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art contemporain - languedoc roussillon - octobre novembre dĂŠcembre 2015 - numĂŠro 39
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Sainte caméra, veillez sur nous. La Virreina / Centre de la Imatge, Barcelone
enchanté ! - Corinne Rondeau maxime boutin - Commande publique, Le Crès (34) ida tursic & wilfried mille - Commande publique, Agde (34) acturama - Carré d’Art, Nîmes - CRAC, Sète - La Panacée, Montpellier thomas wattebled - L’échoué lauréats 2015 - Bourse à la création - Région Languedoc-Roussillon olivier deprez - WREK, les cinématogravures a-chroniques - Benoist Bouvot silhouette - Dominique Rochet la dramatique vie de marie r. - Marie Reverdy i’m back - Laurent Goumarre addenda
offshore est édité par BMédiation 39 avenue Bouisson Bertrand 34090 Montpellier
Couverture : Dimitri Chamblas par Karim Zeriahen © offshore 2015
directeur de publication : Emmanuel Berard rédacteur en chef : Jean-Paul Guarino
ont collaboré à ce numéro : Benoist Bouvot, Laurent Goumarre, Marie Reverdy, Dominique Rochet, Corinne Rondeau
ISSN 1639-6855 dépôt légal : à parution impression : Atelier 6. St Clément de Rivière site : offshore-revue.fr tél. : 04 67 52 47 37 courriel : offshore@wanadoo.fr
crédits photographiques : Maxime Boutin, Olivier Deprez, Laurent Goumarre, Jean-Paul Guarino, Dominique Rochet, Laurent Uroz, Thomas Wattebled, Karim Zeriahen
vous pouvez recevoir chez vous les 3 prochains numéros d’offshore en envoyant vos coordonnées et un chèque de 10 € à BMédiation, 39 avenue Bouisson Bertrand 34090 Montpellier
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enchanté ! corinne rondeau Surprise. Il arrive qu'un étudiant n'en soit pas un, ce fût le cas lors d'une soutenance pour le DNSEP de l'École supérieure des beaux-arts d'Angers en juin dernier. Hélas il n'en va pas de même pour les pédagogues, comme dirait Satie : « Ne pleurons pas sur le sort – le hareng sort – de ces Messieurs pédagogues et Cie. Ils ont tous des bonnes places – très chaudes – pour asseoir leurs bons derrières. » Ainsi reçoivent-ils un coup de pied dans l'art de garder la place, quand le prétendant au diplôme est hors barème. Par chance, un tel coup déplace l'art vers celui d'être entre deux chaises, de l'avantage de mesurer les écarts entre toutes choses, mais toujours par paires. Paire de gants à la manière d'un infréquentable Arthur Cravan, poète et boxeur, « j'étais fou d'être boxeur en souriant à l'herbe ». Comme le dit Kafka, les choses de l'esprit viennent d'un point situé au milieu, pareil à un brin d'herbe qui croît par le milieu de la tige. De cet insondable, de ne reposer sur aucun sol, l'homme tient librement dans sa main le tour de la plume ou du gant. Homme libre de choisir ses écarts, devenir lui-même le milieu. Ce qu'il ne peut pas choisir, en revanche, c'est la longueur de la tige. Un étudiant donc, qui n'en était pas un, me rappela sous le terme de contre-performance qu'il n'est pas besoin de la dite performance artistique pour réfléchir à l'art afin de « quitter le navire avant qu'il ne flotte trop bien ». Thomas Wattebled, c'est son nom, a le sens de la faiblesse pure, c'est-à-dire de l'acte en puissance ou encore, si on n'aime pas Aristote et qu'on veut faire plus jeune qu'on est, de la suspension inéluctable. Il nomme cela le temps mort. Y a là les référents qu'il faut prendre au pied du mot mort, sans négliger les métaphores (temps arrêté, apnée, chute, hors-jeu, balle perdue), et du mot temps de ne pas saisir les corps après le coup de sifflet de l'engagement pavlovien. Ce n'est pas le temps mort contre le temps de la performance. Ce n'est pas la stratégie du néant contre celle des résultats d'entreprise, fut-elle sportive. Si tel est le cas, alors nous pouvons continuer à pleurer sur la bonne et la mauvaise fortune : la cause de la pauvreté de certains est le résultat de la productivité des autres. Bref il y a des vaincus et des vainqueurs, des plaintes et des crimes, un monde misérable tel qu'en lui-même que la doctrine de la lutte des classes de Marx n'a rien changé sinon de savoir désormais que c'est comme ça que ça tourne. Si cela n'est pas faux, ce serait oublier qu'il y a toujours une voie supplémentaire, celle que choisit un serpent qui ne se mord pas la queue. Comme autre digression pour arriver à faire bouger l'image du cercle infernal (car ce n'est qu'une image), il faudrait commencer par se demander en quoi le rêve motive la performance, par exemple, dribbler la moitié du terrain tous les adversaires et de marquer plein cadre, ce qui, comme on le sait, n'arrive jamais dans la réalité. Serait-ce dire que le temps mort ne rêve d'aucun rêve ? Un rêve sans but. Ce qui pourrait bien être la différence entre des rêves prosaïques qui appellent aux massifications rituelles