Cordage

CORDAGE

PERSONNAGES : [des enfants jouent tous les rôles]

RAHBELVA ORDRIN LA FEMME AU CORPS AGÉ NÉDAGÉE ÉLIMÉLECH XANDA ROUAGE NUMERO UN ROUAGE NUMERO DEUX CHOEUR DE ROUAGES

Maître et Seigneur du Cordage Premier Rouage, despote du Rouage Génitrice de Rahbelva Jeune fille du Cordage, soeur d'ÉLIMÉLECH Jeune homme du Cordage, frère de NÉDAGÉE Mythomane du Cordage, ciseleur de légendes Sbire d'Ordrin, prendra le nom de Ghymel Sbire d'Ordrin, prendra le nom d'Hoyint Sbires d'Ordrin, changeront de nom

Prologue

LA FEMME AU CORPS AGÉ Alors, mes bons amis, je vous retrouve : la mort semble ne pas être une fin. ÉLIMÉLECH La mort, la fin ? Nous sommes morts, en effet, mais nous voilà de retour. Et s'il faut de nouveau marcher sur ces sentiers, je trouve moins désagréable de le faire en votre compagnie.

NÉDAGÉE Oui, Élimélech ! Ensemble ! Le Cordage est lié. Ressentez-vous, comme moi, la présence de notre contrée, sentez-vous les parfums du Cordage ?

XANDA L'illusion est parfaite, Nédagée. Comme avant sur les dunes, nous sommes réunis et nous parlons de Rahbelva.

NÉDAGÉE Rahbelva ! Notre Maître et Seigneur disparu ! ÉLIMÉLECH Parlons de lui ! Peut-être découvrirons nous la raison de notre retour. Peut-être saurons nous ce qu'il advint du Cordage. Oui, parlons de lui, cultivons sa mémoire, lui qui nous fit naître au Cordage de sable et d'or.

LA FEMME AU CORPS AGÉ Je préférerais que l'on n'en dise plus rien. Un vaurien qui s'ennuie, et qui crée un univers à lui, avec des gens, avec du sable et du soleil. Et quel soleil ! Il s'est même inventé une mère, qu'il a honte d'appeler sa mère d'ailleurs : la Génitrice qu'il dit ! Je vous demande un peu, génitrice ! Le plus fort, c'est que c'est de moi qu'il s'agit. Oublions cette triste aventure, par pitié !

XANDA Génitrice, tu es injuste. Oui, nous sommes ses créatures ; oui, il y eut le sable et le soleil malade et l'océan visqueux que le Cordage a longé pendant de nombreuses révolutions de l'astre ; oui, il y eut l'angoisse de Rahbelva, notre Maître et Seigneur, il y eut tout cela, et notre mort même. Rappelle-toi, Femme au Corps Agé, la fraîcheur des fontaines.... ÉLIMÉLECH ...les femmes aux ailes blondes dansant dans la douceur des crépuscules...

NÉDAGÉE ...les enfants qui jouaient dans les venelles claires, se poursuivant en riant autour des haubans des palais de toile...

XANDA ...les oasis espérées après les dunes arides.

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ÉLIMÉLECH Nous t'écoutions, Xanda, ciseleur de légendes. Tu étais notre Mythomane.

LA FEMME AU CORPS AGÉ Cela est vrai ! Comme ont existé pour nous les oiseaux Fous qui saccageaient les arbres. Cela est vrai ...cela est vrai ! Et il nous a abandonnés sur une grève inhospitalière jusqu'à ce que nous y mourions.

XANDA O, Femme au Corps Agé, toi la meilleure des mères, ne peux-tu te souvenir de ta joie et de ta béatitude quand tu le vis émerger de l'horizon de sable après son périple en pays des Rouages ? N'était-il pas ton fils alors ? ÉLIMÉLECH Nous étions ses créatures et nous étions fiers de son retour. Il aurait pu ne pas revenir : c'est nous qui désertâmes. Nédagée, ma soeur, mon rire, nous étions des enfants, et nos ailes frémissaient dans l'air vif quand nous avons couru à sa rencontre.

NÉDAGÉE Le bonheur éclaboussait mon visage comme mille soleils. Nous étions ses enfants. Il nous aimait.

XANDA Il me créa vieux et sage pour peupler sa mémoire. Il me contait son angoisse devant les vagues dolentes et je n'ai pas compris. Je fus le premier à l'abandonner.

LA FEMME AU CORPS AGÉ Cela est faux, Xanda, j'étais déjà morte. Et les oiseaux Fous avaient tué tous les arbres. Le sable se perdait sous l'océan glacé. Déjà mon Cordage était délié. Oui, cela est faux, vieillard. Il n'y avait rien à comprendre. Et tu n'as pas déserté, c'est lui qui nous a dédaignés.

NÉDAGÉE Hélas ! Plus tard nous nous sommes arrêtés, mon frère et moi, au bord d'une étendue de sable gorgé de sel, et dans un dernier baiser avons confié aux vagues le soin du souvenir et de nos corps. ÉLIMÉLECH Il était sombre alors, et ne nous parlait plus.

