Dépression nerveuse

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La dépression Guide à l’usage des patients et de leur entourage Dr Philippe Nuss Psychiatre

Pr Maurice Ferreri Chef du Service de Psychiatrie adulte


La loi du 11 mars 1957 n’autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l’article 41, d’une part, que « les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d’autre part, que « les analyses et les courtes citations dans un but d’exemple et d’illustration » ; toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement écrit et préalable de l’auteur ou ses ayants droit ou ayants cause est illicite (Alinéa 1er de l’article 40). Toute représentation, reproduction ou adaptation par quelque procédé que ce soit constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code pénal. Cette interdiction recouvre notamment l’utilisation et l’exploitation de l’ouvrage ou des textes le composant par tout procédé tels que saisie, manipulation et stockage dans une banque de données, reproduction ou transmission par quelque moyens et formes que ce soient tels que électronique, mécanique, photographique, photocomposition, cinématographique, magnétique, informatique, télématique, satellite, ainsi que par tout autre moyen existant ou à créer. L’insertion d’extraits dans un ouvrage ou dans un document de formation est interdite.

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Dépôt légal : Novembre 2002 - ISBN : 2-84504-001-6 ISSN : 97828450400014 © Printed in France Bash éditions médicales, marque de la Sas Serpens 12-16 rue de Vincennes 93102 Montreuil cedex Photogravure : Publications Puce et Plume - Paris Imprimeur : Action Graphic


Préface La dépression s’inscrit comme une ombre envahissante qui assombrit la pensée et ternit le corps. L’originalité de ce livre est de répondre aux questions des patients et des familles, à leur inquiétude, à leur désir de mieux connaître la dépression pour mieux la prévenir et la traiter. La dépression se situe à l’épicentre de conflits psychologiques, de difficultés sociales et d’une vulnérabilité biologique. Eléments dont l’intensité respective explique la rupture dépressive et détermine l’abord thérapeutique. La dépression engage donc une réflexion sur nousmême, notre vie, nos engagements, nos difficulatés et nos réponses. Tous les mouvements de l’humeur ne sont toutefois pas des dépressions. Le «blues», la «déprime», termes utilisés dans le langagez courant, sont des états transitoires d’adaptation, et non des dépressions. Ils sont induits par des situations de stress, des tensions passagères, inhérentes aux tracas quotidiens. Cependant, si le contexte est plus conflictuel et le stress plus intense, le sujet a davantage de difficultés à s’adapter, d’autant qu’il n’a pas ou peu de prise sur la situation stressante, qu’il la trouve injuste et qu’il n’a pas de recours, qu’il s’agisse d’un licenciement économique, d’une ruptiure affective, de l’apparition d’une maladie invalidante. La dépression émerge, alors, en fonction de la vulnérabilité du patient, de ses capacités à aménager cette nouvelle situation. Elle marque une rupture, une désaprobation temporaire du sujet avec l’environnement. 3


Il est des dépressions plus complexes, récidivantes, qui témoignent d’une sensibilité plus importante aux événements et d’une certaine fragilité biologique qui facilitent l’émergence dépressive. Il est aussi des états dépressifs récurrents, plus rares, qui alternent avec des états d’exaltation, d’euphorie, réalisant la maladie bipolaire de l’humeur dont la dimension biologique apparaît primordiale. Si la dépression est un moment de grande souffrance, de douleur morale, elle devrait, une fois dépassée, susciter une réflexion personnelle, source de connaissance plus intime de soi. Quels que soient le type de dépression et la singularité de chaque déprimé, les thérapeutes aménagent des soins spécifiques, psychologiques et médicamenteux, qui soulagent et le plus souvent guérissent. Pr Maurice Ferreri

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Remerciements Nous tenons à remercier les patients et leurs médecins qui se sont réunis pour nous proposer les questions rassemblées dans cet ouvrage. Ils nous ont permis d’aborder certains aspects pratiques de la vie du déprimé ou de son entourage dont nous sous-estimions l’importance. Merci aussi à Edith, Patrick et Télémaque pour leur relecture attentive et affectueuse du manuscrit.

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Sommaire Préface ................................................................................... 3 Remerciements ...................................................................... 5

Introduction Pourquoi écrire un livre sur la dépression ? ...................... 14 Qui sont les auteurs ? ......................................................... 16

Qu’est-ce que la dépression ? 01. Comment puis-je m’apercevoir que je suis déprimé ? 22 02. Combien de temps faut-il pour me rendre compte que je suis déprimé ? .......... 25 03. Quels sont les symptômes de la dépression ? ............. 28 - Atteinte de la vie affective - Atteinte de la vie intellectuelle - Atteinte de la vie active - Atteinte de la vie instinctuelle 04. Suis-je déprimé ou anxieux ? Comment savoir ? ........ 35 05. La dépression est-elle douloureuse ? .......................... 39 06. La dépression est-elle une maladie grave ? ................ 40 07. À quel âge est-il possible de faire une dépression ? .. 42 08. Est-il possible d’être déprimé à l’adolescence ? ......... 44 09. La dépression est-elle identique chez les hommes et les femmes ? ................................ 47 10. Toutes les dépressions sont-elles identiques ? ............ 49


11. Ne suis-je pas le mieux placé pour savoir ce qui m’arrive ? ...................................... 52 12. Quels sont les différents types de dépression ? ......... 53 13. Qu’est-ce que le trouble bipolaire .............................. 56 14. La dépression influence-t-elle mon alimentation ? .... 59 15. Quels sont les tout premiers signes de la rechute dépressive ? ............................................ 61 16. Le scanner peut-il confirmer qu’il s’agit d’une dépression ? ..................................... 63 Quelles sont les causes de la dépression ? 17. Peut-il y avoir plusieurs causes à ma dépression ? ..... 66 18. Puis-je faire une dépression alors que tout va bien dans ma vie ? .......................... 69 19. La dépression provient-elle d’une sécrétion manquante ? ...................................... 71 20. La perte d’une personne proche peut-elle être la cause de ma dépression ?................. 73 21. Les causes de la dépression sont-elles les mêmes chez les hommes et les femmes ? ............. 74 22. Les variations hormonales peuvent-elles être responsables de la dépression ? ................................... 75 23. Ne pas aimer mon corps peut-il provoquer une dépression ? ........................................ 77 24. La consommation de drogues peut-elle être responsable de dépression ? ................ 80 25. Ma dépression peut-elle être due à l’arrêt du tabac ? ....................................................... 83 26. Suis-je atteint d’une dépression saisonnière ? ............ 84 27. Quelles maladies peuvent provoquer une dépression ? ........................................ 86

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Conséquences de la dépression 28. La dépression diminue-t-elle mes performances mentales ?...................................... 90 29. La dépression diminue-t-elle mes performances physiques ? .................................... 92 30. La dépression diminue-t-elle ma libido ? .................... 93 31. La dépression peut-elle être responsable d’une rupture avec mon conjoint ? ............................. 95 32. Pourquoi est-il si difficile d’être compris lorsque je parle de ma dépression ? ............................ 99 33. Dois-je parler de ma dépression à la maison ? ......... 101 34. Puis-je me confier à mon entourage professionnel ? ............................. 103 35. La dépression interdit-elle l’accès à certaines professions ?............................................. 105 36 En quoi puis-je compter sur mon entourage pour m’aider ? .............................................................. 106 37. Que faire si mon entourage est épuisé ? .................. 108 38. La dépression peut-elle m’apporter quelque chose de positif ? ......................................... 110 Principes du traitement de la dépression 39. Puis-je me remettre spontanément de ma dépression ? ..................................................... 114 40. Y a-t-il urgence à me traiter ? ................................... 116 41. Quels sont les principes du traitement ? ................... 118 42. Qui consulter : un médecin généraliste, un psychiatre ou un psychologue ? ........................... 120 43. Dois-je être hospitalisé ? Si oui, combien de temps ? .. 123 44. Faut-il choisir une clinique ou un hôpital ? .............. 125 45. Serais-je libre de sortir en cas d’hospitalisation ?..... 126 46. Comment aider un proche déprimé ? ....................... 129

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47. Comment amener une personne déprimée à se faire soigner ? ...................................................... 131 48. Est-il préjudiciable de rechercher un médecin pour faire soigner un proche déprimé ? ................... 133 49. Le travail est-il thérapeutique ? ................................. 135 50. Faut-il que je parte en vacances si je suis déprimé ? 137 51. Faut-il se distraire lorsque l’on est déprimé ?........... 139 52. Quand dois-je m’arrêter et reprendre mon travail ? ......................................... 141 Médicaments antidépresseurs 53. Existe-t-il des traitements naturels de la dépression ? ....................................................... 146 54. Comment agissent les antidépresseurs ? ................... 149 55. Pourquoi existe-t-il plusieurs types d’antidépresseurs ? ........................................... 153 56. Les médicaments antidépresseurs sont-ils réellement efficaces ? .................................... 154 57. Faut-il ajouter d’autres médicaments aux antidépresseurs ? ................................................. 159 58. Quels sont les effets secondaires des antidépresseurs ? .................................................. 161 59. Comment mon médecin choisit-il l’antidépresseur qui me convient ? ........................... 163 60. Combien de temps devrai-je être traité (e) ?............ 165 61. Serais-je encore moi-même si je prends des antidépresseurs ? .................................................. 167 62. La dépression m’a-t-elle appris quelque chose ? ...... 170 63. La dépression peut-elle reprendre à l’arrêt du traitement ? ............................................. 172 64. Dois-je faire quelque chose après l’arrêt des médicaments ? .......................................... 174

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65. Dois-je informer mes proches et mes collègues que je prends des antidépresseurs ?.......................... 176 66. Les électrochocs (sismothérapie) sont-ils encore utilisés pour soigner la dépression ? ............. 178 Psychothérapies 67. Dois-je choisir entre un antidépresseur et une psychothérapie ? ............................................. 184 68. Qu’est-ce qu’une psychothérapie ? ........................... 187 69. Quel type de psychothérapie dois-je entreprendre ? ................................................ 189 70. Que sont les thérapies comportementales et cognitives ? ............................................................. 191 71. Qu’est-ce que la psychothérapie psychanalytique ? 193 72. Que sont les thérapies familiales (ou systémiques) ? 196 73. Que sont les thérapies de groupe ? .......................... 199 Nouveaux traitements Quels sont les nouveautés thérapeutiques ? .................. 202 Annexes Adresses utiles .................................................................. 206 Ouvrages à lire ................................................................. 208 Glossaire ........................................................................... 210

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Introduction

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Pourquoi écrire un livre sur la dépression ? Comprendre et soigner la dépression demande quelques explications. Ce livre se propose d’aider les personnes souffrant de cette maladie à comprendre ce qui leur arrive. Il donne des pistes pour réagir et utiliser au mieux les diverses aides mises à leur disposition. Cet ouvrage est aussi destiné à ceux qui les entourent, afin de les aider à intervenir utilement dans la vie de leur proche déprimé. Lorsqu’elle n’est pas traitée, la dépression peut avoir des conséquences extrêmement négatives pour le déprimé et son entourage. C’est pourquoi je souhaite encourager les personnes déprimées à se soigner sans attendre, ce qui ne signifie pas prendre immédiatement des médicaments. La dépression est à la fois familière et difficile à comprendre. À titre d’exemple, deux situations psychologiques en apparence opposées peuvent témoigner de ce curieux mélange. Nous pouvons par exemple, sans raison précise, éprouver des sentiments de tristesse, de repli, un désintérêt face à la vie, c’est-à-dire ressentir les signes principaux de la maladie, sans pour autant souffrir d’une réelle dépression. Contrairement aux apparences, cette situation qui évoque la maladie dépressive (puisqu’elle survient sans qu’aucune cause déclenchante évidente ne vienne l’expliquer) peut s’avérer passagère. Il s’agit dans ce cas d’un épisode transitoire de notre existence durant lequel notre psychologie s’organise brièvement sur un mode dépressif. La situation inverse existe également et elle peut se révéler tout aussi trompeuse. Parfois, à l’occasion 14


de circonstances difficiles de notre vie (deuil, divorce, maladie) apparaissent des signes évoquant la dépression. Nous pensons alors qu’il s’agit d’une réaction provisoire qui disparaîtra quand ces événements négatifs auront cessé de faire ressentir leurs effets. Il peut pourtant s’agir d’une dépression authentique. Il nous faut donc nous méfier d’explications trop directes de l’humeur dépressive par les accidents récents de notre parcours. C’est pourtant une tentation que nous avons tous. La réalité de la dépression est ainsi complexe. Comme il est difficile d’être à la fois juge et partie pour déterminer par soi-même si nous sommes déprimés ou non, il ne faut pas hésiter à demander l’aide d’un médecin quand nous ressentons des signes psychologiques inhabituels. Ce guide a aussi pour but d’aider les personnes déprimées à s’orienter à travers les différents types de soins qui leur sont aujourd’hui proposés et dont la complexité peut les désorienter. Vouloir s’informer sur la dépression, c’est déjà entamer une démarche vers la guérison.

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Qui sont les auteurs ? Professeur Maurice Ferreri Chef du service de psychiatrie de l’hôpital Saint-Antoine à Paris, Maurice Ferreri a manifesté un intérêt constant pour des domaines aussi divers que les sciences humaines et les sciences dites fondamentales. Par sa double formation, psychanalytique et psychiatrique, il a su allier dans la compréhension et les soins qu’il apporte aux patients, la prise en compte de leur histoire et la connaissance du contexte de survenue des troubles, tout en insistant sur la dimension relationnelle dans laquelle s’inscrit tout acte thérapeutique. Toujours à l’écoute des patients, sensible à leurs préoccupations, le professeur Ferreri, par sa longue expérience, est à même de répondre, dans cet ouvrage, à leurs questions pour qu’ils participent activement aux possibilités préventives et au suivi thérapeutique.

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Docteur Philippe Nuss Je suis psychiatre et j’ai choisi d’exercer mon métier dans le service public. Je travaille dans le service du professeur Maurice Ferreri à l’hôpital Saint-Antoine à Paris. Notre service accueille beaucoup de personnes déprimées et nous avons acquis grâce à cela une grande expérience de cette maladie. J’essaie d’être à l’écoute de mes patients. Je suis convaincu qu’il est nécessaire de prendre en compte toutes les nuances de l’expression de la souffrance dépressive pour arriver à proposer le meilleur soin. En matière de psychologie et de psychiatrie, le détail compte autant que le symptôme évident. C’est pourquoi je crois à la nécessité d’écouter attentivement les patients. Je les incite à parler simplement à leur médecin de leurs difficultés et de ce qu’ils ressentent. Malgré sa réputation de spécialité floue et subjective, la psychiatrie est en réalité une discipline très précise, parfois tatillonne, dans ses descriptions. Cette « mauvaise réputation » ne tient donc pas à l’absence de rigueur dans la description des symptômes, mais à la nécessité d’avoir recours en même temps à plusieurs modèles théoriques décrivant la diversité et la complexité de l’humain. Ceci peut expliquer en partie la divergence apparente des analyses. Je me fonde donc, pour guider ma conduite, non seulement sur des théories comme celles que la psychologie nous a transmises, mais aussi sur les données issues des acquis les plus récents des neurosciences ou des essais cliniques sur les médicaments. Depuis quelques années, la connaissance et la compréhension des causes biologiques de la dépression nerveuse (de même que l’explication biochimique de l’effet des traitements) ont 17


été très approfondies. Ceci a permis d’offrir des soins dont l’efficacité est supérieure à celle dont nous disposions par le passé. Les travaux de recherche continuent dans ce sens et de nouveaux progrès sont à venir. Ils maintiennent l’espoir et mon intérêt pour la psychiatrie. J’ai la chance de pouvoir enseigner aussi bien aux jeunes professionnels de la santé qu’aux confrères confirmés. Les rencontres avec mes collègues français et étrangers m’aident à comprendre qu’il existe plusieurs manières de pratiquer. Cependant, quelle que soit l’approche, un point commun existe. La rigueur, l’honnêteté intellectuelle, le désir de comprendre et le sens critique sont indispensables pour soigner, au plus proche de l’idéal, une personne déprimée. Cela explique pourquoi il peut exister plusieurs manières de la soigner. Comme nous ne pouvons pas envisager une médecine sans science, ces différentes approches doivent donc, quand cela est possible, être validées scientifiquement. Il persiste toutefois des aspects qui ne se réfèrent pas directement à la science mais qui n’en sont pas pour autant moins rigoureux si nous pouvons les expliciter et les appuyer sur un modèle de référence. Cette pluralité d’approches n’est donc pas arbitraire ; bien au contraire, elle témoigne du fait qu’une approche de la personne qui souffre doit nécessairement prendre en compte des registres aussi divers que ses données biologiques, son histoire ou sa culture. C’est pourquoi, encore aujourd’hui, la médecine demeure une science et un art. Mes patients et mes étudiants me prouvent chaque jour à quel point la dépression est difficile à saisir. D’une part, chacun d’entre nous, en puisant dans son expérience personnelle, se sent capable de l’accepter et de la comprendre. Et d’autre part, la dépression nous échappe, fait peur, a tendance à être prise pour de la faiblesse. La dépression est donc à la fois familière et incompréhensible. 18


Dans de nombreux cas, l’opinion subjective, les croyances sur la dépression prennent le pas sur la raison et le bon sens. C’est pourquoi la dépression est si souvent difficile à accepter et à identifier. Ce constat nous a incités, Monsieur le professeur Ferreri et moi-même, à l’écriture de ce livre.

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Qu’est-ce que la dépression ?

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01 • Comment puis-je m’apercevoir que je suis déprimé ? Souvent, la dépression est évidente. Nous pleurons, nous ne dormons plus, la vie nous paraît décolorée, sans intérêt, notre esprit tourne au ralenti et une fatigue intense nous envahit. Nous observons un contraste évident avec ce qu’était notre comportement préalable. Cette rupture par rapport à ce que nous ressentions auparavant est une des caractéristiques importantes de la dépression. Pourtant, dans de nombreux cas, malgré l’évidence de tels symptômes, il nous est difficile d’évoquer spontanément la dépression. Cette incapacité à reconnaître notre dépression ne signifie pas pour autant qu’elle soit légère mais peut être simplement due au fait qu’il est ardu de juger par nous-mêmes de notre état psychologique. Les signes ou symptômes que nous ressentons ne sont donc pas faciles à attribuer immédiatement à la dépression. L’aide d’un regard extérieur s’avère ainsi indispensable. La situation est souvent trompeuse, car elle n’évoque pas la dépression telle que nous nous la représentons habituellement. Les symptômes se résument souvent à des douleurs, une fatigue isolée ou un changement dans notre caractère. Parfois, la dépression se manifeste par un besoin de boire de l’alcool plus que de raison. Dans d’autres cas, des événements fâcheux survenus récemment dans notre vie semblent à même d’expliquer ces symptômes. Un stress professionnel, des soucis d’argent, des difficultés relationnelles ou des problèmes de santé nous paraissent constituer des causes suffisantes pour justifier notre état psychologique. Dans ces situations, 22


nous n’évoquons pas spontanément la dépression. Notre entourage peut toutefois être alerté par un comportement que nous n’avions pas remarqué parce qu’il est apparu progressivement. Les modifications de notre comportement causées par la dépression peuvent constituer les premiers signes de la maladie et être présents avant même que nous en ayons conscience. C’est ainsi que nous pouvons avoir des difficultés à nous lever le matin ou préférer nous isoler progressivement. Nous sombrons dans le pessimisme en ressassant des phrases dévalorisantes du style « Je ne vaux plus rien, je ne sers à rien, à quoi bon tout cela ? ». L’insomnie peut s’installer progressivement et nos déambulations peuvent étonner et même irriter notre famille. Nos proches, ignorants eux aussi qu’il s’agit d’une dépression, ne peuvent nous comprendre et essayent d’interpréter nos attitudes à leur façon. Ce qui désarçonne le plus notre entourage, c’est de voir la même personne, apparemment identique en tout, qui récemment se réjouissait de ses futures vacances, n’avoir aujourd’hui plus aucun projet et ne remarquer que les éléments négatifs de la vie. Le sentiment d’inutilité totale qui envahit alors le déprimé est un vécu douloureux autant pour celui qui l’éprouve qu’il est pénible pour son entourage. Cette conviction de ne plus servir à rien est en effet ressentie par ceux qui nous entourent comme une agression. Chacun a ses soucis et nos proches sont souvent très démoralisés d’avoir auprès d’eux quelqu’un qui voit tout en noir. Après avoir tenté en vain de relativiser notre profond pessimisme, notre entourage peut se mettre en colère ou parfois donner l’apparence de l’indifférence.

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Dans tous les cas, notre état dépressif affecte nos proches. Notre entourage, qui se sent impuissant, ne s’explique pas ces modifications dans notre comportement. Un malaise dans la communication s’installe entre nous et nos proches, devenant source de conflits et de tensions. Comme nous le voyons, la dépression peut entraîner beaucoup de dégâts pour nous-mêmes et pour notre entourage.

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02 • Combien de temps faut-il pour me rendre compte que je suis déprimé ? Il faut peu de temps pour s’apercevoir que l’on est déprimé lorsque la dépression est typique ou lorsqu’elle apparaît rapidement et que ses symptômes nous sont familiers. Certaines personnes en font elles-mêmes le diagnostic en quelques jours. Elles retrouvent des impressions éprouvées lors des épisodes dépressifs précédents et reconnaissent le retour de la dépression dès le premier jour, au réveil. Un changement dans la manière de percevoir la lumière ou les sons, une façon d’envisager péniblement le déroulement de la journée sont pour elles des signes annonciateurs de l’état dépressif. Dans la majorité des cas, nous rendre compte que nous sommes déprimés n’est pas si évident. Cela peut prendre des semaines, voire des mois. Tentons d’en comprendre les raisons. Chacun des symptômes de la dépression, pris isolément, correspond à des états que nous pouvons ressentir au cours de la vie ordinaire. Aucun de ces signes par lui-même ne vient immédiatement nous signaler que la maladie est présente. C’est l’association et la durée de ces symptômes qui attestent de la maladie et non pas la seule présence d’un ou deux symptômes isolés. Une analyse complète de l’état de santé du déprimé par le regard extérieur d’un médecin est donc indispensable pour établir un diagnostic de dépression.

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Il est difficile d’évoquer la dépression lorsque ses symptômes sont peu caractéristiques. Une insomnie, des douleurs, une angoisse, une colère ou des pertes de mémoire ne sont pas toujours faciles à rattacher immédiatement à la dépression. Ces manifestations de dépression sont attribuées à d’autres causes. Nos proches, ne comprenant pas la dépression qui nous atteint, peuvent involontairement nous faire des réflexions désobligeantes. Face à notre fatigue, qui est bien réelle, ils évoquent la paresse ou la mauvaise volonté. Notre entourage peut également confondre notre dépression avec une faiblesse passagère susceptible de guérir avec le repos. Cette attitude montre à quel point il est difficile pour nos proches de comprendre que nous soyons déprimés. Une caractéristique de l’espèce humaine vient encore freiner la perception que nous pourrions avoir de la dépression. C’est la nécessité qui est la nôtre de comprendre et donner du sens à tout ce qui nous arrive. Lorsque les signes de la dépression apparaissent, nous nous ingénions donc à leur trouver une explication. L’explication, la plus fréquemment entendue par les médecins de la part de leurs patients est qu’ils auraient récemment subi des événements difficiles. Pourtant des situations analogues ont déjà eu lieu par le passé sans entraîner la moindre dépression. Un dernier motif explique la raison pour laquelle il est si long de reconnaître une dépression. Le fait d’être malade est une éventualité que nous envisageons avec difficulté. Nous résistons généralement à l’idée qu’une maladie puisse nous atteindre. Lorsqu’il s’agit d’une dépression, des idées de faiblesse, de honte, de folie, viennent augmenter cette résistance. Malheureusement, la dépression peut atteindre tout le monde. 26


Il nous faut nous autoriser à accepter que cela puisse être notre cas car la dépression n’arrive pas qu’aux autres. Que la dépression soit facile ou difficile à percevoir, une chose est certaine : l’analyse complète de notre état par un médecin est indispensable pour confirmer ce diagnostic.

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03 • Quels sont les symptômes de la dépression ? La dépression est une maladie, et comme toute maladie, ses symptômes sont universels. La dépression caractérisée possède les mêmes contours, quelles que soient les latitudes ou les cultures. Les symptômes de la dépression ont néanmoins des caractéristiques qui la distinguent de beaucoup d’autres maladies. Des symptômes comme la tristesse ou l’insomnie peuvent être isolément retrouvés chez des personnes qui ne sont pas atteintes de dépression. Quoi de plus normal que d’être triste lorsqu’une situation vécue est dramatique, que de ne pas parvenir à s’endormir lorsque de gros soucis s’amoncellent. Il nous arrive aussi par exemple d’éprouver de l’anxiété, d’avoir du mal à dormir ou envie de pleurer tout en étant bien portants. La difficulté vient du fait qu’aucun des symptômes de la dépression, pris à lui seul, ne peut nous signaler immédiatement que la maladie est présente. C’est l’association et la durée de ces symptômes qui attestent de la maladie. Comme il est très difficile d’être à la fois juge et partie, un regard extérieur est indispensable pour valider le diagnostic de dépression. Une autre caractéristique des symptômes de la dépression mérite d’être expliquée. Il s’agit de l’intuition que nous avons de connaître cette maladie sans pour autant en avoir jamais été atteint. Le fait d’avoir, au cours de notre existence, traversé des moments de tristesse, de découragement, d’insomnie, peut nous faire croire que nous savons, même sous une forme atténuée, ce qu’est la dépression. La grande leçon que nous apprennent les patients déprimés, qui ont eux aussi traversé ces moments de découragement, c’est que l’expérience de la dépression est d’une 28


autre nature. Ces patients la distinguent parfaitement des autres passages difficiles de leur vie. Pour une personne bien portante, il est très difficile de comprendre vraiment ce que vit un déprimé. La dépression atteint tous les registres de notre vie (vie affective, vie intellectuelle, vie active et vie instinctuelle). Atteinte de la vie affective La tristesse est une expérience affective négative que les personnes déprimées décrivent comme douloureuse et nouvelle. Avant d’être déprimés, tous les patients ont déjà ressenti de la tristesse. La tristesse de la dépression possède en plus un caractère douloureux (décrit à l’égal d’une douleur physique), incompréhensible et envahissant que l’on ne retrouve pas dans la tristesse commune. Cette tristesse est souvent accompagnée de pleurs sans motif, d’un sentiment de désespoir. Lorsque nous sommes déprimés, nous devenons très sensibles à des événements extérieurs qui ne nous concernent pas directement, mais vis-à-vis desquels nous établissons des correspondances affectives. Nous pouvons alors avoir le sentiment que le monde entier fait écho à notre tristesse. L’hypersensibilité émotionnelle. Notre façon de ressentir les émotions est souvent paradoxale lorsque nous sommes déprimés car nous éprouvons dans le même temps des impressions apparemment opposées. Il existe d’un côté une très grande sensibilité aux émotions suscitées par la vie quotidienne, comme s’il manquait un espace d’amortissement entre nous et notre environnement. Malgré cette grande réceptivité émotionnelle, tout se passe comme si nous n’éprouvions plus rien. Nous sommes à la fois anesthésiés et hypersensibles. Lorsque nous sommes déprimés, des personnes aussi importantes que nos enfants, notre conjoint ou nos amis, paraissent ne plus compter autant que par le passé. 29


L’incapacité à éprouver du plaisir. Nous avons tous des sujets ou des activités qui nous tiennent à cœur. Il peut s’agir de football, de musique, de rencontres entre amis, mais aussi de petites habitudes, comme lire le journal devant un café, flâner en faisant du lèche-vitrines… Tous ces petits plaisirs font « vibrer » notre quotidien et constituent un tissu qui renforce l’intérêt pour la vie. Ces petits bonheurs de l’existence disparaissent en cas de dépression. Tout semble alors égal, terne et sans intérêt. Les personnes déprimées ont l’impression d’être dans une vie qui a perdu tout sens, toute fraîcheur, toute couleur. L’entourage remarque parfois, souvent plus rapidement que la personne malade, ces changements d’habitudes. L’impression d’abandon, d’inutilité, de solitude est importante. Cette impression cohabite avec le sentiment que nous ne sommes pas aimés des autres, que nous ne sommes pas intéressants, que nous n’avons rien à dire. L’anxiété. Même si l’anxiété et la dépression sont deux maladies différentes, nous constatons que l’anxiété est un symptôme très fréquent chez les personnes déprimées. L’anxiété peut se définir comme une peur sans cause évidente. Elle s’exprime aussi bien dans notre corps (fréquemment sous forme d’une « boule » dans la gorge, d’une gêne à respirer, de douleurs diverses) que de façon psychologique (sous forme de peur « flottante », de ruminations auxquelles s’ajoute l’impression de catastrophe imminente). Nous nous sentons alors comme bloqués dans notre corps et dans notre pensée. Cet état émotionnel provoque une impression de monotonie, d’indifférence. Tout se passe comme si la vie n’avait plus de sens ou comme si les événements les plus banals comme les plus importants avaient la même importance. Nous avons la sensation que la dépression est venue « décolorer les couleurs du temps ». Atteinte de la vie intellectuelle Le ralentissement. Lorsque nous sommes déprimés, pen30


ser devient une tâche pénible, trouver des mots, un cassetête. Nous avons l’impression de ne plus avoir de pensée, que notre tête est vide. Des actes qui, jusqu’à présent, s’effectuaient naturellement, nécessitent désormais un effort très important. Préparer un simple repas se transforme en une tâche complexe ; rédiger une lettre représente une difficulté insurmontable. La diminution de l’attention, de la concentration et de la mémoire est fréquente. Fixer son attention longtemps, ne pas être distrait par l’environnement, retenir ce que nous venons de lire sont autant de tâches que nous ne parvenons plus à accomplir. Nous avons l’impression que nous ne sommes plus compris et que nous ne retenons plus rien. Lorsque nous lisons, il nous faut sans cesse relire le même passage du texte, sans que cette relecture soit efficace. Nous préférons parfois renoncer à la lecture même de nos journaux ou de nos magazines préférés. S’il était possible de tester en profondeur notre mémoire à ce moment, nous pourrions pourtant constater qu’elle est intacte. La différence provient de notre capacité à la solliciter. Si la dépression nous donne l’impression d’avoir perdu définitivement la mémoire, sa guérison nous prouve heureusement, qu’il n’en est rien. Le contenu négatif de la pensée conduit au pessimisme. Notre pensée est difficile à mettre en route. Cette dernière paraît fonctionner sur un mode unique totalement négatif. La situation vécue est analysée selon l’angle le plus péjoratif qui soit. L’impact des événements est toujours observé sous l’aspect évolutif le plus défavorable. L’opinion des autres à notre égard nous paraît a priori négative. La dépression peut ainsi nous donner l’impression d’être persécuté. Ce pessimisme omniprésent est contagieux. Il nous envahit puis retentit sur nos proches, entravant d’autant l’aide que ceuxci pourraient nous apporter.

