NOVO N°36

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La culture n'a pas de prix

10 —> 11.2015

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sommaire

ours

Nº36 Directeurs de la publication et de la rédaction : Bruno Chibane & Philippe Schweyer Rédacteur en chef : Emmanuel Abela emmanuel.abela@chicmedias.com 06 86 17 20 40 Secrétaire de rédaction : Cécile Becker Direction artistique et graphisme : starlight

Ont participé à ce numéro : REDACTEURS Natacha Anderson, Florence Andoka, Cécile Becker, Betty Biedermann, Marie Bohner, Benjamin Bottemer, Caroline Châtelet, Matthieu Collin, Mégane Dongé, Sylvia Dubost, Nadja Dumouchel, Sylvain Freyburger, Anthony Gaborit, Chloé Gaborit, Xavier Hug, Paul Kempenich, Claire Kueny, Lizzie Lambert, Nicolas Léger, Stéphanie Linsingh, Camille Malnory, Guillaume Malvoisin, Marie Marchal, Alice Marquaille, Fanny Ménéghin, Nour Mokaddem, Adeline Pasteur, Alice Pessey, Julien Pleis, Martial Ratel, Mickaël Roy, Vanessa Schmitz-Grucker, Christophe Sedierta, Sophie Simon, Stéphanie Thiriet, Claire Tourdot, Fabien Velasquez. PHOTOGRAPHES ET ILLUSTRATEURS Éric Antoine, Vincent Arbelet, Janine Bächle, Pascal Bastien, David Betzinger, Julian Benini, Laurence Bentz, Oriane Blandel, Olivier Bombarda, Aglaé Bory, Sébastien Bozon, Marc Cellier, Ludmilla Cerveny, Caroline Cutaia, Léa Fabing, Mélina Farine, Chloé Fournier, Sherley Freudenreich, Sébastien Grisey, Marianne Maric, Patrick Messina, Renaud Monfourny, Elisa Murcia-Artengo, Zélie Noreda, Arno Paul, Yves Petit, Bernard Plossu, Olivier Roller, Dorian Rollin, Frédéric-Judicaël Rollot, Camille Roux, Christophe Urbain, Henri Vogt, Nicolas Waltefaugle, Sophie Yerly.

CONTRIBUTEURS

Bearboz, Clément Cogitore, Léa Fabing, Christophe Fourvel, Ayline Olukman, Chloé Tercé, Sandrine Wymann.

COUVERTURE Photo : Fanfan par Philip Anstett IMPRIMEUR Estimprim – PubliVal Conseils Dépôt légal : octobre 2015 ISSN : 1969-9514 – © Novo 2015 Le contenu des articles n’engage que leurs auteurs. Les manuscrits et documents publiés ne sont pas renvoyés.

Ce magazine est édité par Chic Médias & médiapop Chic Médias 12 rue des Poules / 67000 Strasbourg Sarl au capital de 25000 € Siret 509 169 280 00013 Direction : Bruno Chibane bchibane@chicmedias.com – 06 08 07 99 45 Administration, gestion : Charles Combanaire

médiapop 12 quai d’Isly / 68100 Mulhouse Sarl au capital de 1000 € Siret 507 961 001 00017 Direction : Philippe Schweyer ps@mediapop.fr – 06 22 44 68 67 www.mediapop.fr

ABONNEMENT — www.novomag.fr Novo est gratuit, mais vous pouvez vous abonner pour le recevoir où vous voulez. ABONNEMENT France 5 numéros — 40 euros / 10 numéros — 70 euros

ÉDITO

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CARNET Le monde est un seul 7 Une balade d’art contemporain 36-37 Scénarios imaginaires 92 A world within a world 96 Carnaval 98

INSITU 9-13 Le tour d’horizon des expositions, œuvres sur papier et installations

FOCUS 14-35 La sélection des spectacles, festivals et inaugurations

RENCONTRES 40-48 Petite Noir 40 Foxygen 41 Dan Deacon 42 James Chance 44 Fred Frith 45 Okkyung Lee 46 Evan Parker 47 Aquaserge 48

MAGAZINES 50-86 Frédéric Simon au Maillon 50 La Jetée au CCAM 53 Ni le ciel ni la terre de Clément Cogitore 54 Nicolas Humbert 58 Lionel Baier 62 Images électriques 66 Constellations photographiques 70 Revoir Magritte 72 Tristan Tzara 74 Ben Vautier 75 Andy Warhol 76 Jazzdor 78 La Rodia 80 Jean Goeffroy et les Percussions de Strasbourg 81 Francesco Tristano 82 Tribu festival 84 Tuscaloosa 86

SELECTA Disques 88

Livres 90

ABONNEMENT hors France 5 numéros — 50 euros / 10 numéros — 90 euros DIFFUSION Contactez-nous pour diffuser Novo auprès de votre public . 3


Photo © Yasmin Haddad

EXPRESS Musique, etc.

YESTERDAY TOMORROW

Annie Dorsen ≥ 2 + 3 + 4 nov

2 Danse

RELATIVE COLLIDER

Liz Santoro et Pierre Godard ≥ 12 + 13 + 14 mai

Théâtre, arts visuels

YOUARENOWHERE Andrew Schneider ≥ 4 + 5 + 6 + 7 nov

www.maillon.eu 03 88 27 61 81

NEW YORK EXPRESS 2 Jeune création new-yorkaise


édito Par Philippe Schweyer

Viva la vida !

Les marrons claquaient comme de la mitraille en rebondissant sur le capot bombé des berlines. Des rafales de vent mauvais propulsaient dans les airs des millions de feuilles mortes. Il était temps de tirer un trait sur l’été, de s’étourdir sans retenue en sirotant des cocktails colorés et de danser à perdre haleine les yeux fermés, histoire de faire la nique à une actualité de plus en plus anxiogène : – Qui invites-tu à ta soirée cette année ? – Je ne sais pas encore. La dernière fois il y a une bande de jeunes rockeurs dépravés qui a débarqué à 3 heures du mat. Non seulement ils étaient super collants avec ma nana, mais en plus ils ont vidé toutes les bouteilles. – Si tu ne veux pas te laisser envahir, tu devrais faire appel à un videur… – Les videurs coûtent une fortune et foutent la merde. – Tu peux aussi installer une caméra de surveillance… – Tout le monde sait que c’est bidon. Il n’y a que les hommes politiques pour faire mine de croire que ça sert à quelque chose. – C’est sûr qu’un physionomiste, ça serait plus classe… – Pour transformer mon palier en centre de tri ? – Comme ça tu ne laisses pas entrer les pique-assiette et tu n’as plus à t’inquiéter pour ta nana. – Tu trouves ça cool de refouler des gens ? – Non, mais c’est la seule solution si on veut rester entre nous pour bien se marrer. J’ai envie de pouvoir continuer à danser sur ma musique ! – T’appelles ça danser ? Il est temps de t’ouvrir aux musiques du monde. – Merde, c’est pas à mon âge que je vais changer. – Si tu changeais un peu, tu serais nettement mieux dans ta peau. T’es franchement ridicule avec tes canettes de bière et ta new-wave des années 80. – Le hip-hop me tape sur les nerfs. – Il n’y a pas que le hip-hop. – L’electro me fait mal au crâne. – N’empêche que ça commence à devenir ennuyeux de se retrouver entre nous. Tu ne trouves pas que nos soirées ressemblent de plus en plus à des réunions d’anciens combattants ? – Pour faire entrer du sang neuf, t’as qu’à instaurer des quotas. – Comment ça des quotas ? – Par exemple en décidant de laisser entrer 60% de jolies femmes marrantes et 40% de mecs super sympas… ce genre de trucs… – Si j’avais fait ça il y a dix ans, tu n’aurais jamais mis les pieds chez moi ! – Les temps changent, tu ne peux plus accueillir toute la misère du monde… – C’est vrai que des vieux moches dans ton genre, j’en ai ma dose. – Alors tu fais quoi ? – Rien. – Comment ça rien ? – Je laisse tout le monde entrer. – Waouh ! T’es sûr ? – Merde aux vigiles, aux caméras et aux quotas ! – T’as pas peur que ce soit le bordel ? – Au contraire… vive le bordel, vive la fête et viva la vida !


07.10.–25.11.2015

Les Théâtres de la Ville de Luxembourg & Philharmonie 03.10.–20.11.2010 www.luxembourgfestival.lu www.luxembourgfestival.lu Mariza – Lucerne Festival Orchestra / Andris Nelsons / Rudolf Buchbinder – Orchestre Philharmonique du

Luxembourg / Gustavo Gimeno / Isabelle Faust – The Pirates of Penzance de Arthur Sullivan – London Symphony Emmanuelle Béart – New York Philharmonic – Alan Gilbert – Orchestra / Valery Gergiev / Yefim Bronfman – Tokyo Metropolitan Symphony Orchestra / Kazushi Ono / Vadim Repin – Winterreise / Matthias Goerne – The Cleveland Orchestra / Franz – Manu Katché / – Didier Ballet Preljocaj & Théâtre du Bolchoï – Welser-Möst Paco de Lucía Michael Lockwood – «Marrugeku» / Rachael Swain / Dalisa Pigram / Serge Aimé Coulibaly – Krystian Zimerman – Diego El Cigala – Philippe Jaroussky «Retour à Berratham» / Angelin Preljocaj – «The Lodger» de– Hitchcock – Grigory Clark Company ––London Symphony Orchestra Sir Colin Sokolov – Christian Gerhaher – «Dios proveerá» / David Bobée & Les Circassien de La Gata CirKo de Bogotà – Royal Stockholm Philharmonic Orchestra/ / Sakari Oramo / Lisa Batiashvili – Boulez Magdalena Kožená / Mitsuko Uchida... Davis – «Les Justes» Camus – Pierre – Daniel Kehlmann – Gewandhausorchester Leipzig – Cecilia Bartoli – Françoise Berlanger – Ian Bostridge – Abbas Kiarostami – Sonny Rollins – «Cosi fan tutte» / Mozart – Esperanza Spalding –


Le monde est un seul

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Christophe Fourvel

E la nave va (lentement...) Vous souvenez-vous du film de Fellini, E la nave va ? C’était en janvier 1984, nous étions encore sous le choc du premier désamour avec un gouvernement socialiste. Sous l’ivresse des 39 heures et de la cinquième semaine de congés payés, nous venions de découvrir un mal terrible qui nous rongeait : les déficits nationaux. Et si en janvier 1984 nous ne sommes pas tous allés voir E la Nave va, au cinéma, c’est parce que nous étions préoccupés par notre grave situation nationale. Il faut dire que le film de Fellini est une fantaisie qui ne nous aide pas beaucoup dans nos soucis macro-économiques : en 1914, un paquebot doit procéder à l’éparpillement des cendres d’une cantatrice célèbre, dans les eaux de son île natale. Voguent à son bord quelques divas, des musiciens, un archiduc, des gens lettrés, sûrs d’eux-mêmes et de la grandeur de leur chagrin. Tous aimaient et admiraient la divine Edmea Tetua ! La première partie du film raconte, sur un ton parfois burlesque, parfois lyrique ou ironique mais surtout fellinien, la vie de cette petite société érudite et esthète. On y vit dans le bon goût et la beauté. On se jalouse parfois. Puis un événement surgit, obscène dans ce monde où tout est luxe et volupté. Suite à l’assassinat de l’Archiduc FrançoisFerdinand à Sarajevo, des Serbes, loqueteux et affamés, persécutés par l’Empire austro-hongrois sont recueillis à bord par le capitaine. Les « réfugiés », appelons-les ainsi, sont parqués sur le pont. Au début, le petit monde de la beauté et du luxe se replie à l’intérieur. Au cours d’un repas, somptueux comme d’habitude, les Serbes affamés se pressent derrière les fenêtres du restaurant et l’on convient alors de tirer les rideaux pour ne plus avoir ces regards gênants sur son assiette. Mais parmi les attablés, une femme se lève et décide de partager les victuailles avec les naufragés. L’Histoire est ainsi. C’est rarement toute une foule qui se lève mais une femme ou un homme. Comme dans les bus où des places à l’avant sont réservées aux blancs ; comme devant un fouet ou un char. Un homme ou une femme d’abord. Puis quelques autres. Et ensuite, l’on peut débattre pour savoir si l’Histoire doit retenir le geste de quelques-uns ou la passivité de tous les autres. Mais je m’égare. Dans le film de Fellini, une fois la glace fendillée, l’art redevient ce pourquoi il aurait dû être

fait. Car survient un moment où la frontière entre les loqueteux et les bien-assis se brise. Et c’est grâce à la musique, à la danse et aux chants ! C’est parce qu’un des esthètes reconnaît les danses paysannes que pratiquent, pour se distraire, quelques-uns des naufragés que bientôt, tout le paquebot danse... (1) C’est plutôt bien vu de la part de Fellini. Cela me suggère une manière de procéder avec les migrants. Nous pourrions leur dire à chacun : « Tu es le bienvenu dans ce pays qui est provisoirement le mien mais à une condition : apprends-moi une danse. Et si tu ne connais pas de danse, apprends-moi une chanson. Ou une recette de cuisine. Un proverbe de chez toi. Et si tu ne connais vraiment rien, alors offre simplement quelques mots de ta langue. Dans ce monde ouvert à tous les transports de marchandises, c’est important, pour moi, de connaître des mots de plusieurs langues ! » Mais malgré tout, nous progressons. Notre seul drame, à nous qui observons, est de ne pas vivre 300 ou 400 ans pour vraiment nous rendre compte des progrès dont l’humanité est capable. Par exemple, pour rester dans une histoire de bateau et de finance, savez-vous quel fut le premier grand litige portant sur les « contrats d’assurance » ? (2) Il date de 1781. Voguait alors le Zong, depuis l’Afrique vers les Amériques, avec sa population d’esclaves. À cause d’une route trop sinueuse, le bateau se trouva en manque de vivres et d’eau, au large de la Jamaïque. Le capitaine décida alors de jeter à la mer 133 esclaves. Les propriétaires du bateau, qui étaient financièrement lésés par ce geste, firent un procès au commandement. Les esclaves furent assimilés à un chargement et le procès s’en tint à une question d’argent et de dédommagement. À une manière purement économique de considérer les faits. Ensuite il y eût, comme toujours, quelques voix pour rappeler que les 133 esclaves n’étaient pas des ballots de blé mais des hommes et des femmes. Car il en va toujours ainsi. Un jour, quelques voix s’élèvent pour dire que tout n’est pas qu’une question d’argent. Et ainsi, nous progressons. 1 — Le film ne s’achève pas dans ce happy end, loin s’en faut... 2 — L’histoire est notamment racontée dans le passionnant ouvrage de Razmig Keucheyan, La Nature est un champ de bataille, publié aux éditions Zones.

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InSitu

Francis Cape / Bancs d’utopie We sit together Qu’est devenue l’utopie dans la ville qui a vu naître Fourier et Proudhon ? Le FRAC Franche-Comté relance la question en exposant les Bancs d’utopie de Francis Cape. L’artiste britannique reproduit des bancs issus de lieux de vie communautaires européens. L’exposition s’accompagne d’un programme de rencontres, où l’on souligne notamment la présence, le dimanche 15 novembre, du chercheur Edward Castleton, spécialiste de Proudhon qui donnera une conférence intitulée : L’utopie, une maladie infantile du socialisme ? Nos jours au miroir du XIXe siècle. (F.A.) Francis Cape, Utopian Benches, 2011

Jusqu’au 17 janvier 2016 au FRAC Franche-Comté, à Besançon www.frac-franche-comte.fr

Alma-Bluco Elfi Turpin, directrice du CRAC Alsace, invite Musa paradisiaca, collectif d’artistes emmené par le duo Eduardo Guerra et Miguel Ferrão. Le geste artistique de ce collectif au nom exotique, désignant en latin une espèce de bananier, passe par l’investissement de formes multiples alliant la vidéo, l’installation et la sculpture. Pour sa première exposition monographique en France, le jeune duo lisboète propose un projet in situ mettant en scène le dialogue de deux personnages imaginaires. (F.A.) Du 18 octobre au 17 janvier 2016 au CRAC Alsace, à Altkirch www.cracalsace.com

Musa paradisiaca

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InSitu

Rabih Mroué, Double shooting, 2012 Installation, 50 photos, son Vue de l’exposition – Photo : © Kunsthalle Mulhouse

Vues : Carte blanche à Lina Majdalanie et Rabih Mroué Rabih Mroué et Lina Majdalanie, artistes majeurs de la scène libanaise, œuvrent depuis de nombreuses années de concert. La carte blanche offerte par Sandrine Wymann se joue ainsi en deux temps complémentaires. Premier temps : Mer méditerranée, une exposition qui rassemble des œuvres de Rabih Mroué, un metteur en scène, performeur et plasticien réputé pour la charge critique de son œuvre à l’égard des réalités sociales de son pays. Deuxième temps : une programmation de rencontres, performances et projections de Lina Majdalanie, en partenariat avec la Filature. (F.A.) Jusqu’au 15 novembre à La Kunsthalle et à La Filature à Mulhouse

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À la recherche de 0.10 Par son rayonnement, le Carré noir de Kasimir Malevitch a irradié son temps. Forme abstraite ultime, on mesure la portée de cette œuvre présentée il y a de cela un siècle dans le cadre d’une exposition qui réunissait à Petrograd, 7 homme et 7 femmes. Après de longues années de recherches en collaboration avec les musées russes et bon nombre de musées occidentaux, dont le Centre Pompidou ou le MoMA, la Fondation Beyeler rassemble les œuvres encore existantes d’une exposition ô combien fondatrice à la fois de l’esthétique du siècle passé, mais aussi de notre regard d’aujourd’hui. (E.A.)

0,10 - Dernière exposition futuriste de tableaux, Pétrograd, hiver 1915/16. La salle consacrée à Malévitch avec le Carré noir et d’autres toiles suprématistes. Archives d’État de la littérature et de l’art, Moscou

Jusqu’au 10 janvier 2016, à la Fondation Beyeler, à Riehen (Bâle) www.fondationbeyeler.ch

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Body Talk « Qu’est-ce qu’un corps noir d’une femme africaine ? », interroge la commissaire Koyo Kouoh. Par la voix de six artistes féminines africaines et de supports aussi différents que la performance, la vidéo, l’installation et la sculpture, elle questionne la sexualité et le féminisme en Afrique. Avec toujours en ligne de mire le corps comme sujet, objet, modèle, référence et même outil. (A.P.) Du 30 octobre au 17 janvier 2016 au FRAC Lorraine, à Metz www.fraclorraine.org

Valerie Oka, Tu crois vraiment que parce que je suis noire je baise mieux ?, 2015. Néon. © Valerie Oka

Philippe Lepeut À une autre vitesse En marge de son exposition Listen to the Quiet Voice au musée d’Art moderne et contemporain de Strasbourg, l’Alsacien Philippe Lepeut a bénéficié du soutien du CEAAC pour l’édition de son catalogue. Si l’on connaît la réflexion de l’artiste autour du son et de la ville – la commande publique ville Syneson en est le témoin –, il n’en reste pas moins plasticien. L’Espace international s’est attaché à montrer cette part de son œuvre peu montrée au public : des dessins vibrants, aquarelles et encres jamais très loin du principe de propagation. (C.B.) Jusqu’au 18 octobre à l’Espace international du CEAAC, à Strasbourg www.ceaac.org

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InSitu

Eppur si Muove Grönlund-Nisunen, Antigravity Model, 2005, Courtesy des artistes et Esther Schipper, Berlin Photo : © Remi Villaggi Metz / Mudam Luxembourg

Le Mudam Luxembourg s’associe au musée des Arts et Métiers de Paris pour proposer un dialogue entre science et art contemporain. L’occasion de découvrir des objets techniques qui, au-delà de leur beauté formelle, représentent la part d’intuition, de créativité et d’expérimentation nécessaires à toute recherche scientifique. Artistes, ingénieurs et scientifiques semblent animés par les mêmes envies de recherche et de compréhension du monde qui les entoure. Sont présentés des regards croisés, singuliers et complémentaires, du XVIIIe siècle à nos jours, sur le temps, la matière et les inventions. (A.P.) EPPUR SI MUOVE, exposition du 19 juillet au 17 janvier 2016, au Mudam, à Luxembourg www.mudam.lu

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focus

Au centre : la musique

Road trip En 2011, Benjamin Walter, discret écrivain, disparaît subitement de la scène littéraire sans laisser d’indices sur le pourquoi de son effacement. Deux ans plus tard, le dramaturge Frédéric Sonntag tente de comprendre ce geste absolu et entame un voyage à travers l’Europe, avec pour plan de route les lieux visités par l’auteur disparu. Le périple débute à Helsinki, dernier point de chute connu de Benjamin Walter, pour se terminer à Lisbonne quelques mois plus tard. Un parcours de 7 923 kilomètres au total, retranscrit par Frédéric Sonntag dans une création théâtrale associant éléments documentaires, parenthèses musicales et autofiction. D’abord enquête policière, la pièce se mue en quête existentielle et explore un thème récurrent de l’écriture : celui de l’exil. L’écrivain auraitil donné vie à l’œuvre ultime en renonçant à sa plume ? Huit comédiens et un musicien rejouent cette réflexion intérieure, en filigrane d’un périple linéaire ancré dans le réalisme pur propre à Frédéric Sonntag. Projections vidéo, témoignages, images d’archive et coupures de journaux jalonnent ainsi une production où la littérature tient le premier rôle en faisant œuvre de mémoire. Derrière la tentative d’explication du geste de Benjamin Walter, c’est en tout point le mouvement de nos sociétés contemporaines qui est approfondi avec poésie et finesse. Par Claire Tourdot – Visuel : Thomas Rathier

BENJAMIN WALTER, pièce de théâtre du 13 au 17 octobre au Théâtre Dijon Bourgogne, à Dijon www.tdb-cdn.com

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Depuis sa création en 2004, Les Dissonances a pour projet de vivre la musique comme pourrait par exemple la vivre un groupe de rock. Son créateur, le violoniste David Grimal, opte pour un orchestre sans chef et s’éloigne ainsi des modèles traditionnels de création et d’écoute musicales. Plus de star system donc, mais un point central autour duquel l’œuvre parle d’elle-même, permettant aux musiciens d’échanger entre eux et avec le public. Cette notion de partage, ce besoin de dissonances, sont véritablement ce qui manquait à la carrière du violoniste et fondateur du groupe : « L’organisation du travail et de l’échange musical symbolise un modèle social différent, où chacun des musiciens a son rôle dans l’élaboration du résultat final. ». Très présent dans l’interprétation d’un répertoire classique, le groupe s’approche aussi d’un répertoire plus moderne et contemporain. Avec toujours la transmission en ligne de mire, il organise des ateliers éducatifs (les P’titssonances), ainsi qu’une « Autre Saison », au profit des sansabris jouée dans l’Église Saint-Leu de Paris. Alors vivre, dans ces conditions, ces trois chefs-d’œuvre que sont La Mer de Debussy, la fameuse Symphonie du destin de Beethoven et le Caprice roumain pour violon et orchestre d’Enescu, relève d’une véritable expérience musicale. Surtout quand David Grimal nous apprend que cette symphonie est « emblématique de l’esprit révolutionnaire du compositeur » et donc taillée sur mesure pour un orchestre sans chef. Par Mathieu Collin – Photo : Gilles Abegg

Les dissonances, concert le 9 octobre à l’Opéra de Dijon

www.les-dissonances.eu


À l’impossible, chacun tenu

Amour et eaux douces Plongez dans l’univers aquatique, mystique et sensuel des jumelles Yoruba : Lisa-Kaindé et Naomi Diaz, sœurs singulières aux personnalités qui se complètent. Filles d’Anga Diaz – percussionniste cubain de renom – et d’une mère franco-vénézuélienne, elles ont su tirer profit de leur métissage en restant perméables aux courants de culture qui les entourent. L’anglais et le yoruba, l’électronique et le hip-hop, s’enlacent pour créer une pop vibrante et minimaliste, résultat de la fusion de leurs inspirations respectives. Sans se noyer l’une dans l’autre, leurs voix envoûtantes se font écho comme sur River, où les voilà respirant tour à tour, sur le fil. Sur scène, cajon, batá et samples répondent au piano et nous emportent dans un univers qu’elles souhaitent intimiste et organique. Vous ne serez pas les seuls à succomber aux charmes de ce jeune couple de sirènes. Richard Russell, patron du label indépendant XL Recordings [Radiohead, Jungle, The White Stripes] n’a pas hésité à les produire. Magnifiées par une force naturelle, énergie de la jeunesse ou simplement magie, difficile de trancher. Le secret se trouve peut-être en partie dans leur nom : Ibeyi, jumeau en yoruba, révélateur d’un équilibre, d’une complémentarité et d’une sensibilité commune. Une addition troublante. Par Lizzie Lambert – Photo : Vincent Arbelet

La rédaction m’a demandé un portrait du-dit Fantazio. Soit. C’est un peu comme vouloir faire entrer une gaufrette dans une bouteille de jus de fruit. C’est compliqué, et surtout ça n’a aucun sens (et la métaphore ci-avant encore moins). On pourrait sacrifier à son homonymie quasi-parfaite avec l’acolyte du-dit Spirou et tirer du côté des zazous cireux zézéyant du fifre dans les fifties. Peu satisfaisant. On pourrait gloser sur ses tatouages naïfs et ses accessoires plaqués or, pour en faire une sorte de marin racontant des contes aux béotiens de la Bauce. Guère plus nourrissant. Contrebassiste, il faudrait peut-être commencer par ici, sa contrebasse et le fait qu’il braille à côté d’elle, résolument debout, déboutant tout récalcitrant de son droit à la rodomontade. Un peu facilement, on évoquerait un O.V.N.I., chercherait une autre solution à cet acronyme et l’affaire serait entendue. Non, Fantazio n’est pas identifiable. Résolument. Qu’il soit aux prises avec Katherina EX ou le sax d’Akosh S., il est à ce qu’il fait. Ici et Maintenant. Le Charpentier charpente, le boucher bouche et Fantazio fantasme. Fantazio jouera à C’est Dans La Vallée, festival de la (dernière) bande à Rodolphe Burger, mais aussi dans la foulée au Moulin de Brainans. À voir, le gazier, tout entier contenu dans sa musique et dans cette qualité jusquelà réservée aux sauterelles sautant sur les récoltes : insaisissable. À vous de voir. Par Guillaume Malvoisin – Photo : Dom Garcia

IBEYI, concert le 13 octobre à la Vapeur dans le cadre du festival Tribu, à Dijon www.lavapeur.com

FANTAZIO, concert les 10 et 11 octobre à C’est dans la Vallée, à Sainte-Marie-aux-Mines et le 17 octobre au Moulins de Brainans www.cestdanslavallee.fr www.moulindebrainans.com 15


focus

Timbuktu

Africa Africa

Puissance et modestie La lecture de certains livres, rares, constitue une véritable déflagration. Retour à Reims est de ceux-là, de ces ouvrages qui laissent des traces et auxquels on ne cesse de revenir. S’inspirant du bref essai posthume de Pierre Bourdieu Esquisse pour une auto-analyse, dans lequel le sociologue tentait de comprendre ses choix de travaux à l’aune de sa formation et de ses origines, Didier Eribon pousse plus avant l’exercice. Entre autobiographie et théorie critique, Retour à Reims raconte le retour d’Eribon dans la maison familiale et les retrouvailles avec sa mère, alors que son père, atteint d’Alzheimer, est placé dans une institution spécialisée. Transposant au théâtre le dialogue entre mère et fils, Laurent Hatat conçoit un théâtre volontairement modeste. Dans cette mise en scène épurée, les deux comédiens Antoine Mathieu et Sylvie Debrun interprètent avec pudeur les moments d’échange et, entre eux, le minutieux travail d’introspection auquel se prête le fils. Car – et on en revient à la puissance du livre –, tout en se livrant intimement, le sociologue Didier Eribon met patiemment au jour les origines des diverses hontes vécues. De son homosexualité, qu’il a longtemps considérée comme l’unique cause de son éloignement vis-à-vis de sa famille, à la honte sociale et jusqu’au passage progressif de ses proches du vote communiste vers le Front national, Didier Eribon capte avec acuité les mécanismes de domination, leur persistance comme l’hypocrisie qui les entoure.

