La culture n'a pas de prix
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sommaire
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Nº33 Directeurs de la publication et de la rédaction : Bruno Chibane & Philippe Schweyer Rédacteur en chef : Emmanuel Abela emmanuel.abela@mots-et-sons.com 06 86 17 20 40 Secrétaire de rédaction : Cécile Becker Direction artistique et graphisme : starlight
Ont participé à ce numéro : REDACTEURS Natacha Anderson, Florence Andoka, Cécile Becker, Betty Biedermann, Marie Bohner, Benjamin Bottemer, Caroline Châtelet, Sylvia Dubost, Nadja Dumouchel, Sylvain Freyburger, Anthony Gaborit, Chloé Gaborit, Xavier Hug, Claire Kueny, Nicolas Léger, Stéphanie Linsingh, Guillaume Malvoisin, Alice Marquaille, Marie Marchal, Fanny Ménéghin, Antoine Oechsner de Coninck, Adeline Pasteur, Julien Pleis, Martial Ratel, Mickaël Roy, Vanessa Schmitz-Grucker, Christophe Sedierta, Claire Tourdot, Fabien Velasquez. PHOTOGRAPHES ET ILLUSTRATEURS Brahim Aboulaich, Éric Antoine, Vincent Arbelet, Janine Bächle, Pascal Bastien, Laurence Bentz, Oriane Blandel, Aglaé Bory, Marc Cellier, Ludmilla Cerveny, Caroline Cutaia, Léa Fabing, Mélina Farine, Chloé Fournier, Xavier Frère, Sébastien Grisey, Marianne Maric, Patrick Messina, Renaud Monfourny, Elisa Murcia-Artengo, Zélie Noreda, Arno Paul, Yves Petit, Olivier Roller, Dorian Rollin, Camille Roux, Christophe Urbain, Nicolas Waltefaugle, Sophie Yerly.
CONTRIBUTEURS Catherine Bizern, Bearboz, Christophe Fourvel, Vanessa Schmitz-Grucker, Chloé Tercé, Sandrine Wymann.
COUVERTURE Photo : Bombay, 2014, Pascal Bastien www.pascalbastien.com
IMPRIMEUR Estimprim – PubliVal Conseils Dépôt légal : février 2015 ISSN : 1969-9514 – © Novo 2015 Le contenu des articles n’engage que leurs auteurs. Les manuscrits et documents publiés ne sont pas renvoyés.
Ce magazine est édité par Chic Médias & médiapop Chic Médias 12 rue des Poules / 67000 Strasbourg Sarl au capital de 25000 € Siret 509 169 280 00013 Direction : Bruno Chibane bchibane@chicmedias.com – 06 08 07 99 45 Administration, gestion : Charles Combanaire
médiapop 12 quai d’Isly / 68100 Mulhouse Sarl au capital de 1000 € Siret 507 961 001 00017 Direction : Philippe Schweyer ps@mediapop.fr – 06 22 44 68 67 www.mediapop.fr
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ÉDITO 5
CARNET Le monde est un seul 7 Hortobagy Utca 9 Pas d’amour sans cinéma 11 Une balade d’art contemporain 42-43 Carnaval 98
INSITU 12-22 Le tour d’horizon des expositions de peinture, œuvres sur papier et installations
FOCUS 25-38 La sélection des spectacles, festivals et inaugurations
RENCONTRES 44-52 Lou Doillon 44 Vaudou Game 48 The Dø 50 Girls in Hawaii 51 Arnold Pasquier 52
MAGAZINES 54-91 Dossier littérature : Michel Butor, Jean-Marie Blas de Roblès, Salim Bachi et Nathalie Quintane 54 Les performances d’Ant Hampton 68 Profils au TJP 70 Nathalie Bach en Marilyn Monroe 74 Carlotta aime Orson Welles 76 Alice Rohrwacher filme les abeilles mais pas que 78 Paul Gauguin à la Fondation Beyeler 80 Grosz et Otto Dix au musée du Temps 82 Les Pussy Riot à l’ISBA Besançon 83 Radio Elvis 84 Le festival GéNéRiQ avec All We Are, Fat White Family, Grand Blanc et Buvette 88
SELECTA Disques 92
DVD 94
Livres 96
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nouvelle production
Direction musicale
Daniele Callegari mise en scène
Olivier py
Chœurs de l’ OnR Orchestre symphonique de Mulhouse
Dukas
StraSbourg OpéRa 26 avril > 6 mai
MulhouSe la filatuRe 15 > 17 mai
www.operanationaldurhin.eu
saison 2014-2015 – photo klara Beck – graphisme ONR – licences 2-1078904 et 3-1078905 – éditions Durand
aRiaNe et BaRBe-Bleue
édito Par Philippe Schweyer
Rêvons très fort
L’esprit du 11 janvier flottait encore dans l’appartement. Parmi les invités, il y avait un peu de tout : des Musulmans, des Juifs, des bobos de gauche, des réacs de droite… Ils avaient tous leur badge « Je suis Charlie ». Retranchés à la cuisine, trois jeunes étaient en train de tirer sur un joint en compagnie de la fille de la maison. Eux n’avaient pas de badge, mais j’ai préféré leur foutre la paix. Je savais qu’ils avaient mille raisons de ne pas avoir exactement le même sens de l’humour que les dessinateurs de Charlie Hebdo. En retournant au salon, j’ai aperçu Houellebecq qui roupillait sagement à l’extrémité du canapé. Heureusement, Zemmour n’était pas là, sinon je crois bien que je me serais éclipsé sur le champ. Je me suis faufilé jusqu’au buffet pour me servir un verre de blanc. Une femme que je ne connaissais pas engagea la conversation sur un ton plaisant : - Vous aussi, vous étiez au rassemblement ? - Oui… - Moi, c’était la première fois. - J’espère que ça vous a plu. - Si nous ne sommes plus en sécurité, à quoi peut bien servir la liberté ? Je me suis resservi un verre de blanc. J’avais l’impression qu’elle cherchait à me faire passer l’oral de philo et ça ne me plaisait pas du tout. Peut-être parce qu’elle avait déjà un peu trop bu, elle a collé sa bouche à mon oreille : - Je suis prête à retourner dans la rue pour le rétablissement de la peine de mort. Merde, j’ai eu envie de lui arracher son badge « Je suis Charlie », mais je me suis souvenu que j’étais fondamentalement attaché à la liberté d’expression. Un grand black était en train de déguster un tout petit sandwich au saumon. Lui aussi avait son badge, mais j’ai pensé qu’il y avait moyen de s’entendre : - Dommage que personne ne descende dans la rue chaque fois qu’un pauvre Africain se noie en tentant de traverser la Méditerranée. Le grand black me regarda comme si j’avais dit une énormité : - Je suis pour la liberté d’expression, mais pas forcément pour la liberté de circulation. On ne peut pas accueillir toute la misère du monde… J’ai senti que je marchais sur des œufs, je ne voulais surtout pas qu’il pense que je l’avais pris pour un gentil humaniste sous prétexte qu’il était noir. Tout en me resservant un verre de blanc, je me suis dirigé vers la femme voilée qui s’était exilée sur le balcon pour fumer. Comme elle n’avait pas de badge, je me suis lancé : - Pourquoi n’avez-vous pas de badge ? - Je n’aime pas les signes distinctifs… - Mais le voile ? - C’est justement pour ne pas me faire remarquer dans mon quartier. Vous êtes tellement pour la liberté d’expression que vous voudriez interdire le port du voile ? - Je ne veux rien interdire du tout, j’ai confiance en la démocratie. Je crois qu’avec le temps, même le FN finira par s’éroder au contact de la démocratie… Il ne faut surtout pas répondre au terrorisme en rognant les libertés. Mais pourquoi porter le voile ce soir ? - Je ne savais pas quoi mettre… et je ne déteste pas provoquer. - C’est réussi ! Hier soir, j’étais au théâtre et, presque comme d’habitude, les comédiens ont fini à poil sur scène. Ça aurait été beaucoup plus provoquant qu’ils portent la burqa. - Si je me déshabille, Houellebecq finira peut-être par se réveiller. - Pitié, il risque de gâcher la soirée avec ses blagues vaseuses. - Heureusement, il paraît que rien ne sera plus jamais comme avant ! - Vous croyez ? - Pas vraiment… mais on peut toujours rêver. - Alors, rêvons très fort…
LE TRIOMPHE DE L’AMOUR
AGLAVAINE ET SÉLYSETTE
Texte
Texte
misE EN SCÈNE
MISE EN SCÈNE
Maurice Maeterlinck CÉLIE PAUTHE
© Michel Cavalca
Michel Raskine
© Elizabeth Carecchio
Mavrivaux
AVEC STÉPHANE BERNARD, PRUNE BEUCHAT, MARIEF GUITTIER ALAIN LIBOLT, MAXIME MANSION, THOMAS RORTAIS, CLÉMENTINE VERDIER
AVEC BÉNÉDICTE CERUTTI, JUDITH MORISSEAU KAREN RENCUREL, JOSÉPHINE CALLIES ET LUNE VIDAL (EN ALTERNANCE)
Du 10 au 19 MARS 2015
Du 31 mars au 4 avril 2015
GRANDE SALLE
UNE CRÉATION DU CDN BESANÇON FRANCHE-COMTÉ
GRANDE SALLE
www.cdn-besancon.fr 03 81 88 55 11 Avenue Édouard Droz 25000 Besançon
Le monde est un seul
Christophe Fourvel
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Nous sommes complexes Aucun système n’a la capacité de traiter un nombre infini d’informations. Cela est vrai des ordinateurs, comme du cerveau humain. L’accroissement des données cesse un jour de produire une amélioration de la réponse. Elle entraîne une panne ou une souffrance ; une désillusion, un cynisme, selon que nous parlons de machines ou d’humains. Internet nous abreuve toujours plus d’informations sur la complexification de nos sociétés, dont la globalisation des échanges économiques et l’imbrication des pouvoirs politiques en sont les manifestations les plus obsédantes. Mais Internet reflète avant tout une illusion de comprendre. Ainsi nous butons à saisir les fondements d’un système qui, pourtant, par un jeu un peu pervers de transparence (appelons cela démocratie) ne cesse de s’exhiber sous nos yeux. Les changements d’échelle (L’Europe, Le Monde) nous dépossèdent chaque jour un peu plus de notre aptitude à évaluer et à juger. Cela est source de souffrance. Comme les enfants, devant une règle du jeu qu’ils n’assimilent pas, nous donnons un coup de pied « dans la règle ». Nous délaissons l’entendement pour la croyance. L’affect. L’irrationnel. Nous brandissons le choix des tripes ou du cœur. Nous suivons les beaux parleurs. Nous souffrons mais nous ne nous disons jamais « je ne sais pas ». Alors, avec nos quelques centaines de mots de vocabulaire disponibles et nos vagues notions d’économie, nous préférons nous ruer sur des grilles de lecture vendues pour leur simplicité. La complexité, parce qu’elle se dérobe à notre entendement, mais aussi parce qu’elle fabrique parfois de l’absurde et de l’injustice est devenue suspecte. La pensée, parce qu’elle défend la complexité et avec elle, l’altérité, qui est la pensée de l’autre, est suspecte. Ce rejet conduit les individus à des régressions différentes mais qui ont toutes en commun leur affolante simplicité : la religiosité radicale, le vote Front National, la télévision toute puissante, le fanatisme des supporters. Une forme de bêtise décomplexée (puisque toute pensée est fumeuse). On pourrait rajouter à cette liste des régressions, si l’heure n’était pas si grave, le désir absolu et envahissant de vouloir rire et se moquer de tout. Nous fêtons le triomphe des faits d’armes sur la spiritualité, des amuseurs sur les philosophes. Ces tentations
ne sont pas toutes à mettre sur un pied d’égalité. Le nivellement est d’ailleurs une autre manifestation de notre renoncement à accepter la complexité des choses humaines. Il est aussi probable que cette défiance accrue puisse produire de belles choses, des changements positifs comme un retour au local, une reconnaissance de l’action limitée dans l’espace et dans le temps ; une nouvelle forme de convivialité sur des territoires réduits, contre les lois de l’hypermasse dictée par l’efficacité marchande. Mais les nationalismes idiots, les fanatismes criminels, les xénophobies ont tous en commun ce trait vertébral de la réponse simple, posée à l’endroit où ne pas comprendre fait mal. D’autres symptômes de ce glissement abondent autour de nous sans que nos cerveaux saturés d’informations inutiles n’en mesurent toujours la gravité et la consubstantialité. Il en va ainsi d’une mise au ban de la prétendue culture « élitiste » (comprendre, celle qui fait réfléchir) au profit d’une culture dite populaire (celle qui distrait sans questionner) par des élus de la République (parmi eux, il faut bien le dire, un bon nombre de maires de droite arrivés au pouvoir en 2014) et de la remise en cause toujours plus pressante de nos valeurs au profit d’une efficacité économique de surcroît peu convaincante. Mais pas plus que nous ne devons nous tromper de combat, nous ne devons nous tromper d’époque. Les hommes qui sont entrés dans les bureaux de Charlie Hebdo, les armes à la main, étaient des êtres aussi égarés que les personnages du film Les Visiteurs. Comme Christian Clavier et Jean Reno, ils ont analysé le monde avec un cerveau issu d’un siècle lointain. Dommage, car depuis l’Hégire, sont passées sur terre d’Islam des figures autrement plus exemplaires du combat des opprimés qui auraient pu leur inspirer des conduites et des desseins plus nobles. J’aurais aimé qu’ils travaillent à la création d’un journal capable de ridiculiser Charlie Hebdo. Capable, peutêtre, de nous convaincre par le talent, la connaissance, la spiritualité, que la liberté d’expression n’a pas grand-chose à perdre, lorsqu’elle s’abstient de son plein gré, d’offenser des millions de nos compatriotes. Bonne année à tous.
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Photo ©Claudia Jenatsch
LES TROIS SŒURS Théâtre France
Texte Anton Tchekhov Mise en scène Jean-Yves Ruf / Chat Borgne Théâtre mar 10 + mer 11 + jeu 12 mars 20h30 MAILLON-WACKEN
Création
www.maillon.eu 03 88 27 61 81
Hortobagy Utca
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Die Wacht am Rhein Le lendemain matin, ça m’a pris, comme ça. Ça vous prend toujours comme ça, le matin, au réveil. Le monde qu’hier encore vous adoriez, le monde qui, hier, encore vous adorait… Disparu, envolé. Plus rien d’hier ne vous semble familier. Rien ne semble vous avoir appartenu, parlé, touché, effleuré un jour. Même vos plus simples souvenirs vous ont oublié. Votre mémoire – mais quelle mémoire ? – est celle d’un autre. Le monde qui hier aussi vous appartenait s’en est allé vers d’autres périphéries. En y regardant de plus près, même votre peau a dû changer. Elle est, peut-être, plus fine. À certains endroits des veines bleues transparaissent. Vous habitez une autre peau. Ce corps n’est plus votre corps. Cette vie n’est plus votre vie. Impossible de se lever. Impossible de regarder la lumière du jour qui finirait de vous achever. Une corde à votre cou, reliée à une enclume invisible, vous maintient hors de votre vie. Tout est inquiétant sans que rien n’ait d’importance. Quel jour pouvait-on bien être ? Un jour encore long, trop long. Le moindre mouvement sur la place commune, d’habitude déserte, se traînait dans la pesanteur de l’éternité et ces quelques trop rares signes de vie disparaissaient aussitôt derrière des marronniers centenaires qui se foutaient bien du temps qu’il faisait. J’ouvris la fenêtre. Une odeur de soufre réchappée des fantômes d’usine aux portes de la ville perçait la vitre ; son sort venait se sceller ici, entre quatre tours grises qui végétaient depuis l’effondrement du bloc soviétique.
Vanessa Schmitz-Grucker
J’attendais en vain une distraction qui puisse me sortir de la lenteur du jour. Mon front brûlant reposait contre la vitre humide. Sur la table, le thé refroidissait à côté de miettes de màkos kalàcs, reliques inutiles. Il y avait trop longtemps que je dormais suspendue au-dessus de moi-même sans jamais m’essouffler. Qu’elles que soient la lenteur des nuits. Tout flottait à la surface et un rien voulait foutre le camp par le moindre interstice qui aurait échappé à la garde. Les jours paraissaient d’autant plus longs que chacune de mes nuits était un champ de bataille entre gardes et cellules. Ferme. Ouvre. Ferme. Ouvre. Saigne. Cicatrise. Saigne. Cicatrise. Et toutes les langues que je parle semblent désormais étrangères au monde que j’habite. Je vis un endroit que je ne sais plus nommer et qui ne me nomme plus. On me regarde encore mais je ne suis pas dupe, un mur s’est dressé. Chaque mot sur le bout de ma langue sonne faux et puisque tu ne reviendras pas, parce que visiblement tu ne reviendras pas, de mes restes, ils étancheront leurs peurs et leurs désillusions. Il n’y a même plus d’horloge, plus de tictac, plus d’heures, plus de minutes, plus de secondes. Tout ça, c’est resté de l’autre côté du mur. Lieb Vaterland… C’est moi que le Léviathan cherche, c’est moi qu’il veut digérer, tous les démons portent mon nom sur le revers de leurs mains. Alors, je fais de mon mieux pour ne pas oublier, pour me souvenir des moments d’exaltation, ne pas oublier nos promesses héroïques et ne pas laisser les autres prendre ma place. Loin de cette ville, loin de ses monstres, perdue entre de grandes prairies d’opiacées islandaises et d’un champ de pavots des froides contrées afghanes, une goutte d’eau, échappée du plafond et tombée sur mon pied nu, sonne la fin de mon rêve éveillé.
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Pas d'amour sans cinéma
Catherine Bizern
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La femme d’à côté n’est pas une femme amoureuse Je me souvenais de La Femme d’à côté, l’avantdernier film de François Truffaut sorti en 1981, comme d’un film grotesque, ridicule, alors que pour beaucoup il semblait raconter l’histoire d’un amour fou, d’une femme amoureuse, tellement qu’elle s’évanouit lorsque son amant l’embrasse… et de ne retenir que le romanesque de la situation. Les jambes de Fanny Ardant descendant l’escalier, les fermetures à l’iris, les ombres portées à la fin du film, et jusqu’à l’utilisation de la musique qui intervient à chaque moment manifeste de ce qui devient un chemin de croix, La Femme d’à côté a tout du film noir. Les séquences se succèdent dans la rigueur d’une mise en scène et de ses effets à vue. Elles mettent en scène une femme hystérique et un homme infantile et brutal, deux figures éculées et sans surprise de la passionnelle guerre des sexes. Chacun y est aux prises avec ses pulsions dans le piège qui s’est refermé sur lui depuis qu’ils ont renoué dans l’obscurité d’un parking une relation passée qui semble avoir été néfaste sinon funeste. Un film bien ordonné sur le désordre… Un désordre qui est avant tout mental. Même si la relation destructrice entre Mathilde et Bernard ébranle quelques instants l’ordre bourgeois et sa sociabilité minutieusement décrite par Truffaut, il ne s’agira que de dérangement. À l’image de cette séquence où depuis la cuisine et à travers la large fenêtre formant comme un écran panoramique, Arlette, la femme de Bernard, est témoin de l’altercation entre les deux amants, Bernard frappant Mathilde devant son mari et l’ensemble de leurs amis réunis. Le tumulte de la situation est bordé par un double cadre de la fenêtre et de l’écran, comme pour mieux le circonscrire. Scène irréelle, même pour Arlette, qui comme nous est spectatrice de cinéma. Mais je ne reconnais rien de l’amour. Je ne vois que la violence d’un désir de possession, la pulsion de mort qui rôde, la folie de Mathilde et l’engrenage sadomasochiste que Bernard alimente allégrement. Face à Bernard, Mathilde déploie toute sa puissance : elle l’appelle, insiste, réclame qu’il la nomme, lui donne rendez-vous à l’hôtel et puis refuse de partir avec lui, suspend leur
relation, lui reproche sa douleur passée. Lui s’affole, s’enflamme, s’enrage, tel un enfant possédé par une mère possessive et sacrificielle. Mathilde n’est pas une femme amoureuse c’est une femme folle (1). Comme une hystérique de Charcot, elle s’évanouit quand son amant l’embrasse avant de l’entraîner dans les temps noirs de la violence, du ressentiment et de la douleur. Quant à lui, il est le jouet de son attachement viscéral et régressif à ce corps tyranniquement maternel. Aucune trace d’amour dans ce que Truffaut nomme une passion moderne. Juste la lutte aveugle des pulsions et la quête éperdue et sans cesse renouvelée de la souffrance. Faire souffrir, souffrir soi-même, jusqu’à donner la mort, jusqu’à mourir en lieu et place de l’amour. Qui peut donc croire que ce film raconte l’histoire de personnes qui s’aiment ? Alors l’histoire de Madame Jouve. Madame Jouve qui porte dans son corps la trace d’un amour malheureux, ou plutôt celle de son évasion du lieu de cet amour. Car que cherche-t-on d’autre lorsqu’on saute par la fenêtre que de s’extraire de toutes ses forces de ses sentiments, fuir, s’envoler loin ? S’échapper : c’est ce qu’elle réitère lorsqu’elle fuit à Paris à l’annonce de l’arrivée de son amant d’autrefois. Elle choisit de préserver son équilibre claudiquant dans le petit havre de paix bourgeois sur lequel elle règne solitaire avec élégance et délicatesse plutôt que de prendre un risque. Mais de quel risque s’agirait-il ? Celui de vivre enfin l’histoire d’amour brutalement interrompue par le mariage de l’homme qu’elle aimait ou celui de se confronter au vide d’un amour mort, disparu définitivement et dont les traces se sont entièrement dissoutes dans le temps ? Histoires de folie, d’aveuglement et de renoncement.
(1) Dans la troisième partie du film, juste avant qu’elle ne se laisse sombrer, Mathilde entend une conversation entre deux hommes goguenards qui en partie au moins déclenchera sa dépression. Au sujet d’un troisième l’un dit à l’autre : « Il est en train de comprendre que la seule personne avec qui il ne faut pas faire l’amour c’est sa voisine de palier ». J’ai bien du mal à ne pas entendre – et Mathilde aussi sans doute – c’est la folle d’à côté !