du stade jusqu'à la rue, et des rêves qu'il faudrait appeler des visions qui laissent seul et sans voix : « J'avais plié mes 2 mètres dans l'auto où mes genoux avançaient deux mondes vitrés et j'apercevais sur les pavés qui répandaient leurs arcs-en-ciel les cartilages grenats croiser les biftecks verts ; les spécimens d'or frôler les arbres aux rayons irisés, les noyaux solaires des bipèdes arrêtés ; enfin, avec des franges rosés et des fesses aux paysages sentimentaux, les passants du sexe adoré et, de temps à autre, je voyais encore, parmi les chieurs enflammés, apparaître des phénix resplendissants. » La différence entre la poésie et le sport relève moins du rêve que du récit, tel celui de Cravan au moment de son départ pour l'Amérique. Récit possible seulement dans un temps mort, assis dans le taxi, et qui, à l'aide de mots, forme des images semblables à des rêves. Le temps mort est-il le moyen, et non le but, de transmettre une tradition – dont à l'évidence on n'a plus rien à faire ? Est-il l'autorité par laquelle on tente de gagner du temps comme une Pénélope ou une Schéhérazade, qui de nuit défont le tissage de la veille et jouent leur vie sur le fil du temps ? Le temps mort serait-il une façon de différer la mort – qui est toujours l'affaire d'un départ – par une suite d'aventures qui, de nuit comme de jour, ne cessent de s'entrelacer, jusqu'à atteindre le désir pur d'un récit qui s'éloigne de l'expérience vécue pour constituer un no man's land et non un ring de boxe où on attend le knock-out ? Une terre où personne ne s'est aventuré et qui pourrait bien être l'autre nom de la poésie. Lorsque Thomas Wattebled, dans sa série L'échoué, se photographie nuitamment, feux de détresse au bout des bras en croix, debout sur des ronds-points décorés d'embarcations (navrante imagination du 1%) il fait peut-être signe à la disparition de Cravan dans le Golfe du Mexique. Plus sûrement éprouve-t-il le geste d'un écart entre détresse et victoire. Ou comment l'étincelle de la mélancolie incendie le flambeau de la toute-puissance. Au tissage des héroïnes antiques succèdent les feux de détresse modernes, et quand bien même la durée d'un temps d'entrelacs s'oppose à l'instant furtif
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d'une flamme, reste toujours le récit entre deux choses. Le lieu du temps mort. Comme un rond-point qu'on prendrait en sens inverse. Possibilité qu'on ne s'accorde pas à cause de l'heure tardive avec l'illusion romantique de remonter le temps, mais pour créer sa figure, L'échoué. Allumer les feux de détresse revient alors à former la figure d'une mélancolie héroïque. Qui pourrait contredire que c'est encore avec des figures qu'on transmet aujourd'hui quelque chose ? L'écart donc du temps mort et celui de la performance ne joue pas du dualisme, tel le poète et boxeur « Qu'aije à faire de vos petites contradictions ? », ou victoire et défaite « j'aime les lits où comme le chat je puis faire le mort en respirant tout en étant vivant ». Pas plus d'ailleurs l'idée de la performance serait, linguistiquement parlant selon une fâcheuse tendance, le langage suffisant à produire un effet réel : Ouvre la porte ; Ferme ta gueule ! En effet, c'est un impératif. C'est bien insuffisant comme cause de l'effet, ou encore à lire Cravan « j'ai toujours considéré l'art comme un moyen et non comme un but » avec le projet de faire « malhonnêtement fortune » (Broodthaers n'était pas le premier à avoir des idées crapuleuses !) dans un monde où l'art appartenait aux bourgeois, « j'entends par bourgeois : un monsieur sans imagination ». Faire fortune en rencontrant Gide : « Il est millionnaire. Non quelle rigolade, je vais aller rouler ce vieux littérateur ! » Ce qui évidemment n'arriva pas, mais dont on connaît la réponse fameuse à la question : « Monsieur Gide, où en est-on avec le temps ? » … « Six heures moins un quart ». Art de l'esquive à n'en pas douter comme pour mettre fin à une conversation mal embouchée lorsque Cravan déclare tout de go qu'il préfère de beaucoup la boxe à la littérature. À croire que le problème du poète est vertical, celui du romancier longitudinal. Le tintement de la cloche ou le tic-tac. Le temps mort n'est ni l'un ni l'autre. C'est une manière de regarder deux temps à la fois : le mouvement à l'arrêt, ou comme le dirait Walter Benjamin une « agitation figée ». C'est la faiblesse pure – peut-être la grâce – de Thomas Wattebled, comme à vélo longeant un stade de football en jachère, l'œil attrapé par un parterre de laiteron qu'un soleil de printemps fait briller, il en cueille un bouquet porté comme une torche de vainqueur. Rien de plus qu'une figure retournée en vaincu. Instant de la flamme de désenchantement réinventant l'enchantement. C'est la marque de notre présent, temps mort, temps du sauvetage.
