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REPORTAGE À BOUÉNI, DES MAISONS AU BORD DU PRÉCIPICE
À PROXIMITÉ DU BOULEVARD DES TORTUES, LE TRAIT DE CÔTE AURAIT RECULÉ DE PRÈS DE 20 MÈTRES EN QUELQUES ANNÉES. PEU À PEU, LA MER VIENT GRIGNOTER LA FALAISE ET FRAGILISER LES MAISONS QUI Y SONT INSTALLÉES. UNE SITUATION QUI OBLIGE LES OCCUPANTS À QUITTER LES LIEUX DE TOUTE URGENCE.
« Cette fissure-là, c’est le signe du basculement de la maison vers l’avant. » Dans le couloir de la demeure qu’il possède depuis 17 ans, Mdhatirou Boina a l’air grave, le visage fermé. Ce symbole de l’héritage familial, situé à Bouéni et qui héberge encore une poignée de meubles et d’effets personnels, est rempli de souvenirs. C’est notamment ici que le père de famille s’est marié et qu’il a, en partie, élevé ses trois enfants, nés en métropole. Mais depuis 2014 et le passage du cyclone Hellen, la structure de l’édifice qui surplombe la mer ne cesse de se fragiliser. Le cadran de la porte d’entrée laisse désormais entrevoir le jour à côté du mur qui la borde, les blocs de béton qui soutiennent l’ensemble se font peu à peu picorer par les éléments et, surtout, la partie de la maison la plus proche du littoral glisse peu à peu vers l’avant et fragilise les murs qui la soutiennent. « Mon beau-père, qui vit juste à côté, me dit qu’il entend souvent des craquements la nuit. Ce sont les fissures qui se creusent », se désole le père de famille.
Vue du balcon, la mer est à deux pas. À marée haute et lors des coups de vent, elle vient continuellement grignoter la falaise sur laquelle sont construites les habitations du boulevard des tortues, à Bouéni. « En saison des pluies et à chaque tempête, une partie de la terre qui soutient nos maisons est emportée par les eaux. Et la plage se transforme en mare de boue », témoigne l’habitant. Pour limiter le phénomène, le père de famille a installé des bâches, deux années de suite. A quelques mètres, son voisin utilise, lui aussi, « les moyens du bord. » Au pied de sa terrasse, la famille a entreposé des pneus, des pierres et des planches de bois pour éviter que la mer n’emporte le reste de terre.
Des Submersions Marines Et Des Mouvements De Terrain
Depuis son balcon, Mdhatirou Boina pointe du doigt une pierre située à une dizaine de mètres de la falaise. « Quand nous nous sommes installés, la terre venait jusqu’ici. La mer a gagné 20 mètres en une quarantaine d’années », assure-t-il. Une situation qui l’a obligé, en juin dernier, à quitter les lieux. « Ça devenait vraiment trop dangereux » , estime le propriétaire. Un constat partagé par le Bureau de Recherches Géologiques et Minières de Mayotte (BRGM), qui aurait relevé deux phénomènes distincts. « Il y a des submersions marines, qui fragilisent les habitations. Mais on constate également des mouvements de terrain », relate Dayel Allaoui, directeur du CCAS de Bouéni. Un diagnostic qui a poussé la mairie à prendre un arrêté demandant l’évacuation des habitants concernés. « Il faut impérativement qu’ils quittent les lieux le plus vite possible », assure le directeur du CCAS.
Mdhatirou Boina possède depuis 17 ans dans sa maison situé boulevard des tortues. En juin dernier, il a dû quitter les lieux avec sa famille.
La maison de Mdhatirou Boina bascule vers l’avant, ce qui crée de larges fissures sur les murs.
Dossier
Parmi les familles vivant sur place, seules deux sont déjà parties. Mdhatirou Boina, sa femme et ses trois enfants sont allés s’installer dans un logement en location, sur les hauteurs de Bouéni. Le loyer est pris en charge par le Conseil départemental, qui s’est engagé à couvrir ces dépenses pour les familles sinistrées pour une durée de six mois. Des fonds, relatifs à la Loi Barnier, devraient ensuite être débloqués pour prendre le relais. Cette législation a pour but d’assurer la sécurité des personnes, en autorisant la mise en œuvre de procédures d’expropriation pour cause de risque naturel.
« 17 MILLIONS D’EUROS POUR CONSTRUIRE UN mur »
Dans le même temps, une étude a été commandée par la mairie. Mais faute de fonds propres suffisants, elle n’a pu être menée à son terme. Une réunion réunissant les familles a toutefois eu lieu pour évoquer les différentes solutions. La pose de gabions - des cages renfermant des pierres – a été évoquée. « Cela a été refusé à l’unanimité, nous estimons que ça ne suffira pas », assure Angatahi
Mela, propriétaire de trois appartements au 24 boulevard des tortues. L’autre piste évoquée est la construction d’un mur et le remblayage de la falaise. « Cela pourrait être une bonne solution mais elle est coûteuse. Nous l’avons estimé à 17 millions d’euros. Le bénéficerisque pose donc question. D’autant que cela a été fait ailleurs en métropole et qu’il a été constaté un déplacement du phénomène, à quelques kilomètres de l’infrastructure », expose Dayel Allaoui, le directeur du CCAS.
« PERSONNE N’EST CENSÉ REVENIR SUR LES LIEUX »
Face à ces difficultés, la solution la plus probable est la destruction des habitations et l’indemnisation des propriétaires. « Personne n’est censé revenir sur les lieux », poursuit le représentant du CCAS. Une situation difficile à accepter pour les habitants. « Nous ne voulons pas quitter nos maisons » , soupire l’habitant du numéro 24, qui s’est également marié dans ses lieux et y a vu grandir ses deux enfants. « Et tant qu’on ne nous donnera pas de solution pérenne, nous ne partirons pas. » n
La maison voisine tente également de renforcer sa structure en coulant du béton.
Des pneus, des planches de bois, des pierres sont aussi utilisés pour tenter de limiter le phénomène d’érosion
Dossier
Raïnat Aliloiffa