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InSitu
Virginie Yassef L’artiste fait de l’exposition une œuvre à part entière et joue au mieux avec l’espace qui l’accueille. Ce nouveau récit se compose d’œuvres polymorphes qui, telles les éléments d’une mystérieuse grammaire, ne semblent faire sens que dans leur agencement. Une fiction apocalyptique s’esquisse à demi-mots, entre les titres des œuvres et le rapprochement des pièces. L’artiste dévoile un monde clos, déroutant, marqué par la présence animale. Les objets, les images et les sons répètent leur marche insensée. Le plaisir de déambuler dans l’obscurité azurée réside probablement dans l’absence de cause clairement attribuable à la mélancolie suscitée. (F.A.) © Virginie Yassef - Photographie : Pierre Soignon
Jusqu’au 17 mars à la galerie du Granit, à Belfort www.legranit.org
La Répétition / Bernard Piffaretti, Juste Retour (des choses et des mots) Répéter permet à l’enfant de comprendre le monde et à l’auteur de générer comique et absurde. La répétition génère une immobilisation ou au contraire une accélération du temps. Le FRAC Franche-Comté propose d’explorer les nombreux effets de la répétition sur les artistes, leurs créations et sur le spectateur. Le corps est important dans cette recherche, il est considéré en tant qu’outil et vecteur tout en ayant prise, dans sa composante politique, sur le corps social. (A.M.) Du 15 février au 17 mai au FRAC Franche-Comté, à Besançon www.frac-franche-comte.fr
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Augustin Lesage, Composition décorative, 1936 Donation de L’Aracine en 1999, LaM, Lille Métropole musée d’Art moderne d’Art contemporain et d’Art brut, Villeneuve d’Ascq Photo : Claude Thériez
¡CUBA A LA VISTA! Résultat d’une belle collaboration entre les membres de l’atelier de sérigraphie Superseñor à Besançon et les artistes havanais du Club de los Amigos del Cartel, l’exposition s’inscrit dans un programme de résidences croisées entre les deux villes. Les artistes bisontins, de retour de la Havane où ils ont présenté leur travail il y a quelques mois, nous permettent maintenant de découvrir la vitalité de la jeune scène graphique cubaine. Dans l’écrin dépouillé du musée des Beaux-arts, les créations sont présentées au côté d’une précieuse collection d’affiches qui retrace l’histoire du médium et ses spécificités, liées notamment à l’histoire géopolitique de l’île. (F.A.) Du 13 mars au 13 avril au Musée des Beaux-arts et d’Archéologie, à Besançon www.mbaa.besancon.fr + www.ateliersupersenor.fr
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InSitu
Ernesto Neto, Mentre niente accade, 2008 (détail) Élasthanne, bois, épices, sable, 1 500 × 600 × 400 cm Courtesy de l’artiste et du musée d’Art contemporain de Rome
Belle Haleine – L’Odeur de l’art L’olfaction est un puissant vecteur de réaction animale qui permet d’éviter des dangers et participe de la parade nuptiale. Pourtant, l’odorat est un sens largement oublié de l’art contemporain. Le musée Tinguely pallie ce dénuement en nous offrant une exposition où ce sens retrouve le pouvoir. Les œuvres présentées, d’artistes reconnus, sont toutes olfactives et cherchent à atteindre les instincts des visiteurs, à susciter des réactions avec immédiateté. L’appréciation des odeurs est culturelle, mais ici chaque nez sera invité à être juge et partie. (A.M.) Du 11 février au 17 mai au musée Tinguely, à Bâle www.tinguely.ch
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Peter Doig
Peter Doig, Swamped, 1990 Huile sur toile, 197 × 241 cm The Monsoon Art Collection
La Fondation Beyeler lie ses récentes expositions Courbet et Gauguin avec cette monographie Peter Doig tissant un lien entre ces peintres du XIXe et notre époque. L’accrochage nous présente ses toiles grands formats, peintes avec un goût pour la matière et pour les grands maîtres. Des paysages aux couleurs chatoyantes, parfois habités de figures sans visage, avec des cadrages rendus oppressants par une mince percée de ciel génèrent un onirisme inquiétant. Au sous-sol, Peter Doig nous dévoile ses archives iconographiques et nous immerge dans des gravures qui font preuve d’une belle maîtrise technique pour magnifier les textures. (A.M.) Jusqu’au 22 mars à la Fondation Beyeler, à Riehen/Bâle www.fondationbeyeler.ch
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InSitu
Presque la même chose Tout le malentendu au sujet de la condition humaine a commencé avec la construction de la tour de Babel. Depuis, on peine à se comprendre. Dans un brillant essai retraçant ses propres expériences de traducteur, Umberto Eco questionne ce « dire presque la même chose ». Tout effort de traduction ne dira jamais la même chose, seulement presque la même chose. Puisque traduire ne s’applique pas qu’au seul langage écrit, le parti pris de cette exposition est d’accorder un périmètre élastique à toute forme de création sonore et plastique pour accueillir en son sein des œuvres interrogeant ce presque et nous aider à comprendre combien il est difficile de comprendre l’autre. (X.H.) Pierre Bismuth, The Jungle Book Project, 2002 ; installation vidéo, 19 dessins originaux, 75 min. Courtesy de l’artiste et de la galerie Jan Mot, Bruxelles
Sophie Nys : Ohne brot ist der tisch nur ein brett Tordre le cou à l’Histoire, cette science hautaine qui prétend nous enseigner ce que nous sommes et ce pour quoi nous vivons, motive la démarche de Sophie Nys. En grattant le vernis des grands récits, elle fouine avec humour parmi les décombres fumants de cette grande arrogante à la recherche d’une vision alternative du cours des événements. En guise de remerciement au CRAC, qui accueille sa première exposition personnelle en France, c’est sur le passé industriel alsacien qu’elle jette son dévolu en confrontant ses propres créations aux traces patrimoniales léguées par ces activités génératrices d’une certaine culture ouvrière. (X.H.) Du 1er mars au 17 mai, au CRAC Alsace, à Altkirch www.cracalsace.com
Sophie Nys, Fallet-Prévostat, 2014 Métal, lampe, champagne
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Du 12 février au 10 mai, à la Kunsthalle, à Mulhouse www.kunsthallemulhouse.com
Françoise Saur : voyages en Algérie L’œil, sans cesse sollicité par un environnement médiatique qui ne connaît pas de temps mort, sait encore reconnaître une image de qualité. Les photographies rapportées par Françoise Saur au cours de ses périples algériens sont de cette trempe. Celle qui a eu la chance de suivre dans les années 1970 les cours d’Otto Steinert, chantre du subjectivisme photographique, déroule dans cette suite de clichés une sensibilité où se décèle un humanisme tendre et empathique privilégiant les femmes comme sujet et l’argentique du Leica comme technique. (X.H.) Jusqu’au 1er mars à la Filature, Mulhouse www.lafilature.org Femmmes du Gourara de Françoise Saur chez Médiapop éditions www.mediapop-editions.fr
Louis Kolmer : itinéraire pictural L’air de rien, à 80 ans révolu, le peintre Louis Kolmer aura traversé toutes les révolutions plastiques du dernier siècle, les approchant avec un mélange de crainte et de respect. La crainte de se laisser embrigader dans une chapelle qui n’est pas la sienne ; le respect pour le travail novateur et ambitieux de ses pairs. En résulte une peinture vive et curieuse, à la croisée des genres, jamais oublieuse de l’histoire de l’Art et de ses thèmes éternels (nature morte, vanité, portrait) que l’artiste s’essaie à confronter au réel et à l’actualité la plus brûlante. Une rétrospective gaillarde au sein de sa ville natale. (X.H.) Du 6 février au 22 mars, au musée des Beaux-Arts de Mulhouse www.musees-mulhouse.fr
Louis Kolmer, Le Chamane, 2003
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InSitu
Cinerama Des noirs profonds qui semblent absorber et renvoyer la lumière tout à la fois. Marc Bauer est un dessinateur qui aventure ses crayons, charbons, fusains, sur des surfaces aussi multiples que les évocations qu’il (re)met en image. Au FRAC, il a réalisé deux fresques in situ et projette un dessin animé à partir de plaques de verre. Il sonde l’Histoire par ses représentations qu’il crée en mêlant souvenirs, photos familiales, archives ou scènes de classiques du cinéma. Ainsi, ses œuvres font preuve d’une grande puissance narrative, elles replacent chacun dans l’Histoire qui s’écrit grâce à l’entremêlement de l’intime et de la mémoire collective. (A.M.) Jusqu’au 22 février au FRAC Alsace, à Sélestat www.culture-alsace.org
Marc Bauer, vue de l’exposition Cinerama au FRAC Alsace © David Betzinger
Voisinages Martin Kasper, Echo, 2014 Tempera sur toile 270 × 600 cm (triptyque)
Inspiré par les sculptures alignées des saints, apôtres, rois et reines ornant les cathédrales médiévales de Fribourgen-Brisgau où il réside, Martin Kasper a récemment réalisé des portraits de ses voisins et amis. Chaque individu apparaît grandeur nature et glisse son regard dans celui de son observateur. Les corps semblent se dérober aux espaces esquissés qui les entourent. On pourrait lire une touche d’ironie dans ce désir de donner tant de puissance charnelle à ces figures puisque l’artiste est connu pour ses peintures de bâtiments aux intérieurs froids et désolés, traversés çà et là de rares silhouettes fantomatiques. (F.A.) Jusqu’au 8 mars à l’espace d’Art contemporain André Malraux, à Colmar www.colmar.fr
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Perahim, la parade sauvage Le MAMCS se saisit du centenaire de la naissance de Perahim pour consacrer la première rétrospective française à cet artiste de l’avantgarde roumaine. Artiste protéiforme inspiré par son temps et le vent parisien, ses œuvres sont hantées de créatures hybrides, fantasmagoriques, surréalistes. Il est d’ailleurs considéré comme un des représentants du Surréalisme roumain. Environnement apocalyptique et scènes oniriques se conjuguent à une violence qui n’est pas sans lien avec le climat socio-politique de la Roumanie de l’entre-deux-guerres. Ces bouleversements n’ont pas empêché l’artiste d’ajouter humour et fantaisie à ses œuvres, plus de 150 à découvrir au MAMCS. (V.S.G) Jusqu’au 8 mars au MAMCS, à Strasbourg www.musees.strasbourg.eu
La Mitrailleuse, 1932 Huile sur toile, 65 × 50 cm Collection particulière. Photo Mathieu Bertola © ADAGP, Paris 2014
Quand les livres deviennent attitudes
© Antoine Lejolivet
Invitée par l’atelier livre, dirigé par Ju-Young Kim de la HEAR, Florence Loewy est une des rares spécialistes au monde dans le domaine du livre et des éditions d’artistes. En activité depuis 1989, installée dans le Marais depuis 2001, elle a publié des artistes comme Robert Barry, Barbara Bloom, Tim Maul, Jonathan Monk et Claude Closky. Ju-Young Kim a voulu faire se rencontrer pour la première fois des étudiants en identité visuelle et des étudiants en scénographie. Florence Loewy a fourni un corpus de livres de son fond personnel auquel les étudiants ont donné une réponse de plasticiens ; ils ont refait œuvre à partir d’œuvres premières. Six des propositions seront exposées à Paris à la galerie Loewy pour appuyer cet échange. (V.S.G) Jusqu’au 15 février à La Chaufferie, à Strasbourg www.hear.fr
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InSitu
Gianfranco Baruchello. Certain ideas En plus de 50 ans de carrière, l’œuvre de l’Italien Baruchello a exploré tous les versants médiumniques et historiques de l’art. Artiste engagé proche de Duchamp et de Deleuze, sa pensée se rapproche également de celle d’un Beuys sur le lien sociétal au point de lancer sa propre coopérative agricole qui lui inspirera de nombreuses créations. Il est vrai que son art interroge le rapport de l’homme à la matière et à la nature. Grand oublié de l’aventure post-moderne, ses innombrables peintures, sculptures, installations, vidéos et performances – influencées par John Cage – rencontrent un écho particulier dans le centre contemporain qu’est le ZKM. (V.S.G) Jusqu’au 29 mars au ZKM, à Karlsruhe www.zkm.de Gianfranco Baruchello, Profilassi della rabbia, 1962
Arnulf Rainer Du surréalisme à l’art brut en passant par le tachisme, l’Autrichien Arnulf Rainer a exploré plusieurs voies, celle des surpeintures notamment, ces œuvres qu’il réalisait à partir des peintures des autres, dont il s’emparait sous forme de reproductions. Ce proche des Actionnistes viennois s’est également fait connaître par ses autoreprésentations et ses Body Poses. Cette rétrospective présente les étapes clefs de cette évolution qui ont conduit Rainer à devenir l’un des artistes les plus influents de notre époque. (V.S.G) Du 28 février au 3 mai au Musée Burda, à Baden-Baden www.museum-frieder-burda.de
Arnulf Rainer, Ohne Titel, 1988 Huile sur toile, 60 × 79,9 cm Museum Frieder Burda, Baden-Baden, © Arnulf Rainer
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7 Tage M+M - Marc Weis et Martin De Mattia - est un duo allemand amateur de cinéma dont la pratique artistique est tournée vers la vidéo. 7 Tage correspond à sept installations réalisées en sept ans. Des extraits de célèbres longs métrages tels que La Fièvre du samedi soir ou encore Tenebre s’imbriquent pour recréer de nouveaux espaces flottants où le protagoniste principal se retrouve dans des situations kaléidoscopiques. Le duo pose côte à côte deux mises en scène identiques dont le dialogue et la portée émotionnelle diffèrent. C’est toute la question de l’identité qui est ainsi remise en question en complexifiant un personnage univoque dont le discours dédoublé engendre de nouvelles interactions. (V.S.G) Jusqu’au 3 mai au Casino, à Luxembourg www.casino-luxembourg.lu M+M, 7 Tage (Sonntag), 2009
Rui Moreira, I am a lost giant in a burnt forest
© Antoine Lejolivet
Rui Moreira, La Nuit (Les Télépathes), 2011 Gouache, stylo gel et crayons de couleur sur papier 191 × 184,5 cm Collection privée, © Rui Moreira – Photo : Laura Castro Caldas
L’artiste portugais Rui Moreira expose ses dessins aux grands formats et à l’esthétique méditative au Mudam. Expérience extatique, intimement liée à une introspection solitaire, les dessins de Moreira sont le fruit d’un travail intense dans lequel l’artiste se donne corps et âme. Le titre donne le ton à ses dessins tantôt figuratifs, tantôt abstraits ; ils indiquent le lien entre la forme et le thème. Le Maroc, les lieux bouddhistes, hindous ou encore le Portugal sont autant de régions explorées qui nourrissent l’esprit de l’artiste pour devenir force de création : « J’aime dessiner de l’intérieur » confie l’artiste. Ses œuvres, expériences physiques et psychiques, sont autant de paysages intérieurs construits avec patience et minutie. (V.S.G) Jusqu’au 8 février au Mudam, à Luxembourg www.mudam.lu
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InSitu
Marée montante (cohabitation 7) Être artiste ne se résume pas à créer : il existe bien des artistes sans œuvre. Être artiste ne se résume pas à se confiner dans une tour d’ivoire – les œuvres non dévoilées n’en sont que dans l’esprit de leur concepteur. Pour toutes ces raisons, l’école d’art de Metz propose depuis 2007 aux étudiants de dernière année de rassembler une sélection de leurs projets artistiques pour en faire une exposition dont ils ont toutes les étapes de réalisation à leur charge. Le clin d’œil du titre renvoie à cet exercice de style. (X.H.) Du 21 janvier au 28 mars, à l’office de tourisme de Bar-le-Duc www.acbscene.eu + esalorraine.fr © Marion Bouture, ESAL Metz
L’atelier bois de l’École supérieur d’art de Nancy
ENSA Nancy : journées portes ouvertes 2015 L’École nationale supérieure d’art de Nancy est la seule à s’être vue décerner le label national pour le grand nord-est de l’hexagone. Ainsi, elle propose deux diplômes nationaux, équivalant à Bac+3 et Bac+5, et, pour les plus persévérants, deux post-diplômes. Le tout servi par un vaste choix d’ateliers de production où s’exercer et un réseau de nombreux partenaires internationaux pour se frotter à l’altérité esthétique. Les portes ouvertes sont l’occasion de mieux cerner cette offre alléchante avant de se lancer dans le concours sélectif d’entrée. (X.H.) Les 27 et 28 février, de 10h à 19h, à l’École nationale supérieure d’art de Nancy www.ensa-nancy.fr
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+14 ans
70 min
CRÉATION RENAUD HERBIN CHRISTOPHE LE BLAY
PROFILS PRÉSENTÉ AVEC LE MAILLON THÉÂTRE DE STRASBOURG, SCÈNE EUROPÉENNE DU MAR 10 AU SAM 14 FÉV À 20H30 JEU 12 FÉV À 14H30 & 20H30 TJP GRANDE SCÈNE 7 RUE DES BALAYEURS / STRASBOURG
RENSEIGNEMENTS & RÉSERVATIONS TJP / 1 rue du Pont Saint-Martin / Strasbourg 03 88 35 70 10 / reservation@tjp-strasbourg.com BILLETTERIE EN LIGNE billetterie.tjp-strasbourg.com www.tjp-strasbourg.com
PHOTO © BENOIT SCHUPP / LE TJP, CENTRE EUROPÉEN DE CRÉATION ARTISTIQUE POUR LES ARTS DE LA MARIONNETTE CONTEMPORAINE, EST SUBVENTIONNÉ PAR LA VILLE DE STRASBOURG, LE MINISTÈRE DE LA CULTURE ET DE LA COMMUNICATION (DRAC ALSACE), LA RÉGION ALSACE & LE CONSEIL GÉNÉRAL DU BAS-RHIN.
REPRÉSENTATIONS PENDANT LES VACANCES SCOLAIRES
PETIT PIERRE Texte
Suzanne Lebeau Mise en scène
Maud Hufnagel Lucie Nicolas MERCREDI 18, MARDI 24, MERCREDI 25 À 14H30 SAMEDI 21, LUNDI 23, MARDI 24 À 19H MERCREDI 25 FÉVRIER À 10H AU CDN EN PARTENARIAT AVEC LES FRANCAS, LA MJC PALENTE ET CÔTÉ COUR SPECTACLE TOUT PUBLIC, À PARTIR DE 7 ANS
POUR LES ENFANTS ET CEUX QUI LES ACCOMPAGNENT ! Le Théâtre est ouvert les mercredis 18 et 25 février à partir de 13h30 et les samedi 21, lundi 23 et mardi 24 à partir de 16h. Coin dessin, lecture, jeux. Coin repos, détente, musique. Exposition des travaux réalisés par les enfants des écoles « Regarde bien la vache électriques (sic) » / Entrée libre. Le Bar sera ouvert sur ces horaires ainsi qu’après les représentations, pour les petits et les grands (crêpes, assiettes salées…).
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Postiches et barbichettes
Corps de l’oubli Initialement je pensais l’avoir, « l’angle », le fameux angle journalistique, pour aborder Avant que j’oublie : ce serait la faible représentation de la vieillesse au théâtre. Sauf qu’exposant l’idée à A., critique et dramaturge de son état, celle-ci me cita force contre-exemples, de Fin de partie de Samuel Beckett au travail du chorégraphe Alain Platel, en passant par Invisibles de Nasser Djemaï et jusqu’aux marionnettes du Stuffed Puppet Theatre. Ok, coup de rabot pour l’angle. Pour autant, difficile d’en démordre, il y a chez Vanessa van Durme une façon de représenter la vieillesse, et à travers elle la dégénérescence, extrêmement inhabituelle. Frontale, sans fard ni fantasme. Dans Avant que j’oublie, spectacle mis en scène par le directeur de la Comédie de Valence Richard Brunel, la comédienne interprète un dialogue avec sa mère atteinte de la maladie d’Alzheimer. Au fil d’un récit autobiographique construit autour des visites hebdomadaires à la vieille femme, c’est une vie de distance et d’incompréhension qui se dessine. Un gouffre impossible à combler, qui trouve son origine dans le rejet de Vanessa par ses parents lorsque dans les années 70, et alors qu’elle est un jeune homme, elle décide de changer de sexe. Si le père à l’origine de la rupture n’est plus, la distance entre mère et fille perdure, prolongée par la maladie. Dépassant sa seule histoire personnelle, Vanessa van Durme énonce par son interprétation rigoureuse et pudique toute l’impuissance – virant parfois au comique ou au pathétique – face à la déchéance du corps et de l’esprit. Par Caroline Châtelet — Photo : Jean-Louis Fernandez
AVANT QUE J’OUBLIE, pièce de théâtre le 5 février aux Scènes du Jura, à Dole et du 24 au 27 mars au Théâtre Dijon Bourgogne, à Dijon www.scenesdujura.com + www.tdb-cdn.com
De Marivaux à Molière en passant par Shakespeare ou Beaumarchais, le travestissement au théâtre est fréquent. Utilisé pour son ressort comique, sa possibilité de connivence entre les héros et les spectateurs au nez et à la barbe de certains personnages, son déclenchement de quiproquos, ou l’occasion de transgression des classes sociales, il parsème les comédies de théâtre classique. Mais il est des œuvres, telles Le Barbier de Séville, où il s’excède lui-même dans une course effrénée. Dans l’opéra-bouffe de Rossini créé en 1816 et composé sur un livret de Cesare Sterbini – tout comme dans la comédie de Beaumarchais qui l’a inspiré –, le comte Almaviva ne cesse de se déguiser. Qu’il se présente sous les traits du désargenté Lindor, sous ceux d’un soldat aviné, ou enfin comme le maître de chant Alonzo, le jeune homme tente à chaque fois par cette ruse d’approcher la belle Rosine, en déjouant la vigilance de son tuteur le docteur Bartolo. Cela donne lieu à des situations excessives, certes, mais c’est bien la caractéristique première de l’opéra-bouffe. Et si Le Barbier de Séville est désigné par beaucoup comme le chef d’œuvre du genre, c’est non seulement parce que le dérèglement et la démesure sont rois, mais c’est surtout parce qu’ils sont sublimés par la partition de Rossini. Une caractéristique qui n’est pas pour déplaire à Jean-François Sivadier... Montant l’opéra-bouffe, le metteur en scène souligne à quel point celui-ci « semble porter en lui le rêve secret et fou d’un théâtre un peu effrayant : celui de la jouissance pure. Du divertissement pur. » Joli programme. Par Caroline Châtelet — Photo : Frédéric Iovino
LE BARBIER DE SÉVILLE, opéra-bouffe du 20 au 26 février à l’Auditorium, à Dijon www.opera-dijon.fr 25
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Let the Sunshine
Sans principes ni morale Lorsque paraît La Pluie d’été, cela fait 20 ans que Marguerite Duras a raconté pour la première fois l’histoire d’Ernesto. Avant le roman édité en 1990, le garçon a été au centre de deux productions : la première, Ah ! Ernesto, conte pour enfants publié en 1971 ; la deuxième, Les Enfants, film réalisé en 1985. Alors, bien sûr, il y a des variations d’un médium et d’une version à l’autre. Pour autant, l’histoire de ce garçon qui ne veut plus aller à l’école « parce qu’on [lui] apprend des choses [qu’il] ne sait pas », et dont la décision bouscule au plus haut point sa famille et son instituteur, est bien toujours la même. Il faut croire qu’il y a dans cet atypique rapport au savoir – fondé sur une égalité entre ignorance et connaissance, l’un valant l’autre et la première nourrissant la seconde – quelque chose de profondément essentiel pour que Duras ait eu besoin d’y revenir, d’une part, et pour que d’autres artistes s’en soient par la suite emparés. Côté théâtre, parmi les dernières adaptations figure celle de Sylvain Maurice, ancien directeur du Centre Dramatique National de Besançon (et actuel directeur du CDN de Sartrouville). Pour le metteur en scène, ce récit aborde notamment « la figure d’une mère extra-ordinaire et dévorante, la passion amoureuse entre frère et sœur, la pauvreté et le déracinement, l’effroi partagé, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale ». Autant de thèmes qui après avoir traversé toute l’œuvre (et la vie) de Duras se déploient dans une histoire lumineuse par son absence de morale et de principes établis. Par Caroline Châtelet — Photo : Élisabeth Carechio
LA PLUIE D’ÉTÉ, pièce de théâtre les 3 et 4 février à L’espace des Arts, à Chalon-sur-Saône ; le 10 février à la Scène nationale de Lons-le-Saunier ; les 18 et 19 février à la Comédie de l’Est, à Colmar ; du 25 au 27 février au Nest, à Thionville ; les 24 et 25 avril au TJP, à Strasbourg
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Arthur H, trimballant toujours sa dégaine cabossée et sa voix rauque, repart en tournée, avec un nouvel album dans ses valises, intitulé Soleil Dedans. Les valises et le voyage, c’est justement ce que rappelle ce disque, entre road trip musical et exploration personnelle. Enregistré entre le Canada et la Californie, l’album verse à nos oreilles des instrumentations à la fois « viriles » et délicates qui sonnent comme des échos aux espaces libres et sauvages. Le morceau Navigateur Solitaire est, à ce titre, un véritable hymne aux odyssées sans frontières, avec ses envolées vocales haut perchées, en rupture avec le timbre habituellement grave de monsieur H. Ces notes aérées et libertaires servent aussi des textes plus terre à terre et faussement innocents, toujours pétris de questionnements et d’un intérêt viscéral pour l’humain. En témoigne la chanson La Caissière du Super, un hommage mâtiné de pop rétro, aux petites mains de supermarchés coincées entre des laborieuses hiérarchies et de froides caméras, afin de subvenir aux besoins de leur famille. Une partition entre évasion et gravité à déguster en live, au plus près d’un artiste enthousiaste et sincère. Par Julien Pleis
ARTHUR H, concert le 3 avril au Moulin de Brainans www.moulindebrainans.com
Recherches fév.– mars 2015 Soirée • Kissing Gardening Party Strasbourg mon amour 13.02 HEAR – Strasbourg Exposition, performances • Avant-première 7 et 8.03 HEAR – Strasbourg
Exposition • Week-end de l’art contemporain Eva Schmeckenbecher Du 13 au 15.03 La Chaufferie – Strasbourg
Vidéo • .mov Rencontres vidéo des écoles d’art du Grand Est 20 et 21.03 La Filature – Mulhouse
Cinéma • Cycle Antonioni 17, 24 et 31.03 Auditorium du MAMCS – Strasbourg
Soirée • 27e Tranches de Quai 26.03 HEAR – Mulhouse
Concert • Orchestre symphonique du conservatoire 27 et 28.03 Cité de la musique et de la danse – Strasbourg
Auguste
Baud-Bovy (1848-1899)
Poète de la montagne
Ornans www.musee-courbet.fr
Visuel : © Anna Burros (option Art, 2014), Speech of Space-gorilla, 2014, vidéo, 20'
w w w .hear .fr
Mulhouse — Strasbourg
Fictions collectives
Le bourdonnement de la Guerre Aninka et Pepíček n’ont plus que leur maman. Quand celleci tombe malade, le médecin lui conseille de boire du lait. Cette denrée étant chère et la famille sans le sou, les enfants décident d’aller chanter en rue pour gagner un peu d’argent. C’était sans compter la présence de Brundibár, l’affreux joueur d’orgue de Barbarie. Ce dernier ne tient pas à ce que Pepíček et Aninka empiètent sur son territoire ; il les chasse et vole leurs quelques pièces. Aidés d’une fauvette, d’un chat, d’un chien et d’enfants du quartier, les frère et sœur tentent de donner une bonne leçon à l’organiste acariâtre. Cet opéra interprété par et pour des enfants a vu le jour en 1938, à l’aube de la guerre. Écrit par Adolf Hoffmeister et composé par Hans Krása, il est présenté pour la première fois en 1943, dans le camp de concentration de Terezin. Les arts étaient tolérés dans cette antichambre d’AuschwitzBirkenau dans un but de propagande ; les nazis se servant de ce camp comme d’une vitrine pour laisser croire à la Croix-Rouge qu’il ne s’agissait là que d’un ghetto où chacun vivait décemment. La réalité était bien entendu tout autre, la distribution de Brundibár évoluait au fil des déportations, les enfants étaient envoyés à Auschwitz, là où a également péri Hans Krása. L’Orchestre Victor Hugo Franche-Comté rendra hommage à ce compositeur et aux autres artistes fauchés par l’Histoire (Pavel Haas, Viktor Ullmann) lors de deux soirées qui célébreront la résistance, le courage, la bonté et la solidarité. Par Stéphanie Linsingh — Photo : The Glint
BRUNDIBÁR, opéra le 20 mars au Théâtre de Montbéliard et le 21 mars au Théâtre Ledoux à Besançon www.ovhfc.com
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Au début, Les Événements récents ressemble à une répétition, ou à la présentation d’une « étape de travail », ces formes désormais courantes dont l’existence n’est souvent due qu’à la difficulté des équipes à mener leurs projets à bien. Sur scène un comédien parle, tandis que situé en retrait le metteur en scène le coupe, lui donnant des indications de jeu. Du théâtre dans le théâtre, mais du théâtre au travail, qui s’intéresse à la secte du Temple du Peuple et à son suicide collectif de novembre 1978. Se plongeant dans cette histoire complexe, l’équipe convoque divers matériaux : extraits de discours du gourou Jim Jones (dont la deathtape, sa dernière intervention), images et vidéos d’archives portant notamment sur la « ville » Jonestown fondée par la secte dans l’état du Guyana en Amérique du Sud, textes d’analyses ou chansons populaires. En traversant ces éléments, il s’agit de tenter de comprendre le geste fou : comment plus de 900 personnes ont-elles pu accepter de se donner la mort sur la base des paroles d’un seul homme ? Choisissant de rendre compte autant de l’incompréhension suscitée par ce geste que de la fascination qu’il exerce, le metteur en scène Nicolas Laurent de la compagnie bisontine Vraiment dramatique opte pour un théâtre mouvant. Le spectacle lui-même se laisse volontairement prendre au jeu de son objet, et la distance entre l’équipe artistique et les positions de Jim Jones deviennent de plus en plus troubles. Le documentaire cède en conscience la place à un théâtre inquiet, autre lieu possible pour les fictions collectives. Par Caroline Châtelet
LES ÉVÉNEMENTS RÉCENTS, pièce de théâtre du 3 au 14 février au Centre Dramatique National de Besançon www.cdn-besancon.fr
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Andmoreagain
Bêtes de scène Âmes sensibles s’abstenir ! Entre érotisme et sauvagerie, les fondamentaux de la danse sont malmenés sur le plateau de MA scène nationale. Le temps d’une soirée exceptionnelle, deux chorégraphes-interprètes se retrouvent afin d’explorer, chacun à leur manière, les chemins de traverse de la danse. Damien Jalet entame l’exercice avec Venari, une création produite en 2008 à l’occasion du renommé Tokyo International Arts Festival. Mi-homme mi-bête, le danseur affublé de bois de cerf prend possession de l’espace en se mouvant à quatre pattes, premiers pas chancelants d’une créature qui tente de s’apprivoiser elle-même. Le jeu de métamorphose distord les frontières entre monde sauvage et civilisé pour mieux installer une danse archaïque, rejoignant les premiers rites ancestraux. Pour Olivier Dubois, la transgression de l’ordre scénique s’apparente au désir et au sexe. Impertinent, Pour tout l’or du monde est un grand écart allant des pas de danse classique... au strip-tease ! Le directeur du Ballet du Nord – élu l’un des meilleurs 25 danseurs au monde – met à nu les préjugés et fait littéralement tomber le pantalon pour interpréter un lascif numéro de pole dance. On passe sans transition de Tchaïkovski à Rihanna tandis que le chorégraphe exhibe bourrelets et slip blanc en toute désinvolture. Un dark side de la danse qui régale. Par Claire Tourdot — Photo : Arnold Groeschel
VENARI & POUR TOUT L’OR DU MONDE, spectacle de danse le 14 février aux Bains Douches, à Montbéliard www.mascenenationale.com
L’Histoire ne serait qu’un éternel recommencement. Et il est vrai qu’à l’écoute des Californiens d’Allah-Las on serait tenté de le confirmer tant ces quatre-là donnent le sentiment que la vie s’est arrêtée quelque part entre juin 1966 et décembre 1968. Et pourtant, Nick Waterhouse, révélation soul de ces dernières années et producteur de leurs deux albums, les chefs-d’œuvre successifs, Catamaran et Worship The Sun, nous le précise avec le dépit qui le caractérise : nul gimmick dans la démarche, il ne s’agit pas de sonner comme à l’époque ; simplement, la musique qu’ils produisent est celle-là, écrite ainsi et enregistrée de cette manière-là. Message reçu ! L’entreprise n’est donc pas celle d’archéologues qui chercheraient à recréer les univers des Byrds, Electric Prunes ou de Love, parmi les références les plus souvent invoquées, mais de réexplorer avec la même intensité le son west-coast. Et là, ils peuvent compter sur le savoir-faire de mister ‘very bad guy’ Waterhouse qui s’y connaît quand il s’agit de multiplier les effets fuzzy, d’utiliser la reverb’ pour des guitares wha wha qui claquent ou de faire couiner la rondeur à un piano désaccordé. Il en résulte que parmi les artistes psychédéliques ouvertement affichés en Californie, Ty Segall ou Thee Oh Sees, les Allah-Las remportent aujourd’hui la mise du succès populaire. Peut-être affichent-ils simplement une radicalité moindre et une plus grande évidence pop, tout en surfant un tantinet, ne leur en déplaise, sur la vague retromania au point que, comme l’affirme leur jeune producteur et premier fan : « Qui, aujourd’hui, n’aime pas les Allah-Las, hein ? ». Par Emmanuel Abela
ALLAH-LAS, concert le 19 février à la Rodia, à Besançon www.larodia.com
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Tourments d’ici-bas
La danse, et après « Toujours s’intéresser au titre » : le conseil peut sembler ultra-bateau, mais il relève du b.a.-ba de l’exercice critique. Prenez Au-delà de DeLaVallet Bidiefono : de part son intitulé, on suppose que ce spectacle traite de la mort. Et en effet, celle-ci est bien au cœur de la création du chorégraphe congolais. Omniprésente à Brazzaville – où vit DeLaVallet Bidiefono et où il a fondé sa compagnie Baninga –, et plus largement au Congo dont l’histoire récente n’a eu de cesse d’accumuler les cadavres, elle inspire et traverse tout le spectacle. Réunissant sur scène six danseurs, un chanteur et deux musiciens, le chorégraphe conçoit une partition où les corps en tension énoncent l’impérieux souffle de vie face à la mort qui rôde. Pour autant, et bien « au-delà » du sujet annoncé, il est probable que la proposition produise sur le spectateur un effet bœuf, comme peu de spectacles en ont la capacité. Car devant ces interprètes virtuoses aux corps traversés de sursauts, de spasmes et de fulgurances – et dont on ne sait s’ils luttent contre ou pour la vie –, devant ces danses inouïes à la limite de la transe, effectuées sur des musiques aux pulsations profondes, on balance entre sidération et saisissement. L’intensité du spectacle est telle, sa puissance charnelle si concrète, qu’il touche au plus profond et renvoie chacun à un au-delà des corps et des mots. Macabre, peut-être, mais surtout profondément tonique, ce dépassement permanent sonne comme un cri de vie, plus déterminé que désespéré. Par Caroline Châtelet — Photo : Nicolas Guyot
AU-DELÀ, spectacle de danse le 25 mars à La Filature, à Mulhouse www.lafilature.org
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En ce début de XXIe siècle, alors que les convictions religieuses sont éprouvées, estil encore possible de trouver un semblant de Salut et d’arracher nos âmes à une sombre réalité sociale ? L’existentielle question est au cœur du projet d’écriture du Canadien Michael Lewis MacLennan qui, dans sa pièce La Grâce (1996), suit la trajectoire de six personnages en errance. Dans les entrailles d’une ville tentaculaire, ces êtres fragiles vont se croiser, se recroiser, jusqu’à comprendre qu’une possible résolution à leurs tourments se trouve dans la rencontre d’homme à homme. Des premières heures du jour aux ténèbres de la nuit, s’égrainent 24 heures de la vie fugace d’Hugh, 50 ans, fraîchement licencié ; Jared, gay et veuf à l’âge de 20 ans ; Thomas, 27 ans, atteint d’un retard mental ; Ruth, 60 ans, hantée par la voix de son époux disparu ; Paula, 23 ans, écrivain en devenir ; Lonnie, 30 ans, battue par son mari. Sensible à l’écriture bienveillante de MacLennan, Jean-Marc Elder porte sur les planches cette chorégraphie urbaine aux destins croisés. Bien loin du pathos, sa mise en scène fait honneur à l’humour noir de l’auteur, percevable dans les contradictions inhérentes à chaque personnage et l’incongruité de leurs rencontres. La Grâce, elle, jaillit quand on l’attend le moins au moyen de parenthèses dansées. C’est peutêtre somme toute l’homme qui porte, en lui-même et dans sa relation avec l’autre, sa propre délivrance en ces temps modernes. Par Claire Tourdot
LA GRÂCE, pièce de théâtre du 17 au 21 mars au Taps Scala, à Strasbourg
L’éternel féminin
Être ou ne pas être Charlie La transposition au théâtre d’une nouvelle, d’un roman, est toujours source de curiosité : comment l’équipe va-t-elle se saisir d’un texte non pensé pour le plateau ? Quels choix vont permettre de tirer d’un récit une dramaturgie ? Avec Des fleurs pour Algernon, nouvelle de Daniel Keyes publiée en 1959, l’adaptateur Gérald Sibleyras et la metteuse en scène Anne Kessler optent pour un monologue, laissant par ce biais toute la place au jeu de l’acteur. Une décision pas si étonnante lorsqu’on sait qu’Anne Kessler est elle-même comédienne et membre de la Comédie-Française... C’est donc seul en scène et dans un dispositif scénographique plutôt anecdotique que Grégory Gadebois porte l’histoire de Charlie Gordon. Ce simple d’esprit voit son destin lié à celui d’Algernon, souris de laboratoire, tous deux devenant les cobayes d’une même expérience censée décupler l’intelligence. De simplet, Charlie Gordon accède à la pleine possession de ses facultés de réflexion. Sauf qu’aux progrès stupéfiants succède la dégénérescence, le déclin de la souris devançant et annonçant celui de Charlie. Un arc d’évolution interprété avec finesse et subtilité par Grégory Gadebois, qui passe insensiblement de l’idiotie – celle-ci se disant aussi dans son corps gauche toujours désolé d’être là où il se trouve – à la maîtrise de soi, jusqu’à la régression finale, d’autant plus cruelle qu’elle s’effectue en conscience. Et au-delà de la virtuosité et de la justesse de jeu stupéfiantes de Gadebois (qui a reçu un Molière pour ce rôle), l’histoire de Charlie renvoie chacun au regard qu’il porte sur les autres et sur la différence. Par Caroline Châtelet — Photo : Pascal Ito
DES FLEURS POUR ALGERNON, pièce de théâtre du 10 au 21 mars au Théâtre national de Strasbourg www.tns.fr
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On se souvient avec émotion de la pièce Sous leurs pieds, le paradis, et de ce solo incroyable avec lequel Radhouane El Meddeb rendait hommage aux femmes sur le classique d’Oum Kalthoum El Atlal. Le danseur et chorégraphe tunisien revient avec Au temps où les Arabes dansaient, une pièce écrite pour quatre danseurs masculins. Comme pour Sous leurs pieds, il inverse les codes et aborde l’éternel féminin, celui magnifié par le cinéma égyptien des années 50, en jouant sur la part de féminité contenue dans chacun des mouvements qu’il fait interpréter. Les corps avancent en ligne, puis se déploient, s’articulent, ondulent avec sensualité pour recréer le lien éternel à la terre et aux éléments. On le sait, El Meddeb est militant ; ce qu’on mesure moins c’est le courage qu’il lui faut à lui, et naturellement à ses danseurs, pour aller ainsi au combat. Combat pour la dignité, combat pour la liberté. Combat tout simplement pour l’humanité. Là où les causes semblent entendues et la subversion une idée galvaudée, ce courage-là, incarné par la danse du ventre l’engage, tout comme le spectateur, dans une prise de conscience radicale. Avec, au bout du voyage, quelque chose d’irrépressible, une pulsion initiale. El Meddeb célèbre le corps et rien que le corps, le désir et une envie qu’il formule ainsi : « danser entre démesure et ravissement ». Par Emmanuel Abela – Photo : Agathe Poupeney
AU TEMPS OÙ LES ARABES DANSAIENT, spectacle de danse le 16 février à l’Espace Tival de Kingersheim ; les 17 et 18 février à Pôle Sud, à Strasbourg
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Rogelio de Egusquiza, Tristan & Isolde, 1910
Amor, à mort
Similar way Sans vertiges, Motorama continue son petit bout de chemin. Entamé en 2005, il est effectivement court mais clairement assumé : c’est le chemin du post-punk, teinté d’une coldwave tout droit venue du sud de Moscou et qui fait peau neuve dans son dernier album, Poverty. Avec un héritage aussi riche qu’indiscernable, ces têtes glacées soufflent avec une fraîcheur saisissante sur un post-punk qu’on a souvent vu s’engourdir. Il serait, bien sûr, possible de remonter leur trace : de Joy Division à The National, en passant par Peter Bjorn and John ou The Knife mais aussi par les cadences insistantes – nullement pesantes – de Neu! ou de Kraftwerk. La différence ? Le coup de frais ? Une rythmique échevelée, une voix grave et ténébreuse, à peine vibrante, un climat placide duquel surgit beaucoup d’intensité. L’élan est définitivement pris en 2012, à la sortie de l’album Calendar, qui gagna très vite l’Europe. Les Motorama y font une immense tournée et se frayent d’emblée un chemin dans la pop indé des plus grands. Ils avancent sûrement. Un peu à l’image de Gus, ce gamin de 10 ans, qui dans le film Motorama, inspirateur du nom du groupe, cherche à la fois ordinairement et de façon surréaliste à gratter un pactole de 500 millions de dollars. Sans doute dira-t-on qu’ils règlent leurs pas sur ceux de leurs pères. Ils sont en tout cas bien partis pour hanter la new wave. Similar way but new wave. Par Antoine Oechsner de Coninck — Photo : Hadrien Wissler
MOTORAMA, concert le 11 février à la Rokhal, à Luxembourg ; 14 février 2015 à la Laiterie, à Strasbourg www.rockhal.lu www.artefact.org
« Quelle musique cela va être ! Je pourrais consacrer tout le reste de mon existence à ne travailler qu’à cette musique. Ô ce sera profond et beau ; […]. Je n’ai encore jamais rien fait de tel : mais je me consume complètement dans cette musique. » Tels sont les mots que l’on pouvait lire dans une lettre que Richard Wagner adressa en 1858 à sa muse Mathilde Wesendonck. Il évoquait Tristan et Isolde, opéra inspiré de la légende celtique de Gottfried de Strasbourg, de théories schopenhaueriennes menant à sa « négation du vouloir-vivre » et… de Mathilde elle-même. En effet, Wagner, alors marié à Minna Planer, entretenait une relation secrète avec l’épouse de son mécène, Otto Wesendonck. Il éprouva l’amour interdit et les trahisons. Des thèmes dominants que l’on retrouve dans le récit de Tristan et Isolde. Isolde, princesse d’Irlande, se trouve dans le navire du chevalier Tristan, qui l’emmène en Cornouailles pour qu’elle épouse le roi Marke. Elle n’a pas oublié que le chevalier a tué Morold, son fiancé, avant de se faire passer pour un autre afin qu’elle soigne ses blessures. Désirant d’abord se venger de lui, elle avait fini par s’en amouracher. Furieuse d’être à présent traitée comme une vulgaire marchandise et désemparée à l’idée de vivre auprès de celui qu’elle aime, tout en étant mariée à un autre, elle demande à sa suivante Brangäne de lui fournir un poison mortel pour Tristan et elle. Mais Brangäne lui procure un philtre d’amour. Arrivés en Cornouailles, Tristan et Isolde ne peuvent s’empêcher de se voir et de trahir ainsi le roi Marke… Par Stéphanie Linsingh
TRISTAN ET ISOLDE, opéra les 18, 21, 24, 30 mars et le 2 avril à l’Opéra national du Rhin, à Strasbourg, et les 17 et 19 avril à La Filature, à Mulhouse www.operanationaldurhin.eu
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Hommages, éclats de rire et destins croisés © Ronan Guillou, Tim, Truth or Consequences, 2012
Truth or Consequences C’est le nom d’une ville. Le nom d’un des nombreux périples du photographe Ronan Guillou qui sillonne les Etats-Unis depuis 15 ans. S’il s’est arrêté au Nouveau-Mexique, à environ 200 km de la frontière mexicaine, c’est d’abord pour ce nom. Ce qu’il y avait derrière était mythique, symboliquement et surtout photographiquement très fort. En 1950, la ville d’Hot Springs releva effectivement le défi lancé par l’émission radiophonique « Truth or Consquences » qui, pour ses 10 ans, proposa de tourner une édition spéciale dans la ville acceptant de porter ce nom si énigmatique. Autre symbole fort : la ville était apache et subit la conquête de l’Ouest. Un mal profond, donc. Un espace immense. Désert. Une sorte d’immersion dans ces films américains dont les protagonistes ne cessent d’avancer ou dans les peintures d’Edward Hopper, dont le cadre évidé laisse entrer l’ennui, l’insignifiance et cette lumière qui ne part plus. L’errance use par manque de frontières et se transforme aussi(tôt) en frontière. Mais la photographie, elle, permet de saisir la singularité de l’errance. Surtout à T or C, ville habitée d’une station thermale où les difficultés quotidiennes se font immédiatement jour : le manque d’eau croissant, une pauvreté palpable ainsi qu’un climat pesant. De ces cadrages simples et resserrés surgit une émotion frappante, une vie quotidienne qui va du banal au singulier. C’est le deuxième souffle de l’exposition qui a déjà été présentée à la NextLevel Galerie de Paris.
