvelle à l’égard d’une approche des disciplines qui ne veut plus être abordée dans la seule dimension d’un présent atemporel.

Travaux qui sont en rupture avec ce qui pendant longtemps fut l’histoire de l’éducation, pour l’essentiel limitée à l’histoire des idées en éducation. On aborde désormais l’enseignement dans sa dimension pratique, triviale même : à qui s’adressait-on ? Qui étaient les maîtres ? A partir de quoi travaillaient-ils ? Quels étaient les outils de travail ? Comment et de quoi vivaient-ils ? Quels exercices ou activités pratiquait-on dans les classes ? L’enseignement conçu non pas à partir d’une perspective descendante qui conduirait des sphères de recherche supérieures aux traductions les plus fidèles mises en œuvre dans l’ordinaire des apprentissages, mais comme répertoire de pratiques inscrites dans un univers social et politique donné, porté par le savoir, l’intuition et l’expérience des praticiens, en même temps qu’il s’agissait de répondre aux attentes liées à un marché des langues dans une période donnée.

2. Un champ de recherche

Tel que nous tenterons de le décrire ici, le champ de recherche portant sur la diffusion et l’enseignement du français auprès de publics étrangers est loin d’être couvert dans sa totalité. Nous ne ferons qu’établir ici une première liste thématique qui en signale les orientationsles plus significatives, celles qui ont été abordées par la Sihfles et ont fait l’objet de publications dans les numéros de Documents (numéros signalés entre parenthèses), et celles qui ont été abordées par d’autres chercheurs chez différents éditeurs ; sachant en outre que de nombreuses superpositions existent d’un thème à l’autre.

2.1. L’aNTÉrioriTÉ DeS PraTiQUeS eT USaGeS

La première grammaire du français est publiée par un anglais, John Palsgrave Lesclarcissement de la langue francoyse, à Londres en 1530 (reprise chez Honoré Champion, 2003); alors que la première grammaire du français, rédigée en français, à destination de publics français, celle de Louis Meigret, Le tretté de la grammère françoise, est publié en 1550. Un enseignement et une diffusion qui s’opèrent sur la longue durée, du XVIe siècle à nos jours, avec un moment majeur qui va du XVIIe siècle à la Première Guerre mondiale (Marc Fumaroli, Quand l’Europe parlait français, éd. De Fallois, 2001 ; Pierre-Yves Beau-

repaire, Le mythe l’Europe française au XVIIIe siècle. Diplomatie, culture et sociabilités au temps des Lumières, éd. Autrement, 2007). Antériorité qui vaut aussi pour la mise en contact du français avec les logiques d’apprentissages, mise en contact on le sait qui a pour effet de retentir sur les façons d’aborder et de décrire les langues. Les premières mises en forme du français à partir des exigences de l’école en France, remontent au XVIIe siècle, avec la création des premiers réseaux d’école par l’Église, dans la suite des recommandations du Concile de Trente. Puis à la fin du même siècle avec la création du réseau des écoles chrétiennes à l’initiative de Jean-Baptiste de la Salle. A l’étranger la mise en place d’écoles de langue française, c’est-à-dire d’écoles qui promeuvent l’enseignement des vernaculaires, se fait beaucoup plus tôt, dès les origines du XVIe siècle (voir par exemple Pierre Swiggers, « Enseignement et apprentissage des langues vernaculaires à l’aube des Temps modernes : attentes sociales et réponses didactiques », in Le Langage et l’homme, XXXXIV.I, 2009).

