Dana Popescu, Mulhouse en 2082 – www.metamulhouse.com
mulhouse gare centrale 22.11.2011 → 17.01.2012
édito
Une invitation au voyage
Par Philippe Schweyer
Depuis la première locomotive construite à Mulhouse par André Koechlin en 1839, jusqu’à l’arrivée du TGV Rhin-Rhône le 11 décembre 2011, l’aventure ferroviaire n’a jamais cessé de faire rêver. Initié par le Club TGV Mulhouse-Alsace, le Festival Mulhouse Gare Centrale rassemble un colloque, des expositions, des spectacles et une série d’événements qui saluent dignement le dernier épisode mulhousien de cette aventure fascinante. Ni programme exhaustif, ni catalogue officiel, ce journal est un événement en soi. Sa seule ligne éditoriale : la ligne de chemin de fer. En 64 pages, il fait se croiser les regards, se télescoper images d’archives
Robert Cahen, Juste le temps, 1983
et textes de fiction, se rencontrer gravures anciennes et rêveries modernes. Les souvenirs d’enfance d’un habitant de la gare remontent à la surface, un architecte imagine le futur quartier Gare-Canal, une photographie trouvée dans une valise à Istanbul côtoie une analyse du célèbre Crime de l’Orient-Express. Tout au long de ce voyage, les images défilent comme les paysages à travers une vitre. Il n’est pas question de se contenter de faire l’éloge du progrès, de la vitesse, de la technologie, du gain de temps et de la productivité. D’autres s’en chargeront abondamment, ailleurs. Le train qui circule d’une page à l’autre de ce journal est celui qui n’a cessé d’inspirer les écrivains, les cinéastes et les artistes. Il s’agit ici de relier les bolides aux tortillards, les TER aux TGV, de jeter quelques regards en arrière tout en se faufilant jusqu’à la locomotive de tête pour imaginer le futur. Bon voyage et bonne lecture.
J’ai passé mon enfance dans les jardins suspendus de Babylone Et l’école buissonnière, dans les gares devant les trains en partance Blaise Cendras, Prose du transsibérien
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Papier peint à motif répétitif France, manufacture Anonyme, vers 1850 Papier continu, fond satiné, impression à la planche, 16 couleurs Musée du Papier peint, Inv. 999 PP 27 © Rixheim, Musée du Papier peint, Cliché : Giannelli
festival
mulhouse gare centrale 22.11.2011 → 17.01.2012
Le Festival Mulhouse Gare Centrale est né de la démarche originale, collaborative et participative assurée par le Club TGV Mulhouse-Alsace. Ouverture de l’exposition → Du mardi 22 novembre au samedi 14 janvier À l’occasion de l’arrivée du TGV Rhin-Rhône, le Pôle documentaire de la Fonderie a conçu une exposition à partir de ressources multiples - lithographies, photographies, livres, archives retraçant le développement du train en Alsace avec un éclairage particulier sur le rôle de Mulhouse dans cette aventure. Vendredi 25 novembre → 18h30 Inauguration officielle du festival et vernissage de l’exposition en présence de Monsieur Jean-Marie Bockel, président de Mulhouse Alsace Agglomération, sénateur du Haut-Rhin et de Monsieur Jean Rottner, maire de Mulhouse Avec l’interprétation du Galop du chemin de fer alsacien de F.C. Kohlenberger par Florian Crest, élève ingénieur de l’école de chimie. Université de Haute Alsace
Mulhouse Gare Centrale : voyage et tourisme Du mardi 22 novembre au samedi 14 janvier Mardi - samedi → 10h à 12h et 14h à 17h30 Bibliothèque - 19 Grand rue → 03 69 77 67 17 Mulhouse Gare Centrale : architecture et techniques Du mardi 22 novembre au samedi 14 janvier Mardi - samedi → 15h à 19h Société industrielle de Mulhouse Salle d’honneur 1er étage 12 rue de la Bourse → 03 89 66 93 39
L’aventure ferroviaire en Alsace Mardi 22 novembre → 18h30 Café histoire avec Nicolas Stoskopf de l’Université de Haute Alsace Gare de Mulhouse Brasserie le Grand Comptoir → 03 89 56 61 78
Soirée Tranches de Quai #16 Jeudi 24 novembre → 19h30 Le Quai ouvre ses portes le temps d’une soirée artistique et festive où s’enchaînent performances sonores et visuelles, expositions. Avec Pinhas Duncan, Castillo Ernesto et Frédérique Loutz, Anne Immelé, Choi Jung Hee, Claire Morel et Christian Savioz, Christian Kempf, Sylvie de Meurville, Julie Krakowski, Grégory Lacoua et Jean-Sébastien Lagrange, Philippe Caseus, Robert Cahen, Christophe Greilsammer, etc. En bonus, l’exposition « Les 30 ans du TGV » par le club multicollections « Les chasseurs d’images », la performance «Vous serez forts, optimistes, invincibles, immortels» d’après le manifeste du Futurisme de Marinetti par les élèves du Conservatoire de Mulhouse et les étudiants du Quai, et une représentation de l’ensemble chorégraphique DKDanses de l’Akadémie de Mulhouse. Le Quai, Ecole supérieure d’art de Mulhouse 3 quai des Pêcheurs → 03 69 77 77 20
L’histoire du chemin de fer et les Mulhousiens, grands voyageurs Dimanche 27 novembre → 14h30 Parcours au cimetière par l’association « Mémoire Mulhousienne ». Départ devant l’entrée du cimetière protestant. Cimetière central 94 rue Lefebvre
Station to Station Jeudi 1er décembre → 9h à 18h Colloque nomade international sur les relations entre les arts (littérature, cinéma, musique) et l’univers ferroviaire. Société Industrielle de Mulhouse 10 rue de la Bourse
Les liaisons ferroviaires Jeudi 1er décembre → 18h30 Café littéraire avec l’écrivain Jean-Pierre Martin. Bibliothèque - 19 Grand rue → 03 69 77 67 17
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Don Weiss, Coll. SIM, conservé au cabinet des estampes de la Bibliothèque municipale de Mulhouse
Station to Station Vendredi 2 décembre → 8h45 à 19h Colloque nomade international sur les relations entre les arts (littérature, cinéma, musique) et l’univers ferroviaire Départ Mulhouse Gare Centrale à 9h dans deux wagons à destination de Dijon Gare Centrale. Retour vers 16h à Mulhouse et poursuite des débats à la Société Industrielle de Mulhouse jusqu’à 19h. Les places sont limitées, pour réserver votre billet : mlafumat@9online.fr Se munir d’un billet de 10€ pour la participation au colloque
Mulhouse Gare Centrale Samedi 3 décembre → 11h Visite guidée de l’exposition Inscription obligatoire Bibliothèque - 19 Grand rue → 03 69 77 67 17
Rêve de Corail Samedi 3 & dimanche 4 décembre → 12h à 22h Vernissage : vendredi 2 décembre → 18h à 22h Les artistes de l’association Ödl proposent aux visiteurs un parcours original, sonore et visuel dans les compartiments d’une voiture stationnée dans la gare de Mulhouse Avec des propositions d’Églantine Gilardoni, David Kuhn, Jeremy Ledda, Thibaut Lemoine, Johanny Melloul, Julien Pauthier. Avec le concours de la SNCF Gare de Mulhouse - Voie 8 → http://ödl.org/site/
Trains et machines fantastiques dans la musique Samedi 3 décembre → 15h Concert famille de l’Orchestre Symphonique de Mulhouse. À l’occasion de l’arrivée du TGV Rhin-Rhône à Mulhouse, embarquement immédiat à bord des trains de légende, avec des œuvres d’Arthur Honegger (Pacific 231), John Adams (The chairman dances), Leroy Anderson (The typewriter), et Eduard Strauss (Bahn Frei op.45), etc. Théâtre de la Sinne 39 rue de la Sinne → 03 89 33 78 01
Festival TGV Génériq Samedi 3 décembre → 20h & 23h Brigitte + Mariachi el Bronx Saida Baba Talibah + Murkage + Rafale + Sebastian tarifs disponibles sur www.generiq-festival.com Le Noumatrouff 57 rue de la Mertzau → 03 89 32 94 10
Bienvenue au TGV Rhin-Rhône à Mulhouse Dimanche 4 décembre → 9h à 17h Exposition du club multicollections « Les chasseurs d’images » Foyer Saint-Étienne 1b rue des Halles Informations : Gérard Keller → 03 89 64 43 96
Le pôle express Matinée Magique Dimanche 4 décembre → 10h15, séance à 11h (Robert Zemeckis, 2003) Avant le film, les enfants et les familles découvriront plusieurs animations dans une ambiance festive : maquillage, concours de dessin sur le thème du train avec de nombreuses surprises et prix à gagner. Kinepolis Mulhouse 175 Bd Robert Schuman → 03 89 36 78 00 Tarif unique 6 € avec animations et surprises
Festival TGV Génériq Dimanche 4 décembre → 15h & 17h (2 séances) Brigitte pour les enfants Espace Tival 2 place de la réunion Kingersheim → 03 89 51 32 10
Festival TGV Génériq Dimanche 4 décembre → 18h30 Terakaft (Blues saharien / Mali) Cité du Train 2 rue Alfred de Glehn → 03 89 42 83 33
Don Weiss, Coll. SIM, conservé au cabinet des estampes de la Bibliothèque municipale de Mulhouse
Festival TGV Génériq Mardi 6 décembre → 20h30 Mesparrow Bar l’Avenue 8 boulevard de l’Europe → 03 89 66 37 01
Mulhouse à travers les gares Mercredi 7 décembre → 14h Randonnée pédestre (2h30) de la gare centrale à la gare de Dornach en passant par le Cokrouri proposée par le Club Vosgien Mulhouse & Crêtes Guides : A. Doll et T. Schlawick Rendez-vous à l’intérieur du hall d’arrivée de la gare de Mulhouse (prévoir un ticket de tram pour le retour) → 03 89 45 51 83
Festival TGV Génériq Mardi 6 décembre → 22h Piano Chat Bar Le Greffier ~ 16 rue de la Loi → 03 89 66 41 22
Bébert et l’omnibus (Yves Robert, 1963) Mercredi 7 décembre → 14h Cinéma Bel-Air - 31 rue Fénelon → 03 89 60 48 99
Festival TGV Génériq Mardi 6 décembre → 18h30 Connan Mockasin Temple Saint Etienne 6 place de la Réunion
Festival TGV Génériq Mercredi 7 décembre → 18h30 Michel Cloup Bibliothèque - 19 Grand’rue → 03 69 77 67 17
Festival TGV Génériq Mercredi 7 décembre → 20h30 Anna Aaron + Yael Naim Temple St-Etienne 6 place de la Réunion
Veillée Gourmande autour des contes Jeudi 8 décembre → 19h30 Avec Emmanuelle Filippi, conteuse de l’association « Perles d’histoires » Garden Ice Café. 6 place de la République → 03 89 66 00 00
Bienvenue au TGV Rhin-Rhône Samedi 10 décembre → 17h Spectacle son et lumière gratuit pour fêter l’arrivée du TGV Rhin-Rhône. Parvis de la gare de Mulhouse
Mulhouse vue du train Du samedi 10 au jeudi 29 décembre Exposition de photographies en plein air. Sous les arcades de l’avenue Foch
A4 Dimanche 11, lundi 12, vendredi 16 et samedi 17 décembre → 12h30 à 19h30 Diffusion des dessins numérotés des artistes Jean-Jacques Dumont, Joséphine Kaeppelin, Julien Nédélec et Susanne Roth réalisés à l’initiative du CRAC Alsace d’Altkirch et de la Kunsthalle de Mulhouse. Gare de Mulhouse www.cracalsace.com → 03 89 08 82 59 www.kunsthallemulhouse.com → 03 69 77 66 47
Jim Bouton et Lucas le chauffeur de locomotive (de Michael Ende) Mercredi 14 décembre → 15h & 19h30 Raconté par André Leroy (Les Tréteaux de Haute Alsace). Théâtre de la Sinne 39 rue de la Sinne → 03 89 66 06 72
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Gastronomie du 15 novembre au 15 janvier Cinq restaurants de la région mulhousienne jouent le jeu d’une carte gastronomique dédiée au train pendant la période du festival Mulhouse Gare Centrale. Inspirées du paysage et des régions traversées ou plus simplement de l’imagerie ferroviaire. La Poste Kieny 7 rue du Général de Gaulle Riedisheim → 03 89 44 07 71 Le Bistrot d’Oscar 1 av. du Maréchal-Joffre Mulhouse → 03 89 45 25 09 Le Poincaré II 6 Porte de Bâle Mulhouse → 03 89 46 00 24 Don Weiss, Coll. SIM, conservé au cabinet des estampes de la Bibliothèque municipale de Mulhouse
MONTRER LA VOIE Projet en cours (2011-2012) Emmanuelle Jenny propose une intervention chromatique in situ dans la gare de Mulhouse.
Un train peut en cacher un autre Du mardi 3 au mardi 17 janvier vernissage : mercredi 4 janvier → 19h Exposition de photographies de Jean-Jacques Delattre, Franck Ehret, Luc Georges, Céline Jentsch, Christine Meyer, Didier Oesterle, Michel Petit, Pauline Prodhome, Sylvain Scubbi et Marc Steiner. lundi - vendredi, 8h à 19h Le Quai, Ecole supérieure d’art de Mulhouse 3 quai des Pêcheurs → 03 69 77 77 20
Tchou Tchou Set (Savoir Nager Comme Fernandel Party) Mercredi 4 janvier → 20h à minuit Avec DJ FanFan aux platines Gare de Mulhouse Brasserie le Grand Comptoir → 03 89 56 61 78
Soldes Très Grande Vitesse À partir du mercredi 11 janvier Jeu de piste avec la Fédération des Commerçants de Mulhouse Cadeaux et surprises à gagner → www.vitrinesdemulhouse.com → www.coeur-de-mulhouse.com → www.mulhouse.fr
Librairies A l’occasion du festival « Mulhouse Gare Centrale », quatre librairies mulhousiennes proposent des vitrines dédiées aux trains. Librairie Le Cadratin → du 21 nov. au 10 déc. 2 passage de l’Hôtel de ville → 03 89 36 06 32 The Book Corner → du 22 nov. au 10 déc. 22 rue Sainte-Claire → 03 89 66 56 80 Librairie Bisey → du 5 déc. au 11 déc. 35 place de la Réunion → 03 89 46 58 14 Canal BD → du 1er jan. au 15 jan. 12 passage du Théâtre → 03 89 56 33 22
Mulhouse-Marseille : séances vers le Sud Le cinéma Le Palace propose tous les mardis une séance vers Marseille, pour s’ouvrir à un autre soleil, à d’autres couleurs • Mardi 15 novembre → 20h Avant-première Les Neiges du Kilimandjaro (R. Guédiguian, 2011) • Mardi 22 novembre → 20h La femme du boulanger (M. Pagnol, 1938) • Mardi 29 novembre → 20h Les lettres de mon moulin (M. Pagnol, 1954) • Mardi 6 décembre → 20h La fille du puisatier (M. Pagnol, 1940) • Mardi 13 décembre → 20h Marius et Jeannette (R. Guédiguian, 1997) • Mardi 20 décembre → 20h La gloire de mon père (Y. Robert, 1990) • Mardi 27 décembre → 20h Le château de ma mère (Y. Robert, 1990) • Mardi 3 janvier → 20h Marie-Jo et ses deux amours (R. Guédiguian, 2002) • Mardi 10 janvier → 20h La ville est tranquille (R. Guédiguian, 2001) Cinéma Le Palace - 10 av. de Colmar → 03 69 61 84 54
L’Esterel 83 av. 1ère Division Blindée Mulhouse → 03 89 44 23 24 La Closerie 6 rue Henri de Crousaz Illzach → 03 89 61 88 00
Concours de dessin Depuis sa construction en 1932, la gare de Mulhouse est dépourvue de fronton sculpté. Pour réparer cet oubli, le festival « Mulhouse gare centrale » lance un concours de dessin ouvert à tous. Les participants sont invités à réaliser, avant le 30 novembre, un projet dans le respect des proportions de l’emplacement réservé sur la façade du hall départ. Ce dessin devra relier le passé et le présent, en valorisant l’architecture art déco de la gare et en fêtant l’arrivée du TGV Rhin-Rhône. Le jury sera composé de spécialistes du patrimoine ferroviaire et d’artistes sensibles à l’architecture. Détail des lots à gagner et plan du fronton sur www.lequai.fr ou à retirer à l’école d’art du lundi au vendredi de 8h30 à 19h. Dépôt des projets jusqu’au 30 novembre au Quai. Le Quai, Ecole supérieure d’art de Mulhouse 3 quai des Pêcheurs → 03 69 77 77 20
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Je suis réconcilié avec le chemin de fer. C’est décidement très beau. […] C’est un mouvement magnifique et qu’il faut avoir senti pour s’en rendre compte. La rapidité est inouïe. Les fleurs du bord du chemin ne sont plus des fleurs, ce sont des taches ou plutôt des raies rouges ou blanches ; plus de points, tout devient raie ; les blés sont de grandes chevelures jaunes, les luzernes sont de longues tresses vertes ; les villes, les clochers et les arbres dansent et se mêlent follement à l’horizon ; de temps en temps, une ombre, une forme, un spectre debout paraît et disparaît comme l’éclair à côté de la portière ; […] Victor Hugo, Voyage en Belgique, 1837
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Mulhouse et le train du futur 1839-2011
Par Nicolas Stoskopf
C’était la toute première fois : le 6 août 1839, à 4 heures du matin, pour éviter la foule des curieux, le train part de Mulhouse. La « Napoléon », première locomotive construite par André Koechlin, commence alors ses essais : elle fonce jusqu’à Lutterbach à 48 km/h de moyenne. L’Industriel alsacien s’enthousiasme : « C’est en voyant courir de pareilles machines qu’on peut s’écrier que la faculté de créer rend l’homme émule des Dieux. »
Projet futuriste de train à grande vitesse présenté par Jean-Jacques Heilmann à la SIM le 28 janvier 1891 (Bulletin de la Société industrielle de Mulhouse, vol. LXI, 1891)
Le 11 décembre 2011, le TGV Rhin-Rhône arrive à Mulhouse. On s’attend à un grand concours de foule et à des discours tout aussi enthousiastes, même si les exploits techniques ont quitté depuis longtemps à nos yeux le domaine des dieux… Ces deux dates encadrent une histoire qui ne se réduit pas au déroulement de faits accumulés dans le désordre du temps qui passe. Elle a un sens, que révèlent les événements les plus récents. Lorsque
Nicolas Koechlin construit la ligne Mulhouse-Thann entre 1836 et 1839, il n’imagine pas qu’elle verra circuler le premier tram-train français en 2010 ; s’il construit de 1838 à 1841 la première grande ligne de l’Hexagone de Strasbourg à Bâle (140 km), il ne peut prévoir que son tracé rectiligne permettra les premiers essais du TGV 001 en 1969, rendra possible une autre première nationale, le TER 200 entre Strasbourg et Mulhouse en 1991,
12 Pour l’exposition, une séquence animée en 3D de la locomotive l’Espérance, construite à Mulhouse en 1842, a été reconstituée par Jean-Christophe Dreyer (Université de Haute-Alsace / Ionyx) à partir d’un dessin.
et sera de ce fait adapté à la circulation des TGV. Et c’est toujours le même Nicolas Koechlin, dès 1833 cette fois, qui appelle de ses vœux une ligne Dijon-Mulhouse : « Cette voie offrirait le double avantage d’établir les communications accélérées de l’Allemagne et de la Suisse tant avec la Manche qu’avec la Méditerranée et serait, par cette considération, préférable à tout autre projet qui pourrait être proposé et surtout à un chemin plus direct de Paris sur Strasbourg… ». Dijon-Mulhouse contre Paris-Strasbourg, un match des années 1830-1840, rejoué dans les années 19801990 sous couvert de TGV Rhin-Rhône contre TGV Est ! En matière ferroviaire, Mulhouse invente le futur depuis les origines du chemin de fer. Les constructeurs de locomotives – trois dès les années 1839-1841 –
prennent le relais de Nicolas Koechlin, l’entrepreneur des infrastructures. Mais seul son cousin André Koechlin réussit à s’imposer durablement sur ce marché : en créant la SACM en 1872 avant de se retirer, il assure l’avenir puisqu’Alstom est la fille de la SACM. Le futur, c’est encore un Mulhousien, Jean-Jacques Heilmann, qui l’annonce devant la SIM le 28 janvier 1891 : « On sait quelle importance a pris à l’heure actuelle la question des trains à grande vitesse », déclare-t-il, avant de présenter un projet de « chemin de fer électrique », capable de dépasser les 200 km/h, dont le museau effilé évoque irrésistiblement le futur TGV. Ainsi le train, du départ de 1839 à l’arrivée de 2011, déroule une sorte de fil continu entre le passé et le présent. Il s’y exerce une certaine tension, celle qu’introduit
nécessairement la passion animant tous les acteurs impliqués dans l’aventure ferroviaire, celle aussi que génère l’attente de voir les projets aboutir : ne parle-t-on pas du TGV Rhin-Rhône depuis 1985 ? Mais d’un bout à l’autre, de Nicolas Koechlin à Jean-Marie Bockel, s’affirme une même ambition de centralité pour Mulhouse. En prenant la gare à témoin, comme point de départ et d’arrivée de tout ce qui concerne le train, l’exposition « Mulhouse, gare centrale », proposée par le Pôle documentaire de la Fonderie, a l’ambition de raconter un peu plus qu’une histoire, une authentique passion vécue entre Mulhouse et le train, nourrissant une culture vivante qui imprègne encore les acteurs d’aujourd’hui.