Requiem est la dernière pièce écrite par Hanoch Levin, dramaturge engagé et metteur en scène israélien. Toute son œuvre, et Requiem plus que jamais, est marquée par les larmes qui côtoient le rire. Levin aimait bousculer son public avec des textes forts et déconcertants. Nurit Yaari, professeur à l’Université de Tel-Aviv déclarait : « L’œuvre théâtrale de Hanoch Levin est imprégnée d’une critique virulente de la réalité politique, sociale et culturelle de l’État d’Israël. Avec une acuité hors du commun, Levin n’a cessé d’interpeller ses concitoyens contre les conséquences nuisibles d’une occupation durable des territoires conquis ». Le texte s’inspire de trois nouvelles de Tchekhov, écrivain, nouvelliste et dramaturge russe. Levin nous raconte l’histoire d’un fabricant de cercueils qui enterre sa femme, d’une jeune mère qui refuse de pleurer la mort de son enfant, et d’un cocher qui porte le deuil de son fils mais n’a d’autre confident que son cheval. Cécile Backès y apporte une mise en scène douce et pleine d’émerveillement. Actrice, metteuse en scène, et ancienne élève à l’école du Théâtre national de Chaillot, elle a su préserver l’authenticité du texte tout en modernisant la mise en scène qui nous rappelle que l’engagement de Hanoch Levin est toujours d’actualité. La Manufacture de Nancy, incubateur de théâtre contemporain et d’idées neuves, marque, ici encore, son goût pour l’innovation proche de l’avant-gardisme. Par Fanny Ménéghin - Photo : Thomas Faverjon
Par Antoine Oechsner de Coninck
Ronan Guillou, Truth or Consequences, exposition du 13 février au 5 avril à La Chambre, à Strasbourg www.la-chambre.org
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REQUIEM, pièce de théâtre, du 3 au 6 février au théâtre de la Manufacture, Centre Dramatique National, à Nancy www.theatre-manufacture.fr
MAR 10 → MER 11 FEVRIER 2015 20h30 TAPS LAITERIE
JEu 12 → VEn 13 FEVRIER 2015 20h30 TAPS SCALA
SAM 14 FEVRIER 2015 20h30 DIM 15 FEV. 17h TAPS LAITERIE
FAunE DIkAkAnyo FInAL, APhonE ConVERSATIon MyThoSwITh MySELF LogIquE de Kristine Groutsch Collectif Les Filles d’Aplomb, Strasbourg
de Diwélé Lubi Mise en scène Eric Bouvron Compagnie Matlosana, Strasbourg
(ACTES I ET II) CREATIVE CoMMonS 4
de Vidal Bini Compagnie KHZ, Strasbourg
Théâtre actuel et Public de Strasbourg
www.taps.strasbourg.eu tél. 03 88 34 10 36
DANSE
Festival de la Francophonie Ballet de Genève 03 février Nilda Fernàndez 14 février Walter, belge et méchant 17 février
vAriétéS
humour
lacoupole.fr 03 89 70 03 13
N° de licence entrepreneur du spectacle : 1050935 - 936 - 937 ~ Conception : starHlight ~ Photos : © GTG - Vincent Lepresle – © Marylene Eytier – © Mathieu Buyse
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Cristina Lucas, La Liberté Raisonnée, vidéo 4’50’’, 2009 (capture écran), Coll. de l’artiste © Cristina Lucas
Vertige de l’amour Fidèle à sa tradition scénographique, le Musée de l’Image réunit en ce début d’année deux expositions qui entrent en résonance autour de la même thématique, à savoir les Tourments. Les tourments de l’esprit, de l’amour et du couple qui animent depuis l’aube des temps les êtres de passion que nous sommes. Dans la première partie de cette exposition, une sélection de gravures et de lithographies affichent ce déchirement des âmes à travers les figures mythiques, Vénus, Cupidon, Orphée, Narcisse et bien sûr les incontournables Roméo et Juliette. Parallèlement, l’artiste espagnole Cristina Lucas fait écho à ces classiques, par son œuvre iconoclaste, interrogeant la nature humaine, le rapport de l’homme vis-à-vis de l’autre et de la société toute entière. Sont notamment présentées pour l’occasion, ses vidéos To the Wild, Habla et surtout La Liberté Raisonnée, dérangeante et pessimiste réinterprétation du célèbre tableau La Liberté Guidant le Peuple d’Eugène Delacroix. Les mélomanes ne sont pas en reste puisque Mozart, Haendel ou Purcell prennent également part à l’exposition. Par leurs opéras traitant de la confusion des sentiments, dont des extraits sont projetés, ils créent un dialogue avec les œuvres picturales proposées, effaçant ainsi la frontière entre image et musique. Par Julien Pleis
TOURMENTS, HISTOIRES D’AMOUR & CRISTINA LUCAS, exposition jusqu’au 15 mars, au Musée de l’Image, à Épinal www.museedelimage.fr
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De l’autre côté du miroir Piqûre de rappel pour les égarés des deux années passées : Jabberwocky, est une formation créée par trois étudiants en médecine en 2013 aux environs de Poitiers. Le trio produit une musique électro-pop à l’image du poème de Lewis Carroll dont le groupe a tiré son nom : lancinante, nébuleuse mais entraînante. Signe du talent des musicos, quelques mois plus tard, premier single, premier carton ! Photomaton, une pépite oscillant entre hit dancefloor et balade nocturne angoissée, finit à la deuxième place des charts français et, « honneur suprême », se voit choisir comme habillage publicitaire d’une célèbre marque de voitures d’origine franc-comtoise. Après le succès surprise et fulgurant de ce premier disque, ils enchaînent sans moins de réussite avec Pola, un second titre plus punchy, dont le clip onirique a bénéficié de l’impériale présence de l’actrice Golshifteh Farahani, parfaite en icône inaccessible. En novembre dernier Pola devient d’ailleurs un EP regroupant quatre titres dont deux inédits ainsi qu’une ribambelle de remixes jouissifs (pouce en l’air pour le « Jacques remix » de Pola). À ne pas rater sur scène, en attendant la sortie de l’album, tant le live sied à l’univers et l’énergie du groupe. Par Julien Pleis
JABBERWOCKY, concert le 20 mars à la Souris Verte, à Epinal www.lasourisverte-epinal.fr
La Journée de la jupe, de Nurkan Erpulat et Jens Hillje © Félix Grünschloss
Les voix de la jeunesse
Retour rapide On connaît CharlElie Couture le chanteur, revenu sur les écrans radar en fin d’année dernière avec son album Immortel. CharlElie le peintre, photographe et plasticien était parti en 2003 se (re)construire à New York ; ses photos de la Grosse Pomme ont d’ailleurs traversé l’Atlantique. Mais son travail d’artiste, ce n’est pas que cela, et ce « Renaissance man » le clame haut et fort dans l’exposition rétrospective que lui consacre la galerie Poirel à Nancy. On y découvre les tentatives de ses jeunes années en Lorraine, où, alternant entre Beaux-arts et activisme au sein du collectif Local à louer, il synthétise dans ses tableaux sa fascination pour Dada... tandis que son premier album auto-produit le lance dans le monde de l’industrie musicale, lui fermant pour longtemps les portes des musées. On a ici l’impression de découvrir totalement CharlElie Couture, 30 années de travail exposées d’un seul coup sous nos yeux. Photos-grafs dans les rues new-yorkaises, autoportraits, citations, griffonnages directement sur les murs de la galerie, comme s’il souhaitait nous montrer le chemin parcouru, CharlElie affiche la féroce envie du « multiste » jamais reconnu comme artiste total. Parmi les installations (dont certaines créées spécialement pour l’exposition), impossible de rater Manhattan Babylon, image de la blessure new-yorkaise ultime, reconstruite, brute, et figure idéale pour un artiste nourri par ses complexes et ses doutes. Par Benjamin Bottemer — Photo : Arno Paul
CHARLeLIE COUTURE, NCY-NYC, exposition jusqu’au 1er mars à la galerie Poirel, à Nancy www.poirel.nancy.fr
Lectures, rencontres théâtrales et spectacles sont au programme de la Mousson d’hiver, qui se déroulera pendant toute une semaine entre Nancy et Pont-à-Mousson. À l’image de la manifestation-sœur intitulée la Mousson d’été, l’événement est dédié notamment à la lecture de textes sélectionnés, à une différence près : la Mousson d’hiver présente des textes où la jeunesse constitue le thème central, et qui seront lus par des lycéens et étudiants lorrains. « Nous avons sélectionné des histoires et des propositions aux formes et aux traitements différents, décrit Émilie Rossignol, membre du comité de lecture. La rencontre, les émois amoureux, plus généralement la découverte de l’autre en constituent les thèmes principaux ». À l’abbaye des Prémontrés à Pont-à-Mousson auront lieu des échanges avec les auteurs et traducteurs en alternance avec les lectures, tandis que le théâtre de la Manufacture à Nancy accueillera les spectacles La Journée de la jupe de Nurkan Erpulat et Jens Hillje, pièce adaptée du film de Jean-Paul Lielienfeld, Il y a quelqu’un là-dedans d’Howard Buten, Forbidden di Sporgersi de Pierre Meunier et Dehors devant la porte de Wolfgang Borchert. Par Benjamin Bottemer
LA MOUSSON D’HIVER, lectures, rencontres, spectacles et concerts du 23 au 27 mars à l’abbaye des Prémontrés, à Pont-à-Mousson et au théâtre de la Manufacture, à Nancy. www.theatre-manufacture.fr
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Chants d’amour
Mouvements punk Le Ballet de Lorraine nous présente début mars une de ses premières créations 2015 dans son programme Livextase. Hok, Solo Pour Ensemble est menée par Alban Richard qui travaille ici avec la partition Hokeutus, créée par Louis Andriessen. La musique est inspirée du minimalisme des années 1970 et de la puissance du mouvement punk. Cet air vient tout à fait bousculer le spectateur amateur de ballet dans ses habitudes classiques, il s’interroge, puis il se laisse porter dans le tourbillon des notes et des danseurs. Alban Richard a voulu questionner le solo en le construisant pour un corps de Ballet de douze danseurs. La musique entraîne le groupe, le fait tourbillonner et les corps s’émeuvent, se meuvent, se pressent, s’empressent, s’éloignent, se rapprochent, courent, ralentissent, et tout cela en un seul mouvement. Le chorégraphe a gagné son pari, le hoquet de la musique fait corps avec le hoquet de la troupe. Les danseurs envahissent l’espace, ils le remplissent de mouvements tantôt aériens, tantôt martelés. L’alternance entre douceur et force laisse place à l’individualité qui s’exprime brièvement puis rejoint le mouvement rassurant du groupe. On pense avec un sourire à la scène d’ouverture des Temps Modernes de Chaplin. L’ensemble fait un et il obéit aux pulsations du cœur du groupe qui rythme les mouvements. Par Fanny Ménéghin — Photos de répétions : CCN Ballet de Lorraine
HOK, SOLO POUR ENSEMBLE, spectacle de danse du 5 au 8 mars à l’Opéra National de Lorraine www.ballet-de-lorraine.eu
L’Opéra national de Lorraine nous offre début février deux bijoux de l’opéra classique russe. Aleko, l’histoire d’amour passionnelle entre un jeune citadin et une bohémienne inspirée des Tziganes de Pouchkine, permet à Sergeï Rachmaninov de remporter la grande médaille d’or du Conservatoire de Moscou en 1892. Grâce à lui, l’univers tzigane devient véritable phénomène de mode : toute la bonne société moscovite de l’époque est séduite par l’indépendance, la vitalité, la sensualité du monde bohémien. Mais avant tout, elle se reconnaît dans une thématique qui magnifie l’amour dans sa version la plus douloureuse, ou comme il est écrit dans le livret : « Tout n’est que désespoir. Et même si l’on doit le payer toute sa vie, trahison veut dire mort. Elle, ensuite lui… l’autre. » Puis Francesca Da Remini, inspiré, lui, de L’Enfer de Dante, raconte une autre histoire d’amour, celle de Francesca da Remini et Paolo Malatesta. Dante retrouve les amants lors de sa découverte du premier cercle de l’Enfer, où l’on supplicie ceux que la passion amoureuse a détourné du droit chemin. Ces deux œuvres, créées au Bolchoï de Moscou, respectivement en 1893 et en 1906, seront accompagnées par le chœur de l’Opéra national de Lorraine et l’orchestre symphonique et lyrique de Nancy, dirigées par Rani Calderon et mises en scène par Silviu Purcarete. L’occasion de vivre de beaux chants d’amour, entre passion et déraison. Par Fanny Ménéghin
ALEKO ET FRANCESCA DA REMINI, les 6, 8, 10, 12, 15 février à l’Opéra national de Lorraine, à Nancy www.opera-national-lorraine.fr Visuel : croquis de costumes pour Aleko et Francesca da Rimini réalisés par Helmut Stürmer / Opéra national de Lorraine
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Orient-Express
L’association culturelle mosellane Boumchaka n’a rien à envier à ses grandes sœurs. Pour son 4e festival Freeeeze elle invite à Metz trois figures du rap international, français et lorrain. Et tout ça en une seule soirée ! Yasiin Bey aka Mos Def est en tête d’affiche, activiste de la scène du rap indépendant new-yorkais, il est désormais interdit d’entrée aux États-Unis pour ses prises de position critique envers la politique de son gouvernement, notamment en terme d’immigration. Au-delà de ses textes et productions old school relevé d’un flow jazzy, Yasiin Bey côtoie les plus grands et à l’écran – il a joué dans Be Kind Rewind de Michel Gondry et plus récemment dans la série Dexter. Préparezvous à bouger sur Ms Fat Booty, et tous ses autres titres, diamants bruts prêts à illuminer la Boîte à Musique de Metz. Ensuite, plongez dans un Aquatrip avec la voix d’or d’Hippocampe Fou. Le rappeur français nous entraîne vers les abysses de son univers surréaliste. Sirène d’un autre genre, sa voix claire et sa langue affûtée portent des textes actuels qui voguent entre humour et réflexion. Pour une fois, on boit volontiers la tasse ! Il est temps de remonter à la surface pour découvrir deux artistes lorrains du collectif Skeud en vrac : Nehs & Slz. Les sonorités hip-hop old school, soul et jazzy se mêlent aux textes efficaces et offrent un cocktail explosif à consommer sans modération. La Boîte à Musique se transforme en vaisseau qui vous fera voyager sans escale vers la planète rap.
Dans les vapeurs d’un hammam, se meuvent des femmes enturbannées, serviette blanche sur les hanches. La scène, lascive, rappelle Le Bain Turc, d’Ingres. Deux groupes évoluent en miroir et se kaléidoscopent lorsque surgissent des hommes vêtus de noir, masqués par des balaclavas. À l’atmosphère douce et tamisée, succède un rythme soutenu, dans la musique comme dans la danse. Une danse dans laquelle techniques néoclassiques se mêlent au langage contemporain. Pour Les Nuits, le prolifique chorégraphe Angelin Preljocaj s’est inspiré des Contes des Mille et Une Nuits. La pièce pour 18 danseurs a été créée dans le cadre de Marseille-Provence 2013, Capitale européenne de la Culture, et aborde la dimension érotique de ces récits d’Orient. Derrière les moucharabiehs, on distingue les étreintes voluptueuses et en clair-obscur, des silhouettes qui progressent avec sensualité, maîtrise et synchronisation ; un pas de deux féminin, des charmeurs de femmes serpents, des barbiers, une danse en groupe, des femmes en rouge, fatales, qui esquissent des gestes façon revue, sur It’s a Man’s Man’s Man’s World de James Brown repris par Natacha Atlas. Angelin Preljocaj aime collaborer avec d’autres artistes. Après s’être entouré d’Enki Bilal, Jean Paul Gaultier ou Air, le chorégraphe s’est, cette fois, associé à Azzedine Alaïa pour les costumes et à 79D, Samy Bishai et Natacha Atlas pour la musique, afin de retranscrire au mieux l’univers de Shéhérazade, cette femme forte qui par son intelligence s’était dressée contre la barbarie d’un sultan et avait réussi à le rendre meilleur.
Par Fanny Ménéghin
Par Stéphanie Linsingh — Photo : Jean-Claude Carbonne
YASIIN BEY AKA MOS DEF + HIPPOCAMPE FOU + NEHS & SLZ, concert le 7 février à La Boîte à Musique, à Metz www.trinitaires-bam.fr
LES NUITS, spectacle les 5 et 6 février à l’Arsenal, à Metz www.arsenal-metz.fr
Merveilles du langage
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Vivre au fil de l’eau
Images et réalité Il était une fois une histoire vraie. Cette histoire, celle des tortures commises par des soldats de l’armée américaine sur des prisonniers irakiens à Abou Graib, a suscité lors de son dévoilement par la diffusion de photographies dans la presse, des réactions dans le monde entier. Parmi les images publiées figurait celle d’une soldate qui, tenant en laisse un prisonnier, posait devant l’objectif. C’est à partir de cette image, parue dans le Washington Post le 21 mai 2004, que Claudine Galéa a écrit Au bord. Après avoir mis en scène le texte en 2014, Jean-Michel Rabeux a souhaité lui-même écrire à partir de cette histoire. On pourrait voir là une sorte de matriochka, la réalité donnant l’image qui elle-même inspire le texte, qui après avoir donné un spectacle impulse l’écriture et la conception d’un autre spectacle, ce dernier travaillant à produire… d’autres images. Dans La petite soldate américaine, « conte sans fée mais avec moralité », le récit est volontairement simple. Elle, soldate minuscule aimant chanter des chansons américaines, perd sa voix et n’en retrouvera l’usage qu’à travers la guerre et la perpétration de sévices. Lui, narrateur grand et massif représentant les divers pouvoirs (militaires, politiques, médiatiques), la manipule et la déplace d’un espace à l’autre. Vêtus de tenues évoquant celles des jazzmen, tous deux alternent musique, jeu et chant. Pourtant, aussi rugueuse, charnelle soient leur présence, ils peinent à donner de l’épaisseur à ce conte qui demeure manichéen et littéral, sans parvenir à dépasser l’image dont ils s’inspirent. Par Caroline Châtelet — Photo : Ronan Thenaday
LA PETITE SOLDATE AMERICAINE, pièce de théâtre le 8 avril au lycée Charlemagne, à Thionville www.nest-theatre.fr
Si la vie est un voyage, Jon Fosse nous livre un texte plein de poésie sur l’aube et le crépuscule de la vie de Johannes, vieux pêcheur norvégien. Le romancier, poète et dramaturge norvégien crée un univers décalé plongeant le spectateur au cœur des pensées et des sentiments du personnage. Fosse tourne une grande partie de son œuvre vers la mort, sans jamais tomber dans le macabre ni le malheur. Il sait donner à la mort des habits de lumière. La pièce est portée par Christine Koetzel avec justesse et douceur. Seule en scène, elle nous berce, tel le son de la houle, dans cet espace flou entre passé et présent. Fondatrice de la compagnie Echo, chaque création est pour elle une tentative d’ouverture à de nouvelles portes de la réflexion. Elle saisit l’occasion d’apprivoiser un peu plus le réel grâce à une écriture poétique. Matin et Soir est mise en scène par Anne Dupagne et Christine Koetzel, deux représentantes du théâtre contemporain. Guy Amard construit une scénographie sobre, intimiste, minimaliste, où chaque élément nous rappelle les rouleaux des vagues qui entraînent le personnage vers un ultime horizon. Matin et Soir est une pièce à l’image de la mer : puissante, effrayante, mais aussi douce et belle. On embarque volontiers pour cette croisière pleine de sentiments qui transforme la mort en un magnifique couché de soleil. Par Fanny Ménéghin
MATIN ET SOIR, pièce de théâtre le 26 mars au théâtre le Carreau, à Forbach www.carreau-forbach.com
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Une balade d’art contemporain Par Sandrine Wymann et Bearboz
Ernesto ne veut pas... Ernesto ne veut pas apprendre les choses qu’il ne sait pas. Ernesto a mieux à faire que de fréquenter l’école et d’écouter son maître. Ernesto va s’y prendre différemment pour devenir adulte, il va rachâcher. Inutile de lui faire la leçon, il n’en sera pas autrement, Ernesto est sûr de lui et déterminé. Pas d’opposition, pas de violence, pas de rébellion chez cet enfant tout droit sorti de la plume de Marguerite Duras en 1971 puis porté à l’écran par JeanMarie Straub et Danièle Huillet en 1982. Ernesto ne veut simplement pas apprendre ce qu’on lui enseigne à l’école. Il ne nous laisse pas d’autre choix que de lui faire confiance. Dans cette exposition, Elodie Royer et Yoann Gourmel ont rassemblé des œuvres qui reflètent l’esprit d’indépendance du garçon. Elles sont poétiques, énigmatiques, elles laissent de la place à ce qui n’est pas convenu, ne s’interdisent pas de brouiller les règles et conventions de lecture, du langage, du confort, de l’équilibre... D’abord le film en guise d’introduction. Les personnages sont présentés, le sujet est lancé. Suivent les œuvres et commence le voyage au pays d’Ernesto. Holes in Philosophy #1 est une encyclopédie de philosophie allemande que Benoît Maire a découpé de manière à permettre des lectures transversales des textes imprimés. Une autre de ses sculptures Niveau avec déchets indexés, contrarie l’évidence de l’équilibre physique. Axiom, un mobile de Nicolas Paris confronte de simples formes géométriques et leurs ombres dansantes à une tentative d’immobilisation par des dessins au mur. A l’étage dans Detours, il collectionne et met en bouteille de précieuses et volatiles graines. Un peu plus loin, il aligne avec Flakes une série de papiers déchirés selon un procédé identique et malgré tout, tous différents. Une œuvre sonore de Dominique Petitgand nous plonge dans l’inintelligence d’une parole enfantine. Ana Jotta fait de deux écrans de projections sa toile et peint des atmosphères météorologiques porteuses d’histoires. Au milieu de l’espace et parmi toutes les autres œuvres, s’élève un Ginkgo, L’arbre suspendu de Guillaume Leblon. Il s’impose majestueux, feuillu, sans racine et détaché du sol. Il est la mémoire, le passé, le présent, le futur et la continuité. Des gestes simples, des objets familiers, rien d’exceptionnel, des formes reconnaissables mais toutes repensées. Chacune des œuvres déjoue une forme, une fonction ou une nature et nous touche par ce qu’elles ont d’inattendu. Elles parlent à notre sensibilité, à notre enfance et notre curiosité. Et si les commissaires de l’exposition avaient élucidé une part du mystère du rachâchage ?
Ernesto Avec : David Douard, Danièle Huillet et Jean-Marie Straub, Ana Jotta, Guillaume Leblon, Benoît Maire, Nicolás Paris, Dominique Petitgand Jusqu’au 15 février au Centre Européen d’Actions Artistiques Contemporaines – CEAAC, à Strasbourg www.ceaac.org 42
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Rencontres
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Lou Doillon 29.11
Festival EntreVues
Belfort
Par Philippe Schweyer Photo : Zélie Noreda / Eurockéennes
Rencontre improvisée dans les toilettes de la salle des Fêtes de Belfort avec Lou Doillon, présidente bienveillante du jury Eurocks One+One, lors du dernier festival EntreVues. Êtes-vous une grande cinéphile ? Oui et non. C’est compliqué parce que je suis l’enfant d’un radical. Avec un père comme le mien, qui est une sorte de quasi trotskiste du cinéma, c’est vrai que j’ai du mal actuellement. Le festival EntreVues m’a fait du bien, il m’a réconciliée avec le cinéma d’aujourd’hui. Je suis d’abord actrice, je suis dans une position de victime consentante. C’est ce qui me ravit, même si j’ai rarement trouvé le metteur en scène qui me “victimise” dans le bon sens, qui au moins me prend tout ce qu’il a à prendre. J’ai été élevé par des vampires, donc j’aime beaucoup me mettre au service des metteurs en scène. Tordre le cou et me faire vampiriser, ça m’amuse hautement. C’est un vrai plaisir ? Oui, pour des génies ! Je peux baisser mon cou pour Jacques Doillon, je suis ravie. Pareil pour Arthur Nauzyciel, je sais qu’il ne m’arrivera rien. Ce qui est malheureux, c’est quand on se retrouve avec des gens qui n’ont pas le respect de la démarche frapadingue que c’est de se donner à ce point-là. Je viens d’un cinéma qui est plus proche d’un cinéma d’auteur, de réalisateurs qui ont écrit leurs histoires et qui sont impliqués d’une manière vitale et essentielle. Je préfère travailler avec des gens qui meurent s’ils ne tournent pas. Quand je vois des films où le jeu est un peu moyen, j’ai envie d’aller gifler les réalisateurs en leur disant : « Bande d’enfoirés, pendant trois mois des gens se sont donnés à vous, on se doit de les aimer plus que tout ». J’ai eu la chance de travailler avec des réalisateurs qui ont un niveau d’amour et de générosité absolument désarmant. Mon père dit souvent assez justement qu’à partir du moment où les réalisateurs sont dans des écoles qui sont le plus loin possible des écoles d’acteurs, ils commencent déjà en étant terrorisés par les acteurs. Il a raison de dire que les cours d’acteurs et La Fémis [école nationale supérieure des métiers de l’image et du son, ndlr] devraient travailler ensemble dès le début pour que chacun comprenne qu’il n’y a pas de quoi avoir peur. Aujourd’hui, les réalisateurs ont très peur des acteurs et les acteurs ont très peur des réalisateurs. On devrait apprendre à travailler ensemble pour ne pas avoir peur. On est de sacrés alliés normalement.