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La dépression nous donne l’impression que le passé était idéal (ou parfois, à l’inverse, la cause irrémédiable de la situation actuelle). Le présent apparaît difficile et l’avenir est impossible à envisager. Dans les formes graves, la personne déprimée peut croire que tout est perdu, qu’elle est ruinée et que personne ne peut plus rien pour elle. Il lui est alors difficile de demander de l’aide. La dévalorisation de soi et la culpabilité s’ajoutent souvent, laissant croire à la personne déprimée qu’elle est responsable de sa situation. Tout se passe comme si la dépression nous faisait chausser des lunettes produisant un filtrage négatif dans la compréhension des événements. Les pensées autour de la mort nous interpellent. La personne déprimée est parfois conduite à envisager la mort comme « unique solution ». Les idées « d’en finir » et les pensées négatives s’imposent à elles dans certains cas, favorisant l’évocation de la mort. Ces idées de mort, que les personnes déprimées interprètent comme la conséquence logique de l’inutilité de leur vie, ne sont pas toujours la conséquence de cette analyse pessimiste. Tout se passe comme si ces idées de mort étaient une fabrication propre à la dépression au même titre que l’insomnie. Dans l’état actuel de nos connaissances, il est impossible de rattacher scientifiquement ces idées de mort à une cause précise. Lorsque la personne déprimée se porte mieux, elles disparaissent malgré la persistance des soucis quotidiens. Bien qu’il soit tabou d’aborder ce sujet, la personne déprimée doit non seulement évoquer ces idées avec son entourage mais aussi en informer son médecin, ceci est essentiel. Garder ces idées noires pour soi constitue toujours un héroïsme inutile. L’atteinte de la vie active témoigne du retentissement de la dépression. La fatigue est le symptôme de dépression le plus fréquemment observé. Il s’agit d’une sensation de perte 32


d’énergie et de fuite de l’élan vital qui envahit toutes nos activités. La caractéristique de cette fatigue est que le repos ne peut pas l’atténuer. Ainsi, le sommeil (soit en déficit soit en excès) ne parvient-il pas à la diminuer. Ce sommeil est dit « non » réparateur. Cette fatigue est donc un symptôme de dépression en soi et n’est pas la conséquence d’un effort particulier. Se sentir fatigué à ce point vient ajouter encore au sentiment de découragement. Le ralentissement. La dépression ralentit tous les gestes, ce qui conduit à prendre plus de temps pour faire les choses habituelles. La personne déprimée donne l’impression de vivre au ralenti. La mobilité de son visage est diminuée, lui donnant un air figé qui laisse croire qu’elle est indifférente à ceux qui l’entourent. Sa parole est lente, traînante. La personne déprimée a l’impression que tout va trop vite, qu’elle n’est plus dans le coup. Ne plus se sentir capable de réagir quand il le faut augmente encore son inquiétude. Ce ralentissement retentit sur l’ensemble de la vie. Les émotions, les pensées et les actions sont engluées, freinées par la cuirasse dépressive. La vie instinctuelle est elle aussi touchée. Certaines fonctions essentielles à la vie sont modifiées par la dépression. Le sommeil est souvent précocement altéré. Le déprimé se plaint souvent d’un mauvais sommeil avec des réveils fréquents. Le petit matin (entre trois et cinq heures) est une période d’insomnie particulièrement fréquente, pénible et souvent angoissante. Le sommeil est globalement moins profond et peu réparateur. Plus rarement, il peut exister une envie de dormir permanente qui ne parvient pas à se concrétiser. Certaines personnes souffrant de dépression ont un sommeil refuge, comme s’il y avait un besoin supérieur de sommeil. Mais au total, cette hypersomnie, plutôt abrutissante, ne permet pas de récupérer de façon satisfaisante. 33


L’appétit est très souvent modifié. Comme pour le sommeil, les médecins décrivent deux situations opposées. Le plus souvent, notre appétit est diminué, manger devient une corvée : les aliments paraissent sans goût et l’assiette trop fournie. Nous picorons plus que nous ne mangeons. Les horaires des repas se font irréguliers, leur composition déséquilibrée. La perte de poids est souvent un signe important pour le diagnostic de la dépression. À l’inverse, on observe parfois une augmentation de la consommation d’aliments, surtout sucrés, qui peut entraîner une prise de poids. La sexualité est une fonction vitale qui possède des aspects à la fois biologiques et relationnels. Ces deux dimensions étant altérées dans la dépression, il est logique que la vie sexuelle soit alors très diminuée. Le désir sexuel peut disparaître, et le plaisir s’estomper. La réalisation de l’acte sexuel devient plus difficile, car le corps ne réagit plus. Le conjoint a parfois l’impression d’être délaissé, ce qui accentue la tension dans la vie de couple. Le corps se dérègle. Certaines constantes corporelles comme la tension artérielle, la digestion, les rythmes biologiques sont modifiées par la dépression. Ces modifications entraînent des douleurs et provoquent des dysfonctionnements. Les règles peuvent disparaître ou devenir irrégulières, la tension artérielle peut devenir instable.

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04 • Suis-je déprimé ou anxieux ? Comment savoir ? Pour répondre à cette question, il faut d’abord essayer de comprendre les différences entre l’anxiété et la dépression. Anxiété et humeur triste « normale » L’anxiété est une émotion normale, proche de la peur, qui existe chez tout être humain. Cette anxiété correspond à deux caractéristiques de l’espèce humaine : d’une part, à sa faculté d’adaptation et, d’autre part, à son besoin de trouver du sens à tout ce qui lui arrive. Nous sommes, depuis notre plus jeune âge, en permanente interaction avec notre environnement. Une partie de notre anxiété témoigne de cette prise de conscience et joue un rôle très utile à notre survie puisqu’elle nous permet d’ajuster au mieux notre comportement, ainsi que nos pensées, aux contraintes du monde qui nous entoure. Un autre versant de l’anxiété est issu de l’interrogation que l’homme porte sur son origine, son devenir et sur son projet de vie. Il tente de trouver du sens à son existence personnelle. Ces deux formes d’anxiété, que nous appelons adaptative et existentielle, sont donc normales et nécessaires au maintien de notre espèce. La tristesse « normale » est aussi un état douloureux et réversible de l’humeur face à une situation négative de notre existence. En comparant ces formes d’anxiété « normales » et la tristesse « normale », nous constatons quelques différences. La tristesse telle que nous la ressentons lorsque nous sommes confrontés à des événements douloureux de notre vie (comme la mort d’un proche ou une déception amoureuse) est une éventualité relativement rare qui survient au décours d’événements dramatiques. Par comparaison avec l’anxiété, qui est une situation banale dans un monde 35


changeant, la tristesse, même normale, est plus exceptionnelle. Par ailleurs, si nous nous référons à notre propre expérience de vie, nous pouvons constater qu’il existe fréquemment une tension anxieuse lorsque nous sommes tristes. Mais nous éprouvons aussi l’inverse. L’anxiété, génératrice de doute, parce qu’elle remet partiellement en question nos certitudes, peut aussi entraîner une dévalorisation qui se rapproche de la dépression. La frontière entre ces deux sentiments naturels, pourtant différents, n’est pas toujours évidente. Anxiété et tristesse « pathologiques » Ce que nous constatons autour des dimensions normales de l’anxiété et de la tristesse est aussi vrai pour leurs aspects pathologiques. Une partie des signes de l’anxiété se retrouvent dans la dépression et réciproquement. On dit qu’il existe un chevauchement entre les troubles anxieux et les troubles dépressifs. Nous utiliserons des mots différents pour qualifier les aspects « normaux » et pathologiques de ces deux composantes de notre affectivité. L’anxiété pathologique sera nommée « trouble anxieux » et la tristesse pathologique « dépression ». Lorsqu’il y a maladie, les personnes qui souffrent ressentent des émotions qualitativement et quantitativement différentes de l’émotion « normale ». Les troubles anxieux ne sont pas des exagérations de l’anxiété normale. De même, la dépression n’est pas une tristesse plus forte, qui durerait plus longtemps. Ce que nous éprouvons lorsque nous sommes malades et lorsque nous nous adaptons fait pourtant appel à des voies émotionnelles et des processus psychiques communs. Mais l’organisation, la durée, la nature, le retour spontané à la normale de ces émotions et de ces pensées font la différence entre anxiété normale et trouble anxieux et entre tristesse et dépression. Les troubles anxieux et la dépression sont donc deux groupes de maladies différentes. Cependant, il est parfois possible de les confondre pour plusieurs raisons. Tout 36


d’abord, un certain nombre de symptômes des troubles anxieux et de la dépression sont communs. C’est le cas pour les difficultés à dormir, à s’alimenter et à réfléchir. Il est donc nécessaire d’analyser avec précision ces éléments communs pour savoir auquel des deux troubles ils appartiennent. Deuxièmement, ces deux troubles sont très fréquemment présents en même temps, plus que ne le voudrait le simple hasard. C’est ainsi que certains spécialistes ont pu affirmer qu’il s’agissait d’une même maladie qui s’exprimait par un mélange plus ou moins riche de ces deux entités (la dépression et les troubles anxieux). Lors de la dépression, les symptômes anxieux, très fréquents, majorent la souffrance de la personne déprimée. Troisièmement, la présence d’un des deux troubles favorise l’apparition progressive de l’autre. En conséquence, une anxiété qui dure, favorise l’apparition d’une dépression. Cette relation entre troubles anxieux et dépression incite fortement le médecin à rechercher des signes de dépression chez quelqu’un qui semble ne présenter que des signes d’anxiété. Dans un grand nombre de cas de dépression, les symptômes d’anxiété, plus visibles et immédiatement invalidants, sont plus apparents que ceux de dépression. Ils peuvent s’exprimer sous la forme d’une tension, d’une fébrilité, d’une inquiétude diffuse, d’une peur des moyens de transports, d’une phobie de la foule ou des grands espaces, etc. Les symptômes d’anxiété peuvent encore s’exprimer sous forme d’une peur d’être atteint par une maladie grave comme le cancer ou le sida. L’anxiété peut aussi apparaître comme un désordre corporel (cœur accéléré, transpiration, vertiges, boule dans la gorge). Parfois, l’anxiété semble pure et paraît survenir sans raison sous la forme d’une attaque de panique. Parfois, les personnes dépressives, souffrant d’anxiété, tentent de se traiter elles-mêmes en consommant des doses importantes de médicaments contre l’anxiété (principalement des benzodiazépines), de l’alcool ou du cannabis. Ces formes 37


d’anxiété correspondent dans leur cas à une dépression. Les autres symptômes de dépression, comme la tristesse, la difficulté de concentration ou la fatigue, moins perceptibles que ceux de l’anxiété, risquent de ne pas être repérés dans un premier temps. Ces symptômes d’anxiété disparaissent lorsque la dépression s’améliore. Dans ces cas, le traitement antidépresseur est le moyen le plus adapté pour traiter les symptômes d’anxiété. Seul le médecin généraliste ou le psychiatre peuvent faire précisément la différence entre les troubles anxieux et la dépression. C’est une raison de plus pour ne pas tarder à consulter.

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05 • La dépression est-elle douloureuse ? Bien que la douleur soit un mot habituellement employé dans le cas d’atteintes physiques, presque toutes les personnes qui souffrent de dépression l’utilisent pour décrire leur état. En effet, les troubles que nous éprouvons lorsque nous sommes déprimés provoquent davantage encore que la douleur physique, une souffrance incessante et profonde. Comme elle, il est difficile de la traduire en mots qui, s’ils parvenaient à la décrire et à la faire comprendre, la soulageraient. C’est son caractère permanent qui rend la douleur morale si insupportable. Jour et nuit, la dépression nous emprisonne dans un monde de détresse et de solitude dans lequel la pensée est constamment pessimiste, pénible à formuler, envahie par un profond sentiment d’impuissance. La dépression est une maladie douloureuse qu’il convient de soulager rapidement avec un traitement personnalisé et adapté.

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06 • La dépression est-elle une maladie grave ?

La dépression est une maladie grave pour trois raisons : - elle nous fait souffrir et altère sévèrement notre bien-être - elle peut menacer notre vie - elle a des répercussions négatives sur nous-même et sur notre entourage à court comme à long terme Les mots de souffrance et de douleur sont fréquemment prononcés par les personnes qui sont atteintes de dépression. Cette souffrance est profonde. Les malades parlent volontiers de douleur morale et affirment qu’ils éprouvent, lorsqu’ils sont déprimés, la douleur la plus insupportable qu’ils n’aient jamais connue car elle ne les quitte jamais. Des études montrent ainsi que la qualité de vie des patients déprimés est parmi les plus basses comparée à l’ensemble des maladies qui font souffrir. Il est difficile de concevoir que les maladies de l’esprit (ou psychologiques) puissent entraîner la mort. Nous acceptons plus facilement cette issue pour les maladies atteignant le corps (maladies somatiques) comme le cancer. Cependant, les maladies mentales peuvent être fatales et la dépression entraîne malheureusement un risque important de passage à l’acte mortel. C’est même la première cause de suicides conduisant à la mort (qui sont aussi appelés suicides accomplis). Le fait d’être déprimé peut également provoquer des conduites à risque, en particulier chez les adolescents qui se mettent alors gravement en danger. Il s’agit de conduites suici40


daires indirectes. La dépression entraîne dans l’immédiat, mais aussi pour l’avenir, un handicap qu’il est parfois impossible de corriger, même lorsque celle-ci est guérie. Le retentissement professionnel, financier ou familial de la dépression est très important. Dans certains cas, la dépression peut nous faire perdre notre travail ou nous engager dans des attitudes déraisonnables vis-à-vis de ceux que nous aimons. La dépression provoque également le découragement de notre entourage. N’oublions pas les conséquences indirectes de la dépression comme l’alcoolisme, les conflits professionnels ou la mésentente dans le couple. S’y ajoutent encore les mauvais souvenirs laissés à notre entourage par les troubles du caractère et les mots cruels que nous avons pu prononcer en phase dépressive. Enfin, la dépression peut laisser persister une perte de confiance en soi, parfois durable, au point de nous gêner longtemps après notre guérison. Se « retrouver » psychologiquement après une dépression est un travail nécessaire qui peut prendre du temps et être un des buts de la psychothérapie. Ainsi, après que le traitement médicamenteux a montré son efficacité, même si nous n’avons pas de problème psychologique particulier à traiter, il peut être utile de faire un travail psychologique pour « cicatriser » plus rapidement de la dépression. C’est pourquoi nous considérons souvent que la psychothérapie est un complément du traitement médicamenteux de la dépression, même dans le cas où cette dernière a été majoritairement d’origine biologique. C’est pour éviter toutes ces complications et ces séquelles qu’il est important de se faire soigner rapidement en présence de symptômes de dépression.

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07 • À quel âge est-il possible de faire une dépression ? Les médecins décrivent des épisodes dépressifs à tous les âges, depuis la petite enfance jusqu’à la grande vieillesse. Certaines périodes de la vie semblent toutefois plus particulièrement menacées : L’adolescent et l’adulte jeune (16-22 ans). Environ un adolescent sur dix présente des symptômes de dépression. Ceci ne veut pas dire qu’il fait une dépression à part entière. Notons deux caractéristiques importantes de la dépression à cet âge. D’une part, les symptômes s’expriment plutôt par des gestes qu’à l’aide de mots. D’autre part, à ce stade de maturation psychique, un certain nombre de symptômes retrouvés dans la dépression font partie des étapes normales du développement psychologique. Il convient donc d’éviter d’être trop alarmiste vis-à-vis de situations qui ne sont que des étapes du développement normal chez des jeunes. À l’inverse, il ne faut pas trop banaliser et refuser d’envisager une dépression devant des conduites à risque tels qu’une rupture scolaire ou des comportements d’opposition incessants vis-à-vis de l’entourage. L’avis d’un spécialiste peut être très utile pendant cette période. La tranche d’âge 45-55 ans est, elle aussi, à risque accru de dépression. Plusieurs explications ont été proposées. Elles sont habituellement liées à des phénomènes sociaux (travail, départ des enfants, divorce) et biologiques (ménopause). Certaines personnes peuvent souffrir de dépression, pour la première fois de leur vie après 75 ans. Cette situa42


tion assez fréquente est habituellement sous-estimée. Une idée trop souvent répandue laisse croire qu’il est naturel, à cet âge, de ressentir des signes de tristesse, de fatigue et de découragement. Cette attitude conduit malheureusement, malgré la présence de symptômes typiques de dépression, à ne pas évoquer ce diagnostic, voire à accepter avec fatalité cette situation de souffrance. Le diagnostic est parfois difficile à poser à cet âge car la dépression s’exprime souvent par des symptômes indirects comme des douleurs, des sentiments de ruine du type : « Je n’ai plus assez d’argent pour vivre », de méfiance envers l’environnement : « Je ne veux plus sortir car on me veut du mal ! ». Autant de situations qui peuvent correspondre à des situations de maladie, de solitude ou de précarité réelles. Parfois, les symptômes de la dépression du sujet âgé ressemblent à des signes de démence (pertes de mémoire, confusion, négligence de soi, etc.). Ces signes disparaissent avec le traitement de la dépression.

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08 • Est-il possible d’être déprimé à l’adolescence ? L’adolescence est une période de la vie durant laquelle la communication s’établit davantage par le comportement que par les mots. L’adolescent déprimé utilise donc naturellement les comportements de son âge pour manifester sa dépression. Si nous sommes adolescent ou si nous nous remémorons notre propre adolescence, nous savons que communiquer à cet âge est une entreprise semée d’embûches. C’est encore plus vrai pour l’adolescent déprimé. La colère, les ruptures affectives violentes, le recours à des substances psychotropes, une méchanceté en apparence gratuite à l’égard de ceux qu’il aime le plus, des difficultés scolaires, sont autant d’expressions utilisées par l’adolescent pour communiquer sa dépression. Cependant, aucun de ces signes n’est à lui seul une preuve de dépression. Ces comportements d’opposition, ce besoin d’identité qui peuvent être pris pour de l’excentricité forment une étape nécessaire au développement psychologique de l’adolescent. Si nous examinons bien la situation d’un adolescent en opposition, mais non déprimé, nous constatons qu’il persiste le plus souvent chez lui une forme de communication active avec son entourage. Ce peut être le match de foot qui est toujours regardé et commenté en famille ou les amis qui continuent à appeler à la maison et discuter brièvement avec les parents. Cette communication a minima continue alors que coexistent des manifestations ombrageuses d’opposition, un refus de participer aux activités familiales qui exaspèrent les parents. Ces petites attentions (comme le 44


cadeau d’anniversaire qui n’a pas été oublié) ou ces détails d’une complicité conservée, mais pudiquement cachée, sont souvent absents du comportement d’opposition ou de retrait de l’adolescent déprimé. L’indignation, les reproches compréhensibles et nécessaires des parents du jeune qui construit son identité sont dommageables à l’adolescent déprimé. Face aux reproches, à l’accusation de paresse ou de laisser-aller, celui-ci peut s’enfoncer encore davantage dans la mauvaise image qu’il se fait de lui-même. L’adolescent déprimé, comme tout déprimé, présente cependant les signes habituels de la maladie, même si ces derniers sont souvent dissimulés derrière des comportements de révolte ou de refus. Un examen médical attentif, relativisant le climat conflictuel familial, permet d’évaluer la présence ou non d’une dépression. Dans certains cas, il est nécessaire d’avoir recours aux médicaments pour traiter l’état dépressif. Le soutien psychologique est presque toujours indispensable. La participation de la famille à cette prise en charge est le plus souvent bénéfique. Elle permet de désamorcer certaines positions extrêmes, comme les accusations de paresse, d’ingratitude ou d’incompréhension qui empoisonnent l’atmosphère et ne permettent pas l’évolution favorable de la situation. Heureusement, le plus souvent, les signes qui nous inquiètent s’améliorent d’eux-mêmes. Ces troubles n’étaient qu’un moment d’adaptation psychologique nécessaire à la maturation de l’adolescent. Néanmoins, tout ce qui est tenté pour faire face à un moment difficile chez l’adolescent, dans une situation pathologique ou non, est toujours profitable. Cela permet d’éclaircir des difficultés ou des quiproquos qui obscurcissaient la relation familiale.

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Au cours de l’adolescence, les signes de dépression, même s’ils s’améliorent souvent d’eux-mêmes, doivent être pris au sérieux. En effet, l’adolescence est une période de la vie où d’autres maladies psychologiques graves, comme la psychose, peuvent débuter sous des dehors semblables à ceux de la dépression. Ces maladies nécessitent un avis médical ainsi qu’un traitement spécifique le plus précoce possible.

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09 • La dépression est-elle identique chez les hommes et les femmes ? La dépression est une maladie qui atteint les hommes comme les femmes. Dans sa forme complète, les symptômes sont identiques pour les deux sexes. Nous savons aussi que cette maladie s’exprime de façon très variable d’une personne à l’autre en fonction de nombreux facteurs (histoire personnelle, culture, personnalité, situation familiale…). Il est donc logique que le sexe soit à l’origine de différences dans l’expression de la maladie. Les hommes s’expriment davantage sur un mode dit « comportemental ». Ainsi, la tristesse et le découragement peuvent se manifester par la colère, la fatigue ou par une agitation. Les femmes s’expriment plus souvent que les hommes sur un mode dit « affectif ». La tristesse et le découragement prennent plus directement la forme de pleurs ou de confidences sur leur découragement et leur incapacité à faire face. La fatigue, chez l’homme, est souvent attribuée à un surmenage professionnel tandis que, chez la femme, elle est plus souvent expliquée par des stresseurs émotionnels ou un emploi du temps trop chargé en tâches différentes. Pour les formes d’intensité moyenne, les critères de dépression sont plus fréquemment réunis chez la femme que chez l’homme. Les études réalisées démontrent qu’à partir de l’adolescence, les femmes présentent, plus souvent que les hommes, des symptômes de dépression. Sur trois diagnostics de dépression, deux concernent les femmes. Il existe peut-être une plus grande vulnérabilité des femmes mais les spécialistes s’accordent à reconnaître que dans nos pays, ces dernières parlent plus fréquemment 47


de leur vie psychologique et décèlent plus facilement leurs troubles que les hommes. Sans doute, cette capacité permet-elle aux femmes de diminuer l’impact négatif de la dépression en entamant plus rapidement que les hommes un traitement.

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10 • Toutes les dépressions sont-elles identiques ? La dépression est une maladie fréquente. Nous avons tous, parfois sans nous en rendre compte, côtoyé, dans notre entourage ou parmi nos collègues de travail, des personnes dépressives. Leur dépression n’est pas pour autant similaire à celle dont nous pouvons souffrir. Comme il existe plusieurs formes de maladie dépressive, il est possible que la nôtre ne soit pas de même nature que celle que nous avons connue chez un proche ou une relation. Même si notre dépression appartient à la même famille, elle peut se présenter différemment ou au contraire paraître identique et relever d’un mécanisme différent. C’est pourquoi la prise en charge de la dépression doit être individualisée. Malgré ces différences et ces nuances, il existe des règles générales de traitement pour toutes les formes de dépression. Les maladies dépressives sont habituellement séparées en deux formes correspondant à des causes et des évolutions différentes. Par simplification, nous distinguons les dépressions « unipolaires », qui sont les plus fréquentes et qui peuvent être uniques dans la vie et les dépressions dites « bipolaires ». Les personnes qui souffrent de dépression unipolaire ne présentent jamais de période d’euphorie mais peuvent rechuter, au cours de leur vie, dans un cas sur deux. Les dépressions bipolaires se caractérisent par l’existence, au moins une fois, d’un état d’excitation euphorique plus ou moins intense (appelé « manie » en langage psychiatrique) et comportent systématiquement plusieurs épisodes : elles sont dites cycliques.

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Les dépressions exclusives (unipolaires). Ce sont des dépressions qui peuvent nous atteindre une seule fois dans notre vie. Elles peuvent cependant récidiver, une fois sur deux, après leur complète guérison. Ces formes sont appelées « dépressions unipolaires » parce que la maladie ne s’exprime que sur le seul mode de la dépression. Les dépressions bipolaires. Il s’agit de dépressions pour lesquelles il existe une alternance de périodes de dépression et d’excitation. Les personnes qui souffrent de dépressions bipolaires expriment des symptômes parcourant d’un extrême à l’autre les deux pôles de l’humeur. Les troubles bipolaires sont caractérisés par l’alternance de périodes « hautes » appelées « manie », associant euphorie (sorte de jovialité) et agitation et de périodes « basses » de dépression. Les rechutes sont très fréquentes et caractéristiques de la maladie. Malheureusement, dans la pratique médicale, la distinction entre dépression unipolaire et dépression bipolaire est souvent moins évidente. Ainsi, les dépressions unipolaires ont-elles fréquemment tendance à rechuter et beaucoup de dépressions bipolaires ne présentent plus d’épisodes maniaques après un certain temps d’évolution. Un examen détaillé et approfondi de la situation par le médecin, aidé par les informations que fournit l’entourage, permet de faire un diagnostic adapté à chaque situation. Même pour une forme de dépression bien identifiée, chaque individu, par son histoire, par sa personnalité, par son entourage ou encore à cause de paramètres que nous ne connaissons pas, exprime plus fortement certains symptômes. Cela justifie un traitement adapté et person50


nalisé. Seul le médecin a le recul suffisant pour avoir une vision globale de la maladie. Il sait rattacher les symptômes au cadre général de la maladie dépressive.

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11 • Ne suis-je pas le mieux placé pour savoir ce qui m’arrive ? La dépression est une expérience profonde, qui atteint tous les compartiments de notre vie. À ce titre, nous pourrions croire que nous sommes les meilleurs juges de ce qui nous arrive. Mais les effets de la dépression viennent entraver notre jugement et modifier nos interprétations. La douleur ou la colère nous ont déjà confronté à des situations de la vie quotidienne au cours desquelles un afflux émotionnel a perturbé notre clairvoyance ou notre faculté d’adaptation. La dépression, elle aussi, modifie la capacité de jugement que nous portons sur nous-mêmes. L’anxiété ou la mauvaise opinion que nous avons de nos actions nous conduisent aussi à des interprétations erronées. Toutefois, même si la maladie dépressive modifie partiellement notre propre jugement sur nous-mêmes, il nous reste la liberté d’en parler et de chercher de l’aide. Accepter de l’aide, c’est déjà reconquérir une partie de notre liberté que la maladie a entravée.

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12 • Quels sont les différents types de dépression ? Les maladies dépressives sont habituellement séparées en deux formes correspondant à des causes et des évolutions différentes. Par simplification, nous distinguons les dépressions unipolaires, qui sont les plus fréquentes et qui peuvent être uniques dans la vie par opposition aux dépressions dites bipolaires. Les personnes atteintes de dépression unipolaire n’ont jamais de période d’euphorie mais peuvent rechuter dans un cas sur deux. Les dépressions bipolaires se caractérisent par l’existence, au moins une fois, d’un état d’excitation euphorique plus ou moins intense et comportent systématiquement plusieurs épisodes.

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Dépression unipolaire Cette forme de maladie dépressive est caractéristique mais peut prendre des visages différents. Son diagnostic peut, de ce fait, être parfois difficile.

Quels sont les différents visages non typiques de la dépression unipolaire ? - Parfois, des symptômes non typiques de dépression sont au devant de la scène et viennent brouiller l’analyse : il peut s’agir d’anxiété, de difficultés de sommeil, de troubles du caractère (etc.), qui paraissent isolés. - L’âge donne une expression différente à la dépression : chez l’enfant, cela peut être des difficultés scolaires. Chez l’adolescent, la dépression peut s’exprimer par des conduites parfois violentes et inexpliquées. Chez le sujet âgé, cela peut ressembler à une maladie de la mémoire. - Le comportement général de la personne peut évoquer indirectement une dépression. Bien qu’elle n’en exprime pas tous les symptômes, la personne est considérée comme déprimée parce que la conduite de sa vie quotidienne est une succession d’échecs, au travail ou dans le couple. Bien souvent, ces attitudes dépressives indirectes sont données comme explication de la dépression alors qu’en réalité elles en sont les signes. - Beaucoup d’autres expressions de la dépression sont possibles, comme par exemple le fait d’exprimer différemment sa tristesse en fonction de sa culture.

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Dépressions bipolaires Ou maladie maniaco-dépressive. Nous distinguons deux formes principales de maladies bipolaires (type I et II). La forme dite bipolaire II est de diagnostic plus difficile. Elles justifient des traitements parfois différents. Quelles sont ses différentes formes cliniques ? - Bipolaire I : il a existé au moins un épisode par le passé pendant lequel la personne a été très agitée, euphorique, parlant sans cesse avec des idées grandioses. C’est un état maniaque. Les autres épisodes sont le plus souvent dépressifs mais la manie peut rechuter elle aussi. Cette forme spectaculaire est assez facile à identifier, sauf quand les personnes qui en souffrent présentent en même temps des idées bizarres et des perceptions inhabituelles pendant les crises. - Bipolaire II : l’examen attentif de la personne met en évidence un état d’excitation modéré mais excessif, actuel ou passé. C’est un état hypomaniaque, une « petite » manie. Cette forme atténuée passe souvent inaperçue et est intercalée avec d’autres périodes de dépression. Son diagnostic est donc beaucoup plus difficile. Remarques : - Dans la forme I, les dépressions peuvent être très sévères : regroupées sous le terme de mélancolie, elles nécessitent une hospitalisation d’urgence. - Après quelque temps d’évolution, les symptômes dépressifs ou maniaques sont moins « purs » et se mélangent. Ces situations, appelées états mixtes, doivent être traitées de façon spécifique. - Dans la forme II, notamment chez la femme, les crises dépressives ressemblent parfois à des troubles du caractère attribués à des troubles de la personnalité. Il faudra donc plus de temps pour envisager ce diagnostic. 55


13 • Qu’est-ce que le trouble bipolaire ?

