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Édito

PAR ALI MADI, PRÉSIDENT DE LA FÉDÉRATION MAHORAISE DES ASSOCIATIONS ENVIRONNEMENTALES (FMAE) - CPIE MAORE

Ali Madi
© DR

Le samedi 14 décembre, alors que Chido s’abattait sur Mayotte, j’étais à La Réunion. J’y énonçais un discours pour les 40 ans du Conseil de la culture, de l’éducation et de l’environnement (CCEE) de La Réunion, en tant que vice-président du CCEE de Mayotte. Malgré l’honneur de prendre la parole devant mes amis réunionnais, mon cœur était à « Maoré ».

Chido n’est pas un cyclone comme les autres, mais, comme l’attestent les météorologues, un cyclone tropical intense tel que Mayotte n’en avait plus connu depuis 90 ans. Le souvenir qui s’en approche le plus dans la mémoire des Mahorais remonte à l’année de mes huit ans, 1984, lorsque Kamisy avait frappé notre île de plein fouet.

Dès le 15 décembre, avec mes collègues de la Délégation de Mayotte à La Réunion et d’autres structures, nous organisions les premiers circuits logistiques permettant d’acheminer des aides d’urgence sur l’île. Je me suis envolé vers Mayotte le 18. Dès mon arrivée, cela a été un cauchemar. Plusieurs de mes proches restaient injoignables, nous ne savions rien d’eux.

Avant d’arriver à destination, je ne pouvais que m’imaginer les choses. Sur place, je n’ai presque rien reconnu. Près de l’aéroport, il n’y avait plus l’immense baobab accolé depuis toujours au cimetière, tout avait été détruit, à commencer par la tour de contrôle. Mon fils a prononcé cette phrase : « Papa, ça ressemble à la Palestine ». Partout, des bombes semblaient avoir éclaté, mon île ressemblait à un pays en guerre.

Après Kamisy, c’était différent, car en 1984, nous avions des habitations et un cadre de vie mieux adaptés, et les nombreux espaces arborés amortissaient les vents. Les noix de coco, alors en abondance, avaient étanché la soif et nourri la population pendant les premières semaines post-cyclone. Aujourd’hui, on trouve de moins en moins de manguiers, d’arbres à pain ou de cocotiers à Mayotte. Les jours qui ont suivi Chido, les habitants ont eu faim et ont eu peur de la famine. Quand j’ai vu tous ces amas de tôles jonchés au sol sur les pentes de Kawéni et ailleurs, ces bangas effondrés, ces matelas éventrés, ces panneaux solaires brisés, ces arbres déracinés, cela formait dans le paysage d’étranges amas très colorés : rouge, vert, bleu, jaune, or, marron... Depuis, mon esprit rejette en quelque sorte les couleurs, comme s’il les avait associées au malheur et à toutes ces vies perdues.

Très vite, psychologiquement, j’ai eu besoin d’aller chercher mes outils, ma tronçonneuse, d’enfiler mes gants. Il fallait venir en aide aux gens. Comme beaucoup d’autres, j’ai acheté à la pharmacie des médicaments, à la boutique des denrées alimentaires, pour aider, me sentir dans la compassion et le partage, dans la « musada » si chère à notre culture, et qui signifie « entraide » en shimaoré.

MAYOTTE, BLESSÉE MAIS DEBOUT

Vous savez, les Mahorais ont en eux une singulière capacité de résilience. Après l’état de choc, c’est une force positive et combattante qui les a animés. Les Mahorais, historiquement, ont subi bon nombre de catastrophes, des razzias perpétrées par des guerriers venus de Madagascar en pirogue, etc. Forts de leur tempérament déterminé et de leur force collective, ils ont rapidement pu trouver les ressources et l’organisation nécessaires. En fait, nous avons renoué avec notre esprit communautaire. Je salue ici le courage, le dévouement de tous les bénévoles qui œuvrent sans relâche sur le terrain, dans les jours qui ont suivi Chido, au plus près des plus démunis.