LA FEMME AU CORPS AGÉ Mon fils, mon créateur, s'est retrouvé tout seul...Pauvre de lui.... !

XANDA Nous sommes morts, cela est sûr. Mais son périple en Rouage ne fut-il pas pour lui une sorte d'anéantissement, une mort insidieuse pour nos regards aveugles ? ÉLIMÉLECH Tu as sûrement raison, Xanda. Je crois aussi qu'il fit ce voyage pour nous sauver.

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NÉDAGÉE Nous étions condamnés de toutes façons. Il fallait abattre le Rouage.

LA FEMME AU CORPS AU CORPS AGE Et il n'a réussi qu'à causer notre mort. Belle victoire ! ÉLIMÉLECH Notre mère, ne le dénigre pas. Tu étais là aussi quand il narra son pèlerinage vers le Rouage.

N'était-ce pas une épopée grandiose ?

LA FEMME AU CORPS AGÉ Grandiose en effet ! Lui seul, d'ailleurs, peut nous conter cela pour que j'y croie encore. Je sais que je suis morte et je me demande ce que je fais là, à vous écouter comme si nous vivions encore. Mon pauvre fils qui m'a créée...Au moins quand il était avec nous, je me sentais vivante.

XANDA Alors, écoutons-le décrire le Rouage.

NÉDAGÉE Oh, oui ! regardons-le vaincre encore une fois ; et nous encore renaître.

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acte 1

RAHBELVA Donc, après, un long et pénible voyage, j'arrivai devant la cité d'acier et de sinistre lumière des Rouages. Y pénétrer fut une terrifiante aventure : je dus subir mille douleurs. Mes tympans manquèrent d'éclater et mes yeux s'embrasèrent. Mais je vainquis la muraille... et ma peur.

Pourtant, à peine entré au Rouage, je fus capturé. Aussitôt, le grand Ordrin convoqua un Parlement pour juger de ma présence et la condamner.

ORDRIN Je suis Ordrin, le premier Rouage. La contrée qui m'est soumise se nomme le Rouage et mes sujets eux-mêmes revendiquent le nom de Rouage. Tu comparais devant Nous pour crime d'étrangeté. Qui es-tu ?

UN ROUAGE PARMI D'AUTRES Il dit être un homme de l'espace, O premier Rouage. Il dit qu'on l'appelle Rahbelva et qu'il est vénéré.

RAHBELVA De l'Espace ! je suis un homme de l'Espace ; mon Espace est le Cordage, j'en suis le Maître et Seigneur.

ORDRIN Le Cordage ? Qu'est-ce que c'est ? Le savez-vous ?

TOUS LES ROUAGES Nous ne savons rien de cela. Nous ne connaissons que le Rouage et Ordrin. Notre but est ton Dessein, O premier Rouage.

ORDRIN Entends-tu, homme de l'Espace comme il te plaît d'être nommé, personne n'a connaissance d'un Cordage, ni de son maître, ni de son seigneur, personne ! Donc tu n'existes pas, Rahbelva ! C'est très simple ! Tu n'existes pas, mais moi, Ordrin, le Premier Rouage, je vais te faire une faveur : je te donne la vie, je te confie une existence. Rouages, qu'on le saisisse et qu'on lui impose la vie, après, bien sûr, un bon réquisitoire...et un peu de plaidoirie, peut-être !

UN ROUAGE Vénéré, permets au plus humble de tes Rouages de rapporter à tes sens les atrocités dont il fut le témoin et de dire...

ORDRIN Parle !

LE MÊME ROUAGE ...que cette...chose...a sauté du haut de la muraille la plus haute au milieu d'un cortège de dévots rouages...

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UN SECOND ROUAGE ...qu'elle en a désactivé de nombreux et perturbé quelques autres.

ORDRIN Poussière, qui donc a sollicité ton bavardage ? Tais-toi ! Si tu n'obéis immédiatement, je demande ton recyclage. Mais poursuis, Rouage.

LE ROUAGE NUMERO DEUX Bien, O Premier Rouage !

ORDRIN Mais tais-toi donc, corpuscule ! Rouages ! Qu'on s'en saisisse et qu'on le recycle ! Et vite !

Je t'écoute, Rouage.

LE ROUAGE NUMERO DEUX Pitié, O vénéré Ordrin ! Je promets de me taire.

ORDRIN Hors de mes sens, virus ! Qu'on l'ôte à ma vue, je ne veux plus l'entendre ni le sentir ! Qu'on m'en soulage ! [les Rouages emmènent le Rouage numéro deux] ORDRIN Enfin !

Je t'en prie, Rouage !

LE ROUAGE NUMERO UN Voilà, c'est à dire que ... cet objet...a fait preuve de violence envers les nombreux rouages qui voulaient le maîtriser. On peut dire qu'il a agi comme une bête sauvage. Il a abattu les murs d'acier de notre enceinte, à l'aide de ses poings, il a frappé aveuglément des Rouages innocents avec tant de force que certains ne seront pas récupérables. Il a crié si fort que le bruit de la cité fut recouvert, ses hurlements ont brisé les membranes auditives de nombre de mes frères.