2.2. LeS CoNFiGUraTioNS PoLiTiQUeS, SoCiaLeS, ÉCoNomiQUeS, DiPLomaTiQUeS

L’enseignement des langues vivantes étrangères est au cœur des relations qui lient les états, les nations, les communautés.(une référence importante Changements politiques et statuts des langues. Histoire et épistémologie, 1780-1945, Rodopi, Amsterdam, 2001) ; les politiques linguistiques (n° 10, « L’enseignement des langues étrangères avant la période de la Réforme », n° 14)

2.3. La DiVerSiTÉ DeS PUBLiCS eT LeUr ÉVoLUTioN DaNS Le TemPS

Pas d’enseignement sans demande, sans publics. Leur description s’impose au premier chef. Tout d’abord les marchands (la perception de l’utilité sociale des « langues vulgaires » dans la bourgeoisie marchande s’impose très rapidement dans les Temps modernes), les voyageurs, les nobles, les publics des cours princières ou royales, tous ceux qui appartiennent à la République des Lettres, les élites au sens large du terme ( ainsi « Le français langue des élites dans le bassin méditerranéen et les pays balkaniques- XVIIIe siècle et première moitié du XXe siècle », n° 38/39), les militaires, les femmes (« Voix féminines : femmes et langues étrangères en Europe moderne », n° 47-48). Mais à côté des publics d’adultes, publics cultivés, publics déjà alphabétisés dans leur langue d’origine et souvent en latin, les publics scolaires et universitaire( « Profils d’enseignants, d’étudiants et d’institutions d’enseignement des langues vivantes de 1850 à 1950 », n° 15), les élèves des écoles indigènes dans les colonies «L’enseignement du français dans les colonies », n° 25), les enfants de migrants (« Accueil et formation des enfants étrangers en France de la fin du XIXe siècle au début de la Deuxième Guerre mondiale », n° 46).

2.4. LeS eSPaCeS

L’approche des langues, française ou autres, en direction de public étrangers, prend l’espace géographique comme variable majeure d’étude. L’Europe pour l’essentiel (l’Allemagne en différents numéros avec les travaux d’Herbert Christ, de Gerda Hassler ou de Marcus Reinfried ; la Belgique avec notamment la thèse de Michel Berré, Les langues à l’école primaire : enjeux identitaires et pédagogiques. L’enseignement du français en Belgique flamande au XIXe siècle, éd du CIPA, Mons, 2006), ainsi que différentes contributions du même auteur dans Documents ;l’Italie (pensons par exemple aux travaux de Nadia Minerva, de Jacqueline Lillo, Carla Pellandra, Enrica Galazzi en différents numéros, notamment Insegnare il francese in Italia. Repertorio analitico di manuali pubblicati dal 1625 al 1860, Bologne,

Cooperativa Libraria Universitaria , 1997 ; « Pour une histoire de l’enseignement du français en Italie », n° 6-7 ; Anna M. Mandich, L’Archive et la langue. Enquêtes sur l’enseignement du français, Parme, Proposte, 1993 ; Anna M. Mandich, Insegnare il francese in Italia. Repetorio di manuali pubbllicati in epoca fascista (1923-1943) Bologna, Heuresis, 2002 ; l’Espagne ( « 1648-1815 : l’universalité du français et sa présence dans la péninsule ibérique, n° 18, et les travaux de Javier Suso Lopez, Maria Eugenia Fernandez Fraile, de Juan Bascunana, de Brigitte Lépinette, etc.), les Pays-Bas, le Portugal, avec par exempleles travaux de Maria José Salema ou Ana Clara Santos, l’Europe balkanique (n° 38/39) ; la Suède, notammentElizabet Hammar, L’Enseignement du français en Suède jusqu’en 1807. Méthodes et manuels, Stockholm, Akademilitteratur, 1980 ; le bassin méditerranéen (« Histoire de l’enseignement du français langue étrangère dans le bassin méditerranéen », n° 27-28) à quoi on ajoutera : Patrick Cabanel, dir., Une France en Méditerranée. Écoles, langues et cultures françaises, XIXe-XXe Siècles, éd. Creaphis, 2006 ; Jérôme Bocquet, dir., L’enseignement français en Méditerranée. Les missionnaires et l’Alliance israélite universelle, Presses universitaires de Rennes, 2010 ; André Kaspi dir.: Histoire de l’Alliance israélite universelle, 1860-2010, Armand Colin, 2010; les pays du Levant,« Langue française, identité(s) et école, le cas de la minorité catholique du Levant (milieu du XIXe siècle – milieu du XXe siècle »n° 45) , Esther Moeller, Les écoles françaises au Liban 1909-1943 : lieux de la « mission civilisatrice » ?, thèse soutenue à l’université Jacobs de Brême, en janvier 2011) ; la Russie ; l’Amérique latine (Denis Rolland, La crise du modèle français. Marianne et l’Amérique latine. Culture, politique et identité, Presses universitaires de Rennes, 2000), l’Asie, l’empire colonial français (Denise Bouche et sa thèse, L’enseignement dans les territoires français et l’Afrique occidentale de 1817 à 1920. Mission civilisatrice ou formation d’une élite, Lille, Atelier de reproduction des thèses, 1975 ; la thèse de Valérie Spaêth, Généalogie de la didactique du français langue étrangère, l’enjeu africain, CIRELFA , Agence de la francophonie, 1998 ; « L’enseignement du français dans l’empire colonial français », n° 25 ; Pascale Barthélémy, Emmanuel Picard, Rebecca Rogers (dir.), « L’enseignement dans l’empire colonial français (XIXe-XXe siècles) », Histoire de l’Éducation, 128, 2010) ; le monde francophone (« L’émergence du domaine et du monde francophones, 1945-1970 » ° 40/41).