Thomas Wattebled
Balle Perdue, 2012. Tirage numérique, 50 x 70 cm.
Corinne Rondeau est Maître de conférences Esthétique et Sciences de l’art à l’Université de Nîmes, critique d’art, collaboratrice à La Dispute sur France Culture.
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maxime boutin commande publique - sémaphore, giratoire bernard délicieux, le crès (hérault)
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ida tursic & wilfried mille commande publique - villa laurens, le salon de musique, agde (hérault)
Photo Laurent Uroz
« Notre proposition se situe au-delà de la question de l’abstraction et de la figuration avec des outils d’aujourd’hui. Le remplacement des onze panneaux peints est l’occasion pour nous de proposer un projet pictural monumental dans une salle déjà très décorée. La forme des panneaux est héritée homothétiquement de la forme des sous-bassements en bois pré-existants et des précédentes toiles ; une marge d’une vingtaine de centimètres sur les côtés laisse apparaître le mur d’origine (restauré) qui encadre nos compositions. » « Nous sommes partis de l’une des images clefs du film Blow-up (1966) de Michelangelo Antonioni pour re-créer un paysage à 360°. Comme Thomas – le héros du film – le regardeur est piégé dans un paysage, dans une réalité qu’il sent mais qu’il ne comprend pas immédiatement. Contrairement à Thomas, nous ne cherchons pas à savoir ce qu’il s’est passé mais ce qu’il se passe à l’instant précis où la lumière se décompose sur le paysage, à l’instant où le monde devient image, où l’image devient point, s’abîmant dans l’incertitude. Les onze panneaux ne sont donc pas un éclaircissement, une mise au point, mais représentent la mise en forme de la déperdition, comme voir le monde à une échelle atomique, réduit à un ensemble de points qui ensemble forment une image, à une palette réduite de trois couleurs : gris, blanc, noir. Tramé, retramé, le paysage disparaît tout en affirmant sa présence. La trame du paysage grossit au fur et à mesure des panneaux, devenant motif, tandis qu’un autre motif tramé, celui-ci floral et clairement identifiable, vient redessiner ou perturber l’horizon tout en résonnant également avec les motifs décoratifs pré-existants de la Villa. Quatre de ces panneaux portent des traces de peinture : quatre tâches de couleurs, bleu, vert, jaune, orange, symbolisent ici la trace du processus, le geste de la peinture, la trace du temps qui passe, les quatre saisons. Les autres panneaux traités en noir et blanc sont les supports passifs des déambulations constantes du soleil dans l’espace aux travers des vitraux d’origine selon les heures de la journée et des saisons, révélant ainsi toute la beauté du lieu et mettant également en lumière le dialogue permanent des images à travers le temps. »
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acturama carré d’art, nîmes - crac, sète - la panacée, montpellier
Yto Barrada est née en 1971 à Paris et vit actuellement à New York et Tanger. Ses premiers projets à la fin des années 90 étaient liés à la ville de Tanger au Maroc. Elle y révélait les processus de globalisation et les espoirs d’individus dans une émigration possible vers l’Europe. Le projet présenté à Nîmes poursuit son exploration de l’identité marocaine et la question des origines mais aussi les dispositifs de collecte et de monstration de musées d’histoire naturelle, d’ethnographie ou d’archéologie. Elle y pense le statut des archives et de l’industrie qui se développe autour des fouilles archéologiques. Une série de photographies présente un ensemble de jouets d’enfants d’Afrique du nord conservés au Musée du Quai Branly à Paris. Un autre ensemble d’oeuvres fait directement référence aux fouilles archéologiques qui se déploient dans le Sahara, la découverte de fossiles mais aussi le marché florissant des faux. Le film Faux Départ est un voyage à travers des paysages des montagnes de l’Atlas et la description du travail des faussaires. C’est à la fois une réflexion sur les temps géologiques, l’histoire de notre planète mais aussi celle de la France. L’ensemble des ces objets et images nous racontent des histoires individuelles mais aussi la façon dont nous pouvons raconter la grande histoire par la collecte d’objets, la fabrication d’artefacts et leur présentation dans des dispositifs muséaux qui évoluent dans le temps. Yto Barrada a exposé au Witte de With (Rotterdam), SFMOMA (San Francisco), Tate Modern (London), MoMA (New York), et les Biennales de Venise de 2007 et 2011. En 