Moi-même en fus affecté. Nul ne sait ce qui provoqua cet état de démence.

RAHBELVA Pour quelqu'un qui n'existe pas, j'impose une présence bien encombrante.

ORDRIN Tais-toi, microbe !

RAHBELVA Ordrin, veux-tu écouter ma défense ?

ORDRIN Je ne peux rien entendre d'une inexistence.

RAHBELVA Mais je ne vais pas me laisser tuer sans rien dire tout de même !

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LE ROUAGE NUMERO UN Qui parle de te tuer ? Nous voulons te donner la vie. Mais, O Vénéré, peut-être serait-il bon de l'écouter un instant...pour te divertir.

ORDRIN Me divertir ? Il y a longtemps que je n'ai programmé de divertissement. Allons, chers Rouages, allons écouter l'étranger !

RAHBELVA Puissent les rires t'étouffer !

LE ROUAGE NUMERO UN Assez ! Ordrin ne supporte pas cette sorte de divertissement !

ORDRIN Allons, je t'écoute....Maître et Seigneur...

RAHBELVA ...de l'Espace ! Mon Espace est le Cordage sur lequel le soleil jamais ne se couche.

LE ROUAGE NUMERO UN La nuit n'existe donc pas dans ta contrée ?

RAHBELVA La nuit est dans vos coeurs, c'est déjà trop pour mon désespoir.

LE ROUAGE NUMERO UN Prends garde à tes paroles !

ORDRIN Oui, prends garde...

RAHBELVA Il y avait des fontaines, et des palais de toile et d'or s'élevaient vers le soleil. Ma ville glissait sur l'océan de sable...

ORDRIN Des maisons de tissus ? Ce n'est pas rationnel.

RAHBELVA Mes gens vivaient heureux et la joie emplissait mon coeur. Mais un matin le sable fut différent, plus épais et lourd aux ongles des montures, l'air prit une consistance visqueuse.

Alors j'ai su que je vous avais rencontrés, rouages. J'ai su. Ma tête était pesante de vous, ma poitrine oppressée ; les dunes autour du Cordage faisaient un rempart menaçant, le soleil, au ciel noir, coulait comme du givre. A cause de vous, rouages, vous, mon angoisse ! Je suis venu vous détruire.

ORDRIN 6

Belle tirade que tu nous as servie ! Rouages, avant que cesse son inexistence, assène lui la liste de ces méfaits.

LE ROUAGE NUMERO UN Nous, Rouages d'Ordrin, réunis ce jour en assemblée, avons à porter jugement sur les actes du se-disant Rahbelva du Cordage...

ORDRIN Aux faits !

RAHBELVA Oui, c'est cela, pressons.

LE ROUAGE NUMERO UN Ce personnage...

RAHBELVA Moi. LE ROUAGE NUMERO UN ...a surgi brusquement au milieu d'un cortège de dévots rouages, se déplaçant le long du mur d'enceinte...

RAHBELVA La rampe a cédé à ce moment, qu'y faire ? sinon l'accompagner.

ORDRIN Silence, vermisseau !

LE ROUAGE NUMERO UN ...renversant et dispersant ceux-ci le long de leur chemin.

RAHBELVA Mille regrets.

LE ROUAGE NUMERO UN En tentant de le contenir, d'autres rouages en subirent les agressions.

ORDRIN Précisez !

RAHBELVA J'ai cogné dans le tas, quoi !

ORDRIN Inadmissible ! Cela n'est pas prévu par la loi des Rouages.

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LE ROUAGE NUMERO UN Enfin, il put être maîtrisé, et, à l'évidence, il s'agissait d'un rouage devenu dément, d'une sorte de chose malfaisante et destructrice.

ORDRIN Quoi ? Ceci est un Rouage ? Quel est ton matricule ? Qu'est-ce que c'est que cette mascarade ? Rahbelva ? Où a-t-il pu trouver un nom pareil ? Je me disais bien que rien n'existe hormis le Rouage. Donc tu es un rouage ?

RAHBELVA Je ne suis pas un Rouage. Je suis un homme de l'Espace et mon Espace a pour nom Cordage.

Il est plus vaste qu'un million de Rouages. Jamais le soleil ne se couche sur son étendue.

ORDRIN Ca suffit ! Que faisait-il hors du mur d'enceinte ?

LE ROUAGE NUMERO UN Il rêvait.

ORDRIN Quoi !

RAHBELVA Je rêvais que j'étais à l'extérieur ...et j'y étais effectivement.

ORDRIN Mais c'est interdit ! Il ne faut pas rêver; ça nuit au rendement. N'est-ce pas, mes chers sujets ?

LES ROUAGES EN CHOEUR Il est interdit de rêver, il est interdit de s'asseoir, il est interdit de marcher seul, il est interdit de marcher ensemble à plus de quatre et moins de trois, il est interdit de n'être pas d'accord avec Ordrin.

UN ROUAGE SE DETACHE DU CHOEUR La liste des interdits est programmée dans toutes les mémoires.