La maladie bipolaire (ou trouble bipolaire), aussi appelée maladie maniaco-dépressive, est une forme particulière de dépression. Plus rare que la dépression habituelle (appelée dépression unipolaire), elle présente plusieurs caractéristiques cliniques : La manie. La fatigue habituelle du déprimé est remplacée par de l’excitation, le ralentissement par de l’agitation et le pessimisme par une assurance sans fondement. Cet état euphorique, appelé état maniaque, conduit à des dépenses inconsidérées, à des attitudes inadaptées souvent déplacées ou gênantes. La vie intellectuelle du maniaque apparaît intense, riche d’idées considérées par celui-ci comme géniales et qui se succèdent à un rythme ininterrompu. Des jeux de mots fusent sans discontinuer, donnant à l’entourage d’abord l’envie de rire. Ils finissent par lasser car ils sont noyés dans un incessant besoin de parler (logorrhée), de bouger et de faire réagir l’entourage. Malheureusement, cet état, qui paraît agréable au début, n’est pas contrôlable et ne permet pas de s’adapter à l’environnement. Le comportement au travail et à la maison deviennent inadaptés, avec de très graves conséquences pour l’avenir. Il en va de même en ce qui concerne la relation de couple. Rappelons que le terme « maniaque », qui s’oppose à celui de déprimé, ne désigne pas pour les médecins ce que le langage courant nomme « manie ». Ce terme est ordinairement synonyme de petites habitudes, de méticulosité excessive et de comportements répétitifs. En médecine, ces comportements correspondent à ce que les psychiatres appellent des « obsessions ». 56


La « manie » en psychiatrie, par son désordre, son apparence de fantaisie, est donc presque l’opposé de la « manie » du langage courant. La rechute dans la maladie maniaco-dépressive fait partie de l’évolution naturelle de la maladie. Le fait qu’un autre épisode dépressif réapparaisse ne signifie pas que le précédent a été mal traité ou qu’il n’a pas été guéri. La rechute est une caractéristique propre à la maladie maniacodépressive. Cet aspect récidivant appelle un traitement spécifique. Nous utilisons, pour traiter cette récurrence de la maladie, des médicaments appelés thymorégulateurs ou stabilisateurs de l’humeur. Une autre caractéristique de cette maladie est que les rechutes sont habituellement de plus en plus rapprochées au fur et à mesure que la maladie évolue. Il faut lutter très énergiquement contre ces rechutes en les traitant dès que leurs premiers signes apparaissent. Ainsi, lors d‘une rechute de dépression chez une personne dont les antécédents dépressifs ne sont pas bien connus, il faut se demander s’il s’agit d’une rechute de dépression unipolaire (réapparue après guérison) ou d’un épisode dépressif appartenant à une maladie bipolaire (la rechute fait alors partie de la maladie). Le médecin peut ainsi envisager, après plusieurs rechutes dépressives, la modification d’un traitement antidépresseur parce qu’il constate que le diagnostic désormais le plus probable est celui de dépression bipolaire Dans certains cas, seul le temps permet de distinguer ces deux situations. Un avis médical spécialisé est nécessaire pour faire le diagnostic et proposer un traitement adapté.

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Les périodes dépressives de la maladie bipolaire peuvent ressembler exactement à celles que l’on retrouve dans la dépression unipolaire. Parfois, cette dépression s’aggrave au point d’entraîner des symptômes de mélancolie. Les personnes souffrant de mélancolie sont figées et toutes leurs pensées sont tournées vers la mort. Des idées inhabituelles, que nous qualifions d’idées mélancoliques délirantes, peuvent apparaître. L’hospitalisation s’impose alors d’urgence. Le traitement des périodes dépressives de la maladie bipolaire, prescrit par le médecin, débute souvent par une prise médicamenteuse identique à celle utilisée pour la dépression unipolaire.

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14 • La dépression influence-t-elle mon alimentation ? Nous savons que la perte de l’appétit et l’amaigrissement sont des signes qui caractérisent la dépression. Ce manque d’appétit fait partie d’un ensemble plus général de perte d’intérêt et de goût pour les choses. Fréquemment, les patients déprimés, qui constatent ce symptôme, se forcent à manger pour tenter de « lutter contre la fatigue ». Il existe, plus rarement, certaines dépressions appelées « dépressions atypiques », au cours desquelles l’appétit est augmenté, surtout pour les sucres, entraînant de nombreux grignotages. Quand nous comparons ces deux symptômes que sont l’anorexie dépressive ou le grignotage dans le cadre de la dépression, nous constatons qu’ils sont très différents de ceux présents dans une autre maladie appelée « trouble du comportement alimentaire ». Ce trouble se présente principalement sous deux aspects, en apparence opposés, mais en réalité fréquemment associés : l’anorexie mentale et la boulimie. Les personnes qui souffrent d’anorexie mentale restreignent volontairement leur alimentation pour ne pas grossir. Se considérant comme toujours trop grosses, elles confessent être plus en forme lorsqu’elles mangent très peu. Cela n’a donc rien à voir avec l’anorexie du déprimé. De même, dans la boulimie, les personnes qui en souffrent alternent souvent des moments de restriction alimentaire avec des périodes de courte durée où elles absorbent une quantité très importante d’aliments. Cette prise alimentaire massive est souvent suivie de culpabilité et de vomissements. Cela non plus ne ressemble pas du tout à l’augmentation de prise alimentaire de certains déprimés. 59


Certains médecins et psychologues évoquent la possibilité d’une dépression psychologique chez les personnes souffrant de troubles du comportement alimentaire. Cette dernière est censée expliquer les raisons pour lesquelles les personnes souffrant de ce trouble se restreignent si durement ou au contraire semblent se relâcher si complètement. Ces spécialistes suggèrent que la dépression s’exprime sous une forme inhabituelle chez les personnes atteintes de troubles du comportement alimentaire. Ce ne sont là que des hypothèses et les traitements antidépresseurs sont le plus souvent inefficaces sur ces troubles. Si toutefois ces patients sont atteints de dépression, il s’agit d’une situation psychologique accessible dans certains cas à la psychothérapie. Il existe donc une différence fondamentale entre la maladie dépressive (qui s’accompagne souvent de difficultés alimentaires) et les troubles du comportement alimentaire pour lesquels il existe sans doute une fragilité dépressive associée à de nombreuses autres difficultés psychologiques ou biologiques.

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15 • Quels sont les tout premiers signes de la rechute dépressive ? La dépression est une maladie qui rechute environ une fois sur deux. Il est donc important de comprendre que nous ne sommes pas à l’abri d’une rechute. La dépression présente un nombre assez limité de symptômes mais une grande variété dans leurs modalités d’expressions possibles. Le plus souvent, ce n’est que lorsque la dépression se sera complètement réinstallée que ses symptômes seront évidents. Auparavant, ils peuvent ne pas être tous présents ou bien prendre une apparence trompeuse. Il est pourtant important de les rechercher systématiquement avant qu’ils ne se soient complètement développés. Il peut s’agir par exemple de modifications du caractère, de manifestations d’anxiété, d’une envie de boire de l’alcool. D’autres manifestations, plus caractéristiques de la dépression, comme le mal de vivre, peuvent être rapportées à des événements extérieurs plus qu’à une rechute de la maladie. L’expérience montre que, pour une personne donnée, les premiers signes de la rechute sont souvent identiques à ceux qui étaient visibles lors de sa première dépression. Un effort particulier doit être fait par la personne (ou par son entourage) qui a déjà été déprimée pour apprendre à les reconnaître lorsqu’ils commencent à réapparaître. Les signes débutants de dépression les plus habituels sont la fatigue, les troubles du sommeil, les troubles du caractère (impatience, irritabilité, rigidité psychologique), l’anxiété, l’impression de perte de contrôle, le doute, les douleurs, l’intolérance au bruit et à la lumière et en général aux contraintes. 61


Un autre signe caractéristique est la perte d’intérêt pour la vie courante, particulièrement visible sur des petits détails du quotidien (manque d’entrain pour recevoir des amis ou leur parler au téléphone, difficulté à prendre du plaisir à jouer avec ses enfants...). Faire du sport, regarder les résultats des matchs à la télévision, se maquiller, avoir envie de faire les soldes, toutes ces occupations, plaisantes habituellement, deviennent des activités pénibles ou dénuées de plaisir. Ces petites fêlures dans le cristal de la vie sont des signes qui doivent être pris au sérieux. L’avis d’un médecin est indispensable pour faire la part des choses.

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16 • Le scanner peut-il confirmer qu’il s’agit d’une dépression ? Non, le scanner ne peut pas confirmer qu’il s’agit d’une dépression. La structure visible du cerveau des déprimés n’a pas de caractéristiques remarquables et, si la dépression est bien une maladie qui implique un trouble du fonctionnement du cerveau, elle ne peut cependant pas être révélée par un examen qui analyse la structure anatomique du cerveau, comme le scanner ou l’imagerie par résonance magnétique (IRM). Une autre forme d’imagerie cérébrale, appelée imagerie fonctionnelle, qui apprécie l’activité réelle de différentes zones du cerveau (par exemple par l’étude de sa consommation en glucose), est plus proche de la réalité biologique de la dépression. Elle a été appliquée, dans le cadre de la recherche, à l’étude des personnes souffrant de dépression. Il s’agit d’un examen très contraignant. Si certaines anomalies ont pu être détectées, elles ne sont pas assez spécifiques pour permettre de faire un diagnostic de dépression débutante. Le diagnostic de dépression se fait donc avant tout cliniquement, grâce à l’observation et à l’écoute des personnes qui en souffrent.

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Quelles sont les causes de la dĂŠpression ?

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17 • Peut-il y avoir plusieurs causes à ma dépression ? La cause des dépressions courantes est rarement unique. Nous divisons un peu schématiquement les causes de dépression en deux grandes familles. Nous distinguons chez la personne déprimée : - les causes provenant de la psychologie et des événements vécus - les causes reflétant une altération du fonctionnement biologique du cerveau Dans la réalité, la biologie du cerveau et la psychologie de la pensée s’influencent mutuellement. Ces deux dimensions (biologique et psychologique) sont presque toujours présentes simultanément (avec une répartition différente d’une personne à l’autre et pour une même personne, d’un épisode dépressif à l’autre). Il y a donc fréquemment, au cours d’un épisode de dépression, une association de plusieurs causes appartenant à ces deux grandes familles. Certaines semblent être prédominantes dans un cas et moins dans d’autres. Pour envisager les différentes causes de la dépression, qu’elles soient de nature environnementale, psychologique ou biologique, il est important de réfléchir sur le point suivant. Même si cela est commode, il est excessif de vouloir absolument séparer psychologie et biologie du cerveau en deux domaines très différents l’un de l’autre. Prenons deux exemples pour illustrer ce propos. La consommation de drogues peut, par exemple, provoquer chez chacun d’entre nous, des modifications biologiques cérébrales caractéristiques, identiques chez toutes les personnes qui en font usage. Ces changements vont eux66


mêmes conduire à des modifications psychologiques communes à tous les consommateurs de cette drogue. Il s’agit souvent de manifestations de plaisir ou d’une impression d’aisance avec un sentiment de confiance en soi important. En apparence donc, ces personnes semblent éprouver, lorsqu’elles consomment une même drogue, des sensations, des pensées, c’est-à-dire une psychologie, similaires. Or, nous savons bien que la psychologie profonde de ces personnes est très variable et que seule la drogue a procuré cette apparente similitude dans leur psychologie. L’arrêt brutal des drogues produit aussi des effets psychologiques semblables chez les consommateurs qui en abusaient. Le sevrage de drogue conduit invariablement à de l’anxiété, de l’agitation, à une agressivité, difficiles à contrôler. Là encore, la biologie du cerveau produit des effets caractéristiques sur la psychologie. Ceci indique donc bien que la biologie du cerveau commande en partie la psychologie telle qu’elle est ressentie. Si nous regardons maintenant, non plus du côté de la biologie cérébrale mais du côté de la psychologie, que constatons nous ? Un événement perçu psychologiquement comme la réussite à un examen, ou le deuil d’une personne chère peut entraîner des modifications biologiques de notre cerveau qui peuvent s’exprimer sous forme d’insomnie, d’anorexie, de difficultés à fixer son attention ou d’excitation. Tous ces symptômes reflètent un changement de la biologie cérébrale elle-même. Ainsi, lorsque nous envisageons de déterminer, parmi les causes d’une dépression, celle qui nous paraît la plus probable, il est important d’envisager aussi les autres. Ceci veut dire que même si les causes

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biologiques prédominent, il est très important d’être soutenu psychologiquement pour mieux comprendre son état et éviter la rechute. À l’inverse, lorsque les difficultés psychologiques sont au premier plan, une aide médicamenteuse permet parfois d’apaiser la douleur et donne les moyens de reconstruire un projet de vie positif. La biologie cérébrale et la psychologie sont donc inséparables comme les deux faces d’une médaille. La biologie commande la psychologie qui, elle-même, module la biologie. Pouvons-nous en effet envisager une médaille qui ne posséderait qu’une seule face ? Il existe, dans certaines familles, un nombre plus important de personnes souffrant de dépression si on les compare à d’autres de la population générale. Plusieurs théories sont proposées pour expliquer cette prédisposition familiale à la dépression. Certaines d’entre elles s’intéressent à l’éducation et aux difficultés vécues pendant l’enfance tandis que d’autres supposent que des anomalies du fonctionnement cérébral peuvent être transmises génétiquement. Les études scientifiques ont mis en évidence un risque familial, ou génétique, de prédisposition à la maladie maniaco-dépressive. Les personnes présentant cette prédisposition génétique ne seront pas malades à coup sûr, mais elles possèdent une certaine fragilité qui pourrait favoriser l’apparition de la maladie maniaco-dépressive.

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18 • Puis-je faire une dépression alors que tout va bien dans ma vie ? La plupart des dépressions surviennent sans que nous ne retrouvions de cause évidente. Parfois, on retrouve certains événements de vie négatifs qui ont pu favoriser un premier épisode dépressif. Mais cela ne paraît plus aussi évident pour expliquer la survenue des épisodes ultérieurs. Précisons deux aspects importants. Tout d’abord, la dépression, comme beaucoup de maladies, peut survenir sans qu’une cause extérieure identifiable soit retrouvée. N’oublions pas que le cerveau est un organe du corps et qu’il peut, comme n’importe quel autre organe, être atteint par la maladie. Des fragilités génétiques, individuelles, des contraintes au long cours parfois invisibles, peuvent engendrer les conditions suffisantes à l’apparition d’une dépression durable. Dans la dépression, nous ne pouvons pas incriminer une cause unique, comme nous le ferions par exemple vis-à-vis d’un microbe responsable d’une infection. C’est donc plus en termes de déséquilibre qu’il faut envisager les causes de la dépression. À ce titre, les événements de vie négatifs ne sont pas les « microbes » de la dépression. Ils participent au déséquilibre conduisant à cette dernière. L’adaptation est une fonction essentielle du cerveau. Sa capacité et son efficacité sont si importantes qu’elles ont permis la survie de l’espèce humaine dans des situations très différentes et parfois très difficiles. Nous pouvons penser que les événements de la vie peuvent exceptionnellement provoquer, à eux seuls, une dépression sévère. 69


En revanche, une des caractéristiques de l’être humain est son besoin de donner du sens à ce qui lui arrive. Il en va donc de même pour la dépression. Nous tentons de trouver une explication à notre dépression en suspectant les événements récents ou plus anciens d’être à l’origine de notre maladie. Or, si nous y réfléchissons, nous pouvons trouver de nombreuses raisons dans notre vie d’être déprimé (autant d’ailleurs que de ne pas l’être). En outre, certaines situations qui auraient « logiquement » dû nous déprimer ne l’ont pas fait par le passé. Ceci signifie que, lorsque la maladie dépressive nous atteint, nous sélectionnons au sein de ces mêmes événements ceux qui nous semblent les plus explicatifs. Nous en déduisons qu’ils sont la cause de notre état. Cette conviction nous « rassure » en partie car, sans ces explications, notre état dépressif nous paraîtrait incompréhensible. En conclusion, nous pouvons affirmer que beaucoup de dépressions sont des maladies comme les autres. Elles ne nécessitent pas, comme nous le croyons souvent, de causes extérieures pour se déclarer. En revanche, l’opinion que nous nous faisons de notre dépression, des raisons pour lesquelles elle est apparue, est ce qui nous motive à demander (ou, au contraire, à refuser) de l’aide.

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19 • La dépression provient-elle d’une sécrétion manquante ? La dépression est une maladie complexe. Son explication ne peut certainement pas se réduire à une cause unique et encore moins à la seule absence d’un neuromédiateur, substance servant à la communication des cellules nerveuses entre elles. Comprendre finement les processus biologiques impliqués dans la dépression n’est pas encore à notre portée. Les modifications biologiques observées dans le cerveau du déprimé correspondent vraisemblablement à une adaptation de celui-ci vis-à-vis de causes qui ne nous sont pas encore toutes connues. Nous observons dans le cerveau d’une personne déprimée un état d’équilibre biologique pathologique. Le cerveau ne reste en effet pas inerte lorsqu’il se dérègle. Il met en route, dès qu’il perçoit des anomalies, toute une série de processus d’adaptation. Lorsque nous regardons la biologie du cerveau chez le déprimé, nous devons essayer de démêler ce qui appartient en propre à la dépression de ce qui est un processus mis en route secondairement par le cerveau pour s’y adapter. L’installation de la dépression prend donc du temps et résulte de toute une série de processus cérébraux successifs. Il en est de même pour la guérison qui se fait en plusieurs mois, selon plusieurs étapes. Le cerveau est donc un organe dont une des caractéristiques est sa capacité de changement. Certaines maladies du cerveau correspondent à un déficit en certaines substances (comme le déficit en dopamine de la maladie de Parkinson) tandis que d’autres comme la dépression sont beaucoup plus complexes. La plupart du temps, l’installation de ces 71


maladies est progressive et régresse lentement sous traitement. Malgré cette complexité qui nous échappe en partie, il semble possible de modifier positivement les processus cérébraux de la dépression à l’aide de médicaments ayant une action ciblée. Certains médicaments qui ont pour fonction principale d’augmenter la transmission de sérotonine produisent, après plusieurs semaines d’action, un nouvel équilibre biologique permettant la guérison de la dépression. Le délai de plusieurs semaines nécessaire pour obtenir une amélioration de l’état psychologique indique que le médicament ne vient pas combler un manque, comme par exemple dans le diabète, pathologie dans laquelle il existe un manque d’insuline. Dans ce cas, l’amélioration apportée par l’injection d’insuline est immédiate. Les antidépresseurs n’agissent pas, comme le fait l’insuline, en compensant simplement un déficit. D’autres neurotransmetteurs (appelés noradrénaline, dopamine, etc.) et sans doute d’autres substances sont susceptibles elles aussi de produire, comme la sérotonine, des effets antidépresseurs.

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20 • La perte d’un proche peut-elle être la cause de ma dépression ? La perte d’une personne proche provoque un état de deuil dont les signes ressemblent à ceux de la dépression. Durant le deuil, malgré l’affliction éprouvée, il est possible de ressentir du plaisir lorsque les circonstances de la vie s’y prêtent. En outre, cette affliction s’installe non pas progressivement mais brutalement, de façon très intense. Ces deux caractéristiques n’apparaissent pas lorsque nous sommes déprimés. La difficulté pour les médecins est de différencier un deuil qui se prolonge d’une dépression en réaction à la perte d’un être cher. Le deuil normal peut être considéré comme une phase adaptative. Il permet habituellement de faire « vivre » intensément la personne disparue dans notre monde psychologique. Cette « présence vivante » au cœur de notre intimité nous aide à reprendre progressivement nos activités quotidiennes sans pour autant oublier la personne disparue. Ce n’est pas l’oubli qui fait que nous retrouvons notre entrain, mais plutôt la perception aiguë que vivre est le plus beau cadeau que nous puissions offrir à la personne disparue. Parfois, cette situation de deuil dure. L’activité reste limitée tandis que la vie affective demeure douloureuse. La personne disparue ne nous apparaît plus que dans son absence. Elle est en quelque sorte emprisonnée dans le passé et ne peut pas être évoquée dans le présent de manière acceptable. C’est un deuil pathologique. L’examen médical permet d’établir s’il s’agit d’une dépression.

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21 • Les causes de la dépression sont-elles les mêmes chez les hommes et les femmes ? Les causes de la dépression sont multiples. Il en existe manifestement plusieurs, dont l’identification n’est pas toujours aisée. Des spécialistes ont étudié un nombre important de personnes, d’horizons très différents, souffrant de dépression. Ils ont mis en évidence, chez ces personnes, plusieurs facteurs de risque favorisant la dépression, mais aussi des facteurs de protection contre cette dernière. Ces facteurs de risque sont qualifiés de facteurs de vulnérabilité à la dépression. Sous cet angle, les différences entre hommes et femmes face à la dépression peuvent s’expliquer de deux manières : biologiquement par les différences génétiques et hormonales, et sociologiquement par la présence de stresseurs différents entre les deux sexes. Chacun connaît les variations de l’humeur qui peuvent exister au cours du cycle menstruel de la femme : elles correspondent aux modifications hormonales et à l’impact de ces dernières sur le fonctionnement des aires affectives du cerveau. De même, la vie moderne impose aux deux sexes des contraintes difficiles, voire impossibles à concilier. Les exigences professionnelles des femmes, conjuguées à celles d’une vie de famille, entraînent souvent une surcharge en stresseurs due à un excès de contraintes quotidiennes. En outre, la vie émotionnelle paraît plus expressive chez les femmes qui parlent plus volontiers que les hommes de leurs émotions.

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22 • Les variations hormonales peuvent-elles être responsables de la dépression ? Les femmes sont, davantage que les hommes, soumises à de grandes variations dans les rythmes biologiques commandés par le cerveau. Les processus de régulation de l’ensemble de ces rythmes, leurs interactions avec le cerveau dans son ensemble, sont donc plus complexes que chez l’homme. Le cerveau de la femme doit donc s’adapter autant à ses modifications internes qu’aux événements extérieurs. L’existence du syndrome prémenstruel (malaise physique et modifications du caractère survenant avant les règles et disparaissant après elles) semble indiquer que les hormones sexuelles jouent un rôle dans les changements de l’humeur. Ces fluctuations psychologiques ne sont pas de la dépression. Il s’agit simplement d’oscillations autour d’un équilibre que chaque femme connaît pour elle-même. Dans certains cas, la gêne occasionnée est très intense et doit être traitée. La dépression est différente du syndrome prémenstruel dans la mesure où elle est un état pathologique durable qui n’est pas modifié par le cycle menstruel. Les femmes distinguent bien ce que l’on nomme médicalement la « dysphorie prémenstruelle » de la dépression, quand elles l’ont éprouvée. Certains moments de la vie de la femme paraissent toutefois plus à risque de dépression que d’autres. Lors du post-partum, période qui suit immédiatement l’accouchement et lors de la ménopause, la femme est plus vulnérable à la dépression. Des fléchissements passagers du moral,

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ne nécessitant qu’une simple surveillance, sont fréquemment constatés à ces deux époques de la vie de la femme. Si les symptômes sont durables, font souffrir, ou que la qualité de vie qui en résulte est manifestement mauvaise, un traitement par antidépresseurs peut s’avérer nécessaire. Nous ne pouvons pas affirmer que les hormones sexuelles sont directement responsables de la dépression. Elles rendent simplement, dans certaines situations, la femme plus sensible à sa vie émotionnelle et elles sont impliquées dans deux moments psychologiques majeurs de sa vie : la naissance d’un enfant et la ménopause. Dans certains cas d’hypothyroïdie (déficit d’hormone sécrétée par la glande thyroïde), nous constatons l’existence de signes de dépression aussi bien chez l’homme que chez la femme. Le premier traitement de cet état consiste à rajouter la quantité manquante d’hormones par un traitement substitutif avant d’envisager la nécessité d’un traitement antidépresseur.

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23 • Ne pas aimer mon corps peut-il provoquer une dépression ? « Je vais aller chez le coiffeur, ça me remontera le moral. » Lequel d’entre nous n’a jamais entendu cette phrase qui témoigne de l’effet positif de notre apparence sur notre humeur. De même, l’expression « se sentir bien dans sa peau » révèle l’importance du ressenti de notre propre corps dans le plaisir que nous prenons à vivre. Nos émotions, notre moral ou notre psychologie sont très liés à notre apparence (notre corps visible) et à la complicité que nous entretenons avec notre corps (notre corps vécu). C’est par notre apparence corporelle que nous sommes reconnus par les autres. Cet avantage que constitue cette visibilité immédiate de notre corps peut parfois se transformer en inconvénient. Ceci a lieu lorsque notre aspect extérieur nous trahit en reflétant une image de nous que nous ne contrôlons pas, qui ne nous plaît pas et qui peut conduire, pensons-nous, à une méprise sur notre identité psychologique. C’est ainsi qu’un corps trop gros, négligé à cause d’une maladie peut être associé, sans fondement objectif, à un défaut psychologique comme la paresse. Mais nous sommes aussi les propres observateurs (parfois cruels) de notre image. Cette « vérification » quotidienne de notre apparence nous sert également, chaque matin, devant la glace, à renforcer le sentiment de continuité de notre existence : nous sommes bien semblables à ce que nous avons toujours connu de nous. Considérons un moment notre corps tel que nous le vivons, avec lequel nous bougeons et tel que nous le ressen-

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tons lorsque, par exemple, nous courons sur la plage au soleil. Ce corps est à la fois totalement nous-même (et nous avons le sentiment de nous exprimer totalement par son entremise) mais il est aussi un objet qui nous contraint, nous prend « en otage ». En otage, parce que nous ne pouvons pas nous séparer de lui et que nous sommes entravé par ses limitations (nous ne courons par exemple plus aussi vite et librement que lorsque nous avions vingt ans). Notre corps, soumis au regard des autres, a des fonctions multiples. Il est autant l’objet incessant de notre surveillance, outil magnifique de nos émotions et de nos plaisirs, que bourreau potentiel de nous-même parce que nous devons le supporter vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Instrument efficace de notre action et de notre volonté, il est aussi celui qui nous entrave, parce qu’il est soumis à des faiblesses que nous maîtrisons mal, comme la fatigue ou l’obésité. Nous venons brièvement de voir à quel point notre corps est impliqué dans la construction de notre psychologie. Nous allons à présent prendre le chemin inverse et nous demander comment les changements de notre psychologie vont modifier la perception que nous avons de notre corps. Comment nous percevons-nous dans le miroir lorsque nous sommes déprimés ? Nous en avons certainement fait l’amère expérience. Mais il nous faut compter aussi sur le fait qu’un de nos miroirs quotidiens est le regard des autres. Là encore, il nous paraît en tous points défavorable. Ainsi, avoir une mauvaise estime de son apparence, se sentir incapable, fatigué, avoir un corps qui ne répond plus dans le sommeil, l’appétit, l’amour, génère certainement une mauvaise opinion de soi-même. Des imperfections ou des détails physiques que nous supportions habituellement, comme des kilos en trop ou quelques boutons, se transforment soudainement, à travers les « lunettes de la dépression », en défauts majeurs que les autres ne peuvent manquer de remarquer d’un œil critique. 78


Notre corps, son image et la complicité que nous pouvons partager avec lui, participent à notre psychologie et par conséquent à notre moral. Parfois, pour résister à la dépression débutante, il arrive que nous tentions de survaloriser certains éléments de notre corps dont nous sommes fiers (entamer un régime draconien, faire du sport à outrance pour maintenir une musculature parfaite, utiliser un maquillage excessif pour donner en permanence l’apparence de la forme…). Ces démarches sont courageuses puisqu’elles tentent de nous faire reprendre la main sur une dépression qui gagne du terrain. Mais elles peuvent aussi avoir un effet inverse : augmenter la fatigue par un régime ou un effort physique inapproprié, laisser s’installer la maladie en niant ses manifestations et se trouver réduit à ne la laisser apparaître que lorsque nous sommes au bout du rouleau. La dépression sera alors plus difficile à soigner. En fonction de la complicité que nous entretenons avec notre corps, celui-ci peut être alternativement (ou en même temps) un ami ou un ennemi. Une bonne estime de soi, une assurance sur l’image que nous pouvons donner à autrui sont des facteurs de protection contre la dépression. À l’inverse, un malaise, voire un rejet de notre corps, des doutes sur sa capacité à faire face avec efficience en cas de besoin, sont des facteurs de vulnérabilité vis-à-vis de la dépression. L’apparence de notre corps et notre aptitude à nous en servir constituent donc autant de manières de résister à la dépression ou de l’améliorer lorsqu’elle est présente. Ainsi, lors d’une hospitalisation pour dépression, certains services proposent l’abord corporel thérapeutique et font appel à la relaxation, la gymnastique, l’expression corporelle ou aux soins esthétiques.