La création cinématographique africaine n’a jamais été aussi vivace. La révéler dans toute sa diversité n’est pas le moindre des objectifs du Festival Lumières d’Afrique, qui souffle cette année sa 15e bougie. Pour l’occasion, on rembobine et on repasse les films élus coups de cœur du public ces cinq dernières années, parmi lesquels Timbuktu césarisé sept fois mais aussi Le Secret de Chanda ou Les Chevaux de Dieux... Festival oblige, la compétition battra son plein avec trois catégories : courts-métrages, longsmétrages et documentaires. Un festival, c’est également l’occasion de vibrants hommages. Cette année, il sera double : à Omar Sharif, le célèbre acteur égyptien dont la disparition nous a touchés récemment, mais aussi aux frères Lumière, natifs de Besançon et célèbres inventeurs du 7e art il y a de cela précisément 120 ans ; seront diffusés intégralement leur 114 premiers films, dans des versions rénovées, en présence de Thierry Frémaux, président de l’Institut Lumière lyonnais, de l’association Frères Lumière, mais aussi, bien sûr, délégué général du Festival de Cannes. Invitations prestigieuses, beaux rendez-vous, tout est réuni pour une manifestation effervescente qui réunit cinéphiles avisés, mais aussi simples amateurs du 7e art. Par ses couleurs, son histoire et sa culture, l’occasion donc de voir l’Afrique rayonner ! Et à sa suite, le cinéma tout entier ! Par Stéphanie Thiriet

Par Caroline Châtelet – Photo : Simon Gosselin

RETOUR A REIMS, pièce de théâtre du 29 septembre au 10 octobre au Centre dramatique national de Besançon www.cdn-besancon.fr

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LUMIÈRES D’AFRIQUE, festival du 7 au 15 novembre, à Besançon www.lumieresdafrique.com



Mémoire vivante

Le côté obscur de la force Derrière la locution « a voté ! » se cache un univers électoral impitoyable fait de complots, sacrifices et manipulations médiatiques. Vous restez sceptique ? Et pourtant, c’est le scénariste de la mythique série House of Cards produite par David Fincher qui vous le dit. En 2004, Beau Willimon suit de prêt les rouages de la campagne d’Howard Dean, candidat démocrate aux primaires américaines. Il en ressort une création théâtrale extrêmement bien documentée, Farragut North, point de départ du film Les Marches du pouvoir sorti en 2011. Dans sa version française, la pièce conserve tout son machiavélisme originel. Ladislas Chollat met en scène les magouilles de deux hommes de l’ombre prêts à tous les débordements pour défendre leurs idéaux politiques. D’un côté, un attaché de presse débutant, de l’autre, un directeur de campagne sans pitié. Tous deux sont déchirés entre convictions et ambitions, tentant de mener leur barque dans des eaux plus que ténébreuses. Les Cartes du pouvoir s’attarde ainsi sur les mutations psychologiques de ces hommes, engendrées par l’association détonante pouvoir, argent, violence. Un jeu dangereux particulièrement bien porté par Thierry Frémont, lauréat du Molière du comédien dans un second rôle au mois d’avril dernier. Par Claire Tourdot – Photo : Laurencine Lot

C’était un enregistrement de 1959. Ray Charles y jouait What’d I Say et ouvrait là une porte énorme dans l’histoire de la musique. En plus d’un premier disque d’or, de textes survolant – dépoussiérant – une Amérique puritaine et du rallongement du format de ses titres, il était cette voix nouvelle qui nourrit le jazz, le blues, le rhythm and blues et propulsa la soul. Rien que ça ! Deux voix délicieuses, bien que très différentes, porteront ce soir-là l’étendue du phénomène Ray Charles et surtout, lui rendront un chaleureux hommage. La franco-camerounaise Sandra Nkaké, révélation française de l’année 2012 pour son album Nothing for granted, s’exprime dans tous les genres. Avant tout chanteuse de jazz, on peut la voir du côté du hip-hop, de la soul, du cinéma, du funk et du rhythm and blues. En exemple, ne prenons que sa surprenante mais non moins rafraîchissante reprise de La mauvaise réputation de Georges Brassens. L’autre voix, sera celle de Kellylee Evans. Bercée au hip-hop et désormais plus centrée sur le jazz, elle a été remarquée suite à la sortie de l’album Nina, hommage des plus touchants rendu à Nina Simone. Le pianiste Éric Legnini, à l’origine de ce rassemblement palpitant, nous invite aussi à interroger « le sous-texte des paroles de Ray Charles », comme le précise Sandra Nkaké. Quoiqu’il en soit, la révolution musicale qu’initia Ray Charles est toujours en marche. Par Mathieu Collin – Photo : Norman Seef

LES CARTES DU POUVOIR, pièce de théâtre le 17 novembre à la MALS, à Sochaux www.mascenenationale.com

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WHAT’D I SAY / HOMMAGE A RAY CHARLES, concert le 13 octobre au Granit, à Belfort www.legranit.org


musée des Beaux-Arts de Nancy

musée de l’École de Nancy

exposition

L’ÉCOLE DE NANCY FACE AUX QUESTIONS POLITIQUES ET SOCIALES DE SON TEMPS — Émile Gallé, vase Hommes noirs, MEN. Victor Prouvé, croquis de Jean Jaurès, MEN Photo Philippe Caron. Design Frédéric Rey

9 oct. 2015 – 25 jan. 2016

www.ecole-de-nancy.com Cette exposition est reconnue d’intérêt national par le Ministère de la Culture et de la Communication / Direction générale des patrimoines / Service des musées de France. Elle bénéficie à ce titre d’un soutien financier exceptionnel de l’État.


focus

Au naturel

Entre quatre murs C’est à la veille de Noël, quelque part en Ontario, que le docteur Greenberg est forcé de quitter son siège de directeur d’un établissement psychiatrique pour partir à la recherche d’un collègue mystérieusement disparu. Mickaël, 23 ans, est le dernier patient à avoir rencontré le thérapeute, mais le jeune homme ne semble pas pour autant prêt à coopérer avec le corps médical. Figure du théâtre actuel canadien, Nicolas Billon se fait remarquer lors du festival de Stratford en 2004 en jouant cette histoire d' un affrontement pervers entre un garçon manipulateur et un médecin aux valeurs professionnelles vacillantes. Adaptée l’an passé sur grand écran, la pièce traverse aujourd’hui l’Atlantique dans une mise en scène de Bruno Dupuis. L’ex-choriste, JeanBaptiste Monnier y fait ses premiers pas sur les planches, aux côtés de Pierre Cassignard et Christine Bonnard, deux comédiens on ne peut plus rôdés. Si l’écriture sobre de Billon (à l’origine destinée à un simple exercice universitaire !) rend ce huis-clos accessible par le grand public, les indices et éléments contradictoires disséminés de-ci de-là participent à l’établissement d’un jeu de piste mêlant à la fois chantage, questionnement affectif et identitaire. Redoutablement efficace, l’ensemble devrait tenir en haleine même les inconditionnels de thrillers psychologiques. Par Claire Tourdot - Photo : Lot Chans

LA CHANSON DE L’ÉLÉPHANT,

pièce de théâtre le 13 novembre à La Coupole, à Saint-Louis. www.lacoupole.fr

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Après plus de 10 ans de pérégrinations musicales, le groupe torontois Great Lake Swimmers sort son sixième album A forest of arms. Plus rock, il continue d’emprunter au folk comme à la country passant de l’un à l’autre avec finesse, laquelle est renforcée par une voix toute singulière. Il est d’ailleurs étrange de constater que le qualificatif « à voix » est souvent accolé à la gent féminine, synonyme, dans l’inconscient collectif, de délicatesse. Tremblez clichés ! L’égalité homme-femme tant souhaitée est aussi valable pour les hommes et permet alors de lier les mots « subtilité » et « masculin ». Une association tout à fait à propos à l’écoute de la voix du leader et chanteur de Great Lake Swimmers, Tony Dekker. Il nous fait passer d’un paysage à un autre, intérieur comme naturel, nous prenant par la main de sa voix balancée entre émotion et douceur. Depuis ses débuts, le groupe privilégie les enregistrements en dehors des studios – grotte, cave et même forêt – lieux qui favorisent alors la pleine emprise des instruments et de la voix sur des chansons sensibles. Une pureté cristalline un tantinet secouée sur leur dernier album A Forest of Arms, plus rock et plus fouillé – Tony Dekker ayant encouragé le travail sur les arrangements – mais toujours très touchant. Un concert onirique ouvert en première partie par les caresses des Strasbourgeois Marxer. Par Cécile Becker

GREAT LAKE SWIMMERS + MARXER, concert le 6 octobre au Noumatrouff, à Mulhouse www.noumatrouff.fr


SEPTEMBRE À NOVEMBRE 2015

PLUS D’INFORMATIONS SUR

Lorraine.eu


focus Les Glaciers grondants de David Lescot

Le temps du livre

Double jeu À se pencher sur Les Glaciers grondants et J’ai trop peur, spectacles tous deux écrits et mis en scène par l’artiste associé à La Filature, David Lescot, on ne peut s’empêcher de s’interroger sur leurs accointances. En effet, qu’est-ce qui rapproche, qu’est-ce qui relie souterrainement une création d’actualité sur le réchauffement climatique et un spectacle jeune public confrontant trois enfants aux âges différents ? Peut-être, au-delà de la spécificité de leur forme et de leur esthétique, est-ce un intérêt commun pour l’entremêlement des langues et des discours. Car dans J’ai trop peur, c’est bien à travers les écarts de vocabulaire entre les personnages – « Moi », angoissé par son passage en sixième, sa jeune sœur de deux ans et demi et Francis, adolescent de 14 ans – que se déroule le récit initiatique. Quant aux Glaciers grondants, épopée d’actualité racontant la patiente enquête d’un journaliste préparant un article sur le dérèglement climatique, les discours ne cessent de s’entrelacer. Réunissant plusieurs langages artistiques (avec la présence de la danse, de la musique et du cirque), Les Glaciers grondants permet, en effet, par la mise en scène de l’enquête journalistique de tisser à la fiction divers types de propos : théâtral, via la présence de fragments du Conte d’hiver de Shakespeare, pièce dont la narration suit le cycle des saisons. Scientifique, également, avec la présence du circassien et polytechnicien (!) Théo Touvet, auteur d’une recherche pour la NASA sur le climat. Par Caroline Châtelet – Photo : Alain Jocard

LES GLACIERS GRONDANTS, du 3 au 5 novembre et J’AI TROP PEUR, du 18 et 19 novembre à La Filature, à Mulhouse www.lafilature.org

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Le livre reste un support vivant. Contrairement aux idées reçues, on ne dénombre plus les éditeurs qui émergent, ne serait-ce que dans notre région, dans tous les domaines : culture, littérature, édition jeunesse et illustration. En marge des grands auteurs populaires nationaux – voire internationaux –, le Salon du Livre de Colmar a pour vocation de donner une visibilité à tous les amoureux du livre. Les manifestations organisées à cette occasion-là, les nombreuses rencontres publiques, les forums – tout comme le Café de l’Histoire par exemple – favorisent l’échange, créent du lien et permettent aux quelques 28 000 visiteurs sur deux jours de trouver de beaux repères dans leur humble quête d’un jour : une rencontre inopinée, une dédicace, un bel objet. Cette année, le salon s’étendra sur plus de 10 000 m2 d’espaces entièrement dédiés à la lecture, avec pas moins de 600 exposants – excusez du peu ! – et 205 stands, auxquels se rajoutent, bien sûr, des espaces de détente et de restauration pour des instants en famille et entre amis forcément conviviaux. Les éditions Médiapop seront une nouvelle fois bien représentées avec les auteurs-maisons dont Abdulmalik Faizi, Philippe Lutz, Ayline Olukman, Pascal Bastien, Françoise Saur, Anne Immelé et Francis Kauffmann, mais aussi Luc Georges, Pierre Freyburger et Éric Chabauty pour leur ouvrage commun Sept Jours à Calais sorti tout récemment, ou Philip Anstett qui viendra nous présenter son exploration d’un temps d’avant Instagram. L’occasion pour tous de se familiariser avec le catalogue de cette maison mulhousienne. Par Nour Mokaddem – Photo : Philip Anstett

SALON DU LIVRE, les 21 et 22 novembre au Parc Expo de Colmar www.salon-du-livre-colmar.com


VUES

Carte blanche à Lina Majdalanie et Rabih Mroué 3 événements à mulhouse à la Kunsthalle centre d’art contemporain Mer Méditerranée Une exposition de Rabih Mroué 17.09——15.11.2015

Un programme de rencontres, performances, projections mené par Lina Majdalanie 23——25.10.2015

Conception :

www.kunsthallemulhouse.com t+33(0)3 69 77 66 47

Visuel : Rabih Mroué, The Fall of a Hair, 2012 Part 3 - Blow up, 2012 — InkjetPrint, 130 × 90cm Photo © Olaf Pascheit, Hamburg Courtesy the artist and Sfeir-Semler Gallery, Beirut / Hamburg

à la Filature scène nationale Riding on a cloud pièce de théâtre de Rabih Mroué 24 & 25.11.2015 —— 20:00 www.lafilature.org t+33(0)3 89 36 28 28


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Nouvelle vague

La guerre des mots Attention, égérie ! Incomparable, singulière et sidérante, on se souvient de Lisbeth Gruwez, immense danseuse belge, dans les pièces de Jan Fabre Tant que le monde a besoin d’une âme de guerrier, Je suis sang et Quando l’uomo principale è una donna, solo magistral entre danse et performance plastique. Après avoir prêté son allure, sa présence et sa gestuelle bien au-delà de la technique aux créations des autres, formidable interprète, Lisbeth Gruwez développe depuis 2007 son propre langage chorégraphique. À l’instar des illustres Belges avec qui elle a travaillé, c’est un langage « qui projette le corps sur la ligne de front », comme elle le définit elle-même, usant de l’image de l’infanterie, aux avant-postes de la bataille avec son corps. Infanterie ou Voetvolk, en flamand, le nom de sa compagnie. Où l’on retrouve l’image du guerrier chère à Jan Fabre. Le sien, de corps, androgyne, délié et fascinant, habillé pour l’occasion par la styliste Véronique Branquinho, est ici seul en scène. Ses gestes rythment l’un des discours du télé-évangéliste Jimmy Swaggart, mais ces mots pourraient être ceux d’un autre. Martelés, répétés, coupés (on est proche ici de la poésie sonore), ils sont sortis de leur contexte pour former des phrases universelles. La gestuelle, elle, s’inspire de celle de prédicateurs politiques et religieux. Associés, les mots et les gestes jouent sur la fascination, mélange de séduction et de peur, que le discours et l’orateur exercent sur l’auditeur. Seule une guerrière comme de Lisbeth Gruwez pouvait ainsi « danser l’extase du discours ». Par Sylvia Dubost

IT’S GOING TO GET WORSE AND WORSE AND WORSE, MY FRIEND, danse du 18 au 20 novembre à Pôle Sud (présenté avec Le Maillon), à Strasbourg www.pole-sud.fr

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Ayant accueilli les œuvres de figures majeures de l’Art contemporain, comme Daniel Buren, Bertrand Lavier, Françoise Petrovitch, Ben, Sarkis ou encore Raphaël Zarka, la biennale d’art de Sélestat, depuis ses débuts en 1984, présente toujours des créations fédérées autour d’un thème, donné par un commissaire invité. Après avoir proposé des expérimentations autour de la couleur, du bizarre ou de la ville, Sélest’art, pour sa 21e édition, se laisse gagner par de nouvelles influences. Thierry Danet, directeur de La Laiterie, salle de concert à Strasbourg, s’associe à la municipalité de Sélestat et devient directeur artistique de la manifestation. Attaché à la création numérique, il a toujours invité ce 8e art à pénétrer autant l’espace urbain que le festival Ososphère, plaçant la ville au cœur de sa réflexion. Des liens se tissent aujourd’hui entre Ososphère et Sélest’art qui place cette année la création numérique ainsi que la performance au coeur de sa programmation. Résolument tourné vers l’innovation technologique en art, Thierry Danet n’en délaisse pas pour autant les symboles du passé, puisque la biennale, autrefois dispersée dans la ville, se tient désormais dans les locaux de l’ancienne usine Dromson, lieu marquant de l’histoire économique sélestadienne. Comme La Coop à Strasbourg que l’équipe Ososphère a déjà investi. Une collaboration qui fait donc sens. Par Florence Andoka

SELEST’ART, biennale d’art du 21 novembre au 6 décembre à l’usine Dromson, à Sélestat www.selestat.fr


vendredi 06 novembre

VendreDI 13 novembre

• Filiamotsa & G.W.Sok • Jason Moran “Fats Waller dance party”

• Diego Manuschevich Duo + Quartet • Yves Dormoy “Usages du Monde” • Lisbeth Quartett invite Antonin-Tri Hoang + Julia Hülsmann Quartet feat. Theo Bleckmann “Kurt Weill and America”

SAMEDI 07 novembre • Daunik Lazro Solo • Pascal Contet Solo “Utopian wind” • Archie Shepp Attica Blues Big Band  • Carlos Bica & Azul + Louis Sclavis Jazzdor Ensemble

dimanche 08 novembre • Michael Wollny Solo / Duo / Trio + Émile Parisien / Joachim Kühn Quintet

lunDI 09 novembre • Plaistow • Kris Davis Quintet

MARDI 10 novembre • Donkey Monkey • Mark Feldman / Sylvie Courvoisier + Il Pergolese

sameDI 14 novembre • Matthieu Metzger Solo  • “Coronado” • Amok Amor (Peter Evans /Wanja Slavin / Petter Eldh /Christian Lillinger) + Hans Lüdemann T.E.E. Ensemble

dimanche 15 novembre • Élèves du Conservatoire de Strasbourg  • Auditive Connection  • Richie Beirach Solo

marDI 17 novembre • Eve Risser White Desert Orchestra

mercreDI 11 novembre

mercreDI 18 novembre

• Polymorphie  • Michael Alizon & Jean-René Mourot “Les Couloirs du temps” + Mark Turner Quartet (avec Avishai Cohen)

• Bernard Struber Jazztett “La Symphonie déjouée”

jeuDI 12 novembre • Imbs W Paceo / Bortone • Michel Portal / Émile Parisien / Vincent Peirani

jeuDI 19 novembre • ARK4 “De l’Aube à Minuit”

vendreDI 20 novembre • James Farm (Joshua Redman / Aaron Parks / Matt Penman / Eric Harland) • Le Bal des Faux Frères

Infos / billetterie : 03 88 36 30 48 • www. jazzdor.com • www.facebook.com/jazzdor Partenaires : Ville et Eurométropole de Strasbourg / Ministère de la Culture et de la Communication – DRAC Alsace  /  Région Alsace / Conseil Général du Bas-Rhin / Sacem / Spedidam / Cnv / Adami / Fip / France Musique / Rue 89 Strasbourg


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Et si ?

Manifesto Nul doute que Pascal Rambert est un auteur qui écrit pour « des corps et des voix ». Trois ans après la dissection d’une relation amoureuse touchant à sa fin dans Clôture de l’amour – et joué en ouverture de saison au TNS – l’artiste associé au TNS fixe un nouvel instant de vie brûlant. Tout commence par une Répétition, et tout se termine par elle. Car si les considérations sont existentielles, l’intrigue reste simple : deux actrices, un auteur et un metteur en scène provoquent l’implosion d’un projet théâtral, incapables de contrôler une jalousie électrique. Il suffira qu’Audrey (Bonnet) saisisse le regard de Denis (Podalydès) en direction d’Emmanuelle (Béart) – elle-même compagne de Stanislas (Nordey) – pour que se déclenche un jeu d’engrenages dévastateur. S’interpellant par leur vrai prénom, ce casting idéal laisse déborder un flux de parole continu, multiplie les superpositions et références, altère la lisière entre réalité et fiction. Plus que des personnages, ce sont des voix qui s’échauffent pour porter la confrontation à son paroxysme. Dans l’envers d’un gymnase tenant lieu de salle de répétition, les préoccupations sentimentales se transmutent alors pour conduire une réflexion sous-terraine sur le devenir artistique. Pascal Rambert tire avec justesse les ficelles de ses acteurs et dévoile ainsi son théâtre intérieur : énergique, lumineux et contemplatif. Par Claire Tourdot – Photo : Marc Domage

RÉPÉTITION, pièce de théâtre du 21 octobre au 7 novembre au Théâtre National de Strasbourg www.tns.fr

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Derrière la perfection d’une campagne anglaise assoupie dans sa quiétude, se cachent des mystères à la résolution éclaboussante. C’est par ce tableau, maintes fois retravaillé au théâtre comme au cinéma, que le dramaturge Martin Grimp débute son huis-clos amoureux, aussi grinçant que bucolique. Un médecin et sa femme Corinne partent se mettre au vert dans les landes de la banlieue londonienne, mais voient leur quotidien ébranlé par l’arrivée d’un élément perturbateur : une jeune femme accidentée, secourue au bord de la route. Jusque-là très vaudevillesque, l’intrigue de La Campagne est en réalité plus compliquée qu’il n’y paraît et s’éloigne des écueils sentimentaux. Progressivement, le doute s’immisce dans l’esprit de Corinne, avant de trouver résonnance dans celui du spectateur, lui aussi déstabilisé par l’accumulation de non-dits. Seul évidence : Grimp prend un franc plaisir à décupler le malaise des deux côtés des planches, jusqu’à atteindre un point de latence proche de l’absurdité beckettien. Traduite par Philippe Djian, la pièce ne perd rien de sa tension initiale de polar et restitue efficacement une richesse du dialogue valorisée par la mise en scène de Catherine Javoloyès pour la compagnie strasbourgeoise Le Talon Rouge. Présentée au Taps l’an passé, puis remarquée au festival off d’Avignon, La Campagne est une création efficace dont il est impossible de prédire le happy end. Par Claire Tourdot – Photo : Raoul Gilibert

LA CAMPAGNE, pièce de théâtre du 3 au 7 novembre au Taps Laiterie, à Strasbourg www.taps.strasbourg.eu


danse × théâtre × musique × arts visuels

ccam / scène nationale de vandœuvre

COMMENT ON FREINE ? texte

Violaine Schwartz mise en scène

Irène Bonnaud

© DR

Sophie Renauld × Guilhem Vincent × Jean Revillard Cie Ormone × Chapelier Fou × Matt Elliott Bernardo Montet × Les Patries Imaginaires Olga Mesa × Filiamotsa × G.W. Sok × Barre Phillips Cie Nacera Belaza × Marie Cambois × Arno Paul Jean-Philippe Gross × Cie Mi-Octobre × Camille Mutel Cie Tourneboulé × La Controverse × La Mâchoire 36 Cécile Arthus × Cortis & Sonderegger × Cie SIC.12 Ensemble Ultim'Asonata × L'SKBL - Cie Théâtrale Cie Pardès Rimonim × Adeline Rosenstein Festival Poèma × Cie AK Entrepôt × Gaël Leveugle Michel Mazzoni × Cie Hippolyte a mal au cœur Cie Solentiname × Cie 1 Des Si × Françoise Klein Théâtre de l'Écrou × Molitor #8 × Nicolas Hubert Ambra Senatore × Cie Les Ombres Portées Cie Les Endimanchés × Henri jules Julien Orties Bruyantes × Festival Musique Action …

AVEC VALÉRIE BLANCHON, ANUSHA CHERER,

JEAN-BAPTISTE MALARTRE

UNE CRÉATION DU CDN BESANÇON FRANCHE-COMTÉ

Du 17 au 20 novembre 2015 GRANDE SALLE

CCAM / SCÈNE NATIONALE DE VANDŒUVRE RUE DE PARME, 54500 VANDŒUVRE-LÈS-NANCY SITE : WWW.CENTREMALRAUX.COM × TEL : 03 83 56 15 00 LICENCES : 540-249/250/251 • DESIGN GRAPHIQUE : STUDIO PUNKAT

www.cdn-besancon.fr 03 81 88 55 11 Avenue Édouard Droz 25000 Besançon Arrêt Tram : Parc Micaud


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C’est ALB’chement bien !