Le Pôle documentaire de la Fonderie regroupe la Ville de Mulhouse, Mulhouse Alsace Agglomération (M2A), la Société industrielle de Mulhouse (SIM) et l’Université de HauteAlsace (UHA) dans le but de valoriser un patrimoine documentaire exceptionnel sur l’histoire industrielle et la culture scientifique et technique conservé aux Archives, à la Bibliothèque municipale et à la Bibliothèque de l’Université et de la Société industrielle de Mulhouse (BUSIM).
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Dans le dernier wagon du train, une grosse femme et un jeune homme demeuraient face à face, sans parler, et se regardant par moments. Guy de Maupassant, Idylle, 1884
La cabine de curiosité
les trésors des archives mulhousiennes Par Florence Fleck, Bernadette Litschgi et Eliane Michelon
A l’occasion de l’interconnexion des deux réseaux ferroviaires à grande vitesse, le Pôle documentaire de la Fonderie a choisi de consacrer une exposition au développement du train en Alsace, en éclairant particulièrement le rôle de Mulhouse dans cette aventure. De nombreux échanges ont eu lieu entre archivistes, bibliothécaires, conservateurs de Musées, chercheurs et collectionneurs pour finalement donner naissance à un projet commun comportant plusieurs déclinaisons. Une douzaine de panneaux retraçant les principales étapes de l’histoire du rail seront implantés dans quatre lieux de passage : la Gare, la Fonderie, la Bibliothèque Grand’rue, la Société industrielle de Mulhouse. Par ailleurs, ces deux derniers sites proposeront chacun une exposition de documents originaux d’une grande richesse : lithographies, plans, maquettes, archives, livres jusqu’à présent très rarement montrés au public. La Bibliothèque abordera le thème du voyage et du tourisme à travers des documents reflétant une vision nouvelle du paysage et une métamorphose profonde du mode de vie. Des guides illustrés, des récits pittoresques et affiches permettront de faire revivre la vogue extraordinaire du tourisme liée à l’arrivée du chemin de fer. Sous le titre Architecture et techniques, l’exposition de la Société industrielle de Mulhouse (SIM) montrera les différents visages de la gare de Mulhouse qui s’est façonnée au fil de l’histoire et de l’évolution des infrastructures. Certaines innovations techniques majeures seront évoquées à travers des maquettes et documents d’archives. Enfin, un volet inédit sera consacré aux ambulants, ces trains
postaux qui ont joué un rôle important dans l’histoire du transport. Une exposition génère de nombreuses recherches et des trouvailles parfois étonnantes. Parmi l’importante masse documentaire de la BUSIM, des Archives et de la Bibliothèque, quelques « coups de cœur » ont émergé. 1 ~ Eliane Michelon Les Archives de Mulhouse conservent un fonds d’archives déposé par le Musée Français du Chemin de Fer. Ce fonds est une mine d’informations sur l’histoire du chemin de fer français. Notre attention s’est portée sur une petite boite en carton renfermant une collection de billets de trains régionaux, datant de 1942 à 1944, pendant l’occupation allemande. Les billets cartonnés sont de différentes couleurs selon les destinations : Colmar, Mulhouse, Thann et Kruth, Cernay (Sennheim), Strasbourg, le Bade-Würtemberg… Les billets présentés sont à destination de Mulhouse (Mülhausen). En haut du billet, se trouve la date d’émission et en bas, la marque du poinçon. Si modeste cette collection soit-elle, elle nous a interpellés car elle touche à la vie quotidienne des Alsaciens à cette époque. On se prend à observer ces billets, avec des noms de gares qui ne sont parfois plus desservies, à se demander qui étaient ces voyageurs, où allaient-ils, dans quel but et enfin, qui a rassemblé cette collection de billets… autant de questions sans réponses, mais qui font voyager dans le temps.
1 ~ Collection de billets de trains régionaux datant de 1942 à 1944 (Archives municipales de Mulhouse)
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2 ~ Florence Fleck Les collections de la BUSIM sont riches en documents sur l’histoire des chemins de fer. Un fonds spécifique est dédié à cette thématique, mais on peut également trouver de nombreux documents sur le sujet au gré des recherches dans les fonds Alsatiques, Brochures ou Grands Formats. Lors de la préparation de l’exposition Mulhouse Gare centrale, un document a rapidement capté notre attention : il s’agit de six volumes de planches, donnés par l’ingénieur des Ponts et Chaussées PierreDominique Bazaine à la bibliothèque de la Société Industrielle de Mulhouse en 1889. Ces volumes retracent le travail effectué par Bazaine pour la construction des lignes Mulhouse-Thann puis Strasbourg-Bâle. Burettes d’huile, marteaux, clôtures, wagons, ponts tournants, viaducs, stations, locaux techniques, latrines, grues, ateliers, plans et tracés de la ligne... Tout, jusqu’au détail des pignons de la maison du portier a été soigneusement pensé, dessiné. Ces planches, certes techniques mais aussi esthétiques, permettent de faire revivre dans son intégralité la ligne StrasbourgBâle de 1841.
2 ~ Guérite de garde-voie, placée tous les kilomètres entre Mulhouse et Thann (Album de plans du chemin de fer, don de M. Bazaine, vol. 5, BUSIM)
3 ~ Bernadette Litschgi Le cabinet des estampes s’est avéré une source importante sur le sujet ferroviaire. J ’y ai notamment découver t une lithographie de Daumier qui s’intitule Un premier voyage en chemin de fer. On y voit quatre personnages voyageant dans un compartiment. Alors que les passagers assis près de la fenêtre sont assoupis et indifférents au paysage, les deux autres semblent transis de peur. Leurs yeux sont exorbités, leurs membres crispés comme s’ils traversaient une épreuve. Cette caricature parue en 1848 dans le journal satirique Le Charivari rappelle que si le train a soulevé l’enthousiasme, il a aussi suscité peurs et inquiétudes, tout progrès s’accompagnant de risques et de craintes. Témoin de son époque, Daumier a tourné en dérision le développement des transports collectifs et l’accélération incessante du rythme de la vie. Il a illustré ce thème avec beaucoup de talent et de mordant à travers les séries Omnibus (1839), Les Chemins de fer (1843) et Le Train de plaisir. Daumier a su transcrire certains aspects de la comédie humaine qui restent toujours d’actualité !
3 ~ Lithographie d’Honoré Daumier parue en 1848 dans le journal satirique Le Charivari (Cabinet des estampes de la Bibliothèque municipale de Mulhouse)
Mulhouse, Gare Centrale conçue par le Pôle documentaire de la Fonderie a lieu du 22 novembre au 14 janvier 2012 Voyage et tourisme Bibliothèque, 19 Grand’rue, à Mulhouse tél. 03 69 77 67 17 Architecture et techniques SIM , 10 rue de la Bourse, à Mulhouse, tél. 03 89 66 93 39
Station to Station
Par Didier Girard
Sommes-nous tout à fait nous-mêmes ou tout à fait autres lorsque nous nous installons dans un train ou lorsque nous entrons en gare ? Pourquoi aime-t-on haïr ces autres passagers qui pourraient venir s’asseoir à côté ou en face de nous, pourquoi nous prenons-nous à rêver à ce qui pourrait arriver si un être singulier venait croiser et transformer la course de notre vie ? Ces lieux, espaces relativement réduits et stables, et pourtant traversés par la vitesse et les trajectoires du mouvement qui les portent, les transportent, les transposent, ont-ils un pouvoir singulier sur les comportements, les imaginaires individuels autant que sur les collectifs ?
C’est le but de cette conférence faisant hommage à tous les working class heroes et néanmoins princiers incarnés par David Bowie que d’explorer toutes les manières de penser la gare et le train à l’occasion de l’arrivée du TGV à Mulhouse, Gare Centrale. Si le véhicule est de plus en plus rapide, le questionnement amène à une décélération sensible du regard et de notre réflexion. Des dizaines de personnalités venant des quatre coins du monde (une bonne douzaine de nationalités différentes de quatre continents) vous parleront philosophie, géographie, littérature, histoire, musique, cinéma et trépidations. La station, comme le train, invitent davantage à de curieux voyages immobiles ou à l’envers, plutôt qu’à ceux qui nous promettent d’arriver au bout, à destination, au bout de nos désirs, au bout de la nuit. Ce sont des interzones urbaines : lieux clos sans l’être vraiment, lieux sans frontières ou aux frontières instables, où la loi et la société interrompent leurs propres règles, où s’établit tout un jeu d’indifférenciations totalement artificiel, parfois obscène par l’intimisme exacerbé qui s’y recrée. La gare c’est d’abord, dans la ville, une enclave ; et le wagon, dans nos vies, un fantasme d’annihilation des autres. Ce colloque sera nomade : mis à part les interventions qui se feront sous les élégants lambris de la Société Industrielle de Mulhouse (au 10, rue de la Bourse le 1er décembre de 9h à 18h et le vendredi 2 de 16h à 19h) les nombreux ateliers du vendredi se dérouleront à bord d’un train qui partira de la gare à 9h en direction de Dijon pour en revenir à 16h. Et il nous faudra emprunter des gares et des arrêts, sans itinéraire précis, juste une destination incertaine à la recherche de nous-mêmes, ou plutôt de l’Autre en nous-mêmes, qui est tout sauf l’amalgame des autres.
Station to Station Colloque nomade international 1er & 2 décembre 2011 Pour connaître le programme complet consultez http://station2stationcolloquenomade.blogspot.com et réservez votre billet à l’adresse indiquée. Une manifestation rêvée par Didier Girard et organisée par l’Université de Haute Alsace, les centres de recherche ILLE (langues et littératures européennes) et CRESAT (économies, sciences, arts et techniques) et le Doctorat Conjoint Erasmus Mundus “Interzones”, coordonné par l’Université de Bergame, en Italie. www.mundusphd-interzones.eu
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Mystery Trains Par Christophe Lebold
dramaturgie de la vélocité et iconicité du transit pour quelques trains du rock and roll d’Elvis Presley aux Beatles Autour des notions de cheminement sous forme d’une éternelle succession d’arrêts et de départs, de vélocité et de périodicité – à la fois institutionnelle (horaires) et technique (pulsation machinale) – nous proposons l’examen de quelques trains célèbres de la musique populaire depuis le « Midnight Special » de la folksong traditionnelle, train de délivrance métaphorique, jusqu’au « Mystery-Train » d’Elvis Presley (1955), obscur train de
malheur qui fait pénétrer dans l’ivresse du flux du rythm and blues, en passant par les trains de cheminots, purs instruments d’une praxis de la liberté chez le Bob Dylan première manière (1963-1964), remplacés après sa conversion chrétienne par le « Slow Train » de la révélation évangélique qui impose de monter à bord ou de rester esclave de Satan (1979). A chaque fois, ces trains à la fois physiques et métaphysiques (comme l’est aussi
l’Orient-Express ésotérique de David Bowie dans « Station to Station » (1976)) sont livrés à notre appréciation par un jeu avec l’iconicité sonore du train : tempo et rythme font de nous des passagers de chansons qui sont autant de voyages initiatiques, entre les frayeurs de la machine infernale et le sentiment de libération ontologique qu’apportent la vélocité et le transit. A ces trains solennels et hiératiques répondent quelques trains britanniques plus festifs : le train fantôme qui ramène vers l’enfance auquel les Kinks font chanter leur grande complainte nostalgique d’une Angleterre Victorienne à jamais perdue (« Last of Steam-Powered Trains », 1967) et enfin les trains qu’empruntent et carnavalisent les Beatles (le New York/ Washington en janvier 1964, puis un Liverpool/Londres fictionnel dans Hard Day’s Night), les transformant en Nefs des Fous mécaniques avant de ne chanter le train de la libération des Mœurs dans « Ticket to Ride » (1965). Proposition de contribution au colloque « Station to Station », Mulhouse, 1er & 2 décembre 2011
Elvis Presley et le Colonel Parker montant dans le train à Nashville le 21 mars 1960
J’étais si bien dans les trains, bercé dans de la somnolence et du tintamarre Blaise Cendrars
En train de la condition de passager Par David Cascaro • Photo : Bernard Plossu
Lorsqu’on est en train, en train de voyager, il est à la fois troublant et grisant de se trouver « entre », c’est-à-dire nulle part. On reconnaît bien telle montagne, tel clocher, telle rivière ou bien le panneau encore lisible de cette gare. Mais à peine le voit-on qu’on n’y est déjà plus ! Et ce sentiment d’instabilité est d’autant plus fort que le corps du passager reste immobile, à peine agité par les courbes ou les reliefs du chemin de fer. Le train abolit les frottements et dissout les accrocs du terrain, offrant une curieuse sensation de glissement jamais vraiment ressentie en voiture à cheval ou en automobile. On se laisse porter comme sur un tapis volant. Et cette passivité déstabilise celui qui d’habitude utilise ses jambes pour marcher ou pédaler, ses pieds pour freiner ou accélérer, ou encore ses mains pour tourner. On peut résister et se crisper dans l’attente de l’arrivée. On peut aussi bien se laisser aller à ce transport. Dès lors, on se rend disponible pour l’intérieur autant que pour l’extérieur. A l’intérieur de soi et tout autour de soi. Attentif à ce qui se passe à l’intérieur de la voiture et à ce qui se déroule en dehors du train.
Accepter d’être transporté, c’est comme se donner à un hypnotiseur ou rechercher des émotions nouvelles. Se laisser emporter, c’est donner la possibilité de s’offrir à la machine, à ses pulsations et à ses vibrations, c’est aussi saisir l’occasion qu’elle nous offre de regarder le monde. Et de même qu’il est curieux de sentir le déplacement du train tout en restant installé, immobile, assis de tout son corps, de même il est distrayant de regarder le monde tout en étant coupé de celui-ci, encapsulés dans des compartiments ou dans des voitures climatisées. Assis, passif, réceptif : le passager a tout du spectateur de théâtre, ou mieux, du cinéma. Il s’installe dans un wagon comme on se plonge dans un film, avec ou sans voisin. Et l’image en mouvement vient stimuler la rétine. Aux dimensions de la vitre du train, l’écran est toujours allumé et s’agite de plans successifs dont la plupart sont construits par vous-même, au gré de l’agilité de votre regard. Et si vous vous trouvez dans une voiture sans cloisons, le festival est grandiose, composé de dizaines d’écrans sur deux rangées opposées. La lumière traversante et ses variations dépendant du temps qu’il fait et de l’heure du jour - tout comme la lumière électrique du wagon lui-même, organisent des reflets, des contre-reflets et des superpositions d’images où le dedans et le dehors se télescopent, se calquent ou se filtrent.
Par ces jeux de contrastes lumineux, la pure contemplation du paysage est difficile. Et « l’intérieur » revient toujours au galop par l’entremise de la bande son de la voiture (une annonce vocale, un voisin sonore, etc.), des allées et venues des autres voyageurs ou de sa propre conscience (une soudaine association d’idées, un souvenir bruyant, etc.). Grisé par la vitesse ou relaxé par le ronron des rails, on se prend à la détente, en réelle suspension, et parfois l’on s’assoupit. Le train se fait alors machine à rêver, offrant un deuxième voyage pour le prix d’un seul. Mais il est tout autant machine à penser favorisant l’introspection et le voyage intérieur. Que ce soit par le biais de la rêverie favorisée par un paysage lisse, ou encore au moyen d’une lecture active. La banquette a aussi parfois des airs de divan quand le voyageur se déchausse et retire ses lunettes, ferme les yeux, s’exprimant à voix basse. A bien des égards, le passager partage la condition du spectateur, du lecteur, du penseur et du rêveur. Il se construit dans ces trajets qui sont autant de passages, de retraits et de sorties d’où l’on revient changé. Et comme à la sortie d’une séance de cinéma ou à la fin d’une intensive lecture, la première bouffée d’air au sortir de la gare vous ramène brutalement au réel.
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Dorian Rollin, entre Mulhouse et Strasbourg, 2011
D’un train à l’autre Interview de Jean-Marie Bockel par Philippe Schweyer Photos : Jean-Jacques Delattre
Quels sont vos premiers souvenirs liés au train ?
Avez-vous aussi pris le train en Afrique ?
J’ai pris pour la première fois le train à cinq ans entre Cannes et Saint-Raphaël avec mon père. J’ai ensuite régulièrement pris le train pour Sewen pour faire des randonnées le dimanche ou le jeudi, ou pour Wildenstein pour faire du camping durant les vacances scolaires. La première fois que je l’ai pris pour un long trajet, c’était pour aller en vacances à SaintRaphaël avec la ligne Mulhouse -Vintimille. Le train de nuit en couchette 2ème classe, je connais ! Je l’ai également pris pour aller en Autriche à 17 ans, c’était les trains d’Europe centrale. Je le prenais pour aller à Strasbourg quand j’étais étudiant en 1968 entre Thann et Strasbourg, en passant par Mulhouse. La première fois que j’ai pris le train de Paris, j’avais 16 ans. A 17 ans, je suis allé en Auvergne en train pour faire un camp scout.
Oui, là aussi avec mon vieux complice Jean-Pierre Baeumler ! C’était en 1976, en été. Pour les vacances, nous sommes allés de Ouagadoudou en Haute Volta (L’actuel Burkina-Faso) jusqu’à Korogo en Côte d’Ivoire. Le trajet durait plusieurs jours !
Et plus tard ? En 1973, j’ai pris, avec mon ami Jean-Pierre Baeumler, le train le plus haut du monde qui va du plateau andin vers Lima et qui monte à une altitude supérieure à celle du Mont-Blanc. C’était en vacances, sac au dos. J’avais 23 ans. On a passé le sommet qui est à près de 4900 mètres dans le wagon restaurant. J’ai aussi pris pas mal de trains en Suisse. La première fois que je suis allé à Venise avec ma femme, j’étais tout jeune marié, on y est allé via Milan. Je suis aussi allé en pèlerinage militaire à Rome en train quand j’avais 25 ans et que je faisais mon service militaire. Quand j’étais jeune secrétaire d’Etat, j’ai pris des trains japonais très impressionnants de Tokyo à Osaka.
Lorsque vous avez démarré votre vie politique, existait-il déjà un projet de TGV Est ? Non, c’est venu juste après. Le TGV Est, les premières réunions avec Théo Braun, c’était les années 1983-1984. J’y ai cru tout de suite. Et le TGV Rhin-Rhône, les premières réunions avec Jean-Pierre Chevènement, c’était en 1985-1986. Je me suis très vite impliqué en tant que parlementaire, puis secrétaire d’Etat. Ce furent des batailles au long cours. J’ai présidé pendant dix ans l’association pour le TGV Rhin-Rhône, mais contrairement à certains Sud Alsaciens, je n’ai jamais été anti TGV Est. J’ai été un des premiers à défendre cette complémentarité qu’Adrien Zeller a fait vivre en inventant, en 1998, le financement croisé des deux TGV par les grandes collectivités alsaciennes. Selon l’endroit où on était, on payait plus pour l’un ou plus pour l’autre. Jusqu’à ce que Adrien Zeller prenne le relais quand il est devenu président de Région, j’ai toujours été, en Alsace, l’homme de la complémentarité entre les deux TGV. Et même lorsque j’étais à la pointe du lobby du TGV Rhin-Rhône, je n’ai jamais voulu être dans la guerre entre TGV. Je pense que les faits m’ont donné raison.