2.5. LeS aCTeUrS

A l’origine, les maîtres de langue (« Maîtres et élèves », n° 9 ; « Profils d’enseignants et d’institutions d’enseignement des langues vivantes », n° 14 ; « L’enseignement du français en Europe autour du XIXe siècle. Histoire professionnelle et sociale »,n° 33/34 ; Javier Villoria ed., Dai maestri di lingue ai professori di lingue in Europa, Quaderni del CIRSIL, 2008) ; mais aussi les exilés (huguenots tel Claude de Sainliens, appelé encore Claude Holyban, qui publie à Londres The French school masters, en 1573), les congréganistes, les missionnaires, et progressivementles professeurs (thèse de Simon Duteil, Enseignants coloniaux : Madagascar, 1896-1960, université du Havre, 2009) ; les éditeurs et le secteur marchand (Irène Finotti, Lambert à l’ombre de Maximilien Berlitz. Les débuts de la méthode directe aux Etats-Unis, Quaderni del Cirsil, 2010). Une professionnalisation, tardive, des personnels d’enseignement qui va de pair avec l’introduction des langues vivantes étrangères dans les curriculums scolaires dans le courant du XIXe siècle.

La religion et les missions (« Langues et religions : une relation complexe dans l’enseignement du français hors de France », n° 37 ; « Langue française, identité(s) et école(s) : le cas de la minorité catholique au Levant (milieu du XIXe-XXe siècles), n° 45 ; et de façon plus générale, aux Pays-Bas,les travaux de Marie-Christine Kok-Escalle, de Karène Sanchez, Willem Frijhoff) ; la littérature et les auteurs classiques (« L’enseignement de la langue et de la littérature françaises dans la seconde moitié du XIXe siècle », n° 23 ; « Les auteurs classiques français dans l’enseignement du FLE (18e et 19e siècles), n° 24 ; « Les aventures du Télémaque, trois siècles d’enseignement du français », n° 30 et 31) ; la dimension politique, idéologique (voir les textes de Louis Le Laboureur, du père Bouhours, de Rivarol,…) ; les mondanités, les arts de la cour, la galanterie. L’enseignement de la culture et de la civilisation fera l’objet d’un prochain colloque de la Sihfles à Iéna. On peut aussi se reporter à la thèse d’Evelyne Argaud, soutenue en juin 2000, L’enseignement de la civilisation : évolution et représentation dans le champ de la revue « Le Français dans le monde » (1961-1976).

