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Nouvelle-Calédonie

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« LE MEILLEUR SCIENTIFIQUE EST CELUI QUI OBSERVE »

À l’Île des Pins, en Nouvelle-Calédonie, Guillaume Vama a été le premier à promouvoir l’agroforesterie. Le jeune kanak de 29 ans, à la tête de l’association Agir NC, accompagne des agriculteurs de tout le Pacifique dans leur transition vers une agriculture alliant respect de l’environnement et développement personnel.

INTERVIEW

GUILLAUME VAMA, PRÉSIDENT ET COFONDATEUR DE L'ASSOCIATION AGIR NC

Guillaume Vama

• Vous êtes le premier à avoir privilégié l’agroforesterie comme mode d’exploitation à l’Île des Pins. Quand avez-vous commencé et pourquoi ?

J’ai commencé il y a quatre ou cinq ans, j’ai choisi l’agroforesterie car j’ai pris conscience qu’il fallait changer les méthodes de production pour se tourner vers des valeurs plus humaines et plus respectueuses de l’environnement. J’ai créé le projet Tradtech, diminutif de tradition et de technologie, et j’ai développé un système de culture et d’élevage qui prend en compte la nature, le cycle entre le carbone, le sol et l’aérien. Je suis toujours à la recherche d’investisseurs privés afin de pouvoir développer davantage l’agroforesterie en Calédonie.

• Quelles différences y a-t-il avec une exploitation traditionnelle ?

En agroforesterie, le design de chaque exploitation évolue selon l’espace, le lieu ou les sols. On crée des lignes de plantations où on insère des arbres, du manioc, des arbustes, un ensemble qui évolue en symbiose pour créer une petite forêt.
On peut également y ajouter une valeur économique en plantant du santal, pour produire des huiles essentielles, de la vanille, du cacao… Mais cette technique d’exploitation permet aussi de remettre l’humain au centre du projet, c’est lui le capitaine du bateau. Il faut que l’agriculteur soit satisfait, mature et sage. Tout cela se gagne avec de l’expérience, pas avec un diplôme. C’est le temps et le développement personnel qui mènent à la réussite.
Exploitation agricole de Guillaume Vama.
© Weregnia

• Comment accompagnez-vous les agriculteurs qui souhaitent se tourner vers l’agroforesterie ?

Je les accompagne pour que leur projet s’inscrive dans le développement durable et cela passe par une partie plus technique : l’analyse des sols. On ne fait pas la même agriculture que l’on soit sur un sol chargé en métaux lourds, en argile ou en bord de mer. Aujourd’hui on évolue dans un système qui ne prend pas suffisamment en compte la nature. Pourtant, le meilleur scientifique est celui qui observe, les plantations ne sont pas là par hasard. Quand je fais mes formations, je dis souvent qu’il ne faut pas perdre du temps avec des choses qui ne fonctionnent pas. Il faut regarder ce que l’on a autour de soi.

• Vous dites que c’est un projet clanique, un projet individuel qui vit dans une communauté. Pourquoi ?

L’agroforesterie repose sur des valeurs sociales car on apporte du bonheur, on crée de l’échange et du dialogue. C’est une façon de pousser les jeunes à s’intéresser à leurs terres. C’est un bon équilibre pour la jeunesse kanak qui s’identifie dans ces valeurs traditionnelles de valorisation de la terre. L’agroforesterie repose sur un triple capital : social, économique et agronomique. On valorise l’humain puisqu’on cultive des produits ayant un intérêt nutritif et positif pour le corps, mais on valorise aussi la terre car on favorise la régénération des sols et la biomasse.

TÉMOIGNAGE

HENRI POAGNIDÉ, CHARGÉ DE DÉVELOPPEMENT DANS L’ASSOCIATION NKAT (NAPÔ KÈJÊ AMÛ TÊNYÈ) - Qui signifie « Notre pays » en langues kanak paicî et cèmuhî.

Henri Poagnidé
Depuis qu’on travaille avec Guillaume Vama, on a mis en place les méthodes d’agroforesterie dans cinq champs à Poindimié, un à Koné et un à Poya. Depuis 2019, on a organisé deux formations chaque année avec une trentaine de participants. La toute première a même réunie 75 personnes. L’enjeu est de permettre aux agriculteurs d’être autonomes et de pouvoir se nourrir tout en se passant de certains produits qui sont de plus en plus chers dans le commerce.
En Nouvelle-Calédonie, les habitants cultivent depuis toujours, ils savent le faire. Nous, on les forme pour développer des microprojets autour de quatre thématiques : la vanille, le cacao, le café ou les ruches. Les agriculteurs peuvent intégrer ces cultures à leur champ en créant un écosystème grâce à l’agroforesterie. On apporte un petit plus à ce qu’ils ont toujours fait.
Les anciens chez nous disaient « la terre est notre mère nourricière », l’humain dépend de la nature car elle nous donne de quoi vivre. Si on l’abîme, on s’abîme avec elle.
Henri Poagnidé, ferveur défenseur de l’agroforesterie locale.

Rédaction et interview : Marion Durand

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