Par rapport à Mulhouse, avez-vous des rêves de trains pour dans vingt ans ? Qu’imaginez-vous? Alors que c’était le désert à Mulhouse en terme de TGV, notre ville est désormais un véritable carrefour ferroviaire pour la grande vitesse. Ce qui m’intéresse maintenant que nous avons les deux TGV, c’est de compléter le maillage avec le TER, le Tram-Train et le tramway. Mon combat du moment, c’est la desserte ferroviaire de l’aéroport. Nous avons un aéroport formidable, un des plus dynamiques de France avec 70 dessertes tous les jours. Aujourd’hui, au-delà de 800 km en Europe, l’avion reste intéressant. Tous les aéroports dynamiques d’Europe sont desservis par le train alors que l’EuroAirport n’est desservi que par la gare SNCF de SaintLouis via une navette en bus ! Pour qu’il y ait une vraie desserte, il faut qu’il y ait une gare à l’aéroport. C’est un des sujets sur lesquels on se retrouve avec Strasbourg. Quand on pourra venir à l’EuroAirport en faisant 50 minutes de train depuis la gare de Strasbourg, l’aéroport sera celui de Mulhouse, mais aussi celui de Strasbourg et de toute l’Alsace. Nos deux aéroports sont complémentaires, il ne faut pas les opposer. C’est une richesse pour une région de pouvoir bénéficier de deux aéroports internationaux. C’est mon combat ferroviaire du moment. Un combat qui conforte l’existence des deux TGV. Et vous pensez que c’est réalisable en combien de temps ? Dans la décennie. C’est en train de se préciser. C’est un projet à 170 millions d’euros qui est soutenu par l’Etat, les
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collectivités locales alsaciennes mais aussi nos partenaires suisses et badois. J’ai maintenant l’habitude des longs combats. Il ne faut jamais se décourager. On peut dire que ça aurait été mieux, que ça aurait pu aller plus vite, mais à la fin, c’est le résultat qui compte. Le début du combat pour le TGV Rhin-Rhône a commencé à la fin de l’année 1985 et il va se réaliser fin 2011, ça fait vingt-six ans de combat ! Y a-t-il eu un déclic à un moment donné pour le lancement du TGV Rhin-Rhône ? Il y a d’abord eu la prise de conscience qu’il n’y avait pas que la logique d’être convoyé vers Paris, mais qu’il y avait aussi une logique Nord-Sud. La prise de conscience de l’existence de cette banane bleue de développement entre le Nord et le Sud de l’Europe. Au moment du lancement de l’idée dans les années 1985-1986, on était des pionniers et on avait tout le monde contre nous. On nous disait que ce n’était pas la peine, qu’il ne pouvait y avoir deux TGV. Ensuite, le moment le plus important concernant la faisabilité du projet a eu lieu en 1998, grâce à JeanPierre Chevènement, qui étant Ministre de l’Intérieur du Gouvernement Jospin, a joué un rôle déterminant. C’est à partir de ce moment que nous avons été entendus. L’autre moment important a été en 2003 sous le Gouvernement Raffarin avec la prise de décisions préparatoires aux travaux. Rétrospectivement, cela paraît étonnant qu’il y ait eu autant d’opposition au projet de TGV Rhin-Rhône. Et pourtant, c’est bien le cas. Avant que
nous prenions ce dossier en main, il y avait une certaine léthargie dans la région sur cette question. L’Alsace vivait bien, elle était riche, développée… Nous avons vraiment dû mener des combats pour être écoutés, pour être pris au sérieux. J’ai présidé l’association pour le TGV de 1997 à 2007, jusqu’au moment où je suis entré au Gouvernement. Pendant dix ans j’ai présidé le lobby pour le TGV RhinRhône, c’est vous dire à quel point je me suis impliqué. C’est 26 ans de combat ! Il y a aussi eu un combat plus discret pour la ligne Mulhouse-Mülheim-Fribourg qui sera inaugurée en 2012. Il y en a toujours sous le pied, mais on a derrière nous les combats principaux. Si le TGV RhinRhône est un succès comme le TGV Est, ça accélèrera la deuxième phase qui sera mise en chantier entre le Territoire de Belfort et Lutterbach. Et pour vous, ça va changer quelque chose ? Irez-vous plus facilement à Dijon ou à Besançon ? Le TGV rapproche les territoires, mais on a peut-être un peu rêvé en imaginant qu’à partir du moment où on est à une heure de Dijon, ça change tout. Non, ça ne change pas tout. Dijon reste en Bourgogne. Ça change quand même… Ça va changer ! Même sur le plan culturel. L’idée du réseau métropolitain RhinRhône, c’est de dire qu’à partir du moment où nous sommes à une heure les uns des autres, on peut faire davantage de choses sur le plan culturel, touristique et bien sûr aussi au niveau des relations économiques. Nous entrons de plus en plus dans un
monde plurimodal en termes de transport. C’est ce qui est intéressant. La voiture existe toujours. Vous êtes venu en auto ? Non, à vélo. Moi aussi, je fais du vélo. Quand on prend l’auto aujourd’hui, on la prend mieux parce qu’on la prend quand on décide de la prendre. Mais on sait que ce n’est pas la seule possibilité. On prend de plus en plus le tramway, le tram-train, voire le bus qui était jusqu’à il n’y a pas si longtemps le mode de transport des gens qui n’avaient pas le choix. Aujourd’hui, il y a un peu une mode du transport en commun grâce au tramway. Une fois que l’on a pris le tram on se dit que l’on peut continuer avec le bus. Le vélo est en train de s’installer à Mulhouse. Il y a encore des efforts à faire au niveau des pistes cyclables… Il y a encore des efforts de cohérence, de liaisons, mais ça progresse. J’ai un vélo de fonction que je prends souvent. On chemine mieux à pied qu’autrefois, on n’est plus dans une ville qui n’est faite que pour l’auto. Regardez la Porte Jeune, la voiture n’est pas le moyen le plus simple pour s’y rendre, même si le parking souterrain est vaste et accessible. Le TER aussi est de plus en plus emprunté… Il y a encore des efforts à faire. Le soir, on ne peut pas rentrer de Strasbourg après 22h51… On peut certainement encore progresser, ce sont des questions de dessertes ferroviaires. Il y en a pour vingt ans, il faut aussi que les habitudes évoluent. Nous devons
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toujours un peu devancer les habitudes des gens. Si on est trop devant, les trains sont vides. Il faut être juste assez devant pour tirer les gens, les faire évoluer, changer les habitudes. C’est ça l’enjeu de l’avenir, ce n’est pas forcément trois nouveaux TGV. Et les lignes de tramway seront prolongées ? Oui, au fur et à mesure. C’est une question de moyens ? Il y a l’investissement et le fonctionnement. Le transport coûte cher. Ce n’est pas rentable, c’est un service public. Je ne suis pas soupçonnable de ne pas avoir été un pionnier en matière de transport. Quand on me dit que nous avons renoncé, je réponds que j’essaye d’être un gestionnaire des deniers publics sérieux. Mais ça se fera, bien sûr. Pour conclure, est-ce qu’il y a un train que vous rêvez de prendre ? Je rêve de prendre l’Orient-Express et aussi certains trains en Asie, en Inde ou en Afrique du Sud, qui sont des trains mythiques. Je ne l’ai jamais fait, c’est juste un rêve (rires). Je rêve aussi d’aller, peutêtre un jour, en train à Lhassa, puisque maintenant c’est possible. Depuis Mulhouse ? Non, depuis Pekin !
Éloge du Sandwich triangle
Par Hervé Lévy
Le buffet de la gare de Mulhouse en 1932 (Studio Roger, fonds Gerrer)
« Je suis assez pour l’ennui. Comme cette secte d’hérétiques dont parle Borges, je crois, et dont la qualité essentielle est dans l’ennui. Pas dans la foi, l’enthousiasme. Dans l’ennui, le nul. Je suis assez d’accord avec ça ». Aujourd’hui, ces phrases prononcées par Jean-Pierre Léaud dans La Maman et la putain (1973) semblent venir d’un autre monde. À l’heure où tout va de plus en plus vite, la réappropriation d’un ennui et d’un vide disparus dans le frétillement incessant de notre quotidien, apparaît fondamentale. Retour au film de Jean Eustache. Alexandre (Jean-Pierre Léaud) est face à Veronika (Françoise Lebrun) : la scène se passe au Train bleu, restaurant de la Gare de Lyon construit à l’aube du XX ème siècle. Une autre ère. Celle du PLM. Pas du TGV. Ceux qui grognent, qui regrettent et qui râlent,
les tenants du “C’était mieux avant” ne pourront s’empêcher de donner une leçon de gastronomie ferroviaire… Évidemment, on mangeait mieux, il y a cent ans, dans les trains et les gares : les boîtes de Kro’ ont remplacé les bouteilles de Bollinger, les gobelets en plastoc ont balayé les verres de cristal, la porcelaine fine des assiettes s’est métamorphosée en papier et le Sandwich triangle (avec un grand “S”) a détrôné le foie gras. Vision simplifiée. Caricaturale, même si elle n’est pas fausse et pourrait se voir transposée à la société toute entière… Que reste-t-il des ors des wagons restaurants de l’Orient-Express dans les trains français ? Pas grand-chose, il faut l’avouer… Même la terminologie a changé : “voiture bar”. Pour le glamour sémantique, on repassera. Pour le décor aussi. Dans un espace aux formes arrondies et rassurantes sont disposés des tabourets et des tables aux lignes bizarroïdes produits par des ergonomes distingués qui s’y sont mis à plusieurs, pendant des semaines, pour imaginer ces courbes sinusoïdales. Des fenêtres bandeaux – un hommage au Corbusier, sans nul doute – permettent d’apercevoir le paysage qui défile à toute vitesse. Un cauchemar postmoderne à première vue, mais également le lieu d’expériences sensorielles surprenantes. Quitter sa place dès le départ. Laisser derrière soi les hommes d’affaires – chemises à manches courtes, couleur moutarde, et cravates Donald – parler chiffres de vente, abandonner sans regrets le vaudeville permanent des parents somnolents essayant de canaliser mollement l’énergie de sauvageons agités et les babillements incessants des provinciaux “montant” à Paris. S’installer, le plus confortablement possible dans la voiture bar, le regard vissé vers l’extérieur après avoir commandé un Sandwich
triangle. Jambon. Jambon fromage à la rigueur. L’exotisme n’est pas de mise dans ce type de décision. Le toucher du pain. Inimitable. Une sensation de “dureté molle” (et réciproquement). Idéal pour faire de petites boulettes. Une forme parfaite de triangle isocèle. Le beurre ne dépasse pas : a-t-il été appliqué par une machine ou par un être humain ? Plat. Sans aspérités notables, mais avec un goût reconnaissable entre mille : le jambon se déploie en efflorescences rosâtres. Les mandibules entrent en action croquant avec avidité et bonheur ce paradigme de la junk food contemporaine. Un plaisir vulgaire ? Kitsch ? Peut-être, mais le contact de la mie est délicieux… Le regard se perd. Erre en direction de masses vertes indistinctes. Des bosquets ? Les derniers contreforts des Vosges se confondant avec l’amorce du plateau lorrain ? Des silhouettes apparaissent au loin, paysans aux contours flous, spectres blafards des suicidés, automobiles qui iront toujours moins vite que nous. Le bruit est uniforme et souple. Exit le “TatacTatoum” du train Corail… Le TGV file, presque silencieux, au cœur de campagnes glacées. Dans mon esprit, flottent les notes d’Arthur Honegger. Pacific 231 : une cascade de doubles croches m’emporte dans un état second, à l’Opéra de Paris, le 8 mai 1924, lorsque la baguette fiévreuse de Serge Koussevitzky donne la première audition de la partition. Pas de Sandwich triangle à l’époque… Sortie de tunnel… et de rêverie. Une jeune fille aux immenses yeux bleus me regarde, interloquée. Séduite ? Le temps a passé. Paris est là. Je devais travailler. Téléphoner. Écrire. Envoyer des mails. Rien. Deux heures et quelques de néant absolu. Et la capacité à l’ennui enfin reconquise.
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La vie déraille
Par Gilles Weinzaepflen
Jeanne Ullrich et sa soeur Marinette en costume traditionnel pour l’inauguration de l’électrification de la ligne des chemins de fer d’Alsace à Mulhouse-gare en 1957. (Coll. Ullrich)
Depuis ma chaise au collège Louis Pasteur à Strasbourg, j’aperçois un étrange objet orange qui circule sur la voie ferrée en contrebas, franchissant l’Ill un peu plus loin. Un truc bizarre qui ne ressemble pas tout à fait à un train, mais qui en a les attributs. Nous sommes en 1979 et ce que je vois, ce sont les essais d’un modèle qui sera baptisé TGV, ou TCF en Alsace traditionnelle (Train à Crante Fitesse). Quelques années plus tard, à Paris, mes amis bretons, lyonnais, rentrent dans leurs familles à très grande vitesse, tandis que moi qui ai vu leur joujou orange à la crèche, je me tape quatre heures et demie de tortillard. Paysages magnifiques certes,
beautiful sceneries, mais quand même: le Corail, pierre orangée elle aussi, avance comme une tortue. On a le temps de respirer à plein nez les effluves de pelures d’orange, de sandwich au pâté du voisin, de partager l’intégralité de l’œuvre de Jeanne Mas grâce aux décibels qui s’éparpillent dans le compartiment (pas d’amélioration côté écouteurs, vingt ans après). Ou bien de faire connaissance avec une charmante voisine et pourquoi pas, de l’épouser plus tard, de lui faire de beaux enfants qui seront étudiants avant que le TGV n’arrive à Mulhouse (pour ce qui est des toilettes, pas d’amélioration constatée entre le Corail et le TCF, le voyageur n’est sans doute plus censé avoir le temps de…).
Mais pourquoi un tel retard ? L’Est, laboratoire de la très grande vitesse, a été le dernier servi. Pourquoi ? Regardons une carte de l’Europe, cliquons sur Google Maps. Paris-Lyon, première ligne mise en service, offre au mieux l’ouverture au Sud jusqu’à l’Espagne ou l’Italie. Depuis Montparnasse, ça part vers la Bretagne ou la façade atlantique et bientôt, c’est le cul de sac dans les dunes. Quant au Nord, on monte un peu et on se heurte aux sapins scandinaves, avec pas même un bûcheron pour vous panser le front. L’Est, c’est une autre histoire: aucune limite à l’Est, Strasbourg et Mulhouse ouvrent sur l’Orient, dont les bulbes couronnant leurs églises sont le premier
signe annonciateur. Alors pourquoi un tel retard ? Je ne vois à cela que deux raisons, la première étant historique, la seconde, géographique. Dans les années 80, les gens de l’Est sont encore complexés devant la France, devant Paris. Ils ont une origine peu claire, pas suffisamment gauloise, un passé trouble : il paraît que certains ont flirté avec l’innommable, malgré eux. L’Est, ce n’est plus assez la France pour bénéficier d’un tel cadeau. Les politiciens locaux repartent tête basse, quand on leur annonce que non, ce ne sera pas encore l’an prochain, ni l’année suivante. « Mais… c’est nous la porte de l’Europe! » ruminentils en solo dans le Corail qui les ramène chez eux. Pas de Robert Schumann dans leurs rangs : ces négociateurs à tête basse nous ont fait perdre un temps fou! Au fond, ce retard, c’est aussi une peur géographique : ouvrir les lignes à grande vitesse vers l’Est, c’est courir le risque de l’Orient. Et l’Orient fait peur à la France, autant qu’il fascine! Donc, plutôt le Nord (les bûcherons), le Sud (la mer), l’Ouest (les dunes). L’Est ? Tout à la fin et non pas parce que vous le valez bien, mais parce que la boussole à trois points cardinaux n’a pas encore été inventée. Pour que soit remerciée la SNCF de ce cadeau infiniment retardé, je ne souhaite qu’une chose : qu’un jour, d’ici quelques années, à la faveur d’une politique tarifaire plus claire et généreuse, bien après la disparition des immondes personnages Idzen et Idzap qui plombent nos billets, l’Orient de Gérard de Nerval nous rende visite en TGV et nous enchante, nous les élus de la dernière heure.
D’un logo à l’autre Par Laurent Stosskopf
1967
De la Poste à Pôle Emploi, la liste est longue d’exemples de la conception qu’a la France de sa modernité. Dessiné en 2005 par l’agence de communication Carré Noir, le logo de la SNCF est censé, par ses lignes fluides, l’arrondi de son cartouche et son dégradé, évoquer une entreprise en mouvement, à la pointe de la technologie. A force d’arrondis et d’effets 3D, on en arrive à ramollir les formes pour un résultat éloigné du dynamisme recherché. Tous ces effets n’auront finalement été que des arguments pour supporter un discours marketing. Récemment, le New-York Times rapportait les propos de Steve Jobs, fondateur d’Apple, la firme dont le succès n’a d’égal que la qualité de son design. A la question d’un journaliste qui lui demandait dans quelle mesure les études marketing influaient sur ses décisions concernant le design, il répondait : « d’aucune façon, mes décisions sont basées sur ma compréhension de la technologie et de la culture populaire, ce n’est pas le travail du consommateur de savoir ce dont il a besoin ». Cette déclaration n’est pas arrogante, au contraire, elle signifie que le public est prêt à aller de l’avant, est capable de comprendre, de s’approprier des propositions singulières. Le marketing
1986
quant à lui, mise sur un consensus sans saveur dont les résultats sont des concepts tièdes aux formes molles. Il y a une dimension patrimoniale dans les signes graphiques proposés dans l’espace public quand ils sont la signature d’institutions publiques. Si la SNCF avec ses gares et son réseau dessine le paysage français, alors son identité visuelle participe grandement à en dessiner le paysage graphique. Les usagers ont le droit à des signes forts aux discours honnêtes. Le nouveau logo SNCF s’inspire directement du logo du TGV dessiné en 2000 par The Brand Company dont les lignes guimauves dessinent une fois retournées… un escargot ! Voici un extrait de l’argumentaire : « Le TGV n’est plus seulement un mode de transport, mais un mode de vie. Pour illustrer cette dimension de service, The Brand Company a conçu un logo porteur de fluidité, par son tracé en un seul mouvement et son graphisme épuré. La notion de vitesse et de puissance se pare de confort et d’élégance. L’effet 3D métallisé n’est pas là uniquement pour parler de technologie, mais surtout pour traduire l’esprit d’innovation de la marque. » Le logo dessiné par Roger Tallon en 1986, était le produit d’un design visant
2005
à représenter une pensée en tenant compte des contraintes fonctionnelles, esthétiques, didactiques et symboliques d’un tel signe. Il reprenait le tracé solide et italique du logo de 1967 qui transmet l’idée de vitesse et l’améliore en doublant les lignes de façon à symboliser le rail. Le concept est simple et lisible par tous. Il était utilisable sur tous les supports et dans toutes les conditions (couleurs, noir et blanc, inversé, petit/grand), ce qui n’est pas le cas de celui réalisé en 2005, qui a nécessité un toilettage récent pour une meilleure lisibilité.
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Le canal rendu à la gare
Interview de David Mangin par David Cascaro
L’architecte David Mangin, du cabinet Seura est l’urbanisteconseil du projet de nouveau quartier gare. Comment votre connaissance de la ville dans son ensemble (vous avez travaillé sur le projet DMC) vous a-t-elle facilité la compréhension du site de la gare ? L’atout principal du site est la présence du canal Rhin-Rhône. Celui-ci traverse la ville d’Est en Ouest, parallèlement au faisceau ferré. Cette infrastructure offre un cadre de vie et de travail extrêmement valorisant pour le quartier, très complémentaire de son accessibilité. Le quartier gare va devenir également le quartier du canal. La compréhension du site de la gare s’est faite également par la compréhension de son accessibilité et de sa position par rapport au centre ville de Mulhouse. L’accessibilité du quartier, lié à sa position autour de la gare centrale de Mulhouse et à l’entrée du centre-ville, est l’atout majeur du futur quartier Gare-Canal. Le futur quartier de la gare sera accessible par d’autres moyens que la grande vitesse via le TGV. La gare grâce à son parvis récemment réaménagé, organisait déjà une intermodalité composée des trains régionaux, du tramway, des bus, des taxis et de la voiture particulière. Cette intermodalité a été complétée fin 2010 par le tram-train reliant l’agglomération mulhousienne à la commune de Thann, et se poursuivra par le possible prolongement du tramway en direction de Riedisheim. Cette accessibilité est également piétonne : le quartier se situe aux portes du centre-ville, le long du canal, à proximité du quartier universitaire de la Fonderie et les nombreux points de franchissements du faisceau ferré permettent de relier rapidement le quartier résidentiel
Dessin de David Mangin
du Rebberg. Le quartier bénéficie de cette desserte tous modes qui est à même d’attirer des entreprises et des administrations nécessitant des déplacements locaux, régionaux, nationaux et internationaux. Comment dessiner un projet qui s’étend jusqu’en 2025 ? Un projet qui s’étale sur plusieurs années nécessite de bien comprendre un site non seulement à l’échelle du quartier, de la ville, mais également du territoire. Il faut avoir une vision à la fois à court terme et à long terme pour son développement. De nombreux débats avec les collectivités locales sont nécessaires. Nous abordons tous nos projets en équipe en nous entourant de paysagistes, programmistes et bureaux d’études techniques spécialisés. Comment “rendez”-vous le canal à la gare ? Le canal est “rendu” à la gare par la composition urbaine structurante et linéaire initiée par celui-ci et celle du faisceau ferré. L’infrastructure du faisceau
ferré et celle du canal sont parallèles. Le quartier va se développer linéairement entre ces deux réseaux. A l’Est de la gare, le projet prévoit la création d’une allée piétonne au centre des nouveaux ilots. Elle se déploie depuis le Pont de Riedisheim vers des quartiers de logements en rive de canal. Dans quelques années, la dépose de la dalle qui supporte l’actuelle dépose minute surplombant le canal permettra de découvrir la voie d’eau lors de son passage devant la gare. Ce sera en quelque sorte «le point d’orgue» de la mise en valeur du canal. Quel usage avez-vous du dessin à la main et des images virtuelles de simulation ? Le croquis est pour chaque projet la transcription d’une idée, le prolongement de la pensée. Il est très présent du début à la fin d’un projet. Les maquettes d’études sont également essentielles dans notre approche du projet urbain et architectural, elles permettent d’avoir une vision globale volumétrique. Très didactiques,
elles permettent d’enrichir le débat et l’échange d’idées avec les maîtres d’ouvrage de manière très directe lors des réunions de travail. L’image virtuelle permet, elle, de préciser et de vérifier plus en détail les idées, les ambiances. Quelles sont les gares qui vous ont marqué ? La gare de Venise « la Stazione Santa Lucia » et son parvis donnant sur le Canal Grande, une impression unique. Un contexte urbain singulier. Cette expérience a en quelque sorte orienté notre approche du projet pour la gare de Mulhouse. Un autre exemple en France est celui de la gare de Toulouse qui pourrait aussi s’y apparenter.
