Entretien avec Sarah Maldoror Comment êtes-vous venue au cinéma ? Sarah M. :
Par le théâtre. Dans les années 1960, j’ai fait partie de la troupe « Les griots » à Paris qui
comprenait Babacar Samb, Toto Bissainthe, Bassori Timité, etc. Nous avions monté « Huis-clos » de Sartre. C’est par “Présence africaine” que nous nous étions rencontrés. Nous avions monté aussi la pièce de Césaire « Et les chiens se taisaient » : mémorable. Puis la troupe s’est dissoute et j’ai été apprendre le cinéma à Moscou, où j’ai rencontré Sembène. Nous avons été ensemble assistants de Donskoï pour « Bonjour, enfants ». Sembène est resté six mois, moi deux ans. En 1963, j’ai travaillé en Algérie où j’ai notamment été assistante sur le court métrage Elles de Ahmed Lallem (un reportage sur les lycéennes). C’est là que j’ai réalisé mon premier court métrage Monangambee, d’après une nouvelle de Luandino Vieira, « Le complet de Mateus ». Votre premier long métrage a été « Des fusils pour Banta ». Sarah M. :
Je l’ai tourné (en 35mm, de la folie!) dans les maquis du PAIGC en Guinée-Bissau, avec une
équipe de l’armée algérienne (en avril-mai 1967). Je m’étais mise dans la tête de réaliser un film de fiction et non un simple reportage parce que j’estimais que par la force des choses toutes les guerres de libération avaient tendance à se ressembler dans les films en direct : dans tous les cas, on voit des transports d’armes, des cours d’instruction, etc. Je voulais montrer une réalité un peu différente par le biais d’une histoire, d’un récit imagé. Mais comme je manquais de moyens matériels et financiers et aussi d’expérience, l’entreprise fut très difficile. Si elle n’a pas abouti finalement, c’est qu’au stade du montage un différend a surgi entre un responsable de l’armée algérienne et moi… Le film devait raconter une prise de conscience au sein de la population éduquée par le PAIGC. Il n’y avait pas du tout de direct ? Sarah M. :
Si, par la force des choses, mais pas beaucoup. D’ailleurs je n’avais pas de découpage
très précis, seulement un schéma directeur. J’improvisais souvent. Après cette impasse avec ce responsable, je suis rentrée en France où j’ai contribué à la réalisation de deux courts métrages : Louise Michel, La commune et nous et Saint-Denis sur avenir. Puis ce fut « Sambizanga ». Sarah M. :
Sambizanga qui est donc en fait mon premier long métrage. J’ai puisé son sujet une
fois encore dans une nouvelle de Luandino Vieira « La vraie vie de Domingos Xavier » publiée par « Présence Africaine ». J’ai tourné ce film avec une avance sur recettes de 380.000 F du C.N.C. français et j’ai reçu aussi une aide de l’Agence de Coopération culturelle et technique. Le Congo m’a également beaucoup aidée. Le scénario a été modifié au moment du tournage (sept semaines) en fonction des nécessités. Les acteurs sont des non-professionnels, qui présentent la particularité de s’exprimer chacun dans sa propre langue… On vous a beaucoup reproché d’avoir fait un film “trop beau”. Sarah M. :
Je pars du principe qu’il n’y a aucune raison pour que les cinéastes noirs fassent un cinéma
qui n’ait pas la même qualité technique que le cinéma fait par les blancs. La couleur de la peau n’a rien à voir avec le talent. Je comprends que certains films africains ne soient pas d’une qualité technique parfaite en raison de la faiblesse dérisoire de leur budget. Les réalisateurs ont bien du courage de tourner des films dans ces conditions mais je ne pense pas qu’il faille faire de nécessité vertu, ni qu’il faille ériger les faiblesses techniques en style authentique ! J’ai eu la chance de disposer d’un budget normal : je ne vois pas pourquoi je m’en serais privée et n’aurais pas utilisé toutes les ressources du cinéma. On m’a reproché aussi de n’avoir pas fait un film de guerre avec des tanks, des fusils, etc. Mais Sambizanga ne répond aucunement à la définition du film de guerre tel qu’on le conçoit dans le
Entretien avec Sarah Maldoror
18