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24 • La consommation de drogues peut-elle être responsable de dépression ? La question des liens qui existent entre la dépression et la prise de drogues divise habituellement nos concitoyens en deux camps. Les uns affirment que les drogues provoquent la dépression par leurs effets chimiques ou par le mode de vie qu’elles induisent. Les autres considèrent que c’est la dépression qui incite à l’usage de produits toxiques. En vérité, les deux situations sont souvent intriquées et se renforcent réciproquement. La consommation de produits excitants comme l’ecstasy, par les adolescents, ne doit ni être banalisée ni séparée de leurs difficultés psychologiques. L’adolescence est une période de la vie pendant laquelle le risque dépressif est important. La prise de drogues à cet âge s’inscrit dans certains cas dans le cadre d’une tentative d’auto-traitement d’une dépression débutante. Nous distinguons deux grands mécanismes pour expliquer la dépression provoquée par la consommation de drogues. Ces dernières, comme l’alcool, favorisent tout d’abord un désordre biologique général du cerveau comparable en certains points à celui qui existe chez la majorité des personnes dépressives. La drogue peut aussi entraîner un épuisement biologique de certaines zones du cerveau impliquées dans l’émotion (c’est le cas par exemple des amphétamines, de l’ecstasy). Enfin, certaines drogues peuvent occasionner un dysfonctionnement du cerveau entraînant une apparente indifférence aux situations extérieures. Cet effet survient notamment lors d’une consommation régulière de canna80


bis. Les drogues peuvent provoquer une dépression par des mécanismes différents qui nécessiteront des traitements différents. Souvent, l’arrêt du produit suffit à guérir la dépression. D’autres fois, il faut associer un traitement antidépresseur à l’arrêt de la drogue. Il est curieux de constater que les personnes déprimées qui consomment de la drogue continuent à le faire alors qu’il est évident que celle-ci est impliquée dans cette dépression. La plupart des drogues prises lors des dépressions ont des effets qui trompent l’usager qui croit ainsi soulager sa dépression. Par exemple, l’alcool est volontiers utilisé par les personnes déprimées car il provoque, dans un premier temps, un effet de stimulation et un sentiment de confiance en soi qui procurent une sensation d’apaisement. Les amphétamines permettent de lutter contre la fatigue et la baisse d’estime de soi. Le cannabis donne l’illusion que l’angoisse s’estompe, mettant à distance les événements stressants et les contraintes dans une ambiance de liberté qui contraste avec l’impression d’enfermement induite par la dépression. Que nous considérions la consommation de drogues comme cause ou conséquence de la dépression, leurs effets entraînent une diminution de l’efficacité des antidépresseurs et plus globalement de l’aptitude à se prendre en charge. Le sevrage immédiat n’est plus aujourd’hui systématiquement recommandé par les médecins. En revanche, l’arrêt définitif du produit est toujours le but du traitement. Nous avons constaté en effet qu’un sevrage mal préparé, avec un risque important de rechute, provoque parfois une aggravation de la consommation du toxique. Certaines équipes médicales proposent ainsi une prise en charge double, traitant la dépression et l’intoxication. Certaines personnes peuvent s’étonner de voir l’alcool

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classé aujourd’hui parmi les drogues. Même si cela paraît à certains exagéré, chacun d’entre nous garde en mémoire l’exemple de personnes dont la vie a été ruinée par l’alcool. Avec autant d’effets néfastes, tout autre produit que l’alcool se verrait immédiatement rangé dans la rubrique drogue. Mais, dans notre pays, l’alcool fait partie de notre culture, il est associé à la plupart des moments importants et heureux de notre vie. Ces caractéristiques constituent, à nos yeux, une preuve d’absence de nocivité. En réalité, l’alcool consommé régulièrement à des doses même modérément importantes est associé à des conduites de dépendance et possède des actions néfastes autant sur notre corps que sur notre moral. Cette dépendance est liée en grande partie aux effets biologiques de l’alcool sur le cerveau. La connaissance récente de cet impact biologique puissant sur le cerveau nous explique pourquoi il est si difficile de s’en sevrer. Ce fait devrait nous inciter à ne pas critiquer les personnes dépendantes comme étant moralement faibles car cette attitude augmente leur détresse.

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25 • Ma dépression peut-elle être due à l’arrêt du tabac ? Comme pour tout produit qui a une action durable sur le fonctionnement du cerveau, l’arrêt du tabac provoque des symptômes de manque. Il s’agit habituellement d’une irritabilité, de troubles légers du sommeil, d’un besoin de manger des aliments sucrés et des féculents. Le tabac entraîne, comme toutes les drogues qui conduisent à des dépendances, la libération d’une substance nommée dopamine dans des régions du cerveau très impliquées dans l’émotion, le désir et le plaisir. Rappelons qu’une bouffée profonde de cigarette est équivalente à une injection intraveineuse de nicotine. L’effet de la nicotine diminue, au fil du temps. Ce mécanisme est à l’origine du phénomène de tolérance. Il conduit habituellement à la nécessité de consommer des doses toujours plus importantes pour obtenir le même effet. Lorsque nous nous arrêtons de fumer, ces zones du cerveau sont alors en déficit de dopamine. Une partie des symptômes ressentis par le fumeur en manque correspond à ce dernier. Toutefois, l’arrêt du tabac provoque exceptionnellement par lui-même une dépression. En revanche, la reprise ou l’augmentation de la consommation de tabac peut être un des premiers signes de rechute dépressive.

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26 • Suis-je atteint d’une dépression saisonnière ? Nous appelons « dépression saisonnière » une dépression qui apparaît très fréquemment aux changements de saison, notamment en automne et en hiver. Elle atteint plus fréquemment les femmes (85 %). Certains spécialistes pensent que le cerveau des personnes qui souffrent de dépression saisonnière est sensible à la baisse de l’intensité lumineuse qui survient à certaines périodes de l’année. L’automne, mais surtout l’hiver, est une période durant laquelle nous sommes tous plus vulnérables à cause des conditions climatiques. Il n’est pas rare, surtout à la fin de l’hiver, d’observer, chez une grande majorité de nos concitoyens, une fatigue et un sentiment de lassitude. Il ne s’agit pas de dépression. La dépression saisonnière est rare et possède des caractéristiques spécifiques qui doivent obligatoirement être évaluées dans un centre spécialisé. Contrairement aux autres dépressions pour lesquelles la durée du sommeil a plutôt tendance à diminuer, il y a fréquemment, dans la dépression saisonnière une augmentation anormale du temps de sommeil associée généralement à une augmentation de l’appétit. Les spécialistes estiment que la diminution de l’intensité lumineuse ne permet plus un réglage fin des rythmes biologiques (chronobiologie) chez les personnes souffrant de dépression saisonnière. Cette dernière peut bénéficier d’un traitement matinal par administration d’une lumière possédant certaines caractéristiques. Ce traitement s’appelle la photothérapie. Il peut être effectué à l’hôpital et à l’aide d’une lampe spéciale installée à domicile. 84


Nous avons, dans cet ouvrage, déjà abordé le cas d’une forme particulière de dépression appelée maladie maniaco-dépressive ou trouble bipolaire. Dans certains cas, les périodes dépressives de cette maladie peuvent correspondre aux changements de saison. Mais il ne s’agit pas de dépression saisonnière et la photothérapie est inefficace dans ce cas.

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27 • Quelles maladies peuvent provoquer une dépression ? La dépression est une maladie par elle-même qui n’implique pas la présence d’une autre maladie pour apparaître. Il existe néanmoins des situations médicales susceptibles d’être associées à la dépression. La première situation est la présence d’une autre maladie psychologique, comme par exemple l’anxiété. La deuxième est l’existence d’une maladie somatique grave. Dans le premier cas, il semble que l’anxiété chronique rende plus vulnérable à la dépression, c’est pourquoi il semble important de prendre en charge l’anxiété très précocement. Des maladies comme le cancer, certaines maladies neurologiques, les maladies de la thyroïde et d’autres glandes endocrines sont plus disposées que d’autres à engendrer une dépression, sans que celle-ci soit obligatoire. Dans ces cas, il faut traiter efficacement les deux maladies mais, en priorité, la maladie somatique.

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Conséquences de la dépression

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28 • La dépression diminue-t-elle mes performances mentales ? Oui, presque systématiquement. La diminution des performances mentales fait d’ailleurs partie des signes de la dépression. Les facultés les plus fréquemment atteintes sont l’attention, la concentration et la capacité de synthèse. En d’autres termes, la dépression diminue les performances mentales, aussi bien quantitativement (ralentissement de la pensée, fatigabilité), que qualitativement (erreur d’appréciation, désintérêt). Heureusement, cette altération n’est pas définitive et disparaît avec la guérison. Le déprimé est pessimiste. En analysant sa pensée, nous retrouvons ce que certains chercheurs (appelés cognitivistes) considèrent comme un trouble du traitement de l’information. Lorsque nous sommes déprimés, nous avons une mauvaise perception de la situation. C’est-à-dire que nous traitons mal l’information que nous percevons dans notre environnement et en nous-mêmes. Nous avons tendance à exagérer les aspects négatifs de la vie et à en diminuer les aspects positifs. Le tout se déroule dans une ambiance de non-maîtrise de la situation dont l’issue nous paraît catastrophique. Cette mauvaise analyse est encore aggravée par le ralentissement de la pensée, la perte d’intérêt et de curiosité intellectuelle ainsi que par la fatigue intense qui renforce l’impression que la tâche est insurmontable. Sur le plan professionnel ou scolaire, lorsque nous sommes déprimés, nous mettons plus de temps à réaliser 90


une action qui ne présentait pas de difficultés jusqu’alors. Ce fléchissement est souvent progressif. Il peut s’exprimer par un retard chronique dans son planning, par une fatigue qui s’installe, par une diminution du sentiment de maîtrise de soi (s’exprimant par des colères inhabituelles et une augmentation des conflits avec les autres). Nous tentons de compenser la lenteur due à la dépression en utilisant des stratégies qui la masquent au regard des autres. Afin de nous maintenir à flot, nous pouvons par exemple travailler sans cesse et nous priver ainsi de nécessaires moments de repos, risquant la rupture à tout moment. C’est souvent lorsque nous sortons de la dépression que nous mesurons l’inutilité de ces efforts.

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29 • La dépression diminue-t-elle mes performances physiques ? La personne déprimée se fatigue facilement et fait preuve d’une moins grande résistance à l’effort. Les causes de cet état sont multiples. Il peut s’agir de la fatigue propre à la dépression, qui vient diminuer la capacité à agir, mais aussi de l’absence de récupération liée aux troubles du sommeil ou de la baisse de motivation. Sur le plan professionnel, certaines personnes déprimées semblent pouvoir continuer à travailler assez longtemps. Certains d’entre nous ne craquent que lorsqu’ils (ou elles) ont épuisé toutes leurs ressources. La dépression ne devient apparente qu’en dernière extrémité, surprenant alors tout le monde. Malheureusement, cette forme de « courage » est en grande partie inutile. Elle conduit au développement de formes dépressives graves qui nécessitent un traitement lourd et prolongé. La dépression altère nos capacités de jugement et peut aussi nous pousser à commettre des erreurs dont certaines sont préjudiciables tant sur le plan professionnel que personnel. Il faut comprendre qu’une personne qui semble encore active peut néanmoins souffrir de dépression. Il est donc important, si nous nous savons fragile, de ne pas attendre la limite de l’épuisement pour commencer à demander de l’aide. 92


30 • La dépression diminue-t-elle ma libido ? Lorsque nous sommes déprimés, l’intérêt pour la sexualité, la capacité à éprouver du plaisir mais aussi les performances physiques sont altérés. L’atteinte sexuelle est fréquente car elle fait partie des éléments qui permettent d’établir le diagnostic de dépression. Même si nous percevons cette détérioration, celle-ci est habituellement incluse dans un désintérêt général pour la vie et pour les autres et peut être reléguée au second plan. Notre conjoint, de son côté, interprète parfois cette situation comme un désintérêt à son égard. Ceci peut être à l’origine d’incompréhension ou de tension dans le couple. C’est lorsque nous commençons à aller mieux que nous percevons, rétrospectivement, l’étendue et l’impact de cette difficulté sexuelle. Il faut souligner l’influence sur la sexualité des médicaments prescrits dans la dépression qui peuvent provoquer une diminution de la libido ou du désir sexuel. Ces médicaments entraînent parfois une baisse du plaisir ressenti ainsi qu’une réduction des performances sexuelles. La tentation est grande d’incriminer le traitement antidépresseur lors d‘une « panne sexuelle ». En réalité, les médicaments sont moins responsables de ces effets que la dépression elle-même. Il est facile de s’en rendre compte. Lorsque la dépression est traitée et que nous continuons néanmoins à prendre nos médicaments, il n’est pas rare de constater que nous retrouvons une sexualité harmonieuse.

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La sexualité constitue une dimension complexe de l’être humain. Une difficulté sexuelle quelconque peut avoir différentes origines et l’attribuer au médicament est parfois une solution commode, alors que nous éprouvons des difficultés d’une autre nature. Dans certains cas, la dépression est l’occasion d’aborder, avec le médecin ou le psychothérapeute, des difficultés de couple préalables à la dépression et difficiles à exprimer.

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31 • La dépression peut-elle être responsable de rupture avec mon conjoint ? La dépression est une maladie qui nous atteint dans notre intimité et dans notre rapport aux autres. Elle a immanquablement un impact sur notre vie de couple. Le conjoint du déprimé ne peut éviter les modifications de caractère et l’aspect incompréhensible de son proche malade. Si la souffrance du déprimé suscite souvent la compassion, elle entraîne aussi la colère ou la rancune de son entourage. Tentons de comprendre cette souffrance. Nous savons que la dépression est une maladie douloureuse pour laquelle nous parlons de douleur morale. Comme toute maladie douloureuse, elle affecte aussi bien celle (ou celui) qui en souffre que son entourage. Cette douleur profonde est en apparence incompréhensible. Malgré les efforts pour l’apaiser, l’entourage se sent impuissant à la faire disparaître. Cette impuissance se transforme parfois en révolte ou en colère : comment tant d’efforts peuvent-ils s’avérer inutiles ? Chacun, de son côté, a l’impression de faire des efforts importants que l’autre ne remarque pas. La personne déprimée à qui nous apportons de l’aide a tendance à croire qu’elle est jugée négativement à cause de sa dépression. Elle a la conviction que son entourage ne perçoit pas les efforts importants qu’elle fait pour masquer le poids de sa souffrance et ne pas peser sur la vie de ses proches. De son côté, l’entourage a l’impression que l’aide qu’il tente d’apporter n’est pas perçue à sa juste valeur par la personne déprimée. 95


S’installe alors une accusation réciproque d’ingratitude entre une famille épuisée d’avoir à subir et agir sans contrepartie et un déprimé qui mobilise toutes ses ressources pour ne pas faire subir à son entourage les conséquences de sa maladie. Si une caméra filmait la vie psychologique des membres de la famille, elle leur donnerait raison et conclurait au fait que le déprimé est un assisté. Mais si cette même caméra filmait la vie mentale du déprimé, celle-ci susciterait souvent l’admiration de ceux qui, jusqu’alors, le considéraient comme un paresseux. À toutes ces difficultés s’en ajoutent d’autres. La vie sexuelle s’appauvrit, la vie amicale est diminuée, des problèmes financiers viennent alourdir encore la situation. Les enfants sont souvent perturbés et leurs résultats scolaires en pâtissent. En somme, tous les ingrédients sont réunis pour que le couple explose. Mais, ne l’oublions pas et ne nous laissons pas entraîner par nos émotions immédiates : la dépression est une maladie. Elle doit donc être soignée et cela nécessite une aide médicale. Rechercher l’aide d’un tiers, en l’occurrence d’un médecin, est une responsabilité conjointe du couple. La dépression ne peut être comprise que si elle est intégrée dans la continuité de notre histoire. Il y a donc un « avant la dépression », et un « après la dépression ». La dépression s’installe, comme toute maladie, chez un couple qui a déjà une histoire. Elle constitue, pour ce dernier, un événement de vie en soi. Il peut donc arriver que la dépression s’installe au sein d’un couple qui a des difficultés relationnelles. Les difficultés de couples sont alors en quelque sorte exagérées par la maladie. Ces différents points doivent être abordés avec le médecin pour tenter de distinguer les difficultés qui existaient avant la 96


dépression chez des personnes qui s’aiment et vivent sous le même toit. Après l’épisode dépressif, deux situations peuvent fréquemment se présenter. Dès la disparition des symptômes les plus apparents de la dépression, l’entourage a tendance à conclure trop hâtivement à la guérison totale du déprimé. En réalité, comme pour de très nombreuses maladies, une période de convalescence de plusieurs mois est nécessaire. Il est important de ne pas exiger immédiatement du convalescent un niveau de performance maximum. Cette attitude évite bien des tensions et des énervements. Mais une telle conduite « raisonnable » est parfois difficile à adopter dans la pratique. La famille et le conjoint, déjà épuisés par la tension subie pour supporter la dépression n’ont plus la possibilité de prendre du recul. Ils ont donc tendance à relâcher leurs efforts de bienveillance dès que les signes de dépression s’estompent. L’idée qu’il faut persévérer et encore patienter peut être décourageante ou mobiliser trop de ressources. C’est pourquoi il faut absolument que les proches puissent se faire aider en se confiant à quelqu’un dont c’est le métier. Dans certains cas, il est utile qu’ils puissent également bénéficier d’une aide médicamenteuse brève et appropriée. Il est difficile d’oublier les efforts que nous avons consentis dans le climat d’ingratitude qui entoure une personne déprimée. À cause de cela, il n’est pas rare de constater qu’il existe, dans certaines situations, une forme de dette du déprimé en faveur de sa famille. Cette dette morale ne s’annule pas toujours lorsque la dépression a disparu. Il peut s’agir d’un peu de rancune ou de l’impression d’en avoir assez fait, avec le sentiment que la balle est maintenant dans l’autre camp. La dépression guérie, ce contentieux non réglé peut paradoxalement empoisonner 97


la vie du couple (ou de la famille). Le médecin ou le psychothérapeute sont là pour pouvoir éclaircir ces non-dits qui aigrissent la situation. Parler est le plus efficace des moyens de surmonter tous les problèmes de couple qui accompagnent la dépression. Le médecin et le psychothérapeute sont là pour nous aider à passer ces étapes. Ils peuvent servir de médiateurs si la communication est devenue trop difficile.

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32 • Pourquoi est-il si difficile d’être compris lorsque je parle de ma dépression ? La dépression peut être décrite comme une maladie qui entrave la communication. Elle perturbe tout d’abord le dialogue avec soi-même. Une partie des symptômes de la dépression est très difficile à exprimer, comme si les mots n’existaient pas pour les décrire. Ils correspondent à un ressenti, à des émotions inhabituelles. C’est une des raisons pour lesquelles nous avons parfois du mal à prendre conscience de notre état dépressif. Nous utilisons alors souvent des termes approximatifs et fourre-tout comme : fatigue, ras-le-bol, à plat pour décrire les impressions que nous ressentons. La communication vers les autres est altérée. Lorsque nous sommes déprimés, nous ne trouvons plus nos mots avec précision, donnant l’impression que nous n’avons rien d’intéressant à dire. Nous ne savons plus comment commencer nos phrases. Afin de préserver les autres, nous préférons souvent nous taire. Tout ceci diminue notre capacité de contact avec notre entourage. La communication des autres vers nous-mêmes est problématique. Certains symptômes de la maladie, comme la fatigue, l’insomnie, les difficultés alimentaires, sont habituellement présents dans la vie quotidienne pour d’autres raisons que la dépression. Il est alors difficile pour notre entourage de les assimiler à de la maladie. Comment penser à la dépression lorsque quelqu’un qui est fatigué affirme l’être toujours, alors qu’il vient de se reposer ? La première réaction est de qualifier cette fatigue de paresse. 99


Communiquer, c’est se représenter mentalement son interlocuteur. Puisque la dépression est une maladie qui modifie la communication, il paraît important de comprendre comment s’établit habituellement la communication entre deux personnes. Pour communiquer, un certain nombre de conditions doivent être réunies. Nous tentons d’abord d’avoir une idée claire de ce que nous avons à dire. Nous recherchons et utilisons pour cela des mots ou des expressions compréhensibles par notre interlocuteur. Pour communiquer, il faut donc se représenter mentalement ce que l’autre comprend de ce que nous lui disons. Il ne suffit donc pas de savoir ce que nous allons dire, ni comment nous allons le dire, il nous faut aussi imaginer ce que l’autre a dans sa tête, ce qu’il va comprendre, ce qu’il risque de mal interpréter. Notre entourage et notre famille sont nos interlocuteurs privilégiés. Nous devons imaginer ce qu’ils comprennent ou ne comprennent pas. Si nous souhaitons parler de notre dépression, nous devons savoir ce que notre interlocuteur entend par ce terme et quelle est son opinion sur cette maladie. Il nous faudra donc adapter notre explication à ces représentations. Si nous ne savons pas comment faire passer le message, l’aide du médecin, comme intermédiaire neutre, est très précieuse. La dépression vient aussi modifier ce que nous devons exprimer. Or, lorsque nous sommes déprimés, nos émotions sont parfois comme anesthésiées, nos impressions comme amplifiées. Les mots ne nous viennent pas et nos gestes sont parfois désadaptés, trop brusques ou trop ralentis. Notre langage, notre comportement ne correspondent pas toujours à ce que nous pensons et nous ressentons. La plupart du temps, notre entourage n’a pas été lui-même déprimé et c’est heureux. Il lui faudra donc du temps, beaucoup de temps et de discussion (et c’est bien normal), pour comprendre ce que nous vivons réellement et ce qui se cache derrière notre comportement. Le médecin et le psychothérapeute sont là pour faciliter cette compréhension. 100


33 • Dois-je parler de ma dépression à la maison ? Oui, car c’est une maladie qui retentit sur nos proches. Notre dépression est souvent pour eux une énigme qui défie la logique habituelle. Souvent, pour bien faire et face aux difficultés dues à la dépression, notre entourage nous prodigue des conseils qui lui paraissent opportuns. Par exemple, lorsque nous n’avons plus le courage de faire face au quotidien, nos proches nous proposent-ils de « mieux nous organiser » ou de « nous coucher de bonne heure ». Ils ne comprennent pas que des solutions efficaces pour eux ne nous sont d’aucun secours lorsque nous sommes déprimés. Il nous est très difficile de comprendre comment une maladie aussi envahissante, qui remplit les moindres interstices de notre existence, puisse être si difficilement comprise et perçue par les autres. En fait, cela n’est pas si incompréhensible que cela si nous y réfléchissons. Les autres nous perçoivent à travers nos gestes et nos mots. Souvent, ces gestes et ces mots sont à peine modifiés par notre dépression, a fortiori, si nous tentons courageusement de faire face en la refusant. Les autres ont de grandes difficultés à percevoir ce que nous ressentons si nous ne l’exprimons pas avec des mots. Si notre comportement et nos expressions évoquent par exemple du désintérêt, de la colère ou de l’entêtement, il est quasiment impossible pour notre entourage de comprendre que la dépression en est la cause, s’il n’est pas mis dans la confidence. Il faut donc tenter de parler de sa dépression à son proche entourage.

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Dans la réalité, la dépression est malheureusement une maladie encore « honteuse ». Il nous semble parfois plus courageux de ne pas en parler pour ne pas inquiéter nos proches. N’avons nous pas trop souvent tendance à sous-estimer les possibilités de notre entourage à supporter une telle annonce ?

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34 • Puis-je me confier à mon entourage professionnel ? Dire que l’on souffre d’une dépression est une décision à bien peser. Le monde du travail, en général, s’accommode mal de la maladie. Il a d’autres priorités et ne prévoit habituellement pas de fonctionner avec une personne souffrante. Si, pour beaucoup de maladies, la guérison du salarié le restaure au niveau auquel il était auparavant, la dépression peut parfois laisser une image de fragilité gênante pour le déroulement de la carrière. Néanmoins, la vie professionnelle est un facteur d’équilibre et les liens professionnels représentent une partie non négligeable de notre vie. Ils sont un moteur et un facteur de confiance en nous-même. La vie professionnelle comporte une partie affective importante. Partager des soucis et des succès, des confidences et des irritations pendant de nombreuses années, crée irrémédiablement des liens affectifs. Certains collègues sont ainsi proches de nous. Ils sont donc capables de comprendre notre dépression, de nous soutenir et nous aider à nous faire soigner. Parfois, lorsque nous sommes déprimés et que nous avons perdu confiance en nous, le travail peut constituer une source d’équilibre rassurant, qui peut aider à la guérison. Si nous considérons généralement qu’il vaut mieux ne pas parler de sa dépression à son travail (sauf à son médecin du travail, tenu au secret médical et susceptible de proposer divers aménagements), il existe aussi 103


de nombreux exemples pour démontrer la compréhension des collègues comme de l’employeur. Tout est une question de situation. Nous devons prendre conseil auprès de personnes de confiance et en parler à notre médecin en lui décrivant avec précision la situation qui est la nôtre.

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35 • La dépression interdit-elle l’accès à certaines professions ? Parce qu’elle est une maladie curable et réversible, la dépression ne peut empêcher une personne d’accéder au métier de son choix. Deux points importants sont cependant à noter : La dépression est une maladie qui rechute dans un cas sur deux. Certaines de ces rechutes ne sont ni prévisibles ni évitables. Dans certains métiers, notamment à risques ou à hautes responsabilités, elle peut entraîner une diminution momentanée d’efficience et nécessiter parfois un arrêt professionnel de plusieurs semaines. Ceci n’est pas possible pour tous les métiers. Certains métiers exposent ceux qui les exercent à des facteurs de risque de dépression. C’est le cas des professions où le stress fait partie du quotidien, celles soumises à des modifications des rythmes biologiques (travail de nuit, horaires irréguliers…) et celles où il existe un contact fréquent avec des produits comme l’alcool ou les médicaments. Plutôt que de se fixer sur le fait qu’un type de travail puisse être interdit aux personnes ayant subi plusieurs dépressions, il semble plus utile de considérer la qualité de vie que nous souhaitons avoir lorsque nous nous savons à risque de dépression. Tout est affaire de compromis. Choisir un métier excitant mais à risque pour la dépression ou prendre un emploi qui nous expose moins, tel est le choix que nous devons faire. La décision est personnelle et, comme tout choix, il suppose d’être assumé.

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36 • En quoi puis-je compter sur mon entourage pour m’aider ? La dépression est une expérience intérieure qui non seulement nous donne l’impression de ne plus parvenir à faire face à la vie, mais aussi d’être inaccessible à toute aide extérieure. La culpabilité, le sentiment d’échec, la certitude du caractère définitif de notre malheur font qu’il nous est souvent difficile de croire que notre entourage peut nous aider. Nous ressentons la nécessité de cette aide mais nous nous en méfions en même temps. C’est-à-dire que nous avons le sentiment que notre entourage ne peut rien pour nous mais nous attendons beaucoup de lui. Cette ambivalence met parfois nos proches en difficulté. Par exemple, lorsque notre entourage nous prodigue des marques d’attention, il nous arrive de les interpréter comme des comportements de surveillance ou comme un manque de confiance. Cet état de fait nous irrite, ce qui surprend nos proches. Lorsque nous sommes déprimés, la première des choses à acquérir est la capacité à accepter de l’aide. Nous devons apprendre à exprimer ce que nous ressentons d’une manière compréhensible. Nous devons aussi faire confiance aux personnes qui nous aiment et ne pas penser, lorsqu’elles nous aident, qu’elles nous considèrent comme des êtres inférieurs ou comme des enfants. Ceci est particulièrement vrai au début de la maladie, période pendant laquelle notre volonté est très faible et notre besoin d’aide important, mais également lorsque nous allons mieux et que nous devons conti106


nuer à suivre un traitement qui ne nous paraît plus nécessaire. Nos proches peuvent nous aider en mettant en valeur les qualités qui demeurent en nous, en étant vigilants sur la poursuite de notre traitement et en nous aidant à régler certains problèmes logistiques (formalités administratives, travail, etc.).

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37 • Que faire si mon entourage est épuisé ? Lutter contre la dépression exige, de celui (ou celle) qui en souffre, des efforts continus mais invisibles parce qu’ils sont de l’ordre du mental. Il est donc compréhensible que l’entourage du déprimé ne mesure pas l’importance de ces efforts. Pour lui, tout se passe comme si le déprimé se laissait aller ou ne semblait pas mesurer les efforts d’aide qu’il consent. Cette incompréhension est souvent à l’origine d’un épuisement de notre entourage. La dépression qui nous envahit nous oblige à nous concentrer sur nous-mêmes et à faire référence en permanence aux rapports qui existent entre ce que nous vivons et notre maladie. Ce n’est pas le cas quand nous sommes bien portant car nous utilisons d’autres repères que nos symptômes pour analyser la vie. Une incompréhension s’installe donc facilement entre deux personnes dont l’une est déprimée, lorsqu’elles partagent une même situation mais n’utilisent plus le même système de références. Cette mauvaise communication conduit parfois à exprimer de l’agressivité. Une sorte de comptabilité malsaine peut s’installer recensant tous ces efforts incompris, toutes ces situations dans lesquelles nous avons le sentiment d’être mal perçu. Ce compteur qui ne parvient plus à se mettre à zéro vient parasiter nos relations et augmenter encore nos difficultés. Si nous n’y prenons garde, la communication qui s’installe avec notre entourage risque d’être entachée d’une sensation d’insuffisance (insuffisance d’écoute, de réconfort, de compréhension). Les discussions avec notre entourage peuvent devenir exclusivement consacrées à ce que nous n’avons pas fait et à ce qu’ils 108


auraient pu faire. La dépression entraîne donc pour nous et pour notre entourage des efforts d’adaptation très importants même pour les situations de la vie quotidienne la plus ordinaire. Il nous faut comprendre que notre entourage doit non seulement assumer les tâches que nous ne parvenons plus à accomplir nous-même, mais doit en outre assurer les siennes et gérer son anxiété. Même si elle n’est pas comparable à la nôtre, la fatigue éprouvée par nos proches est réelle et mérite notre considération. Nous devons, avec notre entourage, inventer un « savoir-vivre » pour lutter contre l’usure et la rancœur induites par la dépression. Cet effort en vaut la peine car l’intrus, c’est la maladie et non notre entourage (ou notre proche déprimé).

