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LISEZ MAYOTTE LE CONTE (1/4) : AHAMADA « ÉCRIT MAYOTTE D’AUJOURD’HUI »
AGRÉGÉ DE LETTRES MODERNES ET DOCTEUR EN LITTÉRATURES FRANCOPHONES, CHRISTOPHE COSKER EST L’AUTEUR DE NOMBREUX OUVRAGES DE RÉFÉRENCE SUR LA LITTÉRATURE DE L’ÎLE AUX PARFUMS, NOTAMMENT UNE PETITE HISTOIRE DES LETTRES FRANCOPHONES À MAYOTTE (2015) DONT IL REPREND, APPROFONDIT ET ACTUALISE, DANS CETTE CHRONIQUE LITTÉRAIRE, LA MATIÈRE.
La forme du conte est-elle l’alpha et l’oméga de la littérature à Mayotte ? À considérer le volume littéraire qui lui est consacré, on serait tenté de répondre positivement. Et c’est sans compter sur la pratique orale, réelle et première, de cette forme. C’est sans doute pour cette raison qu’organisant notre chronique littéraire par séries, nous lui en avons déjà consacré deux l’an passé. La première série se voulait introductive et présentait donc Claude Allibert, Jacques Noël Gueunier, Sophie Blanchy et ses collaborateurs, sans oublier Nassur Attoumani et Abdou Salam Baco. La forme du conte était suivie de l’édition scientifique par des chercheurs allochtones puis sa réappropriation littéraire par des écrivains autochtones. Une deuxième série de six chroniques examinait plus en détail les sept volumes de Contes inédits de Mayotte sous la direction d’Abdou Salam Baco.
Dans cette nouvelle série de quatre épisodes que nous inaugurons, nous ne tournons plus vers l’alpha, mais vers l’oméga de la forme du conte. En d’autres termes, le conte n’est pas ici considéré comme une origine, une forme héritée de la tradition, mais au contraire comme une forme vivante que se réapproprie la modernité pour écrire Mayotte aujourd’hui. Et c’est la raison pour laquelle nous commençons avec Ahamada Fahadat qui, en 2015, auto-édite un petit ouvrage intitulé, en toute simplicité, Les Contes de Fahadat. Plusieurs éléments retiennent notre attention dans cette entreprise littéraire et le premier d’entre eux est l’âge précoce d’entrée en littérature de cette plume féminine : treize ans. C’est en effet parce qu’Ahamada Fahadat a été quatre fois lauréate du concours Francojeunes de Mayotte qu’elle a décidé de compiler « Faïz, à la recherche de sa mère » composé et primé en 2011, « Naïm et la fleur magique » en 2012, « Thom et le royaume ensorcelé » en 2013 et « Kitir, le jeune pauvre devenu roi » en 2014.
Ce qui retient ensuite notre attention est le style de l’auteur. En effet, Ahamada Fahadat renouvelle l’écriture du conte dans le sens de la modernité parce qu’elle emploie un langage et une mise en scène qui ont quelque chose de cinématographique. Ainsi dans le premier texte du recueil, le thème traditionnel de la disparition est remplacé par celui, moderne, du kidnapping :
« Faiz avait l’habitude de se rendre dans la forêt pour couper du bois pour la maison. Un jour, pendant qu’il s’y était rendu, il entendit des voix. Il s’avança de quelques mètres. Il vit une femme attachée à un tronc d’arbre. À côté d’elle, deux hommes la surveillaient. Faiz comprit qu’il s’agissait d’un kidnapping. » (p. 5-6)
Le mot est présent, verbatim, à la fin de la citation. Ce qui plaît ici, c’est l’entrelacement entre l’univers mahorais traditionnel, couper son bois, et le lieu commun du kidnapping : la frêle jeune femme attachée par des hommes dangereux. Tout cela appelle un héros et le jeune homme se transforme, momentanément, en fantôme, afin de la délivrer.
Dans le troisième texte du recueil, « Naïm », on trouve un élément traditionnel, à savoir la fleur magique, mais aussi une géographie urbaine moderne, étant donné que l’on voyage en Europe, de Marseille à Madrid :
« C’est l’histoire d’un jeune homme qui s’appelait Naïm. Il habitait avec son père dans une ville qui s’appelle Madrid. Il hérita de sa mère, décédée cinq ans après sa naissance, qu’un simple atelier de fleurs. Avant de mourir sa mère lui confia : « dans l’atelier il y a une fleur spéciale, unique au monde, une fleur magique. Elle ne fane jamais et elle sent très bon, plus bon [sic] que toutes les fleurs du monde. » (p. 25)
Tradition et modernité se mêlent ici à nouveau. Du conte, on retrouve le motif de l’objet magique, en l’occurrence, une fleur. Cette dernière appelle l’amour qui ne manque pas d’arriver. En ce qui concerne la modernité, elle est d’ordre géographique et Madrid apparaît, depuis Mayotte, comme une ville exotique.
Nous recommandons donc la lecture de ce petit ouvrage et attendons la suite de cette plume prometteuse.
Christophe Cosker