RAHBELVA Non ! Je n'ai pas de mémoire programmée. Comment faut-il vous convaincre que je suis Rahbelva, Maître et Seigneur du Cordage, que je ne suis pas un rouage défaillant. Je vous méprise, vous qui ne savez rien de l'Espace. Ordrin, je ne veux pas de ta vie de larve ORDRIN Y a-t-il quelques arguments à entendre encore ? Sinon qu'on l'emmène et qu'on lui donne la vie. Ou plutôt non ! Qu'on révise sa programmation: puisque c'est un rouage, la vie lui fut déjà donnée.

UN AUTRE ROUAGE SE DETACHE DU CHOEUR La vie au Rouage est parfaite. De l'aube au crépuscule, la nuit même, nos gestes sont programmés. On ne peut pas se tromper. C'est cela le bonheur.

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LE ROUAGE NUMERO UN Le bonheur, c'est de ne pas penser.

ORDRIN D'ailleurs, rouages, vous ne pouvez pas penser, ce n'est pas possible.

RAHBELVA Pourtant je rêvais, moi. Je vivais au Cordage; mon peuple me vénérait et je l'aimais moimême de toute ma tendresse. Le Cordage, lentement, suivait le soleil tout autour de l'univers de sable.

ORDRIN Que dit-il ? A-t-il pu de cette façon échapper au Rouage ?

LE ROUAGE NUMERO UN Non, Premier Rouage, il veut dire qu'il voyait cela dans sa tête.

ORDRIN Il aggrave son cas !

RAHBELVA Xanda le Mythomane racontait des légendes. Il était ma mémoire. Sur des tables de granit, il gravait l'Histoire du Cordage.

ORDRIN Quelle histoire ? Dans ta tête ! Et puis ne dit-on pas qu'un peuple heureux n'a pas d'histoire...

RAHBELVA Effectivement, je n'étais pas heureux, puisque le Rouage me venait oppresser le coeur.

LE ROUAGE NUMERO UN OU UN AUTRE ROUAGE Tu n'aimes pas les rouages ?

RAHBELVA Comment peut-on haïr quand on n'a pas conscience ? Rouages, vous n'êtes rien qu'une injure à la vie. Et toi, Ordrin, caricature lamentable, tu te crois heureux parce que ces machines sont à ta dévotion, parce que tout s'agite autour de toi. Mais cela n'a pas plus de sens qu'une pierre qui tombe. Non, rouages, je ne vous aime pas !

ORDRIN Rien ne va plus ! Je lui retire la vie. Je le recycle définitivement.

RAHBELVA Je partirai vers Rouage pour détruire ses murs de béton et d'acier, sa lumière cruelle et visqueuse. Je nierai si fort cette contrée brutale qu'elle cessera d'exister. Et, quand je rentrerai au Cordage, Nédagée et Élimélech, les enfants que tant je chéris, viendront à ma rencontre pour laver mes fatigues.

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UN ROUAGE Des enfants pour laver la fatigue ? Ordrin, qu'as-tu inventé de nouveau ?

ORDRIN Imbécile ! Ce se-disant Rahbelva a l'imagination décidément trop fertile. Il faut sans tarder porter remède à cela.

RAHBELVA Lâchez moi, ignorants, vous ne pouvez pas m'atteindre. Je ne suis pas un rouage. Vous ne savez rien de l'Espace. Ordrin, je ne veux pas de ta vie de larve !

ORDRIN Qu'on l'emmène et qu'on l'enferme. Qu'on l'emmène, qu'on prépare un recyclage de première classe, le plus grand recyclage qu'on ait jamais vu. Qu'on le désactive !

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Intermède LA FEMME AU CORPS AGÉ Vous avez entendu ? Rahbelva n'est qu'un rouage de pacotille ! Maître et Seigneur de rien du tout ! Même pas bon à tenir tête à cette baudruche d'Ordrin.

XANDA Tais-toi donc, Génitrice. La baudruche, comme tu dis, impose sa volonté à une contrée immense. Le fait qu'il soit stupide n'enlève rien à sa puissance, au contraire.

NÉDAGÉE Quoi qu'il en soit, notre mère, Rahbelva est en bien mauvaise situation. Il vient de perdre à la suite d'un simple interrogatoire sa liberté et son identité. ÉLIMÉLECH Nédagée, ma soeur, Rahbelva n'a rien perdu, puisqu'il n'est rien. Rien qu'un rouage qui rêvait, qu'un tas de circuits défectueux.

XANDA Calmez votre impétuosité, enfants ! Si nous admettons notre propre existence, comme semblent en témoigner nos sens, il faut bien postuler préalablement celle de Rahbelva en tant que créateur du Cordage.

LA FEMME AU CORPS AGÉ Là, je te reconnais bien, vieux bavard, prêt à tout pour justifier l'air que tu respires. Et s'il me plaît à moi de penser que ce gredin de Rahbelva s'est moqué de nous en rêvant du Cordage ?

XANDA Ne l'insulte pas, femme aigrie ! Car alors tu cracherais sur le but de notre existence. Cela serait un blasphème !