2.7. L’iNSTiTUTioNNaLiSaTioN ProGreSSiVe DeS eNSeiGNemeNTS DU FraNçaiS

On peut citer, l’Alliance israélite universelle (André Kaspi dir., Histoire de l’Alliance israélite universelle de 1860 à nos jours, Armand Colin, 2010, l’Alliance française (Claude Cortier,Institution de l’Alliance française et émergence de la francophonie. Politiques linguistiques et éducatives (1880-1914), thèse Lyon 2, 1998 ; la Mission laïque et la thèse d’Esther Moeller (voir plus haut), le Service des Œuvres françaises à l’étranger (voir Changements politiques…), le CIEP, le CREDIF, le BELC.

2.8. LeS LieUX De FormaTioN

Grande diversité des lieux, collèges de l’Ancien régime, seminaria nobilium, écoles defrançais (Pays-Bas, avec notamment les travaux de Pierre Swiggers), académies militaires, pensionnats de jeunes filles, puis progressivement les institutions scolaires, les centres de formation pour l’étranger (« L’apport des centres de français langue étrangère à la didactique des langues », n° 20 ou encore « De l’École de préparation des professeurs de français à l’étranger, à l’UFR DFLE (1920-2008) », n° 44.

2.9. LeS reLaTioNS eNTre LeS LaNGUeS

Le français et le latin avec André Collinot, et Francine Mazière, L’exercice de la parole. Fragments d’une rhétorique jésuite, éditions des Cendres, 1987 ; Serge Lusignan, La Langue des rois au Moyen-Age. Le français en France et en Angleterre, PUF, 2004) ; à un moment où les approches plurilingues attirent de plus en plus l’attention des chercheurs, la Sihfles montre que de telles approches sont déjà en place depuis fort longtemps (« «Approches contrastives et multilinguisme dans l’enseignement des langues en Europe (16e-20e siècles) », ° 42 ; « Les langues entre elles et les contextes éducatifs en Europe (16e-20e siècles) », n° 43). Rivalités entre les langues(n° 51). Voir aussi « De l’histoire de l’enseignement d’une langue à celle des plurilinguismes » Michel Berré coord. in Le Langage et l’homme, EME, 2009.

L’enseignement d’une langue ne peut s’engager qu’à partir de descriptions de ses formes et de ses usages. La prononciation (« Phonétique et pratiques de prononciation. L’apprentissage de la prononciation, chemins parcourus jusqu’à nos jours », n° 19) ; grammaire et vocabulaire avec« Syntaxe et enseignement des langues », n° 29 ; «De quelques enjeux et usages historiques du Français fondamental »,n° 36 ; « Grammaire et enseignement du français langue étrangère et seconde(permanences et ruptures, du XVIe au milieu du XXe siècle), n° 49. L’édition, la diffusion et l’usage des dictionnaires multilingues est traité en différents numéros de la revue.

2.11. LeS CoNCePTioNS PÉDaGoGiQUeS

Comme nous l’avons dit plus haut, deux grands corps de démarches, apprendrepar l’usage et apprendrepar les règles (voir « Regards sur l’histoire de l’enseignement des langues étrangères », n° 14 ; « Qu’est-ce qu’apprendre une langue ? », n° 17, ou encore « Les dialogues dans les enseignements linguistiques : profil historique », n° 22. Émergence d’une réflexion didactiqueavec Jean Caravolas, La didactique des langues, 2 tomes, Presses de l’université de Montréal, 1994, ainsi que les nombreux travaux de cet auteur sur Coménius;voir aussi Henri Besse, Propositions pour une typologie des méthodes de langues, thèse soutenue en juin 2000, université de Paris 8.

2.12. LeS maTÉrieLS D’aPPreNTiSSaGe

Abordés en autodidaxie ou en apprentissage guidé (individuel ou collectif) : dictionnaires à partir des recherches conduites par Nadia Minerva, de l’université de Catane), grammaires d’apprentissage, méthodes dans leur diversité de réalisation, recueil d’exercices, manuels (n° 14, déjà cité). Supports techniques, outillage technologique (la radio, la télévision, le couple projecteur/magnétophone, les logiciels d’apprentissage, internet, photocopieuse, etc.)