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38 • La dépression peut-elle m’apporter quelque chose de positif ? Soyons catégoriques, la dépression ne peut en aucun cas être une expérience positive. C’est une souffrance intense qui isole. Son impact est très négatif sur la vie quotidienne de ceux qui en souffrent, ainsi que sur leur entourage. D’où l’importance d’identifier cette maladie, de la soigner et d’en prévenir la rechute. Tous les déprimés l’affirment, la dépression est l’épreuve la plus difficile qu’ils aient traversée au cours de leur vie. Ne confondons donc pas l’expérience de la maladie dépressive, qui doit à tout prix être évitée, et des aspects fréquemment associés à la dépression qui peuvent présenter un intérêt pour l’individu. Il est habituel de constater que les épreuves difficiles de notre vie peuvent nous faire mûrir. L’expérience de la dépression est une épreuve qui nous permet souvent de mieux comprendre les autres et de découvrir des dimensions insoupçonnées de sa vie. Le seul fait d’être passagèrement démoralisé et confronté à des situations difficiles peut lui aussi nous interroger sur les valeurs importantes de notre vie et nous obliger à nous pencher sur certains points de notre passé ou de notre présent dont nous avions sousestimé l’importance. Ces phases de maturation peuvent ainsi nous pousser à modifier certaines certitudes que nous considérions comme définitives. Cette interrogation est très souvent salutaire. Elle peut résulter d’un travail personnel ou être accompagnée, notamment dans le cadre d’une psychothérapie. 110


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Principes du traitement de la dĂŠpression

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39 • Puis-je me remettre spontanément de ma dépression ? La dépression est une maladie qui atteint le cerveau. La volonté, aussi puissante soit-elle, a bien du mal à modifier, seule, le fonctionnement d’un organe aussi complexe que le cerveau. Les récits des médecins et des patients relatant des dépressions à des époques où les médicaments étaient inexistants (les premiers antidépresseurs ne datent que de la fin des années 50) montrent que les dépressions évoluent spontanément au bout de plusieurs mois, voire années, vers une amélioration plus ou moins complète. Que de souffrances et de dégâts ces épisodes ont-ils provoqués ? Aujourd’hui, s’il n’est pas toujours possible d’empêcher la dépression d’apparaître, les traitements réduisent significativement l’intensité et la durée des épisodes. À une époque où la lutte contre la douleur est une priorité reconnue par tous, pourquoi faudrait-il laisser la douleur morale hors de portée de tout traitement ? Comme toute maladie, la dépression ne résume pas à elle seule la personne qui en souffre. Autrement dit, il existe toujours une partie non malade chez un individu souffrant de dépression. Cette partie-là doit à la fois rechercher de l’aide auprès des autres et trouver en elle-même ses propres solutions pour sortir de l’impasse. Contrairement à une idée très répandue, se faire soigner ou prendre des médicaments antidépresseurs n’entraîne pas de dépendance et n’aggrave pas une situation déjà altérée par la maladie. De trop nombreuses personnes refusent de se faire aider 114


car elles ne comptent que sur leur volonté pour s’en sortir. Plus exactement, elles ont l’impression que se faire soigner est une facilité qui vient encore affaiblir le peu de volonté qui leur reste. En réalité, c’est la maladie et non son traitement qui nous aliène et nous rend prisonnier. La maladie ne nous laisse aucun choix et nous impose ses symptômes. En revanche, faire la démarche de se soigner, c’est redevenir acteur et retrouver le choix. Ce n’est pas pour autant qu’il faille se faire soigner passivement. Au contraire, cette attitude est inefficace puisque le soin résulte d’une alliance entre le médecin et son patient. Si la seule volonté ne peut conduire à la guérison, elle participe certainement à la mise en route du traitement et à la démarche de psychothérapie. Toutefois lorsque la dépression est très sévère, la volonté de survie n’est plus présente. C’est le cas dans une forme de dépression appelée mélancolie, au cours de laquelle les patients sont persuadés qu’ils ne sont pas dignes d’être soignés et qu’ils méritent leur triste sort. Dans de tels cas, l’entourage peut jouer un rôle majeur et doit parfois prendre la décision (en accord avec les médecins) de permettre à la personne de se faire soigner alors même qu’elle s’y oppose, se croyant inguérissable.

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40 • Y a-t-il urgence à me traiter ?

Quand les signes de dépression sont identifiables et durables, cela signifie que la dépression est déjà bien installée. Ces symptômes ont très peu de chances d’être une fluctuation passagère de l’humeur pour laquelle il faudrait attendre que la situation s’améliore d’elle-même. Un traitement s’impose donc dans les plus brefs délais. Pourquoi est-ce urgent ? La dépression nous rend beaucoup moins performant. Dans le monde de performance dans lequel nous vivons, où la marge d’erreur permise est faible, la dépression nous fait rapidement perdre pied. Les conséquences familiales ou professionnelles de la dépression peuvent n’apparaître que longtemps après guérison. Avoir été longuement absent ou n’avoir pas pu faire face à des situations familiales pour lesquelles une décision importante devait être prise peut nous porter préjudice plusieurs mois après que la dépression soit guérie. Pour notre entourage, le fait que nous ayons été déprimés suscite un doute sur notre solidité personnelle. Notre capacité à nous prendre en charge énergiquement et rapidement est, au contraire, perçue comme une qualité témoignant de notre capacité d’initiative et d’adaptation. La dépression prolongée peut altérer de façon durable la confiance que nous portons en nous-mêmes. Elle peut laisser persister une vulnérabilité psychologique (et peutêtre biologique) qui nous rend de plus en plus fragile face aux situations difficiles de la vie. La dépression brise notre identité sociale et possède un pouvoir de destruction très important tant sur nos liens affectifs que sur notre insertion socioprofessionnelle. La 116


dépression altère notre capacité relationnelle, notamment au travail. Elle est donc une cause de désinsertion et de baisse d’estime de soi. Il est donc important de se prendre en charge rapidement si l’on veut rester intégré dans la vie sociale. La dépression est une maladie douloureuse. Il n’est pas rare d’entendre les personnes atteintes de dépression affirmer que cette douleur est la plus forte qu’elles aient jamais rencontrée, utilisant d’ailleurs le même terme que les médecins pour la décrire. Il s’agit du terme de « douleur morale », spontanément utilisé par les personnes souffrant de dépression. La dépression est une maladie qui comporte un risque vital. C’est une maladie qui peut être mortelle, directement par suicide ou indirectement parce que nous nous mettons en danger. La dépression favorise la consommation excessive d’alcool, les conduites à risque, ainsi que la désinsertion sociale. Un traitement énergique et prolongé est donc indispensable pour contrer le risque suicidaire présent à tout moment de la maladie. Certaines formes de dépression, notamment celles qui appartiennent à la maladie maniaco-dépressive, sont parfois des urgences immédiates et nécessitent une hospitalisation d’urgence. Tout retard peut entraîner des conséquences négatives très graves. La dépression rend le cerveau vulnérable vis-à-vis de troubles futurs. La dépression, comme toute maladie atteignant un organe, en modifie le fonctionnement et le rend plus fragile. Cette modification n’est pas définitive mais il est important non seulement de traiter l’épisode actuel mais aussi de « protéger le cerveau » contre cette fragilisation qui représente un risque accru de rechute dépressive ultérieure.

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41 • Quels sont les principes du traitement ? La dépression est une maladie qui atteint tous les aspects de l’individu. Elle affecte la biologie du cerveau, les pensées et les émotions, ainsi que notre identité sociale. Le traitement de la dépression doit donc s’appliquer à ces différents domaines. Leur importance respective et l’ordre dans lesquels ils devront être abordés varient d’une personne à l’autre. Le rôle du médecin est, notamment, de déterminer le bon équilibre et le bon ordre entre toutes ces composantes du soin de la dépression. Nous associons en général, à des degrés divers, trois types d’approche thérapeutique de la dépression : Le traitement médicamenteux Les médicaments agissent directement sur le fonctionnement biologique du cerveau en corrigeant les anomalies neurochimiques associées à la dépression. Ils sont la grande avancée thérapeutique de la seconde moitié du XXe siècle. La psychothérapie Quelle que soit la technique de psychothérapie utilisée, sa finalité est de permettre, grâce à un échange de personne à personne, d’obtenir un changement durable de l’humeur par la compréhension psychologique des symptômes en les intégrant dans le contexte de leur survenue. La psychothérapie suppose donc un engagement personnel et l’utilisation de médiateurs non chimiques, comme par exemple la parole ou d’autres formes d’ex118


pression (musique, abord corporel,...) pour dépasser l’état dépressif qui s’est installé. La psychothérapie ne propose pas systématiquement de comprendre la ou les causes à l’origine de la dépression car cette dernière est souvent déterminée par plusieurs causes ; les élucider ne conduit pas forcément à la guérison. La fonction soignante des psychothérapies provient de la démarche qui est entreprise. Parcourir le chemin de la psychothérapie est au moins aussi important que ce que nous y découvrons. Comme pour tout voyage, il existe plusieurs manières de parcourir ce chemin. Il revient au médecin ou au psychologue de nous conseiller sur la forme de psychothérapie la plus adaptée à notre cas. Les aménagements de l’environnement Pour bien comprendre une personne, il est important de connaître son environnement. Sa famille, son travail, mais aussi le lieu où elle est soignée sont des éléments importants à prendre en compte. Le traitement de la dépression doit donc comporter des aménagements à tous ces niveaux. Parler aux proches du déprimé, comprendre leurs souffrances, partager leurs problèmes, réfléchir aux difficultés et aux projets professionnels, savoir mettre de la distance grâce à l’hospitalisation, sont autant de manières de modifier positivement l’environnement de la personne atteinte de dépression. Certains éléments du quotidien, dont nous ne percevons pas toujours l’importance, conditionnent la qualité de notre vie. Les identifier, mettre en œuvre une dynamique de changement, réviser nos habitudes et repenser les liens avec notre entourage a un impact très positif sur notre dépression. Soigner la dépression ne se résume pas à en faire disparaître les symptômes. C’est aussi permettre à la personne malade de se réinscrire dans une vie qu’elle estime agréable et désirable. 119


42 • Qui consulter : un généraliste, un psychiatre ou un psychologue ? Médecins généralistes, psychiatres, psychologues sont trois professionnels de la santé qui peuvent prendre en charge totalement ou en partie la dépression. Le généraliste, comme le psychiatre, sont tous les deux médecins. Le psychologue a suivi une formation pendant plusieurs années, centrée sur la psychologie. C’est pourquoi seuls le médecin généraliste et le psychiatre sont autorisés à prescrire des médicaments. Certains médecins ont bénéficié d’une formation spécialisée à la psychothérapie (c’est le cas de la grande majorité des psychiatres). Ils peuvent alors pratiquer des psychothérapies, comme peuvent le faire aussi la plupart des psychologues. Dans notre pays, lorsqu’il existe un problème de santé, la démarche habituelle est de rendre visite au médecin généraliste. Ce dernier, qui d’ordinaire connaît bien son patient, analyse avec précision les signes et symptômes présentés par celui-ci. Un bilan de santé général est toujours indispensable, même quand les signes de dépression paraissent évidents et que le diagnostic semble ne pas faire de doute. Certaines dépressions peuvent en effet être provoquées par des maladies somatiques au cours desquelles divers signes de dépression sont en réalité les symptômes d’une maladie générale du corps. Dès que le médecin a pratiqué le bilan nécessaire, il peut évoquer le diagnostic de dépression. Selon la forme de cette dernière, il prend la décision de soigner lui-même son patient ou de l’adresser à un psychiatre ou à un psychologue avec lesquels il collabore habituellement. La plupart 120


du temps, les différentes personnes qui prennent en charge une personne déprimée se transmettent les informations ; cela évite au malade de répéter son histoire à chaque nouvel intervenant. Exceptionnellement, les soignants peuvent décider, si le patient le souhaite, de ne pas communiquer entre eux, sauf en cas d’urgence, ceci pour lui donner la possibilité de parler plus librement. Contrairement à ce que beaucoup pensent, consulter un psychiatre ne signifie pas que nous sommes atteints d’une maladie grave ou que nous sommes fous. Un psychiatre est un médecin spécialisé qui a reçu, après ses études de médecine générale, un enseignement supplémentaire pendant quatre ans. Durant cette spécialisation, il s’est concentré uniquement sur la compréhension et le traitement des maladies mentales. Lors de sa formation, il a non seulement rencontré beaucoup de maladies différentes, mais il a appris qu’il existe plusieurs modèles pour expliquer un même symptôme. Parmi ces modèles, il connaît particulièrement ceux correspondant aux troubles du fonctionnement du cerveau lors des maladies mentales (appelés modèles biologiques). Il connaît bien l’action des médicaments actifs sur le cerveau. Le psychiatre, comme le psychologue, a été formé aux différents modèles psychologiques décrivant les maladies mentales. Le psychiatre peut donc à la fois prescrire un médicament et pratiquer une psychothérapie. Certains médecins préfèrent séparer l’abord médicamenteux et psychologique et proposent à leur patient l’aide d’un autre professionnel pour la partie qu’ils ne pratiquent pas. Les soins du psychiatre conventionné sont remboursés comme ceux de n’importe quel médecin conventionné. Actuellement, la psychothérapie effectuée par les psychologues n’est pas remboursée par la Sécurité sociale. Le psychologue suit habituellement une formation de quatre années en faculté. Pendant ses études, il étudie les différentes théories du développement psychologique humain. Bien que cette orientation ait tendance à évoluer actuellement, l’accent était mis jusqu’à aujourd’hui sur les 121


conceptions psychanalytiques issues des théories de Sigmund Freud et de Jacques Lacan. Certains psychologues suivent également des formations spécialisées sur les thérapies comportementales ou cognitives et les thérapies familiales. Le psychologue pratique habituellement une forme de psychothérapie dont il explique les principes aux patients qui s’adressent à lui. En réalité, les différentes théories sont souvent complémentaires car elles abordent des aspects différents de la psychologie humaine. De ce fait, la plupart des thérapeutes actuels enrichissent leur approche théorique prédominante des aspects qui leur paraissent les plus adaptés puisés dans les autres théories psychologiques. Une précision s’impose en ce qui concerne le terme « psychothérapeute ». Le psychiatre et le psychologue, qui ont bénéficié d’une formation psychologique, sont évidemment des psychothérapeutes. Il existe pourtant des personnes qui n’ont pas cette formation et qui ne peuvent pas s’appuyer sur un diplôme reconnu par l’université mais qui peuvent néanmoins obtenir ce statut. Il s’agit généralement de personnes formées diversement, qui ont personnellement bénéficié d’une psychothérapie par une école qui possède une certaine notoriété. Ces thérapeutes ont le devoir de se faire superviser par une personne hautement qualifiée afin d’adapter leur pratique au mieux des intérêts de leur patient. Si, très souvent, ces psychothérapeutes font un travail remarquable, il existe des personnes se prétendant psychothérapeutes dont la formation est douteuse. Pour bien choisir son thérapeute, il est indispensable de connaître le type de formation dont il a bénéficié. N’hésitez pas à évoquer ce problème franchement avec votre médecin ou votre thérapeute.

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43 • Dois-je être hospitalisé ? Si oui, combien de temps ? La plupart des formes de dépression peut être soignée sans avoir recours à l’hospitalisation. Certaines formes de dépression comme la mélancolie ou les dépressions sévères, certaines conséquences de la maladie comme l’incapacité à pouvoir se prendre en charge, certaines situations comme l’angoisse forte ou le désir de mourir, certains contextes comme l’épuisement de la famille, peuvent néanmoins nécessiter l’hospitalisation de la personne déprimée. Si, par ailleurs, la dépression perdure, malgré un traitement médicamenteux et psychologique adapté, l’hospitalisation est nécessaire. L’hospitalisation n’est pas un pis-aller. Elle ne doit pas seulement se définir par la prise en charge de ce qui ne peut pas se soigner à l’extérieur. L’hospitalisation a aussi une fonction soignante par elle-même. Espace éloigné des contingences matérielles et du contexte dans lequel s’est développée la dépression, l’hôpital représente un lieu dans lequel il est enfin « possible d’être malade ». Même si cela est regrettable, notre société accepte mal la maladie mentale. Elle la considère comme une faiblesse plus que comme une maladie. À l’hôpital, cette stigmatisation n’existe pas. Le patient déprimé n’y est pas contraint, en plus, de sa maladie de mettre toute son énergie à la cacher. Il lui devient possible de se concentrer uniquement sur lui-même et sur son traitement. L’hôpital propose, dans certains cas, des traitements qui ne peuvent être prescrits que là, car ils nécessitent une surveillance constante et importante. C’est le cas de certains médicaments administrés en perfusion, d’associations de plusieurs traitements médicamenteux ou de traitements 123


comme les sismothérapies ou la stimulation magnétique transcrânienne. La durée d’hospitalisation nécessaire pour soigner une dépression est variable selon la gravité du trouble. Compte tenu du délai d’action des médicaments antidépresseurs, il est difficile d’en apprécier l’efficacité avant quinze jours à trois semaines de traitement actif. La pleine efficacité de ces traitements est obtenue après environ deux mois d’administration. Il n’est cependant pas nécessaire d’attendre ce délai pour envisager une sortie de l’hôpital. Nous considérons habituellement qu’une durée d’hospitalisation comprise entre quinze jours et trois semaines est suffisante pour une dépression. Certaines formes compliquées peuvent exiger plus de temps. D’autres, de résolution prompte, permettent une sortie plus rapide.

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44 • Faut-il choisir une clinique ou un hôpital ? Les hôpitaux et les cliniques qui disposent d’agréments pour le traitement des maladies mentales sont habilités à soigner les états dépressifs. Hormis sur quelques rares points précis, il n’est pas facile de déterminer de grandes différences entre les deux systèmes. Il existe une large diversité, aussi bien dans le secteur public que dans le secteur privé dans la prise en charge des maladies mentales. Cela est souhaitable car les situations cliniques rencontrées sont très variables. Le remboursement du soin des pathologies mentales est identique à celui des autres pathologies, notamment en ce qui concerne les soins délivrés par les secteurs publics et privés. On pense encore souvent, à tort, que les cliniques offrent un confort hôtelier de meilleure qualité que l’hôpital public. Ce n’est plus tout à fait vrai aujourd’hui car l’hôpital public a fourni, ces dernières années, de gros efforts pour améliorer la qualité de l’accueil. De même, il est faux de penser que les cliniques offrent des moyens techniques moins sophistiqués que ceux présents à l’hôpital. De nombreuses cliniques, qui pratiquent notamment des sismothérapies, proposent des prestations à sécurité égale à celles de l’hôpital, en ce qui concerne l’anesthésie et les examens biologiques. Devant cet éventail de prestations, nous vous conseillons de discuter avec votre médecin généraliste et avec votre psychiatre, qui connaissent les établissements les plus proches de votre domicile ainsi que les équipes qui y travaillent, afin de déterminer la structure la mieux adaptée à votre situation. 125


45 • Serais-je libre de sortir en cas d’hospitalisation ? Si la dépression nécessite une hospitalisation, celle-ci se fait le plus souvent avec le plein accord du patient. Ce type de séjour s’appelle « hospitalisation libre ». Le patient peut partir à tout moment. L’hôpital est un lieu qui soigne beaucoup de personnes en grande difficulté. De ce fait, s’il veut être efficace il doit suivre des règles générales de fonctionnement pour que l’intérêt de chacun soit respecté. Cela est vrai aussi bien pour les patients que pour le personnel soignant ou administratif de l’hôpital. Nous ne pouvons donc pas faire ce que nous voulons à l’hôpital : nous ne pouvons pas décider par exemple de partir sans en parler à l’équipe soignante, revenir à des horaires qui nous conviennent, ou bien prendre uniquement les traitements qui nous paraissent les plus adaptés. Si nous souhaitons sortir, le minimum est d’en parler à l’équipe qui s’occupe de nous. Cette règle simple, que nous n’enfreindrions pas chez le coiffeur, est parfois perçue comme une contrainte insupportable qui nous révolte. Quelles sont en général les raisons pour lesquelles nous craignons d’être « enfermés » à l’hôpital ? Être hospitalisé nous rappelle à chaque instant que nous sommes malades. Nous pouvons alors ressentir de la colère à l’idée d’être réduit à notre maladie. Un sentiment de révolte peut nous gagner face à ce que nous considérons comme une privation de liberté et à l’impression que les médecins nous résument à notre maladie. C’est pourquoi il peut nous arriver de devenir agressifs, de nous mettre en colère envers le personnel 126


soignant à qui nous avons pourtant demandé personnellement de l’aide. Cette manière de réagir entrave notre traitement. Quelles sont les raisons de cette colère ? La première est liée à l’ambivalence psychologique de tout individu qui ne va pas bien : même si la souffrance dépressive incite à réclamer une assistance, l’amour-propre suggère (faussement) qu’il est plus valorisant de s’en sortir par soi-même. Inconsciemment, nous nous mettons à en vouloir à celui qui nous apporte de l’aide puisque, manifestement, il nous prive de la possibilité de nous débrouiller seul. Une autre raison à cette colère est la nécessité que nous éprouvons souvent à incriminer une cause extérieure comme motif à notre malaise intérieur. La souffrance qui nous conduit à l’hôpital tente ainsi de s’apaiser en cherchant, au sein de l’hôpital, des causes à notre mal être (mauvaise qualité de l’hébergement, bruit des voisins, indifférence des soignants, effets secondaires des médicaments, etc...). Pourtant, nous savons bien que l’hôpital et la clinique sont des lieux humains dans lesquels il existe nécessairement des imperfections. Cette technique, dite « du bouc émissaire », nous permet de projeter l’ensemble de nos malheurs sur l’hôpital, comme pour nous en débarrasser. Cette attitude, qui consiste en quelque sorte à « tirer sur l’ambulance », peut pourtant nous priver de son aide. Lors d’une hospitalisation libre, les permissions ou la sortie sont discutées avec l’équipe soignante et la famille. Ces permissions servent à évaluer notre capacité à faire face aux événements extérieurs, notamment au retour au domicile. La sortie définitive de l’hôpital, ainsi préparée, se fait dans de meilleures conditions. Une sortie trop précoce risque de nous mettre en difficulté et nous décourager ainsi que notre famille. Une sortie trop 127


tardive peut rendre la réadaptation difficile. L’hôpital devient alors un refuge face à un monde extérieur qui nous fait de plus en plus peur. L’hospitalisation doit être considérée au contraire, comme un tremplin vers de nouveaux horizons. La décision de sortie de l’hôpital est donc souvent un compromis et se discute toujours avec le médecin. Quelques rares situations nécessitent une hospitalisation sans l’accord du patient, qui est remplacé par celui de sa famille et des médecins. Cette hospitalisation particulière s’appelle « Hospitalisation à la demande d’un tiers ». Elle est proposée lorsque l’état psychique ou physique du déprimé est trop perturbé ou inquiétant. Elle respecte des règles très précises qui sont régulièrement contrôlées dans leurs applications. Le service qui accueille ces patients est habilité à gérer ces hospitalisations sous contraintes. Il s’agit souvent d’hôpitaux publics. La famille proche ou les médecins peuvent, à tout instant, faire cesser cette hospitalisation non volontaire. Dans ces situations, heureusement rares, la collaboration entre le médecin, le patient et sa famille est un atout majeur permettant la pleine efficacité du traitement. N’oublions pas que la souffrance dépressive justifie les efforts de tous pour parvenir à un résultat optimal.

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46 • Comment aider un proche déprimé ? Au début, lorsque nous nous proposons d’aider un de nos proches déprimé, nous pensons que des encouragements ou des conseils vont venir à bout de la souffrance de cette personne que nous croyons si bien comprendre. Les causes de sa dépression, vues sous un angle « logique », nous paraissent évidentes (surmenage, difficultés de vie, troubles du caractère…). Le « bon sens » qui nous guide personnellement tous les jours nous incite à proposer à la personne déprimée, fatiguée ou surchargée de « partir en vacances » pour se reposer, de «prendre sur elle » ou de « mieux gérer son stress ». Bien que nous sachions parfaitement qu’il est difficile de nous mettre à la place des autres, nous avons tendance à penser du déprimé qu’il fabrique son propre malheur et qu’il suffirait qu’il ait plus confiance en lui pour s’en sortir. Nous référant à nous-mêmes, il nous semble que, dans des conditions identiques, nous pourrions facilement faire face là où il s’écroule. Nous soupçonnons alors le déprimé d’une faiblesse de caractère. Cette « logique du bon sens » appliquée à notre proche déprimé se heurte à une personne pour qui nos explications « raisonnables » paraissent sans effet. Elle sait parfaitement ce que nous nous acharnons à lui expliquer. Elle ne le sait d’ailleurs que trop car elle ne cesse de se juger sévèrement elle-même sur ce qu’elle ne parvient pas à mettre en œuvre. La « vérité » de la dépression est ailleurs, hors du sens commun. En pratique, quelques conseils peuvent nous être utiles si nous voulons apporter une aide à notre proche déprimé. Manifester de l’attention, de la bienveillance 129


et de l’écoute, représente déjà une aide précieuse. Néanmoins, l’impact de ces efforts semble limité dans le temps. Il faut perpétuellement répéter ces attitudes de réconfort, tout en veillant à ne pas nous épuiser si nous voulons apporter un soutien durable. C’est pourtant ce qui arrive si nous croyons qu’en donnant beaucoup d’amour et d’attention nous parviendrons à apaiser durablement les symptômes de la dépression. Ces derniers ressurgissent, bien que nous nous soyons épuisé à les combattre. La réalité de notre amour et la sincérité de nos attentions ne sont pas en cause. Leur inutilité provient du fait qu’ils combattent une maladie autonome largement indépendante de l’amour que nous portons à la personne déprimée. Lorsque nous pensons qu’un de nos proches est déprimé, même si notre aide est indispensable, notre participation active aux soins consiste aussi à l’aider à entrer en contact avec un médecin. Côtoyer un déprimé, surtout si nous vivons simultanément des moments difficiles, peut nous conduire à l’épuisement. Il est donc important de pouvoir nous faire aider par un spécialiste. Dans certains cas, nous percevons ce besoin d’aide psychologique ou médicamenteuse comme une injustice supplémentaire, un fardeau qui s’ajoute aux efforts que nous consentions pour aider notre proche déprimé. L’expérience montre, au contraire, que bénéficier d’un soutien psychologique est une chance supplémentaire, car cela nous allège d’un poids que nous ne parvenions plus à porter seul. En outre, dans un moment où ne savons plus comment manifester notre sollicitude, prendre du temps pour se confier, comprendre ce qui nous arrive constitue un réel témoignage d’amour et de respect du déprimé autant qu’une occasion de progresser soi-même.

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47 • Comment amener une personne déprimée à se faire soigner ? Aider une personne déprimée à se faire soigner, c’est d’abord être convaincu soi-même que la dépression existe et qu’il est possible de la soigner. L’affection que nous portons à un proche ne suffit pas à traiter la maladie. Le traitement de la dépression nécessite, certes un soutien affectif, mais passe en plus, nécessairement, par des médicaments ou une psychothérapie. Si la famille joue un rôle essentiel, elle ne peut tout faire. Le fait d’être de la famille ou d’être proche affectivement de la personne déprimée discrédite même certains conseils. Leur qualité n’est pas en cause car ces mêmes conseils peuvent être écoutés et suivis s’ils sont donnés par des personnes affectivement moins impliquées. C’est pourquoi un médecin, même s’il est psychiatre, ne peut pas soigner une personne déprimée de sa propre famille. L’opinion que nous nous faisons de la dépression, et plus précisément de la possibilité d’être un jour nousmêmes déprimés, varie d’une personne à l’autre. De nombreuses personnes déprimées consultent d’ellesmêmes, indiquant à leur médecin qu’elles pensent souffrir de dépression. Malheureusement, d’autres considèrent que la dépression est une situation impossible qui est à leurs yeux synonyme de perte de volonté, témoignage d’infériorité, voire marque de déshonneur. Ces personnes sont donc tentées soit de refuser que cette maladie puisse les affecter, soit de vouloir s’en sortir seules, sans en faire part à quiconque. Ce type de mentalité survient encore plus fréquemment lorsque l’on 131


est déprimé car la dépression provoque une diminution de l’adaptation qui aggrave les comportements négatifs et le pessimisme. Un amour-propre mal placé et l’effet de maladie se conjuguent pour diminuer notre capacité à demander de l’aide. Une fois convaincu que la dépression existe et qu’elle est accessible au soin, il nous faut nous armer de douceur et de persuasion pour inciter un proche déprimé à demander de l’aide. L’idée générale pour convaincre un déprimé de se faire soigner est de trouver une manière de l’aborder qui ne lui fasse pas perdre la face et lui permette de prendre conscience qu’il prend, au contraire, son destin en main. Loin de perdre sa liberté, le déprimé qui se fait soigner, la reconquiert.

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48 • Est-il préjudiciable de rechercher un médecin pour faire soigner un proche déprimé ? Le déprimé, comme tout malade, n’aime pas admettre qu’il l’est. Il a parfois du mal à se faire soigner. Il est pourtant important de trouver une manière d’impliquer notre proche déprimé dans une démarche de demande d’aide. Comme la dépression est une maladie qui diminue la volonté et modifie le caractère, il faut parfois faire preuve de beaucoup de patience et de persuasion pour obtenir qu’il (ou elle) consulte. Il ne faut jamais se décourager et penser qu’il existe toujours une manière d’inciter un proche à demander de l’aide. Des paroles réconfortantes, des mots qui témoignent de la compréhension de la souffrance éprouvée, un conseil affectueux rappelant l’importance de prendre rapidement un avis médical, suffisent le plus souvent à provoquer la demande de rendez-vous. Notre proche déprimé est, en effet, le plus souvent capable, par lui-même, de se rendre à une consultation pour parler de ses difficultés. Si notre proche est très malade ou s’il ne parvient pas à agir de lui-même, il est indispensable de prendre l’initiative d’une consultation. La dépression est une maladie suffisamment grave pour que cette consultation ait lieu le plus rapidement possible. Si la personne dépressive ne peut faire elle-même cette démarche, il faut, plutôt que de prendre un rendez-vous à sa place, lui proposer de participer à la prise de son rendez-vous.

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Lorsqu’une hospitalisation est proposée par le médecin, si le déprimé ne se sent pas capable de l’accepter, un soutien sans faille de sa famille peut l’aider à prendre cette décision. Même lorsque nous décidons, avec le médecin, de l’hospitalisation à la place de notre proche déprimé (situation rare qui se nomme « Hospitalisation à la demande d’un tiers »), notre attitude n’est pas répressive. Le plus souvent, lorsque la personne malade va mieux, elle est reconnaissante vis-à-vis de ceux qui ont pris, à sa place, cette décision.