LA FEMME AU CORPS AGÉ Oui, je blasphème. Oui, je hurle mon indignation, je rage après cette existence à laquelle je ne comprends rien. D'ailleurs, comme Rahbelva, mon créateur et mon fils, je n'existe pas. ÉLIMÉLECH Arrêtez tous les deux. Il n'est plus temps de nous quereller. C'est inutile puisque nous sommes de nouveau sur cette grève glacée à chercher un sens à nos paroles. Comment pouvons nous être sûrs que, telle que nous la connaissons, l'existence n'a pas autant de réalité que n'importe quelle autre vision du monde ? Un rêve dites-vous ? Pourquoi pas ? Nous sommes des pièces évoluant sur l'échiquier du rêve ! Connaître notre peu de consistance, cela soulage-t-il nos souffrances ?

[Ils restent un moment sans parler, méditant les propos d'ÉLIMÉLECH]

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NÉDAGÉE Tu parles d'or ! Mon frère, cherchons encore. Et ne nous laissons plus prendre au découragement. Allons ensemble, le coeur soutenu par l'espoir de revoir notre Maître et Seigneur, par l'espoir qu'il saura retrouver les routes du Cordage. ÉLIMÉLECH Il nous faut repartir en quête de lui, le lier de nouveau au Cordage.

LA FEMME AU CORPS AGÉ Mhm...

NÉDAGÉE Mère, tais toi donc !

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acte 2

ORDRIN Alors, rouages, comment trouvez vous les caves de ma cité ? L'humidité n'a pas encore corrodé vos circuits à ce que je vois. Ne vous inquiétez pas, cela ne saurait être long. [il rit] LE ROUAGE NUMERO DEUX Ordrin, mon maître, pourquoi est-ce que je suis enfermé ici, avec ce dément ? Il ne parle pas, il reste toute la journée prostré dans un coin. Et la nuit il va et vient dans la cellule et m'empêche de reposer.

ORDRIN Crois-tu, rouage, que j'aie de la place à perdre en vaine hospitalité ? Une seule cage peut bien suffire aux seuls inadaptés du Rouage. D'ailleurs, bientôt tu resteras solitaire, quand celui qui se dit de l'Espace sera recyclé.

LE ROUAGE NUMERO DEUX Mais je vais devenir fou avec un tel compagnon !

ORDRIN Eh bien il y aura deux recyclages au lieu d'un seul ! [il rit de nouveau] Allez, je vous quitte. Portez vous bien....[il rit encore avant de sortir] RAHBELVA Tu vois, rouage, ça ne sert à rien de se plaindre. Il te suffira d'être patient.

LE ROUAGE NUMERO DEUX Je n'ai pas été programmé pour être patient. C'est d'ailleurs pour cela que j'ai été puni. Puni doublement puisque me voilà avec toi : ta compagnie n'est pas un cadeau. Ordrin ne connaît pas la clémence.

RAHBELVA Pour être clément, il faut commencer par comprendre, rouage... Au fait, n'as tu pas de nom ?

LE ROUAGE NUMERO DEUX Un nom ? Qu'est qu'un n... ? Ah oui, je vois ! J'avais un matricule. Mais avant d'être enfermé, ils l'ont arraché de ma poitrine ; je n'ai plus le droit de l'utiliser.

RAHBELVA [riant doucement] Pas le droit de l'utiliser ! Et pourquoi ne l'utilises-tu pas malgré tout ?

LE ROUAGE NUMERO DEUX Je fais ce que je veux !... Oh, et puis, ce n'est qu'un numéro ! C'est la seule chose qui me différencie des autres Rouages. Et comme nous sommes tous pareils, je me passe fort bien de ce genre de coquetterie.

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RAHABELVA Mais si tu avais un nom au lieu d'un matricule, ce serait différent ! Vois-tu, je m'appelle Rahbelva ! Et cela personne ne pourra l'arracher de ma poitrine. C'est mon nom ! Rahbelva et moi, c'est la même chose ! C'est indissociable. Tandis qu'un numéro, on peut vous le changer sans qu'il n'en coûte rien.

LE ROUAGE NUMERO DEUX Je ne vois pas ! Aucune différence ! C'est idiot ce que tu racontes ! Un nom ou un matricule à quoi bon ?

RAHBELVA C'est toute la différence ! Derrière un nom, il y a une vraie personne. Il y a un paysage complet, de la joie, des rires. Il y a un monde qui n'appartient qu'à celui qui s'est nommé. Un numéro n'appartient pas à celui qui le porte. La preuve c'est que toi-même tu te moques d'avoir perdu ce numéro.

LE ROUAGE NUMERO DEUX Je m'en moque, en effet. Mais cela n'implique pas qu'un nom soit autre chose qu'un numéro sans chiffre.

RAHBELVA Pour te convaincre, je vais te dévoiler les mystères de mon nom.

LE ROUAGE NUMERO DEUX Les mystères ! Tu n'es qu'un rouage défaillant, comme moi, un rien du tout.