3. L’HiSToire DaNS Le PrÉSeNT De La FormaTioN

L’histoire de la diffusion et de l’enseignement du français auprès de publics étrangers est une discipline au carrefour de nombreux domaines de recherche : histoire culturelle, histoire politique, histoire des idées, histoire de l’enseignement, didactique. En même temps une discipline profondément hétérogène dans la délimitation de son champ de recherche géographique : autant d’histoires nationales, autant d’histoires du français dans son enseignement. Ce qui s’est passé aux Pays-Bas ne peut être rapporté à ce que fut le sort de l’enseignement du français dans l’empire russe.

Ce qui pose le problème de la légitimation de la discipline. Discipline scientifique à part entière ou simple discipline d’appui à l’enseignement des langues et à la formation des professeurs ? Et nous savons bien encore qu’il ne saurait être question de transformer les futurs professeurs de français en chercheurs en histoire de l’enseignement, même si une problématique de recherche peut éclairer le traitement de certains problèmes d’enseignement contemporains.

Au-delà de ces réflexions et interrogations, convenons que l’histoire du FLES permet dans tous les cas d’éclairer un champ de pratiques professionnelles, dans leurs origines et leur développement, comme peut le faire l’histoire de la médecine ou l’histoire du droit, et offre aux praticiens la possibilité de porter un regard informé sur leur champ d’intervention et de penser différemment tout ce qui relève de leur agir professionnel. A ce titre, l’histoire du FLES a pleinement sa place dans le

L’histoire du FLES permet tout d’abord de situer le français sur une trajectoire historique dont le présent des usages ne constitue qu’une étape provisoire dans un champ constamment remanié. Langues de clerc, et non dialecte qui aurait réussi9, le français a dès les origines été une langue savante, enseignée savamment à des publics cultivés 10. Pendant longtemps langue des élites sociales et politiques, langue de prestige, langue de distinction11 le français a eu du mal à négocier le virage de sa propre mondialisation quand sont apparues, de façon particulièrement visible, les francophonies au moment des indépendances coloniales. Parfaitement outillé, méthodologiquement et grammaticalement, pour être enseigné à des publics à fort capital culturel, le français s’est trouvé fort démuni quand il s’est agi de prendre en charge des publics nouveaux, notamment ceux des publics d’enfants du Maghreb d’Afrique noire, de l’océan Indien. Et c’est bien à ce moment-là qu’est apparu le concept de français langue seconde, c’est-à-dire celui d’une langue enseignée à des publics particulièrement nombreux, selon des démarches qui ne pouvaient se limiter à la simple transposition de techniques issues du FLE classique. L’expérience historique du français l’a conduit à privilégier certains publics, à développer des démarches particulières, qui valent pour des publics restreints, toujours présents dans le champ de diffusion du français, mais qui sont moins appropriées dans le cadre d’apprentissages extensifs considérés selon les logiques d’une diffusion de masse. Le savoir peut contribuer à renouveler des pratiques d’apprentissage dans les formes ?

Autre intérêt de cette approche historique, permettre de déconstruire le système des évidences contemporaines et de mieux préparer de la sorte les enseignants au changement, à l’innovation. On sait combien l’enseignement du français est quelque part victime de ce que R. Bourdoncle (1993 : 150 ) nomme : « les excès d’une rationalité instrumentale » dans la conception que l’on peut se faire du métier d’enseignement des langues : le C.E.C.R.L. et ses descripteurs, ses niveaux de compétence et son répertoire de domaines d’usage, le concept même de « référentiel de compétences », issu de la formation professionnelle des adultes (voir sur ce point les travaux fondateurs de Guy Le Boterf, mais encore les descriptions proposées par Philippe Perrenoud), les outils d’évaluation de la compétence des élèves (TCF, DELF, DALF, etc.). Outillage hautement technicisé qui modifie considérablement le paysage de l’enseignement des langues, mais dont les conditions d’émergence ne sont jamais examinées. L’apprentissage y est découpé en un répertoire très finement organisé de capacités et compétences, pour lesquelles sont alors prévues des réponses pédagogiques appropriées, les démarches actionnelles par exemple, qui, elles-mêmes, feront par la suite l’objet d’évaluation spécifiques. On peut alors tracer pour chaque apprenant un profil de compétence spécifique en opposition forte à ce que certains nomment : « l’approche globaliste dans l’enseignement du français et des langues » (Beacco, 2007 : 37). Mais si fascinant que ce soit modèle, il ne constitue qu’un moment dans l’histoire de l’enseignement des langues, il correspond certainement à une logique particulière dans l’exercice du métier d’enseignant et à sa sociologie. Et ce modèle sera donc appelé à évoluer ; pour ces raisons, il importe de ne pas enfermer les enseignants dans les images d’un présent qui aurait sinon pour effet de faire vivre toute évolution comme une perte par rapport à au modèle initial de référence. Un parcours historique sur les modèles d’enseignement à l’œuvre en différentes époques, ainsi qu’un examen attentif de la sociologie des personnels enseignants