Le texte, matière vivante On aurait presque tendance à l’oublier, tant la vie se joue sur scène : les pièces de théâtre sont toutes issues de textes. Cette relation de l’écrit à la scène est rarement mise en lumière et est pourtant révélatrice du processus de création. Yvan Corbineau, sorti de l’école du TNS en 2002, est un jeune auteur, comédien et metteur en scène qui s’est rapidement mis en tête de triturer le texte et le langage. En 2011, il publie Mamie Rôtie, un texte, pas tout à fait du théâtre, qui recevra les encouragements du Centre national du théâtre et qu’il mettra en scène deux ans plus tard. Inspiré de sa propre histoire, il raconte les derniers jours d’une grandmère, malade, clouée au lit et muette. Pour la divertir, il créé tout un monde construit d’histoires, de fragments de texte, d’objets, de chansons et de monologues. Le langage, direct, nous ramène à notre propre rapport à la mort en passant par des instants d’une rare tendresse. Accessible dès huit ans, il ne manque pas de toucher les enfants, tous concernés par la perte de proches, sans pour autant tomber dans le pathos et avec beaucoup d’humour. En transparence, Yvan Corbineau souhaite rendre la poésie contemporaine compréhensible par tous. Un travail qu’il poursuit en produisant encore de nombreux textes mêlant plusieurs disciplines. La transversalité, serait-elle l’avenir du texte ? Par Cécile Becker – Photo : Thierry Caron

MAMIE RÔTIE, pièce de théâtre du 18 au 23 novembre au TJP Petite scène, à Strasbourg www.tjp-strasbourg.com

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Qu’est-ce que vous attendez ? L’occasion est là, elle est belle, elle est devant vous. Il est encore temps de la saisir ! L’occasion de voir ALB dans une salle de concert à taille humaine, pour l’avant-dernière date de sa tournée soutenant son dernier album Come Out! It’s Beautiful, le premier conçu en solo depuis l’intéressant Mangedisque. Derrière ALB, une tête pensante : le musicien rémois Clément Daquin auteur, compositeur et interprète de ballades évoluant entre électronique, pop et rock. Depuis son dernier EP Whispers Under the Moonlight où apparaissait Golden Chains, hymne pop où on croisait les membres de The Shoes – autre formation rémoise – en forme de chœur. Après deux titres exploités (dont le single éponyme de l’EP) dans des publicités, et sa participation aux Victoires de la musique 2015, plus rien n’arrêtera l’ascension du groupe. D’un côté le romantisme loufoque d’un bidouilleur électronique, de l’autre un jeu appliqué et des gestes quasi géométriques. L’ambiance oscille entre mélancolie amoureuse et humour geek. Un son qui ne renierait ni un penchant pour les eighties, ni un attachement au chiptune, ce son synthétisé en temps réel. Un mélange efficace qui aura pour conséquence d’entraîner chez vous un irrépressible déhanché. Ir-ré-si-stible, on vous dit ! Par Lizzie Lambert

ALB, concert le 14 novembre à la Souris Verte, à Épinal www.lasourisverte-epinal.fr


octobre / novembre 2015

Biennale de danse en Lorraine

Les créations de la C D E

Aux suivants Gilles Jobin / Félicette Chazerand / Aurélie Gandit / Cie Les Bestioles / Romain Henry & Anthony Laguerre / Lucile Guin / CCN - Ballet de Lorraine / Camille Mutel / Bernardo Montet / Les Patries Imaginaires / Marion Lévy / Jennifer Gohier & Grégory Beaumont / Nathalie Pernette / Véronique Albert / Julie Christ & Jean-Baptiste André / Serge Ricci / Brahim Bouchelaghem / Marie Cambois & Jean-Philippe Gross / Eszter Salamon / Emmanuela Iacopini / Elisabeth Schilling / Anne Nguyen / Olga Mesa & Francisco Ruiz de Infante / Sosana Marcelino / Cie A.lter. S.essio / Annick Pütz & Odile Seitz / Cie Arcosm / Aurore Gruel / Nacera Belaza / ...

site : www.biennale-danse-lorraine.fr email : expedition@arteca.fr tel : 03 83 87 80 68 design graphique : studio punkat

Texte et mise en scène Charlotte Lagrange du 12 au 19.11. 2015

Contes et frissons

De Alexandre Afanassiev et Jon Fosse Mise en scène Nils Öhlund du 01 au 19.12. 2015

Amphitryon

De Molière Mise en scène Guy Pierre Couleau du 26.01. au 26.02. 2016

L’Apprenti

De Daniel Keene Mise en scène Laurent Crovella du 19.04. au 04.05. 2016

Toutes les infos et l’ensemble de la programmation : comedie-est.com Comédie De l’Est Centre dramatique national d’Alsace 68000 Colmar 03 89 24 31 78 Direction : Guy Pierre Couleau


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Mameloschn, langue maternelle

Pièces à vivre

Nouvelle ère Nancy n’est pas qu’une ville où il fait bon vivre pour les étudiants. C’est également un joyau historique et artistique. Déambulez dans les rues et vous remarquerez rapidement certaines façades qui font partie des derniers témoins de l’École de Nancy. Ce mouvement artistique du XXe siècle s’incorpore à l’Art Nouveau : un courant engagé en quête d’une société plus juste et d’un passage à l’art total. Artisans et artistes s’associent pour produire du beau et de l’utile. Les frontières entre arts mineurs et arts majeurs s’effacent alors. Émile Gallet et Jean Prouvé, les deux présidents de l’École de Nancy, en font un mouvement unique. C’est au tour du musée des Beaux-arts et du musée de l’École de Nancy de s’approprier cette réflexion sur l’art et la société à travers l’exposition L’École de Nancy face aux questions politiques et sociales de son temps. Près de 200 œuvres sont présentées, dont une partie pour la première fois depuis leur création. Certaines viennent des quatre coins du monde grâce aux prêts de prestigieuses institutions : Musée national d’Irlande, musée des Arts Décoratifs de Paris, Kitazawa Museum of Art au Japon, etc. La partie principale de l’exposition se déroule au musée des Beaux-arts ; elle est complétée par le musée de l’École de Nancy. François Parmentier et Valérie Thomas, les deux commissaires, sauront-ils nous plonger dans l’univers de la Belle Époque ? Rendez-vous dans les couloirs de l’exposition. Par Fanny Ménéghin

L’ECOLE DE NANCY FACE AUX QUESTIONS POLITIQUES ET SOCIALES DE SON TEMPS, du 9 octobre au 25 janvier 2016 au musée de l’École de Nancy et au musée des Beaux-arts, à Nancy. www.ecole-de-nancy.com

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Le Théâtre de la Manufacture accueille la 4 e édition de Neue Stücke, semaine consacrée à la dramaturgie allemande ponctuée de spectacles, d’échanges, de lectures et de rencontres. À noter, la pièce Quand on parle du chou, les bougies dansent, d’après le roman de Jörn Klare, mis en scène par Katrin Plötner, où une femme fait écouter à sa mère, atteinte par la maladie d’Alzheimer, des conversations qu’elles ont tenues 25 ans auparavant. Dans Mameloschn, langue maternelle, mis en scène par Brit Bartkowiak, ce sont cette fois trois générations de femmes qui dialoguent, autour de la notion de mémoire, des camps de la mort jusqu’au quartier juif de New York, où la plus jeune part à la découverte de ses racines. Neue Stücke se conclura en beauté, avec une folle nuit blanche berlinoise en présence du Social Muscle Club, qui vous invitera à investir son délirant cabaret, avant que vous ne filiez faire chauffer vos semelles sur la piste lors de la soirée Copy & Dance. Vidéo-clips et extraits de films de ces 34 dernières années (pas une de moins) et musiquedynamite au programme... En fin de soirée, il vous restera à faire un choix cornélien : ralentir le rythme en rejoignant le cinéma pour la projection des films de Christoph Schlingensief, ou maintenir la fièvre du dancefloor sur la musique de DJ Obstsalat. Par Benjamin Bottemer

Neue Stücke #4, festival du 16 au 20 novembre au Théâtre de la Manufacture, à Nancy www.theatre-manufacture.fr


SAISON1516 INFORMATIONS & RÉSERVATIONS 1 RUE DU PONT SAINT-MARTIN / STRASBOURG 03 88 35 70 10 BILLETTERIE EN LIGNE

www.tjp-strasbourg.com LE TJP, CENTRE EUROPÉEN DE CRÉATION ARTISTIQUE POUR LES ARTS DE LA MARIONNETTE CONTEMPORAINE

DIRECTION RENAUD HERBIN


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Mykki Blanco

Mauvais garçons

Les murs ont des oreilles Les murs sont fins chez vous ; votre voisin vous fait, une fois de plus, partager sa musique. Une basse énergique qui porte une voix nonchalante et un violon envoûtant ? C’est Balthazar, une pépite directement venue de Flandre qui a sorti cette année son troisième album : Thin Walls. Dès les premières notes, la magie opère et vous voilà transportés dans leur univers. Entre pop britannique et rock alternatif, on reconnaît les influences de Blur et Arctic Monkeys. Le violon, pari audacieux largement gagné par Patricia Vanneste, accompagne avec perfection le ton groovy de l’album et nous désarçonne. Maarten Devoldere et Jinte Deprez, les deux compositeurs de Balthazar se sont rencontrés à l’adolescence, guitare en main, du côté de la rue commerçante de Courtrai, en Belgique. Ils sont rapidement passés de la concurrence au duo, puis au quintet. En France, on ne cesse d’être séduit par les artistes belges, une fois encore on tombe sous le charme avec des titres comme Decency, Nightclub ou encore Bunker. Thin Walls a été écrit pendant leur dernière tournée, pour l’album Rats. Le tour bus est devenu un incubateur de nouvelles chansons et le résultat est un délice. De passage à Nancy pour leur tournée, vous pourrez les retrouver à L’Autre Canal. La salle, qui est réputée pour son intimité, leur convient à merveille, on imagine déjà les corps vacillant au rythme de la batterie. Par Fanny Méneghin – Photo : Stéphane Louis

BALTHAZAR, concert le 31 octobre à L’Autre Canal, à Nancy www.lautrecanal.fr

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Si à 20 ans, rien n’est impossible, comme le chantait la douce Lorie, Musiques volantes entend surtout extraire de cet anniversaire un élixir de jeunesse jouissif macéré à la transpiration, à l’agressivité et aux guitares bien tranchées. Une édition de caractère où se croisent une poignée de mauvais garçons tantôt militants – comme l’excellent Mykki Blanco qui a récemment quitté la musique pour se consacrer à la scène queer et y revenir plus remonté que jamais –, tantôt excités ; le Canadien Jimmy Hunt du groupe Chocolat en témoignera. Moins aux extrêmes mais non moins doué, Guillaume Marietta revient tout juste du rock tout foutu des Feeling of Love pour construire, en solo, une pop psychédélique imbibée d’un doux venin sacrément addictif. Il y aura Wire, le groupe pionnier du postpunk britannique, un tantinet assagi avec le temps – quoique ! – mais toujours aussi passionnant. On aura aussi le plaisir de retrouver le vomi turquoise de Flavien Berger, l’électronique grisante des Pachanga Boys et la violence des JC Satàn jamais à court d’idées pour en mettre plein les cages à miel. Ça, ils sont forts Musiques volantes pour retourner les viscères, secouer têtes et pieds de haut en bas et ce, à travers toute la France. Et qu’on se le dise : des mauvais garçons, il y en aura tout autant que des vilaines filles, les locales d’Avale vous le feront bien savoir. Par Cécile Becker

MUSIQUES VOLANTES, festival du 4 au 10 novembres aux Trinitaires, à Metz www.musiques-volantes.org


15/16

THÉÂTRE DIJON BOURGOGNE

03 80 30 12 12

TDB-CDN.COM

CENTRE DRAMATIQUE NATIONAL

LA DEVISE TEXTE

F. BÉGAUDEAU B. LAMBERT

MISE EN SCÈNE

SALLE JACQUES FORNIER

PARVIS SAINT-JEAN

LYCÉE HIPPOLYTE FONTAINE

BENJAMIN WALTER TEXTE ET MISE EN SCÈNE

F. SONNTAG

DE TOUTE FAÇON ON N’EN SORTIRA PAS VIVANT MONTAGE DE TEXTES DE

PARVIS SAINT-JEAN

CANDIDE

SI C’EST ÇA LE MEILLEUR DES MONDES… DRÔLE DE BIZARRE VOLTAIRE MISE EN SCÈNE M.POÉSY ÉCRITURE ET DRAMATURGIE K.KEISS CRÉATION

LESLIE KAPLAN

D’APRÈS

(et écritures plurielles)

ELISABETH HÖLZLE, LAURE MATHIS, ALINE REVIRIAUD

MISE EN SCÈNE ET JEU

DU LUNDI 5 AU VENDREDI 9 OCT 2015 DU MARDI 13 AU SAMEDI 17 OCT 2015

DU MARDI 3 AU SAMEDI 7 NOV 2015

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DU JEUDI 12 AU SAMEDI 21 NOV 2015

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Jazz à tout va !

Ad gloriam musicæ ! Le Concert des Nations est ce brillant hommage donné aux musiques des XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles. Jordi Savall, créateur de l’événement, est un peu comme un archéologue spécialisé dans la musique ancienne et plus particulièrement dans la musique baroque. Sans lui, impossible de saisir les justes mesures des plus beaux textes de ce répertoire classique dont on n’a pas fini d’éclaircir les contours. « La musique est justement l’art de redonner vie à des choses d’autres époques » nous dit Jordi Savall qui, pour ce 29e Concert des Nations, dirigera L’Offrande musicale de Bach. Disons-le tout de go : cette œuvre est un monument ! Elle fait suite à l’invitation du Roi de Prusse au Palais de Sanssouci où le défi lui est lancé, après de prodigieuses improvisations, d’écrire une œuvre comprenant deux sortes de fugue (appelées ricercares), l’une à six, l’autre à trois voix, une série de canons énigmatiques et une sonate en trio ! Concernant le ricercare à six voix : « Cela n’est pas possible, Sire ! » lance Bach au Roi, qui acheva pourtant l’écriture de l’œuvre quelques semaines plus tard. Pour interpréter une telle polyphonie, il fallait rassembler la justesse et la passion de Jordi Saval – qui permit notamment de populariser la viole de gambe dans le film Tous les matins du monde –, comme une volonté de restaurer un climat d’harmonie, de rassemblement. Par Mathieu Collin – Photo : David Ignaszewski

« L’esprit du jazz permet la connexion naturelle avec toutes les musiques sud-américaines, caraïbes et africaines. » David Murray prolonge une nouvelle fois cette belle définition donnée il y a 11 ans de cela en invitant sur scène Saul Williams, patron du slam et en diversifiant, par là, tout ce que l’on entend derrière le mot « jazz ». On peut le dire, ce saxophoniste ne tient pas en place : il dirigea un ensemble cubain, joua sur des poèmes de Pouchkine, aux côtés de rappeurs tels que les Last Poets ou Questlove. Il n’est pas non plus vain de dire qu’il succède aux plus grands : les John Coltrane, Sonny Rollins, Lester Young et consorts. À cette musique afro-américaine siérait donc bien le grand Saul Williams, connu pour son apparition dans le film Slam en 1998 et pour avoir associé poésie et hip-hop (ou rap) alternatif. Connu aussi pour donner corps à des textes très forts – critique de la guerre contre le terrorisme à partir d’une tragédie de Shakespeare ! –, pour ses poésies et ses apparitions au cinéma, Saul Williams est une voix soul-rap qui vous saute à la figure. Le quartet Infinity de David Murray, baptisé ainsi en mémoire de ces premiers moments jazz passés dans le loft-studio Infinity de New York, continue de s’ouvrir à de nouveaux dialogues, comme il l’avait fait en accompagnant, entre autres, le poète afro-américain Amiri Baraka. Le jazz n’en ressort que grandi. Par Mathieu Collin – Photo : Laure N Pasche

Jordi Savall, concert le 8 octobre à l’Arsenal, à Metz www.arsenal-metz.fr

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David Murray Infinity 4tet + Saul Williams, concert le 22 octobre à la BAM, à Metz www.trinitaires-bam.fr


focus

Un monde en lutte

À portée de main Quand on s’appelle Zimmermann, on a parfois tendance à se distinguer : on se souvient forcément d’un certain Robert Zimmermann alias Bob Dylan. Si l’orthographe n’est pas la même, le pianiste Krystian Zimerman cultive lui aussi une singularité qui pourrait s’apparenter à celle de l’illustre auteur de Blowin’ in the wind : sécheresse dans le ton, intégrité extrême, distance par rapport au système et surtout aux médias, autant de points de vue convergents qui pourraient lier les deux hommes. Parmi les pianistes célèbres, il est difficile de rivaliser avec les manies d’un certain Glenn Gould, et pourtant Krystian Zimerman, là aussi, a tendance à se faire remarquer. Le fait qu’il déplace son propre piano, qu’il ne donne qu’une cinquantaine de concerts par an et n’enregistre que chez lui, dans son propre studio – à raison d’un enregistrement tous les deux ans en moyenne – le situe dans la catégorie des pianistes star, avec ce brin de posture qui fascine ou agace. Il n’en reste pas moins l’un des instrumentistes les plus fabuleux, capable de révéler le répertoire pianistique de Chopin, Schubert ou Rachmaninoff comme personne. Certains critiques s’interrogent sur cet étrange paradoxe qu’on lui reconnaît : une technique époustouflante alors qu’il joue la carte de l’économie dans l’exécution. On évoque une certaine froideur, voire une pauvreté expressive, mais ses plus grands fans le répètent à l’envi : il faut beaucoup de maîtrise pour atteindre cette simplicité-là ! Par Emmanuel Abela

KRYSTIAN ZIMERMAN, concert le 26 octobre au Grand Auditorium de la Philharmonie, à Luxembourg www.philharmonie.lu

À travers le monde, les peuples indigènes ont été rattrapés par l’industrialisation prônée par l’Occident depuis des siècles comme seul modèle social et économique. Comme seul modèle de vie, au détriment de tout le reste, l’environnement, la culture, les traditions. Ça a été également le cas en Australie, où l’on redécouvre depuis quelques années la richesse de la culture aborigène. Sur la base d’un récit imagé sur fond de désastre écologique, la chorégraphie Cut The Sky signée Dalisa Pigram et Serge Aimé Coulibaly pose la question de la préservation du patrimoine, de la gestion des ressources et même de l’appropriation du foncier au profit d’exploitants sans scrupules. Composé de cinq poèmes écrits par l’australien Edwin Lee Mulligan, enrichi de chansons de Nick Cave – lui aussi, Australien, ne l’oublions pas ! –, de Buffalo Springfield, le magnifique groupe sixties américain qui comprenait en ses rangs Neil Young et Chris Stills, et de Ngaiire, le chanteur de Papouasie-NouvelleGuinée basé à Sydney, Cut The Sky a été conçu avec le concours de danseurs et chanteurs de régions reculées et urbaines du pays. Le tout au profit d’une équipe augmentée d’artistes venus du Burkina-Faso, de Belgique et du nord de l’Inde. On le constate, un projet fédérateur à vocation planétaire, dans le sens d’une réelle prise de conscience commune. Laquelle donne lieu à un spectacle débridé, enchanteur par bien des aspects. Quand résistance tu nous tiens, nulle raison de gâcher notre plaisir, n’est-ce pas ? Par Emmanuel Abela

Cut the Sky, spectacle le 20 octobre au Grand Théâtre, à Luxembourg www.theatres.lu 35


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Une balade d’art contemporain Par Sandrine Wymann et Bearboz

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DI 11.10.15

ME 21.10.15

20H00

SYLVAIN RIFFLET & JON IRABAGON

SOLEIL NOIR CD RELEASE

Rock

Jazz JE 15.10.15

JE 22.10.15

20H00

NORA WAGENER LIEST

« SOULBLAZZ »

Littérature

Soul / Funk

SA 24.10.15

20H00

HEINER MÜLLER UND SOPHOKLES MIT MARCO LORENZINI, ADA GÜNTHER & DENNIS LAUBENTHAL

Jazz

© Bertrand Fèvre

20H00

PHILOKTET

SONS OF KEMET DI 18.10.15

19H30

SUPERCOOL IT’S ALRIGHT

NATALIA M.KING

SA 17.10.15

20H00

Art de la scène - Théâtre

17H00

BALLADEN UND ANDERE SCHAUERGESCHICHTEN JEAN BERMES & DENIS IVANOV

Classic - Nouvelle Musique

CENTRE CULTUREL REGIONAL DUDELANGE 1A, RUE DU CENTENAIRE, L-3475 DUDELANGE www.opderschmelz.lu

FESTIVA

L TOUCH

OF NOIR

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Mike Bourscheid

Serge Ecker

ehe EHE

INERTIA OF THE REAL

26.09.2015 – 29.10.2015

26.09.2015 – 29.10.2015

Claudia Passeri MANGIA MINA 14.11.2015 - 24.12.2015

www.centredart-dudelange.lu


Petite Noir 04.07

Festival Les Eurockéennes de Belfort

Personne n’est à l’abri de ses propres préjugés. Une fois devant la scène de La Plage des Eurockéennes de Belfort, le doute nous a assaillis : une formation aux allures punk dignes d’un groupe londonien du début des années 80, venait de se présenter au public. C’est au moment où nous étions déjà prêts à nous déplacer que Petite Noir s’est placé au devant de la scène. Idiots que nous étions, le petit gars on le suit depuis plus de deux ans, et nous n’avons toujours pas compris que son message c’était justement de fouler les étiquettes. Quelques heures auparavant, nous avions pu aborder la question. Et la réponse, toujours la même, est contenue en un mot : liberté. Cette volonté affichée de décloisonner les genres s’explique en partie par son parcours, une naissance en Afrique, une petite enfance vécue en Belgique, des débuts artistiques en Afrique du Sud avant un retour en Europe, récemment à Londres. Il nous explique : « Oui, ces déplacements, le fait que je sois confronté à différentes cultures, m’amène à penser les choses différemment. J’ai envie de mixer tout cela ! ». D’où des références aussi éclatées que Nick Drake, les Talking Heads et Fela. « Oui, le but c’était cela : confronter les sonorités de l’Afrique non seulement à la new wave, mais aussi à toute cette pop culture ». On croirait entendre Saul Williams dans le texte, et

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Par Emmanuel Abela Photo : Vincent Arbelet

les similitudes entre les deux figures ne s’arrêtent pas là… Quand on l’interroge sur les conditions de l’enregistrement, il nous répond : « Je n’ai rien planifié, je me suis laissé inspirer dans l’instant. J’ai joué, joué, joué pour ne retenir que le meilleur. Et je suis plutôt satisfait du résultat, et de la manière de faire ». Il a même pris du temps, le bougre, distillant des chansons au compte-goutte, et s’il affiche aujourd’hui une désinvolture de façade, on le suppose plus perfectionniste qu’il n’ose l’avouer lui-même. L’album est bien produit, diablement efficace. Il a cette manière bien à lui d’écarter le groove pour le magnifier dans un second temps. « Oui absolument ! Pour moi, c’est une façon de m’assurer que l’on ressente le beat. » La nouveauté sur le disque vient sans doute de passages ostensiblement hip-hop, pour lesquels il renoue avec la langue française, des textes sensibles qui partent de son background africain familial pour alerter le monde entier. « Cette musique, nous confirme-t-il, je la destine au plus grand nombre. Elle a pour vocation de réunir les gens ! » Justement, le succès semble lui tendre les bras. Qu’importe, il le vit avec toujours autant de philosophie : « Quoi qu’il arrive, tout cela ne reste qu’une aventure, non ? » Peutêtre même une belle aventure, Petite Noir !


Rencontres

Foxygen 05.07 Festival Les Eurockéennes de Belfort L’histoire du rock est traversée par ces figures qui renouvellent le genre. Oh bien sûr, ça n’est pas si souvent. Mais il peut arriver, parfois même au détour d’un malentendu, que la chose se produise à nouveau. Nous étions alertés par l’excellence de Foxygen, un groupe qu’on avait situé à l’égal de Tame Impala, dans la filiation directe de nos amis Flaming Lips. Autrement dit, un groupe pratiquant le psychédélisme tout comme il faut, avec moult effets colorés, et détendu dans l’approche. L’écoute des albums, tous deux magnifiques, avait laissé entrevoir une belle promesse et les passages récents des Californiens aussi bien à Strasbourg qu’à Dijon avaient confirmé auprès de notre entourage que nous détenions là bien plus qu’une nouvelle hype, aussi fulgurante fusse-t-elle. Aux Eurockéennes, pendant que nous nous entretenons avec Broncho, révélation power-pop en provenance de l’Oklahoma, nous guettons du coin de l’œil la présence de Sam France, le chanteur de Foxygen, sur le même ponton que nous. Allait-il nous échapper ? C’est sans compter l’intervention de Vincent, notre photographe, qui nous le retient un temps. Il est à nous, pour 5 minutes seulement ! Le temps d’évoquer un double album qui selon les dires du groupe avait été enregistré comme si d’autres musiciens s’étaient emparés d’eux. « Oui, c’est vrai, nous confirme-t-il, c’est le sentiment que nous avions en studio : nous nous sentions possédés par d’autres. [Rires] Du coup, les choses naissaient presque à notre insu. » On comprend mieux la dimension foutraque

Par Emmanuel Abela Photo : Vincent Arbelet

de l’étrange objet. « C’est le même sentiment qui animait David Bowie quand il a enregistré Ziggy Stardust, non ? » Et de manière plus générale : « Oui, Ça qui arrive à chaque artiste, de se sentir ainsi habité », nous explique-t-il avec un sourire qui pourrait faire peur. On lui rappelle que les Beatles, à l’époque de Sgt Pepper, avaient justement tenté de faire figurer cela sur la pochette. Il rit, et admet que l’exemple n’est pas si mal trouvé. On se quitte non sans avoir échangé sur la pochette originale du single Starpower de Sonic Youth. De manière étonnante, il découvre le titre de cette chanson si proche de celui de leur deuxième album …And Starpower is. Il s’attache à la photo du jeune Thurston Moore avec sa cithare, des yeux dessinés sur ses mains, et nous interroge avec l’impatience du sale môme : « C’est sur quel disque ? Mais c’est sur quel disque ? ». Sur Evol, sommes-nous assez fiers de lui répondre. Quelques heures après, on retrouve un tout autre personnage sur scène, inquiétant dans son attitude jusqu’au-boutiste à mi-chemin entre Iggy Pop période Stooges et Fad Gadget, fascinant d’ambigüité dans un show décadent à souhait, avec des choristes tout droit sorties d’un cartoon de Tex Avery. Bref, une incitation à la débauche. Il faudra forcément quelques pissefroids – du style à vous toiser parce que dans l’incompréhension la plus totale ! – pour tenter de mesurer notre enthousiasme. Ce qu’ils ne comprennent pas, et ne comprendront jamais, c’est que – putain ! – le rock’n’roll ça n’est que cela ! Et rien d’autre !