RAHBELVA Approche toi et écoute. Rahbelva est le nom que j'ai rêvé. Avec ce nom que j'ai choisi, j'ai hérité d'une contrée volage, bâtie sur du sable et de l'air. Les murs de ma cité sont des toiles tissées d'or, tendues sur des mats lancés vers le soleil écarlate. Partout autour du Cordage, c'est le nom que j'ai donné à mon paysage, il y a, gravé dans le sable, la marque de ma frontière.

Personne n'a pu à ce jour y pénétrer que moi. Au Cordage, j'ai rencontré une génitrice et des amis...

LE ROUAGE NUMERO DEUX Une génitrice, des amis ? Qu'est-ce que c'est ?

RAHBELVA Ce sont des gens que j'aime et qui me sont dévoués parce que je les ai créés.

LE ROUAGE NUMERO DEUX Un peu comme Ordrin, quoi !

RAHBELVA Pas du tout. Ordrin ne vous a pas créés ! Si, peut-être... En tous cas, il ne vous aime pas ! Il ne vous aime pas, il vous domine. Au Cordage, il y a des fontaines d'eau fraîche coulant au milieu du désert, il y a des oiseaux qui se posent sur les arbres des oasis. Il y a le ciel bleu et le soleil écarlate qui roule au-dessus de l'horizon, il y a les bannières qui claquent au vent. Et je suis le Maître et Seigneur du Cordage. Le Cordage est mon Espace. Toi, que possèdes-tu ?

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LE ROUAGE NUMERO DEUX C'est exact, je ne possède rien, même pas un nom. Mais toi, ce que tu possèdes en ce moment, c'est un océan d'ennuis !

RAHBELVA Ah, tu peux bien te moquer ! Moi, je possédais une mère, ma génitrice, la Femme au Corps Agé. Pour moi, elle était tendre. Elle m'accompagnait dans la grande salle de mon palais de toile, elle s'asseyait à la droite de mon trône de cristal, figée comme une reine. Elle dominait l'assemblée d'une autorité bienveillante. Mais depuis que je suis enfermé ici, qu'ils m'ont ôté quelques circuits, elle est morte.

LE ROUAGE NUMERO DEUX On peut mourir même dans les rêves ?

RAHBELVA Ah ! C'est la faute du Rouage et de l'acier ! Plus tard, ce fut Xanda qui me quitta, emportant avec lui l'histoire du Cordage. Je m'en souviens encore assez pour te raconter.

LE ROUAGE NUMERO DEUX Continue, puisque tu as commencé !

RAHBELVA Nous étions au bord de l'océan. Nous le rencontrions pour la première fois, et, lui, Xanda, croyait que nous avions atteint le but.

LE ROUAGE NUMERO DEUX Le but ? Quel but ?

RAHBELVA Le lieu où le Cordage cessait d'errer. Mais je savais, moi, puisque les marques de ma frontière n'étaient pas gravées sur les vagues, qu'il fallait que le Cordage dérive encore. Même, s'il en était besoin, au dessus de l'océan. Hélas, lui, le vieil homme, avait atteint son but : il est resté sur cette grève, enfouissant avec lui toute l'histoire du Cordage, celle-la même qu'il avait burinée sur les tables de pierre.

LE ROUAGE NUMERO DEUX C'est une belle légende, mais elle ne rapporte rien de bon.

RAHBELVA Tu te trompes, rouage, les rêves et les légendes sont comme des coups de crayon, de petites taches qui dessinent l'identité.

LE ROUAGE NUMERO DEUX L'identité ? C'est quoi ?

RAHBELVA C'est de posséder un nom ! Pas un nom au hasard, un nom que l'on s'est choisi !

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LE ROUAGE NUMERO DEUX Mais pour choisir un nom, ne faut-il pas déjà une parcelle d'identité ?

RAHBELVA Tu commences à comprendre. L'un ne va pas sans l'autre, chacun s'appuie sur l'autre un moment, jusqu'à la construction totale de l'être. Et le rêve peut donner tout cela.

LE ROUAGE NUMERO DEUX Le rêve peut tout donner alors ?

RAHBELVA Oui, mon frère ! Et j'ai tout perdu parce que je ne rêve plus. Ils ont débranché trop de circuits.

Pourtant, je me souviens que je rêvais : Élimélech et Nédagée sont morts aussi sur une plage glacée quand ils m'arrachèrent les derniers fils de cuivre. Pourtant, tu sais, se souvenir c'est encore rêver.

LE ROUAGE NUMERO DEUX C'est égal : c'est une bien belle histoire ! De t'entendre ainsi conter le Cordage, j'en vois les paysages, et les personnages se mouvoir. Deux enfants... C'est étrange, il n'y a pas d'enfants au Rouage... Deux enfants qui t'accueillent quand tu reviens harassé, ce doit être merveilleux !

Tu dis qu'ils sont morts aussi ? Quel désastre !

Dis moi, voir tout cela dans sa tête, ressentir la douleur de la séparation quand un ami vous quitte, n'est-ce pas ce que l'on appelle aussi rêver ?