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49 • Le travail est-il thérapeutique ? Dans les discussions de la vie quotidienne, le travail est considéré comme une contrainte, un générateur de stress. À ce titre, nous l’incriminons souvent comme facteur favorisant la dépression. À l’inverse, nous savons aussi tous à quel point, en période de chômage, le fait de ne pas avoir de travail est déprimant et donne le sentiment d’être laissé pour compte. Nous sommes bien obligé de constater qu’à la fois le travail et son absence sont cités comme causes de dépression. La vie courante fourmille d’expressions adressées à la personne déprimée telles que : « cela lui ferait le plus grand bien de travailler, il (elle) ne penserait plus à toutes ces mauvaises idées, il (elle) serait occupé (e) ». Nombreuses sont aussi les circonstances où nous entendons exactement le contraire : « il (elle) s’est déprimé (e) à cause des pressions exercées à son travail ». Si le stress professionnel est souvent cité par les patients comme ayant précipité leur dépression, nombreux sont aussi ceux qui indiquent que le travail a été pour eux une bouée, un marchepied vers la guérison. Nous mesurons ainsi que les choses ne doivent pas être aussi simples en ce qui concerne les relations entre travail et dépression. En fait, le travail n’est en lui-même ni bon ni mauvais. Les effets positifs ou négatifs dépendent, selon les individus, autant des conditions dans lesquelles ce travail se déroule, que de leurs capacités à l’assumer ou à l’investir. Pour comprendre en quoi le travail peut être thérapeutique, nous pouvons, un peu artificiellement, nous diviser en deux. D’un côté, nous sommes des individus tous différents les uns des autres avec nos propres priorités. D’un autre côté, nous appartenons à un groupe, une famille, une société, une entreprise en qui nous nous reconnaissons et au sein desquelles nous gagnons notre vie. Autrement dit, nous 135


sommes, vis-à-vis de notre identité, comme une carte de visite qui comprendrait deux faces indissociables. L’une où est inscrit notre nom qui n’appartient qu’à nous et l’autre qui indique notre appartenance à un groupe social (notre milieu social, notre travail, notre religion…). Nous ne pouvons pas choisir si nous sommes plus l’un ou l’autre car nous sommes les deux. Pourrait-on envisager une carte qui n’aurait qu’une seule face ? Le travail intervient sur ces deux aspects de notre identité. Il nous permet d’un côté de nous accomplir, ou du moins d’être indépendant (sollicitant la partie de nous mêmes qui correspond à la face qui porte notre nom), mais il nous permet aussi d’être reconnu comme appartenant à la société car il nous aide à exister socialement. Nous pouvons imaginer à partir de cet exemple des situations dans lesquelles, au travail, une partie de nous-mêmes peut être en désaccord avec l’autre. Par exemple, nous pouvons nous sentir à la fois contraints personnellement par le travail que nous devons faire et en même temps satisfaits d’appartenir à ce groupe professionnel si exigeant. Quand le travail peut nous valoriser, nous apporter des satisfactions personnelles et nous permet de rencontrer des collègues, il constitue un soutien important. En revanche, lorsqu’il nous confronte trop directement à notre sentiment de nullité ou à trop de contraintes, il est générateur d’aggravation de notre état.

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50 • Faut-il que je parte en vacances si je suis déprimé ? La dépression s’exprime souvent par une fatigue intense, des troubles du sommeil et une irritation excessive vis-à-vis des tracas de la vie quotidienne. L’expérience montre malheureusement que le fait de pouvoir dormir tout son saoul ou partir sous les cocotiers, loin des soucis, n’entraîne pas de diminution de ces symptômes. La fatigue dépressive n’est en effet pas améliorée par le sommeil. Ce dernier, haché et instable, n’est pas réparateur. L’éloignement des soucis quotidiens nous renvoie avec encore plus de cruauté à notre sentiment d’inutilité, soulignant de façon angoissante notre incapacité à mettre en œuvre tout projet, à ressentir tout plaisir. La joie que manifestent les autres en vacances est alors souvent perçue comme une agression. La personne déprimée a le sentiment pénible de ne pas participer à la fête et d’empoisonner la vie de ceux qui l’entourent. Les vacances sont donc de peu d’utilité chez le déprimé. S’il tente de soigner sa dépression en partant en vacances, le déprimé risque d’en revenir non seulement avec une conscience plus aiguë de ses difficultés, mais surtout avec une forme plus évoluée de son trouble. Bien que le déprimé puisse donner l’impression de ne rien faire, il ne faut pas oublier que cette apparence est trompeuse. La dépression est en effet une maladie qui épuise, car elle est la source d’une lutte psychologique incessante et décourageante. Elle nécessite, après sa guérison, une période de convalescence. Les vacances peuvent alors s’avérer être un choix judicieux. Mais si cette convalescence en vacances peut être 137


utile pour la guérison, elle ne doit pas être trop prolongée. Il est en effet important à l’issue d’une dépression de se sentir réintégré très rapidement dans le fonctionnement social. Il faut donc retravailler le plus tôt possible après une dépression. Un dilemme s’installe parfois entre le besoin d’un légitime repos et la nécessité d’une réinsertion sociale rapide. Les avantages et les inconvénients de chacune des deux solutions doivent être débattus avec le médecin.

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51 • Faut-il se distraire lorsque l’on est déprimé ? Une des caractéristiques de la dépression est la sensation d’anesthésie émotionnelle qu’elle génère, associée à un sentiment de monotonie et à la certitude d’un avenir négatif. Face à cette situation psychologique, l’entourage a naturellement envie de proposer de la distraction au déprimé, une activité qui le sorte de sa tristesse, lui apporte du plaisir. Cette idée généreuse peut tomber à plat face à une personne qui se sent encore plus triste de voir tout le monde rire autour d’elle. Le déprimé, se sentant obligé de faire des efforts pour ne pas décevoir l’intérêt qui lui est porté, se fatigue davantage. Il ne faut cependant pas renoncer. En effet, il est important que le déprimé qui éprouve une perte d’estime de soi ressente que nous nous intéressons à lui pour des choses agréables et non pas uniquement pour lui rappeler ce qu’il ne parvient plus à faire. Le choix des distractions doit se porter vers des activités qui n’impliquent pas un trop grand nombre de personnes. Un repas en compagnie de tous les membres d’une promotion ou une réunion de collègues peuvent constituer des situations dangereuses et désagréables pour le déprimé parce qu’il ne peut pas y paraître sous son meilleur jour. Pareillement, des activités nécessitant des efforts (comme le sport avec un objectif de performance) ou une attention soutenue (comme une pièce de théâtre un peu compliquée) doivent être évitées. Une sortie honorable doit être prévue si cette distraction devient trop pénible pour la personne déprimée. 139


Il faut choisir des activités qui l’intéressent habituellement et qui peuvent être rapidement interrompues (une séance de cinéma, un repas au restaurant, une soirée entre amis intimes, une promenade…).

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52 • Quand dois-je m’arrêter et reprendre mon travail ? La dépression est une maladie qui perturbe diverses fonctions intellectuelles et émotionnelles très sollicitées lors du travail. Il est difficile, voire impossible, de travailler lorsque nous ressentons une fatigue intense, des difficultés de concentration, une pensée bloquée, une incapacité à s’adapter à la vie de groupe. Le déprimé au travail est perçu par son entourage comme quelqu’un de non productif, qui ralentit l’activité, qui met mal à l’aise parce qu’il suscite la colère et incite en même temps à la compassion. Après plusieurs tentatives infructueuses, les collègues ne savent plus comment communiquer avec leur collaborateur déprimé. La gêne que provoque le déprimé au travail est surtout liée au caractère incompréhensible de son comportement. La personne déprimée, très lucide sur son handicap, est d’autant plus désemparée que, souvent, tout ce qu’elle tente pour y remédier est inefficace ou aggrave la situation. L’état dépressif caractérisé nécessite un arrêt de travail. Il peut arriver que nous hésitions à prendre cette décision en la considérant comme une défaite supplémentaire. En restant au travail dans cette situation extrême nous prenons des risques inutiles. Savoir s’arrêter est un acte volontaire et non pas une faiblesse de plus. Cela témoigne d’une reprise en main de la situation, au même titre que le traitement ou l’hospitalisation. La reprise du travail est un moment important qui reflète l’amélioration de notre état psychologique. Cette nouvelle décision doit être discutée avec notre médecin. Parfois, quand le milieu professionnel le permet, la discussion avec l’employeur et notamment avec le médecin du travail 141


conduit à aménager les horaires afin d’éviter une reprise trop brutale du travail. Au cours de la discussion concernant la reprise professionnelle, il est important d’en apprécier, chacun avec ses priorités, les avantages et les inconvénients. Aller au travail, c’est reprendre un rythme et ne pas rester à tourner en rond, rencontrer les autres, ne pas être exclu de la vie et avoir l’impression de participer à la vie. Mais, retourner au travail, c’est aussi affronter une pression professionnelle parfois éprouvante, retrouver une somme importante de travail, accumulée pendant notre absence et renouer avec des contraintes qui ont pu précipiter notre dépression. C’est pourquoi, dans certains cas, il convient d’envisager une reprise professionnelle à temps partiel. Ce qui permet à la fois de retrouver un rythme et de se donner du temps pour récupérer. Néanmoins, attendre trop longtemps peut être préjudiciable dans la mesure où il est d’autant plus difficile de reprendre sa place au travail que l’arrêt a été prolongé.

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MĂŠdicaments antidĂŠpresseurs


53 • Existe-t-il des traitements naturels de la dépression ? Quelles que soient les hypothèses sur la dépression, tout le monde s’accorde pour dire qu’elle est associée à un fonctionnement désadapté du cerveau. Nous ne savons toujours pas si ce dysfonctionnement est la cause de la dépression ou s’il s’agit d’une conséquence de difficultés psychologiques prolongées. Nous pensons que les deux situations sont possibles. Nous savons, en revanche, avec certitude, que lorsqu’il existe des symptômes durables de dépression, le fonctionnement biologique du cerveau est durablement anormal. Ce modèle nous permet de comprendre pourquoi les médicaments, mais aussi la psychothérapie, peuvent réduire ce dysfonctionnement. Dans ce contexte, quelle place peuvent prendre les traitements dits « naturels » de la dépression ? Il est nécessaire de comprendre ce que nous entendons par « naturel » dans le terme « médecine naturelle ». Une croyance bien ancrée dans notre culture (surtout en France depuis Jean-Jacques Rousseau) suppose que la nature, synonyme de santé et de normalité a été corrompue par la société, la technique et l’action des hommes. De nombreux exemples nous montrent pourtant que le contraire est vrai. La vie « naturelle » de l’homme des grottes de Lascaux était très brève et menacée par de nombreux dangers. Dans un même ordre d’idées, nous savons bien que les cellules des organismes vivants se cancérisent « naturellement » ou que certains produits naturels, comme la ciguë, sont des poisons violents. La nature la plus sauvage inclut 146


donc la maladie dans son panorama habituel. Autrement dit, la maladie fait partie intégrante de la nature et de la vie. De plus, il est difficile d’attribuer à l’homme et à ses activités tous les maux. Est-il possible, d’ailleurs, de concevoir l’homme en dehors de la société dans laquelle il vit sans ses règles ou ses œuvres ? Comment donc accuser la société alors qu’elle est une composante indissociable à notre humanité ? Se retirer de la société conduirait à la solitude. Mais la solitude n’est-elle pas ce que nous redoutons le plus quand nous sommes déprimés ? Il paraît également stupide de s’affliger systématiquement devant les progrès techniques qui sont les fruits de l’intelligence humaine. La croyance que la nature vient au secours, sans faille, de tous les désordres que la société a produit persiste pourtant dans notre société. Il est certain que l’accent exclusif mis sur le progrès technique nous a souvent éloignés des leçons de vie que la nature peut nous apporter si nous y prêtons attention. Évitons de tomber nous-même dans le piège que nous dénonçons en appelant systématiquement la nature, contre le progrès, à la rescousse de la maladie, notamment de la dépression. Ceci dit, en quoi pourrait consister un « traitement naturel » de la dépression ? Nous pouvons l’envisager selon deux aspects. Tout d’abord, comme tout être vivant, l’homme et son cerveau suivent les règles générales de la nature et fonctionnent selon des cycles biologiques qu’il faut respecter. La vie contemporaine qui perturbe ces équilibres (travail de nuit, agressions sonores, durée de sommeil insuffisante, alimentation déséquilibrée…) peut produire une succession de stresseurs qui rendent l’organisme plus vulnérable. Une analyse de ces facteurs et un aménagement des conditions de vie constituent, dans une certaine mesure, un traitement naturel de la 147


maladie dépressive. Mais en aucun cas, ils ne suffisent à eux seuls, à guérir la dépression lorsqu’elle est installée. Certaines plantes possèdent des composés qui ont une action chimique psychotrope. Comme tout produit actif, ces composés peuvent entraîner des effets indésirables et présenter des interactions avec l’organisme parfois dangereuses lors d’associations avec d’autres médicaments. La prescription de tels produits sans avis médical compétent risque de mettre la vie en danger. Rappelons que l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) est la seule habilitée en France à donner son accord pour la mise à disposition de substances naturelles à visée thérapeutique. Au moment de l’impression de cet ouvrage, aucun produit dit naturel, indiqué contre la dépression, n’a obtenu l’autorisation de mise sur le marché en France.

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54 • Comment agissent les médicaments antidépresseurs ? Les antidépresseurs sont des médicaments composés de substances chimiques agissant au niveau du cerveau et plus précisément sur les extrémités des neurones, à l’endroit où ils communiquent les uns avec les autres. Cette communication utilise des sortes de messagers chimiques appelés neurotransmetteurs (ou neuromédiateurs), qui sont de petites molécules. Les connexions entre deux neurones sont appelées synapses. Comme il y a des milliards de neurones, que chacun d’entre eux possède de très nombreuses synapses et qu’ils sont impliqués dans de nombreux réseaux, l’effet d’un médicament a plusieurs conséquences. Un antidépresseur agit non seulement en activant plusieurs systèmes de neurones (donc plusieurs circuits différents) mais aussi en entraînant des modifications au niveau des synapses qu’il active. L’effet de ces modifications varie et s’échelonne dans le temps. Parmi ces petites molécules qui permettent la transmission de l’information dans le cerveau, deux d’entre elles se distinguent principalement. Il s’agit de la noradrénaline (qui intervient notamment dans le stress, mais aussi dans l’angoisse) et la sérotonine. La plupart des antidépresseurs et des médicaments contre l’angoisse agissent sur ces deux neuromédiateurs. Il existe beaucoup d’autres neuromédiateurs mis en jeu dans la transmission de l’information cérébrale. Certains d’entre eux sont impliqués dans la dépression. Si l’on passe maintenant du niveau de la molécule (ici le neuromédiateur) au niveau du cerveau (considéré comme un réseau de neurones), on constate aussi l’exis149


tence d’anomalies de son fonctionnement chez le déprimé. L’ensemble des études faites sur des personnes qui souffrent de dépression a permis de mettre en évidence, par rapport à des personnes qui ne sont pas déprimées, des changements dans le fonctionnement biologique de certaines zones du cerveau. Cette description n’indique pas si ces changements sont la cause des dépressions ou s’ils en sont la conséquence. Ce que nous savons, c’est qu’ils sont présents quand les patients présentent les signes de la dépression et qu’ils ont, la plupart du temps, disparu lorsque la dépression est guérie. La persistance de ces anomalies est associée au maintien de l’état dépressif. Les traitements qui interviennent en corrigeant complètement ce dysfonctionnement sont associés à une amélioration des signes de la dépression dans les semaines qui suivent leur administration. C’est pourquoi nous pouvons dire que les antidépresseurs qui possèdent ces propriétés peuvent, dans certaines situations, guérir totalement la dépression. Quelques traitements non chimiques comme les sismothérapies peuvent produire certains des effets biologiques induits par les antidépresseurs. Ils renforcent donc nos hypothèses concernant l’importance de solliciter ces cibles biologiques pour traiter les personnes déprimées, puisque deux traitements différents, conduisant aux mêmes modifications biologiques, améliorent la dépression de manière sensiblement identique. Les antidépresseurs agissent sur les synapses qui permettent aux neurones de communiquer entre eux, c’est-à-dire de transmettre et de recevoir les informations en provenance de toutes les régions du cerveau et du corps entier. La grande majorité des antidépresseurs agit directement ou indirectement au niveau de la synapse où circulent les neuromédiateurs. 150


Habituellement, les neuromédiateurs transmettent les informations nécessaires au fonctionnement équilibré de l’organisme. Les antidépresseurs peuvent agir des deux côtés de la synapse. Examinons tout d’abord les neurones qui apportent l’information chimique portée par les neuromédiateurs. Les antidépresseurs contrôlent, à leur niveau, la libération des neuromédiateurs ou leur recapture. La nature en effet n’aime pas « gâcher » ce qu’elle n’utilise pas. Les neurotransmetteurs qui ne sont pas utilisés sont recapturés (ou récupérés) par le neurone qui les a libérés. Examinons ensuite l’effet des antidépresseurs lorsqu’ils agissent sur les neurones qui reçoivent l’information. Ils peuvent par exemple mimer (ou imiter) un neuromédiateur particulier (ils se fixent alors sur l’emplacement sur lequel va naturellement le neuromédiateur). Dans d’autres cas, l’antidépresseur bloque, au contraire, les récepteurs qui sont normalement utilisés : il filtre le message qui lui parvient et n’en laisse passer qu’une partie. - L’antidépresseur, lorsqu’il agit sur le neurone qui apporte l’information, augmente la force du message délivré au neurone qui le reçoit. Cette action des antidépresseurs est rapide. Certains antidépresseurs agissent par eux-mêmes sur le neurone qui reçoit l’information en se fixant sur les récepteurs qui permettent ce passage de l’information. - Quelle que soit la modalité utilisée, l’antidépresseur modifie le fonctionnement de la synapse. Parmi ces diverses transformations, certaines sont rapides et d’autres prennent du temps pour se réaliser. Ceci explique en partie pourquoi un délai de quelques semaines est nécessaire avant de ressentir l’effet antidépresseur d’un traitement prescrit contre la dépression.

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Cette action locale, au niveau de la synapse, a un retentissement sur le cerveau en entier et modifie le fonctionnement de certaines régions. Or, les différentes zones du cerveau n’ont pas la même fonction. Ainsi, une personne qui fait un accident vasculaire dans une partie du cerveau peut avoir une partie de son corps paralysée du côté opposé à la lésion, tandis qu’une autre qui a eu un accident vasculaire dans une autre partie du cerveau n’est pas paralysée mais éprouve des difficultés pour parler. Ces exemples nous montrent que les mécanismes du mouvement et de la parole impliquent des régions différentes du cerveau. Il n’existe pas de région particulière du cerveau dont l’altération produirait tous les symptômes de la dépression. Toutefois, certaines régions cérébrales semblent prioritairement modifiées dans leur fonctionnement lors d’une dépression alors que d’autres semblent peu impliquées. Le fonctionnement de certaines régions semble aussi pâtir des modifications survenant dans les régions voisines. Ce fait n’est pas étonnant car nous savons que le cerveau tente en permanence de s’équilibrer. En agissant sur des réseaux complexes de neurones, les antidépresseurs interviennent non seulement sur la synapse mais aussi sur les grands équilibres qui font que le cerveau travaille comme un tout. Une partie importante de l’efficacité des antidépresseurs semble résulter du nouvel équilibre biologique cérébral que ces traitements produisent. Cette action met un certain temps, (habituellement plusieurs semaines) pour aboutir à un nouvel équilibre cérébral favorable et stable.

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55 • Pourquoi existe-t-il plusieurs types d’antidépresseurs ? Les antidépresseurs agissent au niveau du cerveau selon divers mécanismes, mais aucun antidépresseur n’intervient sur tous ces mécanismes à lui seul. Un tel produit ne serait d’ailleurs pas souhaitable dans la mesure où il cumulerait vraisemblablement la plupart des effets secondaires de tous les antidépresseurs. En fonction des signes de dépression, de l’efficacité ou, au contraire, de l’échec de tel ou tel antidépresseur prescrit dans le passé, le médecin peut nous proposer un traitement antidépresseur dont le mode d’action sur le cerveau est le mieux adapté à notre situation. De plus, une personne qui ne supporte pas un antidépresseur appartenant à une classe thérapeutique donnée peut très bien en tolérer un autre présentant une action analogue mais n’ayant pas le même profil d’effets secondaires. Nous disposons aujourd’hui de nombreux produits dont l’action est démontrée contre la dépression et nous pouvons bénéficier, la plupart du temps, du traitement le plus adapté à chaque forme de dépression. Malgré tout, environ 20 pour cent des dépressions sont encore résistantes aux traitements médicamenteux.

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56 • Les médicaments antidépresseurs sont-ils réellement efficaces ? Depuis la fin des années soixante, les spécialistes ont pu vérifier dans le monde entier qu’il existait des produits permettant de guérir rapidement des états dépressifs. Décrits depuis l’Antiquité, ces états demeuraient mystérieux pour les médecins, qui proposaient des remèdes comme la saignée, les cures balnéaires ou conseillaient les voyages et les distractions. Pour la première fois dans les années soixante, des médecins ont démontré l’efficacité significative de certains médicaments sur les symptômes de la dépression. Les personnes traitées témoignaient d’une amélioration de leur humeur et de leur courage, d’une diminution de leur angoisse avec généralement un retour à l’état de santé initial. Ce fut pour eux, comme pour les médecins, une découverte enthousiasmante. Depuis cette époque, de nombreuses études, menées de par le monde, ont confirmé l’impact positif des médicaments antidépresseurs sur les symptômes de dépression. Pour qu’aujourd’hui un médicament puisse être appelé antidépresseur, il doit satisfaire à des critères très stricts concernant son efficacité sur un grand nombre de personnes souffrant de cette maladie. Comment constatons-nous qu’un antidépresseur est efficace ? La dépression, comme toutes les maladies, se manifeste par des signes communs chez la plupart des malades qui en souffrent. Nous pouvons donc établir une liste de ces signes les plus fréquemment rencon154


trés. Il devient alors possible de noter chacun de ces signes en fonction de l’intensité de leur expression. Les psychiatres ont admis qu’une personne souffre de dépression dès lors qu’elle présente un certain nombre de symptômes durables et invalidants, que ceux-ci sont relativement intenses. Cette appréciation clinique permet d’obtenir une valeur chiffrée sur une échelle de dépression, appelée score, indiquant que la personne est très certainement malade. La difficulté fut, pour les scientifiques chargés de réaliser les protocoles établissant l’évaluation chiffrée de la dépression, de déterminer à partir de quel niveau de score ils étaient certains de la réalité de la dépression. Les chercheurs ont donc mis au point à travers le monde un certain nombre d’outils et d’échelles de mesure de l’intensité de la dépression. Ces échelles de dépression sont utilisées systématiquement pour les essais effectués dans le monde entier afin d’être en mesure de faire des comparaisons entre les pays et ceci quel que soit l’observateur qui fasse la mesure. Les spécialistes considèrent qu’il faut un score minimum sur ces échelles pour affirmer qu’une personne est vraiment déprimée. Ces dernières années, un critère supplémentaire s’est ajouté à ce score. Pour être inclus dans un essai mesurant l’efficacité d’un antidépresseur, le patient ne doit plus seulement avoir un score élevé à l’une ou l’autre de ces échelles, mais sa dépression doit le gêner considérablement pour effectuer la plupart de ses activités habituelles. Sa dépression doit donc non seulement être grave, mesurée par une échelle quantitative, mais elle doit aussi qualitativement le gêner, handicaper significativement sa vie quotidienne. Pour évaluer l’efficacité du traitement, on a décidé de réunir un grand nombre de personnes déprimées répondant à ces critères de gravité et de gêne, et de mesurer l’évolution du score des échelles de dépression et ceux 155


du handicap lorsqu’on donne le traitement. Les spécialistes prescrivent alors au hasard, dans un groupe de personnes déprimées (selon les critères quantitatifs et qualitatifs que nous venons de décrire) soit un traitement actif, soit un traitement inactif mais d’apparence semblable. Le « médicament » inactif est appelé placebo. Ce type d’étude est dit « en double aveugle » car ni la personne traitée ni le médecin ne savent lequel des deux produits a été donné puisqu’ils sont d’apparence identique. Nous savons simplement que, sur l’ensemble du groupe évalué, le même nombre de patients est traité soit avec le traitement supposé efficace, soit avec le placebo. Le produit étudié est qualifié d’antidépresseur s’il montre une supériorité très nette (dite statistiquement significative), par rapport au placebo dans sa capacité à faire baisser rapidement les scores de dépression ainsi que la gêne due à la maladie. Ces études nous ont aussi apporté d’autres renseignements, notamment qu’il faut un minimum de temps pour que l’amélioration apparaisse. Il est impossible de juger de l’effet d’un antidépresseur avant quinze jours ou trois semaines de traitement (il faut parfois encore plus de temps). Ceci nous indique que le rôle du médicament n’est pas de corriger quelque chose qui fait défaut. L’antidépresseur n’agit donc pas comme l’insuline qui lorsqu’elle est administrée au diabétique corrige immédiatement les signes de son hyperglycémie. Ces études montrent également que si nous interrompons trop tôt le traitement (par exemple, chez les personnes améliorées par le traitement, en leur donnant sans qu’elles le sachent, du placebo à la place du médicament actif), nous observons un nombre 156


important de rechutes par rapport aux patients qui continuent le traitement actif. En revanche, si nous faisions cette substitution après six mois, voire après un an de traitement, c’est-à-dire quand la dépression est guérie, l’effet négatif de ce changement serait beaucoup moins net. Nous pouvons en conclure que le traitement antidépresseur doit être poursuivi pendant une durée minimale de six mois, même si les signes de la maladie ont totalement disparu. Ce résultat est surtout vrai avec des personnes qui n’ont pas souffert de beaucoup d’épisodes dépressifs, ou qui sont assez jeunes. Il est parfois nécessaire de traiter plus d’une année certains déprimés qui rechutent fréquemment à l’arrêt du traitement. Ces études nous ont aussi permis d’examiner les réactions de deux groupes de patients. 1 - Un nombre très inférieur, mais non nul, de personnes déprimées appartenant au groupe ne recevant que du placebo s’est lui aussi amélioré. Ceci signifie que le médicament n’est pas le seul traitement possible d’une dépression. En outre, parmi les personnes qui recevaient le traitement antidépresseur, certaines sont restées déprimées. Observons de plus près ces deux groupes, et intéressons-nous tout d’abord aux répondeurs au placebo. Leur amélioration s’explique de deux manières. Premièrement, bien qu’ils aient une note suffisante pour être inclus dans le groupe des déprimés, il a pu s’agir de déprimés « passagers ». Deuxièmement, ces personnes qui se sont améliorés dans le groupe le placebo ont pu, lors de l’essai, bénéficier, grâce à leur entourage ou à leurs capacités personnelles, des ressources suffisantes pour lutter contre la dépression. L’environnement et l’implication personnelle dans la démarche thérapeutique sont en effet très importants. 157


Toutefois, ces deux types de population (les déprimés passagers et les déprimés bien soutenus) existent aussi dans le groupe des personnes qui sont traitées par le médicament actif puisqu’elles sont choisies au hasard. Une différence entre les deux groupes, très nettement en faveur de celui recevant l’antidépresseur, signifie sans aucun doute que le médicament antidépresseur est plus efficace que le placebo sur la dépression. 2 - Si nous considérons maintenant le groupe des patients résistants au traitement antidépresseur, nous pouvons l’analyser sous deux aspects. Il peut s’agir tout d’abord de personnes présentant une forme particulière de dépression, appelée dépression résistante. Il peut s’agir ensuite de personnes possédant un environnement personnel très difficile ou des difficultés à s’investir personnellement dans une démarche de soins. Ces personnes possèdent une forme de résistance psychologique qui s’oppose à l’amélioration. Une prise en charge très spécialisée de ces cas est alors nécessaire. Nous constatons donc que si le médicament est très important, il ne fait pas tout. L’investissement personnel et le rôle de l’entourage sont indispensables pour le traitement de la dépression.

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57 • Faut-il ajouter d’autres médicaments aux antidépresseurs ? Comme nous l’avons vu précédemment en divers endroits de ce recueil, la dépression, bien qu’étant une maladie très caractéristique peut s’accompagner d’autres symptômes comme l’anxiété, les troubles du caractère ou la prise d’alcool. Il peut s’agir soit de symptômes atypiques de dépression soit d’une association de la dépression avec une autre maladie psychiatrique. Dans les deux cas, le médecin sera amené à prescrire au minimum un antidépresseur. Mais il n’est pas rare, surtout au début du traitement, qu’il y ajoute d’autres médicaments. Le médicament antidépresseur n’étant pas efficace avant plusieurs semaines, il persiste parfois dans cet intervalle chez le déprimé une souffrance tellement importante (notamment de l’angoisse et de l’insomnie) qu’il est nécessaire de la soulager rapidement. L’avantage des médicaments qui sont alors proposés est qu’ils agissent en quelques heures. Mais ils ne soignent pas la dépression. Consommés sur une longue durée (plus de douze semaines dans le cas des benzodiazépines), ces médicaments deviennent moins efficaces et risquent de créer une situation de dépendance. Présenter les symptômes d’une autre maladie (comme l’anxiété), lorsque nous sommes déprimés peut être interprété de deux façons. Tout se passe d’une part comme si le fait d’être déprimé favorisait la survenue d’autres symptômes psychologiques (comme l’anxiété, les attaques de panique, les phobie). Une deuxième manière d’analyser cette situation (en prenant toujours l’exemple de l’angoisse) est de penser que ce symptôme fait partie intégrante de la dépression dont il augmente la souf159


france. Un symptôme comme l’angoisse peut donc être considéré soit comme une maladie qui survient plus facilement lorsqu’il existe de la dépression, soit comme un symptôme de la dépression elle-même. Dans le premier cas, il est possible d’associer deux traitements, un médicament pour la dépression et un médicament contre l’anxiété ; dans le deuxième cas, le traitement antidépresseur peut traiter à la fois la dépression et l’angoisse. Nous avons décrit plusieurs formes de maladie dépressive. L’une d’entre elles, appelée bipolaire, doit être traitée en associant rapidement un stabilisateur de l’humeur à l’antidépresseur. Le médecin pourra choisir la bonne association médicamenteuse si nous lui faisons part de ce que nous ressentons sans hésiter à lui confier des détails qui peuvent ne pas paraître très importants (comme un dégoût pour les aliments) ou difficiles à évoquer (comme des difficultés sexuelles). Nous devons être raisonnable et ne pas dépasser la durée des prescriptions qui nous sont proposées. En effet, certains médicaments, comme les anxiolytiques, même s’ils rassurent peuvent entraîner des effets délétères sur la mémoire, l’attention, la coordination des mouvements et conduire à une dépendance. Une autre règle importante est qu’il ne faut pas arrêter un médicament brutalement sans prévenir son médecin traitant. Cet arrêt peut entraîner un syndrome d’interruption brutale dont les symptômes peuvent faire croire à la réapparition de la dépression ou à l’apparition d’une autre maladie. Cette erreur peut conduire inutilement à la prescription d’autres médicaments et bien souvent à une souffrance inutile.