Les bambins Fassiot et Valot, de Nangis (Seine-et-Marne), avaient gaiement mis des troncs sur les rails : un train marchand dérailla. Félix Fénéon, Nouvelles en trois lignes
tchou tchou tchou
Par Yves Tenret
Déraillement d’une locomotive G8 à Dannemarie le 16 août 1923 (Fonds Gerrer, coll. Perrot)
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Le train, c’est Le Pont de la rivière Kwaï. Vous vous souvenez tous de cette histoire : pour un ingénieur, même militaire, c’est-àdire fortement engagé dans un des camps en guerre l’un contre l’autre, la réalisation d’un pont passe avant les raisons de le construire ou de ne pas le construire. A ma grande honte, je dois révéler ici que je ne possède pas de téléphone portable. Je n’aime pas le téléphone, portable ou non. Et là ma honte redouble, tant et tant de retards, ces dernières années dans mon train hebdomadaire et mon pote qui m’attend et pas moyen de le prévenir… La consommation est un système cohérent. C’est apparu très clairement avec l’affaire dite de « Tarnac ». Il leur fut porté à charge de ne pas posséder de portable et de lire des livres… Putain, ce que j’ai aimé voyager ! Et c’est marrant, aucun de ces voyages, dans ma mémoire, n’est lié au train. (Ah ce cher bon
vieux gag de Maître Eckart : définir Dieu parce qu’il n’est pas). Trop cher, toujours trop cher, hier comme aujourd’hui et sans doute, encore pire, demain. Le train, dans mon souvenir, est celui des camps de concentration où l’on m’envoyait quand j’étais môme. Eux, ils appelaient ça, pensionnat, internat, vie au grand air, discipline, « on va vous le remettre dans le droit chemin », et moi, moi, je ne disais rien, je baissais les yeux, remâchant ma rage, faisant mes coups en douce mais pas tant que ça puisque j’ai réussi à me faire si souvent renvoyer de ces tôles, institutions à vocation charitable et à pions sadiques, balloté comme un colis d’une gare de triage à l’autre. Le train, c’est aussi une chanson que je braillais, lorsque je pratiquais l’auto-stop un soir de gel au bord d’une route déserte au Monténégro – ou était-ce dans le no man’s land entre Tamanrasset et Arlitz ? Dans l’train pour Sainte-Adèle Y avait un homme qui voulait débarquer Mais allez donc débarquer Quand l’train file cinquante milles à l’heure Et qu’en plus vous êtes conducteur ! Oh ! dans l’train pour Sainte-Adèle Y avait rien qu’un passager C’était encore le conducteur Imaginez pour voyager Si c’est pas la vraie p’tite douleur Oh ! le train du Nord ! Tchou, tchou, tchou, tchou, Le train du Nord Au bord d’un lac, des p’tites maisons Ça vire en rond... Le train du Nord C’est comme la mort Quand y a personne à bord C’était en général ça que je chantais quand j’étais seul dans la pénombre mais y’en avait aussi une autre : Ils viennent du fond des temps, allant et puis revenant Les tzi, les tzi, les Tziganes, les Tziganes Ce sont nos parents anciens, les Indo-Européens Les tzi, les tzi, les Tziganes, les Tziganes Cheval maigre et chien perdu dans la nuit bleue Quand je passe, je n’ai pas peur d’eux, laï laï laï... Ce que j’aimais dans le voyage, c’était de me sentir mal, perpétuellement anxieux, insécure. Que crèvent toutes les routines ! Et franchement, aujourd’hui, il n’y a pas de pire prise de tête que le train. C’est l’une des trois institutions que j’ai réellement vues partir en couille – les deux autres étant les cafés et les magasins d’alimentation. Misère du dressage de table et du réassort en continu.
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« D’après Wikipedia, il existe en anglais un peu plus de 700 chansons écrites sur le train. Johnny Cash est, dans dans cette liste, l’artiste le plus représenté. Et bien sûr, Robert Johnson, John Lee Hooker, les grands du blues ». Le train, c’est un sujet pour Michel Houellebecq : le transport en soi n’a plus d’importance. Les morts sur la route des vacances sont des morts sans sens. Ce qui compte, ce sont les pannes, les retards, les embouteillages, tous les disfonctionnements et la gestion des flux, le chiffre, la masse, des données abstraites. Des voyages où tout compte sauf le voyage bien sûr… Ça, c’est pour les trains qui vont vite, pour ceux qui relient entre elles les métropoles. Pour les autres trains, l’écrivain de référence serait P. K. Dick et son obsession de l’entropie, d’un univers qui se désintègre par petites touches successives, où tout tombe en déréliction, d’un monde envahi par la bistouille. Un ton apocalyptique et messianique, dans le style de l’Internationale situationniste, pourrait convenir aussi. Genre : la circulation ferroviaire moderne est l’organisation de l’isolement de tous. La participation devenue impossible est compensée sous forme de spectacle. Une voix parvenue de nulle part nous annonce que nous sommes dans un wagon où nous sommes censés parler à notre voisin ou dans un wagon où nous sommes censés couper nos portables… En fait, je crois qu’à part dans la hiérarchie sociale, plus personne ne se déplace. Là, ça bouge encore : pour certains vers le haut et pour d’autres, vers le bas. D’après Wikipedia, il existe en anglais un peu plus de sept cents chansons écrites sur le train. Johnny Cash est, dans dans cette liste, l’artiste le plus représenté. Et bien sûr, Robert Johnson, John Lee Hooker, les grands du blues. Bob Dylan ou Neil Young feront durer encore un peu cette nostalgie du hobo. En français, le dernier tube sur le sujet, La P’tite Lady, un chef d’œuvre, date de 1984… De même les romans dans lesquels le train représente un aspect important, ou leurs adaptations filmées, en gros l’univers d’Agatha Christie, font tous référence aux années 20 et 30 du siècle passé. Donc, à part dans les nanars où Angelica Jolie se prend pour James Bond, plus de train dans l’art pop. Et ce n’est pas pour rien. Qui aurait encore le
goût de réaliser, comme André Delvaux, le metteur en scène du mémorable L’homme au crâne rasé, un film s’intitulant Un soir, un train, ou comme Alain Robbe-Grillet, Trans-Europ-Express. J’aimais beaucoup les premiers films de Claude Lelouch, Une fille et des fusils, par exemple, et je croyais me souvenir d’un film de lui qui se passait entièrement dans un train mais comme je ne le retrouve pas dans sa filmographie, j’ai dû l’inventer… Je suis un vieux bab. Je n’aime pas les machines, les voitures, les autoroutes, tout ça, mais j’ai adoré les buffets de gare, le brassage, les mélanges, l’ailleurs. Partout et pendant longtemps, ils ont su garder quelque chose de désuet et de confortable. Et aussi, me revient, qu’il fut un temps où j’ai souvent dormi dans des halls de gares qui ne fermaient jamais, où l’on pouvait laisser ses bagages à la consigne, y écrire et y rêver. Eh oui ! A la gare, nous n’irons plus jouer…
Souvenirs d’un habitant de la gare Par Philippe Greth
Un jour de l’année scolaire 1967-68 en CM1, le maître d’école dessine un plan grossier de Mulhouse avec sa craie sur ce tableau noir qui était immense. Il demande à chaque garçon de la classe, (la mixité n’existait pas encore à l’école Kléber de Mulhouse), de situer leur domicile en mettant une croix rouge. Pour une fois ce sera très facile pour moi, il a symbolisé la gare par un ovale. Je m’avance et place ma croix dans celui-ci. Il l’efface immédiatement pour en placer une juste à côté de la gare et ajoute « Mais non ! Ce n’est pas possible, tu n’habites pas dans la gare ». Il ne supportait pas la contradiction. J’en avais fait les frais quelques semaines auparavant, mes cheveux violemment tirés s’en souvenaient. Je n’ai rien dit, mais j’étais perplexe. Ce jour-là, ce monsieur a réellement désacralisé le maître d’école pour devenir très ordinaire.
« L’aventure était pour moi d’enjamber le rebord des fenêtres du premier étage et de me promener sur le hall des pas perdus, cette voûte réservée aux agents SNCF et au fils du buffetier ».
Il avait tort ! En effet, mes grands-parents paternels puis mes parents étaient gérants du buffet de la gare. On les appelait « les buffetiers ». Toute la famille habitait au deuxième étage au-dessus du restaurant et du buffet. Les appartements avaient un palier commun avec celui du respectable « chef de gare ». Ma belle et grande chambre donnait sur une immense terrasse qui était mon terrain de jeux favori avec une limite matérialisée par de vieux tonneaux jaune et gris qu’il était interdit de dépasser. Je voyais les volutes de fumée des « locos à vapeur », la suie qui retombait avec le panache, les toits des quais et enfin le Rebberg. Je pouvais bien observer le hangar à charbon d’où sortait un rail en hauteur sur lequel un petit chariot roulait pour livrer le combustible. Je contemplais pendant de longues minutes, les coudes sur le radiateur, le mystérieux va-etvient du wagonnet sans savoir ce qu’il transportait. Je pouvais voir le clocher de l’église du Sacré-Cœur qui ressemblait à un kiosque de sous-marin alimentant mon imagination. Le jeudi était le jour férié de la semaine. Maman me laissait faire la grasse matinée. Je me souviens entendre les longs trains de marchandises et être bercé par le rythme lent et régulier du bruit sec des roues des wagons sur les jointures du rail. J’ai aussi le souvenir d’avoir été réveillé par des meuglements de vaches ce qui est très étonnant pour un petit citadin. Je compris, bien plus tard, que les vaches étaient transportées dans les trains à bestiaux.
L’aventure était pour moi d’enjamber le rebord des fenêtres du premier étage et de me promener sur le hall des pas perdus, cette voûte réservée aux agents SNCF et au fils du buffetier. Le danger de tomber du mauvais côté était immense, mais le spectacle était grandiose. J’embrassais mes parents avant d’aller à l’école en négligeant de regarder les ancêtres des clips vidéo que le « scopitone » diffusait. C’était l’époque des yéyés. Mulhouse était une ville de garnison. La résidence du gouverneur militaire était voisine des quais. Des centaines de bidasses déferlaient le vendredi des trois casernes. Ils se ruaient à la gare pour profiter soit de leur permission, soit de la fin de leur service militaire en hurlant de joie « zéro zéro zéro… la quille ». Les garçons de café étaient débordés mais contents de leur chiffre d’affaires. Quelques artistes se sont produits à Mulhouse et, après leur gala ont fait l’honneur du restaurant que mes parents souhaitaient gastronomique. Maman se souvient de la gentillesse infinie de Dalida mangeant un œuf sur le plat. Elle raconte souvent que Fernand Raynaud a dégusté une choucroute au milieu des autres clients qui souriaient en apercevant l’artiste. Papa s’est toujours étonné du munster et du vin rouge demandés par Joséphine Baker.
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Vue extérieure de la gare, avec la terrasse du buffet Photo : Buchheit
Toute la famille dînait dans un petit salon au premier étage qui était baptisé « la petite Angleterre » parce que mon grand-père y réunissait quelques amis pour chanter la Marseillaise pendant la guerre de 1939 à 1945. Je me souviens écouter ses histoires qui à mes oreilles de petit garçon étaient des hauts faits de résistance. J’étais fier de lui. Mon grandpère racontait qu’une bombe était tombée à l’endroit où sa fille prenait le soleil peu de temps avant. La famille a dû évacuer la gare le 3 août 1944 en raison de l’intensité des bombardements et de la destruction de l’édifice. Mon grand-père est mort en 1975. Mes parents ont cessé d’être gérants, et ont quitté le buffet de la gare le 1er mai 1976. J’avais 17 ans, la fin de l’enfance, le début d’une nouvelle vie familiale. Je me rends compte aujourd’hui de la singularité des souvenirs d’un habitant de la gare, lieu de passage et de vie extraordinaire.
Philippe Greth sur le hall des pas perdus. 1966-1967
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Rudolf Huber, lithographie Engelmann Mulhouse, coll. SIM
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2h30 avant JC Par Adrien Chiquet • Photo : Sébastien Bozon
Ambiance : il est 7h30, le jean est ajusté, les talons sont hauts et la démarche est sûre, l’allure élégante et la provocation toute en subtilité. Quelque part entre Colmar, Poitiers, Lille ou Le Mans. Tours peut-être. La portière claque, le crépuscule s’étend sur la ville. Bui Bui ~ L. Hollis & The Mackadoos
Mini Skirt ~ The Performers
Elle avait mis sa voiture comme d’habitude à l’arrière de la gare où chaque jeudi elle arrivait en même temps que Le Grantordinère. Elle avait pris l’habitude de l’appeler ainsi pour elle-même, et une fois de plus tout était en ordre : mallette VRP, costume trop grand, cravate immonde, c’est tout juste si le bien nommé la regardait passer. Ça n’était pourtant pas faute d’avoir tenté des choses incroyables pour le faire rougir celui-là. Petite victoire ce matin là, les talons claquants contre l’asphalte et l’acier de la passerelle le sortirent quelques secondes de ses rêveries. Le problème c’est qu’elle ne disposait que du trajet entre le parking et le train car ensuite, l’ordinaire s’engouffrait dans un wagon de première. Elle, toute Grande Voyageuse qu’elle était, c’était la seconde.
Pour une fois elle n’était pas en retard, elle avait de la marge et ne courrait pas pour monter dans le premier wagon venu (et du coup elle s’économiserait la remontée du train jusqu’à sa place que quelqu’un d’autre, en un mauvais pronostic, aura eu le temps d’occuper). Elle longea le train et à chaque porte elle voyait confirmé l’effet de ses talons hauts sur les fumeurs (hors-laloi) qui s’agglutinaient sur les marches en attendant le coup de sifflet fatal. Elle repéra quelques têtes connues du jeudi matin. Dont Double B. qui ne manqua pas de lui décocher son plus beau sourire dans le dos de sa femme. Celle-ci avait mis fin à une année d’un jeu du chat et de la souris ferroviaire en étant mutée elle aussi à Paris. Madame accompagnait désormais le bellâtre et il n’était guère possible d’espérer une conclusion heureuse dans ces conditions. Le garçon avait l’air «intéressé», mais pas téméraire pour un rond. Tant pis, elle les connaissait par cœur.
Elle continua jusqu’à la dernière voiture de seconde, ce qui lui valut trois autres œillades à travers les vitres, et un « bonjour » bien senti du contrôleur. Au moment où ce dernier sonnait le départ, elle montait dans le train. Le buzzer retentit et les portes glissèrent. La plateforme était pas mal encombrée et l’espace « Bureau » déjà transformé en filiale Groupama ou Fleury Michon. Elle repéra de loin sa place et se faufila jusque là-bas. En avançant, elle repensait au Grantordinère et à Double B. qui n’avaient chacun à leur façon jamais su saisir leur chance. Le premier ne l’ayant qu’à peine remarquée (le pauvre, il ne savait même pas ça possible) et le second n’ayant de toute façon que le courage de sourire (et d’offrir toujours trop gentiment un café, sa place ou son journal). Elle s’assit et le type à côté lui parut d’une banalité confondante tout en n’appartenant à aucune des catégories qu’elle avait élaborées en presque dix ans de TGV hebdomadaire. Le train roulait déjà, elle ferma les yeux. If You Feel It ~ Ms. Tyree Sugar Jones En s’asseyant, elle avait aperçu son nom sur son abonnement : Jérôme Castang. Pas mal. Elle lui trouva d’un seul coup un charme inattendu. Lorsque le contrôleur passa, l’inconnu JC demanda s’il était possible d’avoir deux places en première car la demoiselle ici présente méritait le mieux en terme de fauteuil, de confort, et de tranquillité. « Bien sûr Monsieur Castang, vous connaissez le chemin » répondit l’agent SNCF. JC lui pris alors la main et l’invita à le précéder dans le couloir central, en route
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vers la première. Elle n’était finalement pas surprise car contre toute attente, le type avait définitivement de la classe. C’est avec cette même élégance extrême qu’il lui avait proposé de porter son sac, elle avait refusé en lui répondant qu’il lui faudrait d’abord le vider et que ça n’était pas le moment. Elle le précéda et refit dans l’autre sens et à l’intérieur du train, le chemin qu’elle avait précédemment parcouru sur le quai. Elle croisa à nouveau le regard de Double B. qui cette fois-ci se fit pincer par Madame et récolta en plus des yeux revolver la claque règlementaire. Elle sentait que ses talons hauts et argentés, sa robe moulante et son pas «fashion week» ne laissaient pas Monsieur Castang de glace. Ils trouvèrent deux places isolées dans un semi compartiment de première classe et furent servis par une jeune femme discrète et charmante d’une coupe de champagne « Offert par le commandant de bord » précisa-t-elle. Simone se présenta. Lui savait que ça n’était pas la peine : JC. Elle lui demanda ce qu’il faisait et pourquoi il allait à Paris. Elle apprit qu’il était marchand d’art et qu’il revenait d’une visite à A. Grente. Sa destination n’était d’ailleurs
pas Paris mais Berlin. Il devait y retrouver un autre artiste, un ami du nom de Bob Berling duquel il aimait et la compagnie et le travail (il ajouta qu’il avait pu vérifier que l’un comme l’autre étaient chez Grente ordinaires). Il lui proposa de l’accompagner jusqu’à Berlin mais elle déclina car elle avait un rendez-vous important. Il appela la demoiselle au champagne et lui demanda de transmettre au commandant l’instruction du changement de destination puisqu’il fallait désormais passer par Paris. La serveuse acquiesça et s’évanouit dans le couloir encombré par d’élégants fumeurs de cigares. Monsieur Castang, JC, ferma la porte du compartiment, baissa la lumière et Launderette ~ Vivien Goldman « … minutes notre train arrivera en gare de Paris Montparnasse, son terminus. Avant de descendre, assurez-vous de ne rien laisser à bord. La SNCF… » Simone ouvrit les yeux et mit quelques secondes à réaliser. L’homme était là mais tout aussi banal qu’à l’arrivée, enfin, pas
tout à fait. Il avait l’air un peu gêné. Elle sortit un miroir pour se rafraichir et elle s’aperçut qu’elle avait une marque sur la joue, un motif très net. Elle se tourna et pu faire le lien avec le pull du voisin. Elle rougit, il sourit avec une telle justesse qu’elle douta un moment avoir réellement dormi. Elle descendit du train et fila par la porte latérale de Montparnasse. Elle traversa le Luxembourg à pied sous un merveilleux soleil d’automne. Elle ne pensait plus qu’à cet étrange voyage qu’elle avait fait. Elle vérifia plusieurs fois qu’elle avait bien pris ses partitions pour son cours de chant et comme chaque jeudi, elle sonna. On lui ouvrit sans prendre la peine de parler à l’interphone. Depuis dix ans qu’elle venait ici, c’est la première fois qu’elle lisait la petite plaque vieillie à côté de la porte : Jérôme Castang, psychanalyste.
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Le train qui longe la côte, son bruit résonne dans toute la baie. Robert Pinget, Monsieur Songe
pacific 231
d’une locomotive et de la modernité Par Valérie Perrin • Photo : Luc Georges
Pacific 231 est une locomotive à vapeur construite en 1907, avec la configuration suivante pour ses essieux : 2-3-1. Pacific 231 est la locomotive de l’un des premiers trains pour voyageurs à grande vitesse, une petite révolution dans les transports qui deviennent en commun. L’espace devient alors parcourable, accessible à un plus grand nombre. L’innovation technologique est un progrès, le train son véhicule. Pacific 231 est une pièce musicale écrite par Arthur Honegger en 1923, l’une des premières compositions urbanistes. « Pacific 231 n’est pas l’imitation des bruits de la locomotive, mais la traduction d’une impression visuelle et d’une jouissance physique par une construction musicale » dira Honegger. En ce début de siècle, elle est l’une des plus fortes exaltations de la modernité à travers la machine, à l’instar de la Symphonie des Sirènes de Arseni Avraamov (1922) qui, elle, fait véritablement jouer un orchestre composé de trains, de camions… La musique moderne devient urbaine s’élançant sur les rails posés par les Futuristes. Pacific 231*, soixante ans plus tard, est le projet de musique noise issu des esthétiques de la musique industrielle du début des années 1980, de Pierre Jolivet. La musique rock après la rupture punk de la fin des années 1970, trouve sa radicalité dans les avant-gardes – dont l’opus d’Honegger Pacific 231. L’expérience sonore bruitiste prime sur la forme rock, pour une musique plus populaire que celle de Honegger et qui va ouvrir la voie à Sonic Youth entre autre… * Oui Pacific 231 est aussi le titre d’un album du chanteur Raphaël sorti en 2010, la locomotive prend maintenant sa retraite.