Votre prochain album sera-t-il dans la même veine que le premier ? Oui, dans la mesure où je compose, je chante et j’écris les paroles. Je n’ai pas changé là-dessus. Maintenant, je vais travailler avec d’autres producteurs et profiter d’une expérience de la scène que je n’avais pas pour le premier album. C’était surréaliste d’être en studio alors que je n’avais jamais chanté devant qui que ce soit. Peut-être que ça se sentira un peu que j’ai fait un an et demi de tournée. Y a-t-il a beaucoup de pression par rapport au premier album ? Non, il y avait tellement de pression pour le premier qu’il ne peut pas y en avoir plus ! Ce disque, c’était la dernière chose à faire, ce que je comprends complètement ! Les gens en ont ras-le-cul de la polyvalence et des gens qui font tout et n’importe quoi pour qu’on parle d’eux ! Je comprends absolument ! J’aime bien la polyvalence… Moi aussi j’adore ça ! Là-dessus je suis assez anglosaxonne. Chez tous les gens que j’aime, j’aime tout ! J’aime leur maison, j’aime leurs journaux intimes… À partir du moment où on a la névrose d’avoir une sorte de besoin d’expression absolument cinglé, ce qui est gracieux c’est d’avoir à la fois un ego démesuré en trouvant normal que mille personnes viennent vous écouter et de l’autre côté, l’humilité absolue qui est de se mettre en position de victime devant mille personnes qui peuvent vous envoyer chier. Lorsqu’on prend une position, on se soumet à la critique. Dans le monde moderne, les gens ont du mal à être soumis à quelque critique que ce soit. J’ai adoré voir qu’avec Facebook, mes copines devenaient pire que Madonna en voulant contrôler leur image. Il y a d’un côté une folie totale qui est de vouloir s’exprimer et de l’autre une deuxième folie totale qui est de prendre le risque qu’on vous dise que ce n’est que des conneries. J’aime bien ça. Le besoin de s’exprimer est-il forcément lié à un ego démesuré ? C’est une forme d’ego de me dire que j’ai mon monde et de ne pas être déprimée tout au long de la journée parce que je ne suis pas dans le monde de l’autre. Je ne peux pas dire mieux. Toute la société d’aujourd’hui est basée sur le désir, basée sur la trouille et basée sur le fait que vous êtes quand même un peu moyen et qu’en achetant le mascara, le magazine et la machine
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à laver, ça ira peut-être mieux. Oui, j’ai l’ego de me dire tous les matins, et ben non je n’en veux pas de ta machine, je vais faire mon petit bout de chemin et tracer ma route. Je suppose que l’on a dû me donner un bon quota d’amour quand j’étais petite pour que j’aie cette envie-là et peut-être aussi qu’on ne m’a pas assez regardée pour que j’aie autant envie qu’on me regarde. Le fait de vouloir faire des choses, est-il forcément lié à une névrose ? Oui, je pense que c’est un désir de défragmenter ce qui se passe pour essayer de le comprendre et que c’est de l’ordre de la névrose. Je vois plein de gens qui traversent la vie sans avoir besoin de la décomposer dans tous les sens. Moi, j’écris mon journal, je dessine tous les jours, je suis obligée de m’arrêter tout le temps pour digérer. Je fais deux rendez-vous par jour et j’arrive à peine à les faire tellement ça me prend cinq heures juste pour réfléchir à tout.
— Mon ennemi, c’est le temps. Je fais des chansons qui sont fragiles. Plus on leur met des trucs sur la tronche, plus elles s’écroulent. — Votre journal est-il destiné à être publié ? Surtout pas ! Je vais faire une toute petite édition avec les dessins, ce qui m’amuse assez. Je suis obsédée par les illustrations et j’achète des livres que l’on doit être cinquante à acheter. Il n’y a que les illustrateurs qui achètent les livres d’illustration [rires, ndlr]. C’est un art un peu bizarre, mais tant qu’il y a des gens assez branques pour dépenser du blé juste pour trouver du joli papier et sortir de jolis livres, je suis ravie. Déjà toute petite, je ne pouvais pas m’habiller comme les autres, je ne supportais pas d’avoir le même jean que quelqu’un d’autre, il fallait que je le customise. Il fallait aussi que dans ma chambre, il y ait mes trucs à moi. Je n’ai jamais pu mettre de posters ou idolâtrer qui que ce soit. Depuis ma petite enfance, j’ai besoin de marquer mon territoire. Je suis un clebs ! [Rires, ndlr].
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Ce qui est raconté dans vos chansons rejoint-il ce que vous écrivez dans votre journal ? Oui, et ça rejoint aussi les dessins. Mon obsession, c’est le commun. J’adore les objets communs et j’adore la récurrence. Là-dessus, j’ai eu de la chance avec mon père qui m’a élevée depuis toute petite avec cette sensibilité-là. J’ai toujours aimé les romans de rien ou les romans de losers. J’adore Raymond Carver, j’adore quand il ne se passe quasiment rien. Partout où je vais, je dessine mes pieds et mes genoux. Mes chansons parlent de la récurrence des choses. Quand j’écris une chanson, je sais pourquoi je l’écris et pour qui. Comment les gens qui vivent autour de vous reçoivent-ils vos chansons ? J’ai eu un ex qui a eu la bêtise de me demander si je parlais de lui dans une chanson. Je ne lui ai pas répondu parce que je suis très gênée par rapport à ça. Je cherche tellement à comprendre ce qui m’arrive que je ne flatte pas les garçons en leur faisant croire qu’ils sont exceptionnels. Ce qui m’amuse, c’est de me rendre compte de tout ce qui est récurrent. C’est profondément féminin, ce n’est pas loin de l’ordre du tricot, c’est circulaire. En fait, il se passe toujours la même chose et les gens me racontent toujours la même histoire. Je collectionne les plumes de pigeons parce qu’ils sont toujours là. C’est mon animal préféré ! J’ai un carnet entier dans lequel je collectionne des plumes de pigeons qui se ressemblent toutes. Tous mes potes se foutent de ma gueule ! Sous ces plumes, il y a écrit Paris, Tokyo, Beijing ou Dubaï. Ce ne sont pas les mêmes plumes, mais c’est toujours un pigeon que personne ne regarde. Moi je le regarde ! J’adore les pigeons, ils sont tout le temps là, ils nous suivent. Il y a des gens qui fantasment un aigle. Je suis parisienne, l’aigle je ne le croise pas. C’est mon pigeon que j’aime, c’est le trottoir que j’aime… J’adore Raymond Carver, j’adore le rien. Mes auteurs préférés sont John Fante, Charles Bukowski et Knut Hamsun, tous ceux qui parlent du rien. C’est ça ce que j’adore. Notre vie c’est ça. Il n’y a jamais rien de plus exceptionnel que ça. En lisant Carver qui décrit une fille qui fait la vaisselle, je peux être dans un état de larmes pendant deux heures et demie parce que c’est ça qui nous flingue ! Ce qui nous arrive toute la journée, c’est du nano. Je ne comprends pas ce monde dans lequel on ne parle que de l’énorme ni les gens qui pensent qu’on se rejoint systématiquement dans les moments les plus gracieux. Le succès de ma musique a très peu à voir avec la musique, mais a à voir avec le fait que je parle systématiquement de mes moments de plus grand doute et du plus intime. Michel Piccoli m’avait dit qu’il n’y a rien de plus universel que l’intime, que l’intimement personnel. J’avais du mal avec ça, car j’aime beaucoup Deleuze qui dit qu’on n’a pas le droit de parler de sa petite histoire, qu’il faut parler au nom des autres. Je me disais : merde est-ce que moi je suis en train de raconter mes petites histoires ? J’ai
compris que non en chantant Jealousy devant 1 200 filles en larmes. Mes petites folles, bien évidemment que moi aussi je suis jalouse ! Je suis jalouse de tout, de la table, du chien, de la grand-mère, d’absolument tout ! Et puis, je vais tout faire pour foutre tout en l’air parce que c’est plus fort que moi et parce que je suis bourrée, qu’il est trois heures du mat’ et que le type est divin et qu’il est tellement divin qu’il peut aller se faire foutre et que c’est trop et que je ne suis pas capable de le gérer. Et le lendemain, je me dis : « C’était moi hier soir ? ». Ma mission est de contrer un monde qui n’arrête pas de me “sur-gonfler” sur l’exceptionnel. Je crois qu’à force d’oublier la philosophie du rien, on se retrouve dans l’idéologie du tout et ça devient très dangereux politiquement. Dans quel état êtes-vous quand vous écrivez une chanson ? C’est terriblement vital. C’est systématiquement quand il se passe quelque chose que le dessin ne peut pas résoudre, que le journal intime ne résoudra pas. La chanson vient toute seule, c’est elle qui me tombe dessus. Un jour, vous décidez de faire une chanson sur la jalousie… Jamais ! C’est parce que je pète les plombs de jalousie et que la seule manière de me calmer va être de l’écrire en ayant un peu honte parce que si ça se trouve je parle d’un truc qui n’arrive qu’à moi. Ça calme de faire une chanson sur la jalousie ? D’extérioriser c’est fou ce que ça fait du bien ! C’est pour ça que des gens vont voir des psys ! Parce que vous vous entendez. Tout ce que vous vous dites dans votre tête, vous ne l’entendez pas forcément. De le sortir, on le voit. Et de le voir et de l’identifier, ça vous rend plus fort. De dire je suis jalouse, ça calme la moitié de la jalousie. Et ensuite, on a même une sorte de micro fierté d’avoir pu en faire quelque chose. En chantant votre chanson sur la jalousie, vous repensez aux raisons pour lesquelles vous l’avez écrite ? Oui, ça me retombe dessus. Parfois trop fort d’ailleurs. Il y a des moments où les choses vous retombent dessus de manière tellement inattendue… et absurde aussi. Je me rappelle avoir joué I see you en Belgique au Théâtre royal. Sans que je m’y attende, avant même que je commence, 2 500 personnes se sont misent à chanter et là j’ai commencé à rire tellement c’était inouï. J’ai commencé à me sentir terriblement coupable et en même temps j’étais morte de rire. Il y a un moment où c’était ou me pendre ou écrire cette chanson. Deux ans et demi plus tard, t’es quand même une belle saloperie parce qu’il n’y a plus une once de cette tristesse en toi. T’es juste ravie d’être sur scène devant 2 000 personnes. C’est encore plus salopard et encore plus vicelard si t’essayes de te replonger dans la tristesse quand tu chantes. C’est comme se
couper et essayer plus tard d’enlever la croûte pour voir s’il y a encore un peu de sang qui sort. Ben non, c’est passé ! Grâce à eux, c’est passé et maintenant, j’ai le droit de rigoler en chantant. Vos prochaines chansons sont-elles déjà prêtes avant de rentrer en studio ? Oui, j’ai tout écrit, tout est fini. Qui sera le producteur ? Je suis encore en train de travailler avec deux personnes. Pour l’instant, je ne me prononce pas. J’attends de voir quand la magie va opérer. Y aura-t-il beaucoup de travail en studio ? Je ne sais pas vers quels types d’arrangements je me dirige. J’ai croisé des producteurs me disant qu’il fallait le faire comme les albums de Dylan de l’époque ou de Cohen, mais j’ai envie d’essayer autre chose. Est-ce que je prends l’électrique et je suis moins dans un picking habituel qui ressemble plus à du folk ? Est-ce que je slame des accords et on rentre dans quelque chose de plus obscur ? Je n’ai aucune idée pour l’instant. Quand sortira le disque ? C’est pour cet été et la rentrée. J’utilise les mêmes méthodes que mon père. Une fois que je suis décidée, je dis : « Je tourne » ! Avec Daho, on a fait l’album en dix jours d’enregistrement et dix jours de mix. Je me tiens à la même règle pour le deuxième. Mon ennemi, c’est le temps. Je fais des chansons qui sont fragiles. Plus on leur met des trucs sur la tronche, plus elles s’écroulent. On peut rajouter de la fioriture, mais je n’aime pas ça. J’impose à mes musiciens de se limiter à trois instruments pour l’album entier. J’aime beaucoup les albums des années 60-70 qui étaient fait comme ça. Je pense au vinyle et je veux une face A et une face B. Je veux que ça raconte une histoire du début jusqu’à la fin. Qui décide de la pochette ? Pour le premier, c’est la maison de disques parce que ça ne m’intéressait pas beaucoup. Le packaging n’était pas un mot que je trouvais très joli et je m’en foutais un peu. Pour le prochain, je pense que je m’amuserai plus à la faire. J’ai des idées pour des collectors parce que j’ai la chance d’avoir une maison de disques qui croit en moi. J’ai signé avec une major et je ne vais pas faire semblant d’enregistrer dans ma cuisine. Comme j’adore dessiner, je ferai peut-être un vinyle single où je prendrai en main toute la direction artistique. Mais je ne veux pas flinguer ma maison de disques et leur faire une DA absurde. Je suis avec des gens qui investissent du blé, mais surtout qui ont la foi, qui m’aiment et me suivent. La musique ne va pas bien dans le monde d’aujourd’hui, donc il faut garder les rapports précieux. Il n’était pas question de refaire un disque avec Daho ? Non, mais Daho est mon éditeur donc de toute façon, il est là. C’est lui qui valide chaque chanson. Ça veut dire quoi, il valide ? Ça veut dire que c’est mon allié. Il écoute et moi je suis super têtue. Même s’il me dit qu’une chanson n’est pas bien, je la ferai quand même. Sinon, c’est moi seule avec un mur et je fais du squash… À un moment donné, le squash ça devient chiant, donc on fait du ping-pong.
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Vaudou Game 29.11
Noumatrouff
Mulhouse
Après Ebo Taylor ou Seun Kuti, le collectif Afro Spicy invite une nouvelle perle du funk africain au Noumatrouff. Vaudou Game, c’est la rencontre entre Peter Solo, charismatique chanteur et guitariste originaire du Togo, et cinq blancs-becs lyonnais imprégnés d’un son funk et soul millésimé, pimenté d’une fièvre toute tropicale. Le « jeu vaudou » du groupe met la salle mulhousienne en transe, la captive de ce groove s’étendant et se développant à l’infini relevé par la présence magnétique d’un homme qui entend rétablir la vérité et rien que la vérité sur le vaudou. Le nom du groupe, la pochette de l’album, les rituels effectués sur scène avec les musiciens, renvoient tous à la culture vaudou : pourquoi cette culture est-elle importante pour vous ? Au Togo et au Bénin, le vaudou a beaucoup d’importance. Avec Vaudou Game, je veux remettre les choses en place : le vaudou, ça veut dire « consulter », c’est un art divinatoire qui se sert du chant pour consulter les entités. La terre, l’air, l’eau, le feu, sont des éléments qui vibrent. En les écoutant de près, on atteint Mawu, l’énergie suprême : Lissa, le Créateur, a utilisé ces éléments pour façonner ce macrocosme qu’est notre monde, son énergie réside partout. L’homme se croit dominant mais on n’est pas plus que des fourmis. On fait partie d’un tout. Alors, quand on cueille une plante, on lui parle, on s’en excuse, on en replante une autre. La terre nous nourrit, nous soigne. Connaître et respecter la nature permet par exemple de comprendre le pouvoir des plantes : quand on les mélange à un moment précis, elles peuvent réagir. En Occident, on connaît surtout les clichés liés à la sorcellerie, à l’envoûtement… Le vaudou, ce n’est pas une poupée à piquer, ce n’est pas satanique. Mais il existe deux polarités, positives et négatives qui sont complémentaires, le monde est fait des deux. Nos frères, qui ont emmené le vaudou dans les îles, ont utilisé la polarité négative car ils étaient en situation d’esclavage, d’oppression : ils devaient lutter contre leurs maîtres et surtout leur faire peur. Et c’est ce côté-là qui a été retenu par la culture venue d’Amérique, le cinéma, puisque cela correspond à ce que les Américains ont connu du vaudou… Il ne faut pas en avoir peur ou honte, le vaudou n’est pas sombre. Si vous croyez en la nature, si vous parlez à la mer pour profiter de son énergie, c’est déjà du vaudou. Peu importe le nom que vous lui donnez.
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Par Sylvain Freyburger Photo : Brahim Aboulaich
Vous vivez maintenant en France et vos musiciens n’ont pas été élevés dans cette culture : quelle place garde le vaudou dans votre vie et dans votre art ? Le vaudou se trouve partout, ici en France comme au Togo ! Ce n’est pas une religion, il met tout le monde responsable. En Afrique, les prêtres peuvent prévenir les gouvernants des catastrophes que peuvent impliquer certaines décisions qui portent atteinte à l’environnement. Mais je vis en France et c’est ce qui se passe ici qui m’intéresse, on peut y sensibiliser les gens à toutes sortes de problèmes. Avec Vaudou Game, on a un message à dérouler qui passe par l’énergie de la musique et par certaines paroles. Le vaudou contient une énergie que tu peux activer, une énergie de combattant. Quand tu sais que tu es épaulé par l’ensemble de la nature, tu sais que tu peux prendre des risques et continuer à avancer. Pour jouer dans Vaudou Game, il faut être humain, avoir une conscience, chacun dans le groupe partage cette philosophie. La musique de Vaudou Game est-elle le résultat de cette connaissance du vaudou ? Vaudou Game réhabilite le vrai funk des années 70, celui de James Brown, Otis Redding, Wilson Pickett, qui a influencé en Afrique des groupes comme l’Orchestre Poly-Rythmo de Cotonou ou El Rego, ainsi que celui de mon oncle, Roger Damawuzan. C’est un retour aux sources, à une musique sans égale : la modernité n’a aucune importance dans notre monde, on ne peut pas faire cette musique avec du matériel numérique. Pour ne pas trahir les valeurs d’humilité, de simplicité et de respect de la nature véhiculées par le vaudou, cette manière de concevoir la musique s’impose.
Rencontres
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Rencontres
The Dø 22.11 La Laiterie Strasbourg Il est toujours appréciable de constater qu’un groupe garde la tête froide au fil des années. Et pourtant, le succès ou les tournées à répétition auraient pu avoir raison de The Dø. On le sait, Olivia Merilathi et Dan Levy ont laissé quelques plumes dans leur aventure commune. Ils ne forment plus ce joli couple à la vie comme à la scène, mais quand on les croise ensemble leur complicité reste totale. En témoigne ce troisième album, Shake Shook Shaken, qui explore des voies sonores nouvelles avec l’apport grandissant de l’électronique. « Le but, c’était de donner de la chaleur, nous précise Dan. On nous dit que le digital c’est froid, aussi bien dans le domaine de la musique que de la photo. » « Maintenant, ça fait partie de la vie de tout le monde », souligne Olivia. Une évolution naturelle, selon eux. « Oui, poursuit Olivia, mais nous restons dans un cadre naturel : celui de chansons pop, un format revendiqué, en tout cas pour moi ! » La question qui se pose dès lors, c’est comment capter cette chaleur au cœur de la technologie. « La technologie importe peu, c’est ce qu’on met dedans qu’on retient. Au final, on s’attache aux chansons », nous explique Dan, conscient que son discours va à l’encontre des idées reçues. Olivia, elle, revient à l’intention première du disque : « Nous cherchions une émotion assez immédiate. Si nous avions passé trop de temps sur le processus créatif, peut-être nous serions-nous éloignés de cette émotion,
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Par Emmanuel Abela Photo : Christophe Urbain
justement ». Le propos semble paradoxal, quand on sait que les choses se sont passées à distance avec des envois de fichiers numériques via Internet. Mais pour Dan, rien d’incompatible entre cette manière de faire et l’immédiateté avancée par Olivia : « Nous formulions les choses à l’économie, donc de manière concise. Nous faisions en sorte qu’en l’espace de quelques secondes, l’autre puisse saisir une intention. Tout se fait dans l’échange, le message se doit d’être instantané. Nous vivons dans une société de l’instantané, justement, et plutôt que de se montrer critique il est parfois bon de s’interroger sur ce qui nous motive à cultiver cette immédiateté, cette instantanéité-là ». Olivia précise : « Il y avait un état d’urgence, il fallait s’appuyer sur cela et s’en inspirer ! » Au-delà de la gravité que cette urgence sous-entend, il en résulte – et c’est sans doute la chose la plus surprenante –, une incroyable cohérence avec des chansons qui s’inscrivent pleinement dans leur temps. On ne saurait dire si le groupe vient d’écrire les chansons d’une génération – tous les éléments sont pourtant présents, la solennité des paroles par exemple –, mais le duo frappe là sans doute un grand coup. On ne peut s’empêcher de les interroger sur la dimension visuelle sur scène, avec des costumes, rouge pour elle, blanc pour lui – à ce titre, les accords de couleur bleu qu’ils arborent backstage montrent qu’ils restent en phase esthétiquement – ; celle-ci ajoute quelque chose à la distinction du groupe, un peu à la manière des Beatles première époque, Kraftwerk ou Metronomy. « Nous n’avions pas envie de partir dans tous les sens. Nous cherchions à resserrer le propos », justifie Olivia. « Oui, et en même temps j’aime l’idée du super héros, s’amuse Dan. Une fois qu’il a mis son costume et sa cape, on sait qu’il s’agit de Superman. Moi, quand je vois Olivia débarquer avec sa combi rouge, je me sens bien ! »
Girls in Hawaii 25.11 La Filature Mulhouse Vous citez fréquemment comme influence un groupe remarquable, trop souvent oublié par la critique, Pavement. On retrouve chez Girls in Hawaii ces mélodies très cristallines, avec toutefois un côté garage moins affirmé. Dans votre dernier opus, Everest, une bascule s’opère nettement vers un côté plus pop. Est-ce qu’après plus de 10 ans de carrière on se détache de ses premières influences ? Oui, c’est vrai qu’on est issu de cette veine-là, Pavement, Nirvana, Weezer, toute la vague grunge mélodique en somme. Évidemment, au bout de 10 ans, on ne les écoute plus forcément et c’est plutôt sain de laisser ça de côté pour se créer “ses propres vêtements”. Avec Everest, on explore davantage, on est moins dans les références. Il y a une envie d’émancipation, oui. Il y a moins de coquetteries, on ne met plus ces petites paillettes qu’on empruntait aux autres groupes et on se retrouve moins référencés qu’avant d’une certaine manière. Votre dernier opus est assez sombre, on sent une teinte de désespoir. Dans quelles conditions l’avezvous écrit ? C’est parti d’un moment difficile, du deuil de notre batteur. On a essayé de mettre de la lumière dans une matière qui ne l’acceptait pas mais il n’est pas complètement défaitiste…
Par Vanessa Schmitz-Grucker Photo : Olivier Donnet
Everest est une véritable expérience plastique, on est face à un objet qui fait corps, qui fait sens, avec une harmonie, une cohérence qui se tient du début à la fin. Comment arrive-t-on à un tel équilibre ? On avait une matière très disparate mais pour la première fois, on a eu un vrai travail de groupe et le producteur nous a aidé à mettre de la cohérence dans les nuances. D’où cet aspect presque pictural et cette pochette qui s’est imposée comme une évidence. Mais l’équilibre vient aussi du fait qu’on avait un thème qui est celui de l’absence, du deuil et qui fatalement, donne une couleur. La joie candide devient horspropos dans ce contexte. Le son est très orienté, avec, par exemple, des synthés assez froids. Aviez-vous des appréhensions sur ce retour en studio ? Nous sommes arrivés plus libres avec notre première matière en studio. Il n’y avait pas d’enjeu dans les morceaux, nous n’étions même pas certains de délivrer quoi que ce soit. Ça nous a permis d’être dans le lâcher-prise total avec plus d’improvisation que d’habitude. On n’avait pas de pression du label, c’est au fur et à mesure du process qu’on s’est demandés s’il y aurait encore des gens pour l’écouter. Mais cette histoire très humaine donne une autre dimension à la musique et Misses a très vite été favorablement reçu sur le net. Comment est né le projet Hello Strange [album enregistré en live, ndlr] ? Jusqu’à présent on a beaucoup travaillé le côté rock sur scène, plus dense, on jouait moins sur le côté mélancolique ou fragile, notamment sur la tournée très électrique d’Everest. Hello Strange est un projet acoustique plus émotif comme pour laisser vivre ce que nous nous étions empêchés jusque-là.
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Rencontres
Arnold Pasquier 09.12 Kursaal Besançon Arnold Pasquier parachève le montage de Borobudur, son prochain long-métrage dont il accepte de dévoiler quelques séquences. L’action se passe en Italie, terre familière pour cet homme qui y a beaucoup œuvré au côté du documentariste Vincent Dieutre. Arnold Pasquier a laissé ses propres intérêts le guider, choisissant alors d’immortaliser le patrimoine architectural moderne souvent décrié en Sicile. Filmer les bâtisses rectilignes permet au film d’« échapper à la carte postale des citrons et du ciel bleu ». Borobudur, dont le titre est la trace d’un temple de Java, comme le nom d’un mystérieux personnage, est un film onirique où l’architecture est habitée de corps dansants. Chaque façade palermitaine est ainsi balayée par les gestes du danseur. Les mouvements de cette étrange chorégraphie rendent lisibles les surfaces aux ornements géométriques des immeubles. Danse et architecture se croisent. Le corps humain devient un signe venant s’adjoindre aux tracés des édifices. En retour, le bâti s’anime et nous rappelle qu’il a été construit pour accueillir des corps humains. Arnold Pasquier a été proche de Pina Bausch, fréquente ses danseurs, a eu le projet jamais réalisé de lui consacrer un documentaire. C’est ainsi qu’il empreinte la musique enivrante de son spectacle de 1989 : Palermo Palermo. Si le fantôme de Pina Bausch reste discret, cette présence musicale est
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Par Florence Andoka Photo : Florence Andoka
aux yeux de l’artiste « un sous texte intime pour le film ». L’œuvre est à l’image de son auteur. L’homme explique sa trajectoire complexe passant par la danse et l’enseignement en école d’architecture, jusqu’au Fresnoy qui accueille lors d’une résidence son désir de transdisciplinarité. Érudit, il évoque les films qu’il aime non sans plaisir, toujours soucieux d’éclairer honnêtement son travail. Dans Borobudur, Arnold Pasquier cite une scène importante du Journal intime de Nanni Moretti. Un homme coiffé d’un casque délicieusement désuet roule en vespa, la caméra poursuit sa course sinueuse vers le lointain. Mais l’Italie d’Arnold Pasquier n’est pas celle du mythe romantique où les artistes viennent à bout de force jouir de leurs dernières lumières. La Venise de Visconti ou celle de Cocteau, la Rome désolée de Vincent Dieutre, la Toscane ombragée de Guibert ont disparu. Pasquier se joue de cette imagerie d’esthète. Si le court-métrage L’Italie fait à nouveau référence à la péninsule latine c’est en tant qu’ombre portée sur le réel. Un homme peine à oublier un amour vécu dans la cité balnéaire de Senigallia. Pourtant les images le révèlent déambulant dans Paris tel Des Esseintes héros de Huysmans à la recherche de Londres. En investissant ainsi le cinéma, l’artiste nous rappelle comment il peut devenir un lieu multiple et à l’écart, où la réalité n’est enregistrée que pour mieux incarner nos fantasmes.
DU 7 FÉV. 2014 AU 14 AOÛT 2015
ŒUVRES MAJEURES DE LA COLLECTION WÜRTH
© Gilles Abegg Design graPhique Atelier Marge Design & VITALI COmPOsé en minion & Dijon LiCenCe 1–1011528
Le Barbier de Séville Rossini
Orchestre Dijon Bourgogne Chœur de l’Opéra de Dijon DIRECTION MUSICALE
Antonino Fogliani MISE EN SCÈNE
Jean-François Sivadier OPéra
Auditorium
opera-dijon.fr
Opéra de Dijon 2015 - CréDit PhOtO
20/02 22/02 24/02 26/02 20h00 15h00 20h00 20h00 03 80 48 82 82
Toutes les activités du Musée Würth France Erstein sont des projets de Würth France S.A.
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Sortie en librairie le 10 mars 2015 Édition chicmedias
www.facebook.com/visage.misanu
Olivier Roller
Regards sur 20 ans de portraits
Visage
mis à nu
The Last Judgement (détail), 1995 –1999, Céramique, béton, laiton, acier, bois de jarrah, bois d’ekki et chêne / 28 stations, Collection Würth, Inv. 5417-5441
WWW.MUSEE-WURTH.FR TÉL. 03 88 64 74 84
Les mots en émoi Depuis quelques jours, notre vision des choses nous engage différemment. Et même si ces entretiens ont souvent précédé les attentats de Paris, ces rencontres avec quatre auteurs émérites, Michel Butor, Jean-Marie Blas de Roblès, Salim Bachi et Nathalie Quintane modifient totalement notre relation au mot.
