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Cirad

UNE RÉVOLUTION DANS LA LUTTE CONTRE LES MALADIES TRANSMISES PAR LES MOUSTIQUES

MALADIES TRANSMISES PARMOUSTIQUES

Grâce à la technique de l’insecte stérile (TIS) renforcée, le Cirad et l’Institut de recherche pour le développement (IRD) s’attaquent à la reproduction du moustique tigre, afin de contribuer à endiguer les épidémies de dengue et chikungunya à La Réunion.

Depuis 2017, les épisodes de dengue sont récurrents à La Réunion, avec pour principaux vecteurs les espèces de moustiques Aedes albopictus et Aedes aegypti La méthode de lutte, jusqu’à présent utilisée en France, consiste à pulvériser de la deltaméthrine dans les zones où des cas de dengue sont déclarés. Cette méthode étant peu appréciée de la population pour son action insecticide sur d’autres espèces, une expérimentation de la TIS renforcée a été menée par le Cirad et l’IRD en 2021. Réalisée dans la commune de Saint-Joseph, alors particulièrement atteinte par la dengue, elle a permis la réduction de plus de 90 % des populations d’Aedes aegypti en trois mois. En Espagne, où des études ont été menées sur l’Aedes albopictus en parallèle, des taux de réduction de 50 à 95 % ont pu être observés.

© Antoine Franck / Cirad

LA TECHNIQUE DE L’INSECTE STÉRILE (TIS) RENFORCÉE, PORTEUSE D’ESPOIR

Actuellement testée dans 39 pays, la technique de l’insecte stérile est porteuse d’espoir pour la lutte contre le virus de la dengue. Cette arbovirose étant transmise par les femelles, la TIS permet de rendre celles-ci stériles par le biais des mâles.

© Marion Dailloux / Cirad

Singapour est aujourd’hui le premier pays planifiant une application de cette méthode de lutte à l’échelle de tout son territoire. Et La Réunion pourrait potentiellement lui emboîter le pas, avec le lancement dès cette année 2025 d’une seconde expérimentation de la TIS renforcée – 10 fois plus efficace que la TIS seule – toujours à Saint-Joseph, mais à plus grande échelle sur une zone de 200 hectares. Si ce nouvel essai, appelé OPTIS, est concluant, l’extension technique de la TIS renforcée devrait être réalisée par une entreprise sur l’île. Aux Antilles, où le virus de la dengue sévit également, un projet test de TIS est prévu en parallèle, porté par l’ARS Guadeloupe.

En 2021, les moustiques étaient produits et irradiés à l’étranger (en Autriche). Pour cette expérimentation de 2025, toute la production est réalisée à La Réunion, grâce au soutien financier du ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche.
© Jérémy Bouyer / Cirad

INTERVIEW

JÉRÉMY BOUYER, DIRECTEUR DE RECHERCHE, EXPERT EN LUTTE CONTRE LES VECTEURS, COORDINATEUR DU PROJET TIS RENFORCÉE AU CIRAD

Jérémy Bouyer
• Qu’est-ce que la TIS renforcée ?

- Elle consiste à relâcher, dans des zones précises, des moustiques mâles irradiés porteurs de mutations aléatoires et couverts d’un biocide appelé pyriproxyfène. Une double action est alors observée. D’une part, ces moustiques étant stériles, aucun individu viable n’est produit à la suite de l’accouplement. D’autre part, le biocide, transmis aux femelles lors de l’accouplement, est ramené dans les gîtes larvaires par celles-ci. Et la croissance des larves contaminées n’aboutit pas.

En pratique, il s’agit de poser des pièges nommés ovitraps – pièges à œufs en français – dans lesquels des femelles sauvages viennent pondre. Ces œufs sont collectés afin de constituer une souche locale. Après avoir vérifié que cette souche n’est pas porteuse de virus, elle est multipliée de façon exponentielle dans un insectarium. Puis, un robot sexeur sépare automatiquement les mâles des femelles. Un irradiateur vient alors stériliser les populations de mâles, qui sont ensuite relâchées au sol ou par des drones.

Les pièges à moustiques sont positionnés dans des zones stratégiques. En bout de processus, les lâchers de mâles stériles sont réalisés en petits effectifs par hectare, pour éviter un effet « essaim » qui pourrait inquiéter les habitants, bien que les mâles ne piquent pas.
© Jérémy Bouyer / Cirad
• Cette technique est-elle inoffensive pour les autres espèces d’insectes ?

- La TIS a l’avantage d’être une technique très spécifique, les mâles relâchés ne s’accouplant qu’avec les femelles de l’espèce cible. L’expérimentation comporte toutefois des opérations de suivi, afin de s’assurer que des espèces non cibles vivant dans les mêmes habitats larvaires ne soient pas impactées par les biocides dont sont couverts les mâles. C’est le cas des abeilles qui pourraient accidentellement récolter du biocide en buvant dans ces habitats.

Tous les trois mois, du miel, du pollen, des abeilles et de la cire d’abeille seront collectés dans des ruches sentinelles afin de vérifier qu’elles ne soient pas contaminées par du biocide, comme cela avait été fait à plus petite échelle lors de l’expérimentation de 2021.
© Marion Dailloux / Cirad
• Comment le projet est-il reçu par la population ?

- La municipalité de Saint-Joseph s’est montrée réceptive lors de la première phase d’expérimentation et a accompagné l’équipe projet dans la sensibilisation des habitants. La technique est ainsi bien acceptée. Ce projet ne pourrait être mené sans la confiance de la population et le soutien de la commune, qui a mis à disposition un local pour l’implantation d’un laboratoire. Ce projet doit aussi son existence au soutien stratégique et financier de la Région Région sur fonds FEDER, que nous remercions. Enfin, l’État apporte une aide précieuse à travers le financement de l’irradiateur.

Rédaction et interview : Axelle Dorville
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