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Galop du chemin de fer alsacien Par Paul-Philippe Meyer
Les recherches menées pour l’exposition Mulhouse Gare Centrale ont permis de trouver cette curieuse partition, ce Galop du chemin de fer alsacien de F.C. Kohlenberger. Si la présence du compositeur à Mulhouse est encore difficile à confirmer, la dédicace atteste des liens mulhousiens et plus particulièrement avec Charles Jungnickel né à Zoepen en Saxe en 1813, organiste, chef de chœur et d’orchestre, acteur important de l’activité musicale de la ville. Le hessois Kohlenberger ( ?- 1895), lui, a séjourné à Genève où il exerce en tant qu’accordeur, puis marchand de pianos et n’a laissé que quelques compositions éditées à compte d’auteur. Le titre Galop renvoie à la danse pratiquée dans les salons parisiens au milieu du XIXe siècle, reprenant l’esprit et le rythme du galop du cheval, et concluant le quadrille ou la soirée de bal. Après une introduction évoquant le grondement de la locomotive au départ, la montée en puissance de la machine et son sifflement, le compositeur découpe son galop en plusieurs galops avec leurs trios pour les stations de la ligne de chemin de fer Strasbourg-Bâle (Strasbourg-Sélestat, SélestatColmar, Colmar-Mulhouse, Mulhouse-Bâle), chacune ayant sa propre mélodie. Une version piano du Galop sera interprétée le vendredi 25 novembre à la bibliothèque municipale et une version orchestrale dans la bande son du spectacle du samedi 10 décembre sur le parvis de la gare.
Coll. part.
Avec l’aimable autorisation de la Bibliothek Beethoven-Haus, Bonn Contrat Nr 2011/65
Avec l’aimable autorisation de la Bibliothèque du Conservatoire de Musique de Genève, cote Af 9516
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Les vues de trains ou une certaine idée de la séquence
Pesanteur de la surface
Par Anne Immelé
Poétique du mouvement (1) Nous sommes loin des photographies montrant les voies de chemin de fer symbolisant le progrès, figurant des lignes droites que rien n’arrête. Cette esthétique se retrouve chez les photographes des avant-gardes, en témoigne par exemple une spectaculaire vue de voie de chemin de fer d’Albert Renger-Patzsch. (2) Bernard Plossu, Cinéma fixe ?, Textes de Dominique Païni, Filiganes éditions, Paris, 2002. (3) Nous pensons au début du cinématographe avec L’Arrivée d’un train à La Ciotat, tourné en 1895 par les frères Lumière. (4) Antoine d’Agata, Mala Noche, EN VUES éditions, Nantes, 1998.
Le voyage en train est une traversée des territoires permettant au passager de regarder défiler le paysage comme un travelling à vitesse plus ou moins constante. Vouloir arrêter le travelling, décider d’immobiliser le mouvement des paysages qui défilent pour ne garder qu’une captation figée est un exercice des plus délicat. Entre Londres et Liverpool (train roulant à 85 km à l’heure) vers 1890 (ill.1), vue de Gabriel Loppé témoigne d’une prouesse technique, celle de la quête de l’instantané ; le temps de pose est suffisamment rapide pour que la photo ne soit pas complètement floue. Mais la vue de Loppé ne constitue pas uniquement une réussite technique, elle nous montre une banlieue industrielle crépusculaire transfigurée par une poétique du mouvement. L’imaginaire
lié au mouvement est retranscrit dans le cadrage légèrement en déséquilibre et dans les fumées des usines devenues des éléments poétiques à l’instar des nuages. À l’instar de Loppé, aujourd’hui encore de nombreux photographes, y compris des amateurs, sont fascinés par le défilement des paysages et des ciels chargés de nuages. Les appareils numériques compacts, les Iphone ou autres téléphones portables permettent de capter des vues fluides, parfois proches de la suite (au sens musical du terme). Le train devient alors le lieu de la rêverie (1) à l’ère de l’accessibilité à l’image la plus totale comme dans une photographie prise par Sanaé Yokota, lors d’un voyage touristique en Angleterre (ill.2). Cet exemple illustre l’utilisation d’une technique numérique mise au service d’une fascination pour ce que Gaston Bachelard définit comme l’imagination du mouvement.
Pour le photographe fasciné par « la vision en mouvement », les vues de trains sont parfois une expérience déceptive ; ce que le regard isole et immobilise brièvement, l’appareil ne le capte pas ainsi puisque entre l’appareil et le paysage il y a une vitre, surface réfléchissante couverte de poussières et de salissures. Cette surface devient présente et certains photographes ont su la mettre à profit en utilisant ses possibilités réflexives. Nous retrouvons de telles prises de vue chez les photographes qui affectionnent une esthétique du noir et blanc granuleux. Ce caractère poussiéreux, sale, voire poisseux des trains, surtout par temps de brouillard ou de pluie, permet à certains photographes de figer le défilement de paysages telles des apparitions existentielles. Dans ces pratiques, l’imaginaire du train est lié à une pesanteur granuleuse que l’on retrouve aussi dans des vues de gares au petit matin accompagnées par la chorégraphie des corps et des silhouettes. Ces éléments se retrouvent chez Bernard Plossu qui les a mis en séquence dans l’exposition et le livre Cinéma fixe (2)? Séquences à travers la vitre
Chez Bernard Plossu, la séquence fluide permet de restituer la jouissance perceptive que constitue le travelling du train comme dans l’ouverture du livre Cinéma fixe ? (ill.3) La mise en séquence permet de réactiver une mobilité du regard ; ce n’est plus le mouvement initial du train, mais une mouvance du regard du spectateur qui va activer des liens entre les photographies.
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Ill.2 ~ Sanaé Yokota, Vers Oxford, juillet 2011
Ill.3 ~ Bernard Plossu, Cinéma fixe ? pp.10-11
Ill.1 ~ Anne Immelé, Vue de mon bureau avec la reproduction de Gabriel Loppé, Entre Londres et Liverpool (vers 1890), août 2011
Le train est mouvement comme le cinéma (3) , les images prises de train peuvent se constituer en séquences mais sans nécessité de continuité spatiale et temporelle. La séquence fluide de Plossu commence par la collision de deux vues prises à sept années d’intervalle, s’imbriquant selon des rapports d’opposition entre l’intérieur et l’extérieur, brouillant l’échelle des plans. Les vues de trains appartiennent à la grande famille des photographies prises par des photographes qui traversent des territoires et constituent des séquences erratiques. Depuis les années 1950, l’histoire de la photographie a été marquée par ces photographes qui pratiquent le déplacement pour retranscrire des états de pensées et d’émotions, plus que pour constituer un reportage à but informatif. Citons la traversée des USA (1955-56) par Robert Frank, du Mexique (196566) par Bernard Plossu, de l’Amérique du sud (1991-97) par Antoine d’Agata. Ces photographes ont en commun la réalisation de vues granuleuses, vacillantes, réunies dans des livres-séquences. À l’instar du mouvement du train, Hervé Guibert écrivait de Robert Frank, qu’il photographiait comme il marchait, sans s’arrêter.
Les livres de ces photographes jouent de la dialectique du mouvement et de l’arrêt. Mala Noche (4) d’Antoine d’Agata commence puis est scandé par des vues de train qui illustrent autant de « voies express » vers le bout de la nuit. Ces vues ballottées sont mises en séquence avec des images prises dans des hôtels ou des bars… Si Cinéma fixe ? de Bernard Plossu est habité par le déplacement en train, ces mouvements s’accompagnent de vues de couloirs et de quais de gares, lieux évocateurs du temps étiré de l’attente ou de la tension dramatique provoquée par un départ. Chez ces photographes de l’errance, il y a une adéquation entre une mobilité de la vision photographique et le déplacement physique du photographe. Le déplacement en train et l’imaginaire des gares forment autant d’éléments constitutifs d’une pratique photographique comme captation d’une réalité quotidienne mouvante et elliptique.
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Rainer Oldendorf, 1973
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Une secousse. Les deux hommes se tournèrent vers la vitre. Ils virent le long quai éclairé glisser sous leurs yeux. L’Orient-Express commençait son voyage de trois jours à travers l’Europe. Agatha Christie, Le Crime de l’Orient-Express
Le crime de l’Orient-Express Par Anna Madoeuf
Le crime de l’Orient-Express (Murder on the Orient Express), le célébrissime roman policier écrit par Agatha Christie et publié en 1934, emprunte son titre et son décor à ce train emblématique. Participant du mythe et s’en inspirant, cette fiction à succès (1) a également en retour contribué à alimenter l’imaginaire autour du « roi des trains, train des rois ». Nombre de célébrités du gotha international ont emprunté ce train : Haïle Selassié, Joséphine Baker, Léopold II, Mata-Hari, Isadora Duncan, Lawrence d’Arabie, Marlene Dietrich, etc. et… James Bond (2). Car l’Orient-Express est aussi incontestablement le train le plus littéraire du monde, comme en ont témoigné, entre autres, Joseph Kessel, Paul Morand, Colette, Graham Greene, Vladimir Nabokov, John Dos Passos, ou encore Ernest Hemingway. « If you want to express That kind of gloom You feel alone in a double room (…) Waiting at the Station For a near relation Puff, Puff, Puff, Puff The Istanbul Train… » Chanson de cabaret in Orient-Express de Graham Greene
Depuis la relation intégrale par le journaliste Edmond About de l’épopée du voyage inaugural, parti de Paris le 4 octobre 1883 (3), jusqu’au dernier roman en date, celui de Pierre Blandin Les rendez-vous de l’Orient-Express (2011), de son avènement à nos jours, sur le mode journalistique, romanesque, de l’histoire ou de la fiction, autour des thèmes de l’aventure, du luxe, du romantisme, du politique, de la nostalgie, de l’exotisme, ou du voyage, l’Orient-Express apparaît comme un récit ininterrompu.
la géopolitique. L’emblématique OrientExpress, train d’union entre Occident et Orient, entre l’Europe et ses confins, est un fil tendu entre deux univers. Cependant, dans ses représentations, il est presque toujours énoncé de manière univoque, dans le sens vers Istanbul, destination de l’Aller. Si, incontestablement, l’avènement du train a reconfiguré le monde de manière générale, celui-ci a également illustré les représentations de la construction du monde vu depuis l’Occident et a repoussé ou brouillé les contours de l’Orient exotique. L’Orient-Express a formalisé l’orientation d’une direction/relation depuis l’Europe, point de départ, origine, centre du monde, vers Istanbul, terminus du train, mais également seuil d’un autre ailleurs. L’Orient-Express a aussi retouché tant l’image que la géographie de Stamboul-Constantinople, désormais ville du bord de l’Europe et déversoir de voyageurs, émergés soudainement et en nombre en cette cité. Ainsi, Pierre Loti, dès 1890, déplore l’afflux nouveau des touristes européens « vomis par l’Orient-Express » à Stamboul. Enfin, le nom même du train, une association composite, lie d’un trait d’union deux termes qui semblent ne pas être compatibles, tant l’Orient parait alors être un univers singulier, sujet également à un temps — ou une idée de temps — spécifique. Est-ce pour cette raison que l’on dira de lui qu’il « se hâte lentement » ?
L’histoire de l’Orient-Express, mis en place à la fin du XIXe siècle, est faite d’épisodes rocambolesques et épiques. La ligne et le train, parcourant diverses contrées et traversant des temporalités agitées seront saisis à maintes reprises par les aléas de
A contrario, le roman d’Agatha Christie se construit et fonctionne à rebrousse-sens puisque le départ des voyageurs se fait depuis Stamboul. La gare d’embarquement est celle de Constantinople ; le train accroche ses wagons, ceux-ci accueillent
des personnages, le train et l’intrigue se mettent en route à l’unisson. La construction et le ressort sont classiques, ils s’établissent depuis un petit monde autocentré et exclusif (un groupe d’Occidentaux), embarqué au travers d’un grand territoire comme invisibilisé, un décor faire-valoir. En partance pour un voyage de trois jours et de plus de trois mille kilomètres à travers l’Europe, le détective Hercule Poirot s‘installe à bord du Simplon-Orient-Express (4), dans une voiture dont la plaque porte la mention « Constantinople – Trieste – Calais ». Dès lors, le train va fonctionner comme une nasse saisissant des personnages de nationalités, conditions sociales, lieux de résidence, âges et destins divers. Enveloppant les passagers/protagonistes, le train dissout le monde, ses tourments et ses tourmentes, le lieu est désormais le train, et réciproquement. Bien sûr, le train, ses wagons, ses compartiments et son restaurant, son mode de vie, ses conventions et son protocole sont aussi référencés selon des logiques d’appartenance sociale et de classe, qui ne sont pas ici suspendues, mais au contraire peut-être exacerbées par un espace contraint. Les employés apparaissent également comme des accessoires humains du train au service des voyageurs. Bien que l’agencement spatial d’un wagon soit d’une grande simplicité, le Crime de l’Orient-Express est pourtant un des seuls (sinon le seul ?) romans d’Agatha Christie assorti d’un plan : celui de la voiture qui est au cœur de l’action, présentant en détail la distribution des lieux de cet espace tubulaire, comme pour mieux le cerner et le clore.
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Photographie trouvée par Beko dans une vieille valise à Istanbul en 2011
A l’image de la Mer Rouge s’écartant au passage des Hébreux, le paysage simultanément jaillit et se scinde de part et d’autre, à l’encontre du train en marche et le fuyant en un même mouvement. Ce paysage déroulant, fait de deux horizons symétriques et parallèles, est dénué d’épaisseur de sens, de signification politique ou sociétale. Il est le paysage fabriqué depuis le train, celui d’un tracé, d’un parcours ; il génère une atmosphère ; le paysage passe et le temps fait de même, comme des images et moments perpétuels. Quant aux gares, elles rythment les séquences, et suscitent les rituels codifiés d’embarquement de débarquement, mais en tant qu’objets obligés de la modernité, passages et seuils nécessaires, elles ne sont, de ce point de vue, pas considérées, et sont mentionnées comme des non lieux sans intérêt : ainsi d’Alep : « Alep. Rien de sensationnel à voir : quai interminable, mal éclairé, d’où montaient des altercations bruyantes en arabe ». Belgrade est expédiée sur un mode similaire : « Le Simplon-Orient-Express arriva en gare de Belgrade à neuf heures moins le quart du soir. Il ne devait repartir qu’à neuf heures et quart ; aussi Poirot descendit-il sur le quai. Mais il n’y
resta pas longtemps. Il faisait très froid et une neige épaisse tombait au-delà du quai couvert. Poirot regagna donc son compartiment ». Des espaces parenthèses, mal définis, apparemment imparfaits, qui ne sont absolument pas exotiques, ni résolument modernes si on les observe de près. La gare fait-elle vraiment partie de la contrée (ville, pays, territoire) à laquelle elle appartient ? La gare de Constantinople, qui est pourtant le lieu inaugural de l’intrigue, n’est pas même évoquée ; elle sera juste le point de départ, et le départ lui-même sera donné par le mouvement depuis le quai : « Une secousse. Les deux hommes se tournèrent vers la vitre. Ils virent le long quai éclairé glisser sous leurs yeux ». Une gare semble n’être qu’une gare… Et, plus schématiquement encore, une gare peut se résumer à un quai. Quant au crime en question, il intervient assez tôt, quelque part et quelque temps après Belgrade, dans une zone comme en apesanteur de cette « remontée » vers l’Europe de l’Ouest. Le train est arrêté, bloqué par la neige ; tout alors se précipite. Le train est immobilisé temporairement dans un paysage qui temporairement
également n’existe plus car il n’est qu’amas de neige, une forme ton sur ton, matière sur matière. La neige devient une abstraction et une totalité : plus de paysage, ni de temps, que de la neige. Pour mémoire, ce meurtre est singulier, car il est collectif, chacun des douze assaillants ayant porté un coup de poignard à la victime — Ratchett/Cassetti — endormie dans son compartiment. Tous ces êtres, bien que mus par la vengeance n’auraient certes pas pu commettre un tel acte en un espace autre, hors de ce train particulier, lui même hors du réel. Le train devient, au delà d’un contexte, un réceptacle, une circonstance, expliquant et justifiant la présence simultanée des personnages, provoquant et obligeant le forfait partagé. Là, personne ne pourra se dérober au projet prémédité ailleurs. C’est bien le train qui a permis l’accomplissement de l’acte tabou car il a paradoxalement, par l’enfermement, libéré chacun des passagers impliqués de ses contingences et impossibilités propres. Le train, quelque part hors des références liées à l’espace, au temps, aux lois et aux normes, a fait de la somme des chacun un groupe lié par un dessein, mais aussi un seul corps répondant à la pulsion criminelle, et faisant lui-même corps avec le train. De plus, ce crime sera impuni car Hercule Poirot à l’issue du voyage-intrigue, ne dénoncera pas les coupables — fait exceptionnel —, et fera comme si rien n’avait été élucidé, n’avait existé. L’OrientExpress sera aussi le déterminant de cette inhabituelle clémence, de la prescription du détective justicier, lui aussi en rupture avec sa morale et la raison d’être usuelle de son personnage, lui aussi peut-être sous l’influence du train…
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Ce qui s’est passé dans ce train a-t-il vraiment existé ? La question peut sembler curieuse, mais le dénouement l’est tout autant. L’irréparable s’est bien produit, mais n’aura pas de conséquences. Une étrange intrigue certes, mais surtout des actes qui ne pouvaient se perpétrer et une histoire qui ne pouvait se tramer que dans un train, lieu d’équilibre et de déséquilibre entre deux mondes suspendus, deux pôles, celui de l’impulsion : la gare de Constantinople, et celui, magnétique, du terme du voyage, dont l’attraction est inexorable. Proposition de contribution au colloque « Station to Station », Mulhouse, 1er & 2 décembre 2011
(1) Le roman a également été adapté au cinéma par Sidney Lumet en 1974, avec une distribution éblouissante (Albert Finney, Lauren Bacall, Sean Connery, Jean-Pierre Cassel, Ingrid Bergman, Anthony Perkins, Vanessa Redgrave, Michael York, Jacqueline Bisset, Richard Widmark, etc.). (2) Dans Bons baisers de Russie, de Ian Fleming, (From Russia with Love, 1957). (3) Ce récit fut publié sous le titre De Pontoise à Stamboul, Hachette, 1884, 286 p. (4) Tel est son nom après la première guerre mondiale. Le tunnel du Simplon en Suisse est percé en 1906.
Par Nicolas Surlapierre
Friches & Jachères
ou le salon grand voyageur
Tony Leung dans 2046 de Wong Kar Wai
Le salon grand voyageur fait tout pour rendre au voyageur le plus agréable possible son attente, à moins que cela ne soit son voyage. Ce texte joue un peu ce rôle, enfin voudrait avoir le confort malheureusement un peu sectaire d’un privilège. Le salon grand voyageur met à disposition des journaux, un fax, des bornes wifi, un distributeur, rend quelques menus services qui facilitent le voyage ou la correspondance, il réinvente en l’actualisant la salle d’attente des premières. Passagers, artistes, curateurs, touristes, reporters et curieux peuvent s’y retrouver s’ils sont las du bruit et des autres salles d’attente souvent aussi mal chauffées ou mal rafraîchies que peu propices à la concentration. Les salons de ce type sont créés de toutes pièces, d’autres sont installés dans des décors d’origine
souvent luxueux, ils peuvent ainsi éprouver socialement l’idée toute simple de train de vie et d’esthétique relationnelle adaptée aux pratiques sociales, généralisation de l’euro lounge comme mode de vie unique et où les euro districts, les euro régions, les euro pôles, les euro tunnels, les euro airports sont devenus des tics de langage. Il existe une sorte de logique, ou même de réflexe, à associer art contemporain et trains. Et lorsque par chance, il s’agit d’une gare désaffectée cela se passe mieux encore, la gare Saint-Sauveur à Lille est un parfait exemple d’une réelle adéquation entre trains et réemploi festif, entre arts contemporains et lieux dédiés. Les gares sont des lieux opportuns à
l’imaginaire moderne mais le sont-elles au contemporain ? Oui si le nombre d’artistes qui ont eu une commande dans une gare est une preuve ; oui si la mise en abîme de la gare en est une autre, non si l’idée est de répondre par une liste assez fastidieuse et pratiquement infaisable ; cela reviendrait à égrener des exemples assez connus qui n’avanceraient à pas grand-chose car il manquerait ceux qui manquent. La gare est moins propice à l’art contemporain que la station service ou que le motel peut-être parce qu’elle attend encore son Bruce Bégout (1) et qu’elle n’a pas eu et n’aura probablement jamais son Georges Didi-Huberman. Et ce n’est évidemment pas tout à fait un hasard qu’Orsay ait servi pour présenter l’art du
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19e siècle de sorte que la gare, et par voie de conséquence, le train sont les emblèmes nostalgiques de la modernité, tolérés éventuellement par la postmodernité. Le contemporain ne faisait que ressembler à la gare et au ferroviaire. Vouloir lui emprunter ses attributs c’était faire preuve autant de manque d’imagination que d’une difficulté à renouveler l’imaginaire ferroviaire. Gares et trains servaient de prétexte et de métaphore pour parler en connaissance de cause que de ce lieu socialement stratifié avec ses passages, ses élans brisés, ses cochonneries, ses romans de gare. Tout peut se produire dans une gare plus encore que dans un autre lieu, dans les tasses de l’Homme blessé, talonné par l’aéroport assez fertile pour les imaginaires et supérieur en un point à la gare depuis que des endocrinologues ont montré que les passagers secrétaient dans un aéroport, sous l’effet certainement d’un léger stress, l’hormone de l’amour.