RAHBELVA Peut-être ? Cela y ressemble. C'est sûrement cela. Mais il ne faut pas que tu en parles. Tu vois bien ce qui m'est arrivé : tu risques le recyclage.

LE ROUAGE NUMERO DEUX Je ne dirai rien, tu as raison. Pourtant, il faut qu'on sache, au dehors, que chacun peut avoir un nom, une identité, une histoire. Ils vont venir te prendre, je ne dirai rien. Mais quand je sortirai, tous les rouages sauront qui était Rahbelva, tu peux y compter.

RAHBELVA Cela est bon ; bien que pour moi il soit déjà trop tard. Mais ça ne fait rien: au moins dans mes derniers instants, je n'aurai pas été seul à rêver.

LE ROUAGE NUMERO DEUX Qui sait. Maintenant nous seront sûrement très nombreux.

RAHBELVA Va, quel que soit le nom que tu te choisisses plus tard, n'oublie pas de parler quelquefois de Rahbelva. Ainsi je ne mourrai pas tout à fait.

LE ROUAGE NUMERO DEUX Choisis pour moi un nom qui me convienne, en attendant que moi-même en découvre un au fond de ma conscience.

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RAHBELVA Oui, ce sera bien ainsi. Va, tu t'appelleras Hoyint. Hoyint, c'est à dire "Celui Qui Parle De Lui".

HOYINT, LE ROUAGE NUMERO DEUX On m'appellera Hoyint. En ton nom, je rêverai jusqu'à ce que moi-même découvre mon véritable nom.

RAHBELVA Oui, c'est cela. Mais taisons-nous : ils viennent. C'est la fin.

HOYINT Et c'est le début. [entrent Ordrin et ses rouages] ORDRIN Alors, rouage, qui es-tu finalement ? As tu choisi d'être raisonnable ?

RAHBELVA Je suis toujours Rahbelva, mon Espace est le Cordage, et tu n'es rien pour moi qu'un pantin gonflé de prétention.

ORDRIN Je vois qu'il n'y a rien à faire. J'aurais voulu te donner la vie, faire de toi un vrai rouage obéissant. Mais il est trop tard. Tu es trop fou. Qu'on le désactive sur place et qu'on recycle ses composants.

[Rahbelva est abattu et emmené par quelques rouages. Seuls demeurent Ordrin et le rouage numéro un en face de Hoyint] ORDRIN [s'adressant au prisonnier] Rouage, que cela te serve de leçon !

ORDRIN [se tournant vers le rouage n°1] Reste avec lui un moment, jusqu'à ce qu'il soit temps de le libérer.

LE ROUAGE NUMERO UN Bien, O Premier Rouage.

[Ordrin quitte la scène] HOYINT "Bien, O Premier Rouage" ! Tu me fais rire, rouage ! C'est donc vrai ! Rahbelva ne se trompe pas !

LE ROUAGE NUMERO UN Ne parle pas ainsi, tu vas aggraver ton cas.

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HOYINT Parce que tu crois que demeurer un rouage toute mon existence ce n'est pas le plus grave ?

LE ROUAGE NUMERO UN Chut ! On pourrait t'entendre !

HOYINT Veux-tu bien m'écouter ?

LE ROUAGE NUMERO UN Qu'est-ce que tu pourrais me dire ? [il s'approche néanmoins] HOYINT Mon nom est Hoyint ! [l'autre tente de s'éloigner] HOYINT Non, écoute jusqu'au bout. [ils restent à parler pendant que la lumière décroît lentement. puis celle-ci croit de nouveau] HOYINT Alors que vas-tu faire, maintenant que tu sais qui était Rahbelva ?

LE ROUAGE NUMERO UN Je crois qu'il faut que tous nos frères sachent. Je crois que je vais aller dans la cité parler au nom de Rahbelva. Après, il faudra bien nous débarrasser d'Ordrin. Je m'appellerai Ghymel, ce qui veut dire "Le Troisième Qui Sait". Après il y en aura d'autres.

HOYINT Oui, c'est ce qu'il faut faire. Et j'irai avec toi parcourir la cité.

HOYINT ET GHYMEL Nous irons au nom de Rahbelva.

[Ordrin et ses rouages arrivent subitement] ORDRIN Qu'est ce que c'est ce chahut ? Rouages, saisissez vous d'eux...

GHYMEL Non, mes frères. Ecoutez nous plutôt.

ORDRIN Rouages, je vous donne l'ordre....

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HOYINT Nous voulons être des personnes. Nous revendiquons le droit à l'identité. Nous ne voulons plus obéir à ce pantin qui seul était nommé.

ORDRIN Comment ? C'est un acte de rébellion caractérisé ! Rouages, démolissez moi tout ça ! [les rouages n'en font rien et attendent] ORDRIN Vous aussi ! [il se tourne] Holà, Rouages, faites venir d'autres rouages !

UN ROUAGE C'est inutile, ils sont tous occupés.

ORDRIN Mais enfin, arrêtez-les au moins !

UN AUTRE ROUAGE Ecoutons les avant, ça a l'air intéressant !