2011, elle a été nommée Deutsche Bank Artist of the Year et a reçu l’Abraaj Prize en 2015. Elle a également fondé la Cinémathèque de Tanger. Les photographies de LaToya Ruby Frazier (née en 1982) ont pour sujet sa ville natale, Braddock en Pennsylvanie ou plus exactement les habitants de la ville. C’est la banlieue ouvrière de Pittsburgh où dans la première moitié du 20e siècle était présente une importante aciérie appartenant à la famille Carnegie. A partir de la fin des années 70, Braddock est entrée dans une phase de déclin économique. Dans cette série, elle poursuit un travail sur ses proches en les prenant comme des témoins de la crise économique. Son travail s’inscrit dans une longue tradition de photographes engagés comme Dorothea Lange, Walker Evans et Gordon Parks. Dépassant le cadre de la photographie documentaire, LaToya Ruby Frazier réalise des compositions complexes qui utilisent plusieurs cadrages et mises en abyme en ayant recours au geste performatif. Dans le cadre du projet Pier 54 sur la Highline à New York, elle a réalisé une performance où elle brandit des drapeaux sur lesquels sont imprimés des photographies historiques liées à ce quai. Elle va rejouer cette série sur des drapeaux en toile de jeans – Nîmes étant la ville natale du Denim – en faisant référence à sa série Campaign for Braddock Hospital de 2011 où elle répondait à une campagne des jeans Levis réalisée à Braddock. Elle a exposé principalement aux Etats-Unis (MOMA, New Museum de New York, la Biennale du Whitney Museum ou le Musée d’Art Contemporain de Chicago). C’est la première exposition monographique dans une institution muséale française. Commissaire des deux expositions : Jean-Marc Prevost, directeur de Carré d’Art De haut en bas : Yto Barrada. Geological Time Scale, ca. 1950. Tapis, dimensions variables. © Yto Barrada 2015. Courtesy Pace London LaToya Ruby Frazier. Corporate Exploitation and Economic Inequality, 2011. © LaToya Ruby Frazier
Carré d’Art - Musée d’art contemporain. Place de la Maison Carrée, Nîmes (30). Yto Barrada / LaToya Ruby Frazier. 16 octobre 2015 - 13 mars 2016
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« Le médium vidéo permet de montrer des corps qui se libèrent plutôt que des corps représentés. » Sylvie Blocher développe depuis le début des années 1990 une œuvre vidéographique prenant pour matière première l'humain et ses capacités de présence extrême. Elle engage une « poétique de la relation », de l’émancipation, questionnant tout autant les identités et l’altérité, l’écriture de l’histoire et la question du politique que la présence du féminin dans les corps masculins. Réalisées dans des contextes géographiques variés – Europe, Amérique du Nord, Brésil, Inde, etc. –, ses œuvres sont pensées sur le mode de l’échange : elles impliquent souvent la participation de personnes extérieures invitées à prendre la parole ou à agir devant la caméra, l’artiste partageant alors son autorité avec « les modèles » pour créer ce qu’elle nomme les Living Pictures, des images vivantes. Ci-contre : Sylvie Blocher. Change the Scenario (Conversation with Bruce Nauman), 2013 Installation vidéo. Avec Shaun Ross. Courtesy Centre National des Arts Plastiques. Sylvie Blocher reprend le principe de la performance filmée Art Make-Up (1967-1968) de Bruce Nauman, dans laquelle celui-ci se recouvrait le visage et le torse de différentes couleurs, réinterprétée ici par Shaun Ross, mannequin afro-américain albinos.
CRAC - Centre Régional d’Art Contemporain. Quai Aspirant Herber, Sète (34) S’inventer autrement Monographie de Sylvie Blocher Exposition réalisée en collaboration avec le Mudam Luxembourg
23 octobre - 17 janvier 2016
Prenant place à La Panacée, dans les murs de ce qui fut l’une des plus prestigieuses universités de médecine, Anatomie de l’automate prend pour point de départ l’analogie du corps humain et de la machine pour explorer les imaginaires de la vie artificielle. Dès l’Antiquité, l’automate, qu’il soit magique, surpuissant ou rebelle, a alimenté quantité de récits pour se diffracter dans la philosophie, la sorcellerie, la psychologie, la science et la politique. Entre fascination et terreur, cette figure ambivalente met en relief la part machinique de l’homme tout autant qu’elle révèle l’humanité paradoxale des objets techniques. Plus d’une quarantaine d’œuvres contemporaines sont ainsi mises en regard de documents et objets des collections de l’université de Montpellier dans cette exposition conçue en collaboration avec le Mamco de Genève.