Au niveau des imaginaires, la gare est attachante parce que l’énergie contradictoire qui s’y déploie vient buter contre les quais ; force qui ne peut se percevoir que dans un seul sens, celle du flot des voyageurs qui remontent en voitures, ou qui y accèdent. Personne n’a vu un train faire demi-tour, il préfère défoncer le mur, sauter par dessus le parapet, démolir le quai, emporter les passagers, les usagers ; en cela il sert de métaphore un peu dépassée à la représentation de l’Histoire car il ne se retourne ni sur lui ni ne revient sur ses pas. La fable la plus réussie, qui dépasse un peu les arts plastiques bien qu’elle ne relève presque que de ceux-ci, est évidemment le train qui part ou qui revient de 2046, chacune des stations étant des années, des anniversaires ou des fêtes. Que ce train de science fiction et de lumière artificielle soit oblong et fluorescent comme un néon, qu’il soit aussi warburgien qu’un serpent cela ne fait pas l’ombre d’un doute, qu’il s’inspire de visions un peu démodées des romans de sabre et de bd des années 1960 non plus mais qu’également, dans les soubresauts du train, dans la légère pression et le perceptible étirement des wagons entre eux dus à la traction de la vitesse, leur tassement qui ressemble à des vertèbres lorsqu’il est obligé de ralentir, les spectateurs ont su reconnaître le parfait équilibre entre l’image temps et l’image mouvement et une allégorie de l’histoire comparée ou comparable aux émotions différées des androïdes. Depuis longtemps, la gare au contemporain n’est plus un événement figuratif, et peutêtre ce qui distingue les gares d’hier et d’aujourd’hui, ce sont les bâtiments, les machines, tout ce qui participait à faire de la gare un lieu privilégié de la modernité et du modernisme, jusqu’à la vapeur qui donnait raison aux peintres, la gare n’était pas le lieu de la désacralisation de l’art moderne, c’était l’inverse. Depuis le post-modernisme, la notion de gare est devenue un emblème obsolète assumé et
« Il existe une sorte de logique ou même de réflexe à associer art contemporain et trains. Et lorsque par chance, il s’agit d’une gare désaffectée cela se passe mieux encore ».
cela principalement par une volonté de distanciation. La figuration critique et narrative a largement puisé dans la gare, qui comme le zoo ou les hôpitaux étaient des lieux où le réel était passé à la lumière crue de ses marquises, de ses verrières, de ses chromes, de ses régulations, auscultation de la froide mécanique des rapports sociaux et des horaires aimant comprendre les mécanismes de la séparation. La pendule est l’élément principal de la gare puisque chaque minute compte, elle compte finalement davantage que les individus, que leurs histoires, il existe un temps supérieur que réfute la durée individuelle, celui des départs et des arrivées que seuls les retards et les grèves arrivent à entraver. Alors l’enchevêtrement des pendules devant la gare Saint-Lazare est probablement une œuvre plus ratée que mauvaise tandis que l’amoncellement de valises faisait froid dans le dos car le surplus de bagage n’est pas bon signe, pour ainsi dire il paraît sinistre, il est de loin la preuve la plus insidieuse de la fragilité de l’homme. Au delà des nombreuses œuvres nostalgiques ou mimétiques, deux exemples déterminent les nuances nécessaires entre séquençages, flux et déroulement. Le premier est sans doute le Fluxus Zug de Wolf Vostell qui réalise, en 1981, un train de 9 containers et 7 environnements où images et objets créent, selon les propres termes de l’artiste, des connexions. Ce qui est au moins aussi important que la rencontre des publics hétérogènes de la Westphalie où le train circula ce sont les relations nouvelles créées par des objets de ce musée mobile et qui n’auraient jamais pu se rencontrer, nouveau lieu de la relation de l’art et non à l’art. La performance de John Cage, quant à elle, déplace et détourne ce que le train symbolise, il ne cherche pas tellement à gagner du temps, il cherche à le dépasser. Ce que le train offrira aux voyageurs obérera l’obsession du temps, probablement lorsque le temps du voyage aura rejoint le temps médiatique. John Cage n’a certainement pas imaginé sa performance (2) parce que les musiciens contemporains ont puisé largement dans l’univers ferroviaire, sa relation au train ne pouvait pas être imitative ni anecdotique, ni la capture d’un bruit de fond. La préparation de la performance est régie selon une partition réelle (celle de Tito Gotti) et d’une excursion dont le déroulé vaut pour une programmation. Ce qui importe ce n’est pas tant ce qui a été joué pendant les trajets mais que John Cage ait transformé ce qui constitue la gare en partition qui n’ait cependant rien à voir avec la musique dite industrielle ; l’« Astrological train time table » qui n’est autre que le panneau d’affichage customisé des horaires demande un déchiffrement proche d’un solfège que les hauts parleurs sonorisent à des fins plastiques, façonnant formellement les attitudes des voyageurs, des volontaires, des musiciens. Les voya-
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geurs devaient se rendre compte que le voyage en train c’était, sans que cela ne paraisse le moins du monde négatif, du temps perdu, le temps autoritairement perdu qui était devenu aussi beau que le silence (3). C’est précisément parce qu’il est en train d’avoir lieu que la conscience de ce temps parfois presque insupportable devient évidente, tout dans une gare est pour rappeler cette tyrannie des aiguilles, de la baguette, et par ailleurs tout aussi pour aider à accepter le sens de cette autorité ; la gare est aussi autoritaire en raison de son chef de gare et dans la performance de son chef d’orchestre allographe qui, d’après les témoignages, semblait être là en simple observateur du temps présent, ce qui l’autorisait à être ailleurs. John Cage avait imaginé une performance comme si rien n’était arrivé ni les départs ni les arrivées, il le dit : « À présent je veux que les choses qui arrivent n’effacent pas l’esprit qui se trouvait déjà là ». L’arrivée, le départ, les correspondances ne changent finalement rien, ils laissent intact le vide ou le silence malgré les flux aussi orchestrés que des mouvements de foule dociles, fluidifiés et muets. Personne n’osera dire que tout était là dès la première locomotive à vapeur car ce serait s’avouer vaincu par le bovarysme ahurissant des transports, par la velléité de la modernité, tout le monde préfèrera sans doute clabauder sur les nouvelles façons de se divertir pendant les voyages puisque le train n’est presque plus en retard sur le temps médiatique, tout lui parvient en direct, et les voyageurs qui le veulent peuvent être rattrapés par le présent, ils vivront leur voyage en temps réel, car ils ne supportent plus la postsynchronisation des désirs d’une portion de temps où ne vaut d’être remis à plus tard.
(1) Philosophe et écrivain français (2) La performance eut lieu entre le 26 et 28 juin 1978 dans le cadre des Fêtes musicales de Bologne (3) Le titre complet de la performance : Alla ricerca del silenzio perduto – 3 excursions in a prepared train, variations on a theme by Tito Gotti, by John Cage with the assistance of Juan Hidalgo and Walter Marchetti.
Mémoires en verre pilé sauvées du courant Par Denis Scheubel • Photo : Pierre Fraenkel
Là, les billets de train, je les ai pas sur moi. Sur moi, j’ai le trac, comme un aigle de quatre mètres de haut, les serres bien rivées sur mon ventre. La trouille mon vieux. Ta plus fidèle cavalière. C’est vrai qu’elle me chevauche celle-là. Les billets je les ai pas. C’est Lala. L’unique. Elle a les billets. Je les lui ai mis dans la main la semaine passée, ou bien avant. On était sur la terrasse de la crêperie qui a un nom. Comme dans Le seigneur des anneaux. Elle sous le parasol, moi sous la pluie d’août. Je lui ai sorti mes billets moches avec des bras aussi sûrs que de la guimauve. Mes yeux crucifiés par les siens. Notre éternel. Ses deux micas noirs me regardant me noyer. Lala, elle a fait de mes jours et de mon lit une planche à clous vitale. Sauf quand elle est à moins de deux mètres de moi. Je lui tends les billets avec une contenance venue de je ne sais où. Paris ! Elle n’a jamais vu Paris. Et j’ai voulu, moi, être le premier de l’histoire à lui tendre Paris à bout de bras, comme on usurpe une légitime faveur du ciel. Elle baisse la tête mais son être sourit. Elle me dit, d’une voix qui déchire toujours la pellicule du film, qu’elle ne viendra pas. Qu’elle ne pourra pas venir. La vraie raison, c’est
« La loco part, comme à regret. Chaque atome de l’acier regrette. Je le sais. Je suis une médaille à une seule face, avec un sac de voyage entre les pieds ».
qu’elle a peur de nous. Autant ou plus que moi ? Je ne sais pas. AUTANT OU PLUS QUE MOI ? Elle ne peut pas se passer de nous deux. COMME MOI ! Il nous faudrait nous vomir l’un l’autre, nous extirper de nos chairs l’un l’autre avec un couteau à beurre. Elle me dit qu’elle ne viendra pas et je m’en fous. J’y crois pas. Croire, ça ne sert à rien. Puis elle me plaque. Je lui dis de garder les billets de train en papier moche. On ne finit pas nos crêpes. Elle a un peu entamé la mienne et moi la sienne. Elles ont un goût du sommeil. Tout a un goût de sommeil et de buvard sauf sa peau, depuis qu’elle m’a dit : « vous me troublez ». Tout sauf sa peau et l’odeur de son souffle quand elle vide ses poumons dans les miens. A chaque fois je m’asphyxie, en redemande et là, je sais de quoi je mourrai. Elle me plaque. Je veux quitter la table avec élégance et je compte déjà les pavés jusqu’au prochain tournant. Elle me retient par ses doigts et ses ongles longs et progressivement autoritaires. Elle me retient par mes boyaux, par l’enfer, par toutes les fièvres du monde. Je me rassieds. « Je te quitte mais pas tout de suite. Reste encore cinq minutes, je t’en prie, je t’en prie, je t’en prie ». Quand elle parle de nous, c’est tout par trois fois. « Pardon pardon pardon ». « Je te déteste je te déteste, je te déteste ». « Tu es mon Héroïne ». Tout par trois. Tout ce lexique qui a un sens pour la première fois de ma vie : trois fois. Juste quand on fait l’amour, ou quand on s’endort, une de mes mains sur son ventre, l’autre dans ses cheveux, dans des poses impossibles. Là elle me demande toutes les cinq secondes si je l’aime. Et je lui réponds. Je lui réponds, je lui réponds. A elle, au ciel, à tous les dieux
morts, à tous ceux à naître. Je réponds « je t’aime, je t’aime, je t’aime ». Bien sûr je reste avec elle sous le parasol de la crêperie. Ailleurs, y a pas d’air. Puis on part. Dans sa voiture. Elle fait mille détours pour m’amener là où je vais : nulle part. Il n’y a pas de part quand elle part. On s’arrête près de la fête foraine. Je veux descendre. Elle me retient, m’enjambe pour refermer brutalement la portière. Puis, avec douceur elle me dit « Reste Reste Reste ». On parle un moment puis on repart de l’autre côté de la ville. Là on parle de pourquoi elle me quitte et de pourquoi elle m’aime. Je lui dis qu’elle est libre mais que mon rêve est de marcher un peu derrière elle jusqu’à la fin de la vie pour regarder comme elle est belle. Même quand on sera vieux. « Je te quitte mais tu m’aimes ? », elle me dit, puis on fait le tour du canal prisonnier. Après on boit un café. Là je remarque qu’elle a coupé les ongles de ses pieds. Elle me dit qu’elle
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aime bien quand je remarque ça. Ses pieds sont divins. Le matin des nuits ensemble, ses pieds longs et fins sont mes poignées d’entrée dans la vie. Je leur parle tout près. Ils sont mon petit déjeuner, mes enseignes au néon diurne, mon lexique, mon interdit, mon jardin zen, mes complices, mon interdit. Elle les récupère, puis me les rend, puis les reprend, pour un moment. Donc après le café et vingt-sept déchirements, elle me quitte et je fonce sans respirer vers les eaux froides et noires. Trou usé de l’hyper espace, environ trois heures avant que le barrage ne s’effondre. Message écrit : « Je t’aime, je t’aime, je t’aime, ne me réponds plus jamais. » Réponse au bout de quatre minutes. Mémoires en verre pilé, sauvées du courant.
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Jupiter et au-delà Mulhouse ! Merde ! Je suis encore à Mulhouse ! Le quai suinte froid comme un matin de rentrée. Le nez de la Loco goutte. Tu attendais quoi de cet instant là ? Toi, moi ? J’attendais quoi ? Cette familière brûlure, moitié sur l’épaule gauche, moitié sur la droite. Le sac. Encore trop plein. C’est trop lourd l’important. Une pile de demain matin, une pile du jour d’après, les traits d’union en trois couleurs moches, brosse à dent, pâte à dent, les clés : passeport, réservations, billets. Les billets je les ai pas. Le nez et le thorax de la Loco gouttent. Je l’entends respirer comme un Golem. Elle a cette fierté indifférente de qui vient de couper en deux l’air d’un pays entier à trois cent à l’heure. Mon sac entre les jambes sur le quai, je cherche l’infini de Lala dans chaque silhouette creuse. Me demande si je préfère l’infini avec elle, ou le néant avec pas elle. Mon pauvre, tu as mille
trois cent trente quatre ans et elle en a vingt-trois. Tu serres un sac plein de jours importants entre tes pieds et elle dort encore. Tu essaies de la voir partout et elle te possède. Tu es gravé sous ses paupières et tu y vis. Dessus aussi. Plus tard, tu t’effondreras, la tête entre les mains, mais là tout de suite, ce sont des œillades qui sentent l’acier et l’huile bouillante pour la locomotive. Complice. Comment ça serait ? Les reins contre son nez ? Avaler de la distance à l’infini ? Accélérer. Grandir. Accélérer grandir ? Et hurler ton nom Lala, juste avant la chute, pour que tu sois fière à ton réveil ? La loco part, comme à regret. Chaque atome de l’acier regrette. Je le sais. Je suis une médaille à une seule face, avec un sac de voyage entre les pieds. Sous la fermeture éclair récalcitrante, il y avait tous les jours qu’il fallait. Avec les silences en feu sous les
boulevards, dernier tournant au Trocadéro et la tour Eiffel, rien qu’à toi.. Je t’aime, je t’aime plus mortellement qu’eux et je sais que tu penses à moi, que je t’habite encore. Je t’aime si fort que tu resteras aimée. Le train est parti, en accélérant comme s’il y croyait encore, mais sans y croire mais croire ça ne sert à rien. Je ne le vois plus, je ne vois plus rien et ce rien est un trophée, et je sais que celui à côté de qui tu te réveilleras, tu ne le verras pas non plus. Pas ce matin. Ce matin, on est des géants, des cathédrales, des montagnes qui se sont rencontrées, pendant qu’ils dorment. A partir de cette gare, on est une erreur, la plus belle, ce matin, toi et moi on est tout ce qui reste. Et le plus beau est à venir.
j’ai pensé oh je suis bien à plaindre je me suis pris en pitié dans ce train dont le rythme vous ouvre l’âme plus sûrement qu’un scalpel, je laisse tout filer tout s’enfuit tout est plus difficile par les temps qui courent le long des voies de chemin de fer Mathias Enard, Zone
En voiture pour la fin du monde Par Jocelyn Dupont
Robert Cahen, Arrêt sur marche, 1979
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Zone n’est pas un roman de gare. Il en est même l’exact opposé. Zone est un roman de train, à l’image de ce Milan-Rome qui fonce dans la nuit italienne, « filant vers Rome et la fin du monde » et dont le narrateur, prisonnier de son wagon, en proie à la mélancolie et hanté par ses souvenirs douloureux, s’élance dans un imposant récit aux contours d’épopée contemporaine (Zone compte vingt-quatre « livres », comme l’Iliade et l’Odyssée), embarquant le lecteur avec lui dans sa course folle le long de ses cinq cent dix-sept pages, qui correspondent très précisément au nombre de kilomètres qu’il faut aux voyageurs pour rejoindre la capitale italienne depuis Milan. Le texte, dont la phrase unique et interminable s’étire à la manière du train accroché à sa locomotive, traverse les banlieues du Nord de l’Italie, la plaine du Pô et les collines toscanes baignées par une nuit sans fin, et dépasse les manipulations formelles et expérimentations littéraires qu’avaient no t a m me nt e nt re pr i s e s q ue l q ue s décennies plus tôt un autre célèbre littérateur ferroviaire, Michel Butor, dans La Modification, texte-phare du nouveau roman et l’un des modèles avoués du livre protéiforme de Mathias Enard. Avec Zone, écrit quelque cinquante ans plus tard, le train devient bien plus qu’un laboratoire d’écriture, il se fait le vecteur d’un récit où se joue la fin du monde. L’Apocalypse, ayant renoncé à ses cavaliers, entre en gare.
Le rythme est effréné, le ton cataclysmique. Au fil des kilomètres qui séparent le narrateur de sa destination, les (in) directions du train semblent devenir une métaphore filante du hasard, ce principe inexorable où se jouent et se rejouent sans cesse nos existences contemporaines. Comment faire, s’interroge Yvan Leroy, le trouble narrateur aux identités multiples, pour se diriger, se retrouver, se raccrocher à un fil rouge au beau milieu du « néant de l’indécision qui est le monde des voies et des aiguillages » ? Pourtant, c’est bien à un parcours que nous avons affaire, moins initiatique que catastrophique. Ce trajet d’un seul homme devient vite aussi celui d’un univers tout entier. Aux mots du narrateur, bringuebalé d’un aiguillage à l’autre au gré des connexions ferroviaires, avançant en marche arrière où rebroussant chemin pour mieux aller de l’avant vers sa destination, viennent s’en greffer d’autres : ceux qui racontent tous les maux du monde, renfermés dans une mystérieuse mallette accrochée au porte-bagage. Dans Zone, le « train dont le rythme vous ouvre l’âme plus sûrement qu’un scalpel » devient alors le moteur d’un récit total, presque totalitaire : celui de tous les conflits qu’a connus l’Europe, de l’Antiquité à nos jours, depuis son berceau méditerranéen, ce « mouvement de va-et-vient guerrier qui remplace la marée » dans cette Zone grise dont l’obscur narrateur, agent secret à la dérive, a pénétré les recoins les plus sombres. De la guerre de Troie au conflit israélopalestinien, du sac de Constantinople à la bataille des Dardanelles, de la guerre en Yougoslavie à la bataille d’Actium, de celle de Lépante à la guerre d’Espagne, sans oublier les infâmes convois mortifères de la seconde guerre mondiale, ce sont deux millénaires de conflits, de fantômes et de douleur qui défilent derrière les vitres
du wagon. L’Histoire officielle, que l’on dit mais que l’on ne sait pas, et l’histoire personnelle, que l’on sait mais que l’on ne dit pas, prennent donc place côte-à-côte sur la même banquette de ce Milan-Rome qui n’en finit pas de se rapprocher de la fin du monde, de la révélation ultime que promet l’arrivée à destination à la biennommée gare romaine Termini. Cette odyssée chtonienne, ce voyage au cœur des ténèbres, pétri de noirceur, d’alcool et de nostalgie, souvent dur, parfois même aux limites du supportable, est néanmoins sauvé par l’exploit littéraire qui s’y effectue, proprement homérique, et ce faisant, déjoue le piège de l’Histoire. Car tout Judas qu’il soit, le narrateur n’en reste pas moins en route vers une rédemption, même si l’issue de cette dernière demeure incertaine. Mathias Enard ne se contente pas de jouer avec le feu des armes et la souffrance des victimes immémoriales, faute de quoi Zone aurait vite tourné à une vaste foire aux atrocités, à un exercice d’érudition gratuite mettant au jour une cruauté humaine dont il n’est plus guère possible de douter. Au contraire, ce récit dans lequel s’entremêlent l’épique, l’intime et le grotesque, au rythme cadencé par les cahots du train et propulsé par la dynamique qu’il y puise, permet à l’auteur, de percer l’abcès de violence qui menace de crever et de réduire notre monde à néant en criblant son texte de références littéraires et artistiques rencontrées en cours de périple, au détour de l’horreur, telles une volée de flèches décochées par Apollon, à commencer par cet autre voyageur assis en face du narrateur dont le visage lui rappelle celui d’Hemingway. A mesure que le train progresse et que le récit digresse, c’est une myriade de figures tutélaires qui viennent se placer en orbite autour de l’axe des rails : Dante, Cervantès, Apollinaire, Céline, Jean
Genet, Mohamed Choukri, mais peut-être en premier lieu « le contingent d’AngloSaxons qui peuplent la Zone » : Malcom Lowry, William Burroughs, Lawrence Durell, Ezra Pound et surtout James Joyce, dont les deux textes majeurs, Ulysses et Finnegans Wake, deux autres épopées de la condition moderne, peuplent les pages de Zone aussi sûrement que les fantômes qui hantent son narrateur. C’est donc grâce à cet aiguillage intertextuel que le roman d’Enard semble en mesure de proposer une alternative à l’Histoire et à ses corollaires que sont la douleur et l’amnésie ; c’est alors que la bifurcation artistique peut également se faire engagement éthique. Aux traumatismes de la Zone, de la guerre et du narrateur, l’art semble en mesure d’offrir une échappatoire, un salut, un axe de force solide comme des rails capable de tirer le roman hors du tunnel de la guerre et de la violence pour le porter vers la lumière, fûtelle celle d’un clair-obscur du Caravage. En voiture pour un nouveau voyage au bout de la nuit. Proposition de contribution au colloque « Station to Station », Mulhouse, 1er & 2 décembre 2011 Zone de Mathias Enard Editions Actes Sud, 518 pages.