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Par Florence Andoka Photo : Nicolas Walterfaugle
Michel Butor, le mariage des mots et des images À vos yeux, la division de la littérature en genres a-t-elle du sens ? Comment avez-vous fait le chemin du Nouveau Roman [courant littéraire refusant la tradition, Michel Butor en est considéré comme l’un des pères, ndlr] vers la poésie ? Les genres littéraires ont un ancrage social. Chaque genre est un fonctionnement qui permet à la société de fonctionner d’une certaine façon, c’est pourquoi tout genre littéraire est structuré par des règles qui le définissent. Par exemple, on peut étudier le lien qui unit le théâtre du XVIIe siècle à la société de l’époque. Si la société change, cela induit la transformation des genres. Mais les genres comme les sociétés sont aussi fortement touchés par l’inertie. Le changement est souvent inconscient. Aujourd’hui, nous investissons des genres nouveaux qui ne sont pas beaucoup étudiés à l’Université. La création de ces nouveaux genres est liée à l’apparition de techniques nouvelles. Le scénario de cinéma par exemple, est un genre nouveau tout comme l’entretien dans un journal. La notion de genre évolue, un même genre qui parcourt toute l’histoire de la création littéraire voit également sa forme changer. On étudie toujours les choses après coup et donc nous ne connaissons pas encore vraiment les genres qui se pratiquent aujourd’hui. Les institu-
tions de recherche et d’enseignement se tournent le plus souvent vers des genres anciens. En ce qui me concerne, j’ai expérimenté différents genres, des romans bien sûr, mais aussi des genres moins célébrés. J’ai écrit notamment du théâtre radiophonique, ce qui n’a rien à voir avec le théâtre destiné à la scène. La poésie, qui est un genre parmi d’autres, est aussi un genre qui peut envahir tous les autres genres. L’écriture de romans a-t-elle encore un sens aujourd’hui ? On écrit, on publie et on lit encore beaucoup de romans, par conséquent, cela sert certainement à quelque chose dans le fonctionnement de notre société. Mais peut-être que cela ne sert pas à de bonnes choses, peut-être que cela aide la société à conserver certaines ornières. Je crois que ce qui est le plus intéressant dans la littérature actuelle, ce n’est plus le roman, même s’il y a de bons écrivains qui en inventent encore. J’aime lire des romans policiers par exemple et je sais que le roman policier a aussi son utilité sociale. Mais à titre personnel je n’écris plus de roman, parce que ce genre ne me semble plus aux prises avec la réalité contemporaine. Je trouve que le roman est décalé. C’est la nouveauté, c’est ce qui apparaît qui m’intéresse vraiment. J’ai publié mon dernier roman Degrés en
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1960, cela fait donc 54 ans que je n’écris plus de roman. Au début, j’ai essayé parce qu’il y avait une demande. Beaucoup de gens auraient voulu que je continue ainsi. Les éditeurs s’imaginaient qu’ils pourraient gagner encore beaucoup d’argent et moi un peu. Je ne demandais pas mieux mais ça ne marchait jamais, à chaque fois le texte devenait quelque chose qui différait du roman. Lorsque j’ai écrit une pièce radiophonique sur les chutes du Niagara, intitulée 6 810 000 litres d’eau par seconde, il a été traduit en anglais et l’éditeur américain a voulu noter absolument qu’il s’agissait d’un roman, ce qui n’était pas vrai. Le théâtre radiophonique est un genre à part qui s’est beaucoup développé en Allemagne. Qu’en est-il de votre collaboration avec les plasticiens qui représentent une grande part de votre activité littéraire ? Comment écrit-on sur l’art ou à partir de l’art ? Je me suis toujours intéressé à la peinture. Enfant, je peignais, je dessinais beaucoup. J’aurais eu envie d’être peintre mais les choses ont évolué autrement et je suis devenu écrivain. Il y a toujours en moi une nostalgie de la peinture qui me donne envie par mes textes de faire voir quelque chose. Entre le texte et la peinture, trois distances sont possibles. Le texte peut être à propos de la peinture comme le sont l’histoire de l’art et la critique d’art. Il s’agit d’expliquer comment voir l’œuvre. J’ai moi-même écrit de nombreuses critiques sur des peintures. Le texte peut aussi être à côté de la peinture, comme les cartels qui accompagnent les toiles des musées, ou les textes sur les murs des expositions. D’ailleurs, on n’imagine plus aujourd’hui une exposition de peintures sans texte. On vient désormais voir au musée, non seulement le rectangle de la toile mais encore un double rectangle qui comprend aussi celui du texte. Enfin, le texte peut aussi être dans la peinture. J’ai écrit un essai en 1969, Les Mots dans la peinture. Autrefois, les institutions considéraient que peinture et littérature étaient des domaines bien distincts, entre galeristes et éditeurs, le mélange était difficile. Les choses ont progressivement évolué. Le mariage est désormais étroit.
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Nous sommes ici dans le pays de Courbet, est-ce que cela retient votre attention ? Je n’ai jamais écrit d’essai sur sa peinture, mais j’ai écrit des poésies avec Colette Deblé à son propos, ce qui est très différent. Femmes de Courbet est un livre d’artiste.
— Il y a toujours en moi une nostalgie de la peinture qui me donne envie par mes textes de faire voir quelque chose. — Vous en avez réalisé de nombreux. Comment définissez-vous le livre d’artiste ? De nombreuses relations unissent le geste de l’artiste à celui de l’écrivain mais le livre d’artiste est d’abord un dialogue entre deux individualités. Ma collaboration avec Jiří Kolář par exemple a commencé par une correspondance. Dans les années 60, j’ai vécu quelques temps à Berlin grâce à une bourse, j’envoyais des cartes postales de peintures à Jiří Kolář qui vivait à Prague et me répondait par des collages réalisés à partir de mes envois. Chacun ignorait la langue de l’autre, pourtant, nous échangions ainsi. Avant les livres d’artistes réalisés ensemble, il y a donc eu cette correspondance d’objets. Dans un monde où l’on se déteste si souvent, le livre d’artiste rapproche les individus et génère une amitié. Il offre une grande souplesse puisque l’écriture est, de toute façon, une région du dessin et il faut que le livre soit davantage que la seule juxtaposition de l’image et du texte. Quand j’interviens après le peintre, avec une écriture manuscrite, entrer dans la page c’est comme entrer en scène. Il ne faut pas abîmer ce qui est déjà là, j’ai le trac, pourtant il y a quelque chose qui m’appelle. Besançon est la ville natale de Charles Fourier, qu’est-ce qu’elle vous évoque ? Ce n’est pas la première fois que je viens dans cette ville qui m’intéresse, ne serait-ce que parce qu’elle a été décrite par Julien L’Apostat dans l’une de ses lettres. Quant à Fourier, je l’ai découvert à la suite d’André Breton. Son œuvre est prophétique, elle propose une révolution non violente. Je n’ai pas encore écrit sur Besançon mais cela viendra peut-être. Je suis à l’écoute. Michel Butor, Sous l’écorce vive, Poésie au jour le jour 2008-2009, de Fallois
Par Natacha Anderson Photos : Pascal Bastien
Jean-Marie Blas de Roblès, élégance et décadence 2008, déboule avec un nouveau récit, L’Île du Point Nemo, patatras. C’est toute la joie de lire enfouie depuis la fin de notre enfance qui surgit à nouveau. Des aventures extraordinaires, enfin ! Des personnages extravagants, des voyages dans le temps, des situations rocambolesques et nous voilà emportés par le torrent de l’imagination fertile de cet auteur incomparable.
Il y a des romans d’éternelles et sombres introspections de leurs auteurs, qui finissent par nous faire bailler d’ennui. Il y a ceux qui prospèrent sur la sentimentalité et les ficelles éculées. Il y a bien sûr les grands écrivains qui scrutent avec sérieux le passé ou l’histoire contemporaine pour nous éclairer sur l’humanité et son destin. Mais quand Jean-Marie Blas de Roblès, auteur de Là où les Tigres sont chez eux, Prix Medicis
Ainsi donc vos personnages Holmes, Canterel et Grimod de la Reynière circulent en fiacre, voyagent en bateau à vapeur mais cherchent un article de journal sur une tablette tactile ? Oui, parce que nous sommes dans un monde qui joue avec les codes narratifs du XIXe siècle, un monde anachronique avec des Zeppelins, des machines en bronze, en cuivre, qui ressemblent à tout l’arsenal du début de l’ère industrielle. Mais on s’aperçoit vite qu’on n’est plus au XIXe, mais dans un monde postindustriel où le papier a disparu, où les libraires ont disparu, où le pétrole a disparu, où les liseuses numériques sont vieillissantes et fonctionnent avec des dynamos.
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De même, vous nous déroutez en citant des pays qui ne nous sont pas familiers, comme le Gondwana ou la Transbaïkalie Le Gondwana n’est pas inconnu, c’est le nom donné à la terre par les scientifiques avant la réunion et la dérive des continents. Quant à la Transbaïkalie, c’était une contrée qui réunit aujourd’hui le Lac Baïkal, la Sibérie à l’époque du Baron Ungern, de la guerre entre les Russes blancs et les Russes rouges. Est-ce votre passion pour l’archéologie qui vous a donné toutes ces connaissances? Je me documente énormément avant de commencer à écrire et une fois que je suis partie sur Nemo ou sur Jules Verne et sur certains pays que je voulais
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mettre au cours de ces voyages, comme la Sibérie ou l’Australie – on traverse à peu près la moitié du monde –, je trouve des choses puis je tire les fils et j’essaie de rassembler tout ça. Cela donne l’impression d’une énorme érudition mais la documentation fait partie du travail de tout écrivain. Parce que tout est très pointu, que vous parlez de mécanique ou de médecine. Il y a même des mots que je n’ai pas trouvés dans le dictionnaire. J’ai le Robert, je dois peut être changer de dictionnaire ? Il faut prendre le Grand Robert en 6 volumes [il rit, ndlr] ! Votre patronyme fait un peu duc espagnol, on a l’impression d’être chez Cervantes... Eh bien, vous ne croyez pas si bien dire,
— C’est le livre que je voulais lire depuis que je n’arrive plus à lire 20 000 lieues sous les mers de Jules Verne. —
cela vient en effet de Cervantes. Je m’appelle Jean-Marie Roblès mais il se trouve que lorsque j’ai publié mon premier roman aux Éditions du Seuil, elles éditaient déjà Emmanuel Roblès. Mon nom faisant doublon avec ce célèbre écrivain, on m’a alors demandé de prendre un pseudonyme. Comme je savais que le premier éditeur de Cervantes s’appelait Juan Maria Blas de Robles, je me suis dit : « Je garde mon prénom et je me choisis ce bel ancêtre, libraire, et proche de Cervantes ». Vous alternez des chapitres où les personnages sont des gentlemen et d’autres où on parle de sexe sous forme de perversion ou de défection. Voulez-vous dire que le monde d’aujourd’hui est devenu glauque ? Non, non, non ! Je ne veux surtout rien
dire du tout. Si je voulais dire quelque chose, j’écrirais des essais ou de la philo ou des pamphlets politiques et là je m’en donnerais à cœur joie pour dénoncer ceci ou cela. Il n’y a pas d’opposition entre le réel qui révèlerait la pauvreté sexuelle et un monde où il n’y aurait que des dandys et de la passion. Mais il y a une opposition entre un réel un peu glauque, c’est vrai, et une fiction où les gens sont suffisamment riches pour voyager avec le Transsibérien, porter des fourrures et qu’on n’entend jamais parler d’argent. Sauf que le monde dans lequel ils vivent est à feu et à sang, que l’Écosse est déjà indépendante, que la Sibérie et l’Ukraine sont en train de disparaître dans des guerres religieuses ; donc tout ne va pas bien non plus dans ce monde de fiction. Le jeu va être de comparer ces mondes et l’on voit qu’à
la fin du roman ces deux mondes se replient l’un sur l’autre et que l’on ne sait plus quel est le monde réel et quel est le monde de la fiction. Sachant que je les ai inventés tous les deux, donc c’est de toute façon de la fiction [il rit, ndlr]. Quelle était votre démarche initiale ? C’est le livre que je voulais lire depuis que je n’arrive plus à lire 20 000 lieues sous les mers de Jules Verne. C’était mon roman préféré, que j’ai lu entre 12 et 14 ans et c’est celui qui m’a donné le plaisir fou de la lecture, celui d’être emporté complètement, avec des personnages que j’ai vu vivre, auxquels j’ai cru réellement. Et la mort du Capitaine Nemo, ça a été insupportable. Comme si j’avais perdu quelqu’un dans mon existence, je ne m’en suis jamais remis, vraiment c’était mon héros absolu. Je l’ai lu et
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relu, mais il y a un moment où je n’ai plus été capable de le relire. Car avec la maturité, on s’aperçoit que ce roman-là en particulier, et pas mal d’autres chez Jules Verne, sont des romans pédagogiques. Censés pas simplement raconter une histoire mais vous apprendre toute l’encyclopédie positiviste du monde industriel alors en train de naître. On voit bouger les personnages pendant trois ou quatre pages et ensuite on a droit à 30 pages de botanique pure, de zoologie, on vous décrit tous les poissons, toutes les pierres, toutes les algues. On a droit à un cours de science qui, aujourd’hui, il faut bien le dire, est indigeste et nuit totalement à la narration. Donc, je n’arrivais plus à faire revivre ces personnages que j’ai adorés dans le texte même de Jules Verne et mon propos c’était de m’écrire à moi ce livre avec mes personnages préférés. Alors il y a le Capitaine Nemo, mais il y a aussi Monsieur et Madame Bonacieux de Dumas, Martial Canterel qui est le héros de Locus Solus de Raymond Roussel, Madame Chauchat dont je suis tombé fou amoureux quand je l’ai trouvée dans La Montagne Magique de Thomas Mann. C’était assimiler, accaparer ces personnages qui n’étaient pas les miens et les rendre miens pour écrire ce grand roman d’imaginaire libre tels que je les ai aimés à 14 ans. Vous étiez donc un enfant lecteur… Oui, j’ai passé mon temps à lire. Bien sûr, j’ai lu tous les romans de jeunesse, mais aussi, comme beaucoup, j’ai lu énormément au-dessus de mon âge. J’ai eu cette chance magnifique que mon père, qui ne m’a jamais donné un sou jusqu’à mon bac, m’a toujours dit, dès que j’ai su lire, qu’en revanche, je pouvais entrer dans n’importe quelle librairie, prendre n’importe quel livre et qu’il s’occuperait d’aller régler les choses. Il ne voulait pas savoir ce que je lisais, j’avais cette liberté absolue et un budget illimité. Les livres c’était sacré. Et j’en ai profité, je repartais aussi bien avec le Club des Cinq qu’avec Ainsi parlait Zarathoustra de Nietzsche, auquel je ne comprenais rien mais qui me fascinait, que j’ai lu et relu jusqu’à le comprendre. Je crois que c’est le plus beau cadeau que m’ait fait mon père, de me donner cette opportunité de me forger un bagage littéraire et philosophique avant même la scolarité.
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J’aime la façon dont vous tournez en dérision les fous de Dieu aussi bien que les athéistes intolérants. Je crois qu’on n’en est jamais sorti, que l’humanité, pour son malheur, a besoin de conflits depuis que le monde est monde. Je suis assez fataliste et même pessimiste sur cette question. Malraux disait que le XXIe siècle serait religieux ou ne serait pas et je vois surtout qu’il est obscurantiste et ça c’est assez effrayant. L’obscurantisme est souvent le fruit d’une ignorance crasse, à cause de la religion, des conditions économiques de certains pays. On a pourtant des bibliothèques. Encore faut-il que vos parents sachent lire afin de vous amener à chercher un savoir et des solutions. Mais dans cette société spectacle, le livre pâtit de ces habitudes.
— On n’a pas le droit de garder le peu de choses qu’on sait pour soimême. — La lecture à voix haute n’est-elle pas un outil formidable dans les prisons ? Encore faut-il que les gens soient d’accord qu’on leur fasse cette lecture-là. Dans le cas des ouvrières des manufactures de tabac, c’étaient elles qui avaient décidé, qui choisissaient ce qu’on leur lisait, qui payaient l’une d’entre elles pour le faire en fabriquant plus de cigares, c’était vraiment un acte fort de liberté contre le patronat, contre les propriétaires des usines. En prison, ils ne choisissent pas ce qu’on leur lit, c’est plus compliqué. Je refuse d’aller dans les salons littéraires la plupart du temps mais ne refuse jamais d’aller dans les collèges ou les prisons. On n’a pas le droit de garder le peu de choses qu’on sait pour soi-même. Je vais donc régulièrement en prison, chaque fois qu’on me le demande, pour intervenir, lire, parler de littérature, cela me semble un devoir important. L’accueil est toujours magnifique et intéressant. Inattendu parce que là aussi, pour la plupart, ce sont des personnes issues de milieux sociaux où l’on n’a pas l’habitude de lire et je me retrouve à répondre à des questions que je n’attendais pas, qui m’obligent à chercher très loin des réponses possibles, à me questionner moi-même. C’est à la fois dérangeant et gratifiant. Jean-Marie Blas de Roblès, L'Île du Point Némo, Zulma
Par Vanessa Schmitz-Grucker Photo : Catherine Hélie / Gallimard
Salim Bachi, de la désobéissance Vous avez publié neuf ouvrages depuis Le Chien d’Ulysse en 2001. Votre dernier livre, Le Consul, tout juste paru aux éditions Gallimard, s’en distingue en ce sens qu’il est le premier à ne pas traiter de l’Algérie. Pourquoi ce tournant, à cet instant ? Au début, c’était une évidence. J’arrivais d’Algérie la tête encore pleine de ce qui s’y passait. Je suis arrivé en 1994 en
France et suis revenu en Algérie en 1997 en pleine guerre civile avant de regagner la France. Ça me semblait naturel d’en parler. La matière était là, le sujet était là, je n’ai pas eu à chercher. Le Chien d’Ulysse est né de ces circonstances. Aujourd’hui, cela fait plus de 15 ans que je suis parti, il y a donc une mise à distance naturelle. Les liens avec l’Algérie sont toujours là mais forcément plus distendus et mon travail d’écrivain évolue lui aussi. Elle reste malgré tout présente, en filigrane, via les guerres et les tourments. Ce registre est un héritage direct de l’Algérie contemporaine ? En réalité, en dehors de la guerre et de l’amour, il n’y a pas beaucoup de sujets pour un écrivain. On peine beaucoup à en trouver d’autres [rires]. Il m’a paru intéressant, en dehors de la guerre en elle-même, de parler de ce personnage, Aristides de Sousa Mendes, consul du Portugal à Bordeaux. J’avais vu un documentaire sur Arte il y a quelques années de cela, j’ai trouvé le personnage et son destin incroyables. Il y avait une vraie dimension romanesque. Je l’ai laissé dans un coin puis je me suis dit qu’il était temps d’y revenir. C’était aussi une sorte de défi parce que le sujet n’a rien à voir avec l’Algérie. L’idée de faire quelque chose de vraiment différent me plaisait. Ce n’est pas la première fois que vous vous lancez dans le roman biographique. On est dans une certaine continuité… C‘est peut-être une routine qu’il faut que je change mais c’est vrai, j’ai déjà publié quelques romans biographiques. J’ai aussi l’impression d’avoir fait le tour de cette question et je voulais finir par ce personnage-là qui se démarque des autres par sa bravoure. En tout cas, la forme biographique m’a convenu un temps. Je ne peux pas expliquer pourquoi cette forme m’a attiré, c’était une façon d’exprimer des choses extérieures à moi-même. Mais j’ai fait le tour et c’est une bonne chose de finir sur un person-
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nage aussi positif. J’ai envie d’explorer d’autres sujets désormais ou même de revenir à l’Algérie, je ne ferme pas la porte, mais j’ai le sentiment d’avoir dit ce que j’avais à dire. Dans le roman, vous employez la première personne du singulier. Est-ce une manière de vous distinguer d’une certaine littérature de témoignage ? Il y a un mouvement général dans ce sens. On retrouve le genre biographique ou autobiographique chez des auteurs comme Emmanuel Carrère. Il y a un côté Nouveau Roman mais je n’y crois guère. Je prends de la distance par rapport au roman biographique. Je n’ai pas le même ressenti mais j’ai besoin de me mettre à la place d’autres personnes. Je trouvais ça intéressant presque amusant, comme un défi. Je l’ai fait en toute sincérité avec une certaine naïveté peut-être… Votre écriture est moins complexe, moins onirique, votre style s’efface-til au service de la narration et de ses éléments historiques ? Je ne sais pas, c’est peut-être que j’ai vieilli aussi, simplement. Je n’ai plus 25 ans, il n’y a pas de raison que mon style ne change pas, qu’il ne soit pas plus apaisé bien que je ne me sente pas indifférent à ce que j’ai fait il y a 15 ans. Le Chien d’Ulysse est une œuvre de jeunesse poétique mais avec beaucoup d’irrévérence… Vos œuvres de jeunesse sont très spontanées et irrévérencieuses ! Mes autres livres aussi sont irrévérencieux. Je n’ai pas l’impression d’avoir fondamentalement changé. Dans Le Chien d’Ulysse, j’ai utilisé plusieurs voix, là je me concentre sur une seule, l’écriture est moins baroque, plus apaisée. Avec un premier roman, on a toujours quelque chose à prouver. Puis vient le temps où l’on n’a plus besoin de prouver qu’on sait écrire. Je suis content de cette œuvre, d’autant plus qu’elle plaît encore aujourd’hui mais je n’ai plus besoin de tout ce décorum. Oui, vous vous installez dans le paysage littéraire français… Mais je suis trop inquiet pour apprécier ça ! Je préférerais qu’on me laisse tranquille, sous mon parasol. J’en profite pour prendre mon temps et faire des choses qui me plaisent.
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Pour en revenir au Consul, Mendes est proche de vos héros en ce sens qu’il est tourmenté, en souffrance même. Vous lui accordez un rôle presque messianique… Oui, je suis fasciné par les gens qui passent à l’action à un moment donné. Ça peut donner de bonnes choses comme de très mauvaises ! Ce moment où l’être bascule vers quelque chose qui est autre m’intéresse effectivement. Pourquoi et comment quelqu’un qui a construit sa vie, qui a 54 ans, qui vit confortablement, met tout en jeu au service d’un idéal plus grand ? Il a désobéi une semaine durant aux ordres de Salazar ! Vous vous êtes documenté sur le personnage, mais il a fallu le faire vivre. Comment pose-t-on cette perspective romanesque ? Il faut l’incarner, lui donner une dimension plus humaine et plus charnelle. Par la voie de l’amour, il s’adresse à quelqu’un. Ce quelqu’un, ce peut être vous. Je travaille cet aspectlà, sur le sentiment que le narrateur s’adresse au lecteur. Qu’il parle à Andrée ou à vous, c’est pareil. « Ne faut-il pas être fou pour être un homme juste ? » ainsi s’exprime Aristides de Sousa Mendes dans votre livre. C’est terriblement d’actualité. Cette phrase, il l’a prononcée. Il y a un côté fou et démesuré or pour moi, c’est un personnage raisonnable dans un temps qui ne l’est pas ! C’est extraordinaire de savoir refuser, de savoir dire non, de clamer et agir différemment, envers et contre tout, ça me fascine ! Ce qui est délirant, ce sont ces consuls qui ont refusé des visas à des milliers d’exilés voués à une mort certaine. Je ne sais pas comment ils s’arrangent avec leur conscience. Mendes a su, lui, qu’il n’échapperait pas à sa conscience. On aurait besoin, aujourd’hui, de tels personnages qui savent désobéir, qui osent dire non. Salim Bachi, Le Consul, Gallimard
Par Caroline Châtelet Photos : Olivier Roller
Nathalie Quintane s’attaque à la notion de « peuple » Une fois n’est pas coutume, j’avais un titre bien avant d’écrire l’article, et même de réaliser l’interview. Ça s’appellerait « Nathalie Quintane, le bras armé de la littérature ». Sauf qu’avec ce début de mois de janvier, l’emploi de termes guerriers devenait moins anodin, un peu gênant, un brin crispant. Ça tombe bien, au final, il n’y aurait pas de titre spécifique. Ça ne tombe pas à l’eau pour autant. « Ça », c’est la capacité réelle des écrits de Nathalie Quintane à donner des armes, soit à bousculer le lecteur en le mettant dans une stimulante position réflexive. Car depuis ses premiers textes publiés à la fin des années 90, l’écrivaine et poétesse n’a cessé de déployer à travers ses écrits une attention à la société dans laquelle nous vivons. Mine de rien, en s’attaquant à des sujets parfois extrêmement prosaïques – tels les chaussures ou la culture des tomates –, en s’interrogeant en permanence sur l’usage des mots, en s’émancipant des genres littéraires, Nathalie Quintane aborde des questions on ne peut plus politiques : de l’affaire de Tarnac aux impensés de certaines commémorations (comme celle de L’Année de l’Algérie). Si Les années 10, publié à La Fabrique, constitue une nouvelle étape par son incursion vers l’essai, on retrouve bien toujours l’art et la manière de Quintane. Soit une façon d’en passer par les éléments les plus simples, d’user de l’humour et de l’ironie et des possibilités de la langue pour amener à regarder avec une acuité renouvelée ce qui fait le quotidien. Cela sans jamais être dans une position de surplomb. Quelle est l’origine des Années 10 ? J’ai participé en 2011 à un livre collectif édité à La Fabrique, Toi aussi, tu as des armes, qui réunissait des écrivains et
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des poètes autour de la question de la poésie et de la politique. Éric Hazan m’a par la suite demandée si j’avais quelque chose qui pourrait trouver sa place dans leur catalogue. Au départ, je ne voyais pas vraiment quoi lui donner. Il y a un peu plus d’un an il m’en a reparlé, citant le recueil de chroniques Choses vues de Victor Hugo. J’avais peur de revenir à des choses proches de ce que je faisais il y a une quinzaine ou une vingtaine d’années, qui étaient des observations, des notes sur l’époque. Je voulais plutôt reprendre à partir de Tomates. L’élément déclencheur qui m’a amenée à écrire le premier texte a été la visite en campagne électorale à Digne-les-Bains – où j’habite – de Marine Le Pen. J’ai écrit Stand up qui ouvre le livre et les autres textes sont venus rapidement. Vous dites avoir voulu « reprendre à partir de Tomates ». Tous vos livres s’enchâssent-ils ainsi ? C’est un peu ça. Il y a une vingtaine d’années, j’ai commencé en écrivant Remarques, un livre de petites phrases. J’avais envoyé le texte à P.O.L., qui m’avait répondu que ce n’était pas assez long, ça faisait trop plaquette de poésie. Je l’ai pris au pied de la lettre et c’est en tirant une remarque du livre et en la gonflant, la développant à fond sur un peu plus de 200 pages que j’ai écrit Chaussures, mon deuxième livre. À partir de ce moment-là, chaque livre était une sorte de contre-pied, une réponse ou une reprise du livre précédent. Après, mes livres sont de plus en plus sensibles au contexte général, ils réfléchissent à comment ils en font partie sans s’en détacher vraiment, en étant parfois presque embourbés – comme nous le sommes tous. L’écriture rend compte du fait que moi-même je ne domine pas la situation, elle essaie de comprendre cela et éclaire de petites choses par la langue. Mais fondamentalement je n’en ressors pas triomphante, et ne triomphe ni du sens, ni du non-sens. Dans Les Années 10, l’agencement des textes fait qu’on part de la littérature (via Stand up sur Marine Le Pen) pour aller vers l’essai politique (avec cette question finale « Pourquoi l’extrême gauche ne lit-elle pas de littérature ? »). Est-ce un choix de votre part ? Le premier texte aurait pu être publié
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chez P.O.L., ou ailleurs, c’est un texte de littérature, il n’y a même pas besoin de dire qu’il y a de la politique dedans. Il y a une façon d’écrire qui est la mienne depuis pas mal de temps. Ce texte a fonctionné aussi comme test pour Éric Hazan [fondateur en 1998 des éditions
La Fabrique, ndlr] : quand je le lui ai proposé, je me suis dit que s’il l’acceptait, je ferais le reste. C’était un peu risqué, un peu littéraire, pas forcément « pour » La Fabrique. Il lui a plu, et ce qui a suivi ce sont des écrits beaucoup plus ciblés Fabrique, plus proches de l’essai,
avec une intention de clarification. Je voulais essayer insensiblement – même si ma question finale est provocatrice, certains lecteurs d’extrême gauche lisent évidemment de la littérature – de relier les deux très intimement. Passer de l’essai à la littérature et que tout ça soit d’un seul tenant, qu’on ne se pose plus la question de savoir si c’est de la politique, de la littérature, de l’essai, de l’écriture. Qu’on ne se demande pas si quand on fait de la littérature, on fait de la politique ou pas. Parce que pour moi évidemment la littérature est politique, même si elle n’en parle pas directement. Vous dites dans une interview être dans une période ou vous écrivez des essais, mais que « cela va bouger ». Savez-vous déjà où ? Je ne sais pas, aussi parce qu’étant en train d’écrire un texte dans la lignée de ceux des Années 10, je suis encore dans cette période. J’aimerais passer à une troisième étape, à quelque chose d’à la fois encore plus profondément politique et littéraire. Il y a un texte – ce n’est pas forcément là que je me dirige, mais il m’a frappé – Sur les falaises de marbre, d’Ernst Jünger. C’est un récit, une sorte de fable écrite à la fin des années 30. Jünger y parle très précisément de la situation de l’Allemagne et du personnel politique de l’époque, les nazis, en faisant un détour gigantesque. Je ne dis pas que je vais essayer de faire ça, mais l’idée c’est que ce soit plus politique, littéraire, précis, tout en n’étant pas de l’essai. Dans « Pourquoi l’extrême gauche ne litelle pas de littérature ? », vous faites le constat d’une littérature centrée sur des questions esthétiques, formelles. Vous écrivez vous-même parfois sur l’art contemporain, la photographie, l’architecture, etc. Est-ce un moyen pour vous de sortir de la seule question littéraire ? Certainement. Mais je crois que j’ai une sorte de tropisme. Ayant fait des études littéraires dans les années 80, soit à une époque encore marquée par Maurice Blanchot, parler de la littérature quand j’en fais est presque un automatisme. C’est là un peu tout le temps. Mais on ne peut pas poser cette question aujourd’hui comme on la posait il y a dix, vingt ans. Une nécessité est là – et je ne parle pas des attentats qui viennent de se passer, même si ils en font partie –,
qui excède la question littéraire par d’autres, beaucoup plus importantes. Nous essayons – je parle des écrivains – de sortir d’une période de clôture de la littérature, en essayant de retrouver péniblement, comme tout le monde, une sensibilité politique. Mon effort pour parler de politique dans Tomates fait partie de cela, de retrouver cette capacité, cette sensibilité politique qui est anesthésiée. Lorsqu’on écrit, je ne vois pas comment cette sensibilité peut passer autrement que par un travail sur la langue. Pas sur la question littéraire en ellemême, mais en se posant des questions sur les mots. Je pense souvent au travail d’analyse de Victor Klemperer – effectué dans des circonstances beaucoup plus tragiques –, sur la langue du troisième Reich. Que signifient les changements de langage ? Que veut dire qu’une ministre de la Culture ne parle pas d’art, même plus de culture, mais d’industrie culturelle, terme à l’origine péjoratif utilisé par Adorno et Horkheimer (deux philosophes de l’École de Francfort), et aujourd’hui positif ? Il y a des ratés dans le langage qui sont révélateurs et je crois qu’une partie de notre travail est de ne pas les voir, et de désigner ce que ça change.
