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Office français de la biodiversité (OFB)

UN PROJET EXPÉRIMENTAL POUR ÉRADIQUER LA FOURMI FOLLE JAUNE EN POLYNÉSIE FRANÇAISE

L’association Tetiaroa Society, lauréate de l’appel à projets MobBiodiv’ lancé par l’OFB en 2021, mène un projet d’éradication de l’une des 100 espèces exotiques envahissantes les plus problématiques pour la biodiversité au niveau mondial 1 : la fourmi folle jaune. S’il s’avère satisfaisant, le protocole expérimental testé pourrait à terme être répliqué sur d’autres territoires.

La fourmi folle jaune (Anoplolepis gracilipes), appelée ainsi en raison de ses mouvements a priori désordonnés et imprévisibles, est un insecte originaire d’Afrique et d’Asie. Elle a été introduite sur une trentaine d’îles de Polynésie française, dont l’atoll de Tetiaroa en 2007. Capable d’atteindre des densités très importantes et de créer des « super-colonies », cette espèce peut fortement perturber les écosystèmes insulaires.

À Tetiaroa, un fort impact négatif a été constaté sur les populations d’invertébrés et notamment sur plusieurs espèces de crabes, mais aussi sur les oiseaux nichant au sol, comme le noddi brun.

La fourmi folle jaune n’étant pas encore répandue à forte densité sur tous les motus de Tetiaroa, une opération de contrôle semblait importante compte tenu des enjeux écologiques. Tetiaroa Society a donc lancé un projet expérimental de trois ans en partenariat avec l’IRD pour préserver durablement les écosystèmes de l’atoll. Ce projet a bénéficié de l’un des plus importants financements de l’OFB pour la biodiversité de Polynésie française.

Fourmis folles jaunes photographiées dans l’hydrogel.
© OFB

LE PROTOCOLE DE TRAITEMENT MENÉ SUR LE TERRAIN

Les premières étapes du projet, réalisées en 2022, ont consisté à cartographier précisément la répartition de la fourmi invasive sur l’ensemble de l’atoll, ainsi qu’à valider la méthode d’éradication par traitement chimique sur un motu de taille réduite (A’ie).

Le motu A’ie, premier terrain d’éradication de la fourmi folle jaune en Polynésie française.
© OFB

À ce jour, la fourmi folle jaune semble bel et bien éradiquée du motu A’ie, un résultat qui ne pourra être confirmé qu’à l’issue du suivi post-traitement fin 2024. En parallèle, les équipes constatent une reconquête encourageante de la faune locale : la nidification au sol des noddis bruns semble en augmentation, tout comme la densité des crabes.

Forts de ce premier succès, des bénévoles encadrés par Tetiaroa Society ont entrepris un traitement à grande échelle sur tous les motus colonisés. En 2023, trois sessions de traitement ont ainsi été menées sur une surface totale de 60 hectares, hors A’ie.

Lors de chaque nouvelle journée d’intervention, nos « hyménoptères fous » font face à des équipes déterminées et motivées, chargées de : préparer le produit de traitement, transporter 30 à 40 lourds seaux en bateau jusqu’aux motus, se frayer un chemin dans la végétation dense pour épandre à la main de manière méticuleuse le produit sur la surface à traiter, délimitée par des quadrats correspondant chacun à 10 kg d’appâts. Un protocole étayé et rigoureux qui a été approuvé par la communauté scientifique telle que la Pacific Invasive Ant Toolkit, des spécialistes de traitements chimiques et d’éradication d’espèces exotiques envahissantes.

Des œufs de noddis bruns. Ces oiseaux nichant au sol sont menacés par la fourmi folle jaune, qui asperge ses victimes d’acide formique.
© OFB

Initialement, le traitement pressenti pour ce projet était l’AntOff, un produit à base de Fipronil et de protéines. Seulement voilà, cet appât protéiné ne se serait pas contenté d’attirer les fourmis, mais aurait aussi pu impacter d’autres espèces comme les crabes.

C’est pourquoi l’association s’est tournée vers une préparation à base de sucre, d’eau, de cristaux d’hydrogel et de Fipronil. Le principe actif reste donc le Fipronil, un insecticide utilisé dans les antiparasitaires vétérinaires, mais la nature sucrée de l’appât et l’appétence des fourmis pour les cristaux d’hydrogel permettent de mieux cibler l’espèce invasive.

Un suivi de la persistance du principe actif et des cristaux d’hydrogel (dérivé du plastique) dans l’environnement a été envisagé, mais les doses employées sont trop faibles pour être détectables.

L’équipe de Tetiaroa Society réalise un épandage de l’appât au Fipronil sur le motu Horoatera de l’atoll de Tetiaroa, pour protéger les populations et habitats d’espèces natives.
© OFB

DES SUIVIS SCIENTIFIQUES ET UN RENFORT DE LA BIOSÉCURITÉ

En parallèle des épandages, des suivis scientifiques sont assurés pour connaître l’évolution des colonies de fourmis folles jaunes. D’autres études évaluent l’impact du traitement et de l’éradication des fourmis sur la faune, notamment l’évolution des communautés d’invertébrés, principalement les crabes. L’évolution de la structure de la végétation et les populations d’oiseaux sont, elles aussi, étudiées.

Les suivis se poursuivront jusqu’à fin 2024 et déboucheront sur la publication de plusieurs articles scientifiques. Ces données fiables permettront ainsi, peut-être, de répliquer la méthode sur d’autres atolls voire d’autres territoires. À noter qu’en France, la fourmi folle jaune est également installée en NouvelleCalédonie et à La Réunion.

Enfin, paramètre essentiel pour prévenir de nouvelles invasions biologiques, Tetiaroa Society mène des campagnes de renforcement des mesures de biosécurité. Le risque principal se situe au niveau du seul motu possédant un hôtel. Des interventions de sensibilisation sont réalisées à destination du personnel de l’hôtel qui vit sur place et serait susceptible d’importer des fourmis dans des pots de terre par exemple. Les clients de l’hôtel sont également conviés aux conférences, un public parfois plus difficile à mobiliser…

Rédaction : Romy Loublier
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