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Dan Deacon 21.08 Festival Cabaret Vert Charleville-Mézières Par Emmanuel Abela Photo : Léa Fabing

Dan Deacon ne s’embarrasse guère, il vit tout dans l’instant de manière très naturelle. Et quand, après les présentations d’usage, on lance la première question, il nous coupe : « On y va direct ? » Et part d’un fou rire, forcément communicatif. On lui rappelle qu’il a commencé « just for fun » à bidouiller sur son ordinateur, à l’arrière du van, parce qu’il lui arrivait de s’ennuyer. Une manière de faire, en solo, qu’il a explorée à ses tout débuts, assemblant sans cesse des microsamples qui lui permettaient d’asseoir une ébauche de structure. « Je pense, en effet, nous confirme-t-il, que j’avais besoin d’interroger la relation que j’entretenais à mon travail, mais aussi à mes amis. Aux gens que j’aimais… Tout cela a causé une forme de stress, et du coup, cette manière de fonctionner, à l’ancienne, m’a apporté de la clarté. J’y voyais aussi une manière de clore un cycle, avant de m’attaquer à un nouveau projet. » Ce qui surprend c’est que le résultat de ces collages s’apparente à de vraies pop songs. Il nous précise que ces samples, il les isole plutôt comme des textures que comme des mélodies. Comme des sons qui vont porter la structure des morceaux. Et de nous donner l’exemple de Taking To The Max qu’il apparente à une sorte de paysage, un panoramique. « La forme du morceau va crescendo jusqu’au sommet de la montagne avant de redescendre, et plonger vers le néant. » On constate avec cette description la dimension visuelle qu’il associe à ses morceaux. Il poursuit : « J’aime la pop music – sa forme, sa manière de libérer du sentiment –, mais c’est un peu comme à la loterie : vous travaillez avec les mêmes numéros à chaque tirage, et voilà, de manière magique, ils s’associent comme il faut et vous remportez le gros lot ! » Il conclut chacune de ses nouvelles idées par une question, en nous regardant droit dans les yeux : « does it make sense? » On pense immédiatement aux Talking Heads, on aurait envie de lui dire « stop making sense, Dan! », mais on n’ose pas. On se fend d’un « of course, of course! » qui finit par l’alerter. Il nous rassure : « I always say that, I’m sorry! ». Nouveau fou rire général ! On en revient à sa manière d’écrire avec le constat que dans l’accumulation des sons et des structures qui s’empilent par strates, le fait pour l’auditeur de s’attacher à un son même insignifiant, tout en bas, en dessous des autres, apporte non seulement une nuance essentielle à l’ensemble, mais parfois même nous raconte une toute autre histoire. L’idée le séduit. « J’aime cette façon d’écouter mes chansons. C’est très précisément ce que je cherche à faire quand j’écris. »

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On lui fait la remarque que Gliss Riffer nous semble être un album qui s’adresse autant au corps qu’à l’esprit. Un album très physique, en quelque sorte. Il acquiesce : « Mes disques sont liés à mes performances live. Ma musique s’en ressent, avec cette approche très énergique appuyée par l’omniprésence des lignes de basse. Quand je travaille sur une chanson, je me pose toujours la question de savoir quelle direction elle prendra sur scène ». Il est vrai que Dan Deacon est reconnu comme un performer incroyable sur scène, il y a surtout chez lui cette volonté de se connecter de manière presque intime, voire viscérale, à son public. « Vous cherchez à partager, c’est le sens même de l’acte créateur. Je pourrais me contenter d’écrire mon journal intime – c’est le cas, avec mon carnet


Rencontres

d’esquisses ! –, mais ce qui importe c’est de pouvoir faire en sorte que ce que vous créez puisse participer du changement : que ça change votre psyché ou celle des gens dans le public. » Oui, l’artiste ne cherche pas seulement à se connecter lui-même avec son public, il cherche à connecter ce public. Et ça, Dan, sans nul doute, ça fait sens ! On le constatera un peu plus tard, en artisan du chaos, Dan Deacon génère sur scène cette sensation de fin du monde avant de tenter de trouver la parcelle de vie qui permettra de faire renaître le tout. Faire table rase en quelque sorte, pour ouvrir un nouvel espoir. En cela, sa démarche nous semble essentielle. Avant de le quitter, nous ne résistons pas à l’envie de l’interroger sur ce nouveau projet discographique

auquel il faisait allusion en début d’interview. On n’en saura pas beaucoup plus, si ce n’est qu’il s’agit d’une « longue pièce dont il a posé les fondations sur papier ». Avec ses mains, il nous dessine dans l’espace de très larges feuilles comme s’il voulait insister sur une forme écrite qui s’apparente à un travail de composition classique. Et c’est sans doute ce vers quoi il tend : une forme pensée à l’avance. Comme si c’était une confidence, il nous explique qu’il « est temps pour [lui] de se situer par rapport à sa pratique musicale et de savoir concrètement vers quoi il veut aller ». De poser son intention sur le papier semble le rassurer. Quelle que soit la forme finale, Dan Deacon peut être assuré d’une chose : nous avons hâte !

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Festival Météo Mulhouse Par Guillaume Malvoisin Photos : Sébastien Bozon

James Chance 30.08 Noumatrouff J’avais en tête une gueule d’ange assis sur le toit du monde. La photo ornait la pleine couv’ d’une compilation parue il y a cinq ans. James Chance y est vautré, tenant du coin de son œil blanc l’avenir du punk ricain, du funk blanc et de tout ce qui pourra être considéré comme vénéneux pour les 20 ans à venir. Le môme de la photo a du chien, les incisives aiguisées, une chemise d’un violet épiscopal. En live, ses danses transe-graphiques, contorsions mimétiques cadrées sur les stars du groove, faisaient passer du Munch pour du Seurat. Son sax dressé vers l’olympe du free jazz, Chance ne laissait rien passer. Punk exigeant au CBGB. Hors cadre, impérial, dégénéré donc classe, l’alligator. À Mulhouse, on l’attendait avec impatience. « Priorité number one ! », m’avait-on soufflé par mail. Feux verts, bingo, l’occasion de savoir si le punk rime encore avec le calendrier, voir ce qu’il avait laissé comme traces dans le corps d’un sexagénaire qui se contorsionnait comme le James Brown de son adolescence. De voir si le gazier, qui s’autoproclamait SuperBad levait la jambe encore assez haut pour arroser le premier rang des concerts de quelques sauts de talons et d’œillades noires.

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On me l’avait annoncé en retard, grognon, sans doute fatigué du concert de la veille à Francfort, plus très disponible puis plus du tout. Las, Mister Chance apparaît au bas des marches du catering, rongeant son irritation comme une ménagère en manque de droguiste. Le violet de la liquette avait viré au saumon Daxon, le noir des cheveux était refait, la banane annonçait le ratage du concert. Pas de Chance. Mais l’œil avait encore un peu de niaque et quelques dents se montraient sous la gencive. « Mister Chance ? - Yep! - Pourriez-vous m’accordez un peu de temps... - What? - Je travaille pour le festival et ce magazine, j’aurais aimé vous interviewer. - Don’t see why I’ll do a favour to you... You fuckin’ try to fuck me... All of you! - Je ne vois de quoi vous... - I’ve asked for one tiny thing... Just one tiny thing… Not ‘cuz of you, ‘scuse me… But Fuck you all! - Je ne comprends pas. -… - Je vous offre une bière et on calme le jeu tranquillement au bar ? -… -… - I do not drink beer, man... Go and fuck yourself! »


Rencontres

Fred Frith 30.08 Noumatrouff Improviser, est-ce laisser aller sa pensée ou se concentrer sur une idée particulière ? Il faut faire avec le matériau offert par le temps et l’espace qui est celui du set improvisé. Il n’y a rien d’autre. Votre musique écrite influence-t-elle parfois vos improvisations ? Quand je travaille à composer de la musique, je travaille à cette musique-là. Quand je me place en tant qu’improvisateur, je ne suis rien d’autre. Donc, il n’y a pas d’influence de l’une par l’autre. Elles n’existent tout simplement pas dans le même contexte. Quand vous enregistrez un disque, la production estelle un obstacle à la spontanéité ? Quand je suis en studio, il ne s’agit pas d’improviser mais de produire un matériau que je pourrais mettre en forme, ensuite, en utilisant le studio comme un moyen de faire de la musique. Le musicien sait-il quelque chose que le public d’un concert ignore ? Oui.

Est-ce un secret, quelque chose qu’il aurait découvert pendant les répétitions ? Un musicien passe un temps infini à considérer et approfondir la nature de son instrument, de ce que peut être la musique en tant que matériau à manipuler. Au moment du concert, toutes les choses aperçues ou travaillées, sont embarquées dans le processus de création et sont mises en jeu. C’est intéressant. Le musicien qui joue et le spectateur qui assiste au concert découvrent, ensemble, quelque chose pour la première fois. Ils sont liés par cela. N’avez-vous jamais le souhait que votre musique live perdure ? La musique, par nature, n’est pas un objet. Donc, vous ne pouvez en aucun cas ni la collecter ni même la saisir du regard. C’est un médium différent. Donc, quand la musique s’arrête, elle est dans les ondes de l’air et vous ne pouvez aucunement la capter à nouveau. Vous dîtes ne jamais réécouter les disques que vos avez pu enregistrer… Absolument. Je ne me préoccupe que de ce que je fais actuellement. Peut-être m’arrive-t-il d’entendre certains de mes morceaux sans savoir qu’ils étaient les miens. N’avez-vous jamais eu envie de poursuivre une idée que vous auriez pu laisser inachevée ? Je ne crois pas qu’on puisse mener une idée à son terme. Les idées inachevées me semblent bien plus intéressantes.

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Festival Météo Mulhouse

Okkyung Lee 29.08 Hôtel Mercure En live, votre musique semble mouvante. Je la modèle sans cesse. Parfois, elle passe par des chemins complètement imprévus, il faut alors que je comprenne ces derniers et que je réagisse. Je dois être curieuse. Cette curiosité semble être définitivement un outil privilégié. Un son joué n’est jamais aussi clair que dans votre tête. Je dois faire correspondre au maximum mes idées et ce que je crée au violoncelle. Et il y a plusieurs voies pour cela, je dois donc laisser ma curiosité éveillée. Parfois, je fais des erreurs : « Ok. Que faire de ça ? ». Hier, j’ai pincé une corde sans le vouloir. J’aurais pu laisser passer ce moment mais j’en ai profité pour l’intégrer à ma musique et retrouver une intention de jeu basée sur cette erreur. En musique, il n’y a pas de juste ou de faux, il n’y a que de l’intention. Il faut donc savoir prendre des décisions. Cherchez-vous le contact du public ? Ça, c’est intéressant. Il déploie une énergie face à moi, je sens son écoute mais c’est la dernière chose dont je me préoccupe. Quand je joue, je me replie en moi puis ma musique, elle, part vers les spectateurs. Certains vous disent punk... Oui, j’ai entendu cela quelque fois ! Le punk, ce n’est pas être performant mais rester authentique : « Voilà ce que je suis et je ne serai jugée par aucune des règles sociales. Non pas parce que je suis la meilleure

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mais parce qu’ainsi je reste vraie. Prenez-moi comme je suis. Je ne m’excuserai jamais. » Voilà mon approche de la musique. Je ne dis pas que je vais jouer une musique tellement belle qu’elle vous bottera le cul, je me replie seulement en moi et travaille de toute mon énergie. Punk, le violoncelle ? Beaucoup lui vouent un respect classique et un soin infini. Mais c’est juste un outil à musique. Des gens sont venus te voir alors tu joues, tu les invites à voyager avec toi. Je crois fermement que tu dois rendre ce moment unique, pour chacun. Ne jamais répliquer ? Au mois de mai, j’ai ouvert en solo pour Swans au cours de leur tournée. Bien entendu, la plupart des gens étaient venus voir le groupe. J’aurais pu jouer le même truc simple à chaque fois. Personne n’a entendu mon travail auparavant et sans doute personne ne le fera par la suite, mais je refusais de me répéter. Tu dois te battre contre cette idée, chaque jour. Seriez-vous d’accord si les spectateurs jugeaient votre musique violente ? Non, je dirais intense. Ma musique va tester des limites, descendre plus profond, jouer plus fort. Ça peut sembler violent parce que cette musique envahit ton espace d’écoute de toute son intensité. Mais je ne mets rien d’intime en jeu, il ne s’agit que de geste, de son et de musique.


Rencontres

Peter Evans 30.08 Noumatrouff Quelle serait ta définition de l’improvisation ? Je crois qu’il s’agit de traverser différents états de conscience. Dans le premier, tu es avec les musiciens avec qui tu joues, c’est basique. Ensuite, tu entres dans un autre où tout le monde joue réellement ensemble. Puis encore, dans un autre, un peu caché, où tu dépasses ta propre présence ! C’est peut-être seulement là que tu improvises. Ça ressemble beaucoup à la méditation. Effacer son ego ? Absolument. Pour beaucoup, la musique est une sorte d’achèvement. Je peux prendre du plaisir à des structures complexes, à des solos, mais jouer une musique définitive n’aurait aucun sens. Improviser, c’est se dissoudre dans la musique. Cecil Taylor décrivait l’improvisation comme une longue errance de la pensée. Très beau… Il y a aussi cette phrase qui vient de la fin des années 60 : « La pensée contrainte par la technique, la forme par la passion ». Rien à dire de mieux. Ce qui frappe en t’entendant, c’est la sensibilité et la tendresse de ton jeu. Ah oui ? C’est cool d’entendre ça. C’est important d’avoir cette sensibilité-là, quand on regarde ce qui nous entoure.

Ta respiration est tour à tour souffle, percussion, frottement. Je n’ai pas de plan établi. Je dois jouer avec ce qui se présente, me dédier au souffle et au son. Ma musique peut être alors organique. Les textes soufis parlent beaucoup de cela, du sens qui procède du son qui procède du souffle. Ta musique est pourtant très physique. Tu produis de la vibration dans l’air, tu agis donc sur celui qui écoute, sur ses perceptions, sa conscience du monde. On doit pouvoir se dire, en jouant comme en écoutant : « Putain, qu’est-ce qu’il se passe ici ? » On entend, dans ta musique, le bop comme l’avant-garde contemporaine. Je joue au jour le jour, dans telle ou telle formation avec le même plaisir. La scène new-yorkaise n’est pas très ouverte sur ce point, il faut sans cesse choisir : être un leader, choisir son style, ses partenaires et répéter énormément la même chose. Aujourd’hui j’ai besoin d’être moi-même dans la musique, sans plan préalable. On entend même étrangement parfois Lee Morgan, Clifford Brown. J’adore Lee Morgan ! Ces mecs-là ont été parmi les grands inventeurs de la musique américaine. J’ai mis du temps à me rendre compte de leur influence. Ils vivaient à une autre époque, dans un autre contexte social, mais j’ai pris un paquet de trucs chez eux, même si ma musique est très différente de la leur. Souvent, on croise des trompettistes qui sont de parfaits chanteurs : Armstrong, Baker, Gillespie. Tu chantes ? Non. Ma femme est une chanteuse douée, je serais un peu honteux. Je n’ai jamais vraiment essayé. J’aime beaucoup le karaoké, mais ma façon de faire est assez terrible.

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Rencontres

Aquaserge 17.07 Troc’afé Strasbourg Aux armes, citoyens ! Le monopole anglo-américain cessera-t-il un jour d’accaparer nos discothèques ? Qu’ont-ils ces compatriotes à guitare à crucifier la langue française sur l’autel de la pop ? Aquaserge serait-il le seul résistant ? Résistant sur la forme, ce quintet explore depuis ses débuts une certaine lascivité à la française : quand la bossa nova flirte avec le yéyé évoluant en triangle amoureux avec une légère musique d’ascenseur et une musique baroque bien roulée. Une pop protéiforme donc qui n’en reste pas moins inspirée par ce qui se cultive de mieux sous la bruine anglaise : Soft Machine en chef de file. Aquaserge, résistant aussi à toute forme d’inertie sonore qui voudrait qu’un album réunisse sur ses pistes une déclinaison monotone d’un seul et même titre. Julien Gasc, poète sous ses airs je-m’enfoutiste déplore : « Il faut sonner comme ci ou comme ça, que rien ne déborde : il faut un beat derrière, des guitares, sonner 80, il n’y a plus vraiment de surprises dans le songwriting. Chez Aquaserge, ça part un peu en vrille. On se fait plaisir avant tout ». Dans un tour bus aquaplanant sous le déluge, le groupe s’est fondé par l’imagination délirante de trois de ses membres actuels – Benjamin Glibert, guitariste, Julien Gasc, chanteur aux synthétiseurs et Julien Barbagallo, batteur –, les voilà sortant de la tempête à bord d’un sous-marin affublé de nageoires en forme d’oreilles de Serge Gainsbourg. De cette image a découlé leur

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Par Cécile Becker Photo : Christophe Urbain

premier maxi-concept : Tahiti Coco sorti sur un label américain, pensé et construit collectivement à La Mami, ferme-studio où R. Stevie Moore et Cass McCombs ont aussi enregistré. Un lieu foutraque qui a constitué un terreau fertile aux chansons d’Aquaserge construites, entre un plant de tomate et un plat de viande mijotée, comme des cadavres exquis partant d’improvisations auxquelles chacun vient coller un bout de son. Aquaserge a peut-être finalement plus à voir avec l’underground américain qu’avec la chanson française : une manière collective et totalement libre d’envisager la musique, rare dans nos milieux conservateurs. « Quand on joue en Angleterre, le fait que notre musique ne ressemble à rien d’autre ne pose pas de problème, complète Benjamin Glibert. À Los Angeles ou à Hollywood, on est classés dans les bacs rock. En France, c’est prog. » Sans cesse, Aquaserge déraille et c’est sans doute cette souplesse qui leur a valu d’accompagner de nombreux musiciens : de Bertrand Burgalat à Forever Pavot en passant par Melody’s Echo Chamber ou Tame Impala. Drôle de constater alors que leur conception volage et sensitive de la musique, finalement typiquement française, aille contaminer toute une frange de jeunes musiciens passionnants jusqu’aux États-Unis. Et si Aquaserge signait la fin du monopole et de la monotonie ?


30 OCT 2015 17 JAN 2016 COMMISSAIRE : KOYO KOUOH ARTISTES : ZOULIKHA BOUABDELLAH, MARCIA KURE, MIRIAM SYOWIA KYAMBI, VALÉRIE OKA, TRACEY ROSE, BILLIE ZANGEWA COPRODUCTION WIELS, BRUXELLES (BE), 49 NORD 6 EST, METZ (FR) & LUNDS KONSTHALLE, LUND (SE)

BODY TALK

FÉMINISME, SEXUALITÉ & CORPS DANS L’ŒUVRE DE SIX ARTISTES AFRICAINES


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Le théâtre e au XXI siècle

Par Sylvia Dubost Photo : Christophe Urbain

Originaire de Luxeuil en Haute-Saône, Frédéric Simon a passé une quinzaine d’années en Lorraine, dont dix à la tête du Carreau à Forbach. Il prend aujourd’hui la direction du Maillon à Strasbourg, où il compte poursuivre sa réflexion sur un théâtre inscrit dans un monde en profonde mutation. Retour sur un parcours et ouverture de perspectives. Qu’est-ce qui vous a amené au théâtre ? Une enseignante de 4e. Je n’étais pas très bien à l’école, j’aimais bien être là mais je n’étais pas doué. J’ai fait du latin avec une prof un peu autoritaire mais juste, qui voulait monter Le Bourgeois gentilhomme… J’ai persévéré, on a ensuite fait du Ionesco et j’ai commencé à faire du théâtre amateur, puis des stages à Besançon. Quand je suis arrivé au lycée, j’ai demandé à animer un atelier théâtre. On a monté des textes, en autonomie. Je faisais aussi quelques photos de plateau. Pour un timide, c’est formidable le théâtre ! On est timide parce qu’on ne comprend pas la convention qui nous lie aux autres. Au théâtre, la situation est particulière, et on n’a pas l’impression d’embêter les autres. Ça m’a déniaisé. Vous avez étudié l’économie. À quoi vous destiniez-vous à l’époque ? J’aurais bien voulu travailler sur l’épistémologie de l’économie. L’économie est une science intéressante mais elle ne s’occupe aujourd’hui que de maximiser les profits, alors qu’il s’agit d’étudier les interactions, les réciprocités. Un peu comme la physique, c’est la science de l’effet papillon. Car finalement, qui nous raconte comment on vit ensemble ? Le seul qui avait esquissé quelque chose, c’est Foucault dans Les Mots et les Choses, dans le paragraphe sur l’échange. Il était prophète car tout

ce qui était gratuit est aujourd’hui monétarisé, y compris les rapports humains : le stop est remplacé par BlaBlaCar. Qu’est-ce qui vous a fait dévier de votre trajectoire ? Dans certaines familles comme la mienne, le théâtre n’est pas un métier. Mais j’ai toujours essayé d’exprimer quelque chose artistiquement. Comme tout le monde… J’ai peint, joué, écrit des pièces. À la fin de mes études, je suis rentré dans une compagnie [le Nain jaune, ndlr] comme administrateur, puis j’étais de moins en moins administrateur et de plus en plus acteur. Mon plus beau souvenir, c’était de jouer Lefranc dans Haute Surveillance de Genet. Quand on joue longtemps un même texte, quelque chose opère en nous, c’est peut-être dur à vivre mais c’est intéressant. J’ai été très heureux en tant que comédien. On se retrouve vraiment sur une planète particulière. Le reste du temps, on a l’impression de casser la magie et on garde toute son énergie pour ces deux heures. Pourquoi avez-vous arrêté ? En 1996, il y a eu un effondrement de la politique culturelle en France. Les collectivités ont tout relâché. La Ville de Vierzon a arrêté de subventionner la compagnie, qui fonctionnait sous forme coopérative. Avec mon épouse, on a décidé d’arrêter le théâtre pour monter une auberge en Sologne. Puis j’ai refait le directeur technique pour l’espace Molière de Luxeuil-les-Bains, et je me suis dit qu’il fallait que je trouve quelque chose de sérieux. J’ai candidaté pour Scènes et territoires en Lorraine. Que retenez-vous de cette période ? C’est un réseau monté par les fédérations d’éducation populaire, qui travaille à la diffusion de spectacles vivant en milieu rural, avec une méthodologie intéressante. Le développement local était très en vogue au début des années 2000, et on a fait des choses intéressantes, avec des bénévoles avec qui on a essayé de trouver un discours commun sur la

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culture, un comité de pilotage avec les collectivités avec qui on a discuté de la programmation. Quand vous êtes arrivé au Carreau à Forbach après trois années à la direction du TGP de Frouard, dans quelle situation aviez-vous trouvé le théâtre ? La maison était en déficit structurel. De plus, la mairie ne voulait plus la soutenir à la même hauteur, en retirant 250 000 € sur un budget de 1 300 000. Dans ce cas, le remboursement devenait impossible… J’y suis allé parce que j’aimais cette salle, que c’était important d’y être. C’est un des plus beaux équipements que je connaisse. Finalement, on a remboursé 360 000 € en trois ans. Contrôler les recettes est difficile quand on doit programmer moins de spectacles. Mais les spectateurs ont joué le jeu, ils ont continué à venir et on n’a pas perdu beaucoup de recettes ni d’abonnements. Je dis bravo à ma directrice administrative et à toute l’équipe, car on est passés de 14 à 9 personnes… Après trois ans, on a commencé à faire les choses qu’on avait envie de faire, et la ville nous a suivis à la hausse. Et dans quelle situation aviez-vous trouvé la ville ? Florian Philippot est seulement le thermomètre planté dans le cul du monde. Quelque chose de délétère est profondément inscrit dans le territoire, où survit une culture très archaïque liée à la gestion minière. Les habitants sont repliés sur leur petit pécule : toute coopération est compliquée, et on continue à être en compétition entre villes. Aujourd’hui, un jeune qui reste là, il a tout raté dans la vie. Car ceux qui attendent leur tour n’ont pas compris qu’on était dans une société libérale. Ce système pyramidal est en train de détruire ce qui reste d’énergie. Le seul exutoire est de reconnaître l’intelligence là où elle est, de faire confiance à ceux à qui ont ne fait pas confiance. Quel peut alors être le rôle d’un théâtre ? Il peut déconstruire les schémas mentaux. Par l’action culturelle, on peut faire remarquer aux enfants qu’ils ne sont pas aussi cons que ce qu’on dit, et qu’en persévérant on arrive à dépasser ses limites. Peut-être que s’ils sont plusieurs, ils arriveront à déverrouiller les situations municipales. Le perpétuel regret d’un âge d’or bloque tout. Alors quand les participants à un projet viennent de différents quartiers, de différentes générations, que plusieurs associations travaillent ensemble, on peut déconstruire cette idée de l’âge d’or, en réalisant qu’elle est différente pour chacun, et qu’il n’existe donc pas. On arrive à une prise de conscience dans la ville. De quoi êtes-vous fiers ? Que la maison soit encore debout et qu’elle continue. Pour moi cela montre que des gens pensent à l’avenir de ce territoire, et qu’on n’a pas fait tout cela en pure perte. Qu’auriez-vous aimé réaliser ? J’aurais bien aimé aller plus loin avec la Sarre, dans le projet ArtBrücken. Avec la Fondation pour la Coopération Culturelle Franco-Allemande de Sarrebruck, nous avons mis en place trois ponts : pour la population, les artistes et les œuvres. Il y a eu des blocages de paresse, d’indolence… Je pense donc je suis. Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? Le Français a des réponses, l’Allemand a des questions : ce sont deux métaphysiques qui se rencontrent. Qu’est-ce qu’on invente

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ensemble ? Qu’est-ce qui fait frein et comment on le dépasse ? La frontière est un des plus beaux endroits du monde ; l’Autre est là pour nous montrer que le monde est plus grand que nous. Je ne veux pas réserver le franco-allemand au bilinguisme. La maîtrise d’une langue étrangère est un marqueur social, or il faut que tout un chacun en profite. Nous avions par exemple du personnel bilingue pour que les spectateurs soient accueillis même s’ils ne parlent pas la langue. Quelle est la place d’un théâtre dans la cité aujourd’hui ? Il faut envahir le monde par des contrepropositions et déployer l’espace-temps de la fiction. J’y travaille avec des designers, des vidéastes, des créateurs de jeux vidéos, et on est assez peu nombreux dans le spectacle vivant. Aujourd’hui, par la dilution de responsabilité dont parlait déjà Hanna Arendt, on devient opérateur et non plus citoyen. Mais a-t-on le libre arbitre pour résister à cette logique ? Pour cela, pour résister à cette forme diminuée de citoyenneté, il faut être conscient de tout ce qu’il y a autour de nous. Si dans la salle de contrôle d’un pas de tir, chacun ne s’occupe que de sa console, la fusée explose. C’est parce qu’il y a conscience et connaissance de tout ce qui se passe que cela fonctionne. Et personne ne peut revendiquer la réussite de l’opération. La salle est vraiment heureuse parce que chacun s’est dépassé au contact des autres. Ce n’est pas en prenant le meilleur que l’humanité se grandit, mais en comprenant ses complémentarités. Il faut dépasser la somme de ce que chacun aurait pu produire. On peut alors se sentir un humain augmenté par l’humanité. Est-ce un des axes de votre projet pour le Maillon ? Strasbourg est-elle un lieu idéal pour cela ? La force de Strasbourg, c’est sa densité d’acteurs culturels. Aucun d’entre nous n’est capable de prendre le pouvoir seul et c’est plutôt bon. On va écrire des histoires ensemble, et si on s’y met tous, on pourrait faire vivre une drôle de communauté. Tout d’un coup, on aurait un lieu commun, une aventure collective. Mais il va falloir étendre le domaine de la lutte, aller vers des établissements qui ne sont pas reconnus. Si on veut toucher le maximum d’habitants, il faut aussi aller vers les villes de l’agglo. Le monde est multipolaire, personne n’est le centre. Le plaisir de la migration et des analogies libres, c’est ce que le numérique est en train de développer. J’arrive au moment où Stanislas Nordey [le directeur du TNS, nommé en juin 2014, ndlr] a une vraie angoisse du public, ce qui est rare chez un directeur. Renaud [Herbin, le directeur du TJP, nldr] n’est pas non plus un gardien de la marionnette traditionnelle. À nous d’assumer collectivement nos responsabilités, nos missions de service public. Il va falloir inventer des choses plus complexes que de vendre des places. La nomination de Chris Dercon à la Volksbühne [l’ancien directeur de la Tate Modern a pris la tête du mythique théâtre berlinois de la Volksbühne, succédant à Frank Castor, nldr] est pour moi importante. Quelle différence y a-t-il entre un programmateur et un curateur ? Le programmateur déniche et est content de montrer. Le curateur cherche à lever un principe, à proposer une lisibilité transversale, à montrer des axes. Il va construire une idée en associant un sédiment culturel avec l’art d’aujourd’hui, en réconciliant l’art et la culture, qui sont ennemis. L’art c’est le mouvement, la culture c’est le sédiment. Si on pouvait arriver à Strasbourg à cette réconciliation… Mais le terrain est déjà là. Avec le changement de génération, les schémas mentaux ne sont pas les mêmes.