Tender des ateliers Graffenstaden (1861). Fonds assoc. MusĂŠe du Chemin de Fer aux Archives municipales de Mulhouse
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Voyage(s) en train Par Mohamed Dendane
Il fait chaud, le soleil écrase les gens. Tout ralentit, tout prend une allure plus mesurée : la vie, la démarche des passants, le temps même file avec parcimonie, tout est plus lent, comme aquatique, un scaphandrier au fonds des mers. La chaleur, sur les fronts, fait glisser les sueurs, le long des tempes, dans les dos jusqu’entre les fesses. De la moiteur et des relâchements. Il fait chaud comme il doit faire chaud un vrai jour d’un vrai été. Ils sont rares, de nos jours, les vrais étés comme autrefois.
Une éternité que je n’y avais mis les pieds : la gare. Même raccompagner quelqu’un pour prendre un train m’était pénible, je prenais l’habitude d’abandonner les personnes sur le parking, les livrant ainsi à un sort ferroviaire que j’imaginais sans espoir. Les gares me servaient en de rares occasions pour lever une fille ou, les jours d’amnésie, pour acheter des cigarettes. J’avais, un chien de ma chienne, exclu le train de ma vie pour lui préférer la marche, la bicyclette et l’automobile. J’ai survécu.
Par une pareille canicule, ma vieille arthrite se rappelle, ironique, à mon bon souvenir, je ne t’avais pas oublié, camarade, je ne t’avais pas oublié. Ignore-la, tiens-toi droit, ferme ta veste, assure ton pas et en route. Je me redresse, fais craquer un os et c’est parti. Mes souliers rutilent. Les souliers bien cirés, les gens n’y font plus guère attention, ils n’ont plus le souci, le sens, le goût de ces détails. Les choses ne se pensent pas de la même manière en souliers briqués qu’en godillots crottés. C’est maman qui disait ça. J’étais gamin. Avec le poids des ans, la boucle se boucle, la mémoire de l’enfance vous revient, paraîtil. Et les vêtements, s’habiller bien en toute occasion, en toute saison, de la tenue, de la correction, du respect, aujourd’hui cela s’est perdu. Peut-être est-ce l’âge qui me rattrape. S’habiller bien, la peur d’avoir froid sans doute. «Personne n’est jamais à l’abri du froid, jamais» m’avait dit quelqu’un, un jour.
Des panneaux publicitaires polychromes me surplombent et me toisent. Ils vantent les mérites d’un alcool exotique. Il y a du vert cru, du jaune acidulé et un bleu saturé qui s’accordent parfaitement aux couleurs des lieux. Invitation au voyage. Le hall, tout en hauteur, de pierre et d’acier d’un autre siècle, résonne, bruyant du bruit des voyageurs affairés. Ils marchent vite, parlent vite, sont pressés, vite, vite, faut pas traîner, pas traîner, hop, hop, au suivant, la suite, vite la suite, allez, allez, pas là pour rigoler. A un malheureux dans une cage en verre, je demande un aller simple, règle et me dirige vers les départs. Sur le quai, un banc et sur le banc, assise bien droite, une petite vieille. Singulier tout de même qu’il y ait toujours, dans nos parages, une petite vieille posée là, le bras crocheté à son sac. La petite vieille me regarde simplement passer en me suivant du regard. Un curé passe aussi qui ne me voit pas, ni moi ni les autres, je crois qu’il ne voit rien, tout à sa foi sans doute, il pourrait tout aussi bien être aveugle. Une jeune femme me fait un signe de la
main, il y a de l’amour dans cette main. «Alors les gars on peut y aller ? » tonne un homme que je suppose être, à son bleu de chauffe, l’un des conducteurs. Sa voix de stentor détonne avec le frêle de son allure. Il m’adresse, au passage, un clin d’œil en me lançant «Elle est belle ma machine, hein ?!! ». Des messieurs en uniforme, comme tous les messieurs en uniforme, s’assurent que tout est en ordre, uniforme. Ils arborent, intemporels, l’air important de ceux qui, d’un simple geste, peuvent faire se mouvoir des tonnes d’acier et les centaines d’existences afférentes. Je grimpe sur le marchepied, me retourne, la petite vieille n’est plus là. Je rejoins une place et m’installe, je m’étire, prends mes aises. Le train démarre, le convoi s’ébranle, je crois que c’est l’expression consacrée, tout comme les pionniers à la conquête de l’Ouest avec leurs chariots, les départs chamarrés des caravanes de chameaux, il y a toujours, quelque part, un convoi qui, à un moment, s’ébranle. Une voix dans des haut-parleurs émet des mots que je n’entends pas. Je sors un paquet de cigarette, en extrait une. Un garçon, huit ans peut-être, me montre du doigt un panneau qui indique : interdiction de fumer. J’hésite, me ravise et allume ma cigarette. Le garçon, l’œil courroucé et réprobateur, change de place. Ce n’est pas grave, je manquerai moins d’espace. Le train atteint rapidement sa vitesse de croisière, le paysage fluide défile. Même lointaine, même feutrée, ma mémoire et mon corps reconnaissent la rythmique
hachée de l’orchestre rails / essieux. Tatac taboum tatac taboum tatac taboum. Je m’abandonne, mes pensées vont et vaquent à leurs occupations. Bercé, je sens mon sexe se durcir, une érection, tiens donc, salut ma vieille. Je méconnaissais le pouvoir érogène des voyages en train, me voici édifié. Cela peut expliquer des choses. Le temps passe. La voix dans les haut-parleurs s’est tue. Le silence règne dans le compartiment. Je ne sens plus mon arthrite. Je ne distingue plus guère le décor qui va me fuyant à très grande vitesse. Je m’assoupis. Le train s’arrête dans un crissement hystérique, acier contre acier. Les passagers descendent sur le quai, je les reconnais, étonné de ne pas les avoir vu avant, ils sont vêtus simplement, à la mode d’avant, du temps où je prenais le train. Chacun est lesté qui d’un enfant, qui d’une femme, d’un parent, d’un bagage. Dans les yeux la même lueur d’appréhension, la peur de l’inconnu, les gens ne se parlent pas, leurs regards s’évitent, même les plus aisés semblent humbles, partout des étoiles, une myriade, ici des épaules se voûtent un peu plus, devinant le poids du fardeau qui vient, un peu comme lorsqu’on sent sourdre les mauvais jours, la nuit, la neige, le froid, là une main en serre une autre un peu plus fort, je pense à papa qui me chantait une chanson qui parlait de lendemains qui chantent, papa qui tout en s’éloignant, me fait un signe de la main en criant, par-dessus la foule grise, nous nous retrouverons plus tard, mon garçon, nous nous retrouverons plus tard. Papa qui disait de la vie, comme de maman, elle est belle, divinement, et pas facile.
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Par Sophie Kaplan
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Le pays de Lucas, le chauffeur de locomotive, était minuscule Michaël Ende, Jim Bouton et Lucas le chauffeur de locomotive (1960)
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une Locomotive aux pouvoirs magiQues
Par Bernard Umbrecht • Photo : Patrick Perrot
Michaël Ende est né en 1929 à Garmisch Partenkirchen. Fils du peintre surréaliste Edgar Ende, il a d’abord reçu une formation théâtrale et exercé le métier d’acteur, avant de se pencher sur l’écriture. En 1954, il commence sa carrière d’écrivain à Munich. Il nous a laissé de nombreux ouvrages : romans, nouvelles, contes, essais et pièces de théâtre. Il est décédé en septembre 1995 en Italie où il s’était retiré. Ses ouvrages les plus connus sont : • Jim Bouton et Lucas le chauffeur de locomotive (1960) • Jim Bouton et les Terribles 13 (1962) traduits par Jean-Claude Mourlevat et édité chez Bayard Jeunesse en 2004 • Momo ou la Mystérieuse histoire des voleurs de temps et de l’enfant qui a rendu aux hommes le temps volé (1972) traduction de Corinna Gepner publiée par Bayard Editions en 2009 • L’Histoire sans fin (1979), traduit par Dominique Autrand Livre de poche 2008 • La soupière et la cuillère (1990) traduit par Jean-Louis Foncine Pocket Jeunesse 1999 Jim Bouton et Lucas le chauffeur de locomotive sera raconté par André Leroy mercredi 14 décembre 2012 à 15h et 19h30 au Théâtre de la Sinne et à la demande dans les écoles et les bibliothèques À partir de 8 ans • Durée 1h
L’œuvre de Michal Ende, Jim Bouton et Lucas, le chauffeur de locomotive est l’un des romans les plus célèbres de la littérature “enfantine” d’après guerre en Allemagne. Cette magnifique histoire commence sur la minuscule île de Lummerland. Elle a beau être toute petite, elle dispose d’un chemin de fer. Une chanson précise : Une île avec deux montagnes dans la lointaine et profonde mer Avec beaucoup de tunnels, de rails et un chemin de fer…. Une île avec deux montagnes reliée au monde par un téléphone… Lummerland est une sorte d’Atlantide incomplètement engloutie, dont émergeraient deux pointes, pays d’utopie dans lequel l’homme vivrait en parfaite harmonie avec la nature et la technique. Dans les pays de langue allemande, Lummerland est devenu synonyme de lieu convivial, chaleureux. Sur cette petite île, il n’y a que deux maisons, une “ordinaire” avec un magasin dedans et un château où habite le roi Alphonse de Midi moins le quart. Et bien sûr une gare. Une gare pour quatre personnes – car ils n’étaient que quatre- ce n’est pas rationnel, dira-t-on. Justement nous sommes dans un histoire magique, quelque peu dadaïste. Cette gare abrite une locomotive, Emma, bichonnée par son chauffeur, Lucas. Un jour arrive sur cette île un colis. Dans le paquet, un bébé noir qu’on appellera Jim, parce qu’il avait une tête à s’appeler Jim. Et Bouton parce qu’à force de trouer ses pantalons, il ne restait plus qu’à les rapiécer avec un bouton. Jim Bouton grandit en bonne harmonie avec les habitants de l’île. Mais l’île devient trop
petite pour les cinq. Quelqu’un doit partir. Ils seront trois à le faire : Jim, Lucas et Emma. Emma est une locomotive-tender - on appelle ainsi les locomotives dans lesquels les réservoirs d’eau et de charbon font corps avec la machine – capable d’effectuer des prouesses techniques et d’être transformée au fil des nécessités en bateau, tracteur, aéroplane, sous-marin. Avec Emma, Jim et Lucas partiront à l’aventure. Elle les mènera à Mandala, un pays dont les habitants ont les yeux en amande. Là, ils apprendront que Li Si, la fille de l’empereur Ping Pong, est prisonnière de la Cité des dragons – Kummerland, pays des idées noires et des soucis.. Elle a été enlevée par une bande de pirates, les Terribles 13 et vendue au dragon, Mme Malzahn. Emma, Jim et Lucas partiront la délivrer. Nous ne raconterons pas le détail des aventures et encore moins leurs dénouements, qui occupera deux volumes, laissant à chacun le plaisir de les découvrir pour nous concentrer- circonstance oblige sur cette étrange et magique locomotive à la fois maternelle et terrifiante. Michael Ende la décrit comme se balançant “à la façon d’un grand berceau”. Elle donnera naissance à une petite locomotive que Jim appellera Molly. On reconnaît là la liberté d’écriture de l’auteur et son ascendance surréaliste. Il est le fils d’un des rares peintres surréalistes allemands. Emma fait peur aussi à ceux qui n’ont jamais vu de machine à vapeur. Quand ils la voient, les habitants de Mandala se dispersent terrifiés. De même les demi-dragons : dès qu’Emma apparaissait, tous cachaient vite leur tête. Ils croyaient sans doute qu’un grand et terrible dragon traversait leur pays.
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C’est elle qui dans un combat singulier affrontera et vaincra le dragon. Dans le second tome, Jim bouton et les Terribles 13, la découverte d’un puissant aimant permettra à Lucas de transformer la locomotive et d’inventer la perpétumobile, “capable d’avancer perpétuellement sans carburant ni charbon, ni rien du tout”. Le roman lui-même est le fruit d’une aventure. Il a même failli ne jamais exister. Michael Ende a raconté comment il est né :
L’écriture comme aventure
« je me suis installé devant la machine à écrire et j’ai écris : Le pays où vivait Lucas le chauffeur de locomotive était un pays minuscule. C’était la première phrase et je n’avais pas la moindre idée de la seconde. Je n’avais aucun plan, aucune idée. Je me suis laissé porté sans intention d’une phrase à l’autre, d’une idée à l’autre. J’ai découvert l’écriture comme aventure. (…) Lorsque dix mois plus tard, j’écrivis la dernière phrase, j’avais un épais manuscrit devant moi ».
« Mais, tandis qu’ils désespéraient de trouver une idée, leur salut se préparait à l’extérieur. En effet, la vapeur qui montait de la cheminée d’Emma se transformait aussitôt en neige qui (…) s’accumulait sur les Roches noires, les empêchant d’absorber la lumière. Au milieu du néant et de l’obscurité apparut soudain un morceau de route blanche qui semblait flotter dans les airs ».
Pour un peu l’aventure se serait arrêtée dans la région des Roches noires, devant la Bouche de la mort, l’auteur ne sachant plus comment avancer et se refusant à reprendre l’histoire ailleurs. Une fois encore, la solution vient d’Emma, la locomotive :
Nous sommes sauvés, s’écrient Lucas et Jim, ainsi que l’auteur lui-même pour le plus grand bonheur des lecteurs. Mais l’aventure du livre prendra encore une autre dimension car ce n’est pas tout d’écrire un livre, encore faut-il trouver un éditeur. Pas moins de dix maisons refuseront le manuscrit arguant que les enfants ne lisent pas d’aussi gros livres. Michael Ende scindera son manuscrit de 500 pages en deux volumes. Lorsque le premier Jim Knopf und der Lokomotivführer paraîtra en 1960, chez l’éditeur Thienemann, il obtiendra immédiatement le prix allemand de la littérature jeunesse. Michael Ende l’apprendra au moment même où sa logeuse lui déclare qu’elle allait porter plainte pour sept mois d’arriérés de loyer. Voilà une locomotive bien méritante.
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A midi et demi, le train s’arrêta à la station de Burhampour, et Passepartout put s’y procurer à prix d’or une paire de babouches, agrémentées de perles fausses, qu’il chaussa avec un sentiment d’évidente vanité. Jules Verne, Le Tour du monde en 80 jours, 1873
Les seigneurs du rail Par Philippe Schlienger
Höchte Eisenbahn par le théâtre Handgemange (Allemagne)
Lorsque j’essaie de me souvenir des centaines de spectacles qui sont venus illuminer les yeux des milliers d’enfants spectateurs de MOMIX au cours de ces 20 dernières années, il y a quelques spectacles qui reviennent toujours à la surface et, parmi eux, Höchte Eisenbahn par le théâtre Handgemange. La caractéristique principale de cette production réside dans son écriture scénique, avec sur scène, la réplique en modèle réduit d’un train électrique avec toutes les petites mer veilles mécaniques, du cliquetis des aiguillages, aux feux rouges et verts, en passant par le mouvement des roues motrices et le sifflement de la cheminée… Un vrai petit monde en miniature animé par deux adultes passionnés qui se retrouvent tous les dimanches pour inventer une nouvelle histoire.
Celle que nous présente la compagnie s’inspire du désir de son metteur en scène Peter Müller pour qui, le chemin de fer représente une véritable mutation du XXème siècle en Allemagne. Celui-ci a joué un rôle déterminant dans l’industrialisation des villes qui se sont tout à coup reliées, des gares imposantes ont été construites. Et il y eut aussi le côté dramatique avec les trains de la mort qui ont envoyé des millions de personnes dans les camps de concentration. Pour construire son histoire, Peter Müller a recherché et lu des textes comme celui de Hans Christian Andersen où il raconte son premier voyage en train de Dresde à Leipzig, avec ces nouvelles sensations comme la pression de l’air causée par la vitesse, le défilement des paysages ou la sensation de glisse. Mais l’ouvrage qui a inspiré l’auteur de ce spectacle fut Kindergeschichten et en particulier Hoppel, Poppel, wo bist du ? de l’auteur allemand Hans Fallada dans lequel le train est particulièrement présent. C’est à partir de cet intérêt, voire de cette fascination de Peter Müller pour le monde du rail, qu’est né ce spectacle. Le spectateur est invité à entrer dans cet univers et se retrouve lui-même totalement subjugué par la mise en scène. D’abord bien sûr, il y a cette extraordinaire maquette vivante d’un circuit et de son environnement. Le train traverse des plaines, croise des vaches, passe dans des tunnels et gravit des montagnes. Mais nous sommes tout autant emballés par ce décor que par le jeu des comédiens, leur complicité et l’étonnante relation qu’ils créent en inventant une histoire comme ça, en direct, spontanément avec des changements d’échelle, entre histoire vécue et racontée… et on y croit.
Le spectacle nous emmène, que dis-je !, nous transporte dans cet univers par l’artifice des arts de la scène : théâtre, marionnettes, ombres, dans un univers musical ou tous les bruits d’ambiance ont été enregistrés sur les quais et dans la gare de Berlin. Il y a aussi la musique qui joue un beau rôle avec un “classique du genre” This is a man’s world de James Brown, pour parler des hommes et de leur hobbies, ou encore Island in the sun de Harry Bellafonte, pour parler de ce petit monde idéal que représente le chemin de fer miniature et s’en moquer un peu. Le spectacle a été primé en 2005 lors du festival MOMIX et est revenu en 2010 lors du festival Trans(e) organisé par La Filature. Il tourne dans le monde entier avec des versions en anglais, en espagnol… peut-être reviendra t-il un jour à Kingersheim. Prochaine édition du festival international MOMIX 26 janvier – 7 février 2012 www.momix.org www.handgemenge.com
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Les petits trains d’André Ullrich Par Philippe Schweyer • Photo : Stephen Dock
Théo et Budi Par Nicolas Ziegler, Musées Sud Alsace
Retraité depuis 1996, André Ullrich a travaillé 44 ans et demi au Crédit Mutuel à Mulhouse. En 1978, la direction du Crédit Mutuel Sainte-Marie lui propose d’installer son réseau ferré miniature dans le hall d’entrée de la banque pendant les fêtes de fin d’année. C’est un joli succès et l’opération est reconduite les années suivantes. En 2002, la banque, qui s’est transformée, n’a plus assez de place pour accueillir la maquette qui n’a cessé de s’étendre. L’occasion est belle de faire rouler ses petits trains à proximité des énormes locomotives du Musée du Chemin de fer. Depuis, André Ullrich vient plusieurs fois par semaine à la Cité du Train pour bichonner son réseau ferré au 1/87 e. Il s’agit de réparer les machines tombées en panne, de graisser ce qui doit l’être et aussi de chasser son pire ennemi : la poussière. Pour bâtir sa ville imaginaire, il a pu compter sur l’aide précieuse de son épouse. Ils ont utilisé de
la bande plâtrée pour faire le relief et des boîtes de construction pour la plupart des bâtiments. Par exemple, son épouse a mis toute une semaine à bâtir une église qui s’inspire directement de la cathédrale de Stuttgart. Pour pimenter cette ville à la campagne pleine de surprises, André a même imaginé quelques scènes coquines visibles uniquement par les grands. Cinq trains, un tramway, un train à crémaillère, un funiculaire, un téléphérique, une télécabine et un télésiège circulent en permanence sur son réseau. Dans sa ville imaginaire, il y a même de l’eau qui descend de la montagne, coule jusqu’au bout d’un canal, puis redescend pour faire tourner un moulin. Avec beaucoup de patience, on dénombre plus de 2000 petits personnages, dont une poignée de nudistes. La plupart ont été peints par son épouse avec laquelle il concède avoir eu quelques soucis quand elle voulait mettre un bâtiment là où il venait de poser des rails. Désormais, elle se
consacre à son propre dada : la fabrication de maisons de poupée. A la Cité du Train, André rencontre de nombreux modélistes qui apprécient en connaisseurs son réseau et répond avec malice aux questions farfelues des curieux. Parfois il doit se justifier auprès d’employés de la SNCF qui ne comprennent pas qu’il fasse circuler une locomotive Veolia dans un musée français ou à des soi-disant spécialistes qui lui reprochent de ne pas faire rouler ses trains à gauche. Ces ignorants ne savent pas qu’en Alsace les trains roulent à droite comme en Allemagne ! Il y a une vingtaine d’années, André a pris le Transsibérien de Moscou jusqu’à Irkoutz, soit 5000 km en cinq jours. Il y a deux ans, il a voyagé dans un train de nuit et un train de jour entre Shanghai et Pékin. Il se souvient aussi que pendant son service militaire, il est allé d’Oran à Meknès et de Meknès à Casablanca en train. Mais ça, c’est une autre histoire.