Thomas Struth. Figure, Charité, Berlin, 2012. Impression numérique, 89,7 x 131,4 cm © T. Struth
La Panacée - Centre de culture contemporaine. Montpellier (34) Anatomie de l’automate 21 novembre - 28 février 2016
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Foto malgrado 30 octobre - 12 dĂŠcembre 2015 David Coste, Morgane Gille, Florence Girard, Laurent Goumarre, Qi Wang, Thomas Wattebled, David Wolle Galerie Vasistas
du mercredi au samedi 15h - 18h30 37 avenue bouisson bertrand - montpellier
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thomas wattebled l’échoué
23 heures, tout est en place, le ciel s'est suffisamment assombri et l'appareil photo est sur son pied. J'ai répété quelques heures plus tôt mon intervention. C'est un rond-point en Bretagne comme il y en a des centaines sur le littoral français. Un rondpoint sur lequel on a déposé un bateau. Sur la route de la plage, difficile de le louper, il est là en face avec sa coque rouge et bleue. On tourne autour à 40 km/h dans le sens inverse des aiguilles d'une montre. Impossible de se détourner du sens de la visite, à moins de se risquer à des coups de klaxons et des collisions. On l'aperçoit dans l'angle mort et il disparaît dans le rétroviseur. « Tu l'as raté, il était là, on le recroisera au retour ». Au prochain carrefour, une amphore renversée, un fromage géant en fibre de verre, une fontaine en panne ou une de ces sculptures douteuses. Pas grand-chose à dire alors on se contente de suivre son itinéraire, regardeurs étourdis, accoutumés à cette approche giratoire de l'objet.
Debout derrière la glissière, au bord de la route, je laisse passer quelques voitures avant de rejoindre le rond-point en courant. J'avais repéré un passage par l'arrière du petit chalutier d'où je pourrais me hisser à bord. Péniblement j'arrive sur le pont, le bois semble fragile et le bateau instable. Il paraît que ces bateaux ne flottent plus, que leur destruction aurait coûté trop cher et que la couche de peinture superficielle cache en fait la rouille et le bois en putréfaction. Le rondpoint comme dernière demeure, panthéon des navires immobilisés. C'est amusant comme le maniement approximatif des signes crée du sens, du sens à contresens. On voudrait célébrer la pêche, l'ouverture sur l'océan, le voyage, mais c'est tout le contraire. Il est ancré au sol, comme échoué. Immobile et lugubre.
Mon pouls s'accélère, j'ai dans les mains deux feux de détresse que je tiens fermement. C'est la troisième fois que j'utilise ces explosifs et je commence à maîtriser la procédure. J'ôte les capuchons, je place mes mains sur la partie rouge et en retenant mon souffle tire la ficelle d'un geste franc. Avec moins de temps qu'il n'en faut pour l'écrire, deux détonations résonnent et les bâtons s'embrasent avec fureur. Il y a quelque chose d'effrayant et d'exaltant à la fois. Les flammes éblouissantes me réchauffent le visage et laissent s'échapper des épaisses fumées. En un instant tout devient rouge autour de moi. Dans la marine, ces feux sont utilisés en deux occasions, en cas d'accident d'abord, pour signaler sa position, mais aussi pour célébrer la victoire d'un skipper à l'arrivée d'une transatlantique. Même objet, mêmes gestes, même lumière rouge passionnée qui fait le trait d'union entre la victoire et la détresse. La performance sportive et la tragédie. Est-ce bien différent ?
Seul au milieu du rond-point. Dans la posture de l'antihéros, à la fois idiot et romantique. Ni victorieux ni en danger et pourtant dépassé par le tumulte des flammes. C'est comme une mauvaise blague qui tout à coup, dans la confusion générale, apparaîtrait comme sublime. Les bras tendus à l'avant du bateau, échoué avant même d'avoir pris la mer, condamné à rester sur place. Devant l'incongruité de la scène, le ballet des voitures semble avoir ralenti, certains conducteurs font plusieurs tours, d'autres klaxonnent. Puis rapidement, les feux s'éteignent, je disparais. C'est un rond-point en Bretagne comme il y en a des centaines sur le littoral français. Un rond-point de plus dans la série des échoués.
L’échoué (Le Tréport). 2015 Tirage numérique, 70 x 110 cm.
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Thomas Wattebled
L’échoué (Theix). 2015 Tirage numérique, 70 x 110 cm.