HOYINT Nous voulons que chacun d'entre nous ait un nom, un nom qu'il peut choisir sans secret, sans être pour cela déclaré fou.

UN ROUAGE Oui, c'est une bonne idée. Mais pourquoi ?

ORDRIN C'est trop fort ! Allez vous m'obéir à la fin ?

UN AUTRE ROUAGE Toi, moins de bruit !

GHYMEL Oui, nous voulons avoir le droit d'être des personnes, pouvoir rêver, et aimer aussi. Nous parlons au nom de Rahbelva, le premier et le dernier, le martyr du Rouage.

HOYINT Nous avons un nom maintenant et nous vous en donnerons un à chacun d'entre vous : Toi, tu seras Dhalet, le quatrième ; toi, Hey, le cinquième ; toi et toi, Vahow et Zayin, le sixième et le septième. Après, si vous voulez, vous vous appellerez autrement.

GHYMEL Mais demandons à celui-là si son nom lui convient. Ordrin, ça te va ?

ORDRIN [qu'on avait saisi par les bras] Assez, je suis Ordrin et vous n'êtes rien...

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HOYINT ET GHYMEL Maintenant nous sommes ! Frères que pensez vous d'un recyclage ?

TOUS Oui ! [les anciens rouages se mettent à danser, entraînant Ordrin qui voudrait bien les retenir]

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épilogue XANDA Je suis fatigué. Ce pèlerinage est épuisant en vérité. Nédagée, mon enfant prête moi le secours de ton bras.

LA FEMME AU CORPS AGÉ Le voila bien le fringant vieillard qui nous a entraînés dans une folle randonnée dont le but me parait de plus en plus fumeux.

NÉDAGÉE Nous sommes ensemble ! N'est ce pas important pour aller au devant de Rahbelva ?

Il serait temps quand même que nous nous reposions. ÉLIMÉLECH Voyez cette ville. Peut-être nous feront-ils bon accueil. Et peut-être aussi auront-ils des nouvelles de notre Maître et Seigneur ?

XANDA Regardez ! Cette ville ! Rahbelva décrivait ainsi le Rouage.

NÉDAGÉE Ainsi nous sommes arrivés à une étape importante. Que craignons-nous ? Approchons.

Rahbelva est entré dans cette cité. Ces gens savent peut-être ce qu'il est devenu.

LA FEMME AU CORPS AGÉ S'il est encore là, c'est qu'il est bien malade dans sa tête. Mais voyez ces couleurs ! C'est sinistre. Je n'y demeurerai point.

XANDA Toujours à te plaindre, génitrice. Voyons ces gens. Et parlons leur.

Que le soleil brille pour vous, Gens de la Cité. Nous sommes des voyageurs en quête de notre Maître et Seigneur. L'auriez vous rencontré ?

GHYMEL Que le soleil brille pour vous, voyageurs. Par Rahbelva, vous nous semblez bien épuisés ! ÉLIMÉLECH Que dites vous ? Rahbelva ? C'est le nom de notre Maître et Seigneur ! Savez vous ce qu'il advint de lui ?

GHYMEL Qui êtes vous pour connaître ainsi le nom du Libérateur ? Il était l'un des nôtres et grâce à ses songes il contribua à l'affranchissement de notre cité...

HOYINT Quand il me conta ses rêves, il y avait des gens qui vous ressemblaient. Une femme âgée, deux enfants et un vieil homme qui racontait des histoires.

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GHYMEL Le rêve de Rahbelva, son Cordage est venu vers nous, Hoyint. Son rêve est puissant, son rêve lui survit.

NÉDAGÉE Vous voulez dire que Rahbelva est mort ?

LA FEMME AU CORPS AGÉ Je disais bien qu'il ne ferait rien de bon. ÉLIMÉLECH Nédagée, mon rire, ne pleure pas, je t'en supplie.

XANDA Gens de la Cité, nous cherchions depuis bien longtemps notre Maître et Seigneur. Sa destruction nous plonge dans l'égarement et le désespoir. Nous ne savons que dire. Restent nos larmes.

HOYINT La compassion emplit nos coeurs. Vous pouvez rester ici, si vous le voulez. Nous serions honorés de votre présence comme d'une relique enchâssée dans la gloire de Rahbelva.

NÉDAGÉE Son corps, je veux revoir son corps une dernière fois.

GHYMEL Hélas, son corps lui-même n'existe plus.

XANDA Nous ne sommes plus qu'un rêve en errance. Nous devons partir.

HOYINT Où voulez vous aller ? ÉLIMÉLECH Là bas les dunes lui ressemblent encore un peu. C'est là que nous irons. Viens, Nédagée, il faut bien vivre, puisque, hélas, nous marchons.

GHYMEL Pourquoi vouloir partir ? Ici vous serez bien. Et nous pourrons parler de Rahbelva.

LA FEMME AU CORPS AGÉ Non, c'est impossible. Nous sommes un rêve qui ne vous appartient pas. Et le rêveur n'est plus pour nous guider hors du cauchemar.

Venez, vous autres !

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