La Cité du Train et Musées Mulhouse Sud Alsace accompagnent les enfants de 6 à 18 ans dans la découverte de l’histoire du chemin de fer. Pour cela, plusieurs outils d’aide à la visite, ludiques et amusants, sont disponibles gratuitement à l’entrée de la Cité du Train et sur www.musees-mulhouse.fr . Les enfants entre 4 et 7 ans ont leur guide personnel. Théo, épaulé de son ourson Budi, accompagneront les plus jeunes dans un parcours à travers le musée dans le but de découvrir la naissance et l’histoire du chemin de fer. Ce carnet sous forme de questions d’observation autour des collections du musée permet à l’enfant d’assimiler les points importants de sa visite et d’aborder une réflexion autour de celle-ci. Les plus âgés perceront les mystères de la collection de la Cité du Train grâce à un carnet de voyage dont chacun des billets aborde un thème différent comme les évolutions ferroviaires ou les métiers du chemin de fer… Les enfants peuvent également emmener leurs parents au musée. Ces derniers pourront se référer à deux documents (du tram au Tram et le document pour l’enseignant) pour faire découvrir l’histoire et la richesse de la collection de la Cité du Train. Celle-ci raconte l’aventure ferroviaire de ses origines jusqu’au TGV.
livres
Illustrations : Loïc Kessler
Le Petit train du florival Coup de cœur de la Librairie Bisey Jean Egen dans Les Tilleuls de Lautenbach a donné à ce village une célébrité nationale. On sait moins que Lautenbach a été aussi, de 1870 à 1992, le terminus d’une ligne de chemin de fer qui transporta avec régularité marchandises et voyageurs. C’est cette histoire que relatent, dans le détail et l’image, Vincent Conrad et Denis Lieber dans « Le Petit Train du Florival » paru en 2011. Un beau et grand livre pour cette petite ligne de 13 km, de Bollwiller à Lautenbach ! Le petit train du florival. De Bollwiller à Lautenbach par les chemins de traverses par Vincent Conrad et Denis Lieber. 224 pages, 49 €.
Panorama des Vosges et du chemin de fer de Strasbourg à Bâle Coup de cœur de la librairie Le Cadratin C’est un livre d’images pour grands enfants d’un autre temps que je vous convie à feuilleter. Un album composé de quatorze vues lithographiées, formant un panorama totalisant plus d’un mètre de long. Il s’intitule Panorama des Vosges et du chemin de fer de Strasbourg à Bâle et fut publié par Simon à Strasbourg en 1842. Chacune des planches successives constitue en soi une jolie scène pittoresque fourmillant de mille détails. Au premier plan figurent les scènes bucoliques, champêtres, scènes de la vie rurale et paysanne. A l’arrière plan, les reliefs vosgiens ainsi que les ruines sont finement légendés. Sur chaque page avance fièrement une locomotive filant son panache de vapeur, suivie de ses wagons. Les voitures de 3° classe, découvertes, laissent apparaître les voyageurs debout, semblant apprécier et admirer le paysage que certains pointent de leur bras tendu. Cet album rend hommage, sans le nommer,
au génie industriel et commercial du mulhousien Nicolas Koechlin, constructeur et financier de la ligne. Il magnifie aussi les prémices d’un tourisme naissant en immortalisant la découverte des nouveaux horizons ouverts aux citadins curieux des beautés de leur région.
TGV, une aventure humaine Coup de cœur de la librairie The Book Corner Le TGV, mis sur les rails il y a trente ans, a révolutionné le transport ferroviaire et redessiné les cartes de France et d’Europe en modifiant nos repères d’espace-temps. La construction d’une ligne de TGV, qu’il s’agisse des rames elles-mêmes, mais aussi des voies et des gares qui jalonnent son parcours, doit respecter au mieux les normes environnementales et limiter la consommation d’énergie. La grande vitesse sur rails et son faible impact écologique font donc du train un moyen de transport très prisé des voyageurs. Depuis trente ans, le TGV a gagné en puissance, en vitesse, en sécurité, en capacité. Toutes ces avancées sont le résultat du travail acharné d’hommes et de femmes passionnés. Cet ouvrage de Jean-François Guiot offre un regard unique sur cette merveilleuse aventure humaine et technologique à travers plus de 160 photos inédites de la construction du TGV. TGV, une aventure humaine par Jean-François Guiot, préface de Philippe Mirville Éditions ETAI, 207 pages, 45 €.
Hier en chemin Coup de cœur de David Cascaro Hier en chemin, deuxième volume des carnets de l’écrivain autrichien Peter Handke porte bien son nom. Journal sans dates, il contient autant de notes brèves,
d’aphorismes, de visions, de petites pensées surgies au fil d’un nomadisme qui dura presque trois ans. Trois années durant lesquelles il marcha à travers l’Europe, de l’Écosse à la Grèce et audelà. Trois années pendant lesquelles il voyagea en train, préférant les hôtels et les buffets de la gare aux centres-villes. On lit ces notes au rythme lent de la marche à pied ou à la vitesse de croisière des trains, qui permet de voir le monde. Entre jukebox et militaires, portrait d’inconnues et invention du paysage, Peter Handke se laisse aller à la contemplation et indique régulièrement, entre parenthèses, où ses réflexions naissent : « (dans le train pour Cordoue) », « (dans le train LimogesSouillac) », « (dans le train pour Rouen) », etc. On croise alors des gisants dans une gare, une marchande de pains sur un quai, un enfant handicapé qui regarde les trains passer. On entend le « vacarme vivifiant du canyon » des trains des Batignolles, on passe une nuit dans une salle d’attente, on voit cet « homme seul au buffet de la gare de Metz, verser un fond de vin dans son café ». Et on finit par se coucher, avec l’auteur, « au bord des rails dans l’ombre d’un oranger ». Hier en chemin Carnets, novembre 1987-juillet 1990 Par Peter Handke Éditions Verdier. 25 €.
Des Rails sur la Prairie et la série Traffic Les coups de cœur de Canal BD A peu près personne ne pourra contredire le fait que lecture et train font excellent ménage. Hormis les esprits chagrins, ou ceux qui préfèrent dormir dans celui-ci. Pour autant, le stéréotype qui veut que seuls les romans ont leur place dans les compartiments est à annihiler de suite. La bande dessinée remplit elle aussi son office dans les couloirs de wagons. Et comme elle est généreuse, elle tient aussi à rendre hommage au milieu ferroviaire. A première vue, les références ne sont pas légion, mais certaines séries y sont carrément dédiées. Il faut bien admettre que le train et plus généralement le chemin de fer ont depuis longtemps nourri notre inconscient collectif, l’imprégnant d’images fortes et quasi indélébiles. Soit du matériel pour beaucoup d’auteurs BD. Prenons pour exemple le Lucky Luke intitulé « Des Rails sur la Prairie » qui a pour toile de fonds la lutte acharné que se livraient les différentes compagnies de train durant la période mythique du Far West, outil nécessaire pour faciliter les relations entre les hommes mais également entre les biens. Un outil de développement
si important pour l’humanité que le combat fait rage pour devenir ce nouveau pourvoyeur de contrées infranchissables et de terres de rêves. Le tout compté avec la verve humoristique de Goscinny et le trait malin de Morris. Mais attention, l’image du train en BD, bien qu’elle soit présente, n’est pas figée à quelque chose de révolu. Pour preuve, la série intitulée Traffic, qui a pour base le milieu ferroviaire. Loin de se limiter aux styles narratifs habituels du train, c’est-à-dire la conquête d’espace, les westerns mythiques, elle crée une personnalité inédite pour les néophytes du tchou-tchou. En trois volumes indépendants, cette série explore une large palette de pistes. Le premier titre narre l’histoire d’un cheminot, manipulé par un chirurgien terroriste lui ayant greffé une bombe dans le thorax, afin que le premier vole un prototype de locomotive (prototype effectivement à l’essai). Le second est un ancien agent spécial voulant obtenir certaines informations concernant l’affrètement par voie ferroviaire, poursuivi par un ancien collègue belliqueux. Le troisième narre une fable sentimentale d’un mathématicien essayant de calculer les probabilités de rencontrer une femme dont il est tombé amoureux dans une gare. Chaque album laisse la place à une nouvelle équipe, leur permettant ainsi de dévoiler leurs meilleures histoires et narrer les fantasmes véhiculés par cette « bête humaine ». Le départ, l’arrivée, les arrêts et le mouvement sont autant de métaphores de la vie que les auteurs peuvent exploiter pour faire du train un milieu propice à de bons thrillers ou de belles histoires comme ceux décrits plus haut. Jamais nous n’avons eu aussi envie de prendre son temps dans le train !
Le Train Coup de cœur de Fabien Velasquez Le train, composé d’innombrables wagons, roule sans s’arrêter. Les voyageurs ne semblent pas se soucier de leurs destinations. Quelque part, une locomotive doit bien tirer le train, mais personne ne l’a jamais vue. Pourtant règne ici une étrange ambiance, faite d’abandon et de fatalisme. Dans cet univers clos et en perpétuel mouvement, des gens se croisent, des couples se perdent, avec bien peu de chance de se retrouver… Pour son premier récit d’envergure, Chihoi, auteur hongkongais, s’est librement inspiré d’une nouvelle du poète taïwanais Hung Hung. En fin de volume est présentée la nouvelle originale de Hung Hung, permettant ainsi une comparaison enrichissante et ludique entre le texte et son adaptation. Le Train par Chihoi & Hung Hung Éditions Atrabile, 80 pages, 13€.
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L’énigme du Chicago Express Coup de cœur de Pierre-Louis Cereja Vers le cimetière ? Dans le film noir américain, on connaît bien le témoin à charge, couvé par des policiers anxieux, qui doit aller déposer devant un tribunal et faire tomber un caïd de la pègre… Le plus souvent, c’est en train – huis clos propice à tous les règlements de compte – que ce témoin va d’un coin à l’autre des Etats-Unis. En 1952, pour la RKO d’Howard Hughes, Richard Fleischer tourne « The Narrow Margin ». Son budget est modeste et il ne dispose d’aucune tête d’affiche. Le cinéaste, qui tournera plus tard « 20.000 lieues sous les mers » et « Les vikings », boucle son film en treize jours mais montre un sens de la mise en scène qui dépasse largement les standards de la série B. A part les brèves séquences d’exposition, tout le film se déroule dans le Golden West lancé entre Los Angeles et Chicago. A bord, des malfrats comme on les aime, un flic bourru qui fume sans arrêt et la veuve d’un gangster qui n’est pas forcément celle que l’on croit. Il y a aussi un gros bonhomme qui coince l’étroit couloir du train : « Personne n’aime le gros, dit-il, sauf son épicier et son tailleur… » Quant à la veuve du truand, elle soupire : « Ce train va tout droit au cimetière… » L’énigme du Chicago Express Collection RKO chez Editions Montparnasse. 14 €.
La Bête humaine Coup de cœur de Pierre-Louis Cereja Train d’enfer Si, en 1938, Jean Renoir s’attaque à « La Bête humaine » d’Emile Zola, c’est parce que Jean Gabin, grande star de l’époque, a envie de conduire… une locomotive. Il en aura largement l’occasion en se glissant dans la peau du cheminot Jacques Lantier qui aime sa machine comme une femme. « La Bête humaine » est une pure tragédie sociale traversée par le hasard, le désir et le destin. Dépassé par les pulsions qui s’agitent autour de lui, Lantier ne peut faire face aux forces qui le conduisent vers la mort. Comme chez Zola, c’est la Lison, la loco de Lantier, qui sera l’instrument décisif d’une terrible maladie d’amour. La séquence d’ouverture du film, où Gabin conduit réellement le Paris-Le Havre est l’une des plus belles scènes ferroviaires de l’histoire du cinéma. Sobre, documentaire et lyrique à la fois, « La Bête humaine » fait des travellings avant de la locomotive autant de symboles d’une course, à train d’enfer, vers la mort. La Bête humaine ~ Studio Canal. 10 €.
Certains l’aiment chaud Coup de cœur de Pierre-Louis Cereja La blondeur de Sugar Dans la remarquable filmographie de Billy Wilder, « Some like it hot » (1959) est un faux thriller mais une vraie comédie qui se déroule dans l’Amérique de la prohibition. Témoins d’un massacre entre deux bandes rivales, deux musiciens sans emploi (Tony Curtis et Jack Lemmon) sont contraints de se déguiser en femmes pour intégrer un orchestre féminin et échapper à l’exécution promise par les gangsters… A bord d’un train en partance pour Miami, Joe et Jerry, devenus Daphné et Joséphine, vont rencontrer Sugar, musicienne et chanteuse qui interprète « Runnin’ Wild » au ukulélé. Sugar, c’est Marilyn Monroe, toujours sexsymbol mais plus « humaine » que jamais… Film sur le travestissement et la confusion des sexes, « Certains l’aiment chaud » comporte une épatante séquence ferroviaire où Joe et Jerry ont toutes les peines du monde à ne pas craquer devant des beautés qui vont et viennent. Sur sa couchette, Daphné/Jack Lemmon est obligé(e) de se répéter à l’envi « Je suis une fille, je suis une fille ! » pour ne pas dévorer la blondeur offerte de Sugar… François Truffaut avait bien raison de dire que « les films avancent comme des trains dans la nuit… ». Certains l’aiment chaud Twentieth Century Fox. 15 €.
Rego et Bernard Menez en contrôleurs SNCF tentent de faire comprendre à la belle Déjanira qu’elle est en infraction d’abord parce que dit Menez, you are in a first class and secondly you didn’t stamp your ticket à la gare. Rego tente d’être plus direct, elle aurait dû faire chtonck à la gare... Bientôt une jeune femme avocate affublée d’un chien qui marche sur ces poils viendra à la rescousse de la belle. Le voyage passe par Nantes et le tribunal où Yves Afonso, marin à l’Ile d’Yeu a été convoqué. Rozier nous entraîne entre mer et terre, dans une dérive délirante où la comédie de la vie finit par vaciller. Maine Océan ~ Agnès b. DVD. 15 €.
Marie Straub et Danièle Huillet. Dans un compartiment de train-couchette, le héros rentre au pays. En face de lui, un homme se fait passer pour un autre. Un sourire à peine esquissé, une paupière qui se soulève un peu trop, un timbre de voix qui se perche, cela se repère image par image, c’est infime. Au montage, il s’agit de le laisser paraître un peu mais pas trop, juste à peine, mais assez pour que le spectateur le devine. Et soudain de comprendre la source de mon plaisir de spectateur. Coffret Danièle Huillet et Jean-Marie Straub, Vol.2 Editions Montparnasse. 39 €.
Rio Lobo
Robert Cahen (Films + Vidéos 1973-2007)
Coup de cœur de Catherine Bizern
Coup de cœur de la rédaction
Autre ambiance, autre début de film inoubliable que l’attaque du train de la riche et organisée armée nordiste par des fauchés mais malins sudistes. Ce seul prologue jubilatoire, minutieusement mis en scène de Rio Lobo fait toute la valeur du dernier film de Hawks. Ensuite, John Wayne se retrouvera, comme dans El Dorado, dans une ultime déclinaison de Rio Bravo, un film plus qu’essentiel quant à lui, même s’il n’y a que des hommes, une femme, des chevaux et pas de train. Coffret John Wayne ~ Paramount. 15 €.
Robert Cahen, artiste français né en 1945, réalise, depuis 1973, des films et des vidéos. Les vingt-neuf œuvres réunies dans ce coffret traduisent l’univers singulier de l’artiste et le caractère expérimental des œuvres du début. De 1969 à 1971, il reçoit une formation initiale de compositeur au sein du Groupe de Recherches Musicales (GRM). Mais très vite, il s’oriente vers l’image et la vidéo pour laquelle il applique les expérimentations techniques et linguistiques de l’école de la musique concrète. Un CD audio comportant six œuvres musicales inédites rappelle le rôle important du GRM dans la formation et les orientations artistiques de l’artiste. Coffret 2DVD (29 films) et 1 CD audio comportant six œuvres musicales inédites. 40 €. www.ecartproduction.net.
Maine Océan
Sicilia !
Coup de cœur de Catherine Bizern
Coup de cœur de Catherine Bizern
C’était en 1986, le train pour Nantes s’appelait encore l’express Maine Océan et Jacques Rozier nous offrait une des scènes les plus hilarantes du cinéma français : Luis
Dans Où git notre sourire enfoui, le film de Pedro Costa (dans la série cinéastes de notre temps) on assiste au montage d’une des plus belles scènes de Sicilia de Jean-
Le paysage dans le cadre des portières Court furieusement, et des plaines entières Avec de l’eau, des blés, des arbres et du ciel Vont s’engouffrant parmi le tourbillon cruel Où tombent les poteaux minces du télégraphe Dont les fils ont l’allure étrange d’un paraphe. Une odeur de charbon qui brûle et d’eau qui bout, Tout le bruit que feraient mille chaînes au bout Desquelles hurleraient mille géants qu’on fouette ; Et tout à coup des cris prolongés de chouette. Que me fait tout cela, puisque j’ai dans les yeux La blanche vision qui fait mon cœur joyeux, Puisque la douce voix pour moi murmure encore, Puisque le Nom si beau, si noble et si sonore Se mêle, pour pivot de tout ce tournoiement, Au rythme du wagon brutal, suavement. Paul Verlaine, La bonne chanson, 1872
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remerciements Michel Bisey, Amal Bouhlal, Anne-Claire Boyard, David Bres, Céline Bruno, Robert Cahen, Renaud Chabrier, Caroline Châtelet, Jean-Jacques Delattre, Marc Deyber et Nicolas Jeangeorge, Olivier Dieterlen, André Doll, Franck Ebersold, Jean-Pierre Ehrmann, Fanfan, Stéphanie Fischer, Luc Gaillet, Luc Georges, Christophe Greilsammer, Philippe Greth, Estelle Hassenforder, Sonia Hum, Gérard Keller, Yann Marie, Paul-Philippe Meyer, le collectif Ödl, Stéphanie Pain, Patrick Perrot, l’équipe du Pôle Documentaire de la Fonderie, l’équipe du colloque Station to Station, Philippe Moritz, André Reboul et toutes les équipes de la SNCF mobilisées sur le projet, Anton Riba, Thierry Schlawick, Philippe Trimaille, Jeanne Ullrich, Anne Weber, Raymond Woog, Sandrine Wymann, les services de la ville de Mulhouse et Mulhouse Alsace Agglomération et tous les autres participants.
contributeurs Beko (créatif), Catherine Bizern (directrice du festival EntreVues à Belfort), Sébastien Bozon (photographe), Robert Cahen (vidéaste), Pierre-Louis Cereja (journaliste à L’Alsace), Adrien Chiquet (directeur du festival Météo), Jean-Jacques Delattre (photographe), Mohamed Dendane (président du cinéma Bel Air), Stephen Dock (photographe), Jocelyn Dupont (maître de conférences en littérature et cinéma anglophones), Florence Fleck (bibliothécaire à la Bibliothèque universitaire de la Société industrielle de Mulhouse), Pierre Fraenkel (artiste), Luc Georges (photographe), Didier Girard (Professeur de littératures anglophones et européennes), Philippe Greth, Anne Immelé (photographe, enseignante au Quai), Sophie Kaplan (directrice du Crac à Altkirch), Loïc Kessler (graphiste), Christophe Lebold (maître de conférence à l’Université de Strasbourg), Hervé Levy (rédacteur en chef du magazine Poly), Bernadette Litschgi (conservateur à la Bibliothèque municipale de Mulhouse), Anna Madoeuf (maître de conférences), Marianne Maric (artiste), Paul-Philippe Meyer (Université de Haute-Alsace, membre du CRESAT), Eliane Michelon (directrice des Archives municipales de Mulhouse), Rainer Oldendorf (artiste), Valérie Perrin (directrice de l’espace multimédia gantner), Patrick Perrot (spécialiste ferroviaire), Dana Popescu (architecte), Bernard Plossu (photographe), Dorian Rollin (photographe), Denis Scheubel (artiste), Philippe Schlienger (directeur du Créa à Kingersheim), Nicolas Stoskopf (Université de Haute-Alsace / CRESAT, Pôle documentaire de la Fonderie), Laurent Stosskopf (graphiste), Nicolas Surlapierre (conservateur du patrimoine, directeur des musées de Belfort), Yves Tenret (écrivain, enseignant au Quai), Bernard Umbrecht (Tréteaux de Haute Alsace), Fabien Velasquez (espace multimédia gantner), Gilles Weinzaepflen (artiste), Nicolas Ziegler (Musées Sud Alsace).
ours Chef de gare → David Cascaro Conducteur de la loco → Philippe Schweyer Contrôleur → Loïc Beck Conception → StarHlight Impression → PubliVal Conseils médiapop ~ 12 quai d’Isly – 68100 Mulhouse Sarl au capital de 1000 € ~ Siret 507 961 001 00017 Direction : Philippe Schweyer ~ ps@mediapop.fr → 06 22 44 68 67 ~ www.mediapop.fr Dépôt légal : novembre 2011 ISSN : 1969-9514 © NOVO 2011 / Le contenu des articles n’engage que leurs auteurs.
Marianne Maric