— Pour moi évidemment la littérature est politique, même si elle n’en parle pas directement. — Selon Alain Farah, universitaire ayant travaillé sur vos écrits et ceux d’Olivier Cadiot, vous réactualisez « une position de résistance et d’invention dans le champ littéraire français ». Qu’en pensez-vous ? C’est ce que j’essaie de faire. Ma génération a essayé de sortir et elle y est parvenue – triomphalement pour Cadiot – de l’engagement à la papa ou à la Sartre. L’Art poétic’, le premier livre de Cadiot, sort à la fin des années 80, à un moment où il fallait se dégager d’une position un peu raide et caricaturale marquée par les idéologies de gauche des années 60, 70. Nous l’avons fait relativement facilement, et c’était sans doute un moment important pour le renouvellement de la littérature. Mais je crois que la sensibilité au présent fait partie du travail et que le temps a changé, réellement. Il ne s’agit pas de suivre l’air du temps, il s’agit de prendre conscience de la nécessité de retrouver une forme de sensibilité dans le travail artistique, sans reproduire ce qu’on a déjà fait parce que ça aurait marché. C’est la difficulté qu’ont toutes les personnes qui essaient de faire de l’art après plusieurs années de travail : passer la deuxième étape. C’est cette deuxième étape, ce second souffle qu’il m’a semblé nécessaire d’avoir. En clair, il m’est impossible d’écrire comme j’écrivais il y a 15 ans et même si mon travail s’inscrit dans une continuité, je ne peux pas rester dans cet esprit qui mettait en avant une forme de frivolité. Dans votre texte paru dans Toi aussi, tu as des armes, vous dites ne pas aimer le terme « poète » vous concernant. Pourquoi ? C’est très compliqué cette affaire. Je ne sais toujours pas quel mot utiliser. Lorsque j’ai été invitée à L’humeur vagabonde
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en décembre dernier sur France Inter, j’ai été très surprise que la journaliste Kathleen Evin me présente comme une « poétesse et une femme de lettres ». Jusqu’à ce que je me rende compte qu’on me présentait comme ça sur Wikipédia. « Femme de lettres et poétesse », c’est dur à porter, c’est hyper vieillot. J’espère que ce que je fais, l’image que j’ai, ne correspond pas à ça. Après, disons que c’est à géométrie variable, tout dépend de la situation. Quand j’ai à discuter avec des personnes qui défendent la poésie, qui se disent poètes, qui ne se posent aucune question là-dessus, et qui pensent par conséquent que je ne peux pas l’être parce que je ne fais pas tout à fait la même chose qu’eux, je me revendique poète – je dirais presque pour les embêter. Quand je suis avec des écrivains ou des journalistes qui ont tendance à me dire que je suis romancière, là aussi je prends le contrepied et dis que je suis poète. Dans les deux cas, c’est vrai. Tout dépend des livres : celui sur l’Algérie, Grand ensemble, avec sa série de textes courts, c’est nettement de la poésie. Les Remarques aussi. Et il y a d’autres livres : des romans qui sont sous-titrés, et des textes dont on ne sait pas tellement ce que c’est qui sont un peu entre les genres. Le mot qui conviendrait le mieux pour me définir pourrait être écrivain, mais si je dis écrivain on n’entend ni poète, ni la relation avec l’art contemporain, la performance, qui sont importantes dans mon travail. À vous lire, on a le sentiment qu’il y aurait dans vos livres une tendance de plus en plus grande à excéder un seul sujet pour en embrasser une pluralité ? Je ne travaille pas du tout comme un essayiste. Pour écrire un texte je me documente, mais pas tant que ça, il y a 30% de recherche, et 70% du travail se fait au moment où j’écris. On peut légitimement me reprocher d’être trop rapide sur certaines notions, certains passages. Mais c’est dû en grande partie au fait que je découvre des imprévus que l’écriture trouve pour moi. Bifurquant, je tombe parfois au cours d’une phrase sur un élément auquel je n’avais pas pensé et dont la piste me semble intéressante à suivre. C’est la manière dont je procède presque depuis le début, mais cela se fait peut-être de façon de plus en plus fluide.
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Il y a également une façon d’excéder la forme même du livre, avec la présence d’épitaphes, d’épilogues, de notes, d’ajouts, etc. Comme si ça débordait… C’est sans doute lié au fait que je prends dans tous les genres possibles et imaginables. Je ne pense pas que j’écrive des choses « a-génériques », sans genres ou non-identifiées. Je ne pense pas non plus faire quelque chose d’inédit. Mais je suis tellement imprégnée par la littérature, ses genres, c’est comme si les marques de certains surgissaient par moments, faisant qu’on retrouve un bout de roman, de poésie, de ceci, de cela. Ce n’est pas prévu, tout se fait au moment où j’écris. Et une fois que j’ai l’impression d’être arrivée au bout de ce que j’avais à dire, je réorganise pour que ce soit plus clair, y compris pour moi. De même, on croise souvent des illustrations, des croquis, des photographies, des jeux avec les typographies. Pourquoi ? C’est une attention aux aspects visuels et plastiques de l’écriture. J’y suis très sensible et c’est pour cela que l’art contemporain notamment m’intéresse. Autant les questions souvent évoquées pour un écrivain de « sonorité », de « musicalité de la langue » je n’y pense pas, autant je tiens compte de la page, la typographie, les corps de caractère, la police, les styles. J’ai une approche matérielle de l’écriture, de la typographie, de la mise en pages et ces éléments sont importants dans la manière dont j’écris. Enfin, que ce soit par le choix des sujets comme par leur traitement, il y a quelque chose parfois d’assez déceptif. Avez-vous conscience de cela en travaillant ? Assez peu. J’ai l’impression que ce qui m’importe et ce qui est présent c’est quelque chose de joyeux. L’humour fait partie intégrante de la manière dont j’écris depuis le début, même si c’est de temps en temps sous la forme de l’ironie. L’aspect déceptif vient peut-être du genre un peu hybride et intermédiaire qui fait que ce ne sont pas des romans, que ce n’est pas tenu par une histoire, des personnages. Ça ne joue pas sur une intrigue ou sur une attente de ce qui va arriver. Mais franchement, je ne cherche pas du tout à décevoir ou
à jouer avec le lecteur là-dessus. S’il a cette impression, je pense que c’est lié à ce dont je parle, qui n’est pas forcément exaltant. Vu comme ça, faire deux cent pages sur les chaussures, il faut vraiment en avoir envie. Mais ce n’est pas de la provocation et si il peut y avoir des choses un peu ingrates, ce n’est pas le plus important. Ce qui m’importe, c’est qu’il y ait une forme d’allégresse dans l’écriture. C’est, comme je vous le disais précédemment, de développer dans l’écriture une sensibilité de plus en plus sensible au présent et de plus en plus sensiblement politique. Que l’écriture permette de comprendre – moi comme le lecteur – les choses de plus en plus précisément, profondément, que l’acuité se développe et soit de plus en plus sensible. Et il est possible que dans ce que j’essaie de mettre au point maintenant je me débarrasse de ce qui pourrait inutilement entraver la lecture. Imaginez-vous écrire sur les attentats de janvier ? Dans l’immédiat, non. Je suis assez admirative de certains des textes qui sortent, tel celui de Frédéric Lordon [Charlie à tout prix ? sur le blog du Monde Diplomatique, ndlr], qui est très éclairant. Mais personnellement je suis lente, et je suis trop encore en train de chercher, d’essayer de comprendre pour écrire là-dessus maintenant. Après ça va faire son chemin, et il est tout à fait possible que j’écrive plus tard sur le sujet, directement ou indirectement. Parce que dans les semaines qui viennent cela va être dans ma vie, dans nos vies à tous. Nathalie Quintane, Les années 10, La Fabrique
Par Marie Marchal
Dialogues en construction « Qui sommes-nous ? Où allons-nous ? Que faisons-nous ? Que se passe-t-il dans l’Atelier contemporain ? », interroge Francis Ponge. François-Marie Deyrolles choisit de placer ses éditions sous le parrainage du poète et nous invite à parcourir la galerie papier qu’est le catalogue de l’Atelier contemporain. Entre 2000 et 2002 paraissent les cinq premiers numéros de la revue littéraire l’Atelier contemporain ; exigeante et pointue, elle est saluée dès ses débuts par ses pairs et regrettée par son lectorat dès sa fin prématurée. Il faudra attendre 2013 pour que la nouvelle formule soit lancée et donne naissance aux éditions de l’Atelier contemporain. Désormais, le catalogue enrichi de trois collections trace de nouvelles voies pour question-
© Yves Verbièse
ner les rapports des artistes à l’art contemporain. En plus de la revue, les deux collections dédiées à l’Art présentent des correspondances enthousiastes entre artistes et des entretiens ; la collection Littérature propose quant à elle des appariements poètes/plasticiens tout en fulgurances. Le résultat final est l’exploration sous différentes perspectives des problématiques soulevées en fil rouge dans les premiers numéros de la revue, nouvelle formule : pourquoi écrivez-vous sur l’art ? Que lisez-vous ? Quels sont vos contemporains ? Questions et réponses s’articulent grâce à différentes voix et la polyphonie est au cœur des différents titres du catalogue : de la revue (polyphonique par nature) aux correspondances exaltées entre Jean Dubuffet et Valère Novarina, le dialogue entre deux artistes, et donc entre deux arts, fait de l’espace d’expression qu’est l’Atelier un lieu d’expérimentation vibrant, presque bruyant. Dans la collection Littérature, l’éditeur met en relation un écrivain contemporain avec un artiste pour la création d’une œuvre singulière à quatre mains. L’objet pictural n’est pas réduit à sa valeur illustrative ; il apporte quelque chose d’essentiel et délivre autant de sens que le texte lui-même. En soustraire l’un des deux à l’autre dénaturerait la portée de l’ouvrage, qui est justement le dialogue. Dans Le nu au transept, les montages photographiques d’Yves Verbière sont en telle adéquation avec le texte de Claude Louis-Combet qu’on en vient à se demander qui de l’œuf ou de la poule. Pour l’anecdote, c’est en recevant les clichés du photographe que l’écrivain se souvient d’une histoire qu’il a oublié de raconter. Deyrolle, parfois entremetteur, pratique une politique d’auteur : il s’engage sur le long terme avec des écrivains exigeants. Suivre les artistes sur plusieurs titres leur permettra ensemble d’élaborer et de construire une œuvre cohérente et pérenne ; au sein des gros volumes de la revue, l’éditeur cherche à « publier long » et encourage les contributions prolixes. Dans les deux cas, il donne le temps au lecteur de s’installer dans le style de l’artiste, sa patte, ses motifs, réflexes et autres fantômes. L’Atelier contemporain est ainsi le lieu de l’œuvre en construction, où les artistes, écrivains et poètes comme peintres et photographes, peuvent se concentrer sur un motif, y revenir encore et encore, car au fond il ne s’agit pour eux tous (éditeur compris) que d’élucider un mystère en particulier. Claude Louis-Combet et Yves Verbièse, Le nu au transept ; Jean Dubuffet et Valère Novarina, Personne n’est à l’intérieur de rien, l’Atelier contemporain
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Par Antoine Oechsner de Coninck Photo : Lorena Fernandez
On suppose des liens entre les deux performances que vous proposez à Strasbourg, The Quiet Volume et Regards à contre-jour. Oui, il y en a beaucoup. J’ai le même collaborateur, Tim Etchells avec qui j’ai la chance de travailler. Regards à contre-jour s’inscrit dans la continuité de The Quiet Volume mais concrètement, cette performance nous a imposé une contrainte supplémentaire parce qu’elle ne concerne que les bibliothèques et ne s’intéresse qu’aux phénomènes de la lecture et du silence. Et au fait qu’on arrive à retenir des sons dans notre tête quand on entend des voix, des voix qui ne sont pas forcément les nôtres. C’est comme un « mix » entre notre voix et celle des autres.
L’intime en question En mars prochain, Ant Hampton et Tim Etchells présentent The Quiet Volume et Regards à contre-jour à Strasbourg, deux performances qui ont déjà sondé de nombreuses villes dans le monde. Retour, avec Ant Hampton, sur la portée d’un tel art.
Dans les deux œuvres, on a l’impression d’avoir affaire à une introspection. The Quiet Volume joue sur l’introspection. C’est un jeu avec son voisin. En anglais, ce procédé s’appelle “to leak”, c’est-à-dire avoir une influence sur son voisin. Ce qui est assez bizarre – on pourrait même dire pervers – dans une bibliothèque, c’est de partager cette expérience avec son partenaire. Mais dans Regards à contre-jour, on voit des images d’archives qui déroulent une sorte de fil rouge des années passées. Au bout d’un moment, ces images basculent hors de cette introspection, vers une nécessité. C’est comme une réflexion qui dit : « Bon, tout ça c’est très bien, c’est très confortable mais qu’est-ce qu’on en fait ? ». Il faut le convertir en énergie. The Quiet Volume joue plus sur l’illusion du son qui sort du casque. Est-ce qu’on pourrait dire que vous jouez sur l’écoute et la concentration dans The Quiet Volume et sur le regard et la mémoire dans Regards à contre-jour ? Les deux performances jouent là-dessus mais dans des registres différents. The Quiet Volume montre que le thème de la visibilité a beaucoup de force. Celui de l’aveuglement aussi. Le premier livre qu’on lit s’appelle justement L’aveuglement de José Saramago. On se demande ce qu’il se passe quand le son disparaît. Le texte semble disparaître progressivement, ce qui interroge la visibilité de l’imagination. En revanche, Regards à contre-jour s’intéresse à la réalité car les gens se reconnaissent dans les images d’archives et les interrogent sur ce qu’ils ne voient pas. Comment comparer le sens du présent et la banalité qui nous entoure avec cette grande narration qu’est l’histoire ? Il me semble qu’il n’y a pas de banalité. C’est en essayant de subvertir cette ligne là qu’on revient au présent. J’ai l’impression que vous travaillez sur l’ouverture et en même temps sur la fermeture aux autres mais aussi à l’histoire. N’est-ce pas paradoxal ? C’est plus une suite continuelle d’ouvertures. Ce qui nous a fasciné avec Tim
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Etchells, c’est le fait de revenir à la surface. C’est l’entre-deux de ces moments d’inspiration. Ce moment est extrêmement subtil mais aussi spécial dans la lecture. C’est un espace assez hallucinant. Et puis on replonge...
quoi je fais du théâtre. Il faut toujours se demander ce qu’on peut faire avec cette vivacité. Ce système d’enregistrements et d’objets déclenche une situation « dans le vif », une situation vivante où on est forcément présent.
ne va vraiment à la bibliothèque pour y rester. On y va pour en repartir. Parfois, on se demande quelle est la différence entre le fait de lire et le fait de dormir. Il y a une présence et une absence qui s’emmêlent.
Mais si la concentration est purement personnelle, pourquoi faire jouer deux personnes ? Pour mettre en scène le modèle que j’appelle autoteatro. Ça n’a rien à voir avec le théâtre traditionnel. J’ai fait plusieurs autres pièces qui suivent ce dispositif-là : une personne devait suivre les instructions, son partenaire aussi mais l’un ne savait pas ce que l’autre devait faire.
C’est vrai qu’on a l’impression que vous voulez que le spectateur fasse partie de vos œuvres. Ce qui est intéressant et que j’ai souvent noté dans les réactions des gens, c’est ce sentiment que l’œuvre leur appartient, qu’ils se l’approprient. L’expérience est complètement unique parce qu’elle leur est propre. En plus, vous la vivez toujours avec quelqu’un. Cette particularité vient du fait que les situations ne sont pas préparées. J’ai longtemps fait du théâtre en faisant intervenir des comédiens non préparés. J’adore ce modèle, pas parce qu’il faut être malin ou inventif dans l’improvisation, mais parce qu’il faut jouer “at risk” comme on dit en anglais.
Par rapport au silence de la bibliothèque, est-ce qu’on pourrait parler d’une loi du silence, un peu à l’image du film de Hitchcock ? En fait, je trouve qu’il y a une liberté dans les bibliothèques, une liberté qui procède uniquement du travail. Elle découle de contraintes et de codes qu’il faut apprendre. Il faut travailler pour apprendre. C’est de là que vient la liberté.
C’est inquiétant... Oui c’est inquiétant mais dans ce système, il y a une sorte d’équilibre, une situation de risque partagée. Et comment pourrait-on qualifier ce genre d’art ? Parce qu’on a l’impression qu’on touche à la fois au théâtre, un peu à la musique et pourquoi pas au cinéma. Oui et c’est ça qui est intéressant. Je dirais que je travaille sur la vivacité. Depuis longtemps, je me demande pour-
REGARDS À CONTRE-JOUR, performance du 23 mars au 24 avril et The quiet volume du 16 mars au 4 avril au Maillon, à Strasbourg
Mais pourquoi avoir choisi spécifiquement les bibliothèques et non les églises par exemple ? On y a pensé. Dans le monde où l’on vit, c’est difficile de trouver des lieux collectifs de concentration. Personne
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Par Cécile Becker Photos : Christophe Urbain
Trans-mission Des Métamorphoses d’Ovide, Renaud Herbin, directeur du TJP à Strasbourg, avait déjà adapté les transformations d’Actéon et de Pygmalion. Il co-signe cette fois avec Christophe Le Blay, danseur et chorégraphe, Profils, déclinant le mythe de Cadmos. Plus attachée à la transmission, elle n’en est pas moins détachée du récit.
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Pygmalion, illustre misogyne et sculpteur, finit par tomber amoureux de sa propre sculpture à la beauté inouïe, transformée en jeune femme par la déesse Vénus. Actéon, chasseur errant en forêt, se retrouva face à Diane nue, entourée de ses nymphes. Un sacrilège qui força la déesse à le métamorphoser en cerf le condamnant à une fin sanglante. Cadmos, lui, faillit à une mission confiée par son père, se vit contraint à l’exil jusqu’à la rencontre d’un oracle qui lui promit la formation d’une ville sur les traces d’une génisse. Attiré par cette perspective enchanteresse, mit en péril toutefois par la présence d’un terrible dragon, Cadmos fit naître Thèbes en vainquant le chaos.
Issues des Métamorphoses d’Ovide, ces légendes fantastiques, histoires de dieux pourchassant les mortels par passion, jalousie ou vengeance, ont marqué le monde de Renaud Herbin, metteur en scène, marionnettiste et directeur du TJP. À travers l’adaptation sur scène de ces trois mythes, se dessine l’élaboration d’un théâtre protéiforme toujours flanqué de ces trois lettres COI venant vérifier, ce n’est pas un hasard, le projet du TJP : Corps-Objet-Image. Mais Profils, co-écrite avec Christophe Le Blay, danseur et chorégraphe dont il a croisé la route en 2006 et basée sur le mythe de Cadmos, incarne une rupture de forme dans le répertoire du directeur. Renaud Herbin explique : « J’ai choisi différents récits sur différents formats. Il semblait intéressant d’aller au bout du processus. Avec Pygmalion miniature, j’étais dans une transcription fidèle qui s’exprimait par des marionnettes. Avec Actéon miniature, le plateau s’ouvre et je m’en extrais. Il y a une rencontre plus précise entre le corps et la matière [une interprète vient s’ajouter aux marionnettes, ndlr]. Profils est une affirmation de gestes d’écriture avec une échelle de plateau toute autre : cinq interprètes qui forment un groupe en train de se construire autour de plaques qui s’agencent. » Mais ce qui tranche avec les précédentes pièces, c’est aussi ce désir profond de transmissions, dont les canaux sont aussi multiples que les métamorphoses des personnages.
Une sémantique commune À quatre semaines de la première représentation de Profils, Renaud Herbin et Christophe Le Blay ont rassemblé toutes les matières (sons, lumière, textes et humaine) nécessaires à la création et ont élaboré leur propre langage qu’ils envisagent comme une « partition ». Sur ces notes, difficiles à déchiffrer pour tout membre extérieur à la pièce, s’enchaînent des formes, des lettres, des mots-clés, des flèches, mais aussi des personnages forts du récit d’Ovide qui viennent aiguiller les interprètes sur leurs déplacements, leurs « qualités de corps » et les figures à interpréter. Cette sémantique est le résultat de recherches débutées en 2009. Christophe Le Blay revient sur cet instant : « Ce processus de laboratoire nous a révélé la nécessité de transmettre, de se comprendre, de mettre en relief nos expériences singulières afin de savoir ce que l’on place au centre de cette relation. » Se laisser métamorphoser par l’autre, en somme. Au cour de la transformation du récit en signes, de nombreuses questions apparaissent : « Comment arrive-t-on à transmettre en corps, objet, image ? Comment le corps arrive-t-il au milieu d’une
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image proposée ? Comment les matières choisies arrivent-elles au plateau ? Qu’estce qui devient outil dans la rencontre avec les autres corps ? » Pour trouver des réponses à ces questions, les interprètes ont été amenés à improviser à partir du langage établi et désormais intégré. Sur scène, lors des répétitions, ils proposent encore. On les voit évoluer seuls dans leurs coins, puis se réunir à deux, parfois à trois, quatre ou tous ensemble, créer des formes avec ces plaques malléables de 4 m2 qui glissent, s’entrechoquent, se plient, s’assemblent parfois jusqu’à figurer une tête de dragon agitée par la lance d’un interprète et à lui donner la mort dans un fatras de matières. Les comédiens s’enroulent, se cachent dans ces paysages évoquant des vallées d’où ils renaissent pour enfin s’organiser. Parfois l’un s’avance et parle, l’une chante accompagnant des sons électroniques composés par Morgan Daguenet – il avait déjà accompagné Renaud Herbin sur Actéon. Les deux metteurs en scène, observent silencieux, donnent rarement des indications. Près de deux heures de déplacements, de figures, de corps parfois enchevêtrés, parfois en lutte, parfois en fusion, qui devront tenir en 70 minutes. « Il ne s’agit pas de tout mettre, précise Renaud Herbin. Nous sommes au moment de l’écriture et des choix. Nous dessinons maintenant les parcours de chacun et les chemins de regards que l’on propose. »
Des identités multiples Alors que les interprètes viennent à peine de choisir leurs costumes sous le regard avisé de Christophe Le Blay, ils ne sont pas là pour signifier la personnification d’un seul rôle. Leur accoutrement change au fil de la pièce et de leurs métamorphoses qu’ils nous donnent à percevoir. Au même titre qu’un « moi » est multiple, les profils s’affirment et se réaffirment se laissant transformer par l’autre et par la matière jusqu’à former une communauté, comme celle de Cadmos à la naissance de Thèbes. Il y a dans cette pièce des problématiques éminemment contemporaines, comme le décrit Christophe Le Blay : « la halte, l’exil, les migrations, les croyances, les genres, l’étrangeté », avec pour élément fondamental le groupe qui se fait et se défait. Pour autant, la connaissance de cette légende n’est pas nécessaire. « À travers l’usage du corps et de la matière, de
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cette rencontre, on est dans un langage profondément humain qui n’a pas besoin d’être référencé. Un corps qui bouge, n’importe quel humain le reconnaît. On peut être touchés par un geste encore plus qu’un mot. Le mot ne passe pas la barrière de la langue, le corps lui est universel. » L’imaginaire est lui appelé en chaque spectateur qui peut se fonder ses propres analogies, y placer ses propres angoisses, terreurs – le masque menaçant du dragon laisse poindre celui du racisme –, et ses propres référents. Car l’histoire, elle, sans cesse se refait. Reste une certitude qu’il ne tient qu’à nous de cultiver : du chaos naît la lumière. Car les métamorphoses, si elles marquent quelque chose c’est bien l’espoir de toujours changer. PROFILS, pièce de théâtre les 10, 11, 13 et 14 février à 20h30, le 12 février à 14h30 et 20h30 au TJP Grande scène, à Strasbourg, le 18 février à 20h et le 19 février à 19h à la Filature, à Mulhouse. www.tjp-strasbourg.com
D’après Ovide À travers les âges, nombreuses sont les incursions artistiques au cœur des pages des Métamorphoses d’Ovide. Ce puits d’inspiration pour les artistes de toutes générations s’affirme sans doute par son titre : sans métamorphose, d’abord de matière, quelle qu’elle soit, pas d’art possible. Mais au-delà de cette évidence, l’imagination de l’homme se cristallise au sein même de transformations rêvées et espérées. En transformant des mortels en végétaux ou animaux par la simple volonté (cruelle) des Dieux, Ovide nous parle de nous-mêmes et traduit des combats universels et intemporels contre nos vices et faiblesses pour aller vers la construction d’un soi, d’un autre et d’une société. Et si élévation il y a, c’est bien par la culture qu’elle s’opère. Bien qu’il soit impossible de dresser une liste exhaustive des progénitures des Métamorphoses, petit tour d’horizon chronologique d’œuvres relativement contemporaines qui ont vu en ces fables d’Ovide, une matière première à nouvelles Métamorphoses. LES MÉTAMORPHOSES de Picasso. C’est une adaptation des plus évidentes que l’artiste a apporté en 1930 en produisant 30 eaux-fortes qui illustrent une scène pour chacun des 15 livres d’Ovide ainsi que les pages d’ouverture des 15 chapitres. Ce travail a donné lieu à une édition illustrée des Métamorphoses d’Ovide. MÉTAMORPHOSES D’APRÈS OVIDE (OP.49) de Benjamin Britten. Pianiste prodige, il est aussi un compositeur anglais pour qui l’accessibilité de la musique était le principal souci. Au-delà de cette constante, l’homme s’est distingué par son penchant pour la musique à textes. Il a, avec ce solo pour hautbois écrit en 1951, traduit en musique les métamorphoses de Pan, Phaeton, Niobe, Bacchus, Narcissus et Arethusa. METAMORPHOSIS, de David Bobée et Kirill Serebrennikov. À la croisée de la danse, du théâtre et du conte, les deux hommes ont convoqué en 2013 les acteurs russes de Studio 7 pour revisiter les textes d’Ovide et les transposer à la Russie sous Poutine. MÉTAMORPHOSES de Christophe Honoré. Adaptation contemporaine des textes du poète latin – qui ont fasciné le réalisateur six mois durant –, ce film sorti en 2014 fait se frotter la mythologie au réalisme social.
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Par Emmanuel Abela Photo : Christophe Urbain
La danse des mots
Dans une lecture musicale, Nathalie Bach s’attache aux mots de Marilyn Monroe. À partir d’éléments empruntés à des interviews ou des lettres, elle reconstitue sous nos yeux un corps : celui de la femme éternelle. On ne peut s’empêcher de repenser à ces images de Marilyn Monroe en tournée des garnisons en Corée, en pleine guerre ; elle est là, accueillie par les autorités militaires, pour remonter le moral des troupes éloignées de leur famille. Ces images d’archive, filmées pour les actualités d’époque, révèlent quelque chose de l’essence même de l’actrice : le don de soi, et derrière cela la détresse de celle qui se livre tragiquement par amour. Dans ces images, il est saisissant de constater à quel point Marilyn a froid, elle décline de fatigue, peut-être même de maladie, mais elle n’hésite pas à revêtir sa plus belle robe pour aller chanter, chanter encore, chanter toujours, sous la pluie et contre le vent. Plus qu’aucune actrice de cette époque, Marilyn cultive le paradoxe de sa présence irradiante, mais aussi de ses absences – dont certaines malheureusement légendaires. Comme aucune d’entre elles, elle est incarnation – elle crée la notion même de chair au cinéma, elle est ce corps tangible que chacun d’entre nous a cru pouvoir toucher un jour
—L a seule chose dont je me rappelle vraiment, c’est que j’étais seule. Toute seule si longtemps. — Marilyn Monroe
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à l’écran –, mais elle reste une apparition – comme celle que signale Truffaut à propos de Delphine Seyrig, blonde dans Baisers Volés. Une apparition au sens le plus marial du terme. C’est sans doute le plus surprenant de la lecture musicale que consacre la comédienne Nathalie Bach à Marylin Monroe : recréer cela, un corps. Le corps même de celle qui, précisément, a cherché à s’en extraire, à s’en abstraire, dans un mouvement de négation de près de vingt siècles de représentation. Vaine tentative, puisque le dernier film, The Misfits, tout comme la dernière séance photo de Marilyn pour le magazine Vogue avec le photographe Bert Stern en 1962, sont le constat de cette impossibilité-là, justement de cette abstraction-là. Ce qui est le plus amusant, et ça n’était peut-être pas intentionnel au départ, c’est que c’est bien à partir des mots que Nathalie Bach reconstitue, bien sûr la personnalité de Marilyn Monroe, mais aussi sa plus profonde sensualité. Et c’est bien là le plus troublant de ce spectacle de théâtre qui mêle des lectures – empruntées à différents textes rédigés par Marilyn elle-même à différents moments de sa vie, des interviews, des lettres, des notes biographiques, etc. –, et de la musique
avec la présence au piano de Sébastien Troester, dont les accents délicatement jazz soulignent la justesse de cette chorégraphie de l’instant. Nathalie Bach évolue sur scène, elle envahit le sobre espace qui s’offre à elle, joue de manière complice avec le pianiste dans des instants de rencontre admirables entre les mots et les sons, elle esquisse une course, l’amorce d’une danse, puis s’arrête, l’air grave, pour mieux signifier la mélancolie de l’actrice dans cette balance forcément déséquilibrée, et si émouvante, entre vitalité et désespoir.
Assurément, elle est Marilyn Monroe, derrière qui apparaît la figure blessée de Norma Jean Baker. Dans cette mise en scène de Frédéric Solunto, construite comme un long plan-séquence, elle est Marilyn comme personne ne l’a été avant elle, et sans doute comme personne ne le sera plus après elle. Loin de tout mimétisme, loin de toute volonté de l’incarner – il semble difficile d’incarner l’incarnation même ! –, loin de toute tentative de chercher à lui ressembler. Les mots, le jeu, la musique, sont là pour recomposer une image qui
vient se placer devant nos yeux, l’image d’une femme d’un siècle, et au-delà de cela, l’image de ce siècle qui nous semble déjà lointain, mais dont la permanence se révèle toujours un peu plus à nous. Avec ce quelque chose d’irréductible à nos vies, la féminité même. NORMA JEAN BAKER… MARILYN MONROE, les 12 et 13 février à l’Espace culturel Le Point d’eau, à Ostwald www.nathaliebach.com
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Par Emmanuel Abela et Vanessa Schmitz-Grucker
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Orson Welles n’a eu de cesse de manifester son admiration pour Shakespeare. En 1948, il adapte Macbeth au cinéma, suivi, en 1952, d’Othello. À l’occasion de la réédition des deux films dans des versions restaurées, Carlotta publie deux nouvelles traductions des pièces illustrées d’images des films. David d’Équainville, qui a dirigé ces publications, nous relate cette aventure éditoriale.