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lauréats 2015 bourse à la création - région languedoc-roussillon
Le dispositif d’aide individuelle à la création dans le domaine des arts plastiques et visuels, mis en place par la Région Languedoc-Roussillon, s’inscrit dans une démarche volontaire d'accompagnement des artistes. Il a pour but de soutenir la création contemporaine dans sa diversité, de permettre aux artistes de la région d’exercer dans les meilleures conditions leur activité sur le territoire et de favoriser l’implantation de nouveaux créateurs en Languedoc-Roussillon. Informations sur www.laregion.fr/233-les-subventions-de-la-region.htm
Geordy Zodidat Alexis vit et travaille à Castelnau-le-Lez (34) www.humartlif.com
G.T.N (Intellectual amnesia I) a émergé de la déstructuration et la réappropriation d'un souvenir résultant de diverses lectures anthropologiques. « Le temps passé en résidence aux Ateliers Topaz a permis une remémoration qui a conduit à une affectation mentale. De cette résonance est survenu le processus de création où le corps et l'esprit s'acharnent à s'équilibrer, à s'accorder afin de permettre une renaissance, une élévation. Ce fait du passé me ramène indubitablement à la place que j'occupe, en tant que caribéen descendant d'esclaves, membre de la diaspora africaine dans le monde moderne occidental. » G.T.N (I. a. I) se découvre comme étant un espace empreint d'une scénographie singulière. Agathe David vit et travaille à Saint-Aunès (34) www.agathedavid.com En suite à une série de dessins baptisée « L’Heure Bleue » – objets poétiques où se dessinent symboliquement les contours d’une figure féminine allégorique et mystérieuse –, Agathe David projette de retranscrire, via l’émaillage, cet univers pictural sur des pièces en céramique. Les oxydes tenteront de révéler la magie désirée et issue de ses micro-fictions réalisées habituellement au stylo bille où « les natures obscures rencontrent les plus lumineuses ». Ces objets/sculptures seront réalisés, entre autres, à partir de moulages de parties du corps humain associés à des modelages d’inspiration animale. Les hybridations produites tenteront de réconcilier « la raison et l’innocence », leurs inscriptions tatouant alors les fines porcelaines. Rémi Dall'Aglio vit et travaille à Gajan (30) www.remidallaglio.com
Made in Terre Rémi Dall'Aglio cherche à relier une vision technique et scientifique à une vision sensible du monde en plaçant le spectateur au centre d'un observatoire de formes et de phénomènes. Avec ses installations mettant en scène des machines, il permet l'observation d'un temps à l'œuvre. Cette bourse est destinée à la réalisation d'un dispositif qui utilise la technologie des machines-outils et des imprimantes 3D, mais la détournant de ses fonctions premières : rapidité, fiabilité et productivité. Lors de performances, la machine répand sur le sol des strates d'une boue argileuse ; de cette accumulation de matière et du dialogue avec l'artiste-opérateur naît un objet tridimensionnel en constante transformation.
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Toma Dutter vit et travaille à Paris (75) et Montpellier (34) www.tomadutter.com
Strates Le projet réside dans le développement et la production d’une installation tactile dans laquelle les disciplines de l’animation traditionnelle et du design interagissent entre elles. « Développer des animations, permet d’utiliser des techniques inventives avec les formes ou plutôt avec des objets en formation. L’ important n’est pas le dessin terminé d’un arbre mais la façon de le faire apparaître. Jouer avec les couleurs, et surtout avec le trait, entraîne des métamorphoses et des possibles. » La construction de volumes et leurs mises en situation dans un espace luminescent annonceront la monstration finale. Patrice Loubon vit et travaille à Nîmes (30) http://patriceloubon.blogspot.fr
H.A.B.I.T.E.R. Lorsque s'initie ce projet en 2007 – avec l'habitat précaire en sujet – le dessein de Patrice Loubon est documentaire et photographique. Au fil de ses premiers reportages, l’artiste se mue en acteur et ses actes en actions. « J’ai choisi d’orner de papier peint des lieux communs et/ou abandonnés de la ville pour produire une inscription nouvelle et convoquer l’habiter en tant que fonction critique et poétique. Le refoulé urbain devient soudainement familier et plus accueillant. L’intérieur pénètre l’extérieur à sa façon : fleurie ou rayée. » Ce projet initialement local puis augmenté de voyages et visites à Mexico, Casablanca et La Havane trouvera une forme finale filmique. Guillaume Moschini vit et travaille à Paris (75) et Nîmes (30) http://guillaumemoschini.blogspot.fr Guillaume Moschini est un peintre de la couleur. Peindre – un projet de vie. Une toile brute – écrue. Deux rectancles distordus – qui s’évitent ou flirtent. Deux couleurs – vives, lumineuses ou douces et harmonieuses. Deux, toujours deux. Le protocole, clair mais loin d’être simple de par les infinis possibles, donne un cadre dont tout l’enjeu est de l’augmenter constamment sans le corrompre. Du duo méditatif et méditatique jusqu’au duel amoureux, toutes les tensions s’expriment. Le plaisir aussi – soit, La belle évidence. Ci-contre : Acrylique et encre sur toile de coton brut, 162 cm x 114 cm. (Détail)
Agnès Rosse vit et travaille à Sète (34) www.agnesrosse.com
La Matrice Dispositif évolutif hébergeant l’encyclopédie plastique des affinités générées par une recherche antérieure autour du Zoo vidé (2009), La Matrice propose une immersion au sein du « vivant et de la nature morte » et explore notre monde, partagé par leurs habitants, toutes espèces confondues. Laboratoire-atelier de taille variable (de 2 à 10 m3), La Matrice fait cohabiter plusieurs familles de pièces : éléments naturels récoltés, éléments industriels et objets fabriqués – tous au carrefour de l'objet et de l'image. Elle témoigne ainsi de ce qui fait la richesse et l'organisation de la vie et, à l’image de la girafe et de ses 6 mètres de haut, tel un phare qui veille, nous autorise contemplation, méditation et interrogations.
