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ÉDITO
JULES DEÏE, PRÉSIDENT DU PARC AMAZONIEN DE GUYANE
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Le Parc amazonien de Guyane a été créé en 2007, comme le Parc national de La Réunion. D’une surface de 3,4 millions d’hectares, il couvre la partie sud de la Guyane (40 % de sa surface) et il est le plus grand des parcs nationaux français, et même européens, et plus grand que la Belgique. Il comprend une zone de cœur de 2 millions d’hectares et une zone d’adhésion de 1,4 million d’hectares, répartie sur seulement quatre communes, elles-mêmes aux dimensions hors normes.
Sa création a été précédée d’une longue gestation, pendant plus de 10 ans, et la loi de 2006 (loi Giran) qui a réformé les parcs nationaux l’a doté de missions particulières, ciblant, au-delà de la préservation de l’écosystème amazonien si spécifique, la préservation des cultures et modes de vie des « communautés tirant traditionnellement leurs moyens de subsistance de la forêt », et le développement local durable.
Notre référence permanente est la charte du parc, qui en réalité est un projet de territoire partagé entre le parc national et les communes qui y ont adhéré, ajoutant ainsi leur territoire hors cœur de parc à la zone d’adhésion, où le développement durable est le principal enjeu sur ces communes isolées géographiquement, en l’absence de réseau routier les raccordant au littoral de la Guyane.
Mais quel développement souhaite-t-on sur ces territoires, fortement marqués par une forte croissance démographique, des besoins en services de base à la population toujours très forts ? De nombreux besoins ne concernent pas les compétences du parc national, qui toutefois ne s’interdit pas d’expérimenter et d’innover dans des domaines qui ne sont pas son cœur de métier, mais pourtant bien en lien avec la nécessité de conserver durablement une relation Homme/Nature toujours très forte, en forêt, sur les fleuves et les criques. La chasse, la pêche, l’agriculture sur abattis brûlis font l’objet de droits d’usage qui ont été conservés et même confortés à la création du parc national, quoi qu’en dise certains de nos détracteurs.
Mais ces pratiques intéressent de moins en moins les jeunes, à l’interface entre leur culture d’origine, amérindienne ou bushinenge, et le monde moderne, celui du smartphone et de l’internet – permettant l’ouverture au reste du monde, mais aussi à ses excès – et le besoin de disposer d’un revenu. De nombreux jeunes partent ainsi de leur village pour être scolarisés au collège dans le bourg voisin, en internat ou maison d’accueil, ou au lycée sur le littoral, encore plus loin des leurs. Tous ne parviennent pas à conjuguer les paradoxes de cette double culture et perdent le goût à la vie. Les épidémies de suicides de jeunes se succèdent d’une année sur l’autre sur les hauts bassins.
Alors comment magnifier cette nature exceptionnelle, cette biodiversité foisonnante, cette richesse des cultures des populations Wayana, Teko, Wayampi et Aluku, et en même temps satisfaire les attentes des populations, des anciens et des jeunes ? Donner cette ligne d’horizon est un défi immense, et ne concerne pas que le Parc amazonien, mais aussi les services de l’État, les collectivités, les associations, et la chefferie coutumière.
Il est vrai que les équipes du parc national sont bien implantées sur le territoire, avec des équipes, en grande partie recrutées sur le territoire, présentes dans tous les secteurs habités du parc. Cela incite les habitants à croire que le parc peut « tout » faire et résoudre des questions dont il n’a pas compétence, et doit sans doute s’interdire de s’autosaisir. À titre d’exemple : la gestion des déchets. Entre la communauté de communes dont le siège est situé sur le littoral, couvrant la moitié de la Guyane, les éco-organismes qui restent bien à l’écart de ce territoire éloigné et isolé, le communes dont les maires s’inquiètent à juste titre de la salubrité des villages et écarts… le parc national joue un rôle d’animateur pour trouver des petites solutions de court terme, réduire le volumes des déchets, aider au réemploi des matières recyclables, faciliter parfois l’évacuation des sacs jaunes sur les rares localités où le tri a été expérimenté.
Les partenaires institutionnels nous sollicitent également beaucoup, dans le domaine de la santé, de l’éducation, et bien entendu sur toutes les microfilières pouvant concourir au développement d’activités. Écotourisme, artisanat, métiers de la construction, métiers de l’animation et de la médiation, filières bois et agriculture, etc. Les bonnes idées et les besoins ne manquent pas. Mais bien souvent, les solutions pragmatiques sont empêchées par les formats et modèles des outils classiques des politiques de développement, inadaptés pour un territoire comme le sud Guyane.
Pour illustrer encore le positionnement atypique d’un parc national, le Parc amazonien de Guyane a entrepris la promotion de la création d’une Coopérative d’activité et d’emploi, qui aujourd’hui existe et se développe sous un statut de société coopérative d’intérêt collectif (SCIC). Constatant que de nombreux jeunes initialement en échec scolaire suivaient ensuite des formations professionnelles mais ne pouvaient en vivre faute d’entreprises présentes sur le territoire susceptibles de les embaucher, constatant en outre la terrible difficulté à créer eux-mêmes les entreprises, le parc a mis en place, avec l’aide de l’État, cette coopérative multimétiers qui se charge de la gestion administrative de chaque entrepreneur associé. On voit qu’on est là très loin de l’activité classique d’un parc national.
Il ne faudrait pas oublier toutefois le cœur de métier : la préservation des habitats naturels et de la biodiversité. Hélas, un fléau s’est développé en Guyane depuis plus de 20 ans : l’orpaillage illégal. Déforestation, pollutions de cours d’eau, pollution au mercure, insécurité, y compris en cœur de parc national. Au dernier recensement en janvier 2022, 119 chantiers illégaux actifs étaient recensés sur le périmètre du parc national. Les 20 inspecteurs de l’environnement du Parc amazonien sont associés au dispositif Harpie coordonné par l’État. Mais la logistique des garimpeiros est très efficace, s’appuyant sur les frontières poreuses avec le Brésil et le Suriname, rendant extrêmement résiliente la pression des orpailleurs illégaux, malgré les bilans impressionnants de destruction des sites illégaux.
Comment s’en sortir à terme : sans doute par la voie diplomatique pour développer une coopération efficace avec nos deux pays voisins, et développer une traçabilité de l’or permettant d’assainir un marché mondial débridé, aspirant l’or de toute provenance pour finir en lingots dans nos banques d’État, ou dans la joaillerie, en passant par quelques pays acheteurs peu scrupuleux. Mais le bois tropical a bien fini par pouvoir être écocertifié. Un jour ce sera l’or également, sans mercure, sans pollution de l’eau et de la chaîne alimentaire, et sans déforestation.
Dans tous les cas, si le court terme nous anime au quotidien, les perspectives de plus long terme donnent du sens à nos effort d’aujourd’hui. Le Parc amazonien fête ses 15 ans cette année. Anticiper l’avenir, sensibiliser les jeunes, les inciter à rester « au pays » dans ce sud Guyane si attachant, anticiper si on le peut les effets des changements climatiques, enrayer le pillage de la forêt par les orpailleurs clandestins, et concilier développement local et préservation des patrimoines naturels et culturels, voilà où nous plaçons notre énergie, pour aujourd’hui, et pour les générations à venir.