9 Les travaux de B. Cerquiglini : 2007 et de S. Lusignan : 2004 ont permis de renouveler profondément cette problématique des origines. 10 Plus particulièrement, voir H. Besse, 2001. 11 Un colloque, récemment tenu à l’université d’Utrecht, L’image de la langue française, hier, aujourd’hui, demain. Pratiques et enjeux aux Pays-Bas et ailleurs, s’interroge ainsi sur cette évolution de la place du français dans le monde des relations internationales aujourd’hui et dans le vécu d’un certain nombre de pays.

(précepteurs, maîtres de langues, enseignants titulaires par la suite, et aujourd’hui souvent simples sous-traitants de politiques de formation décodées ailleurs) assurera la prise de distance nécessaire et préparera les enseignants ou futurs enseignants à considérer comme légitimes les changements à venir, au lieu de les enfermer dans les limites d’un présent considéré comme indépassable.

En récusant de la sorte une vision téléologique de l’histoire de l’enseignement des langues, on fait apparaître de façon plus évidente, dans la simultanéité de leur mise en œuvre, la diversité des choix méthodologiques. La méthode grammaire-traduction n’est pas aux origines de l’enseignement des langues, puisqu’elle est toujours en usage dans certains pays, dans certaines institutions. En fait, dès les premières tentatives d’enseignement des « langues vulgaires » aux étrangers, deux grandes voies ont été tracées, l’une fondée sur un apprentissage par les règles, sur le modèle de l’enseignement du latin, et l’autre s’appuyant sur les pratiques, par le recours à des dialogues, à des conversations12. Et il importe dans ces conditions de s’interroger sur les raisons de tels choix. Pourquoi telle méthodologie s’ancre dans un pays donné ou auprès d’un public donné, à quelles cultures d’apprentissage fait-elle écho ? A quels aspects de l’environnement, social, politique, culturel, à quelles conditions les faire évoluer si tant est que cette évolution paraisse souhaitable ?

L’histoire de la discipline peut enfin corriger les dérives d’une mémoire enseignante qui trop souvent tend à idéaliser un passé professionnel et culturel fort éloigné, et les travaux ici évoqués le montrent bien, de la réalité des faits. Un public, une demande de formation, un niveau de compétences recherché, le statut d’une langue dans le monde, ne sont pas des données intangibles, mais des variables dépendant de facteurs très nombreux dont il importe de prendre conscience. Contextes, acteurs, outils d’analyse de la langue, mais aussi outils d’enseignement entrent en interaction dans un marché en constante reconfiguration. Comme le marché des langues est mondial, la demande peut se déplacer d’une région du monde à l’autre, sans que les professeurs liés à l’exercice de leur métier dans un pays puissent forcément suivre cette évolution. Une analyse historique permet de situer des moments, passés et présents, de l’enseignement dans un jeu plus complexe d’interactions. L’identité professionnelle des futurs enseignants sera construite sur un socle différent

Vision globale et vécu local, ce problème n’est pas propre à l’enseignement des langues, peuvent entrer en tension. Mais dans tous les cas, l’histoire tend au moins à montrer que l’idée d’un âge d’or du français ne saurait être pleinement admise. A moins de considérer que seuls sont dignes d’intérêt les publics issus des classes les plus favorisées dans une société ou une nation donnée.