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olivier deprez WREK, les cinématogravures
ci-dessus : Same Thing Every Day, 2015. Crayon sur papier (extrait de carnet). 19 x 25 cm. à gauche : BAM BAM BAM, 2015. Gravures sur bois. Cinématogravure, durée 19 secondes. à droite : I GIVE UP, 2015. Gravures sur bois. Cinématogravure, durée 18 secondes. Œuvres réalisées avec le soutien de la Région Languedoc-Roussillon
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a-chroniques benoist bouvot
Le silence des chouettes
Nous avons peut-être en tête le bruit que font les oiseaux quand il prennent leur envol. Il y a peu de temps, je découvrais, grâce à une vidéo qui montre des preneurs de son comparant le vol de plusieurs espèces, que les chouettes n'en font aucun. Je ne sais pas pourquoi, mais cette image du mouvement silencieux, quel qu'il soit, m'a toujours hanté. Celle de la chouette est devenue comme un fantôme sonore. Impossible de me défaire de la volonté d'associer cette séquence à du sens. Il est pourtant si souvent bon de laisser les apparitions muettes dans leur mutisme mutin qui ne se laissent pas conter et rechignent à nous donner le moindre lien de sens. Mais, de façon paradoxale, face à la double importance a-signifiante de l'absence de son et d'un phénomène naturel, mon désir n'a cessé d'essayer d'accrocher cette vision à nos musiques humaines. Jour après jour j'essayais de comparer cette image physique à de multiples situations musicales, concerts, DJ, composition... Sans jamais aller vers les compositeurs ornithologues pour ne pas trop remuer l'évidence. Ainsi, au fil des comparaisons, des rapprochements, des métaphores, la chouette, cet animal au chant si reconnaissable et aux ailes muettes, est restée comme posée dans un refus d'être utilisée pour autre chose qu'elle-même. Elle qui tant de fois depuis l'époque antique s'est trouvée narrée, symbolisée, elle qui laisse des traces de ses festins aux promeneurs du petit jour, elle, ne m'offrait ainsi que le silence de la nuit. Et c'est de ce silence que se nourrissent nos musiques, comme reposant sur une toile préliminaire, tendue sur la nécessité du vide. Alors je comprenais que la chouette était simplement là pour rien, et qu'elle venait me rappeler que le geste d'écrire ou de jouer pouvait aussi n'être qu'un mouvement inaudible mais parlant. En repensant à la pièce de danse « Mouvements für Lachenmann » de Xavier Leroy, où deux danseurs jouent avec le son du morceau de Lachenmann sur des guitares absentes, et à « Silence must be ! » de Thierry de Mey où les gestes rythmiques sont liés à des sons, je me dis que cet oiseau silencieux est venu depuis son obscurité, pour nous signifier que la guerre est terminée et que nous pouvons reprendre les sons où nous les avons laissés : dans leur innocence virginale. Reprendre les guitares mais ne plus entendre leur musique. Que le spectre a été balayé dans son entier, et que nos oreilles toujours désireuses d'être caressées, veulent aussi voir des gestes sans bruits, des instruments sans usages, et des sons sans injonctions.
« Farting, don't think just fart. » John Cage. Writings, 67-72.
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silhouette dominique rochet
Rock transgenre ! Crop top graffité sur mini-robe à volant, pantalon skinny et sneakers aux lacets rouges pour un look androgyne façon Jaden Smith
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la dramatique vie de marie r. marie reverdy
Plus dure sera la chute ! Quand vient la fin de l'été, sur la plage, il faut alors nous quitter. C'était bien pourtant : calme et baignade, sieste et bronzage, bien dans son corps et bien dans sa tête... Et on a plutôt intérêt à y être bien, dans son corps et dans sa tête, parce que je ne vois pas comment on pourrait être ailleurs. Ce « et » m'embarrasse d'ailleurs, il suppose le « ou ». Ces vieilles habitudes de langage héritées de la dualité pourraient presque nous faire oublier qu'aucun geste n'est exempt de pensée, et qu'aucune pensée n'est exempte du corps qui la conçoit. L'incarnation est la condition première de toute forme de raison : sans œil humain, point d'astronomie ! Que serait-elle si nous étions dotés, à l'instar des chauves-souris, d'un sonar ? Que pourrait être la philosophie éthique sans l'épreuve de la douleur ? Et que serait la littérature, cette rationalité sensible, sans présence incarnée ? L'analyse phénoménologique de la littérature en est à ce point persuadée qu'elle place le corps au centre de son propos. Ce qui est étonnant, c'est qu'il ait fallu aussi longtemps pour pouvoir formuler, et formaliser, une pareille évidence. Tandis que la dramaturgie classique segmente un texte en fonction de l'action menée, à laquelle elle rajoute la