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58 • Quels sont les effets secondaires des antidépresseurs ? Les antidépresseurs, comme tous les médicaments actifs, peuvent entraîner des effets indésirables dont certains sont inévitables parce qu’ils sont liés à l’efficacité même des médicaments. Les molécules récentes tentent de conserver l’efficacité des plus anciennes tout en diminuant leurs effets indésirables. Il existe une grande variabilité d’une personne à l’autre dans le ressenti des effets secondaires. Heureusement, certains effets secondaires disparaissent au fur et à mesure de la poursuite du traitement. Il peut être possible de lutter contre quelques effets secondaires grâce à d’autres médicaments appelés correcteurs. Aucun antidépresseur ne possède la totalité des effets secondaires qui ont été mis en évidence, mais aucun n’en est totalement dénué. Très souvent, des solutions non médicamenteuses peuvent corriger les effets secondaires. Lorsque ces derniers sont très désagréables, il faut changer le type d’antidépresseur. Par chance, la grande variété des médicaments permet, le plus souvent, de proposer un meilleur compromis. Détaillons les principaux effets indésirables de ces médicaments en proposant chaque fois des solutions pour les supporter. Cependant, l’utilisation de médicaments correcteurs peut parfois s’avérer indispensable. La constipation. Il est bon pour éviter d’être constipé d’adapter son régime alimentaire (avoir une alimentation variée, riche en fibres, boire davantage d’eau) et de faire de l’exercice physique. 161


Les chutes de tension. Elles sont souvent gênantes lors des changements brutaux de position. Il faut apprendre à se lever progressivement en deux temps (s’asseoir d’abord sur le rebord de son lit, s’adapter à cette nouvelle position, puis se lever doucement). Ceci est particulièrement important si on se lève la nuit ou lorsque l’on fait du sport. La sécheresse de la bouche est améliorée par la prise répétée de petites gorgées d’eau, c’est pourquoi il est conseillé d’avoir toujours sur soi une petite bouteille d’eau minérale lorsqu’on est traité par un antidépresseur qui a cet effet. Sucer une pastille sans sucre peut aussi diminuer la sensation de soif chez certaines personnes. Les horaires de prise médicamenteuse sont importants. Certains antidépresseurs peuvent favoriser la somnolence et doivent être absorbés le soir, tandis que d’autres, plutôt stimulants, doivent être consommés le matin. Une prise de poids modérée peut être constatée avec certains antidépresseurs. Elle est fréquemment associée à une augmentation de la faim. Surveiller son régime peut s’avérer nécessaire mais efficace. Un antidépresseur est un médicament puissant, dont l’effet sur le corps n’est pas anodin. Un bilan de santé général est recommandé lorsque nous devons prendre certains d’entre eux.

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59 • Comment mon médecin choisit-il l’antidépresseur qui me convient ? D’une manière un peu schématique, il est possible de distinguer quatre familles d’antidépresseurs. Ils diffèrent selon leurs mécanismes d’action et effets secondaires : – les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine – les antidépresseurs imipraminiques – les inhibiteurs de la monoamine oxydase – les autre. Dès le diagnostic de dépression posé, le médecin envisage, en fonction du type de dépression, mais aussi de notre personnalité et de nos priorités, le meilleur traitement possible. Pour certaines formes légères et lorsqu’il nous est possible de modifier facilement par nous-mêmes certains éléments de notre environnement, le médecin peut conseiller dans un premier temps la psychothérapie seule. Il faut rester vigilant car une dépression légère peut être le début d’une dépression plus grave. Habituellement, la dépression est au moins d’intensité moyenne lorsqu’elle est détectée par le médecin. Celui-ci propose alors un traitement antidépresseur. Il n’associe pas systématiquement une psychothérapie à ce stade. Il faut souvent aller mieux pour envisager cette éventualité. Dans tous les cas, le soutien psychologique du médecin, dans le cadre de visites régulières, est indispensable. Il existe de nombreux médicaments antidépresseurs, mais il existe aussi des dépressions diverses provoquées par des causes diverses. On préconise habituellement de commencer par des 163


antidépresseurs certes efficaces mais surtout bien tolérés de façon globale. Nous avons mentionné à plusieurs reprises que les antidépresseurs n’agissent pas immédiatement. Un délai d’attente minimum de trois à six semaines est nécessaire pour évaluer l’efficacité du traitement proposé. S’il n’est pas assez efficace, le médecin peut envisager soit une augmentation du dosage du médicament, soit un autre médicament. Il est impossible de prévoir à l’avance quel est le médicament le plus approprié pour une personne donnée. Le médecin choisit habituellement, au sein des médicaments efficaces et bien tolérés, celui qu’il connaît le mieux ou celui qui lui paraît le plus adapté à la situation de la personne déprimée. Cela lui permet de mesurer rapidement l’efficacité du traitement choisi. Le médecin, s’il le juge nécessaire ajoute parfois en début de traitement d’autres médicaments. Il s’agit le plus souvent d’hypnotiques et d’anxiolytiques. Ces médicaments agissent très rapidement, entraînant notamment une amélioration de la capacité à tolérer l’état dépressif. Ces médicaments ne soignent pas la dépression. Ils en diminuent néanmoins certains symptômes et peuvent donner l’impression erronée que la dépression se termine. C’est pourquoi le médecin décide, le plus souvent au bout de quelques semaines, de diminuer ces traitements puis de les arrêter en ne laissant que le traitement antidépresseur. Lors d’un deuxième épisode dépressif, il est recommandé d‘utiliser le médicament ayant été précédemment efficace ou bien toléré. En cas d’échec, il est recommandé de prescrire soit un antidépresseur ayant un mécanisme d’action différent du premier, soit un antidépresseur de la même classe possédant un meilleur profil de tolérance.

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60 • Combien de temps devrais-je être traité (e) ? Nous avons vu que les symptômes de dépression sont associés à des modifications importantes du fonctionnement global du cerveau. En ce qui concerne les dépressions unipolaires, ce dérèglement s’est installé progressivement. Pour les dépressions bipolaires, ce désordre, même s’il s’installe sans doute plus rapidement, correspond à une fragilité préalable et importante du fonctionnement du cerveau. On conçoit intuitivement que plusieurs semaines, voire plusieurs mois, soient nécessaires pour parvenir à un équilibre biologique cérébral satisfaisant et stable de la personne déprimée. Les antidépresseurs n’agissent pas, par exemple, comme l’insuline, qui fournit au diabétique ce qui fait défaut dans son organisme. Les antidépresseurs modifient progressivement le fonctionnement global du cerveau, ce qui permet de parvenir graduellement à une action antidépressive. Le traitement antidépresseur doit donc être prescrit pour une durée minimum de six mois afin d’obtenir une amélioration durable de la dépression. Ceci est vrai même si les signes de la dépression ont disparu avant ce délai. Il est important de bien comprendre les raisons pour lesquelles le traitement antidépresseur doit être poursuivi assez longtemps. Dans un premier temps, les symptômes de la dépression s’améliorent. Quand le traitement antidépresseur est efficace, il faut compter entre quinze jours et six semaines pour observer les premiers signes d’amélioration. On considère ensuite que le fonctionnement psychologique global préalable à la dépression est restauré environ deux mois après le début du traitement. Si le traitement est 165


arrêté à ce moment, le risque de rechute est très important et avoisine 70 % des cas. Il faut donc poursuivre le traitement, même si la plupart des signes de dépression ont disparu. Souvent, cette amélioration est si importante que les patients qui en bénéficient ont la conviction d’être définitivement guéris. Nombreux sont ceux d’entre eux qui considèrent la poursuite du traitement comme inutile. Cet arrêt prématuré est particulièrement néfaste car le risque de voir réapparaître la dépression est très grand. En cas de rechute, l’entourage de la personne déprimée, notamment lorsque cette dernière a repris son travail, a tendance à considérer la réapparition des symptômes comme un signe de faiblesse définitive, une fragilité durable du caractère. La règle selon laquelle la durée de prescription de l’antidépresseur est de six mois s’applique à la moitié des dépressions. C’est-à-dire à celles qui ne rechutent pas. Lorsqu’il existe des antécédents de rechutes et que le patient est plus âgé, le médecin peut allonger la durée de prescription du traitement. Ces recommandations sur la durée minimale de traitement par antidépresseurs proviennent d’études scientifiques, effectuées par des équipes de recherche différentes, parvenant à des conclusions identiques. De même, la majorité des études démontrent qu’il est plus efficace d’associer une psychothérapie au traitement antidépresseur. Cela diminue en outre le risque de rechute dépressive. La psychothérapie est donc un complément important du traitement médicamenteux.

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61 • Serais-je encore moi-même si je prends des antidépresseurs ? Le fait que les antidépresseurs agissent sur le cerveau en corrigeant partiellement les anomalies dues à la dépression peut laisser croire qu’ils vont modifier fondamentalement son fonctionnement et donc modifier la personnalité de celui qui en prend. Cette crainte erronée, très répandue, constitue un frein fréquent à la prise d’antidépresseurs. Plusieurs arguments doivent être évoqués pour détromper cette crainte légitime. L’argument le plus important en faveur des traitements antidépresseurs est qu’ils soignent une maladie dont on constate chaque jour qu’elle diminue les compétences, les émotions et la liberté de penser. Les déprimés qui nous parlent de leur dépression s’expriment ainsi « Je ne suis plus moi-même, je ne me reconnais plus ». L’entourage fait un constat similaire. S’il faut trouver un « ennemi de la liberté d’être pleinement soi-même », c’est la dépression qu’il faut incriminer et non pas les antidépresseurs. Un autre argument visant à apaiser cette peur est d’ordre pharmacologique. Les antidépresseurs ne modifient pas la structure du cerveau mais modulent le fonctionnement des neuromédiateurs, créant simplement de meilleures conditions biologiques de son exercice. Ces conditions amèneront progressivement le cerveau à normaliser son fonctionnement altéré par la dépression. L’expérience nous montre que les patients déprimés traités par antidépresseurs ne discernent aucun changement fondamental dans leur personnalité. Au contraire, guéris de leur dépression, ils affirment se retrouver 167


enfin eux-mêmes. Malgré les bienfaits évidents des antidépresseurs sur la souffrance dépressive, une méfiance persiste à l’égard des antidépresseurs. Tentons de comprendre ce paradoxe qui peut paraître absurde, vu sous cet angle. Il nous faut pour cela considérer deux points de vue : celui de la personne qui éprouve la dépression et celui de son entourage. Lorsque nous sommes déprimés, nous avons la conviction que nous ne valons plus grand-chose et qu’il nous est difficile de faire face aux nécessités de la vie quotidienne. Dans ce cas, tenter de faire face « courageusement » et par nous-mêmes nous paraît une option plus « noble », moins « assistée », que celle qui consiste à nous faire aider par un médicament. Tout se passe comme s’il y avait davantage de courage à lutter seul, comme si, face à l’adversité de la dépression, nous contrôlions au moins encore une chose, nous battre en tête-à-tête avec la maladie. Comme nous l’avons déjà constaté, c’est l’inverse qui est vrai. La démarche la plus courageuse, la plus honorable consiste à accepter l’idée que la réalité est celle de la maladie et que la vraie liberté consiste à saisir tous les moyens dont nous disposons pour y faire face. Le traitement médicamenteux est une option décisive. Il nous permet d’être plus clairvoyant, non seulement sur la maladie mais aussi sur nous-mêmes. L’acceptation du traitement est souvent la première étape vers un travail psychologique plus efficace et profond. Notre famille est elle aussi souvent réticente aux antidépresseurs mais pour d’autres raisons. Il est, nous le savons, très difficile d’aider et de comprendre un déprimé. Face à ce désarroi, et dans l’espoir d’éviter l’escalade des médicaments, nos proches peuvent choisir deux attitudes. Ils peuvent tenter de nous aider et 168


de nous guérir soit en nous poussant à l’action, soit par un excès d’attention et d’amour en nous protégeant excessivement. Quelle que soit l’attitude choisie, l’effet est éphémère. Une telle situation entraîne progressivement chez nos proches un découragement et une usure. Il est alors parfois difficile de supporter qu’un médicament qui ne contient en lui-même ni volonté, ni amour, puisse réussir à améliorer significativement et durablement notre dépression. Cela peut provoquer le doute, voire une jalousie inconsciente de nos proches. Dans les deux cas, que ce soit de notre part ou de celle de notre entourage, la résistance retarde le traitement de la dépression. L’expérience nous montre que, lorsque la dépression est sévère, les arguments contre les traitements médicamenteux ne résistent pas à une discussion courageuse et honnête.

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62 • La dépression m’a-t-elle appris quelque chose ? Vivre une dépression, ou une autre maladie grave, c’est vivre une expérience intime où le rapport avec soi-même et les autres est fondamentalement et douloureusement modifié. De ce point de vue, la dépression nous confronte à notre fragilité et nous fait réfléchir sur les éventuelles circonstances qui nous ont conduits à cet état. Ce n’est pas pour autant que l’on peut considérer que la dépression est nécessaire ou même désirable à notre développement personnel. Que découvre-t-on en traversant une dépression ? Tout d’abord que la dépression ne survient pas que chez les autres et qu’elle n’a rien à voir avec une éventuelle faiblesse de caractère. Être confronté à nos limites d’être humain est parfois nécessaire dans un monde où la vitesse, l’action, la technique tendent à nous les faire oublier. L’interrogation que suscite la dépression nous oblige à réviser notre opinion sur nous-même et nos priorités de vie. « Quels sont mes objectifs prioritaires et quelle est mon organisation de vie la plus souhaitable ? ». Telles sont les questions que nous pouvons nous poser après une telle épreuve. Nous ne pouvons nous empêcher de tenter de comprendre les causes qui ont pu nous précipiter dans cette impasse vitale. C’est pourquoi nous interrogeons notre passé et la validité de nos valeurs. « En quoi cette dépression fait-elle écho avec ma vie intérieure ? ». Telle est l’autre question que nous nous posons.

Autrement dit, même si la dépression est une patho170


logie largement autonome et relativement indépendante des événements, elle nous questionne tant sur eux que sur nous-mêmes. En réalité, l’expérience ne consiste pas simplement à « profiter » de ce que la dépression a interrogé en nous, mais aussi à constater qu’un médicament et une prise en charge psychologique peuvent la faire disparaître. Il est facile de comprendre que ce type de réflexion sur soi-même ne peut pas se faire seul et nécessite la participation et l’appui de nos proches comme du psychothérapeute. Autrement dit, guérir de sa dépression, ce n’est pas exactement se retrouver comme avant et c’est dans ce sens-là que nous pouvons affirmer que nous sommes différents après une dépression. Cette différence n’est pas systématiquement un mieux. En effet, la dépression a mis en évidence une fragilité. Pour en tirer une sorte de bénéfice, il est souvent nécessaire de faire un travail psychologique.

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63 • La dépression peut-elle reprendre à l’arrêt du traitement ? Les dépressions modérées ou sévères rechutent une fois sur deux et il est difficile de prévoir qui va rechuter lors d’un premier épisode. En revanche, nous savons qu’une prise insuffisante (en durée ou en quantité) du traitement antidépresseur, qu’une persistance des événements de vie négatifs et que la présence d’un trouble psychologique supplémentaire, comme l’anxiété ou l’alcoolisme, constituent un risque important de rechute. À l’inverse, des facteurs comme le retour à un rythme de vie équilibré (sommeil, loisirs, travail…), la poursuite d’une psychothérapie, la perspective de nouveaux projets et la présence d’un entourage attentif ont un effet protecteur significatif. Lorsque les premiers signes de dépression réapparaissent, il est important de les identifier pour en parler très vite à son médecin. Faut-il attendre quelque temps pour être certain qu’il s’agit d’une rechute ? Faut-il intensifier la psychothérapie ? Faut-il reprendre le traitement antidépresseur ? Telles sont les questions que l’on doit se poser lorsqu’un malaise réapparaît alors que l’on était guéri de sa dépression. Seul le médecin peut nous aider à répondre à ces questions. Même lorsqu’elle possède peu de signes, une dépression débutante nécessite un traitement antidépresseur avec une dose semblable à celle nécessaire pour une dépression d’intensité moyenne. À petite dépression, pas de petit traitement ! Malgré ces précautions, il peut arriver que la dépression s’installe si rapidement que le traitement, même précoce, soit insuffisant à en prévenir l’installation. 172


Cette rechute requiert un traitement à dose efficace pour une durée souvent supérieure à celle de l’épisode précédent. Si la prise en charge précoce n’empêche pas toujours à la dépression de s’installer, elle en diminue toujours la souffrance et le risque de chronicité.

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64 • Dois-je faire quelque chose après l’arrêt des médicaments ? L’arrêt des antidépresseurs est une étape importante dans le traitement. Il témoigne de la disparition des signes de la maladie et de l’équilibre retrouvé du fonctionnement du cerveau. Juste après l’arrêt de l’antidépresseur, il persiste quelque temps une période de vulnérabilité durant laquelle il est important de conserver une bonne hygiène de vie, notamment avec une durée suffisante de sommeil. Néanmoins, il n’est pas bon de se protéger excessivement en restreignant par trop les activités auxquelles nous participions avant la dépression. Il est en effet important, pour un bon fonctionnement du cerveau, de varier les activités quotidiennes, en associant notamment de l’exercice physique, même modéré, à des pratiques qui nous enthousiasment et nous passionnent. Il est possible que nous ayons entamé une psychothérapie à l’occasion de notre dépression, cette dernière aura sûrement été l’occasion de discussions avec notre entourage et avec notre médecin. Certains points abordés à ce moment-là demeurent d’actualité lorsque la dépression a disparu. Il peut s’agir de réflexions autour d’un réaménagement de la vie familiale, de choix professionnels, mais aussi de décisions personnelles visà-vis de notre propre histoire. Certains « blocages » psychologiques prennent du temps pour être résolus. Il est donc important de pouvoir poursuivre cette réflexion psychologique, de façon plus ou moins formalisée après l’arrêt de l’antidépresseur. Un des intérêts de cette réflexion est l’analyse, non pas tant des circonstances 174


susceptibles d’avoir provoqué la dépression, que des raisons qui font que nous l’avons laissée s’installer. Nous comprenons ainsi que nous avons parfois adopté la politique de l’autruche en négligeant au début de la rechute la fatigue, l’insomnie et les difficultés de contact avec nos proches. « Quelles sont les raisons pour lesquelles nous n’avons pas su réagir face aux symptômes de notre dépression ? ». Répondre à cette question, c’est s’intéresser à la fois à la question : « Comment la dépression a-telle commencé pour moi ? », mais aussi à la question : « Pourquoi ne l’ai-je pas vue ou n’ai-je pas pu réagir à temps ? ». Les études montrent en effet que, pour une personne donnée, la dépression rechute avec les mêmes symptômes que ceux avec lesquels elle a commencé. Il est donc important de les identifier et d’en faire part à notre entourage et à notre médecin, afin de reconnaître le plus tôt possible la rechute éventuelle. Après l’arrêt de l’antidépresseur, nous aurons peutêtre à poursuivre le travail psychologique entamé, sûrement à mettre en place des stratégies de protection, mais nous devrons aussi être à l’écoute des premiers signes d’une éventuelle rechute.

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65 • Dois-je informer mes proches et mes collègues que je prends des antidépresseurs ?

Idéalement, il devrait être possible de parler facilement de sa maladie. Chacun sait en effet que la maladie concerne tout être humain plusieurs fois au cours de sa vie. L’expérience montre que nous éprouvons une pudeur à nous confier, quelle que soit la maladie dont nous sommes atteints et a fortiori de la dépression. À cela, il existe de nombreuses raisons. L’une d’elles provient de l’association mentale que nous effectuons entre le fait d’être malade et le sentiment d’avoir commis une faute. La maladie prend alors une valeur morale négative. De nos jours s’ajoute une autre raison. Le handicap, induit par toute maladie, nous rend moins performants. Il nous éloigne de ce qui est considéré aujourd’hui comme une qualité personnelle indispensable : la capacité d’action. Ne plus pouvoir agir devient une forme contemporaine de faute. Cette même faute que les anciens pensaient avoir commise lorsqu’ils étaient malades. Une maladie comme la dépression, qui atteint la volonté, l’action et l’aptitude à entrer en relation avec les autres, est donc mal perçue dans notre société. Cette stigmatisation est contradictoire avec le fait qu’il n’y a pas de semaines sans que les médias ne dissertent sur cette maladie. Ainsi, bien que tout le monde connaisse et accepte en apparence l’existence de la dépression, elle reste difficile à comprendre et à accepter. Il n’existe donc pas de recommandation unique pour déterminer s’il faut ou non en parler autour de soi. 176


Le seul entourage qui doit être impérativement informé de notre état est notre famille la plus proche. Lorsque cela est difficile à faire, notre médecin peut nous aider. Cet aveu débloque souvent la situations et facilite le traitement. Il faut en revanche évaluer les avantages et les inconvénients d’informer notre famille plus éloignée, nos amis ou nos relations. Si, au travail, nous n’expliquons pas que nous sommes déprimés, il sera impossible à nos collègues de nous aider. Ne comprenant pas nos difficultés, ils ne pourront ni témoigner leur affection ni nous soulager momentanément de certaines tâches. Nous avons souvent tendance à surestimer la malveillance de notre entourage professionnel et préférons souffrir en silence. A priori, le désir d’assistance prévaut habituellement sur la tendance à disqualifier l’autre. Ce qui provoque l’attitude négative de notre entourage n’est habituellement pas le fait d’avoir indiqué que nous étions déprimés mais plutôt la tendance à nous plaindre systématiquement ou à ne pas assumer ce à quoi nous nous étions engagé. Notre entourage nous reproche, en effet, moins d’en faire peu que de nous être engagé dans une tâche que nous ne pouvons pas terminer. Malheureusement, dans certains cas, indiquer que nous sommes déprimés peut nous marginaliser à cause de la perte du crédit de confiance qui nous est accordé et de la compétition inhérente à la vie professionnelle. Il vaut mieux alors ne pas parler de notre épisode dépressif au travail. Par chance, aujourd’hui, la plupart des médicaments antidépresseurs n’entraînent aucun signe visible par autrui du fait que nous en prenons. Il n’y a donc pas de raison de les refuser ou de diminuer, de nous-mêmes, leur dose. 177


66 • Les électrochocs (sismothérapie) sont-ils encore utilisés pour soigner la dépression ? Le mot « électrochoc » effraie. On imagine volontiers la personne subissant un électrochoc, transformée contre son gré en un cobaye torturé par une décharge électrique lui traversant le cerveau, organe qui symbolise la liberté. Des films comme Vol au-dessus d’un nid de coucou ou des anecdotes décrivant des séquelles graves d’électrochocs viennent renforcer l’impression de dangerosité de ce traitement. L’expérience quotidienne du soin des grands déprimés, l’avis unanime des personnes qui bénéficient de ce traitement et de leurs familles, apporte un démenti éclatant à ces craintes et à cette représentation négative. Comme tout acte médical nécessitant une anesthésie, la sismothérapie ne peut pas être imposée. Elle ne s’effectue donc qu’après avoir obtenu l’accord de la personne concernée (ou si c’est impossible, celui de sa famille). De quoi s’agit-il ? La sismothérapie consiste, chez une personne, sous anesthésie générale, en l’administration d’un courant électrique pendant une durée de quelques millisecondes sur son crâne. Ceci entraîne une crise d’épilepsie électrique au niveau du cerveau, visible sur un électroencéphalogramme, mais invisible extérieurement. L’anesthésie générale, qui dure de deux à trois minutes, se fait avec curarisation afin de relâcher complètement les muscles durant stimulation du cerveau. Cette curarisation évite les blessures provoquées par la contraction excessive 178


des muscles. La personne se réveille immédiatement après dans une salle de réveil. Un anesthésiste, une infirmière anesthésiste et le psychiatre sont présents pendant toute la durée de la sismothérapie. Une infirmière reste aux côtés du malade pendant les heures qui suivent. Comme pour toute anesthésie générale, le malade doit être à jeun. Ce geste médical est très sûr et les accidents sont exceptionnels. On considère qu’il faut plusieurs sismothérapies (généralement entre sept et quinze séances), avec deux ou trois jours d’intervalle entre chacune, pour obtenir un résultat stable. Selon la forme de dépression dont il souffre, le déprimé peut recevoir, pendant sa période de sismothérapie, des médicaments pour lutter contre des symptômes associés à sa dépression. On évite cependant de prescrire des médicaments comme certains anxiolytiques ou antiépileptiques qui diminuent l’efficacité des sismothérapies. L’efficacité de la sismothérapie est si grande qu’elle représente le traitement antidépresseur le plus puissant et le plus rapide qui existe. Dans certaines formes de dépression assez rares et très graves, l’état de santé est si inquiétant qu’il faut agir en urgence. Sachant qu’il faut attendre plusieurs semaines avant de constater un début d’amélioration avec des médicaments antidépresseurs, il est impératif d’agir plus rapidement pour soulager la souffrance du malade et éviter des conséquences graves. Ces dépressions sévères se caractérisent par la présence de symptômes de tristesse extrême, des difficultés à se nourrir et à dormir, mais aussi par une angoisse majeure, envahissante. Cela peut aller jusqu’à l’impression qu’il est inutile d’être soigné parce que l’on en n’est pas digne ou parce que l’on est incurable, que l’on est ruiné et qu’il vaut mieux mourir. Lors de telles situations, les soins les plus attentifs, le dévouement le plus total sont comme des fétus de paille face au

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raz-de-marée de la tristesse et de l’angoisse. L’hospitalisation est absolument nécessaire et une surveillance de tous les instants est requise. La décision de pratiquer une sismothérapie doit être prise rapidement. Il est d’autres cas pour lesquels les spécialistes peuvent également décider de faire des sismothérapies. Cela peut être proposé aux personnes dont la dépression reste sévère malgré un puissant traitement médicamenteux prescrit pendant plusieurs semaines. Les deux formes de dépression que nous venons de décrire correspondent respectivement à ce que les médecins appellent « dépression mélancolique » et « dépression résistante sévère ». Il est aussi d’autres situations dans lesquelles on pourra proposer des sismothérapies. Ceci est le cas lorsque la personne déprimée présente un mélange de symptômes comprenant une agitation associée à une excitation simultanément à de la tristesse. Enfin, les sismothérapies pourront être utiles lorsque les médicaments risquent de ne pas être supportés aux doses qui seraient nécessaires pour être efficaces. La sismothérapie, quand elle est pratiquée dans les conditions que nous avons décrites et qui sont celles obligatoires aujourd’hui, a très peu de contre-indications. L’examen préalable du déprimé par un anesthésiste renforce encore la sécurité. Un scanner cérébral est réalisé pour rechercher l’existence d’éventuelles contre-indications. L’effet secondaire le plus fréquent de la sismothérapie est l’apparition de troubles passagers de la mémoire des événements récents. Le reste de la mémoire est totalement conservé. Chez certaines personnes, ces troubles s’améliorent une semaine après la dernière sismothérapie. Chez les autres, ces troubles disparaissent au plus tard deux ou trois mois après. Les spécialistes proposent souvent un relais médica180


menteux à l’issue des sismothérapies. Certaines formes de dépression bien qu’elles aient été guéries par la sismothérapie, notamment les dépressions bipolaires, peuvent rechuter. Si la situation l’exige, une autre série de sismothérapies pourra être proposée à nouveau.