Une double visée donc, rompre avec un régime d’historicité qui fait du présent la seule dimension temporelle légitime et se garder des illusions d’une mémoire qui, moins qu’un retour organisé, réfléchi, vers le passé, s’efforce de mettre un passé aux éléments soigneusement sélectionnés au service d’une crainte ou d’un refus du présent.

12 Pensons à l’ouvrage de Noël de Berlaimont qui connut au XVIe siècle un considérable succès, Colloquia et Dictionariolum octo linguarum Latinae Gallicae Belgicae, Teutonicae Hispanicae Italicae Anglicae et Portugallicae.

Les pratiques de formation, les institutions éducatives évoluent sur un rythme lent, sur un temps long qui dans leur effectivité échappent au regard d’un observateur plus attentifs aux ruptures, aux scansions fortes. Transformations continues, ajustements à des variables de situation, plus que progrès véritable. Et nous retrouvons ici les analyses de François Julien qui, notamment de son ouvrage Les transformations silencieuses (Grasset, 2009), et dans une comparaison entre les sensibilités occidentales et chinoises, met l’accent sur la transition, et non sur la rupture événementielle, comme processus d’évolution, sur un continuum d’actions différemment affecté selon les lieux et les moments. Ce qui doit nous conduire à réfléchir sur cet univers de pensées et de pratiques dans lequel nous évoluons, dans lequel nous travaillons, pour nous recommander la prudence dans l’appréciation d’événements, d’innovations qui ne sont peut-être que l’écume de courants, de mouvements plus profonds dont il importe de mieux appréhender les origines, les forces à l’œuvre et les orientations véritables et qui mobilisent peut-être à l’excès l’attention de l’observateur.

Un traitement historique, notamment dans une semblable perspective, peut-il cependant être autre chose qu’un enregistrement passif de transformations inscrites sur des trajectoires depuis longtemps prédéterminées ? Auquel cas en effet l’histoire de la discipline ne ferait qu’enfermer les acteurs d’aujourd’hui dans une vision figée de l’enseignement du français (tout aurait été tenté, tout aurait été dit). Elle peut nous aider au contraire à réfléchir à un pilotage différent, en agissant sur les processus engagés, mais de plus loin peut-être, à partir d’entrées multiples, sur des points qu’une analyse de nature historique aura permis de mieux identifier, choisir l’enveloppement, la transformation progressive des situations et des mentalités plus que la frontalité, comme il en va trop souvent dans l’approche de l’innovation. Pour toutes ces raisons développer une réflexion partagée, entre un passé et un présent que l’historiographie et la didactique contemporaines ont trop souvent tendance à dissocier peut se révéler à terme particulièrement fructueux.

BiBLioGraPHie

n BEACCO, J-C. 2007. L’approche par compétences dans l’enseignement des langues. Paris : Didier, Collection « Langues et didactique », 307 p. n BERRE, M. 2010. « Faire place à l’histoire de la didactique des langues dans la formation des enseignants »,Descontinuidades e confluencias de olhares nos estudos francofonos, Universidade de Algarve, p. 203-218. n BESSE, H. 2001.« Peut-on « naturaliser » l’enseignement des langues en général, et celui du français en particulier ? », in Théories et enseignement du français aux non-francophones, Le Français dans le monde - Recherches et applications, p. 29-57. n BOURDONCLE, R. 1993. « La professionnalisation des enseignants : les limites d’un mythe »,Revue française de pédagogie, 105 p. n CERQUIGLINI, B. 2007. Une langue orpheline, Les Éditions de Minuit, coll. « Paradoxe », 240 p. n LUSIGNAN, S., 2007. La langue des rois au Moyen Age. Le français en France et en Angleterre. Paris : PUF, Collection « Le nœud gordien », 296 p.

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