La volonté nue Dans le cas précis de ces nouvelles traductions, on revient à quelque chose qui est de l’ordre du rythme pur, avec de temps en temps des passages ciselés, directs et crus. Vous avez dirigé cette publication, pouvez-vous expliciter l’origine du projet ? L’origine du projet s’inscrit dans la logique développée par Carlotta film qui est de proposer aux cinéphiles les œuvres du répertoire classique dans le cadre soit de films restaurés soit oubliés et remis en salle ou en librairie. C’est à l’occasion de la restauration des deux films d’Orson Welles que nous avons envisagé de faire une publication en édition limitée de ces deux pièces illustrées par les images de Welles. Nous renouons là avec la tradition du livre illustré, tout en insistant sur la rencontre textuelle et visuelle des deux auteurs, Shakespeare et Welles. Une nouvelle traduction s’imposait ; c’est le meilleur moyen de redécouvrir une œuvre. Une traduction est une captation de code. Le traducteur cherche à distinguer la mélodie de l’auteur, sa signature, son style et à repérer tous les éléments sur lesquels il va s’appuyer pour mener à bien cette redécouverte de la pièce. Patrick Reumaux, le traducteur, a une métaphore qui explique très bien cette idée de captation de code qui est le rapport existant entre l’ophrys des orchidées et l’abeille. Ce sont deux univers qui ne se connaissent pas, l’ophrys donne à voir à l’abeille son reflet, son autre, et grâce à cet artifice l’abeille vient polliniser, l’ophrys permettant ainsi à la fleur de survivre. Traduire, c’est trouver la mélodie et restituer celle-ci avec force.
Welles s’approprie l’œuvre de Shakespeare en modifiant parfois l’ordre des vers et des scènes. On aurait pu imaginer une autre lecture qui aurait été celle de la retranscription intégrale de la version wellessienne, là où vous faites vivre côte à côte les images du film et cette nouvelle traduction… Welles, dans son adaptation, fait un travail de restitution par rapport à son point de vue de réalisateur des deux histoires en proposant une iconographie, des partis pris de mise en scène, des jeux d’acteurs bien précis qui ont fait date et inspiré le théâtre. On a deux dynamiques parallèles qui ont la même intention de revisiter l’œuvre shakespearienne afin de la redécouvrir dans toute sa force. L’intérêt d’une traduction reste la capacité à pointer la richesse d’une œuvre. Reumaux a également cherché du côté des conteurs de la Renaissance, d’où ces libertés. Justement, Welles cherche à capter ce qui est de l’ordre de l’environnement immédiat de ce temps ? Tout à fait. En ce sens, cela résonne avec la dynamique développée par Carlotta qui est de proposer à des publics variés des œuvres du répertoire classique accompagnées d’un ouvrage qui emprunte les mêmes chemins. C’est un nouvel axe de développement complémentaire qui enrichit la mission de redécouverte du cinéma classique sans oublier, toutefois, les jeunes réalisateurs et le cinéma contemporain.
Antoine de Baecque apporte son point de vue en tant qu’historien du cinéma. On apprend que ce sont des films qui ont fait scandale en temps réel, créant un séisme au sein de la critique cinématographique. Envisagez-vous de répéter le processus ? Oui, l’idée étant à chaque fois d’offrir au lecteur un maximum de clefs pour comprendre ce à quoi le livre tend. Ici, il y a une introduction du traducteur qui explicite de façon très libre ses choix et qui assume ses partis pris. Antoine de Baecque raconte la place de ces deux films dans la filmographie de Welles ainsi que leur place dans le cinéma d’aujourd’hui. Le lecteur peut, ainsi, aborder l’œuvre avec ces deux viatiques. C’est une édition limitée, une version poche est-elle envisagée ? L’association des deux pièces fait sens par rapport aux illustrations de Welles, rassemblées dans un seul livre en édition limitée. C’est un nouveau point de vue sur Shakespeare qui présente le point de vue de Welles qui était déjà un nouveau point de vue aussi sur Shakespeare, plus libre dans son adaptation, ça tombait, en conséquence, sous le sens. On envisage tout à fait par la suite de séparer les deux textes de manière à leur assurer une diffusion plus large mais on ne sera plus dans le registre de l’édition illustrée, limitée. Macbeth / Othello de William Shakespeare, deux pièces illustrée par Orson Welles, sous la direction de David D’Équainville, nouvelle traduction de Patrick Reumaux, édition limitée Carlotta Macbeth / Othello, versions restaurées, nouvelles éditions Blu-ray et DVD, Carlotta
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Par Nadja Dumouchel
Les merveilles est une histoire d’abeilles et de miracles. Une fable sur la vie rurale dans l’Italie du nord, racontée avec subtilité à travers le prisme d’une famille post soixante-huitarde germano-italienne. Ce deuxième film de la jeune réalisatrice italienne Alice Rohrwacher lui a valu le Grand Prix au dernier Festival de Cannes.
Le miel et les abeilles Pourquoi as-tu choisi l’univers du miel ? Je suis partie du présent, d’un problème très grave en Italie : l’incapacité de faire vivre un paysage agricole sans en faire un musée. Ce n’est pas simplement une fable de princesses et de rois, mais aussi une fable très violente sur la réalité italienne contemporaine, dans laquelle la beauté ne peut exister sans le tourisme. J’ai choisi le miel parce que j’ai un peu travaillé dans cet univers, mon père fait du miel, j’ai habité dans une autre famille qui faisait du miel. L’abeille est l’animal que je connais le mieux. Et puis, c’est un travail que j’ai toujours admiré, parce qu’être l’apiculteur est très similaire à ce métier de réalisateur : c’est un travail un peu fou, un peu absurde. En théorie, les gens élèvent les abeilles en enclos, là, elles sont en liberté. Tu ne peux jamais leur demander de faire des choses, tu peux juste suggérer. L’apiculteur cherche toujours à les convaincre, jamais à les forcer. Nous, devant les histoires, c’est un peu pareil. J’éprouve un grand respect devant les histoires et les personnages qui sont plus forts que nous.
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Les films ont donc une vie propre, comme les abeilles ? Oui, ce sont des animaux ! Ton film est construit de manière très organique, en terme de personnages et de structure. Quelles sont les libertés que tu prends au niveau du récit ? Le film est très libre, mais il est aussi très linéaire, très chronologique. Je n’aime pas utiliser les temps de la narration pour jouer avec le spectateur, pour aller en avant, en arrière… Quand je fais un film, je pense aux choses que j’aime en tant que spectatrice, je ne pense pas en tant que réalisatrice. J’aime les choses qui enflamment mon imagination mais qui ne brûlent pas tout. J’aime beaucoup quand je regarde des choses qui me donnent l’espace de penser par moi-même. C’est une démarche politique. Après avoir vu un film qui nous fait réfléchir, on voit le monde d’une manière différente. Les scènes dans mon film sont racontées très précisément, mais il y a des ellipses. Ce ne sont pas des ellipses mystérieuses, elles sont là pour faire travailler le spectateur. Il y a beaucoup de scènes oniriques, presque magiques. Estce que le réalisme magique est quelque chose qui te parle et t’inspire ? Je ne pense pas en terme de réalisme magique. C’est un film très réel. Mais la réalité est très symbolique. Si on n’essaye pas de coller des symboles sur la réalité et qu’on la regarde seulement, les symboles viennent à nous. L’idée n’est pas de faire de la magie, mais d’écouter le côté symbolique de la réalité. Quand je parle de symboles, c’est vraiment dans le
sens étymologique du terme, ça vient du grec, et ça veut dire « mettre les choses ensembles ». Je pense que dans la vie il est très difficile d’assembler les choses, c’est bien ça le drame. Le cinéma peut nous aider à lier les choses, à les réconcilier, avec l’aide de symboles de la réalité. Les protagonistes ont une relation avec le monde extérieur très conflictuelle et la famille devient elle-même victime de son environnement. Est-ce que le film raconte la fin d’une utopie ? Ce n’est pas un film sur l’utopie mais plutôt un film sur un lieu très difficile à définir. On ne sait pas où les personnages vont aller à partir de là. La maison, qui est un personnage à part entière, est ce qui reste à la fin. Je voulais dire à Gelsomina [le personnage principal, ndlr] d’être rassurée, parce que même si elle a l’impression que son drame est énorme, lui aussi va passer, les gens vont disparaître. C’est une chose qui peut sembler triste mais qui peut aussi donner beaucoup de tranquillité. Les lieux sont ce qui reste à la fin.
Qu’est-ce qui a déclenché chez toi l’envie d’écrire ce film très personnel ? C’est un film personnel mais pas autobiographique, même si tout le monde écrit toujours ça dans la presse. Ce n’est pas du tout l’histoire de ma famille ! C’est personnel dans la mesure où je connais les personnages tellement bien, qu’après le film, ils sont devenus ma famille. Mais ils n’étaient pas ma famille avant de faire le film. Jamais je ne voudrais faire un film sur moi, ce n’est pas très intéressant. Quand on fait un film, il y a toujours une grande part de découverte. Mais il est vrai que j’ai connu beaucoup de gens qui vivent aux frontières de la société : géographiques, humaines et sociales. Je voulais un peu raconter l’espace de cette frontière. Comment as-tu vécu le fait de travailler avec des figures emblématiques du cinéma comme Monica Bellucci et Hélène Louvart à la caméra d’un côté, et de l’autre des comédiens non professionnels qui jouaient pour la première fois ? Qu’ils soient des gens très connus ou des enfants, pour moi, c’est la même chose. On a eu la chance de ne travailler qu’avec de belles personnes. C’est la chose la plus importante. Je pense que c’est bien de mélanger, parce que personne ne peut faire de caprices, tout le monde doit aller vers l’autre. Plus la distance est grande, plus on est obligés de bouger. LES MERVEILLES, film d’Alice Rohrwacher en salle le 11 février
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Par Vanessa Schmitz-Grucker
Figurer l’exil
Paul Gauguin, Arearea, Joyeusetés, 1892 Huile sur toile, 75 × 94 cm Paris, Musée d’Orsay © RMN-Grand Palais (Musée d’Orsay) / Hervé Lewandowski
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La Fondation Beyeler expose peintures et sculptures de Paul Gauguin, figure majeure de l’avant-garde du XIXe. Objets de tous les fantasmes, la vie et l’œuvre de Gauguin se cristallisent pourtant autour de questions identitaires. Né sous le signe du voyage et de l’exil – le père de l’artiste fuit la répression napoléonienne au Pérou alors que le jeune Paul n’a qu’un an –, Gauguin n’aura de cesse de parcourir le monde fuyant on ne sait quels fantômes, à la recherche d’on ne sait quelles vérités. Mais la question de l’identité, qui semble être au cœur de ses passages à l’acte, est-elle soluble dans l’exil ? Les modes de figuration de l’exil, du vécu aux souvenirs, laissent à penser qu’il est des rédemptions possibles via le voyage. Scènes de béatitude, de joie, de langueur, la naïveté présente dans l’ensemble de son œuvre dénote avec le caractère tantôt dépressif tantôt odieux de l’artiste. Les codes et les techniques qu’il invente sont au service d’une aspiration à l’autre et à l’ailleurs. Pas d’enracinement, tout juste une terre d’élection, cette période tahitienne si prolifique au cours de laquelle Gauguin devient une référence pour toute une génération de jeunes artistes en rupture avec l’académisme. Dissonance des couleurs, larges aplats, absence de perspectives, cadrage novateur, toutes les ruptures semblent le rattacher à cette avant-garde dont il est pourtant en marge. Car l’exil n’est pas un rapport à l’autre ni un rapport au monde, c’est un rapport à soi qu’affirme l’artiste dans une lettre à Emile Bernard datée de 1889 : « Ce que je cherche, c’est un coin de moi-même encore inconnu ». De la Bretagne à la Martinique, de Tahiti aux îles Marquises, Gauguin est dans une quête identitaire qui se traduit par l’exil, métaphore du trajet intérieur. Gauguin n’est pas en quête d’un mode de vie exotique ou primitif bien qu’il
soit conscient de la demande de motifs à l’instar du phénomène des Orientalistes. Il est à la recherche de codes nouveaux disposés à servir les modes de pensée et de production qu’il élabore. Arearea dit aussi Joyeuseté – raillée au point que Gauguin, vexé, rachètera la toile – condense la manière caractéristique de cette époque d’accumuler les motifs. Scène de vie quotidienne ? Rite exotique ? Mysticisme exacerbé ? Ou simple miroir de soi ? Gauguin brouille les pistes. « L’expérience que j’ai faite à la Martinique est décisive. Là, seulement je me suis senti vraiment moi-même, et c’est dans ce que j’en ai rapporté qu’il faut me chercher si l’on veut savoir qui je suis ». On est loin, en apparence, de la période tourmentée – parce que passionnée – de l’atelier du Midi à Arles avec le peintre Vincent Van Gogh. Le Hollandais attendait fébrilement l’arrivée de son ami et n’aura en retour que toute l’arrogance dont est capable Gauguin. Irascibilité née d’une fuite sans issue : « Être différent de ce que l’on est, est le désir le plus néfaste qui puisse brûler dans le cœur des hommes. Car la vie n’est supportable qu’à condition de se résigner à n’être que ce que nous sommes vraiment. » écrivait quelques décennies plus tard Sándor Márai dans son roman Les Braises. Gauguin ne se résigne pas. Il lutte sur le ring de la solitude et du désespoir qui le conduira à une mort lente et douloureuse, en proie aux mêmes accès suicidaires que Van Gogh, ce fou qu’il avait précipitamment abandonné. Conscients des aspects négatifs du personnage que certains n’hésitent pas à qualifier de « pathétique », les Fauves et les Expressionnistes s’engouffrent
pourtant dans la brèche ouverte. Si Gauguin s’est un temps rapproché des Impressionnistes et d’autres groupes français, sa marginalité a fait une forte impression sur Matisse qui abandonne son style pictural au profit d’une peinture sauvage qui lui vaudra ce qualificatif de « fauve ». La femme au chapeau présentée au Salon d’Automne de 1905 est un héritage direct de Gauguin : usage voisin des aplats, motifs construits par des couleurs violentes, effet inachevé, Matisse subira les mêmes moqueries que Gauguin. Malgré les controverses et les polémiques suscitées et par la vie et par les choix artistiques de Gauguin, Fauves et Expressionnistes s’inclinent devant ce sauvage, cet « oviri », qui ouvre la voie d’une peinture affranchie des théories, toutes subjectives, des couleurs érigées en dogme depuis les Goethe, Chevreul et autres Hering. Le jeu identitaire de Gauguin a fait tomber les barrières. La construction et la manipulation de son identité ne lui auront peut-être pas permis de trouver cette part de lui-même qu’il cherchait mais aura autorisé toute une génération d’artistes de s’affranchir des derniers tabous du XIXe. PAUL GAUGUIN, exposition du 8 février au 28 juin à la Fondation Beyeler, à Riehen/Bâle www.fondationbeyerler.ch
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Par Florence Andoka
Vivre en guerre Au-delà de la période historique considérée, la dimension politique et subversive unit véritablement ces Impressions du front. Les deux volets de l’exposition, inscrite dans le cycle de commémoration de la Grande Guerre, esquissent différentes stratégies de résistance face à la violence qui sévit. Un premier mouvement dévoile des objets ayant servi aux poilus, mais surtout de nombreux journaux de tranchées issus des collections de la Bibliothèque de conservation, relevant de la donation de Charles Clerc. Ce collectionneur franc-comtois passionné par la Première Guerre mondiale à laquelle il participa, a rassemblé de nombreux journaux de tranchées qui offrent une première représentation de la guerre vue du front. Ces publications étaient destinées aux poilus dans l’intention de les divertir pour mieux les tenir mobilisés. Ces journaux, dont on découvre parfois l’écriture manuscrite, sont fortement marqués par un humour germanophobe. Ainsi Le Bochofage, Le Tord-boyau, Le Cafard enchaîné, Le Canard poilu, ou encore Le Lapin à plumes donnent une première impression du front où le quotidien cruel n’achève pas l’esprit patriote des combattants. Le parcours d’exposition semble nous guider du réel à sa représentation, de l’immédiateté du vécu à sa reconsidération postérieure. Le second temps de l’exposition à la progression dramatique nous invite à nous confronter aux œuvres de George Grosz et Otto Dix, trop rarement exposés en France. Le rire noir des journaux de tranchées laisse place à
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Otto dix, La Guerre (Der Krieg), Tranchées écroulées. ADAGP Paris 2014 Coll. Ronny et Jessy Van de Velde, Anvers.
la violence du réel éclaté. Les lithographies de Grosz dévoilent une société en décrépitude, traversée par le mal. Dans le portfolio, qui a valu à son auteur un procès, Erste George Grosz Mappe, la rue est devenue le théâtre de l’infamie, un immeuble par ses fenêtres outrancières livre une scène de bagarre, un accouplement ainsi qu’un suicide par pendaison. En 1921, Im Schatten révèle une société allemande où seule l’énergie du crime perdure, même la sexualité est vécue dans l’atrocité des corps vomissant le désespoir de leurs chairs flasques. Grosz, membre actif de l’aile gauche de la Nouvelle Objectivité, dissèque le réel avec cynisme. C’est au fond de la grande salle aux poutres arrondies que les tracés noirs sur fond blanc de Grosz laissent place aux cinquante gravures de Der Krieg, œuvre importante d’Otto Dix ressuscitant entre 1923 et 1924 son expérience du front. L’obscurité domine chaque scène. Un visage à l’œil unique et inquiet accuse celui qui le regarde, sa face est devenue illisible pour moitié, rongée par des lambeaux de peaux qui font office de greffe. Loin du futuriste Marinetti qui prône la guerre comme seule hygiène sociale possible, Grosz et Dix ont été deux artistes des avant-gardes dénonçant la guerre ainsi que le pouvoir en place à leur époque. L’exposition Impressions du front, dans la diversité des objets qu’elle met en scène, indique des formes de résistance face à une violence identifiée. Elle pointe par là même la difficulté actuelle des productions artistiques contemporaines à s’engager contre un ennemi potentiel tant le visage du pouvoir est devenu multiple comme l’analysait Michel Foucault. IMPRESSIONS DU FRONT, exposition jusqu’au 15 mars au musée du Temps à Besançon www.mdt.besancon.fr
Par Florence Andoka
Le rire est politique En 2012, Andrei Erofeev réalise au Palais de Tokyo, l’exposition Alerte autour du sort de trois femmes du groupe féministe punk Pussy Riot, mises en détention pour avoir chanté une chanson anti-Poutine dans la cathédrale de Moscou. Trois ans plus tard, l’homme monte une nouvelle exposition pour donner un visage à l’art contestataire dans la Russie des dernières décennies. L’exposition Pussy Riot and the cossacks pointe d’emblée le rôle de l’artiste face à un pouvoir répressif. En effet, les cosaques sont une population d’Europe centrale associée dans les esprits à l’extrême droite. Autrefois, le Tsar face au Bolchevisme montant a employé des cosaques pour mater toute manifestation d’opposition. « Les cosaques réapparaissent dans le régime de Poutine qui les met au service de l’Etat, leur donne à faire les tâches les plus injustifiables par la loi. Ils doivent neutraliser toute pratique démocratique d’opposition. Ils s’attaquent à la pensée indépendante, ont saccagé des expositions, fermé des théâtres et s’en sont pris aux Pussy Riot qu’ils ont battus avec leurs fouets traditionnels, ce qui fait l’objet d’une captation vidéo présente dans l’exposition. » Bien que Pussy Riot and the cossacks relate plusieurs décennies de contestation artistique dans un contexte politique qui a connu des variations, Andrei Erofeev considère que « l’idéal démocratique » reste l’objet du combat. De même l’unité du projet réside également dans la démarche des actions retenues, le rire est central : « Le travestissement permet à l’artiste de devenir un personnage qui émet un message. Les Pussy Riot sont des écolières chantantes. C’est une performance déguisée. C’est assez joyeux, contrairement
à beaucoup de performances occidentales, le côté ludique est mis en avant. Cette provocation appelle alors une riposte qui fait partie de l’œuvre. Les Pussy Riot intègrent la réponse violente des cosaques qui devient un spectacle. Cela permet de dévoiler les intentions du pouvoir, sa mentalité, sa relation aux artistes. La performance donne ainsi la preuve de l’agressivité du pouvoir », affirme le commissaire de l’exposition qui estime également que « le fondamentalisme va de pair avec l’attaque contre le rire, comme en témoigne le récent drame des attentats contre Charlie Hebdo ». L’exposition révèle encore la diversité formelle de cet activisme artistique, relatant non seulement le champ de la performance par les actions des Pussy Riot, de Voïna, d’Oleg Kulik, mais aussi le street art par les interventions graphiques de Pacha 183 dans les rues de Moscou, les photographies d’Igor Mukhin et de Shilo Group ainsi que les détournements proches de l’esprit dada du duo formé par Vitaly Komar et Aleksander Melamid. Pussy Riot and the cossacks entend non seulement faire reconnaître en Europe Occidentale une voix russe qui s’oppose au gouvernement de Poutine, mais aussi fédérer ces artistes contestataires, parfois contraints à l’exil, pour leur rappeler qu’ils ne sont pas seuls. PUSSY RIOT AND THE COSSACKS, exposition jusqu’au 20 février 2015, à l’ISBA, à Besançon www.isba-besancon.fr
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Par Vanessa Schmitz-Grucker Photos : Nicol Despis
Du rock et des mots
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Depuis quelques mois, la scène rock française renoue avec la belle langue. À l’égal de Dominique A au début des années 90, Pierre Guénard de Radio Elvis pose les bases d’une nouvelle forme d’écriture. Il le fait avec un semblant de désinvolture, mais Dieu que l’histoire commence bien !
Radio Elvis vient tout juste de sortir Juste avant la ruée, un premier EP vivement salué par la critique rock. Peux-tu resituer la genèse du projet ? Radio Elvis était un projet solo pendant près de trois ans. Ce n’est que par la suite que nous sommes devenus un groupe ; nous sommes donc un trio depuis un peu moins de deux ans. C’est un projet de chanson indé. J’emploie cette formule parce que c’est à la frontière du rock indé et de la chanson française. C’est, à mon sens, un bon moyen de définir ce qu’on fait. On est ni trop rock ni trop chanson française. Musicalement on se laisse toutes les libertés possibles. Le projet tourne principalement autour des textes. Justement, on observe un retour aux mots dans la nouvelle scène rock française. Comment expliques-tu ce phénomène ? Je pense que ça a toujours existé. Ceci dit, on a un point commun avec Feu! Chatterton, et peut-être aussi avec Fauve et Grand Blanc. Arthur de Feu! a fait du slam comme moi dans le années 2000. Le slam était à la mode, c’était un bon moyen d’expression. C’était une bonne façon de tester mes textes en attendant de faire de la musique ou du moins de continuer à écrire, ce qui comptait davantage à mes yeux. Mais ce rock lettré n’a jamais cessé d’exister, c’est avant tout une question de mode. Jusqu’à présent la scène d’inspiration anglaise était très importante avec The Dø notamment. Récemment, et en partie grâce à Fauve, il y a eu cette volonté de revenir au français. Je crois que la mort de Bashung et l’arrivée de Fauve ont permis de remettre les choses à plat, même si cela semble simpliste, il faut bien entendre que nous ne sommes plus prisonnier des grands maîtres comme Bashung et Gainsbourg. On fait partie
de la génération qui arrive à passer au-delà de ça. Mais ça peut rester une question de mode, dans cinq ou dix ans l’anglais reviendra. C’est cyclique. On aura envie de refaire du grunge en anglais à la façon des années 90. Pour l’instant, les groupes avec lesquels on partage la scène attachent la même importance au français que nous parce que c’est notre langue maternelle et qu’avant de faire de la musique, il y a une volonté d’écrire. Comment situes-tu Radio Elvis par rapport à cette scène très prolifique née, en partie, du renouvellement du genre par Dominique A ? Je crois qu’on est des outsiders mais c’est le propre d’un groupe que de se sentir outsider, voire seul, bien que très entouré. On est sur une scène très prolifique avec Feu! Chatterton, Grand Blanc, Pérez… Finalement, on est nombreux à chanter en français mais on fait tous quelque chose de très différent, ça va du jazz un peu fusion, au rock au son plus années 80 de Grand Blanc ou de Feu! Chatterton. Radio Elvis est entre les deux. Tout le monde se sent un peu seul et isolé mais au sein de notre trio, nous avons beaucoup d’affinités. Manu et Colin ont écouté beaucoup de musique anglophone comme Sonic Youth et LCD Soundsystem tandis que moi j’ai écouté beaucoup de groupes à chanteur comme les Smiths et surtout les 16 Horsepower. J’écoute aussi en boucle Dominique A. C’est quelqu’un qui a beaucoup compté dans ma culture musicale, il m’a ouvert les yeux sur une autre façon de chanter en français, autre que Bashung et Gainsbourg, avec des mots plus simples, une narration plus romanesque et moins portée sur le jeu de mots que Bashung ou Gainsbourg.
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Mais tes textes restent très oniriques, avec plusieurs strates de lecture, ce qui constitue d’ailleurs la richesse de ce premier EP… Parce que je me situe entre Dominique A et Bernard Herzog ! Son cinéma m’inspire et notamment, pour cet EP, le film Aguirre, la colère de Dieu. J’aime écrire et écouter de la musique de la même façon qu’Herzog filme. Je me suis entièrement retrouvé dans ce film parce que justement c’est très métaphorique, ce sont des images qui parlent d’ellesmêmes, qui veulent dire mille choses à la fois, qui ont la même force d’expression que les mots. Le sens premier de mes textes est plutôt évident. On voit où je veux en venir. Toutefois, avoir plusieurs clefs de lecture permet au plus grand nombre de s’y retrouver. J’ai entendu des interprétations complètement improbables de mes textes, mais c’est une bonne chose. Les garçons apportent des idées mélodiques auxquelles je n’aurais pas pensé, pour lesquels j’aurais eu des idées différentes. C’est important que mes textes puissent être libre d’interprétation. Toutefois, même s’ils sont plus métaphoriques que ceux de Bashung, j’aime aussi aller droit au but à la manière de Dominique A. Tu cites Herzog, on entend, en effet, que tes influences ne sont pas que musicales… J’écris beaucoup. J’ai découvert la lecture assez tard mais mes chansons sont ce que j’ai pu lire entre les lignes d’un livre ou les images d’un film, elles sont une relecture de ce que je lis, de ce que je vois, de ce que j’écoute. C’est à travers ce prisme que j’aime l’écriture. Et tu lis quoi en ce moment ? En ce moment, je lis La Douleur de Duras, mais c’est avec Voyage au bout de la nuit de Céline que j’ai commencé à écrire. J’aime la littérature de voyage, celle de Jack London par exemple. Cette année, j’ai lu l’intégral de Saint-Exupéry qui m’a ouvert à un autre style d’écriture, absolument magnifique. Au cinéma, j’ai eu un vrai coup de cœur pour Felix Van Groeningen…
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Oui, on sent cette veine-là, tes titres sont de vrais road-movies dans lesquels on se laisse aisément embarquer… Je pars du principe que le voyage est immobile et j’essaie d’en faire des chansons. Mes chansons, la manière dont j’écris, c’est en soit une façon de voyager. Ça peut sembler banal mais c’est vécu comme tel, c’est fort et ça nous dépayse.
— Une vraie énergie se dégage, une agressivité aussi, on lâche davantage. On est moins sages qu’avant. —
Cette idée d’un trio, c’était une envie affirmée, un cap nécessaire ? Ça a toujours été une volonté. Déjà, le nom était davantage un nom de groupe que de scène. J’attendais juste de trouver les bonnes personnes, je voulais que ça se fasse naturellement, je n’avais pas envie de chercher. J’avais des chansons mais j’avais besoin de passer un cap. Quand j’étais en solo, les chansons étaient beaucoup moins structurées et le fait de jouer en groupe m’a permis d’aller plus à l’essentiel, d’élaguer et de mieux révéler la mélodie. Je n’étais pas dedans avant, c’est avec Manu et Colin que j’ai pu creuser ça. Il y a eu un impact sur les textes puisque la musique commençait à avoir une forme plus régulière et plus intéressante. L’écriture est devenue beaucoup plus facile, plus concise. Je propose des guitares et des voix puis on travaille soit deux par deux, souvent avec le batteur qui fait le clavier et les basses soit en improvisant à trois sur mes guitares-voix. Je leur donne quelques directions mais je laisse libre court à leur imagination
Vous faites vos premières armes ensemble sur scène, en quelque sorte. Comment la scène vous fait-elle évoluer ? Quels sont vos choix scéniques ? On est un groupe très jeune, alors on a pas mal évolué sur scène cette année. Plus on avance, plus on se découvre une âme de rocker sans forcément le décorum kitsch qu’on peut accoler à ça mais on a mis du temps à trouver notre dispositif scénique. Ça paraît anodin mais c’est très important, je me rends compte qu’on est vraiment un groupe de scène. De plus en plus, une vraie énergie se dégage, une agressivité aussi, on lâche davantage et je crois que ça plaît comme ça aussi. On est moins sages qu’avant. J’ai été bercé par des images de rockers comme Jim Morrison et d’autres trucs assez rudes et rugueux à voir et à entendre donc j’essaye de me rapprocher de ça…
Sur Le Continent, on entend une entrée similaire à Buckley, entrée d’ailleurs reprise par Anna Calvi. Ce sont aussi tes références ? C’est la deuxième fois qu’on fait allusion à Anna Calvi mais je ne l’ai découverte que la semaine dernière et depuis je l’écoute en boucle. Je me retrouve dans ce qu’elle fait. En revanche, je n’écoute pas Buckley. Non, c’est vraiment les 16 Horsepower qui m’ont marqué et le Gun Club. En partant de Noir Désir, on peut aisément remonter le fil. J’ai aussi écouté beaucoup de bluegrass et de country.
Oui, tu parles de chanson indé, mais en même temps Radio Elvis, c’est assez punk … J’ai envie de cet esprit là sur scène sans toutefois rentrer dans le « bruitisme » parce que ce qu’on préfère tous les trois sur scène ce sont les moments de silence qu’on arrive à créer par moment même au milieu d’une chanson. Le silence complet dans une salle, collé à des moments plus violents, on aime ça ! Parfois, je joue seul alternant la dimension plus chanson, puis plus rock : Demande à la poussière par exemple devient assez violente sur scène avec des passages plus progressifs, on essaye d’explorer plein de choses différentes sans rien enlever ni ajouter par rapport au studio. On veut que ce soit assez fidèle sans être dans la reproduction même de ce qu’on fait en studio, ce n’est pas le but. En tout cas, on n’ajoute pas et on n’enlève pas d’instrument sur scène même si on se laisse des libertés par rapport à la structure du morceau, par rapport aux intentions, il faut que ça reste du live, que ce soit vivant sans recourir à des samples. On est plus partisans du « tout faire » et de limiter les machines. Radio Elvis, EP Juste avant la ruée
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Par Cécile Becker Photos : David Edwards, Derrick Santini, Marie Taillefer
waow !
