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Polynésie française

L’ASSOCIATION MANU AU CHEVET DES OISEAUX MENACÉS

Créée en 1990, la Société d’Ornithologie de Polynésie « Manu » contribue à protéger les oiseaux sauvages du Fenua et à préserver leurs habitats. L’association et ses huit employés parcourent les cinq archipels polynésiens afin d’étudier et sauver les espèces menacées.

INTERVIEW

THOMAS GHESTEMME, DIRECTEUR DE LA SOCIÉTÉ D’ORNITHOLOGIE DE POLYNÉSIE (SOP « MANU»)

Thomas Ghestemme lors du baguage d’un jeune monarque de Fatu Hiva.
© R. Luta
• Quelles sont les espèces en danger et pour quelle(s) raison(s) sont-elles menacées ?

- La Société d’Ornithologie de Polynésie - Manu œuvre pour la protection et l’étude des oiseaux de Polynésie française. Son but est de maîtriser l’impact des menaces pour éviter l’extinction de l’une des 32 espèces d’oiseaux menacés du Fenua, dont 10 sont en danger critique d’extinction selon l’UICN. Les effectifs des espèces les plus menacées sont dangereusement bas : il ne reste que 18 individus pour le monarque de Fatu Hiva, 150 pour le monarque de Tahiti ou pour le martin-chasseur de Niau, 160 pour le ptilope de Rapa.

Arrivée des ornithologues sur l’île de Mohotani aux Marquises.
© SOP - Manu

Dans la plupart des cas, ces oiseaux sont menacés par les espèces introduites envahissantes mais la disparition des habitats, les maladies et la consanguinité sont également à considérer. Il est regrettable que nos moyens permettent uniquement de mener des actions sur les oiseaux les plus menacés, en effet les espèces possédant quelques centaines d’individus ou de couples ne font l’objet d’aucune mesure.

• Dans quelle mesure les espèces exotiques envahissantes mettent-elles en danger les oiseaux ?

- C’est très clair : les espèces introduites envahissantes, aussi bien les rongeurs que des oiseaux nuisibles, des fourmis ou des pestes végétales, sont aujourd’hui le principal facteur qui impacte les oiseaux endémiques de Polynésie française. Les actions de lutte constituent la majeure partie de nos activités : campagnes d’arrachage de pestes végétales, biosécurité contre les espèces envahissantes, contrôle des prédateurs introduits, éradication complète des nuisibles.

Opération d’arrachage de la plante exotique envahissante Miconia calvescens, nommée « cancer vert » en Polynésie.
© SOP - Manu
• Comment restaurez-vous les habitats ?

- Il y a la restauration d’îles entières en éradiquant complètement les espèces envahissantes comme les rats. Nous travaillons avec des spécialistes comme Island Conservation et BirdLife International pour mener ces actions complexes nécessitant parfois des années de préparation. En 2015, nous avons ainsi mené une opération simultanée sur trois atolls et trois îlots avec des épandages par hélicoptère. Nous réalisons également des éradications à la main ou grâce à un drone qui répand le raticide. Depuis 2014, nous éradiquons les colonies de petite fourmi de feu ou fourmi électrique, l’une des pires espèces envahissantes de fourmis à Tahiti. Enfin, nos principales actions de restauration de l’habitat se déroulent à Tahiti pour améliorer le statut du monarque, dont l’habitat est composé à 90 % de pestes végétales ! Cela consiste à couper ou arracher ces plantes introduites et à planter ensuite des arbres endémiques. Nous avons ainsi planté 4 000 arbres endémiques en 10 ans.

Jeune monarque de Tahiti, une espèce en danger critique d’extinction.
© Alain Petit
Le monarque de Fatu Hiva (ici un jeune adulte) ne compte plus que quatre couples reproducteurs.
© Benjamin Ignace
• Quels projets pour cette nouvelle année ?

- Ils sont nombreux car la conservation des espèces se déroule le plus souvent sur le long terme. Un des principaux projets est la sauvegarde du puffin de Rapa – espèce récemment séparée du puffin de Newell – qui est devenue une espèce endémique d’oiseau marin et dont il reste seulement une cinquantaine de couples. Il s’agit d’éradiquer les rats des îlots et de contrôler le goyavier de Chine, un arbuste envahissant qui empêche les oiseaux de creuser leurs terriers pour la reproduction. L’autre projet majeur est la sauvegarde du monarque de Fatu Hiva qui ne possède plus que quatre couples reproducteurs... Pour tenter de sauver l’espèce de l’extinction définitive, nous essayons de l’élever en captivité à partir d’œufs prélevés dans la nature.

Vue panoramique sur Rapa, une île des Australes extrêmement éloignée, accessible après 36 heures de bateau depuis Tubuai, qui est l’île la plus peuplée des Australes, elle-même à 640 kilomètres au sud de Tahiti.
© SOP - Manu
Une mission de cinq semaines a pris fin le 22 décembre 2023 sur deux motus inhabités de Rapa, afin d’y éliminer les rats et de protéger les colonies d’oiseaux marins.
© SOP - Manu
En amont de la mission, des chemins parallèles ont été tracés tous les 20 mètres dans le relief escarpé des deux motus. Ici Poquelin Usa’ng de la Société d’Ornithologie de Polynésie (à droite) accompagné d’un membre de l’association Raumatariki Rapa.
© SOP - Manu
Épandage de raticide.
© SOP - Manu
Le puffin de Rapa, surnommé « kaki kaki », est endémique de l’île et en danger critique d’extinction.
© SOP - Manu
Rédaction et interview : Marion Durand
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