Par Emmanuel Abela

Au bout de la jetée Pari audacieux pour Chapelier Fou, Matt Elliott et Maxime Tisserand que de mettre en musique La Jetée de Chris Marker. Nul doute, ces artistes d’exception sauront se hisser à la hauteur de ce chef-d’œuvre éternel ! Chris Marker n’est naturellement pas l’homme d’un film – il a signé bon nombre de documentaires dont Le fond de l’air est rouge, sans compter ses collaborations auprès des plus grands, et multiplié les approches formelles les plus aventureuses –, mais il reste pour nous l’homme du ciné-roman La Jetée (1962), « L’histoire d’un homme marqué par un souvenir d’enfance ». Autant y aller tout de go et poser la question telle qu’elle devrait être posée : et si La Jetée était le plus beau film au monde ? Doublé de la plus belle histoire d’amour ? Bon, même si on en a la conviction intime, l’affirmer paraît d’autant plus exagéré que l’œuvre en elle-même ne constitue pas un film de cinéma à part entière : l’objet est un cas unique dans l’histoire du cinéma puisqu’il est construit sur la base d’un diaporama animé avec voix-off et bande-son. Très rapidement, on oublie le dispositif pour se plonger dans le récit apocalyptique de l’après-Troisième Guerre mondiale : Paris a été bombardée, la Terre

en surface devient inhabitable, les survivants se cachent dans les sous-sols de la ville ; certains d’entre eux servent de cobayes à l’occupant pour des expériences qui visent à les plonger dans le passé en quête de la clé du temps. La plupart de ces cobayes meurent ou deviennent fous. Un homme, un seul, résiste aux effets du transport temporel : dans le passé, il retrouve une femme – sublime Hélène Châtelain, figure même du sentiment ! Cette femme apparaît dans un souvenir qui le tenaille sur la jetée, à Orly… « Une fois sur la grande jetée d’Orly, dans ce chaud dimanche d’avant-guerre où il allait pouvoir demeurer, il pensa avec un peu de vertige que l’enfant qu’il avait été devait se trouver là aussi, à regarder les avions. Mais il chercha d’abord le visage d’une femme, au bout de la jetée. […] » Lorsqu’il s’est éteint le 30 juillet 2012, le jour même de ses 91 ans, Chris Marker, s’est-il dédoublé comme le personnage principal de son chef-d’œuvre absolu inspiré par Vertigo d’Alfred Hitchcock et qui a inspiré en retour L’Armée des douze singes à Terry Gilliam ? Peut-être s’est-il « réveillé dans un autre temps », lui qui a gardé la candeur, l’enthousiasme mais aussi la profonde lucidité de l’enfant. LA JETÉE de Chris Marker, ciné-concert de Chapelier Fou, Matt Elliott et Maxime Tisserand le 13 octobre à 19 et 21h au CCAM – Scène nationale, à Vandœuvre-lès-Nancy www.centremalraux.com

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Par Clément Cogitore

Qui pour me contenir ? Présenté en mai dernier à la Semaine de la Critique à Cannes, Ni le ciel ni la terre de Clément Cogitore sort en salles. L’occasion pour le cinéaste alsacien de revenir sur les conditions d’un tournage épique à Ouarzazate à partir des notes de son carnet personnel.

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Jeudi 28 août 2014 Vol Casablanca-Ouarzazate, 23h Je retrouve avec plaisir ce vol rempli d’équipes de tournage où chacun converse en arabe, anglais, français, italien... Ouarzazate est devenu une sorte d’Hollywood où se tourne tout ce qui a, de près ou de loin, à voir avec le désert. Il y a deux ans l’économie locale menaçait de s’effondrer, faute de productions suffisantes. Cette année Clint Eastwood et Werner Herzog viennent de finir d’y tourner et les studios et environs sont envahis par des tournages de séries canadiennes et américaines. Je pensais arriver en terrain conquis avec notre budget de 2,5 millions d’euros. On fait plutôt figure de court-métrage à côté des poids lourds des studios. Je vais rejoindre ce soir l’équipe déjà en place depuis plusieurs semaines sur le décor. Les nouvelles sont mauvaises : nos containers de matériel militaire en provenance de Londres sont bloqués au port de Casablanca pour cause d’erreur administrative dans la déclaration de douane, les comédiens afghans et iraniens n’ont toujours pas de visa, les coûts explosent du fait du nombre de tournages simultanés, et les meilleurs techniciens de la région partent les uns après les autres sur de plus grosses productions. Après un court sommeil, la piste de l’aéroport de Ouarzazate apparaît déjà à travers le hublot, faiblement éclairée, comme perdue au milieu du désert. J’essaie de me dire que tout ira bien. Samedi 13 septembre Ouarzazate, Hôtel Karam, 23h30 Grande joie et soulagement de voir les comédiens enfin rassemblés sur le décor. Chacun enfile son uniforme, choisit son arme. La section se met en ordre de marche pour une visite des décors, sous l’œil bienveillant du reste de l’équipe. En bon officier, Jérémie [Rénier, ndlr] prend la tête de la colonne. Dans la vallée, les comédiens sont surexcités comme une classe d’enfants un jour de carnaval. Ils apportent une énergie nouvelle et un désir du film qui recharge tout le monde ici, moi le premier. Premier moment de confiance et de joie depuis mon arrivée. Car on est maintenant à moins de deux jours du tournage et toute l’équipe est déjà submergée par les problèmes et les retards. La déco surtout : mal-

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gré le dévouement et le travail acharné des décorateurs, ouvriers et peintres, le camp et les postes de gardes sont loin d’êtres prêts. Le matériel arrive au compte goutte, est monté à dos d’âne sous un soleil de plomb et une chaleur de plus de 40°. J’ai du mal à voir comment tout ça sera prêt lundi... Dimanche 21 septembre Ouarzazate, Restaurant Chez Dimitri, 13h Cette première semaine de tournage m’a fait l’effet d’un tsunami. Difficile encore de discerner ce qui est de l’ordre de la réussite de qui est de l’ordre du naufrage mais deux sentiments dominent : 1) je sens que la majeure partie de ce qui rentre dans la caméra « fonctionne » et représente probablement ce que j’ai pu faire de mieux jusqu’à ce jour. 2) il est une évidence pour tout le monde que tout ce qui se passe autour de la caméra est – malgré les efforts de tous – un chaos incontrôlable, inorganisé et souvent dangereux qui risque chaque jour de faire s’effondrer la petite entreprise désespérée qu’est ce film. Manque de temps, de préparation ou de chance, épuisement, scorpions, maladies, racket font déjà partie de notre quotidien. Pour ce qui est du chaos du plateau j’en suis en grande partie responsable : j’ai décidé de construire chaque séquence en improvisant la mise en scène dans un mode quasiment documentaire. Cette nouvelle manière de travailler, que nous importons Sylvain [le chef opérateur] et moi de notre expérience documentaire, injecte un naturel et une énergie singulière dans les rushes mais déstabilise une grande partie de l’équipe et les comédiens, qui se sentent dirigés par un réalisateur incapable de concevoir un découpage. Pour ne rien arranger, un fossé d’incompréhension se creuse entre techniciens et comédiens. Sur les conseils de Cécile [la scripte], j’ai fait envoyer des images aux agents des comédiens, j’ai rassemblé hier soir tout le monde autour d’un tajine préparé par Asna [la cuisinière], arrosé de Sidi-Brahim et de vodka, et organisé une projection de rushes. Rassurés par les appels de leurs agents, les comédiens étaient dans de bonnes conditions, l’équipe désireuse d’en voir un maximum, et l’alcool a fait le reste. Première (petite) victoire. Mais la bataille ne fait que commencer. Mardi 30 septembre Ouarzazate, Hôtel Karam, 01h Hier, le décor a pris feu et la tente costume a entièrement brûlé. Cela a tout bonnement achevé le peu de confiance que chacun gardait en lui pour la suite des évènements. Aujourd’hui, après une matinée à courir dans la montagne derrière des moutons qui profitaient de chaque prise pour s’échapper vers les sommets, le ciel est devenu noir en quelques minutes et un orage terrifiant à saisi la vallée. L’oued s’est immédiatement transformé en torrent. La voi-

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ture de Thomas [le directeur de post-production] a été emportée dans le ravin par une coulée de boue. Sur le plateau, chacun courrait trempé, après les caisses de matériels emportées dans la pente. La piste vers le village est maintenant coupée et le fond de la vallée inaccessible. Pour arriver à rentrer à Ouarzazate il nous a fallu poser des pierres devant les 4x4 pour franchir certains virages emportés par les torrents. Demain, toute la journée sera consacrée à remettre en état de marche le matériel et à faire en sorte que l’amas de pierre et de boue qu’est devenu notre décor ressemble à un camp militaire. La pluie ne s’arrête toujours pas. À Ouarzazate, les égouts débordent. Tous les tournages de la région sont arrêtés. J’ai pris un verre avec Jérémie tout à l’heure. Il pleut sur son lit. Les constructions ici ne sont pas prévues pour résister à autant de pluie, elles fondent et de la boue suinte des murs. Dans ma chambre, je lève le regard. Ici aussi des gouttes perlent au plafond. Je n’arrive pas à me réchauffer, je tousse. J’enfonce mes écouteurs dans mes oreilles : Fire walk with me d’Angelo Badalamenti. Fort, très fort. Tout cela ressemble à un – trop long – cauchemar.


Dimanche 5 octobre Sur le décor, 18 h Voilà quatre jours que je dirige le plateau avec une forte fièvre et une douleur qui me plie le ventre en deux. Les antibiotiques d’ici n’ont pas eu pour l’instant un effet particulièrement efficace. L’avantage de la fièvre c’est qu’elle soulage l’extrême tension que ce film inflige à mes nerfs depuis des mois. Les problèmes et échecs successifs du tournage m’apparaissent alors nimbés dans une brume vaporeuse qui les rends lointains et inoffensifs. La production a accepté que je parte ce dimanche (notre seul jour de repos) avec Vincent [le premier assistant], Sylvain, Ahmed [le régisseur], quelques guides marocains et un mouton pour tourner un plan du mouton au sommet de la montagne, qui manquait à une séquence. Voyant mon état, les marocains m’ont géné-

reusement laissé la banquette et sont montés à l’arrière sur le plateau avec le mouton. Le pick-up gravit péniblement la piste. Le soleil couchant découpe sur la pente les ombres du mouton et des hommes, dansant au rythme de Cler Achel de Tinariwen que le chauffeur monte jusqu’à saturation. La voix élégiaque d’Ibrahim ag Alhabib s’élève dans l’Atlas. Cette musique me renvoie à un soir de mon enfance ou par un étrange hasard, ce même Ibrahim et ceux qui n’étaient alors que des rebelles touaregs avec une guitare à la main sont venus jouer autour d’un feu, dressé par mon père dans le champ devant notre maison, dans d’autres montagnes : celles du pays Welche. Grâce à ce lien secret et inattendu qui m’apparaît comme un signe, je sens que pour la première fois depuis mon arrivée ici, je suis connecté à ce pays, cet endroit, ces gens. Et je me dis que malgré tout le cauchemar que représente ce tournage, ce que je tente d’accomplir ici à peut-être un sens. Pour un peu je ressentirai presque de la joie. Jeudi 16 octobre Ouarzazate, Hôtel Karam, 12h Tournage la nuit dernière de la dernière séquence en caméra infrarouge. La peinture phosphorescente qui recouvrait les soldats les fait apparaître comme de gigantesques lucioles, des spectres. Cette idée toute simple a produit un effet saisissant, plongeant les comédiens, l’équipe et moi même, dans une atmosphère surréelle. À la grande surprise de tout le monde, la nuit s’est passée dans le calme, la concentration et sans la moindre catastrophe. Je n’ai aucune idée de comment, une fois rassemblé, fonctionnera l’ensemble du matériau tourné ces dernières semaines, et s’il aura une quelconque cohérence mais je sais que si ce type de séquence parvient à provoquer chez le spectateur une sidération à la hauteur de celle qui nous a saisi au tournage, le pari est en partie gagné. Isabelle [la monteuse] continue à visionner les rushes à Paris quand la connexion Internet locale permet de les lui envoyer. Elle me rassure, me dit de ne rien lâcher, et que malgré tous les problèmes de raccords et de plans manquants, on tient quelque chose de neuf et qui ne ressemble à rien d’autre. Je titube de fatigue en arrivant sur le plateau le matin, j’ai beaucoup maigri, je ressens des courbatures partout et mon cerveau passe en mode veille dès qu’il s’agit devant moi d’autre chose que de mise en scène. Je suis devenu complètement absent à toute forme de vie sociale. Comme presque tous les soirs maintenant, je dîne seul au restaurant de l’hôtel pour éviter toute conversation et fatigue supplémentaire. Je suis un vieillard convalescent. Il nous reste une semaine de tournage. On me dit de me préparer psychologiquement à la fin, qu’une fois le tournage terminé je risque de déprimer, de me sentir seul et inutile. S’il y a bien quelque chose qui me réjouit c’est l’idée que tout ça prenne fin. Je rêve la nuit des lumières de l’aéroport d’Orly, de ma bibliothèque et des terrasses du 18° arrondissement. Et parfois aussi, de l’odeur rassurante du café dans la salle de montage.

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Par Emmanuel Abela

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Nicolas Humbert vient au festival C'est dans la Vallée présenter Step Across The Border, le film qu’il a réalisé avec Werner Penzel sur le guitariste et violoniste anglais Fred Frith. Il montre également Ramper, un film muet de 1927 adapté à partir d’une pièce de théâtre de son grandpère, Max Mohr, et mis en musique par son propre fils.

Playfulness On se souvient il y a quelques années de cela d’une interview que nous avait donnée Vincent Moon, réalisateur de films musicaux et initiateur des Concerts à emporter avec le succès que l’on sait. Il nous avait précisé les contours de sa création qui s’appuyait sur des principes d’improvisation empruntés au jazz, lesquels lui avaient été suggérés par la vision de Step Across The Border de Nicolas Humbert et Werner Penzel. Il opposait alors le modèle de D.A. Pennebaker, célèbre cinéaste qui avait réalisé Don’t Look Back sur Bob Dylan en 1967 – « un cinéma documentaire qui fige la musique ! » – au film des réalisateurs suisses sur l’artiste Fred Frith : « Je connais très peu d’expérience d’un cinéma, nous expliquait-il alors, qui arrive ainsi à se mettre au niveau de la musique ». On mesurait dès lors l’influence marquante de ce film sur toute une génération de réalisateurs qui cherchaient des solutions quant à la relation entre images et sons. Quel chemin parcouru depuis les premières projections en 1991, dont une mémorable en ouverture du festival des Droits de l’Homme, à Strasbourg. « Tu y as assisté ?, m’interroge Nicolas

Humbert. Nous avons fait plein de projections à l’époque, mais celle-là on s’en souvient ! C’était l’une des premières. Il y a des moments qui restent très présents dans la vie d’un réalisateur ! » Se souvient-il de ces poignées d’invités qui se bousculaient pour sortir dès le générique ou plutôt de la ferveur qui a pu leur être manifestée à l’issue de la projection par un public enthousiaste ? Sans doute un peu des deux. Il doit se souvenir surtout que c’était là le début d’une très belle destinée pour le film. Mais revenons un peu en arrière, le choix de Fred Frith ne pouvait être complètement innocent. Dans ces années-là, il rayonne de mille projets à travers le monde, près de deux décennies après le début de ses premières expériences musicales pop au sein des très avantgardistes Henry Cow. Pourquoi le choix s’est-il porté sur lui ? Tout simplement parce que sa démarche basée sur l’improvisation est jugée voisine de la leur par les deux réalisateurs. « Nous cherchions, se souvient Nicolas, une forme d’échange, cette forme-là n’était possible qu’avec un musicien qui partageait des vues communes. » D’emblée est écartée

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l’idée de tout portrait. C’était même l’une des conditions à la contribution de Fred Frith au projet. Il leur dit : « Je suis intéressé par un processus, mais surtout pas par l’idée d’un documentaire sur moi ! » Autour d’un plat de spaghetti à Munich, Nicolas et Werner exposent leur point de vue : ils insistent sur l’idée que cette improvisation constitue en elle-même « un modèle de société parce qu’elle offre de l’espace à l’autre ». L’idée ne peut que séduire le guitariste anglais dont

il n’y a pas de séparation entre le travail de l’artiste et la vie. C’est une conviction qui nous lit, Fred et nous.

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on connaît par ailleurs l’engagement. Tous trois se retrouvent en phase et le dispositif d’un véritable trio se met en place tout en avançant dans l’inconnue par rapport au résultat final. Chacun apprend à se connaître dans le travail, y compris les réalisateurs eux-mêmes dont c’est la première collaboration après de longues années d’amitié. « Nous avions décidé de coréaliser le film, ce qui n’est pas si fréquent. Il nous fallait donc fixer les conditions de cette expérimentation à deux. » Fred Frith devient le partenaire idéal d’un processus qu’ils ont fixé pour eux-mêmes, « comme troisième élément, mais aussi comme focus. Comme point de cristallisation d’une idée », précise Nicolas. Peu de temps après, Nicolas et Werner reçoivent un courrier de Fred qui leur précise qu’il va passer deux mois au Japon – il est alors marié avec la chanteuse japonaise Tenko Ueno –, une occasion pour eux de le rejoindre. « Pour nous, c’était vraiment ‘out of the blue’. Nous nous retrouvions dans la situation concrète », sans pour autant que le financement ne soit assuré, et avec du matériel 16 mm, dont ils n’ont aucune garantie qu’il soit suffisant. « Oui, organiser un tournage dans l’un des pays les plus chers, en tant que réalisateurs indépendants sans budget… », Nicolas en rit encore, mais on imagine aisément le moment de stupeur. La chance leur fait croiser la route de Peter Zobel, qui avait assuré le road-management sur Tokyo-Ga de Wim Wenders ; ce dernier a vécu au Japon, il parle le japonais et accepte de les rejoindre dans l’aventure. En janvier 1988, la petite équipe part pour un mois à Tokyo. Ils profitent de leur séjour, non seulement pour organiser des instants de tournage avec Fred, mais aussi pour filmer toutes ces scènes complémentaires avec des paysans japonais, le couple de retraités se réchauffant les pieds à la gare ou des motifs plus abstraits comme la machine à retourner la guimauve. En tout et pour tout 3 heures de rushes. Lesquels contiennent un premier matériau nécessaire pour leur projet, à savoir confronter les images et sons de la vie quotidienne à des instants musicaux. « En découvrant les rushes, nous étions fascinés !, se souvient Nicolas, Sans perspective particulière de financement, nous sentions que le film prenait cependant forme. » Le hasard des rencontres fait qu’un jeune producteur suisse, Res Balzli se montre intéressé ; les premières images projetées finissent par le convaincre. « Il nous a dit : c’est ok, je prends le risque ! » Dès lors, les réalisateurs ont le champ libre, ils savent qu’ils peuvent aller au bout. Fred Frith est cependant un animal artistique libre, il s’agit de l’apprivoiser. Il a eu l’occasion d’exprimer la difficulté qui était la sienne de se savoir filmé en permanence. La meilleure façon de le mettre à l’aise, c’était de s’inscrire parfois dans ses envies. « La balance était équilibrée, nous relate Nicolas, il nous faisait des propositions auxquelles nous accédions, nous


lui en faisions en retour. Il se sentait à l’aise avec nous, c’était essentiel ! » Il était assuré qu’à la fin son image ne serait pas faussée. Cette confiance – « d’amitié jusqu’à un certain point » – l’a libéré au point de se livrer à ces scènes amusantes où on le voit faire ses courses pour acheter les amuse-bouches qui vont servir pour quelques expériences sonores aussi bien intimistes que surprenantes. L’une des vraies mises en scène, où l’artiste a suivi les recommandations des deux réalisateurs. « C’était basé sur son projet de guitare sur la table qu’il avait cessé de développer sur scène. Là, de le transposer dans l’espace privé, c’était presque inespéré. C’était bien la preuve en tout cas que l’échange restait vivant entre nous quant aux situations à créer. » Cette part d’intimité crée une proximité. Nicolas le confirme : « En fait, nous étions trois joueurs. Et cette part de jeu nous a connectés les uns aux autres ». Elle finit par connecter le spectateur aussi, serait-on tenté de rajouter. Ce qui explique à la fois la notoriété du film, mais aussi la rupture qu’il a marqué pour de nombreux cinéastes qui cherchaient à trouver la solution dans la relation entre sons et images. Peutêtre dit-il même plus que cela de l’acte créateur lui-même. « C’est contenu dans la citation que Fred lit de Cartier-Bresson

dans le film : il n’y a pas de séparation entre le travail de l’artiste et la vie. C’est une conviction qui nous lit, Fred et nous. » Et de nous rappeler que Cartier-Bresson accorde dans sa volonté de transmettre plus d’importance à l’instant vécu qu’au résultat final. Le message libérateur de Step Across The Border tient peut-être là, d’où l’importance de le voir, et même de le revoir, aujourd’hui, près de 25 ans après sa sortie. Nicolas Humbert ne cache pas l’émotion de le montrer aujourd’hui encore, le film a posé la base de sa longue collaboration avec Werner Penzel. À Sainte-Marie-aux-Mines, l’occasion sera doublée d’un instant particulier : en effet, son fils, Noah Fürbringer, est invité au festival pour un ciné-concert autour d’un film muet de son grand-père, Max Mohr. Nicolas nous explique les conditions de cet événement incroyable. « Mon grandpère était écrivain dans les années 20, il était proche de Thomas Mann et D.H. Lawrence. Il a écrit près d’une trentaine de pièces de théâtre et des romans. En 1934, comme il était juif il a quitté l’Allemagne pour Shanghai. Il y a préparé l’arrivée de ma mère et de ma grand-mère, mais il est décédé en 1937. Son histoire était relayée au sein de la famille comme un mythe, avec en toile de fond Berlin dans les années 20. Ma mère et ma grand-mère ont survécu à

la guerre, protégées par des paysans à la campagne. On imagine l’importance de cette histoire pour moi. Le premier film que j’ai réalisé était consacré à ma mère. Elle était marquée par son enfance, il ne lui semblait pas évident de pouvoir s’occuper de l’œuvre de son père. Et comme parfois dans l’histoire, c’est le petit-fils qui se charge d’explorer la vie et l’œuvre de son grand-père. L’une de ses pièces jouées dans les années 20, Ramper, der Tiermensch, racontait l’histoire d’un aventurier qui explorait l’Alaska avant de se crasher en avion dans la montagne où il a survécu en homme-animal avant de retourner à la civilisation, exhibé telle une bête de cirque. Ce récit a été adapté au cinéma en 1927 par Max Reichmann avec un acteur expressionniste, star du muet et ami de mon grand-père, Paul Wegener. En effectuant des recherches, j’ai trouvé une copie du film dans les archives à Londres. Je l’ai montrée en décembre à l’occasion d’une exposition sur son œuvre à Munich, avec une improvisation de Martin Otter, un cinéaste avec qui j’ai travaillé et musicien, et Noah, mon fils batteur. Quand j’en ai parlé à Rodolphe, il m’a aussitôt invité à présenter ce projet sous la forme d’un ciné-concert à Sainte-Marie. » Bien sûr, on sent poindre une émotion particulière dans l’évocation de ce projet. Une émotion qu’il tente de contenir par : « C’est une sacrée histoire, non ? », mais qui dit surtout l’importance encore une fois du vécu, de la transmission et de la filiation dans toute démarche artistique. L’artiste est une somme, il est porteur de tous les termes de cette addition-là pour luimême sans doute, mais aussi et surtout pour nous tous. C’EST DANS LA VALLÉE, festival du 9 au 11 octobre, à Sainte-Marie-aux-Mines Débat « Filmer la musique » animé par Xavier de La Porte en présence de Nicolas Humbert, le 10 octobre à 15h au Foyer du théâtre Ciné-concert Ramper, der Tiermensch de Max Reichmann par Martin Otter et Noah Fürbringer, le 10 octobre à 18h, au Foyer du théâtre Projections en alternance de Step Across The Border de Nicolas Humbert et Werner Penzel au Foyer du théâtre, dans le cadre de la carte blanche à Nicolas Humbert, durant toute la durée du festival www.cestdanslavallee.fr

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Par Philippe Schweyer Photo : SÊbastien Bozon

Le territoire des possibles 62


Nous avions rencontré Lionel Baier pour la première fois en 2009, à l’issue de la projection d’Un autre homme, pendant le festival EntreVues à Belfort. Ce premier contact avec un cinéaste prometteur nous avait donné envie de suivre l’évolution de son cinéma. Trois films plus tard, retrouvailles au cinéma Bel Air à Mulhouse avec un cinéaste désormais confirmé. Comment êtes-vous devenu cinéaste ? J’ai commencé par faire des documentaires, un genre très apprécié en Suisse, ce qui m’a permis de faire mon premier film de fiction, Garçon stupide, quand j’avais 26 ans. J’ai fait des films très vite avec relativement peu de moyens. Je n’ai pas de parents qui ont travaillé dans le cinéma, je ne viens pas d’un milieu artistique, mais j’ai travaillé comme placeur, puis comme projectionniste avant d’organiser un ciné-club, de rencontrer des réalisateurs et de devenir assistant. C’est comme ça que j’ai appris le cinéma. C’est allé très vite. Vous n’avez pas fait d’école de cinéma ? Non, je n’ai pas fait d’école. Maintenant je donne des cours à l’Ecal à Lausanne, mais la première fois que je suis rentré dans une école de cinéma, c’était pour enseigner. Ça prend un peu plus de temps d’apprendre sur le tas, mais c’est une façon possible d’arriver à ce métier. Étiez-vous cinéphile ? J’ai appris à faire des films en regardant comment ils étaient montés. Quand j’étais projectionniste, j’étais tous les soirs en cabine. C’est surtout intéressant de regarder les mauvais films pour chercher à comprendre pourquoi c’est mauvais, pourquoi ça ne marche pas.