LA COOPÉRATION RÉGIONALE

Cette « calamité naturelle » renforce l’une de mes réflexions. Je pense qu’il est plus que jamais nécessaire de coopérer avec les pays voisins – Madagascar, l’Afrique de l’Est et du Sud – de façon à favoriser un acheminement plus rapide des aides. Il nous faut réussir à structurer des réseaux solides. Si Mayotte investissait par exemple dans l’agriculture à Madagascar, nous pourrions bénéficier d’une meilleure autonomie alimentaire en cas de catastrophe naturelle. Cette coopération régionale que j’appelle de mes vœux ne s’arrêterait pas au domaine alimentaire : il conviendrait d’étendre entre tous ces pays et Mayotte les flux migratoires de connaissances et de compétences pour mieux s’adapter à ces phénomènes climatiques. Dans notre région, le peuple malgache, notamment, a une forte expérience des cyclones qui le conduit, par exemple, à disposer sur les toits en tôle de lourds sacs de sable afin d’éviter qu’ils ne s’envolent... Les méthodes employées sont multiples et les apports réciproques entre nos pays devraient, je crois, l’être également.

La faune a également été rudement touchée par Chido, à l’image des makis de Mayotte et des roussettes, des pollinisateurs essentiels à la reproduction de nombreuses plantes.
© Stéphanie Castre

LES CRAINTES DES AGRICULTEURS

En tant qu’apiculteu mahorais, j’ai perdu avec Chido 90 % de mes ruches. Et je ne suis qu’un exemple parmi tant d’autres. La FMAE-CPIE Maore réunit 32 associations adhérentes et une soixantaine de structures qui gravitent dans tous les villages de l’île. Après Chido, nous avons réuni nos agriculteurs, qui nous disent avoir quasiment tout perdu. De plus, des forêts entières ont été mises à nu par le cyclone. Or, dans ces zones protégées devenues vierges, sans couvert végétal, les agriculteurs craignent que des individus ne s’accaparent les terres illégalement pour y faire pousser des cultures. Ils redoutent aussi une aggravation des pénuries d’eau à Mayotte, l’eau de pluie n’étant plus retenue par les systèmes racinaires des arbres. Je pense que l’urgence est de replanter au plus vite dans ces espaces forestiers ravagés par Chido. Sinon, la terre va continuer de ruisseler jusqu’au lagon...

Nous appelons ainsi les autorités à travailler sur un plan pluriannuel de reconquête de ces espaces forestiers sur la base des documents déja existants, comme le Shéma Départemental des Espaces Naturels Sensibles, le Schéma d’Entretien et de Restauration des Rivières à enjeux à Mayotte ou le pacte des acteurs de l’environnement, à finaliser. Nous pourrions copiloter la logistique de ce plan, mettre en réseau des pépiniéristes locaux, etc.

UN BESOIN URGENT D’INGÉNIERIE

Je viens de participer à une réunion en distanciel avec un réseau d’agriculteurs des Antilles, qui nous a fait part de retours d’expériences à la suite d’Irma. Quelle ingénierie ont-ils développée, quelle méthodologie ? L’accent a été mis sur des aspects pratiques, facilement reproductibles. Par exemple, dès les premiers jours après Irma, nos confrères antillais se sont aperçus que les espèces exotiques envahissantes (EEE) prenaient le dessus sur la flore indigène et endémique. Or, si les EEE sont arrachées d’un coup, on met la terre à nu. C’est pourquoi un plan de contrôle doit être planifié sur quatre à cinq ans. La réunion a aussi mis l’accent sur l’impossibilité de tout sauver – il faut l’accepter – et l’importance de focaliser notre attention sur des plantes à enjeux, que nous allons recenser. Par ailleurs, nous serons surpris de voir que certains arbres indigènes, que l’on croit détruits, vont se régénérer... Autant d’expériences fructueuses pour nous à Mayotte.

Pour conclure, les associations environnementales de Mayotte sont prêtes à donner beaucoup d’elles-mêmes pour la reconstruction de l’île. Mais nous manquons d’ingénierie. Nous avons besoin de monter en compétence rapidement. Nous avons besoin de personnes qui nous aident à monter des projets soutenus par l’Europe. En cela, je crois beaucoup à la constitution de groupes de travail Réunion-Mayotte pour nous aider à nous relever de tels événements climatiques extrêmes.

Ali Madi

FAIRE UN DON À LA FONDATION DE FRANCE pour venir en aide aux populations de Mayotte touchées par le cyclone Chido : LIEN ICI

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