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3.3.2. Une quête d’un entre-soi sécurisant
from Les politiques du logement dans les Suds : la promotion de la propriété individuelle et ses limites
préoccupation fondamentale pour tous les habitants qui, quel que soit leur niveau social, prennent cette question en compte dans leurs stratégies et choix résidentiels.Cette place centrale accordée à la sécurité dans la programmation des programmes de logements semble par ailleurs marquer durablement et inévitablement le paysage urbain et social des villes sud-africaines, ainsi que les modes de vie et d’habiter de leurs résidents.
Sas de sécurité et clôtures barbelées constituent également un élément important de la vie quotidienne des habitants de bon nombre d’ensembles résidentiels en Amérique latine (Jacquin et Capron 2010). La recherche de la sécurité est par exemple omniprésente au Mexique où le taux d’homicide atteignait, en 2020,20pour 100000 habitants -contre moins de 2 dans la plupart des pays de l’OCDE (INEGI, 2021). Le degré de fermeture des complexes immobiliers peut néanmoins varier. Si certains lotissements sont totalement fermés et appliquent un contrôle strict des visiteurs, d’autres disposent de grilles qui peuvent rester en partie ouvertes, la barrière constituant seulement un élément sécuritaire dissuasif. Il n’est pas rare également, au sein de ces quartiers, de voir des ensembles delogements(privada, cerrada, ou condominio) qui, dans des cours ou impasses fermées, disposent d’un fonctionnement propre. Chaque ensemble possède alors son portail-interphone, son représentant, son groupe WhatsApp, et ses parties communes (Ribardière et Valette,2021). La situation estglobalementsimilaire en Inde ou en Turquie oùla doctrine du «safety first»prévautdans la plupart des projets d’immobilier résidentiel: les résidences sont fermées etgardées 24/24 par un vigile et des caméra de surveillanceet accueillent, dans bien des cas, de nombreux de services et d’infrastructures (écoles, restaurants, commerces, etc.) (Berrou et al.,2019).
Pour les promoteurs, ces programmes résidentiels fermés sont des produits immobiliers particulièrement attractifs. La demande des ménages est forte: à Johannesburg, 72 % des habitants interviewés considèrent la sécurité comme le principal critère ayant guidé leur choix dans le processus d’acquisition de leur logement et, plus largement, dans la définition de leur stratégie résidentielle(Lévy,2018). En outre, la construction de résidences fermées se fond particulièrement bien dans la stratégie des promoteurs,évoquée ci-avant,de réduction des coûts et d’uniformisation et de réplicabilité des opérations. La clôture des projets par des murs périphériques pour des raisons de sécurité permet notamment de couper les ensembles résidentiels de leur environnement extérieur, justifiant ainsi d’autant mieux la pratique de reproduire à l’identique ces opérations d’un site à l’autre.
Si la création des résidences fermées tente de répondre à une demande sécuritaire de la population, cette réponse technique apparaît toutefois insuffisante et parfois contre-productive. La raison est simple: la faible fréquentation des espaces publics, la faible qualité des voiries (manque d’éclairage notamment) et le manque d’interaction entre espaces privés et espaces publics rendent paradoxalement ces quartiers vulnérables aux cambriolages et aux crimes.
3.3.2. Une quête d’un entre-soi sécurisant
Dans le contexte très inégalitaire des pays à revenu intermédiaire, les complexes immobiliers moyen de gamme, rendus attractifs par leurs prix et leurs aménagements sécuritaires, véhiculent en outre une forte dimension symbolique et identitaire pour des ménages primo-accédants en quête de reconnaissance et de promotion sociale.L’accession à la propriété dans ces programmes immobiliers
excentrés joue, dans la même veine, un rôle non négligeable dans la fabrique d’une conscience de classe (Berrou et al.,2019).Les professionnels de l’immobilier, bien conscients de la place de la propriété immobilière dans les imaginaires collectifs et de la valeur performative de leurs discours, usent et abusent régulièrement de cette dimension dans leurs stratégies de vente et leurs campagnes de communication (Capron 2006).
C’est le cas en Afrique du Sudoùlelogement des classes moyennes est devenu un produit marketing intitulé «lock-up-and-go ». Cette formule, difficilement traduisible en français, promet et vend aux futurs acquéreurs la sérénité d’un quotidien encadré, facilité et sécurisé. De l’accès au crédit à la gestion quotidienne des copropriétéset à la sécurité, c’est un mode de vie «clé en main», basé sur un entre-soi assumé, qui est proposé. Dans la construction de ces modes de vie et d’habiter, les règlements de copropriété (body corporateen Afrique du Sud, ouley condominialen Amérique latine) jouentun rôle essentielen organisant le fonctionnement technique et social des communautés, et en guidant les comportements de leurs habitants (Degoutin 2008). Ces règlements sont élaborés et appliqués par des syndics professionnels qui, en se portant garants du respect de règles communes, assument une mission de contrôle social (Le Goix 2003). La construction d’un univers normatif interne aux copropriétés contribue alors activement aux dynamiques de ségrégation qui se construisent, dans età travers ces ensembles immobiliers,sur des baseséconomiques, mais également ethniques, religieusesou de caste comme c’est le cas en Inde. Autrement dit, si la généralisation de l’accession à la propriété individuelle contribue à l’ascension sociale d’une partie des ménages des classes moyennes, la multiplication des complexes résidentiels fermés semble souvent avoir tendance à préserver, voire à renforcer,les logiques de séparation entre groupes sociaux.
La massification de la production de logements accessibles dans les pays à revenu intermédiaire repose ainsi sur plusieurs tendances. Si lespolitiques du logement abordable se matérialisent pardes formes d’habitat individuel ou collectif assez différenciées, il ressort de ce panorama qu’elles impliquent bien souvent des pratiques standardiséeschez les opérateursimmobiliers,notamment en termes de stratégies de localisation et de programmation, pour répondre tant à des impératifs économiques et financiers, qu’aux nouvelles attentes socialement construites de classes moyennes en pleine mutation, par exemple en termes de confort et de sécurité. Néanmoins, ces tendances conduisent à s’interroger sur la durabilité et l’avenir de ces ensembles immobiliers abordables construits rapidement et à moindre coût. Leurs impacts économiques, sociaux et environnementaux à long terme demeurent à ce jour très incertains.