C’est beaucoup plus difficile de repasser par les endroits par lesquels les cinéastes sont passés pour réaliser des chefs-d’œuvre. Quand je vois un film de Lubitsch, je peux juste être admiratif, mais je ne sais pas comment ça a été fait. Avez-vous été marqué par des réalisateurs suisses ? Les films de Claude Goretta comme La Dentellière et L’Invitation ou les premiers films d’Alain Tanner m’ont marqué, mais ça n’a jamais été mes cinéastes de prédilection. Votre société de production s’appelle Bande à part… Godard a tellement marqué le cinéma mondial qu’on ne peut pas échapper à son influence. La façon de faire des films et le discours sur le cinéma ont tellement évolué avec son œuvre que beaucoup de gens empruntent à Godard sans le savoir. Godard oui, mais pas plus ou moins que tout le monde ! La presse est moins enthousiaste pour La Vanité que pour Les Grandes Ondes. Lisez-vous les critiques ? Je les lis toujours. C’est amusant, il y a des films pour lesquels vous êtes soutenus par des journaux que vous lisez et là, c’est le contraire. La Vanité est plus intéressant formellement que Les Grandes Ondes, mais le sujet est moins facile. Les Grandes Ondes est un film avec un sujet qui va vers le spectateur, alors qu’il faut passer par-dessus plusieurs obstacles pour arriver à La Vanité. Souvent, il y a des critiques qui trouvent le film mauvais mais qui sont de bonnes critiques bien écrites et il y a parfois des critiques très favorables au film qui sont de mauvaises critiques très mal écrites. Il faut se méfier quand les films font l’unanimité. Je suis plus à l’aise avec une critique très clivée comme pour La Vanité. Quand tout le monde aime, je me demande pourquoi et je trouve ça suspect que le film ne dérange pas du tout. C’est bien quand les films heurtent, ça signifie que vous n’êtes pas dans la facilité. Peut-être que les gens aimaient Les Grandes Ondes pour de mauvaises raisons ? Comment choisissez-vous le sujet de vos films ? Il y a des sujets qui m’habitent depuis un petit moment, que j’ai envie de traiter

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Un scénario n’est pas un objet littéraire, c’est un objet complètement impur destiné à être trahi, écrasé, détruit, piétiné. et il y a des films qu’on me propose, des maisons d’édition qui m’envoient des livres que je pourrais adapter. Un livre, ce n’est pas un scénario et les bons livres ne font pas forcément les bons films. C’est même souvent les mauvais livres qui font les bons films puisqu’on se débarrasse très vite du livre en tant que tel. La littérature a parfois une finesse que le cinéma n’a pas et vice versa en fonction des sujets. Quand Godard s’empare d’un livre, il n’en reste plus rien… Godard cite tout sans payer : les extraits de film, la musique… C’est la seule personne au monde qui peut se permettre de prendre des extraits de films et de faire des citations d’auteurs sans payer des droits. Personne n’ose l’attaquer. Coller un procès à Jean-Luc Godard, ce n’est pas très smart. S’il devait payer des droits pour tout ce qu’il cite, ça serait énorme. Vous êtes prof à l’Ecal, donc ça s’enseigne le cinéma ? Ça se travaille. C’est comme la littérature. On ne peut pas faire une école d’écrivain, ça n’existe pas. Il n’y a pas de raison qu’il y ait une école de cinéastes non plus. Par contre, quand on est écrivain, on peut rencontrer d’autres écrivains, parler de la problématique de l’écriture, entendre les recettes des autres, mais pas pour les adapter, juste pour essayer de comprendre comment ça fonctionne. Quand vous essayez de faire comme quelqu’un d’autre, ça ne marche jamais. L’école de cinéma est simplement un endroit où on permet à de jeunes auteurs d’essayer.

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Avez-vous toujours besoin d’un partenaire pour écrire vos scénarios ? J’ai écrit des films sans personne, mais c’est agréable d’être deux. Si j’étais toujours tout seul, je ne pourrais pas écrire plusieurs scénarios à la fois. C’est agréable de faire du ping-pong avec des gens qui me permettent de mener plusieurs projets de front. Est-ce une méthode qui vous est propre ? J’ai commencé par travailler avec des gens que j’aimais bien. Julien Bouissoux – qui a écrit avec moi Les Grandes Ondes et La Vanité – m’a envoyé deux de ses livres publiés chez L’Olivier parce qu’il avait vu un de mes films. On s’est rencontrés et on a commencé à collaborer même s’il n’est pas du tout scénariste au départ. Souvent les écrivains sont des bons coscénaristes parce qu’ils ne se posent pas tellement des questions de structures cinématographiques, mais plutôt de personnages et de récit et c’est ce qui m’intéresse. Avez-vous déjà le film en tête une fois que le scénario est prêt ? Surtout pas ! J’espère toujours que le film sera bien mieux que le scénario. Un scénario n’est pas un objet littéraire, c’est un objet complètement impur destiné à être trahi, écrasé, détruit, piétiné. Les comédiens font que le film est bien plus intéressant que le scénario. Je n’aime pas les scénarios, je n’aime pas les écrire et je n’aime pas les lire. Quand je pars en tournage, je dis à tout le monde qu’on ne va pas faire le scénario, qu’on va faire un truc mieux que le scénario ! Il faut vraiment dire dans le scénario ce qu’on veut tourner et en même temps il faut être capable de le dépasser. Quand les gens trouvent un scénario super, c’est comme s’il y avait quinze signaux d’alarme qui s’allumaient. Attention, ils ne vont pas vouloir que je fasse autre chose que ce qu’il y a écrit !

Y a-t-il une part d’improvisation pendant vos tournages ? Ça dépend… Les Grandes Ondes est assez fidèle au scénario, même si beaucoup de choses ont été apportées par les acteurs. La Vanité est également assez fidèle au scénario. C’est le matin, au moment de commencer à tourner que je décide comment on va filmer et comment on va couper. Beaucoup de choses bougent quand on est en train de fabriquer le film. Je pars du principe qu’il faut laisser tout ouvert. La scène de danse dans Les Grandes Ondes, c’est un truc que vous aviez envie de faire dès le début ? Ce n’était pas dans le scénario, mais j’aime bien quand le film sort un petit moment de ses gonds. Dans les comédies françaises des années 70 il y avait souvent un moment musical pour faire avancer l’intrigue comme quand Rabbi Jacob se met à danser. J’aime bien ce truc de comédie pour accélérer le récit. La scène de danse dans Les Grandes Ondes, c’est trois lignes de scénario qui nécessitent deux jours de tournage. Une scène de danse est plus intéressante qu’une scène de dialogue. La scène où Michel Vuillermoz parle en portugais est moyennement drôle dans le scénario, mais elle devient très drôle dans le film parce qu’il le fait brillamment. Quand on réalise une comédie, il faut souvent se méfier de ce qui est drôle sur le papier parce que ça ne sera peut-être pas drôle à l’écran et vice versa. Avez-vous souvent envie d’être drôle, de tirer vos films vers la comédie ? Ce qui est intéressant avec la comédie, c’est que quand vous réussissez à être drôle, vous êtes en communion avec la salle. Le rire est une forme d’intelligence. C’est une façon de faire circuler une idée et si les spectateurs rient, ça veut dire qu’ils ont entendu. Les sujets graves se prêtent bien à la comédie. Dans les années 70, on se moquait davantage du pouvoir qu’aujourd’hui. La série des gendarmes avec Louis de Funès, c’était ça ! Il y avait de l’anarchie, des nudistes, des histoires improbables qui obligeaient les gens à sortir de leur terrain habituel. Aujourd’hui, on glorifie La Poste, on glorifie les douanes et les personnages ne sont plus du


tout dans le désordre. J’avais l’envie de raconter l’histoire de personnages qui sont au service de l’État, de la radio nationale, et qui se retrouvent dans le désordre. Quoi de pire pour des Suisses que d’être pris dans le désordre ! Je voulais raconter cette prise de liberté et c’est un peu la même chose dans La Vanité, sauf qu’au lieu de se passer au niveau d’un pays, ça se passe dans une chambre d’hôtel. Dans Les Grandes Ondes, il y a aussi des moments tristes… C’est le cas aussi dans La Vanité. Quand les gens parlaient des Grandes Ondes ils disaient que le film les avait beaucoup émus. Les bonnes comédies font passer d’un stade à un autre comme dans le cinéma italien qui a cette propension à être très drôle et très triste. Le côté « plein de vie » du cinéma italien manque un peu aujourd’hui… Il y avait une forme de générosité dans ce cinéma. Peut-être que la façon dont les films se financent ne permet plus vraiment de déborder. On est coincés dans des cases, ce qui rend les films plus froids, plus secs, moins vivants qu’à la grande époque du cinéma italien. Dans Les Grandes Ondes, Valérie Donzelli a une forme de générosité qu’on trouvait dans le cinéma italien. Oui, ça correspond à son personnage. En 1974, les corps étaient libérés. La scène qui est historiquement la plus juste, c’est quand elle sort de l’eau toute nue et qu’elle n’est pas gênée de remettre sa culotte. À l’époque on se disait qu’il n’y avait pas de raison d’avoir honte de son corps… Cette scène était-elle prévue dans le scénario ? Oui, mais c’est Valérie qui a eu la jolie idée de prendre un imperméable pour se couvrir, comme un clin d’œil aux exhibitionnistes qui font plutôt le contraire. J’ai écrit le film en pensant à Valérie Donzelli qui est une amie de longue date. Quand elle tournait La Reine des pommes, j’étais en train de réaliser Un autre homme. On se passait du matériel parce qu’on n’avait pas d’argent. Je comprends qu’elle se soit mise à la réalisation parce que c’est une actrice à l’ancienne comme il n’en existe plus vraiment. C’est une grande

Quand tout le monde aime, je me demande pourquoi et je trouve ça suspect que le film ne dérange pas du tout. comédienne qui aurait pu être une Bernadette Lafont dans les années 60 ou une Marie-France Pisier, des filles qui étaient à la fois belles, intelligentes et sexy. Dans les comédies actuelles, il n’y a plus de personnages un peu complexes. Je voulais écrire pour Valérie un rôle qui ressemble à ceux qu’on donnait aux actrices à l’époque de la Nouvelle Vague, même quand on faisait des comédies. Dans Une Belle fille comme moi, Bernadette Lafont est une pin-up, mais ça ne l’empêche pas de dire des choses drôles et de dominer les hommes. Pour La Vanité, vous avez travaillé avec une autre grande comédienne, Carmen Maura. Je lui avais envoyé le scénario en avril 2014, mais elle ne semblait pas décidée à faire le film alors j’ai pris l’avion pour aller la trouver à Madrid. J’étais très anxieux. J’ai acheté des fleurs dans la rue en bas de chez elle. Elle vit dans un grand appartement, comme celui qu’on voit dans Femmes au bord de la crise de nerf. Quand elle a ouvert la porte, j’ai vu cette magnifique actrice avec cette voix chaude, sensuelle et j’ai commencé à lui expliquer mon projet en bafouillant un peu et en m’emmêlant les pinceaux parce que je voyais bien qu’elle n’allait pas faire le film. Elle ne voulait pas tourner avec un réalisateur intellectuel français ! Je lui ai dit que j’étais Suisse et que j’étais bête comme un paysan de montagne, mais ça ne suffisait pas. Ce que je ne savais pas c’est que Carmen Maura est une grande fan des cafés Nespresso. George Clooney à côté, ce n’est vraiment rien ! Quand elle m’a proposé un café par politesse avant de se débarrasser de moi, je lui ai dit que le siège social de Nespresso était à Lausanne, à côté de chez moi, et que c’est là qu’ils ont inventé le concept. À ce moment-là, elle a complètement changé et j’ai su qu’elle allait faire le film… ni pour mon talent, ni pour le scénario, mais pour les capsules !

Êtes-vous influencé par d’autres cinéastes ? Bien sûr. Quand on prépare un film, on se nourrit énormément des autres. Il ne faut pas en avoir peur. C’est bien que les films se citent, se répondent. Pour La Vanité, j’ai beaucoup pensé aux films de Frank Capra, aux films d’Hitchcock, au cinéma classique américain. Pourriez-vous travailler à Hollywood si on vous le proposait ? Non, je ne crois pas car je suis fondamentalement européen. Hollywood n’est pas du tout un rêve, parce que mon imaginaire est très européen. Je suis d’origine polonaise, de nationalité suisse, je vis en France, j’écris en Grande-Bretagne… Pour moi, le territoire des possibles se situe en Europe. La façon dont les gens servent des cafés, j’ai l’impression que c’est normal ici et que ce n’est pas normal aux États-Unis. On ne peut pas faire semblant avec ce qui est de l’ordre du quotidien. Quand Spielberg filme les familles américaines, il sait très bien de quoi il parle et tout est juste : on sort de sa voiture comme ça, c’est comme ça qu’on parle à son patron et c’est comme ça qu’on parle à sa femme. Je ne pourrais pas faire semblant de savoir comment c’est chez eux. J’y ai passé une année quand j’étais adolescent et je me suis rendu compte que quoi que je fasse, je n’y serai jamais à ma place. Ça ne m’empêche pas d’adorer les Américains, mais pour faire des comédies, il faut bien savoir comment les gens fonctionnent.

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Par Mégane Dongé & Stéphanie Thiriet

Lux lucis

Le patrimoine industriel des centrales du Rhin au service de l’art. D’une belle initiative de La Chambre et du Musée EDF Electropolis naît une exposition lumineuse : Images Électriques. Depuis quelques années, on se penche sur le patrimoine industriel, porteur d’une charge historique et d’une esthétique particulière. Concernant les centrales nucléaires, les choses semblent plus complexes. En plein cœur du débat politique, elles échappent d’emblée à toute dimension esthétique. Pourtant, la résidence de création initiée par la Chambre et le Musée EDF Electropolis nous permet d’apporter un regard nouveau sur la valeur non seulement patrimoniale mais aussi humaine de ces centrales. Mieux que cela, ce projet éclaire l’histoire de la photographie elle-même, dans les relations qu’elle entretient avec le « tissu économique et social ». Trois photographes, Thomas Jorion, Mathieu Bernard-Reymond et Léo Delafontaine ont évolué, matériel photo à la main, dans le cadre sécurisé mais pas oppressant – une liberté qu’ils ont appréciée avec l’idée de préserver le principe de la carte blanche ! – des centrales du Rhin : Fessenheim, Volgelgrun et Rhinau. L’idée de départ ? Raconter l’espace de ces centrales, et parfois même les hommes qui les parcourent, tout en faisant dialoguer leurs images avec celles issues du fonds documentaire EDF réuni avec l’aide de l’historien Yves Bouvier. Avec toute leur singularité, chacun d’entre eux a su transcender des lieux de vie imposants, mystérieux, dangereux, qu’on regarde ici autrement parce que teintés de couleurs, avec des possibilités de traitements étonnamment graphiques et plastiques. Créant ainsi, un « nouvel imaginaire ».

Léo Delafontaine Avec ses portraits généralement en pied, Léo Delafontaine s’attache aux hommes. Lui qui est plutôt familier du carré aborde le format rectangulaire – « une révolution », selon ses propres mots – pour prendre la distance nécessaire et poser le dispositif de « portraits statuaires très simples ». Respectueux de la fonction, et fascinants par leurs qualités plastiques.

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Š Leo Delafontaine, sans titre, Image Êlectrique, 2015

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Thomas Jorion Les centrales s’habillent de couleurs pop avec Thomas Jorion, celles-ci parfois inspirées du cinéma – dans les clichés les plus sombres, on croit même reconnaître un univers à la Giger, le père d’Alien. Des alternateurs aux couleurs fonctionnelles – cellesci donnent des indications de consignes éventuelles –, mais qui laissent libre cours à son imagination fertile.

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© Thomas Jorion, sans titre, Image électrique, 2015 - nucléaire Fessenheim

© Mathieu Bernard-Reymond

Mathieu Bernard-Reymond Pour Mathieu Bernard-Reymond, le but était non pas de documenter, mais bien de « réinterpréter les lieux », dans un jeu de textures et de signaux qui raconte une certaine histoire de l’art : en effet, la naissance de la perspective ou l’effacement de celle-ci au profit d’une image aux vertus géométriques et abstraites sont au programme d’une photographie résolument plasticienne.

IMAGES ÉLECTRIQUES, Regards sur les centrales du Rhin, Mathieu Bernard-Reymond, Léo Delafontaine, Thomas Jorion, exposition jusqu’au 1er novembre à La Chambre, à Strasbourg www.la-chambre.org

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Par Florence Andoka

Penser la photographie Anne Immelé signe Constellations photographiques, un essai analysant les pratiques de mises en espace photographiques d’œuvres sous forme de constellations, et mêlant deux points de vue : celui de la photographe et celui de la commissaire d’exposition.

Beaucoup de grands textes ont été écrits sur la photographie, cherchant à statuer sur son rapport au réel. Si Anne Immelé reste très attachée au « ça a été » de la photographie, tel que l’a exprimé Roland Barthes dans La Chambre claire, son essai délaisse en apparence la question de l’ontologie de la photographie pour se consacrer au dispositif de présentation et donc à l’accrochage des images réalisées. Cet intérêt pour ce qui se passe au-delà de la prise de vue et du tirage s’est concrétisé dans le cheminement d’Anne Immelé par un doctorat en art, sous la direction du philosophe Daniel Payot, à l’Université de Strasbourg. L’essai Constellations photographiques revisite ainsi la troisième partie du travail de thèse d’Anne Immelé. La constellation est cet agencement particulier qui tient de la série comme de la séquence mais en déconstruit l’ordonnancement. « J’ai toujours abordé l’image fixe avec en tête le montage, l’idée qu’une image n’est jamais seule », affirme Anne Immelé qui a commencé son parcours universitaire par des études de cinéma, en ayant déjà à l’esprit le documentaire et la photographie. La constellation relève donc du montage, elle se nourrit des blancs sur le mur entre chaque image. Le point de vue de l’autrice, et c’est sans doute là sa force, se concentre sur la perception que nous avons des images, puisque « la constellation d’étoiles n’existe que par le regard de

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celui qui a choisi puis connecté des étoiles entre elles afin de créer une configuration », expose Anne Immelé. La constellation photographique en accueillant en son sein des images hétéroclites, des tirages sur différents papiers et de divers formats, nécessite l’activité d’un sujet créant des liens entre les différents éléments. Face au mur d’exposition, le regard du spectateur traverse la constellation, passant potentiellement de la photographie d’un visage en noir et blanc à celle d’un paysage de l’est de l’Europe. La direction du regard n’est pas seulement horizontale comme à son accoutumée, l’œil s’envole, fait le tour des images accrochées dans le sens qu’il invente. C’est dans ce réseau d’images et de significations institué par l’artiste que se situe l’œuvre et non pas dans chaque image isolée. Néanmoins cet acte de création du regard est aussi le reflet du sujet post-moderne à la rationalité


era Schöpe, FREE FROM, Homebase Projet, V Berlin, 2013 Courtesy Vera Schöpe

déconstruite. La constellation photographique est un mode de présentation qui se développe grandement dans les expositions d’art aujourd’hui. Anne Immelé y décèle l’évolution de nos subjectivités fragmentées, immergées sans cesse dans le monde des arborescences du Net. L’essayiste relie ainsi cette forme donnée aux œuvres, à la pensée de Gilles Deleuze et Félix Guattari et au concept de rhizome développé dans Qu’est-ce que la philosophie ? La constellation matérialise une ligne de fuite pour la pensée, elle rompt avec l’ordre de la série photo conçue comme une séquence. À ceux qui verraient la constellation comme une solution de facilité choisie par certains artistes pour habiller les murs que leurs offrent les institutions, Anne Immelé rétorque que « la constellation n’est pas de la bouillie, ce n’est pas le chaos ». La constellation s’ancre dans des pratiques anciennes, celles des cabinets de curio-

sités et des accrochages des musées au XIXe siècle. La constellation est aussi, d’une autre manière, le principe des atlas, notamment celui d’Aby Warburg L’Atlas Mnémosyne, qui a tant inspiré le travail de Georges Didi-Huberman et auquel il a rendu hommage par l’exposition créée au Fresnoy en 2012 : Histoire de fantômes pour grandes personnes. La constellation implique également que l’artiste soit le curateur de ses propres productions ou plutôt que son œuvre réside toute entière dans l’art de l’agencement. Dans une époque contemporaine saturée d’images nouvelles, la constellation peut être le geste d’un artiste qui n’est pas l’auteur des photographies, traversant ainsi les pratiques de récupération de photographies d’anonymes. Ainsi l’intelligence ne serait plus celle de la prise de vue mais celle de la gestion de ce que l’on sélectionne et pourquoi. La constellation, parce qu’elle est renouvelée pour chaque exposition et qu’elle n’existe que dans un cadre donné, a quelque chose de l’univers de la performance, elle peut être comparée aux pratiques des musiques électroniques comme chez l’artiste Wolfgang Tillmans. La constellation relève de l’éphémère. Anne Immelé, elle, est artiste et photographe, elle pratique la constellation à partir de laquelle elle invente parfois des variantes. Dans le projet But… the Clouds, initié en 2009, elle dissémine à travers le monde des photographies des cieux imprimées sur des drapeaux. Sa pratique artistique et son intérêt pour l’exposition de la photographie pousse Anne Immelé à lancer en 2013 la première biennale de la photographie de Mulhouse, dont une nouvelle édition est à venir.

Sylvain Couzinet-Jacques, Zero Rankine, dimensions variables, galerie Hors Champs, Mulhouse, 2014 Courtesy Association l’Agrandisseur

Constellations photographiques, d’Anne Immelé, aux éditions Médiapop www.mediapop-editions.fr

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Par Florence Andoka Photo : Bernard Plossu

Revoir Plossu

Bernard Plossu, photographe, et Emmanuel Guigon, directeur des musées de Besançon, publient Revoir Magritte où l’œuvre du photographe est revue à partir de celle du peintre. Si Plossu revendique son attrait pour Magritte, ses photographies font-elles preuve de quelques rémanences magrittiennes ?

Bernard Plossu, Mexique, 1981 inspiré par L’Épreuve du sommeil, de Magritte

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Le travail de Bernard Plossu est immense, l’homme a toujours son Nikkormat autour du cou et se passionne pour les éditions qu’il réalise en grand nombre. Si Plossu est souvent présenté comme un photographe cinéphile inspiré par la Nouvelle Vague et donc proche d’une certaine esthétique cinématographique où la vie abonde, la peinture de Magritte lui semble a priori étrangère, parce que surréaliste. Pourtant, l’intérêt de Plossu pour le peintre belge remonte à l’enfance : « Très jeune, je suis littéralement passé de la BD ligne claire à Magritte qui était un de mes peintres préférés, l’autre était Andrew Wyeth, un Américain. Puis les goûts changent et je l’ai mis de coté, mais en fait, je me suis rendu compte un jour, il y a une trentaine d’années, que pas mal de mes photos ressemblaient à des Magritte, ou tout du moins à des ambiances ou des détails magrittiens ! » Il fallait la complicité d’un œil expert pour voir et faire voir les liens entre les images. La collaboration avec Emmanuel Guigon, directeur des musées de Besançon, s’est révélée nécessaire. « Immédiatement et sans aucun doute, j’ai pensé que le seul auteur qui pouvait comprendre cela et jouer le jeu, si j’ose dire, était Emmanuel Guigon, si calé en surréalisme, si plein de connaissances et si brillant ! », affirme Bernard Plossu, avec un enthousiasme contagieux. Les deux hommes se sont rencontrés autrefois en Espagne au musée de Valence. S’en sont suivies une grande amitié et plusieurs expositions, dont notamment Versant d’est, le Jura en regard en 2009, au musée des Beaux-arts et d’Archéologie de Besançon, où Emmanuel Guigon avait invité Bernard Plossu à arpenter la Franche-Comté. Si l’homme connaît très bien les photographies de Plossu, son premier élan universitaire se tournait vers l’œuvre de Magritte. Les images de Plossu et celles de Magritte ont été sélectionnées avec une grande pertinence pour faire advenir la semblance entre leurs travaux. Le livre de petite taille accueille des images en noir et blanc. Plus qu’une contrainte éditoriale, on peut y voir un procédé habile car les peintures de Magritte dépossédées ainsi de leurs couleurs originelles, se rapprochent des photographies de Plossu. Seule la composition des images devient le critère de proximité entre les deux univers. La mise en page varie, intervertissant à loisir les pages consacrées aux auteurs. Il y a quelque chose de ludique dans cet ouvrage qui ressemble à une enquête. Si les images de Plossu ont peut-être à voir avec celles de Magritte, le renversement n’est pas impossible au sens où les peintures de Magritte ainsi présentées en noir et blanc, toujours dans de très petits formats ont quelque chose

de la photographie. La Lumière des coïncidences, Le Monde invisible ou encore L’Empire des lumières ainsi présentés pourraient relever de cet autre médium. Le titre de l’ouvrage, Revoir Magritte, renverrait alors à ce piège tendu aux habitudes de notre regard, même s’il s’agit aussi pour Plossu et Guigon de revenir sur un amour de jeunesse, jamais oublié. L’affinité entre les hommes est aussi celle des images, mais ce sont les aphorismes d’Emmanuel Guigon qui, en passeurs poétiques, nous guident d’une rive à l’autre. Revoir Magritte appréhende en son sein trois régimes de la représentation : la photographie, la peinture et l’écriture. Images et discours sont présentés sur la doublepage comme une constellation. Dans un premier mouvement, le regard oscille entre photographie et peinture, note semblance et dissemblance, laisse la persistance d’une image orienter l’observation de la suivante. Ce livre, comme un film, relève d’une opération de montage qui tisse la rencontre des images. L’écriture est le troisième temps de l’équation. Emmanuel Guigon n’explique pas les images, il creuse le jeu qui les sépare, se joue du décalage. Les textes entre eux tracent un chemin de pensée : « Chaque texte peut être lu individuellement, mais l’ensemble est conçu comme un récit, il y a une progression. Le livre s’ouvre sur l’usage magrittien de la parole, l’équivoque entre les objets et les mots et se termine sur un cadre vide », livre l’auteur. Convoquant Platon, Descartes, Lichtenberg, ou encore Blavier, Fourier et Scutenaire, ses aphorismes nous emportent loin de ce qui est montré, soulèvent des questions pour mieux épaissir le mystère de l’existence, laissent le sourire de l’esprit sur les lèvres. L’écriture dit autre chose que la peinture, qui dit autre chose que la photographie puisque toute identité de la représentation avec son objet est illusoire. REVOIR MAGRITTE, de Bernard Plossu et Emmanuel Guigon, aux éditions Yellow Now www.yellownow.be

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Par Emmanuel Abela

Pulsion de vie

Tristan Tzara, Kertész André (dit), Kertész Andor (1894-1985), Tristan Tzara, 1926, épreuve gélatinoargentique, 25,4 x 20,9 cm. Paris, Centre Pompidou - Musée national d’art moderne - Centre de création industrielle © RMN-Grand Palais Gestion droit

Le poète et collectionneur Tristan Tzara ne fut pas seulement témoin, il fut le vibrant acteur d’un mouvement dont il a dessiné les contours avec une poignée d’amis : Dada. Un engagement dont le rayonnement ne s’est pas démenti au fil des années, comme en témoigne la belle exposition que lui consacre le MAMCS. Dada est négation, et mieux que cela, pour Tristan Tzara, Dada n’est pas. Mais que n’est pas Dada ? Un courant artistique d’idées, une attitude. Non, Dada, d’après lui, n’est rien de tout cela. Et donc, Dada se définit non pas par ce qu’il est, mais par ce qu’il refuse. Tout au plus, Dada est-il cet heureux concours de circonstances qui réunit une constellation d’artistes en pleine boucherie mondiale, en terrain neutre en 1916, à Zurich au Cabaret Voltaire, avant d’essaimer à travers le monde entier. Une initiative, ou impulsion collective – la notion de « mouvement » est admise puisqu’elle apparaît en en-tête des courriers de Tzara lui-même –, à l’internationale qui conduit à la production de revues, recueils et d’œuvres radicales avec une réelle affirmation de la liberté de l’artiste – et donc, de l’homme ! – et du « caractère irréductible de la vie, selon Marc Dachy, grand spécialiste de Dada.