Après une année de pause, le festival GéNéRiQ, organisé par Les Eurockéennes et les meilleures salles de concerts du Grand Est, revient et revient fort. Une programmation dingue et audacieuse, entre évidences et découvertes, qui nous fait miroiter une année musicale des plus radieuses. En marketing, on appelle ça l’effet waow. La meilleure revue du Grand Est (oui, nous !) vous propose sa sélection. 88
All We Are, on danse ? Il y a maintenant un an et demi débarquait sur la Toile ce groupe dont on ne connaissait pas grand chose. Rien qu’un titre, Utmost Good, une guitare vacillante, des voix groovy, juste ce qu’il faut pour en attendre plus. All We Are sortait alors de la grisaille de Liverpool en présentant ce titre auto-produit séduisant du même coup un zig de Double Six Records, branche de la sommité Domino, qui trainait par là. 2015 : un album éponyme et une tournée européenne en perspective, ils sont tous là, ils sont, quoi ? Richard ’O Flynn, batteur du groupe, nous éclaire. Si All We Are [littéralement “tout ce que nous sommes”, ndlr] était humain, quelle serait sa personnalité ? [Rires]. Je pense qu’il ou elle serait un ou une fêtard(e), ce serait aussi quelqu’un qui s’entendrait avec tout le monde. Pensez-vous que le fait que vous veniez tous les trois de pays différents [Irlande, Norvège et Brésil, ndlr] participe de l’universalité de votre musique, de son accessibilité ? Nos cultures font partie de nous, alors, lorsqu’on se réunit pour écrire notre musique, tout ça ressort d’une manière ou d’une autre. Ceci dit, nous ne pensons jamais vraiment à nos nationalités, ou même à nos influences musicales, les choses se passent naturellement. Vous vous connaissiez déjà depuis quelques temps avant de monter ce groupe. Comment s’est-il imposé à vous ? On s’est rencontrés à l’université à Liverpool, on trainait tout le temps ensemble, on a toujours été très amis. Quand on a terminé la fac, on souhaitait deux choses : rester amis et rester à Liverpool. Je ne sais pas pourquoi mais le seul moyen de le faire c’était d’inventer quelque chose, et donc de faire un groupe.
À cette époque, partagiez-vous les mêmes aspirations musicales ? En fait, on a toujours partagé énormément de choses, et évidemment la musique en fait partie. On est de très grands fans de hip-hop. Au fil des années, nos goûts musicaux se sont développés et ont fusionné en quelque sorte. En parlant de fusion, lorsque j’écoute votre musique, j’ai cette image de vous dansant tous les trois frénétiquement, peut-être sur la musique des Bee Gees ? [Rires]. C’est juste, parce qu’on danse toujours comme des fous, mais sur n’importe quel genre. On écoute beaucoup de soul, funk, disco, hip-hop ou r’n’b des années 60, 70, des musiques qui ont du cœur, une âme, qui parlent à tout le monde. Je parle des Bee Gees parce que lorsqu’on lit un article sur vous, c’est une référence qui ressort à tous les coups. N’est-ce pas frustrant ? Ce qu’on lit souvent, c’est que l’on sonne comme les « Bee Gees sous Diazépam ». En fait, c’est une phrase que notre producteur a sorti en écoutant Utmost Good, lorsqu’on était tous en studio, assis à écouter le mix. Cette phrase nous a vraiment scotché. C’est vrai que le fait que tout le monde s’y réfère est assez drôle. Mais je crois que c’est une phrase accrocheuse qui marche bien. C’est important de parler aux références de gens pour qu’ils puissent se faire une idée de ce à quoi ils peuvent s’attendre. Pour ma part, je trouve cette comparaison avec les Bee Gees un peu réductrice, peutêtre même erronée. J’entends beaucoup plus de funk que de disco, beaucoup plus de Talking Heads ou de Tom Tom Club… C’est vrai que les Talking Heads sont l’une de nos références ultimes. David Byrne est une légende, et puis, comme nous, il avait une bassiste femme, Tina Weymouth [également fondatrice de Tom Tom Club, ndlr], ça nous parle d’autant plus. Mais je crois simplement qu’on aime la musique sur laquelle on peut danser, ou alors que l’on peut écouter au casque, seul chez soi, et partir dans un autre monde.
Vous le dites, votre première intention est de faire danser les gens. Aujourd’hui, j’ai néanmoins l’impression qu’en concert, l’on danse de moins en moins. Comment faîtes-vous pour faire en sorte que les danses se passent ? Ça dépend des spectateurs [Rires], tout ce qu’il faut c’est qu’une personne s’y mette et généralement, d’autres suivent. Si c’est vrai que les gens ont tendance à moins danser qu’avant, on aime aussi beaucoup le fait que ce soit une musique qui puisse s’écouter au casque. Tout ce qu’on veut en fait, c’est que les gens s’approprient notre musique. Sur scène, vous devriez proposer des chorégraphies… C’est vrai, on devrait ! [Rire] On a une scénographie un peu particulière qui pousse à l’échange. Je suis au centre, à la batterie, Guro à la basse et Luis à la guitare ou à la basse, sont autour de moi. Je joue souvent debout afin de pouvoir bouger, justement. On essaye de ne pas être statique. Vos sons dégagent beaucoup de joie, de légèreté ce qui est appréciable, au regard d’un monde où l’optimisme tend à disparaître. Que faire pour sauvegarder l’optimisme ? Je crois qu’on doit tous faire quelque chose à notre niveau pour faire du monde une place plus agréable. Notre manière à nous d’y participer c’est de faire de la musique et de réunir les gens. En ce moment, plus qu’auparavant, il faut beaucoup d’amour et de solidarité. Il faut que la jeune génération prenne ses responsabilités en diffusant des valeurs positives. ALL WE ARE, concerts le 12 février à 20h, à La Vapeur, à Dijon, le 13 février à 21h à La Rodia, à Besançon et le 14 février à 20h au Noumatrouff, à Mulhouse
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Fat White Family, on baise ?
Une paire de fesses fait des allers-retours en arrière plan, comme montée sur un skateboard. À l’avant, Lias Saoudi exhibe sa péninsule, grimant un Gainsbourg-Elmosnino de pacotille tout en fumant goulûment son clope et en sur-articulant les paroles de Touch the Leather. Chaque mot lui arrache une grimace vicelarde à en faire baver la petite culotte de Sainte-Nitouche. Ce clip fut le début d’une longue histoire d’amour qui aurait dû se finir dans les chiottes chimiques dégueulantes de boue de La Route du Rock, si le groupe ne nous avait pas fait faux bond en préférant se bourrer la gueule dans un bar miteux de Saint-Malo. [Il s’agissait seulement de les interviewer, ce qui précède n’est que le fruit d’un fantasme exagéré, ndlr] Mais le climax eut lieu quelques heures plus tard devant cette petite scène excitée par un public bien décidé à en découdre avec la réputation des Fat Whites alimentée par des rumeurs, toutes fondées. Boycottés
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par quelques salles de concert bienpensantes refroidies par leur attitude dévergondée, la bande à Saoudi trouve son salut en se touchant les parties intimes sur scène, en gesticulant dans tous les sens et en abreuvant le premier rang de sa transpiration bénie. Encore un groupe surfant sur la primitivité rock quasi adolescente direz-vous. À raison. Mais la légende attendait un groupe d’une telle envergure pour prendre la relève. Les Fat Whites, au-delà de cette image chaotique, ont un talent et une intelligence remarquables. Leur album Champagne Holocaust emprunte au garage, comme au psychédélisme, au folk, comme au blues ou à la pop, passant de l’un à l’autre comme on se passerait une bouteille de whisky lors d’une soirée survoltée. Le reste n’est que littérature ? Pas vraiment. Les Fat White Family font partie de ces trop rares groupes à partager leur point de vue politique, notamment sur leur page Facebook. En dehors de
leurs statuts appelant à leur livrer de la drogue dans leur toute nouvelle maison à New York – prêtée par Sean Lennon, le co-producteur de leur prochain album et l’un de leurs mécènes –, ils n’hésitent pas à afficher leur soutien à Charlie Hebdo en postant certaines de leurs caricatures et saluent régulièrement la résistance de laissés-pour-compte au système libéral en taclant au passage les politiques véreux et tout fan stupide. De leur verve, ils rappellent ô combien l’importance pour un artiste de se faire voix critique de notre société. Sexe, drogues, rock’n’roll et cerveau. Autant de raisons énoncées dans ce texte, de continuer à partager mes rêves érotiques avec les Fat White Family. FAT WHITE FAMILY, concert le 14 février à 20h au Consortium, à Dijon
Grand Blanc, on broie du noir ?
Buvette, on boit un coup ?
Comment a-t-on pu passer à côté de ce groupe messin ? À l’écoute de leur EP sorti de la maison l’Entreprise, gourmande en artistes chantant et parlant la langue de Molière à l’image de Moodoïd ou Lafayette, c’est un sentiment de culpabilité qui nous saisit. Ils étaient là, à deux pas, et nous n’avons pas su ouvrir nos écoutilles. Il aurait pourtant fallu se pencher sur leur cold wave arrosée de l’univers de Bashung que chérit le chanteur-poète Benoît David et d’une touche d’Elli & Jacno rappelée par la voix chétive de Camille et de son synthé tantôt sautillant, tantôt parcourant leur musique de nappes fascinantes. Rejoignant le cercle déjà incarné par La Femme, Grand Blanc pratique la musique très instrumentale et hypnotique accompagnant des textes travaillés, construits comme des poèmes surréalistes, collages mélancoliques et jeux de mots noirs inspirés par la région dont ils sont originaires. D’après Benoît David, il fallait parler de ces paysages de désolation balayés des industries et de l’ennui forcé que traverse la jeunesse du coin. Si l’on n’abonde pas tout à fait en ce sens [sinon, quid de Novo ?], l’on rejoint Grand Blanc sur sa mise en lumière du paradoxe de la jeune génération qui cherche l’enchantement autant qu’elle pratique le pessimisme. C’est noir, très noir. Ça transpire la mélancolie traversée par l’électricité de leur son, par la vivacité de leur chant et par l’extrême douceur de certains passages. C’est un tableau d’un noir éclatant que nous présente ici Grand Blanc.
À l’image de Grand Blanc, Cédric Streuli aka Buvette est géographiquement proche de notre centre de gravité. Ce jeune suisse aspire cependant à quitter la région au plus vite comme il l’a déjà fait en se rapprochant de l’entourage de Devendra Banhart, passant par New York. Amateur de voyage, refusant l’immobilité, Buvette est aussi un explorateur de sons. Avec une simplicité et un minimalisme que l’on connaît à John Maus ou Molly Nilsson – à laquelle il a dédié l’une de ses créations OVNI –, il rapproche des éléments pop, dance, électronique, rock et même folk. Et c’est en bricolant seul ses sons chez lui qu’il a réussi à s’attirer la bienveillance du label Pan European Recordings (Koudlam, Poni Hoax), friand, on le sait, d’explorations soniques multiples, qui a édité son EP The Sun Disapearred et son album The Never Ending Celebration, bijou qui se révèle d’écoute en écoute. En live, deux synthés, un sample, des maracas et quelques percussions feront l’affaire pour vous transporter dans un univers où les sensations et l’ailleurs sont rois. BUVETTE, concerts le 13 février à 20h à La Vapeur, à Dijon et le 15 février à 15h au Crea, à Kingersheim
GRAND BLANC, concerts le 12 février à 19h au Temple Saint-Étienne, à Mulhouse et le 13 février à 20h30 à La Poudrière, à Belfort
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MATTHEW E. WHITE Fresh Blood / Domino
En janvier 2013, Matthew E. White nous avait scotchés avec sa première tentative en solo, au point que depuis il nous est impossible d’écouter un disque sans le situer sur l’échelle White, généralement en dessous, bien en dessous. Après la gifle, voilà qu’on essuie le revers de la main dans la tronche. Même effet de surprise – il pourrait quand même prévenir le gars-là ! –, même impact – les traces de sa grosse paluche d’ours en peluche sur le côté gauche du visage endolori et les étoiles qui scintillent ! Merci, on ne sait pas si on s’en remettra. Pourtant, on essaie de comprendre : ok, tu n’aimes pas beaucoup le rock, seule importe pour toi la soul que tu explores jusqu’à remonter à sa source gospel, voire jazz. Cette soul racée à laquelle tu donnes des accents enjoués même si chez toi la plongée en mélancolie n’est jamais loin : si tu t’interroges avec gravité sur le sort de Holy Moly, nous on se fait du souci à l’écoute de cette guitare déchirante qui vient briser toute Tranquility apparente. Allez, t’emballe pas, Matthew, on t’aime tu sais. La prochaine fois, vas-y câlin ! (E.A.)
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TINDERSTICKS
ARIEL PINK
Ypres / City Slang
Pom Pom / 4Ad
On connaît notre amour pour les Tindersticks, sans doute le seul groupe britannique à avoir affiché une telle constance depuis plus de 20 ans. Nous avions beau savoir que le groupe s’adonnait à la B.O., notamment pour la cinéaste Claire Denis, imaginait-on un seul instant qu’il serait capable d’atteindre ce niveau d’émotion ? Ces compositions qui servent de bande son à l’exposition permanente du Musée In Flanders Fields à Ypres libèrent, à l’image de certaines pièces d’Arvo Pärt, des flots de solennité tout en sillonnant les tréfonds de la mémoire collective anglaise dans ce lieu chargé de mémoire, un peu comme l’avait fait PJ Harvey avec son dernier opus. (E.A.)
Élever l’immaturité au rang de muse suprême semble être le credo de ce cher Ariel Pink. À tel point qu’on ne sait sur quel pied danser, si ce n’est au rythme de sons kitsch se frottant à la limite de la variétoche sans jamais l’atteindre. Révélé au monde avec Before Today, sorte de tableau dépeignant les classiques de la musique US des années 70, 80, il prolonge avec Pom Pom son pastiche de la culture pop en construisant un disque en forme de blague délicieusement grotesque. Petit bonbon : le titre d’ouverture Plastic Raincoats in a Pig Parade, écrit avec Kim Fowley, plaçant d’emblée cet album sous des auspices hallucinatoires, album qui réussit l’exploit de nous faire aimer tout ce que l’on déteste. (C.B.)
JIB KIDDER Teaspoon To The Ocean / Domino Et si le salut de la pop se situait là, entre les mains d’un nerd, qui s’adonne aux collages improbables à la manière des acid-freaks dans les années 60 ? Sean SchusterCraig alias Jib Kidder, gamin de Louisville, parfaite tête à claques de blanc-bec à la mine à peine dégrossie, n’en est pourtant pas à son coup d’essai. Ça fait près de dix ans qu’il livre entre la Californie et New York des cartes postales sonores qui tiennent autant de l’expérimentation débridée que du concept hautement élaboré. Là, il gagne en cohérence et élève sa pop électronique au rang de grand art. Et même si le sagouin s’obstine à jeter les clés de lecture dans la nature, nous tenterons de les réunir pour franchir le seuil à ses côtés… (E.A.)
PANDA BEAR Panda Bear Meets The Grim Reaper / Domino Noah Lennox, autre prestidigitateur d’Animal Collective, ferait-il tout à l’envers ? À l’écoute de ce cinquième opus solo, enfin, tout s’éclaire. Il nous offre là une grille de lecture de son travail, aussi complexe qu’incantatoire, en rendant sa musique plus accessible que jamais. Panda Bear pratique le collage surréaliste, amène des sons populaires – il a ici utilisé de nombreux samples hip-hop – à ses errements techniques de haute volée. Des bizarreries traversées par le lyrisme notamment sur les titres Sequential Circuits, Lonely Wanderer ou Tropic of Cancer où la mélodie propre de Panda Bear recèle une magie indicible capable de vous figer sur place. (C.B.)
JANVIER à MAI 2015
AU MOULIN
DE BRAINANS JANVIER
• DU STYLO AU MICRO # 3 AVEC BURIDANE •
FÉVRIER
• MONSIEUR PINK • BOARDER SIDE • • LUCAS FENDER & THE NO SMOKING TRIO • • SMOKEY JOE & THE KID • • LA FINE ÉQUIPE • CHLORINE FREE • • MASTERCLASS • FM LÆTI • CÉLIA •
MARS
• HALB, L'AUTRE MOITIÉ • NACH • NAHOTCHAN • • BRAN VAN 3000 • DTWICE • BROUSSAÏ • • MYSTICAL FAYA • MADEMOISELLE K •
AVRIL
• ARTHUR H • THE SUMMER REBELLION • • PROWPUSKOVIC • BOX OFFICE • • DR FEELGOOD • I ME MINE • MAYD HUBB • • JOE PILGRIM • PANDA DUB • • TETRA HYDRO K • TIBURK • PLANTA SON •
MAI
• SCÈNE RÉZO À LA CAVE À MUSIQUE • • LOÏC LANTOINE • • « ON THE ROAD » LYCÉE JEAN MICHEL...
++ INFOS : ASSOCIATION PROMODÉGEL
MOULIN DE BRAINANS
4 av. de chardonnet 25000 - besançon réservations et renseignements sur www.larodia.com 03.81.87.86.00
jan. > mars 2015
FEVRIER -> MARS 2015
Illustration par Reno Vigo
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www.moulindebrainans.com • Tél. 03 84 37 50 40
LEVIATHAN De Verena Paravel et Lucien Castaing-Taylor / Independencia Distribution
Party girl De Marie Amachoukeli, Claire Burger et Samuel Theis Pyramide Distribution Party Girl est un morceau tiré de l’album paru en 2007 de Michelle Gurevich, de son nom de scène Chinawoman. Mélancolique et un brin désenchanté, le titre donne désormais aussi son nom à un premier film français, aussi sensible et louvoyant que maîtrisé. Réalisé par Marie Amachoukeli, Claire Burger et Samuel Theis, Party Girl suit l’itinéraire pas comme les autres d’Angélique Litzenburger, hôtesse de bar qui décide de tenter l’aventure du mariage. Atypique par son sujet et sa façon de nous balader entre réel et fiction, le film capte avec finesse le parcours d’une soixantenaire au cul entre deux chaises, l’atmosphère d’une région frontalière (la Lorraine) et les retrouvailles d’une famille un brin tuyau de poêle. (C.C.)
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Vertige. Le mot résume au plus juste le projet autant que l’effet produit par Léviathan. Car en choisissant de s’embarquer sur un chalutier pour filmer le quotidien de pêcheurs dans l’Atlantique nord, Véréna Paravel et Lucien Castaing-Taylor se retrouvent pris dans les mailles de leur sujet. Dans ce documentaire aux images sidérantes par le déchaînement des éléments qu’elles donnent à voir, les réalisateurs saisissent autant le vertige d’un monde soumis à ses lois propres qu’ils se laissent submerger par lui. Ce film aux profondeurs abyssales, qui a par ailleurs raflé une jolie moisson de prix (dont à EntreVues Belfort), met en scène la confrontation de l’homme aux éléments. (C.C.)
DANS QUEL FILM VIVONS-NOUS ? De Céline Ahond / Ecart Production « Que ce soit sur la place publique ou dans un espace dédié à l’art, prendre la parole pour Céline Ahond, c’est tracer le chemin d’une pensée en construction. » Rajoutons qu’après avoir visionné Dessiner une ligne orange et Tu vois ce que je veux dire ? deux « films-performance » qui doivent autant à Jacques Tati qu’à Serge Daney, il faut absolument lire le texte de Sophie Lapalu qui les accompagne et regarder (écouter) Bonus, le vrai bon bonus dans lequel Céline Ahond explicite pas à pas sa démarche avec générosité et drôlerie. Après ça, on sait déjà qu’on ne regardera plus jamais de la même façon les véhicules orange de la DDE. (P.S.)
JOHNNY GOT HIS GUN De Dalton Trumbo / Fox Pathé Une vision de Johnny Got His Gun – Johnny s’en va-t-en guerre en français – ne laisse personne indemne. Le récit de ce soldat américain de la Première Guerre mondiale, Joe Bonham, qui se réveille à l’hôpital et découvre l’étendue de ses blessures – il a perdu la parole, la vue, l’ouïe et l’odorat – ne peut se vivre autrement que comme une expérience ultime de l’horreur, au même titre que certains films extrêmes de l’époque jusqu’à l’innommable Salò ou les 120 jours de Sodome de Pasolini. À cette différence près que si on empêche Joe Bonham d’être homme, il n’en reste pas moins homme malgré tout, y compris face à l’immensité de son désespoir. (E.A.)
A HARD DAY’S NIGHT De Richard Lester / Carlotta En 1964, les Beatles sont en danger. Au sommet de la Beatlemania, on cherche à exploiter le filon comme on l’avait fait avec Elvis quelques années auparavant, autrement dit à les réduire à l’état de marionnettes à midinettes. Mais c’est sans compter sur leur capacité à exploiter ces toutes nouvelles situations. Là, quand on leur propose leur premier long métrage, le réalisateur l’a bien compris : inutile de chercher à les amener là où ils ne veulent pas aller, mais plutôt utiliser leur sens inné de l’humour so british. Le film a peut-être pris quelques rides, il n’en demeure pas moins un témoin musical de son temps, vivant et très plaisant. (E.A.)
présente
la mousson d’hiver rencontres théâtrales pour la jeunesse
SPECTACLES
> Next Day
Philippe Quesne / Campo
> Forbidden di sporgersi
Pierre Meunier - À partir de Algorithme éponyme de Babouillec
> La journée de la jupe / Verrücktes Blut Nurkan Erpulat & Jens Hillje / Dominik Günther
> Alexandra Lehmler Quartet / Jazz, Baby !
Alexandra Lehmler, saxophone / Pierre-Alain Goualch, piano Rémi Vignolo, batterie / Gautier Laurent, contrebasse
> Lectures/Spectacles The killer in me is the killer in you my love de Andri Beyeler (Suisse) Girls like that & Holloway Jones d’Evan Placey (Angleterre) À vif d’Isabel Wright (Écosse) Le chant de la bouche aveugle de Jorge Ignacio Cortinas (États-Unis) 2h14 de David Paquet (Québec) Petit d’homme de Douglas Maxwell (Écosse) Il y a quelqu’un là-dedans de Howard Buten (États-Unis) Dehors devant la porte de Wolfang Borchert (Allemagne)
du 23 au 27 mars 2015
ateliers - lectures - rencontres
à l’Abbaye des Prémontrés Pont-à-Mousson au Théâtre de la Manufacture et à l’Opéra national de Lorraine - Nancy
03 83 37 42 42 www.theatre-manufacture.fr
01.02 02.02 03.02 04.02 11.02 13.02 14.02 15.02
IBEYI 11-04-2015
EHRLICH BROTHERS SLIPKNOT SOLD OUT MALKY KORN MOTORAMA PHILHARMONÖIZE RONE MILKY CHANCE EUROPEAN TOUR 2015 17.02 SIMPLE MINDS 24.02 NATAS LOVES YOU 26.02 JULIEN DORÉ SOLD OUT 27.02-01.03 ROCKY HORROR SHOW 28.02 2MANYDJS 02.03 MARTIN RÜTTER 03.03 ALL WE ARE FREE ENTRY 05.03 WITHIN TEMPTATION 06.03 CORBI ALBUM RELEASE 07.03 CATS ON TREES 08.03 BÜLENT CEYLAN - “HAARDROCK” 09.03 ASA 10.03 SCOTT BRADLEE & POSTMODERN JUKEBOX 12.03 SHAKA PONK 13.03 Y-TITTY 14.03 SEED TO TREE 15.03 THE SUBWAYS 16.03 JAN DELAY & DISKO NO. 1 16.03 JOSEF SALVAT 21.03 STEVEN WILSON 22.03 SPANDAU BALLET 25.03 ETIENNE DE CRECY
NACH 15-04-2015 27.03 27.03 03.04 11.04 15.04 17.04 18.04 19.04 20.04 21.04 23.04 26.04 28.04 02.05 07.05 11.05 12.05 14.05 17.05 20.05 21.05 23.05 24.05 26.05 29.05 01.06 14.06 15.06 16.06 18.06 23.06 10.10
THE PAROV STELAR BAND 17-04-2015
LIONEL RICHIE BIGA RANX JEFF MILLS IBEYI NACH THE PAROV STELAR BAND SHARON VAN ETTEN WHILE SHE SLEEPS + CANCER BATS MARCUS MILLER MORIARTY MICHAEL MITTERMEIER RECORD FAIR CHRISTINE AND THE QUEENS 24 HEURES ELECTRONIQUES JACCO GARDNER JONATHAN JEREMIAH SOPHIE HUNGER JOY WELLBOY FREE ENTRY FOXYGEN KEV ADAMS DR. HIRSCHHAUSEN CALOGERO PAUL PANZER MIKE + THE MECHANICS TOTO THE SLOW SHOW THE SCRIPT ONEREPUBLIC JUDAS PRIEST GODSMACK FLYING LOTUS NICKELBACK
www.rockhal.lu Rockhal, Esch/Alzette (LUX) // infos & tickets: (+352) 24 555 1 Free public transport with your concert ticket to and from the show: www.mobiliteit.lu
bosque ardora
de Rocío Molina
mardi 24.02 Danse
—
sylvain luc et stefano di battista quartet vendredi 06.03
Concert
—
operetta burlesca de Emma Dante
mardi 10.03 Théâtre
© Alain Scherer
ETIENNE DE CRECY 25-03-2015
03 87 84 64 34 billetterie@carreau-forbach.com www.carreau-forbach.com
CORRESPONDANCE 1944-1969 Jack Kerouac & Allen Ginsberg / Gallimard
WALDERSBACH De Sylvain Maestraggi L’Astrée rugueuse La folie d’un homme se lit-elle dans un paysage ? C’est à peu près la question qu’on est en droit de se poser à la lecture de Waldersbach, un magnifique ouvrage toilé de Sylvain Maestraggi. La série de 45 photographies tente de saisir la présence de J.M.R. Lenz dans la région du Ban de la Roche, au cœur des Vosges alsaciennes, où il a cherché à apaiser ses crises de folie auprès du pasteur Oberlin. En mêlant ses images hivernales, souvent en noir & blanc, à des extraits de la célèbre nouvelle que Georg Büchner a écrit à Strasbourg à partir des éléments contenus dans le journal de ce séjour 60 ans après la disparition de Lenz, le photographe opère d’étranges allers-retours entre passé et présent, au point d’actualiser de manière troublante ce récit vieux de près de deux siècles. (E.A.)
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Ces deux-là ont non seulement changé la face de la littérature américaine, mais ils ont peut-être changé la face du monde. On les savait amis, on les savait intimes au-delà de l’intimité même, on ne les imaginait pas à ce point dans une opposition frontale. Certaines lettres, celles de Ginsberg notamment, surprennent par leur violence. Cette violence révélatrice d’un débat constant, voire d’une émulation loin de toute compétition qui, véritable lame de fond contestataire, va libérer l’Amérique toute entière. (E.A.)
NOT THAT KIND OF GIRL Lena Dunham / Belfond Il serait réducteur de dire que l’on ne connaît de Lena Dunham que ses grandes fesses molles et ses petits seins gonflés aperçus dans la série Girls dont elle est la scénariste, la réalisatrice et l’actrice principale. Dunham, disons-le tout de go, a révolutionné l’image de la femme sur le petit écran en traçant les trajectoires intimes d’une génération perdue, névrosée et en perte de confiance. Une image décomplexée, résultat d’expériences personnelles dont elle nous offre ici les épisodes marquants agrémentés de conseils drolatiques adressés à ses semblables. Ce n’est pas un journal intime, c’est le témoin de la naissance d’un regard, d’un talent et d’une féministe hors-normes. (C.B.)
PROVIDENCE Olivier Cadiot / P.O.L. La vie d’Olivier Cadiot aurait-elle changé s’il avait bien compris ce que William S. Burroughs lui a dit le jour où ils se sont rencontrés ? La question se pose, et de cette interrogation est sans doute né ce recueil de quatre récits qui situent, chacun, le conflit qui oppose les personnages à leurs modèles. On y surprend un Cadiot moins souriant, peut-être plus grave, pratiquant une forme de cynisme à l’anglo-saxonne, donc plein de nuance et d’ambiguïté. L’ouvrage qui en résulte se lit à voix haute, de manière précise, parce que chaque respiration, chaque espace, chaque élément de ponctuation donne sa force au récit en cours. Magistral, mais presque inquiétant. (E.A.)
TOURISME DE LA DÉSOLATION Ambroise Tézenas / Actes Sud Le photographe Ambroise Tézenas signe un beau livre sur le « tourisme de la désolation ». De Tchernobyl aux charniers rwandais, en passant par les vestiges d’Auschwitz, l’auteur a parcouru le monde sur les traces des grands massacres, génocides et catastrophes du XXe siècle et ceux qui en visitent les lieux. Il en ressort une série de photographies à la chambre, légendées et sans jugement. Un témoignage sur ce qui pousse un certain nombre de touristes à fréquenter chaque année les hauts-lieux de mémoire, des sites de mort à l’échelle des masses. Une réflexion visuelle sur la manière de s’emparer des traumatismes et de rechercher un frisson d’horreur dans des sites marqués par la disparition. (B.C.)
Conception :
JOURNÉES PORTES OUVERTES
école supérieure d’art de lorraine
ÉCOLE NATIONALE SUPÉRIEURE D’ART DE NANCY
JOURNÉES PORTES OUVERTES
ART DESIGN COMMUNICATION
Visuel : Ignasi Aballí, Translation of a painting of Saint Jerome by C.Massys, 2014 (détail) – Courtesy l’artiste et la galerie Meessen De Clercq, Bruxelles
EntréE librE www.kunsthallemulhouse.com
JOUR POR OUVE
JOANA PÉCASTAINGS ET ADELINE ABEGG – LE NOUVEAU DÉPARTEMENT, 2015
4 mars 2015
esal Metz esalorraine.fr 1 rue de la citadelle metz@esalorraine.fr 57000 metz 03 87 39 61 30 27 FÉVRIER — 10H – 19H 28 FÉVRIER — 10H – 19H
1 AVENUE BOFFRAND 54000 NANCY
ensa-nancy.fr 03 83 41 61 61
Carnaval
98
02
Chloé Tercé / Atelier 25
Chic Médias & Médiapop Éditeurs de magazines
hiver 2014
hiver 2014
Automne / Hiver 2014
culture tendances lifestyle
culture tendances lifestyle Strasbourg
Strasbourg N° 24
Bordeaux
Lorraine
Numéro 24 / Gratuit
Numéro 3 / Gratuit
Numéro 9 / Gratuit
Lorraine N° 9
Bordeaux N° 3
4
Automne / Hiver 2014
hiver — winter 2015
La culture n'a pas de prix
culture tendances lifestyle Haut-Rhin - Automne / Hiver 2014
kultur trends lifestyle
Haut-Rhin N° 4
Haut-Rhin
Oberrhein —Rhin Supérieur
Numéro 4 / Gratuit
# 0 / Kostenlos — Gratuit
Rhin Supérieur N° 0
Novo N° 33
www.zut-magazine.com www.novomag.fr
Chic Médias / 12 rue des Poules - 67000 Strasbourg médiapop / 12 quai d'Isly - 68100 Mulhouse
02 —> 04.2015
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Belle Haleine L ’odeur de l ’art ——— 11.2.— 17.5.2015
Musée T inguely Bâle