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PsychothĂŠrapies

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67 • Dois-je choisir entre un antidépresseur et une psychothérapie ? Cette question en apparence simple nécessite une réponse un peu longue. Elle s’apparente en réalité à un faux choix. C’est comme si on se posait la question, vautil mieux boire ou manger ? Nous allons explorer cette question à l’aide d’un exemple qui correspond à une situation clinique rare, celle d’une personne dont la dépression ne serait causée que par une modification biologique de son cerveau, indépendante de tout événement extérieur passé ou actuel. En admettant qu’il existe une dépression cent pour cent biologique (c’est-à-dire causée exclusivement par un désordre biologique), elle aurait néanmoins comme symptômes la dévalorisation de soi-même, la culpabilité, le sentiment de ne pas être capable de faire comme les autres, de ne pas être à la hauteur, etc. Toutes ces conditions remettraient en doute nos propres qualités et ne manqueraient pas de nous faire comparer la situation actuelle à d’autres épisodes de notre vie passée. La dépression, même lorsqu’elle est de nature biologique, nous interroge donc immanquablement sur nous-mêmes et sur nos valeurs personnelles. Un autre exemple va illustrer la question que nous nous posons. Lorsque l’on soigne des personnes déprimées, on rencontre fréquemment des situations au cours desquelles ces dernières se posent des questions métaphysiques extrêmement angoissantes sans parvenir à les résoudre. Ces mêmes personnes, vues après quelques semaines d’un traitement antidépresseur, sont dans un état d’esprit où ces questions leur paraissent 184


désormais beaucoup moins décisives pour leur existence, voire sans fondement. Cette amélioration, presque métaphysique, provient uniquement de l’efficacité des antidépresseurs sur le pessimisme fondamental causé par la maladie. Libérées du poids de la dépression, ces personnes peuvent alors mettre en place des projets qui vont leur permettre de se rapprocher de leur idéal de vie. Dans de tels cas, l’apport du traitement médicamenteux a été capital car il a permis de restaurer la capacité à mettre en œuvre ses choix personnels de vie. De tels exemples d’efficacité du traitement antidépresseur signifient-ils que nous pouvons nous passer d’un travail psychologique lorsque nous sommes déprimés ? Cela n’est pas le cas. Reprenons notre exemple, tout à fait théorique, d’un déprimé dont l’origine de sa dépression serait à « cent pour cent biologique ». Le fait qu’il se fasse soigner suppose toutefois qu’il a décidé de le faire. C’est-à-dire qu’il a été capable, alors qu’il allait mal, de concevoir qu’il puisse aller bien et qu’il s’est décidé à demander de l’aide. La prise d’un traitement n’a donc pas eu pour seul motif la guérison des symptômes de la dépression, mais a signifié aussi l’anticipation qu’un projet de vie de qualité était encore possible. La prise d’un traitement médicamenteux suppose donc une démarche psychologique importante et presque philosophique dans la mesure où l’on considère que sa vie a des caractéristiques uniques et qu’il est capital de les vivre. Se faire soigner, ce n’est donc pas seulement aller mieux, c’est surtout vouloir vivre sa vie. Toujours pour combattre l’idée reçue que la prise d’un traitement s’oppose à la démarche psychologique, nous nous servirons encore de notre exemple du déprimé théorique qui le serait à « cent pour cent » pour des raisons biologiques, c’est-à-dire totalement indépen185


dantes de lui. Mais considérons-le maintenant après qu’il ait été guéri. Chez cette personne l’expérience dépressive a constitué un fait réel de sa vie. Il a donc dû l’intégrer d’une manière ou d’une autre dans le sens général de son existence. Comment a-t-il pu le faire, comment s’en estil sorti, quels enjeux a-t-il mobilisé autour de lui ? Ces questions se sont immanquablement posées à lui comme à toute personne qui traverse une période difficile. Tenter d’y répondre, intégrer l’épisode dépressif dans une compréhension générale de son existence, voilà bien une démarche « cent pour cent » psychologique suscitée pourtant par la décision de se traiter par un antidépresseur. Ainsi, le problème n’est donc pas de choisir entre un traitement médicamenteux ou bien un traitement psychologique. Il convient de comprendre que les deux démarches sont complémentaires et indissociables. Lorsque la dépression est installée, le traitement médicamenteux est indispensable. En revanche, la démarche psychologique, toujours présente, est variable dans sa mise en œuvre. Une aide du médecin ou du psychologue est souvent indispensable pour savoir quelle forme donner à la psychothérapie. Médicaments et psychothérapie ont tous deux un but commun : rouvrir ou créer des nouvelles possibilités de fonctionnement biologique ou psychologique. Soigner la dépression, quel qu’en soit le moyen, c’est proposer des ouvertures vers de nouveaux espaces du possible.

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68 • Qu’est-ce qu’une psychothérapie ? Il existe plusieurs définitions possibles des psychothérapies. Nous avons fait le choix d’en retenir une dite « opérationnelle », c’est-à-dire qui consiste à décrire ce qui s’y passe. Si l’on choisit cet angle de vue, on peut considérer qu’une psychothérapie est une technique de soins non médicamenteuse qui crée les conditions d’interrogation sur soi grâce à la présence d’un tiers. Ses médiateurs, c’est-à-dire les outils qui vont permettre d’accéder aux dimensions psychologiques, peuvent être la parole en tête-à-tête ou en groupe (thérapies verbales), le corps (abord corporel thérapeutique), des disciplines artistiques ou même certaines activités professionnelles (thérapies occupationnelles). Le but est de permettre à la personne qui fait une psychothérapie d’entamer et de poursuivre une démarche sur des aspects psychologiques liés à son histoire, sa maladie, son environnement. Ces thérapies s’intéressent, à des degrés divers, aux émotions, aux pensées et aux actions. La psychothérapie s’adresse aux différents registres psychologiques (émotionnels, intellectuels ou d’actions) non seulement en fonction du fait qu’ils ont correspondu à une réalité de la vie mais aussi à propos de la valeur personnelle qu’on leur attribue, de la manière dont ils ont été perçus et dont ils donnent du sens à notre histoire personnelle. On sait en effet qu’une même situation réelle peut être perçue et intégrée différemment en fonction des personnes et des moments. La psychothérapie s’intéresse donc autant aux événements réels qu’à la perception qu’on s’en ait fait.

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Le but des psychothérapies est variable. Certaines vont se concentrer sur ce qui nous gêne immédiatement, que ce soit un symptôme comme l’angoisse, une peur d’entrer en contact avec les autres ou une manière particulière de penser lorsque nous sommes déprimés. Dans d’autres cas, la psychothérapie a pour but de comprendre l’origine psychologique de symptômes, comme la tristesse, l’auto-dévalorisation ou l’angoisse. Elle fait alors appel non seulement aux souvenirs mais aussi au sens qu’ils prennent dans l’édification de notre histoire.

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69 • Quel type de psychothérapie dois-je entreprendre ? Choisir la psychothérapie qui nous convient implique la connaissance des psychothérapies existantes. Il s’agit ensuite de déterminer non seulement celle qui correspond le mieux à notre problème mais aussi celle que nous nous sentons capables d’affronter par rapport au but que nous nous sommes assignés. Dans le contexte particulier de la dépression, toutes les psychothérapies peuvent apporter un bénéfice. Il faut nuancer ce propos dans le cas particulier de la dépression bipolaire pour laquelle les thérapeutes s’orientent vers une psychothérapie centrée davantage sur la gestion des symptômes et du traitement que sur une compréhension psychologique exclusive de ces derniers. On distingue d’une part, les psychothérapies qui se centrent sur le présent, tant au niveau des symptômes, de la gêne qu’ils induisent que des pensées qui y sont associées. Leur but est de mettre en place des nouvelles procédures pour corriger ces processus. Il s’agit des thérapies comportementales et cognitives. Il existe d’autre part, des thérapies qui s’attachent à l’histoire individuelle et qui analysent les symptômes en fonction de cette dernière. Leur but est de permettre de comprendre le sens des symptômes à la lumière procurée par l’analyse des situations traumatisantes du passé. Il s’agit des thérapies psychanalytiques. Elles font appel aux souvenirs depuis l’enfance, aux interprétations subjectives qui permettent d’imaginer des liens entre ces événements, la façon dont nous les avons vécus et les symptômes dépressifs. 189


D’autres traitements psychologiques, comme l’abord corporel thérapeutique, l’artthérapie sont des traitements d’appoint comparés aux deux principaux précédemment décrits. Pour faire le choix de la psychothérapie qui nous est la plus adaptée, il nous faut déterminer si nous préférons nous centrer sur notre présent (pensées, émotions, jugements), tel que nous pouvons le décrire, avec des mots simples, ou bien s’il nous semble plus adapté de nous pencher sur notre vie passée (nos souvenirs d’enfance, nos conflits intérieurs) afin de chercher les correspondances entre ce que nous avons vécu et ce que nous vivons à présent. Ces deux approches différentes sont complémentaires. Nous pouvons trouver difficile ou inutile de nous pencher sur ces souvenirs, enfouis ou douloureux, et préférer éclaircir ou trouver des solutions rapides. Mais nous pouvons aussi considérer qu’il est important d’aborder nos difficultés sous cet angle. Il n’existe pas de règle formelle. La discussion avec le médecin doit nous aider à trouver la meilleure solution. On rappellera que toutes les dépressions ne nécessitent pas une psychothérapie.

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70 • Que sont les thérapies comportementales et cognitives ? Les thérapies comportementales et cognitives ont été développées ces dernières années pour permettre un traitement rapide, centré sur les problèmes des états psychologiques comme la dépression et les troubles anxieux. Elles n’ont pas la prétention de vouloir décrire toute la psychologie humaine. Elles posent le postulat qu’il importe la plupart du temps, lorsque nous souffrons d’un trouble comme la dépression, de l’analyser sous un angle peut-être plus réduit que la psychanalyse, mais aussi plus commun à toutes les personnes qui souffrent de dépression. L’idée générale est qu’une grande partie de nos comportements et de nos pensées est liée à des apprentissages que nous avons renforcés autour d’idées fausses. On donne souvent comme exemple de cette approche le fait que le déprimé considère la bouteille comme à moitié vide plutôt qu’à moitié pleine, qu’il retient essentiellement, dans les différentes options possibles de ses actions, celles qui pourraient conduire à l’échec. De même, certaines « erreurs de jugement » chez le déprimé lui feront exagérer la complexité des situations qu’il rencontre et sous-estimer ses capacités à les résoudre. Le premier temps de la thérapie comportementale et cognitive permet de faire un bilan, non seulement des symptômes de la dépression, mais aussi et surtout des pensées et des comportements qui y sont associés. Il s’agit, dans un premier temps, d’analyser le contenu des pensées habituelles, souvent négatif, ainsi que les conclusions ou inférences qui en résultent. Il est ainsi possible 191


de remarquer chez le déprimé une tendance systématique à l’exagération et à la généralisation de ces conclusions souvent fondées sur des détails que l’inquiétude a grossi démesurément. Concernant l’analyse des comportements chez le déprimé, il n’est pas rare de découvrir au cours de ce bilan que sa perception négative de l’environnement a provoqué des difficultés dans sa communication avec les autres. Ceci a conduit à augmenter les tensions dans les relations avec l’entourage qui, elles-mêmes, conduisent à commettre davantage d’erreurs. Le deuxième temps de l’analyse consiste à apporter des solutions à ces différents processus. Une classification par difficultés est habituellement proposée et des « exercices » permettent d’avancer graduellement vers une liberté croissante en augmentant la confiance en soi. Cette approche est tout à fait compatible, si nécessaire, avec la prise d’un antidépresseur.

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71 • Qu’est-ce que la psychothérapie psychanalytique ? La psychothérapie psychanalytique se fonde sur un ensemble de théories du fonctionnement psychologique de l’être humain appelée théorie psychanalytique. Le premier auteur qui a décrit en détail cette théorie est Sigmund Freud. Ce psychiatre autrichien a tenté d’établir des liens entre les étapes du développement psychologique et les maladies psychiques. Freud a développé cette théorie au début du XXe siècle à Vienne. Il s’agit d’une théorie complexe s’attachant à établir la nature des liens existant entre la construction de notre unité psychologique, la communication que nous établissons avec notre entourage et les différentes étapes de maturation psychologiques mises en place depuis notre enfance. Une partie de ce déterminisme serait inconsciente et ne serait donc pas directement accessible à la conscience. Il constitue ce que les psychanalystes appellent l’Inconscient. Ce dernier, bien que non perceptible, s’exprimerait néanmoins, selon cette théorie, dans la vie quotidienne sous des forme diverses, notamment sous forme de symptômes dépressifs. La manière dont se sont déroulées ces étapes de maturation psychologiques, dont ont eu lieu les différents conflits qui peuvent avoir existé au sein des divers niveaux de conscience, mais aussi les traumatismes psychologiques, vécus au cours de l’existence, réalisent un réseau complexe sans cesse en quête d’équilibre dans lequel les événements résonnent les uns vis-à-vis des autres. Les symptômes des maladies mentales sont en quelque sorte un compromis insatisfaisant, une tentative infructueuse d’équilibre au sein de ces réseaux d’influence psychologique. 193


Cette théorie affirme notamment que certains événements de notre vie qui pourraient, s’ils étaient vus de l’extérieur, être considérés comme minimes, jouent en réalité un rôle très important s’ils correspondent, selon nos critères personnels, à un enjeu affectif fort ou à une situation qui nous a traumatisés. Le traitement psychanalytique prend donc en compte, pour comprendre les situations de souffrance psychologique, autant les éléments réels majeurs que ceux ayant une valeur symbolique forte. Freud et ses successeurs suggèrent qu’une grande partie des symptômes constituant la dépression correspond à des blessures psychologiques semblables à celles provoquées par les pertes, le plus souvent symboliques, de personnes, de situations, d’idéaux. Freud réfère ainsi la dépression au deuil. Ceci signifie qu’une situation difficile psychologiquement de notre vie que nous vivons à l’âge adulte peut réveiller en nous un sentiment inconscient de perte, issu des événements de notre enfance. Ces situations de « pertes » vécues lors de l’enfance ne sont, la plupart du temps, pas réelles au sens où nous avons réellement perdu un objet ou une personne chère. Il peut s’agir d’une perte symbolique comme une déception vis-à-vis d’une trop forte espérance dans l’enfance ou encore d’une absence de quelqu’un de cher, vécue comme un abandon qui, bien qu’il n’ait pas vraiment eu lieu, nous a autrefois confrontés à une solitude difficile à supporter. La recherche obstinée de petits événements enfouis dans un passé presque oublié est parfois douloureuse, mais elle peut être aussi libératrice. Ces « révélations » peuvent s’avérer pénibles et nécessitent des efforts psychologiques parfois intenses. Il peut être déconseillé pour des personnes trop déprimées de poursuivre un tel type de travail. 194


Se faire aider par un médicament antidépresseur dans ces moments-là, loin d’empêcher la psychothérapie, permet au contraire d’être suffisamment bien pour poursuivre sans danger cette exploration sur soi-même. Parfois, au cours de la psychothérapie, la discussion se centre sur le médicament (son efficacité, ses effets secondaires, les difficultés à l’accepter). Au lieu de parvenir à parler de soi, le médicament devient l’objet de toutes les discussions. Pour éviter cette dérive, il est parfois nécessaire de consulter un psychothérapeute qui ne prescrit aucun médicament et, simultanément, de se faire suivre par un médecin qui s’occupe du traitement médicamenteux. Néanmoins, la plupart du temps, le psychiatre qui prescrit un traitement peut pratiquer en même temps une psychothérapie.

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72 • Que sont les thérapies familiales (ou systémiques) ? La présence d’une maladie, quelle qu’elle soit, chez un membre de la famille, provoque la mobilisation générale de cette dernière. Cette mobilisation est différente selon le type de maladie et le style de relation existant dans la famille. La survenue d’une maladie chez un enfant en est un exemple bien connu. Cette situation entraîne presque toujours des tensions chez ses parents. Avec une maladie aussi difficile à comprendre que la dépression, surtout parce qu’elle dure longtemps, des modifications durables se produisent dans les équilibres émotionnels de la communication familiale. Chaque famille a ses tensions secrètes, ses colères rentrées et ses rancœurs indicibles. Parfois, ce malaise ne peut plus rester souterrain, à tel point que la dépression représente alors une manière indirecte de signaler à l’entourage l’existence de cette accumulation de ressentiments. La dépression mobilise la famille dans un double mouvement. D’un côté, elle la sollicite parce qu’elle l’oblige à s’adapter, à changer son fonctionnement habituel parce que l’un de ses proches est déprimé. D’un autre côté, la dépression peut être considérée comme une sorte de message codé à l’attention de la famille. Dans ces deux cas, il est important que la tension soit soulagée. C’est un des rôles principaux de la thérapie familiale. Pour une maladie aussi complexe que la dépression, il ne faut pas envisager le rôle de la famille de façon caricaturale. Celle-ci est trop facilement considérée soit comme victime soit comme bourreau. La rencontre entre la famille et le médecin doit être considérée comme une ouverture, une possibilité de partager les points de vue de chacun. Le médecin, pour se faire une idée plus complète de la 196


situation, peut demander, avec l’accord de son patient, à rencontrer sa famille. Ces rencontres ne sont pas à proprement parler des thérapies familiales. Néanmoins, elles reflètent la nécessité qu’a le médecin d’entendre les différents points de vue pour mieux comprendre la situation. Ces entretiens apportent également des informations communes à toutes les personnes intéressées de la famille. Ceci permet qu’une discussion puisse avoir lieu plus facilement entre tous. Parmi ces informations, il est important que la famille comprenne quels sont les signes de la dépression et quel est le but du traitement. La famille, qui bien souvent ne sait plus quoi faire, peut ainsi poser des questions pratiques au médecin. Ce qui s’appelle thérapies familiales consiste en la décision de plusieurs membres de la famille de se réunir régulièrement avec des thérapeutes familiaux, afin que chaque point de vue puisse s’exprimer dans un désir de changement. Car si la dépression fait souffrir tout le monde, cette souffrance est parfois « mauvaise conseillère » et entrave la guérison. Parfois, cette situation est antérieure à la dépression. Lorsque la dépression devient visible, celle-ci témoigne d’une impasse dans la manière de vivre d’une famille qui tenait jusqu’alors plus ou moins solidement. La thérapie familiale n’est donc pas une manière de se dénoncer les uns les autres. Elle ne se résume pas à « laver son linge sale en famille » mais représente surtout une décision collective de renforcer l’unité familiale en se mobilisant pour aider l’un des membres. Il existe plusieurs techniques de thérapie familiale. Certains entretiens peuvent avoir lieu avec un des soignants qui se trouvent à distance du lieu de la réunion (derrière une vitre sans tain, devant un écran de télévision alors qu’une caméra filme la discussion familiale). D’autres techniques font intervenir plusieurs personnes soignantes. Il est même possible de demander aux membres de la famille de participer à des jeux de rôle (par exemple un enfant joue le 197


rôle d’un de ses parents dans une situation qu’il redoute). Comme il existe de très nombreuses techniques de thérapie familiale, il est conseillé de demander à son médecin celle qui est éventuellement la plus adaptée à sa situation.

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73 • Que sont les thérapies de groupe ? La dépression est une maladie fréquente qui atteint un grand nombre de personnes dans notre pays. Bien que chaque histoire soit singulière, il existe des problèmes communs à tous les déprimés et à leur famille. Ces problèmes peuvent être abordés dans des associations de malades dont la liste est fournie à la fin de cet ouvrage. D’autres situations, qui préexistent parfois à la dépression, comme le manque de confiance en soi, la fragilité au stress, peuvent être considérablement améliorées par des discussions en groupe avec des personnes partageant des difficultés similaires. Il existe de très nombreuses possibilités de thérapies de groupe comme les thérapies d’affirmation de soi, les thérapies de gestion du stress, qui impliquent souvent des techniques de relaxation ou bien encore les jeux de rôle qui permettent d’affronter avec plus de sérénité des situations redoutées et déprimantes. Il est important de discuter avec le médecin de notre motivation au changement et de l’adaptation de ce type de thérapie à notre cas personnel.

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Nouveaux traitements

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74 • Quelles sont les nouveautés thérapeutiques ? La stimulation magnétique transcrânienne est une nouvelle technique de traitement de la dépression qui est en cours d’évaluation. Des impulsions magnétiques intenses et brèves sont dirigées sur des régions précises du crâne du patient. Bien qu’il soit difficile d’avoir le recul nécessaire concernant une technique qui reste à affiner, nous pouvons préciser qu’avec ce traitement le risque de convulsion et d’effets secondaires semble très faible. Notamment, il n’est pas nécessaire d’avoir recours à une anesthésie pour pratiquer ce traitement. Le patient, conscient durant la séance, ne ressent pas de douleur lors du passage du courant magnétique. Cette méthode, non invasive et non médicamenteuse, n’est pas pratiquée de façon courante. Elle est destinée à traiter certaines dépressions d’intensité modérée. Par ailleurs, de nombreuses avancées de la recherche dans les domaines de la biologie du cerveau et de la dépression font espérer, dans un avenir proche, l’arrivée de nouveaux médicaments efficaces contre la dépression et possédant des mécanismes d’action originaux.

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Annexes

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dresses A

utiles

Association Argos 2001 33, rue de la Tour d’Auvergne - BP 132 75422 Paris cedex 09 Téléphone 01 69 24 22 90 Association spécialisée dans le soutien aux personnes atteintes de dépression unipolaire et à leurs proches.

Association France Dépression Association Française contre la dépression et la maladie maniaco-dépressive 4, rue Vigée-Lebrun 75015 Paris Téléphone 01 40 61 05 66 france. depression@libertysurf. fr Créée en 1992, grâce à l’initiative de quelques patients et médecins, cette association ne prétend en aucun cas remplacer l’aide médicale mais assurer un soutien et une information aux patients et aux familles, afin d’éviter l’exclusion, l’isolement et la solitude. L’association organise régulièrement des réunions ou des conférences.

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Centres médico-psychologiques Il existe, dans chaque secteur psychiatrique, correspondant à une aire géographique de France, la possibilité de contacter des spécialistes de la dépression. Vous pouvez contacter le centre médico-psychologique du secteur où vous habitez. Les coordonnées de ce centre sont dans l’annuaire téléphonique de votre région. Union Nationale des familles de malades mentaux (UNAFAM) (Siège National) 12, impasse Compoint 75017 Paris Téléphone 01 42 63 03 03 Fax 01 42 63 44 00 Association regroupant des parents et des proches d’enfants atteints de troubles mentaux.

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Ouvrages à lire

La dépression fin du tunnel de Pierre Deniker - Plon.

Je suis déprimé mais je me soigne de Henri Lôo et Henri Cuche - Fixot.

Vivre avec des hauts et des bas de Jean-Alain Génermont et Christian Gay Hachette Littératures

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Le 36e en dessous de Pierre Daninos - Hachette.

Le diable intérieur, anatomie d’une dépression d’Andrew Solomon - Albin Michel

Le miroir de Janus. Comprendre et soigner la dépression et la maladie maniaco-dépressive. Sami-Paul Tawil - Lafont

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Glossaire

Anxiolytique. Désigne un traitement qui diminue ou fait disparaître l’anxiété. Attaque de panique. Crise aiguë d’angoisse s’accompagnant d’un sentiment de malaise intense tant psychologique (par exemple une sensation de mort imminente) que physique (sensation d’étouffement, palpitations, tremblement, gêne thoracique, picotements, etc.). On constate fréquemment l’association de l’attaque de panique avec un blocage respiratoire qui entretient ce phénomène. Baby blues. Symptômes de dépression qui peuvent survenir chez une jeune mère vers le troisième jour après l’accouchement. Le baby blues se manifeste par des pleurs, de la fatigue, des idées noires et des difficultés d’endormissement. Ces signes disparaissent habituellement en quelques jours pour aboutir à la guérison et ne nécessitent pas de traitement médicamenteux. S’ils persistent, un avis spécialisé est nécessaire. Boulimie. Comme pour l’anorexie, il faut distinguer la boulimie comme symptôme isolé dans une maladie, de la boulimie, maladie dans le cadre d’un trouble du comportement alimentaire. Dans le premier cas, il s’agit d’une faim insatiable ou un besoin irraisonné d’absorber des aliments. Elle conduit a un excès de poids significatif. Dans le deuxième, la prise alimentaire très importante est répétée et organisée dans l’emploi du temps de la personne qui en souffre. Cette prise excessive est suivie d’une culpabilité importante. Souvent, afin de maintenir un poids normal, voire en dessous de la moyenne, cette prise alimentaire est suivie de vomissements ou de 210


périodes de restriction alimentaire importante. Chronobiologie. Études des phénomènes biologiques en prenant en compte leur déroulement dans le temps. Par exemple, une hormone comme le cortisol sécrétée par le rein est dépendante d’un message du cerveau, variable au cours des 24 heures d’une journée. Sa quantité dans le sang dépend donc de l’heure à laquelle on l’analyse. De très nombreux phénomènes biologiques coordonnés par le cerveau sont ainsi variables au cours de la journée. Ceci a un retentissement en ce qui concerne l’heure à laquelle on doit prendre certains traitements. La plupart des maladies mentales entraînent une altération des rythmes biologiques. Conduite à risque. Type de comportement au cours duquel il existe une conduite de prise de risques mettant en danger la vie personnelle ou relationnelle de la personne (consommation abusive d’alcool ou de drogues, vitesse excessive sur la route, conflit provoqué, etc.). Conduites d’échec. Type de comportement, ou de manière d’agir, menant à l’échec. Dépendance. État psychique et parfois physique apparaissant à l’arrêt d’une drogue caractérisé par la pulsion à en reprendre, afin d’en éprouver à nouveau l’effet ou simplement pour lutter contre le malaise physique et psychique apparu depuis cet arrêt. Dopamine. Neurotransmetteur chimique du système nerveux central. La dopamine intervient dans de nombreuses régions du cerveau impliquées dans l’émotion, le mouvement et l’attention.

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Ecstasy. Substance psychotrope dérivée des amphétamines et possédant aussi certaines des actions du LSD (acide lysergique). Elle est actuellement liée au mouvement de la musique techno et des « raves parties ». Elle altère la chimie du cerveau et peut entraîner notamment des troubles psychiques et psychiatriques et une déshydratation importante. Inhibiteurs de la recapture de la sérotonine. (IRS). Classe de médicaments agissant sur le fonctionnement biologique du cerveau. Il existe plusieurs types de médicaments IRS. Ils possèdent en commun la capacité à augmenter la concentration de sérotonine dans les synapses cérébrales en diminuant la recapture de la sérotonine par le neurone qui vient de la libérer. Cet effet est commun à beaucoup d’antidépresseurs et d’anxiolytiques. Manie (ou état maniaque). Qualifie un état pathologique d’excitation et d’agitation exubérante ou extravagante (logorrhée, euphorie, insomnie). L’état maniaque conduit la personne qui en est atteinte à une perte de contrôle qui peut être lourde de conséquences (dépenses inconsidérées, perte d’emploi…). Le sens médical du terme « maniaque » n’a pas de rapport avec le sens couramment utilisé par le grand public qui utilise maniaque à la place d’obsessionnel. Manque (signes ou symptômes de). Ensemble de signes physiques et de troubles psychiques (sueurs, tremblements, anxiété, irascibilité, insomnie…) provoqués par le déficit d’une substance (drogue, toxique, médicament…) auquel l’organisme s’était accoutumé. Mélancolie. État dépressif sévère associé à un profond sentiment d’inutilité et d’incapacité. Dans les formes avancées de cette forme de dépression, les personnes 212


expriment des idées d’auto-accusation, d’indignité et de ruine. La mélancolie est une forme de dépression retrouvée plus fréquemment dans les maladies maniacodépressives. C’est une urgence, car les personnes souffrent extrêmement. Certains traitements antidépresseurs peuvent être efficaces dans cette forme, mais leur délai d’action est long. C’est une indication fréquente des sismothérapies. Neuromédiateur ou neurotransmetteur. Afin de passer d’un neurone à un autre, l’influx nerveux se transforme en substance chimique ou neuromédiateur. Le neuromédiateur traverse l’espace entre deux neurones (appelé synapse) et se fixe sur des récepteurs spécifiques des deux côtés. Il existe différents neuromédiateurs (dont les plus connus sont l’adrénaline, la sérotonine, l’acétylcholine…). Phobie. Peur ou angoisse aiguë se manifestant devant certaines situations ou actions, certains objets ou idées. Par exemple, l’agoraphobie est la peur des grands espaces, la claustrophobie est la crainte des espaces confinés et réduits. Psychanalyste. Généralement (mais pas toujours) psychiatre ou psychologue. C’est un psychothérapeute qui utilise les principes de la psychanalyse. Il a pratiqué sur lui-même un travail psychanalytique. Sa formation est complétée par un enseignement dispensé par des écoles de psychanalyse reconnues. Le plus souvent, il fait part à un autre collègue (supervision) des interrogations qu’il se pose lors de son travail. Jusqu’à aujourd’hui, il n’existe aucun diplôme universitaire autorisant à pratiquer la psychanalyse. Le psychanalyste ne prescrit habituellement pas de médicament.

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Psychiatre. Médecin ayant suivi le cycle habituel des études médicales générales. À l’issue de ces dernières, il s’est spécialisé dans les maladies mentales et les maladies du psychisme. Cette formation supplémentaire est actuellement de 4 ans. Les avancées de la psychiatrie étant rapides et son champ de connaissance très vaste, une formation continue est aussi nécessaire. Le psychiatre soigne aussi bien avec des médicaments qu’avec la parole (psychothérapie, psychanalyse) ou d’autres techniques. Psychologue. Diplômé de l’université, il a étudié la psychologie. Il est habilité à évaluer la personnalité, l’intelligence, la mémoire, etc., du patient à l’aide de tests. Il aide à faire le point sur soi-même et peut pratiquer la psychothérapie ou la psychanalyse s’il a été formé à le faire. Le psychologue soigne avec la parole ou d’autres médiateurs mais n’est pas habilité à prescrire des médicaments. Ruminations. Pensées négatives et préoccupantes qui se répètent inlassablement « en boucle » et sont difficiles à chasser. Sérotonine. Neuromédiateur présent dans le cerveau. Sismothérapie. Méthode de traitement utilisant les électrochocs, c’est-à-dire consistant à appliquer très brièvement un courant électrique calibré sur le crâne pour provoquer, sous anesthésie générale, une crise d’épilepsie visible uniquement sur l’électroencéphalogramme. Ce traitement, rare, permet de guérir certaines formes très graves de dépressions appelées mélancolies. Stress. Le stress est une réaction d’adaptation à une stimulation extérieure (physique, psychique ou sensorielle) considérée comme une situation nouvelle ou 214


dépassant les capacités d’adaptation. Plusieurs processus biologiques et psychologiques se mettent en jeu pour tenter de faire face. Il peut arriver que ces mécanismes soient dépassés ou produisent des effets négatifs. Stresseur. Événement qui déclenche la réaction de stress. Troubles obsessionnels compulsifs (TOC). Ces troubles appartiennent aux maladies de l’anxiété. Les TOC associent une obsession et une compulsion. Les personnes qui en sont atteintes sont accaparées sans répit par des pensées inquiétantes (les obsessions) et sont obligées pour chasser ces « mauvaises pensées » d’exécuter des rituels singuliers. Par exemple, certaines personnes vérifient des dizaines de fois une porte ou un robinet qu’elles doutent d’avoir fermé. D’autres sont obligées de se laver les mains constamment par crainte des microbes ou de ranger les objets de façon rigoureusement symétrique. Vie instinctuelle. Elle représente les fonctions les plus anciennes et les plus essentielles de l’espèce humaine (sommeil, appétit, libido, etc.).

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