À tous les endroits, Tristan Tzara est partie prenante : il relate les premières soirées, théorise ce qui ne doit pas être théorisé dans son Manifeste Dada 1918, dont il donne une lecture le soir du 23 juillet 1918, donc à quelques mois de la fin de la Première Guerre mondiale. Les mots employés sont bien connus, ils résonnent avec la même violence – la même urgence ! – aujourd’hui : « Que chaque homme crie : il y a grand travail destructif, négatif, à accomplir. Balayer, nettoyer. » ou « DADA : abolition de la mémoire ; DADA : abolition de l’archéologie ; […] DADA : abolition du futur […]. Liberté : DADA DADA DADA, hurlement des douleurs crispées, entrelacement des contraires et de toutes les contradictions, des grotesques, des inconséquences : LA VIE. » Ce qui est irréductible à Dada est là : la vie. Et s’il est une chose qui définit Dada, c’est cela : la vie. On mesure la portée d’une telle affirmation, non pas sur le mouvement lui-même, mais sur le siècle tout entier. Ce poète, penseur magnifique et collectionneur éclairé, dont l’exposition L’Homme approximatif au MAMCS restitue à merveille les contours de la florissante personnalité à travers une foultitude d’œuvres, écrits et documents, a posé les bases d’une forme de contestation irradiante. D’un message aux retombées multiples – poésie beat et pop art aux États-Unis, nouveaux réalistes en France, Fluxus partout dans le monde, situationnisme et punk everywhere else – dont cette exposition, émouvante à bien des égards, nous invite à réactiver la permanence de suite ! TRISTAN TZARA, L’homme approximatif, poète, écrivain d’art et collectionneur, exposition jusqu’au 17 janvier 2016 au musée d’Art moderne et contemporain de Strasbourg www.musees.strasbourg.eu

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Par Emmanuel Abela

Où subsiste ton ego On connaît tous Ben, mais le connaît-on suffisamment ? Mesure-t-on la portée de ses doutes dans l’histoire de l’art ? Autant de questions qu’on peut réunir en une seule au musée Tinguely à Bâle, formulée avec le sourire : tout cela est-il de l’art finalement ? Pour expliquer le début de la création artistique, Ben Vautier aime relater cette histoire de grands singes qui, au début de l’humanité, cherchent à séduire des femelles : pour se faire remarquer, le premier place son cul dans de la couleur bleue, se fait remarquer et repart avec sa dulcinée sous le bras, le suivant l’imite avec du rouge, et ainsi de suite. L’art serait donc distinctif, il serait surtout un outil de persuasion sensuelle. Et naturellement, de séduction. Sauf que Ben l’admet lui-même : depuis Duchamp, ça n’est pas seulement la distinction qui fait l’œuvre, mais c’est bien l’intention – d’où l’importance qu’il a accordée à la signature. « L’intention est suffisante, nous rappelait-il il y a quelques années. On peut décréter une idée, un concept sans avoir besoin de le réaliser physiquement. » En déplaçant un objet dans la sphère artistique, entendez un espace dédié à cela, un musée, une galerie, l’objet en question devient art. Et comme la sphère de l’art peut être étendue à la société toute entière, aussi bien par l’intention que par l’action, tout revêt un potentiel artistique. Bref, tout est art ! Bien que rapide, voire expéditive – et surtout révélatrice de l’esprit provocateur d’une génération d’artistes néo-dadaïstes, Fluxus en l’occurrence –, la démonstration a largement animé les débats au cours du XXe, avec ses extensions vers la musique – le « tout est musique » de John Cage, dans la lignée de l’affirmation duchampienne – jusqu’au principe de sculpture sociale chère à Joseph Beuys. Au musée Tinguely, Ben se contente de poser la question, comme s’il feignait le doute en lui. Avec en arrière-fond, cette autre interrogation : la question de l’art peut-elle finalement trouver une réponse ? Et même mieux que cela : cette question nécessite-t-elle de trouver une réponse ? Le doute vient d’une position malaisée que Ben résume lui-même en ces termes : « Tout est art, rien n’est n’art : nous sommes coincés entre ces deux possibilités ». Ce qui semble irréductible pour lui en revanche c’est la question de l’ego – une thématique qui n’a cessé, en plus d’autres sujets essentiels comme l’ethnisme, d’alimenter sa pratique quelle qu’elle soit : peinture, écriture, performance. On en revient au propos initial, et l’exemple farfelu de ces grands singes se disputant les femelles : dans les années 60,

il a fallu à Ben « survivre dans le monde de l’art ». Il lui semblait nécessaire de « trouver quelque chose que les autres n’avaient pas » pour pouvoir selon ses dires « entrer dans l’histoire de l’art », et peut-être plus que cela encore, exister. Ce qu’il n’a pas manqué de faire avec la truculence qu’on lui connaît, en parfait séducteur et en artiste incomparable. BEN, EST-CE QUE TOUT EST ART ?, du 21 octobre au 22 janvier 2016 au musée Tinguely, à Bâle – www.tinguely.ch

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Par Emmanuel Abela

Pour qui aime le soleil Au Centre PompidouMetz, l’exposition Warhol Underground révèle l’artiste new-yorkais dans toute sa complexité : son extrême lucidité, sa part de cynisme, mais aussi l’étonnante vitalité qui jaillit de son œuvre. Tout le monde ne le sait pas : Andy Warhol est loin d’être un ange. Ce ne sont pas tant les frasques qu’on lui attribue à la Factory qui le rendent plus malin qu’un autre, mais plutôt cette posture mille fois décrite de l’observateur éprouvé. Plus voyeur qu’acteur, notamment quand sa petite communauté se mettait en branle. Naturellement, l’artiste se nourrit de ce qu’il regarde, mais avec Andy Warhol, les choses semblent plus complexes. La distance qu’il met dans son observation mondaine, teintée de cynisme, renvoie à une réalité autre : le regard de celui qui sait que tout cela est vain. Étrangement, c’est la portée de ce regard qui nous est apparue la plus évidente à la découverte de Warhol Underground, l’exposition que lui consacre le Centre Pompidou-Metz. Est-ce la présence du sublime Ten Lizes, qui dans sa répétition sérielle constitue un Memento mori des temps modernes ? Est-ce la part de sacralité qu’on peut associer à la reconstitution de certains espaces argentés de la Factory ? Il y a des chances, mais pas seulement.

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Sans forcément sombrer dans le morbide, Warhol n’a jamais cessé de disserter sur la question de la mort. Dans un article paru dès 1988, soit un an après la disparition du peintre survenue le 27 février 1987, le critique d’art Bruno Paradis le formulait ainsi dans la revue Artstudio : « La mort n’est pas, à strictement parler, l’objet d’un tableau : elle n’est pas un thème parmi d’autres possibles : la série des morts à côté de la série des portraits de stars ; elle est constitutive de la démarche plastique de Warhol ; elle est comme la source d’où dérivent toutes les séries ». Bien sûr, la présence très émouvante du cliché original qui a servi à la série des Electric Chairs – en l’occurrence, on l’apprend, la chambre d’exécution de la prison de Sing Sing dans l’État où furent exécutés Ethel et Julius Rosenberg en 1953 –, ou de l’imposant White Disaster II (White Burning Car II), ou encore de ces photos de Stephen Shore ou Richard Avedon en relation avec la tentative d’assassinat de l’artiste par Valerie Solanas renvoient explicitement à cette thématique-là : l’insistance de Warhol sur ses propres cicatrices, stigmates de cette expérience douloureuse, le situe à l’égal du martyr. Mais le sentiment est plus général. Il se manifeste dans les Screen Tests, ces petits portraits filmés silencieux où l’émotion apparaît le temps d’une larme ; il se manifeste surtout dans les photos prises à la Factory, y compris les plus insouciantes. Les participants à la fête sont statufiés dans de fascinants instantanés : Edie Sedgwick – merveilleuse danseuse selon les témoins de l’époque –, fige son mouvement face à Larry Latreille comme si elle cherchait à inscrire sa pose pour l’éternité ; Nico regarde dans le vide comme si elle prenait conscience de la vanité de l’instant ; d’autres feignent d’entamer une conversation comme si celle-ci s’imposait par

les circonstances ; et tous plongent dans le chaos de la nuit. Les locaux vides de la Factory sont réinvestis par Warhol le jour venu, seul rescapé du naufrage nocturne, affalé dans son canapé ; les icônes d’un soir n’ont fait que passer, lui il n’en a cure, il reste. Forcément, il n’a pas pris de risque : il n’a fait qu’animer ses marionnettes et les a regardé s’entrechoquer dans le vague. Et pourtant, la vitalité est là : elle se manifeste à tous les endroits, dans sa peinture – on a beau y être habitué, elle reste un objet de fascination constant –, dans ses films, dans ses propos, mais aussi et surtout dans les rencontres qu’il a provoquées, autour de quelquesunes des figures de son temps. Il suffit de voir quelques mômes spontanément jouer avec les ballons gonflés à l’hélium, les Silver Clouds ayant servi à la performance Rain Forest de Merce Cunningham, pour mesurer le vent de liberté qui animait l’entourage immédiat de l’artiste. Lequel avait compris avec lucidité les enjeux de son époque : la série, la répétition, la consommation de masse, sans forcément trop railler celle-ci, l’adhésion populaire, l’ère des mass-média, l’instantanéité, la simultanéité, l’éphémère, et donc l’urgence de vie – en réponse, on l’aura compris, à l’inéluctable. Que d’aucuns jugent sa vision d’un art total duplice, en tout cas pleine d’ambigüité, n’y change rien : elle reste d’une étonnante actualité, comme si rien aujourd’hui ne permettait de nous en libérer. WARHOL UNDERGROUND, exposition jusqu’au 23 novembre au Centre Pompidou-Metz centrepompidou-metz.fr


Steve Schapiro, Andy Warhol sous un Silver Cloud, Castelli Gallery, New York, 1965

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Par Nour Mokaddem et Emmanuel Abela Photo : Pascal Bastien

Les sillons de la terre 78


Philippe Ochem a débuté à Jazzdor en tant que musicien programmé. 30 éditions plus tard, en tant que directeur, il fait rayonner le festival au cœur d’un réseau à l’échelle européenne. Cette année, c’est la 30e édition de Jazzdor. On constate que dès la première édition, en 1986, les choses étaient déjà posées : le jazz dans toute sa variété. Au cours de cette première édition, j’étais programmé en tant musicien [pianiste, ndlr], je sortais d’une époque où l’on avait animé le Lazy Bird de 1982 à 1985 [un club de jazz où il avait programmé Chet Baker ou Michel Petrucciani, nldr]. J’ai le sentiment que cette musique reste toujours aussi large. Elle est profondément influencée par d’autres formes qu’elle influence elle-même en retour. La limiter serait réducteur. À Jazzdor, on a toujours essayé de faire entendre les musiciens les plus passionnants quelles que soient les formes que leur jazz peut prendre. C’est toute cette variété de formes improvisées au sens noble du terme qui nous donne la richesse de cette musique. Cette diversité se vit en toute cohérence. Le jazz reste vital et essentiel. Comme, vous l’affirmiez récemment, il raconte quelque chose de son temps. Cette musique continue à dire de son époque sans pour autant avoir besoin de mots pour la décrire. Les formes d’écritures se sont ouvertes à de nouvelles pistes, à une nouvelle manière de considérer les choses, sans parler de grande transformation. Le début des années 90 a vu arriver le saxophoniste Steve Coleman qui a amené d’autres éléments rythmiques et complexes dans l’écriture de cette musique. Par la suite, l’émergence de musiciens dans les années 2000 a remis en cause le rapport de l’improvisation à l’écriture. Dans le jazz, on peut parler de phénomène de générations : on écrit de mieux en mieux. Des musiciens de plus en plus jeunes émergent de bonne heure et apportent un nouveau bagage technique et musical. De nos jours, écouter toutes les musiques du monde très facilement constitue une

richesse et cela depuis le rayonnement de l’Internet. Tout circule de plus en plus rapidement et les contacts entre musiciens sont de plus en plus fréquents. Et puis, il reste ce chant intérieur qui doit animer l’improvisateur en situation de jeu. De mettre sur ma platine le tout dernier disque de Dominique Pifarély, ça m’a rappelé la nature de cette musique : une musique qui s’écoute et qui se regarde à la fois. Une musique à entendre et à découvrir au moment où elle se fait, pour se confronter au corps du musicien. Ça n’est pas simple, mais sur ces 30 éditions, des concerts vous ont-ils semblé comme des instants jalons dans l’évolution du festival lui-même ? Ces instants jalons sont nombreux, mais je retiendrai le Charlie’s Haden Liberation Orchestra avec Carla Bley que j’ai fait venir en 2006 après beaucoup de travail. De permettre de voir ce grand orchestre sur scène, lors d’une de ses dernières représentations, m’a donné le sentiment de participer à la grande histoire du jazz. Un autre souvenir me revient, c’était en 1999, le solo du contrebassiste Bruno Chevillon dédié aux mots du poète italien Pier Paolo Pasolini [“Pier Paolo Pasolini ou la rage sublime”, ndlr]. C’était un moment unique et inoubliable qui a changé la vie de certains spectateurs. Le rayonnement de Jazzdor dépasse largement les frontières de la région, avec ses entrées en Allemagne, Jazzpassage à Offenbourg, et depuis quelques années à Berlin. Ce rayonnement vous semblaitil la suite logique de ce que vous aviez entrepris à Strasbourg, à savoir creuser le sillon du jazz dans la ville ? Pour l’expansion de cette musique, la dimension transfrontalière a été une étape nécessaire, presque une obligation. Nous avions commencé à travailler avec les villes de Kehl et Karlsruhe au début des années 90 sans pour autant trouver notre alter ego chez nos voisins, de l’autre côté du Rhin. Peu de temps après, au début des années 2000, j’ai rencontré plusieurs musiciens, agents, producteurs de disques – toute la filière du jazz – autour d’une grande table ronde franco-allemande, et nous avons créé Jazzpassage. Il y a bientôt 10 ans, comme j’étais au cœur de la coopération franco-allemande, le directeur du bureau export de la musique française à Berlin m’a proposé de monter un Jazzdor à Ber-

lin. Après réflexion, je lui ai téléphoné pour lui dire qu’il s’agissait tout de même de créer un événement de toute pièce ex nihilo et qu’il fallait des fonds pour y parvenir. Nous avons pu trouver des partenaires, convaincre la Ville de Strasbourg, le département du Bas-Rhin, la DRAC, puis les autres sociétés civiles en France qui gèrent la rémunération sur la copie privée dont une partie va à l’aide à la création. À aucun moment je ne m’étais imaginé monter un festival à Berlin… Aujourd’hui, Jazzdor Berlin est un événement unique. Oui, un évènement modeste en terme de budget, mais unique : une plateforme pour le jazz français à Berlin et en Allemagne. Pour nous, il fallait trouver du sens là-dedans. Il ne s’agissait pas de créer des événements one shot mais plutôt de réfléchir avec les musiciens sur des projets qu’on pourrait faire émerger et pérenniser. Puis en même temps, il y a un réseau informel qui s’est formé autour de nous, et donc si on essaye de passer par d’autres villes lors de nos allers-retours à Berlin, on le fait. Je suis devenu président de l’AJC [l’Association Jazz Croisé, ndlr], plus gros réseau de diffusion de jazz en Europe. Ce petit monde-là se connaît finalement très bien. Les artistes travaillant en réseau depuis un bon moment, fréquentent tous leurs collègues européens, et profitent de cette proximité musicale pour faire émerger des projets internationaux. Ça nous permet de travailler sur des dispositifs d’échanges avec cet intérêt général, la diffusion du jazz. En tant que musicien, Louis Sclavis dit qu’il creuse un puits. Vous aussi, d’une certaine manière, vous creusez ? L’image est belle ! Joëlle Léandre dit qu’elle creuse un sillon. Une image terrienne voisine… Il est vrai que ramasser à la surface de la terre est donné à n’importe qui. Alors oui, je creuse ! JAZZDOR, festival du 6 au 20 novembre, à Strasbourg, Bischheim, Schiltigheim, Lingolsheim, Illkirch-Graffenstaden, Erstein, Mulhouse, Offenbourg www.jazzdor.com

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Par Cécile Becker Photo : Christophe Urbain

Territoire rock Avec une ouverture de saison détonante (le festival Détonation, ça ne s’invente pas), La Rodia continue de se déployer en complicité avec sa ville. Emmanuel Comby – appelez-le Manou –, son directeur, remet constamment ses fonctionnements en question, pour faire de cet outil un atout culture. C’est un fait, les petites villes post-industrielles conservent quelque chose de résolument brut. Le rock ou le punk ont fini par se fondre à leur culture. Prenez Mulhouse ou Besançon par exemple, l’une a été marquée par l’industrie textile, l’autre l’est toujours par l’horlogerie. Toutes deux servent de pouponnière à des groupes de tous horizons. Manou Comby, directeur de la Rodia le confirme : « À Besançon, tu soulèves un caillou, tu as un groupe ou une association ! » D’où vient cette prédominance ? « Dans les conflits sociaux qui ont eu lieu dans les années 70, notamment autour de Lip, un gros mouvement artistique a installé le jazz, la chanson contestataire et même l’harmonie », répond-il. Jeune, Manou n’échappe pas à la règle. Il traîne chez le disquaire Jean-Pierre Côte-Colisson, aujourd’hui programmateur à La Rodia, et se construit une belle culture jazz/blues. Quand les cinémas désaffectés transformés en salles de concert ferment en 1997, Manou et sa bande récupèrent Le Cylindre, à Larnod, une ancienne discothèque dotée d’une belle cave en sous-sol. Dès 2003, la Ville de Besançon s’intéresse à l’association et demande à Manou Comby d’intégrer l’équipe en tant que chargé de mission pour penser le projet d’une SMAc. En 2011, La Rodia ouvre devenant le premier acte d’un projet de restructuration global du site des Prés de Vaux. Les deux premières années, la salle affiche 80% de remplissage, une belle performance sur laquelle l’équipe ne se repose pas. Un vrai travail de maillage du territoire est mené avec les associations qui relayent l’information et se chargent de 40% de la programmation à des tarifs plus que concurrentiels. « Les associations sont ici chez elles, affirme Manou Comby. On leur met à disposition la petite salle de 340 personnes avec un forfait complet incluant quatre techniciens, trois agents de sécurité et deux personnes au guichet. Tout ça c’est zéro. Offert. » Pour certains concerts, la Rodia n’hésite pas à monter conférences et programmes transversaux avec les librairies, médiathèques ou bars du coin (Musique au logis). Tout est pensé pour susciter la curiosité des publics. Côté financement, la Rodia arrive à 48 % de recettes propres

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grâce aux entrées, au bar et au club des mécènes qu’elle a créé il y a deux ans. Le principe ? « Faire que le service public puisse aussi intéresser le privé qui n’est pas hermétique au développement local. » Par ce biais, des compilations ont pu être financées, des soirées sponsorisées et les salles, privatisées. Une nouvelle source de revenu loin d’être anecdotique puisqu’elle participe à hauteur de 10% au budget global. Un joli bilan. Après avoir fait le test de Détonation étendu à la friche voisine, Manu Comby espère être intégré au prochain acte du projet d’urbanisme des Prés de Vaux pour proposer, à l’avenir, un festival de grande ampleur mêlant diverses pratiques artistiques. D’ici là, l’équipe continue de se concentrer sur l’accueil du public, « crucial » selon Manou Comby. La Rodia, où les lignes ne cessent de bouger. LA RODIA, salle de concert à Besançon www.larodia.com


Par Cécile Becker Photo : Henri Vogt

Agent de circulation L’ensemble Les Percussions de Strasbourg accueille Jean Geoffroy, son nouveau directeur artistique après deux ans d’autogestion. En plein bouleversement de la musique contemporaine, ce batteur de formation et soliste durant près de 35 ans, milite pour l’ouverture. Considérons cela comme un signe. Jean Geoffroy, directeur artistique des Percussions de Strasbourg, est un rockeur dans l’âme. Avant d’entamer une carrière solo riche en rencontres, parcourant le monde entier pour interpréter des pièces taillées sur-mesure d’Ivo Malec, Bruno Mantovani ou Pierre Jodlowski, ce fan de Yes rêvait de monter un groupe de rock. « J’ai bifurqué vers la musique dangereuse, donc la musique contemporaine parce que je trouvais la scène rock un peu formatée. J’ai rencontré des gens que je ne comprenais pas, raconte-t-il. J’ai toujours été intéressé par les sons et par les choses que je ne connaissais pas. » Curieux de nature, Jean Geoffroy se considère comme un musicien-chercheur, et reste très attaché à la pédagogie. En marge de son nouveau poste à Hautepierre, il continue d’animer la classe de percussion et le laboratoire Scène/Recherche au Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Lyon. Un de ses chevaux de bataille est d’interroger constamment la place de l’interprète aujourd’hui, qui, plus que jamais, se doit d’être « dans une certaine forme de mobilité et d’ouverture ». Dès les prémices d’un projet, « il faut penser une forme globale qui intègre le public, les salles, la mise en scène », précise-t-il. Cette réflexion, Jean Geoffroy souhaite la transposer aux Percussions de Strasbourg qu’il côtoie et connaît depuis leur fondation. Alors que des projets avaient

déjà été initiés par la précédente équipe – avec le platiniste eRikm ou le compositeur Pierre Jodlowski – ceux-ci sont donc adaptés à la façon Geoffroy : plus réfléchis, ils sont aussi plus souples. Ainsi, les collaborations sont envisagées comme des résidences pour renforcer le travail entre les musiciens euxmêmes et avec les compositeurs. Vraie révolution dans le fonctionnement des Percussions, le groupe devrait rester sur une base de six musiciens – pas forcément ceux que l’on connaît – mais se voir augmenter ou réduire selon les projets. C’est d’ailleurs le cas pour la création avec eRikm pensée pour la prochaine édition du festival Musica : deux nouveaux interprètes accompagnent deux musiciens du groupe existant. À l’avenir en solo ? Trio ? À six ? Plus si affinités ? Sur scène, les propositions seront variées et jamais immuables. Quant au répertoire réunissant plus de 300 œuvres, Jean Geoffroy compte bien le dépoussiérer. « Le drame de la musique contemporaine, c’est que ça ne se rejoue pas. On a alimenté cela avec ce système de créations. Le répertoire, il faut se le réapproprier. Ce qui rend la musique contemporaine c’est cette appropriation totale. Le but n’est pas de rejouer une pièce, mais de dire en quoi elle peut encore nous parler aujourd’hui. » Cette vision correspond à la définition que le percussionniste se fait de la musique contemporaine : « C’est une musique qu’on joue aujourd’hui, cela vaut que je joue du Bach ou du Chopin ». Alors que des festivals de musiques électroniques invitent désormais des compositeurs de musique contemporaine et vice versa – on se souvient d’Étienne Jaumet du groupe Zombie Zombie au festival Musica 2013 avec le Cabaret Contemporain –, que le changement provient de la base (musiciens et compositeurs) et non de l’institution, l’ouverture de Jean Geoffroy semble être symptomatique d’un vrai changement. Enfin ! CINÉ-CONCERT JAVIER ELIPE, le 12 novembre au théâtre de Hautepierre www.percussionsdestrasbourg.com

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Par Benjamin Bottemer Photo : Julian Benini

Bach to the future

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Il peut jouer Bach dans l’atmosphère feutrée d’une prestigieuse salle de concert et s’envoler le lendemain pour Ibiza livrer un live endiablé. Le pianiste luxembourgeois Francesco Tristano voyage avec une même vision de la musique classique et électronique : actuelle et tournée vers l’expérimentation.

Veste de costume et t-shirt noirs, Doc Martens aux pieds, l’élégante silhouette de Francesco Tristano est accoudée à un comptoir de l’Interview, emblématique bar du centre-ville de Luxembourg où sont placardées des couvertures du célèbre magazine fondé par Andy Warhol. Jeune et branché, authentique et rétro : le lieu est à l’image du jeune homme. À six ans, Francesco – aujourd’hui reconnu par le milieu classique comme par celui des musiques actuelles – savait déjà ce qu’il voulait : « J’expliquais à ma professeure de piano que plus tard, je ne jouerai que Bach et ma musique », déclare Francesco. Il explique son attachement au roi des instruments et au compositeur thuringien par leur histoire commune, ancrée dans la modernité : « Le piano a été inventé à l’époque de Bach, c’était alors un instrument extravagant et complexe, de haute technologie ; je crois qu’il l’est encore aujourd’hui, avance le musicien. Je veux faire évoluer l’image un peu figée qu’en a le grand public. » Il joue ses premiers concerts à 13 ans, avant de traverser l’Atlantique pour intégrer la Juilliard School. Mais plutôt que les auditoriums du prestigieux conservatoire, c’est la vie nocturne new-yorkaise qui va ouvrir au pianiste de nouveaux horizons, notamment la techno de Détroit. « New York est une ville qui fonctionne à l’inverse de tout conservatisme justement, explique-t-il. C’est là que je suis devenu adulte. » Autour du piano Il baptisera son premier album comme un manifeste : dans Not for piano, le son de l’instrument est trafiqué sans utiliser de synthétiseurs. Il aspire à s’éloigner d’un univers synonyme d’heures de tra-

vail en solitaire, où la rencontre avec le public reste un instant furtif et exceptionnel. « C’est pour cela que j’ai commencé à jouer de l’électro : parce que je voulais la comprendre, utiliser les synthés, mais aussi pour prendre de la distance, confie Francesco. J’aime le piano, mais je ne veux pas qu’il devienne une finalité : je préfère alterner, combiner. » Il n’abandonnera jamais Bach et ses héritiers, se produisant alternativement dans des concerts de musique baroque, dans des clubs et au sein de projets proches de la musique nouvelle, de Cage à Messiaen, ne rechignant pas à faire un détour par le jazz ou vers des projets inattendus, comme sa collaboration avec le danseur Saburo Teshigawara. Signé sur Deutsche Grammophon comme sur InFiné, le label du français Agoria, il collabore avec Moritz Von Oswald sur le projet bachCage et retrouve le Berlinois au côté de Carl Craig sur le live Versus 2.0. « La rencontre avec Carl Craig a été capitale : c’est quelqu’un qui a installé un son depuis les années 90, et ce projet commun a constitué une nouvelle dimension pour lui comme pour moi, explique Francesco Tristano. Ça a été pour tous les deux la découverte d’une génération et d’un milieu différents. » Rencontres et ruptures Aufgang, qu’il formera avec ses « frères » Rami Khalifé et Aymeric Westrich, est peut-être le projet qui lui tiendra le plus à cœur. Avec leur second essai Istiklaliya, les trois compères réussissent un trait d’union magistral entre musique classique et électronique. Ils transcendent même cette notion de mélange en parvenant à donner à leur son une identité propre, se colletant avec les accidents et les ruptures, installant des ambiances

contemplatives ou épiques avec la même réussite. Mais Francesco Tristano se crispe à l’évocation du groupe. Divergences artistiques, embrouilles liées à la maison de disques, il ne précisera pas la nature exacte de son départ. « Je me suis investi corps et âme dans Aufgang, mais c’est du passé pour moi, je ne vois plus du tout Rami et Aymeric », lâche-t-il. Tout juste évoque-t-il ce crossover réussi en se rappelant que chez les disquaires, on peinait à trouver le rayon dans lequel était classé Aufgang. « Ce qui n’est pas très grave, puisqu’il n’y a presque plus de disquaires. Je crois qu’Internet était un moyen plus efficace pour se lier à notre musique, cela lui correspond mieux. » Francesco prépare notamment pour 2016 une collaboration avec Derrick May, un autre monstre de Détroit, et une résidence à Metz pour trois créations dans des configurations différentes, destinées à être jouées à la Boîte à Musiques, aux Trinitaires et à l’Arsenal, salle qu’il affectionne et où il a déjà joué les Variations Goldberg et les Concertos pour piano et orchestre de Bach. Lui qui vit entre Luxembourg et Barcelone aime varier les plaisirs, mais refuse l’étiquette de « touche-à-tout ». « Je ne fais pas «de tout» : je fais de la musique contemporaine et de la musique ancienne, en essayant de toujours observer ce qui se passe aujourd’hui. Celui qui ne le fait pas, j’ai envie de lui dire : tu rates quelque chose ! » FRANCESCO TRISTANO PLAYS BACH IN SOLIDARITY WITH GREECE, le 13 novembre à l’Opderschmelz de Dudelange. www.francescotristano.com

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Par Guillaume Malvoisin

Sons divers Parmi les grands argentiers culturels de tous bords livrant leurs catalogues de curiosités, il y a ceux qui résistent. La clique de Zutique Productions est de ceux-là. Jamais tranquille. Preuve par 16, le Tribu Festival est toujours debout.

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Fred Ménard et les Zutique évitent, une fois encore, tous les pièges de l’exotisme et captent les bruits du monde. À la course à l’étincelle, le Tribu prend le couloir extérieur. Jamais mercenaires mais buissonniers à souhait, les gaziers s’arment d’impatience et allument les braises d’un bouillonnement collectif où le plaisir de jouer et d’entendre guide le convoi. Les ingrédients de la 16e édition optent pour les couleurs 2015 de la sono mondiale : jazz libre des années 70, hip-hop de travers, mondialités et électronique. Yemen, Scandinavie, Portugal, Togo, Argentine, France etc. visitent la onzaine de lieux traversés par la vibe tribulienne du cabaret éphémère au jardin Darcy, du Centre d’Art Le Consortium à la Péniche Cancale sans oublier la SMAc dijonnaise à Vapeur ou le tout nouveau Cèdre planté par les voisins de Chenôve. Aux concerts, s’ajoutent comme des compléments classe, projections de films (David Murray, I’m a Jazzman), arrêts en Maison d’Arrêt ou encore rencontres particulières (Fidel Fourneyron). Pléthore d’artistes reçus en grandes trombes, le quidam aura donc les œillades du monde entier, réunis en journée à thèmes. Résumé en vrac et sans soucis d’affinités. Après l’apéro mix classieux du samedi 16, Nicole Willis, ex-choriste de Dee-Lite, viendra brandir des accents soul suaves en écho à la pop yéménite de A-WA, forme d’hypnose arabo-israëlienne tnt-free. Mardi 13, Electric Vocuhila piétine avec joie les platebandes taillées par David Murray et le mouvement loft. Freejazz et couteaux tirés, que rendront à la grâce les deux voix popy-spiritual d’Ibeyi. Mercredi 14, l’Afrique puis jeudi 15, l’Amérique du Sud, compléteront le planisphère rêvé. Bassekou Kouyaté et La Yegros commanderont les divisions du plaisir. Vendredi c’est hip-hop à Tribu, du lourd : Soweto Kinch, Dizraeli, Charles X, Sorg, Napoleon Maddox en empereurs du flow grand luxe. Citons Vaudou Game pour finir une réclame presque inutile et laisser la parole au boss du festival. Fred Ménard livre ci-dessous quelques enjeux du travail patient de Tribu.

Fidélité, une notion primordiale pour un festival comme le Tribu ? Nous souhaitons bien entendu apporter au public du Tribu d’autres réseaux, d’autres affinités musicales, en présentant des projets originaux ou des croisements. Tout en conservant un lien fort avec certains artistes, Batida, par exemple revient cette année avec un concert pour les enfants dans le cadre de la journée Minotone à la Minoterie. Ce concert est né l’an passé lors des sets du Tribu 2014. On pourrait parler aussi de Napoleon Maddox que nous avions reçu avec Sophia Domancich & The Boxettes pour un hommage à Nina Simone en 2010. A Riot Called Nina, créé avec La Dynamo de Banlieues Bleues, est inscrit au catalogue du tour Tribu qui diffuse certains artistes. Batida est également de ceux-là. Cette fidélité nous amène à des retrouvailles avec Napoleon Maddox. Maddox peut rapper, il peut chanter, faire du beat-box, se frotter avec des artistes de genre très différents. On l’a vu dans des projets comme Phat Jam avec Archie Shepp et Chuck D, comme Iswhat?! ou celui qu’il est en train de développer avec Roy Nathanson issu des Lounge Lizards de John Lurie. C’est avec ce parcours qu’il se confronte à un beatmaker comme Sorg, leur set offre ainsi pas mal de perspectives musicales. C’est une curiosité comme la sienne qui t’attire chez les artistes programmés pour le Tribu ? Oui. David Murray est un autre très bon exemple de ce que nous aimons comme croisement des répertoires. Il mêle jazz et musiques ethniques, son projet avec les musiciens guadeloupéens m’a vraiment plu et décidé à travailler avec lui. La présence de David Murray montre aussi ce rapport fort à la diversité. Il est une des têtes pensantes du mouvement Loft au mitan des 70’s à New York. Il fait partie, pour moi, des boss du sax ténor comme Coltrane, Albert Ayler. Ce sont des musiciens avec une approche assez large de la musique. Murray monte un projet avec Saul Williams mais on peut le voir avec des musiciens traditionnels d’Afrique du Sud. Nous avons toujours reçu ces artistes multiples du jazz comme Randy Weston explorant les musiques africaines ou encore Steve Coleman et le mouvement M-Base qu’il fonde. Le Tribu reste très attaché à tout un pan de l’histoire du jazz. À l’héritage, sans doute un peu. Je tiens surtout aux croisements. Dans les réseaux, Tribu n’est pas considéré comme un festival de jazz, mais ces mêmes réseaux sont intéressés par le mix avec le hip-hop ou les musiques du monde que nous proposons. Ce sont ces croisements qui sont notre spécificité. Pas seulement dans notre programmation musicale mais aussi dans l’approche de la structure qui est implantée dans un quartier de grands ensembles. Nous développons ainsi un bon nombre d’actions culturelles avec le reste de la ville pour décloisonner les publics. C’est une approche quasi-sociologique de la musique et de la culture. TRIBU FESTIVAL, du 10 au 18 octobre, à Dijon – www.tribufestival.com

Nicole Willis

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Par Lizzie Lambert Photo : Sébastien Lacroix

Insubmersibles

Jamais vraiment disparu, Tuscaloosa émerge après 16 ans de projets discrets. L’album Comme une guerre froide sorti chez Médiapop Records annonce leur retour officiel sur les ondes. Comme une guerre froide. Ou comme l’aveu de leur modus operandi. Le groupe Tuscaloosa a disparu des radars il y a 16 ans déjà. Après avoir enregistré un EP sur feu le label Lithium, tourné pendant plusieurs années, et donné un dernier concert avec Dominique A au festival Aye Aye à Nancy en 2000 : silence radio. On aurait pu croire à une disparition. En réalité, le groupe avançait en sous-marin. « Nous n’avons jamais cessé de jouer, en aparté et en appartement. Et même enregistré des kilomètres de bande », confie Franck, le chanteur, dans une interview accordée au blog Ground Control To Major Tom. En 2012, Sébastien Lacroix sollicite les membres de Tuscaloosa pour composer la bande originale de son film Seule la forêt. L’occasion de remplir d’air ses ballasts et de remonter par palier vers la surface. Après cette première respiration, il devient évident pour Franck D. (voix, basse, guitare), David S. (batterie et percussions), Vincent C. (guitares, guitares préparées) et Nicopirate (guitares et basse) que le moment est venu d’émerger. De sortir des abysses pour arriver sur scène, en première partie de The Wedding Present. De tenir la barre jusqu’au studio. Et finalement, d’offi-

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cialiser le retour du groupe avec un album exigeant, décapant, et captivant. Comme une guerre froide, plus que du rock français est un rock littéraire, tour à tour charnel ou engagé, aux accents free jazz. Une musique qui sonne comme une philosophie sublimée par Antoine Arlot (Filiamotsa, Praag), saxophoniste dissonant, invité sur cinq titres. Avec cet album nous n’assistons pas à une résurrection mais à une nouvelle naissance. L’arrivée de Nicolas à la guitare continue d’aiguiser les esprits, il insuffle un vent d’échangisme : désormais les instruments tournent. Les amis – car ils sont avant tout des amis de longue date – débattent en musique. Les argumentaires ironiques succèdent aux confidences émouvantes. Les textes, ciselés en grande partie en français, sont le reflet de l’influence de Bashung, Brigitte Fontaine et Areski Belkacem ; de la volonté de « tourner le dos à la posture facile et récurrente du moine copiste obsédé par l’axe anglo-américain ». Soutenu par Mediapop Records – ce label a notamment publié les albums de Singe Chromés et de The Hook – Tuscaloosa lance deux missiles vers la terre des hommes de goût, vinyle LP et CD. Propagandiste jusqu’au-boutiste, la vue autant que l’ouïe sera comblée. L’artwork réalisé par Vincent Vanoli – Contes de la désolation, Max et Charly, publiés à l’Association – accompagne l’émergence murie de ce beau band « revenu de nulle part mais pas revenu de tout ». TUSCALOOSA, sortie de l’album Comme une guerre froide le 16 octobre tuscaloosa.bandcamp.com www.mediapop-records.fr


BAM TRINITAIRES OCT. 16

La Rumeur

19

Chelsea Wolfe 20

USSR 1926 Ciné-concert We Stood Like Kings

17

« Chéri, y’a plus de PK ! » La Place du Kif Dernier concert ! 20

Archive + BRNS

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Dominique A

DÉC.

22

David Murray Infinity 4tet feat. Saul Williams

NOV. 04 au 10

01

Baden Baden 03

Mansfield.TYA Autour de Lucie 04

Musiques Volantes 20e édition

Marathon !

12

Anonymous Choir Sings Leonard Cohen

09

Michael Rother plays NEU! & Harmonia and solo works + Bajram Bili 13

10

No One Is Innocent 11

Girl Band + You Freud, Me Jane

Brigitte

17

Soilwork

12

Ester Rada + Socalled

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Les Nuits Zébrées

Et plus encore à découvrir sur www.trinitaires-bam.fr Licences 1-1076971 2-1024929 3-10243930


LA PRIEST Inji / Domino

Si l’on peut exprimer un regret véritable, c’est que le groupe Late Of The Pier n’ait pas enchaîné après son premier album, Fantasy Black Channel en 2008. Le groupe, aussi bien sur disque que sur scène, constituait une bien belle promesse... Et ce n’est pas le premier album solo de Samuel Eastgate alias Samuel Dust, chanteur et leader charismatique du groupe, entr’aperçu en tant que sideman de Connan Mockasin, qui permet d’évacuer ce regret : à lui tout seul, il parvient à entrer en phase avec son temps, avec un brio comme on en rencontre peu en ce moment. Qu’il s’engage sur la voie des Holger Czuckay, Jacky Liebezeit ou Jah Wobble dans un pastiche de dub mutant, passe par un détour instrumental novö à la David Bowie période Low, nous susurre une ballade psychédélique, intègre des gimmicks synthétiques 70’s à la Vangelis ou décortique de manière analytique les premiers Daft Punk, il libère quelque chose d’essentiel pour nous, respectueux du passé et ostensiblement tourné vers l’avenir. (E.A.)

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JULIA HOLTER

DUCKTAILS

Have You In My Wilderness / Domino

St. Catherine / Domino

On l’avait abandonnée à l’obscurité de sa douce mélancolie en 2013, mais il faut croire que l’Américaine a trouvé le bouton de l’interrupteur. Un son de clavecin d’emblée pose la nouvelle orchestration : toujours aussi intime, mais radieuse. Et que dire du final de Silhouette, des arrangements de cordes à faire pâlir le grand Brian Wilson de jalousie ? Et pourtant, à s’y attacher de près, on ne constate nulle rupture d’avec ses disques précédents : les textures sont là, l’étrangeté aussi. Tout au plus, la jeune femme brouille-t-elle les pistes pour explorer un peu plus profondément la part d’ombre contenue dans la pop. Assurément, le disque d’un bel automne qui s’annonce. (E.A.)

La presse anglo-saxonne est parfois injuste : pourquoi écarte-telle les approches chaleureuses de Matt Mondanile quand celuici, en marge du projet Real Estate, explore le versant baroque de sa propre personnalité ? C’est presque à n’y rien comprendre tant cet album est attachant avec ses relents Paisley Underground, ce mouvement psychédélique né à Los Angeles au début des années 80, et sa volonté de concilier la pop à des modèles avant-gardistes. La présence de Rob Schnapf, co-producteur des albums Either / Or et XO d’Elliott Smith, rappelons-le lui aussi de Los Angeles, donne sa vraie dimension à une écriture pop mesurée. Bref, si les AngloSaxons n’en veulent pas, on lui donne asile. (E.A.)

MAC DEMARCO

LOU BARLOW

Another One / Captured Tracks

Brace the wave / Domino

Comme on les aime ceux-là, les trublions de la pop ! Ils y vont en toute décontraction, mais bousculent les idées reçues. Par le passé, ils s’appelaient Jonathan Richman, Robyn Hitchcock ou Jazz Butcher. Aujourd’hui, ils s’appellent Ezra Furman ou Mac DeMarco. Ce dernier, Canadien au sourire désarmant, déjà remarqué par ses premières tentatives, enfonce le clou d’une pop décomplexée, nourrie de mille influences. La cohérence naît d’une désinvolture de façade, mais méfiance cependant : comme ses brillants devanciers, l’ami DeMarco n’écarte en rien le sentiment. (E.A.)

Cas étrange que celui de Lou Barlow, peut-être l’un des meilleurs songwriters de sa génération, avec Dinosaur Jr., Sebadoh – qui se souvient du sublime Soul and Fire ? –, The Folk Implosion ou en solo sous le nom de Sentridoh : il avait pris l’habitude de publier à tout-va, puis il s’était fait plus discret. Et même si l’on ne retrouve pas ici tout le charme de ses compositions lo-fi mid-90’s, cette poignée de chansons enregistrées en à peine six jours perpétue sa manière si particulière, anguleuse et presque inconfortable, de nous livrer de vraies émotions. (E.A.)


LaVapeurAffiche_Sept-Oct_IMP.pdf

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25/08/2015

10:45

Septembre Octobre 2015

LA V�P�U� F�TE SES 20 A�S

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LE MOULIN DE BRAINANS SEPTEMBRE SEPTEMBRE • CAROL’S COUSIN, dans le cadre des JOURNÉES EUROPÉENNES DU PATRIMOINE • • DU STYLO AU MICRO #4 AVEC CÉDRIC DE LA CHAPELLE •

DÉCEMBRE SEPTEMBRE • NO ONE IS INNOCENT • HK & LES SALTIMBANKS • • MORIARTY • GLIZ • GRAFFEN • PIHPOH •

INFOS : ASSOCIATION PROMODÉGEL

MOULIN DE BRAINANS www.moulindebrainans.com • Tél. 03 84 37 50 40

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IM B A N K S H K & L E S S A LT N O C E N T N O O N E IS IN W N LOW D IZ R A E L I & D OC H U B BY P O PA E Z 3 K IE L P H IE L A G R A N D E S ON E M Y A RC H E R AU L PA Z LUKE

03 29 65 98 58

NOVEMBRE SEPTEMBRE • ASIAN DUB FOUNDATION • DROOP LION & THE GLADIATORS • • LES OGRES DE BARBACK • LAETITIA SHERIFF • • SALLIE FORD • HILIGHT TRIBE • • CAPORAL POOPA & SUNATCHA SELECTA • • ROPOPOROSE • SNAABBACASH • JACK SIMARD •

...

S E P T. -> D E C .

OCTOBRE SEPTEMBRE • LOFOFORA • COLLECTIF 13 • FANTAZIO • • ALFRED MASSAÏ • ANTIQUARKS ft PURA FÉ • • HEYMOONSHAKER • MÛ • • 1KUB & THE WICKED WICKED • • HIRAKU FESTIVAL avec FREAKISTAN + SAPIN + LE TROU DE LA LUNE + JUDAH WARSKY + ASAGAYA + DUCK DUCK GREY DUCK + MR DUTERCHE + FRANCKY GOES TO POINT-A-PITRE •

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MARIENBAD ÉLECTRIQUE De Enrique-Vila Matas / Christian Bourgois

Au fond, on l’oublierait presque : il y a de la jouissance dans l’art. Et si ça n’est plus manifeste, Marienbad électrique vous le rappelle à chaque endroit. À l’occasion de l’exposition de Dominique Gonzales-Foerster au Centre Pompidou, Enrique Vila-Matas a conçu un texte pour accompagner le travail de cette artiste née à Strasbourg à qui l’on doit d’explorer les relations entre fiction et réalité dans le cadre d’environnements, performances, vidéos et photos. L’auteur catalan raconte tout de sa rencontre avec celle qu’il qualifie « d’évadée de la littérature » : les premiers instants partagés, les échanges téléphoniques et les conversations spontanées. Lesquels nourrissent, sans chercher à les justifier, les démarches artistiques en cours. Ça cite à tout-va, ça pétille, ça frétille de créativité – d’humour et de vie ! –, comme pour retrouver ce qui semble si cher Vila-Matas, par l’intermédiaire de Robert Walser : « Une vivacité perdue, aujourd’hui inconnue, que si on la rencontrait, on se ferait un plaisir de rendre au monde ». (E.A.)

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L’INDEX FOURIERISTE

POÈMES ÉLECTRIQUES

De L. Ucciani, P. Schepens, N. Salzard / Les presses du réel

D’Aram Saroyan / Éditions Héros-Limite

« Céladonie », « angélicat », « écart absolu », Fourier incarne au mieux la figure du philosophe créateur de concepts. Tous ces néologismes sont regroupés au sein de L’Index fouriériste, tome ultime des œuvres complètes de Fourier publiées par Les presses du réel, à l’initiative de Xavier Douroux, Michel Giroud et Louis Ucciani. Le présent ouvrage contient également un CD-rom permettant de consulter tous les grands textes de Fourier ainsi qu’un index très complet. Alors que les termes « monopoleurs » et « monosexie » se trouvent rapprochés de la « morale » c’est un parcours nouveau qui se dessine au sein de l’œuvre du maître bisontin. (F.A.)

L’écrit est sa vie. Aram Saroyan a sans doute tout fait dans le domaine : poète, romancier, biographe, essayiste, auteur pour le théâtre et éditeur. Il est même identifié comme le détenteur du record du poème le plus court, m – cité, certifié dans le Guinness of Records. Ce qui semble le plus saisissant c’est l’incroyable vitalité qu’il révèle dans ses short poems rédigés entre 1964 et 1967. Loin du pur exercice de style, on retrouve dans ses évocations minimalistes de New York tout ce qu’on aime chez E.E. Cummings, mais aussi chez John Cage ou La Monte Young. Un auteur graphique donc, musical et cinétique, qui place avec bonheur sa production poétique sous l’éclairage des néons. (E.A.)

BERLIN AVANT LA TECHNO De Frédéric Cisnal / Le Mot et le Reste On a tous fantasmé Berlin, au cours de la période qui précède la chute du Mur. Il y avait Iggy Pop et David Bowie dans les années 70, mais il y avait surtout cette scène incroyable – Einstürzende Neubauten, Sprung aus den Wolken, Die Tödliche Doris – dont les sons nous parvenaient avec la part de romantisme qu’on leur associait. Le journaliste et DJ Frédéric Cisnal a vécu à BerlinOuest tout au long des années 80, et le récit choral qu’il nous livre par l’intermédiaire des acteurs mêmes de la scène post-punk et industrielle, raconte autant un pan d’histoire culturelle de la ville que son cheminement propre. Éclairant, et souvent attachant. (E.A.)

MANHATTAN, ESPACE BUCCAL De Thomas Kling / Éditions Unies En 1996, le poète allemand Thomas Kling se rend à Manhattan pour son premier séjour. Avec les poèmes de Maïakovski et Lorca, mais aussi les tableaux de Mondrian – la série très colorée des Broadway Boogie-Woogie avec laquelle le peintre néerlandais rompt avec un trop plein de rigueur –, il compose une suite de poèmes qui donne vie à New York, dans ses humeurs, ses bruits, ses outrances, et la fascination qu’elle suscite. Après le 11 septembre 2001, il y retourne et constate une béance. Laquelle est vécue en temps réel, enfouie sous la poussière. Perdue dans le silence. (E.A.)


COLMAR

1ER/18 DÉC.

VILLE

ÉVÉNEMENTS

SALES GOSSES

CRÉATION

2015

MIHAELA MICHAILOV / MICHEL DIDYM Avec Alexandra Castellon Philippe Thibault/Jérôme Boivin et Yannick Schaller Une petite fille rêveuse et ascolaire devient la cible de sa maîtresse et de ses camarades de classe. Une pièce coup-de-poing qui met en lumière la question de nos pratiques et de nos politiques pédagogiques confrontées à la recherche forcenée de la rentablilité et de la productivité. PARC DES EXPOSITIONS DE COLMAR

SAMEDI 9H - 19H DIMANCHE 9H - 18H ENTRÉE LIBRE

www.salon-du-livre-colmar.com

Salon du livre de Colmar

NAVETTES GRATUITES ENTRE LA GARE ET LE PARC DES EXPOSITIONS

Production CDN Nancy Lorraine – La Manufacture / Théâtre National de Timisoara / Badisches Staatstheater de Karlsruhe En partenariat avec

LOCATIONS 03 83 37 42 42 Plein tarif 22€ Réduit 17€ – Jeunes 9€ WWW.THEATRE-MANUFACTURE.FR

Avec le soutien du Conseil Départemental de Meurthe-et-Moselle et du Grand Nancy

vendredi

13.11

24.09.2015 17.01.2016

TRISTAN TZARA

théâtre

la chanson de l'éléphant "une pièce construite comme un thriller psychologique"

Conception : starHlight ~ Photographie : Lot

L’HOMME APPROXIMATIF POÈTE, ÉCRIVAIN D’ART, COLLECTIONNEUR

20:30

La saison de cristaL

lacoupole.fr

N° de licence entrepreneur du spectacle : 1050935 - 936 - 937


ScĂŠnarios imaginaires

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01


Ayline Olukman

La fille à la fenêtre Au matin tout était là, pareil à la veille. Il était parti comme il était arrivé, à l’improviste et sans un bruit. L’été au cœur de Brooklyn devient vite moite et absent, l’air est épais et il brûle les yeux. Tout devient lent sauf le bruit et le trop-plein renvoie à un certain vide. Elle passait son temps à tuer le temps ; fumer des gauloises au coin de la fenêtre, regarder l’agitation se faire. La lumière franche du matin au croisement de Myrtle et Broadway. Fumer et chercher des raisons. À regarder de près il y a cette nécessité de la ruine. On empile par dessus, presque en coup de vent. L’accumulation sublime l’équilibre de la ville. La poésie de New York vient de son bordel naturel. L’incompréhension de la distance à mesure que l’on se rapproche. Toujours. La confusion.

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Scénarios imaginaires

Les reflets scintillent comme les minutes qui s’écoulent, dans le fracas d’une avalanche. Il y a encore du temps, mais l’été décline et le désir se presse.

Alors dans un sursaut imprévu elle se prépara pour la plage. Laisse le soleil te couper en deux. Rappelle-toi, le rêve est aussi une réalité.

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En fermant la porte derrière elle, collée avec des bouts de scotch, la carte postale qu’elle s’était envoyée à elle-même. Plus besoin de lumière, le flash aplatit tout et résonne un peu lourd. wish you were here.

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A world within a world

01

Il fut un temps où les villes étaient vides ; elles étaient posées là dans l’attente des habitants. Je m’y promenais parfois en quête d’une voix. * Francis est mort, puis ce fut au tour de Robert. Des jeunes gens, 34 ans pour le premier, 32 seulement pour le suivant, et si attentionnés à mon égard. Mais la mort n’est rien. Mon seul regret : qu’ils n’aient jamais su me nommer – je leur étais si proche pourtant ! On l’admettra : E., ça n’est pas un nom, pas même un prénom. Pas plus ni moins que J. – Oui, Lady J. ! –, que S. ou même W. J’ai même eu droit à X. : un pianiste croisé lors d’une soirée, lui non plus ne connaissait pas mon prénom. Tout comme Francis ou Robert, il est tombé amoureux de moi. Dès notre première rencontre, il m’a même demandée en mariage. « Une seule minute auprès de vous, me répétait-il, me comble de bonheur. Je ne veux pas lasser votre patience, mais si vous me disiez au moins quand je peux vous voir... » Si seulement il avait insisté, cherché à mieux me connaître, peut-être me serais-je arrêtée ? *

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Emmanuel Abela Photo : Léa Fabing

Francis est mort, Robert aussi, mes deux frères chéris. Ils auraient mérité de vivre, mais notre père les en a empêchés. Tous deux ont rejoint le cercle familial du cimetière à Stockbridge, à proximité de l’obélisque du fondateur de notre belle dynastie. […] * Une nuit, un songe : une voix m’alerte, fugace, à peine audible ; une seconde, une troisième, des dizaines, des centaines se mêlent en une seule : dense et lancinante. La provenance est indécise. Bienveillance ou hostilité diffuse ? Un souffle enveloppant, pénétrant. Autour de moi, en moi. Les voix me susurrent à l’oreille la frustration du monde, elles ravivent la brûlure de mille tourments. Pour l’éternité, sans rémission possible. Au fond, un spectacle saisissant : tels des chiots, ils sont là, se reniflent, se cajolent, se lèchent. Au milieu de ces visages sans noms, tous plaqués sur un même modèle blême, Francis et Robert : « E., hurlent-ils, go away, it’s not your turn to play! ».


opera-dijon.fr | 03 80 48 82 82

EPPUR SI MUOVE

ART ET TECHNIQUE, UN ESPACE PARTAGÉ UNE collaboration avec le Musée des arts et métiers – Cnam, PARIS

09.07.2015 – 17.01.2016 MUDAM LUXEMBOURG

Tableau représentant un phénomène d’interférences exécuté par Pierre Ernest Peuchot en 1882 (détail) © Musée des arts et métiers – Cnam, Paris Photo : Aurélien Mole

MUDAM LUXEMBOURG MUSée D’ART MODERNE grand-DUC JEAN 3, PARK DRÄI EECHELEN L-1499 Luxembourg info@mudam.lu www.MUDAM.lu Exposition sous le haut patronage de Xavier Bettel, Premier ministre, Luxembourg. À l’occasion de la Présidence luxembourgeoise du Conseil de l’Union Européenne au second semestre 2015.

PARTENAIRES DE L’EXPOSITION : Fonds National de la Recherche Luxembourg, The Loo & Lou Foundation, abritée sous l'égide de la Fondation de Luxembourg, CFL - Société Nationale des Chemins de Fer Luxembourgeois.

PARTENAIRES MédiaS :

Opéra de Dijon 2015 - crédit photo © Gilles Abegg - design graphique Atelier Marge Design & VITALI. - composé en Minion & Dijon - licence 1 - 107675 2-107676 -107677

Abonnez vous à la saison 15 | 16 de l’Opéra de Dijon !


Carnaval

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Chloé Tercé / Atelier 25


Chic Médias Éditeur de magazines

Bordeaux Numéro 4

City magazine

Gratuit

Gratuit

City magazine Gratuit

Lorraine N°12

Strasbourg N° 27

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