psychologie du personnage pour évaluer les motifs des actes, que la critique philologique traditionnelle détermine le sens en restituant le soubassement historique de l'auteur, la phénoménologie s'interroge quant à elle sur l'incarnation constitutive de toute parole, à commencer par celle de l'auteur. Une fois n'est pas coutume, je citerai Marguerite Duras, qui affirmait « ça rend sauvage l'écriture, on rejoint une sauvagerie d'avant la vie. » La sauvagerie du corps à corps avec le réel, et non avec la réalité qui est l'idée que l'on s'en fait. Cette sauvagerie recouvre l'ambition littéraire de Dostoïevski lorsqu'il affirmait « J'ai un projet : devenir fou ». La littérature a à voir avec l'abîme, le fossé radical qui existe entre le sujet et le monde, la distance irréconciliable entre ce qui est soi, et ce qui n'est pas soi. Chaque mot posé est alors l'expression d'une quête pour épouser au plus près ce réel qui échappe sans cesse. Le problème c'est que l'on éloigne de soi ce que l'on nomme. Mais le silence, même vibrant, sonne d'une sorte d'indifférence car dire le monde ou penser le monde, c'est montrer l'intérêt qu'on lui porte. Chaque littérature invente ou réinvente alors le langage, pour s'approprier l'expérience intime avec le monde vécu. Cette expérience procède alors d'une fusion de l'intérieur et de l'extérieur, de l'effet
que fait cette rencontre, comme si elle était première, comme si le monde nous était parfaitement inconnu et que nous ne sachions rien, afin de provoquer cette rencontre « sauvage d'avant la vie ». Vivre cette « expérience intérieure » de l'écriture « c'est jouer l'homme ivre, titubant, qui, de fil en aiguille, prend sa bougie pour luimême, la souffle, et criant de peur, à la fin, se prend pour la nuit. » écrivait Georges Bataille, dans L'Expérience intérieure. Pour autant, une approche phénoménologique n'oblige en rien à élucider l'épreuve corporelle de l'écrivain dans son acte d'écrire mais plutôt celle de l'énonciateur que l'on feint d'être. Elle peut donc proposer une entrée spécifique pour comprendre la progression d'une œuvre : ni par l'action, ni par le rythme phrastique, ni par la documentation sur l'auteur, ni par le sentiment éprouvé lors de la lecture. Mais par le champ de présence, tendu, du narrateur et/ou des personnages, car le corps propre est au centre de la vision, de l'énonciation et des sentiments. Cela n'a rien à voir avec la psychologie du personnage, puisqu'au lieu d'établir un portrait par listage de traits de caractère, il s'agit de mesurer, par les valences de l'intensité et de l'extensité, le rapport que le narrateur ou les personnages entretiennent avec le monde. Un rapport plus ou moins intense, un champ de présence plus ou moins étendu. L'effet que fait le réel, constitutif du corps propre de l'écriture, s'exprime, en théâtre, par ce que sans surprise l'on appelle les écritures du réel. Dire l'Europe libérale par le corps propre des trieurs de déchets turcs chez Rimini Protokoll en est un exemple. Il se traduit aussi par les œuvres construites sur un système énonciatif monologal, dont la cohérence est thématique et non plus « dramatique », c'est-à-dire liée à l'action représentée. Ce qui n'interdit pas les actions scéniques, colorées, pour le coup, de Performance. Ça, c'est plutôt la touche de Rodrigo Garcia chez qui les adresses directes et la violence du texte tentent de conjurer ce qu'elles énoncent ; la perte de soi, de la nature et des autres, en s'acharnant à retrouver le corps propre, premier, le corps « sauvage d'avant la vie ». Encore faut-il préciser qu'il s'agit du Sauvage de Rousseau, du « bon sauvage » auquel on adjoint souvent cette précision tragique qu'il s'agit d'un mythe. Mais ne soyons pas cynique, Nietzsche veille pour qui retrouver cette « sauvagerie d'avant la vie » revient à être un « Surhomme ». Non pas comme Superman qui voit son champ d'action élevé, mais comme celui chez qui le champ de présence est aussi intense qu'étendu. Le Surhomme, pourrait-on dire, est aware... Je vous l'avais bien dit que plus dure serait la chute.
Rencontre avec Rodrigo Garcia et la traductrice de ses œuvres en français, Christilla Vasserot, au Théâtre de la Vignette - Montpellier, le mardi 20 octobre 2015 à 10h00. Cette rencontre, sans nom, pourrait s'intituler « Schopenhauer dans l'âme... oui mais comme une plaie ».
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i’m back laurent goumarre
Encore une histoire de chorégraphie. Il y a des mots qui immédiatement appellent des gestes. Digital par exemple, cet américanisme qui suppose la dématérialisation, qu’on traduit abusivement ici par « numérique », Digital donc est la promesse d’un geste, d’une toute petite chorégraphie : la caresse de l’index sur un écran. Un lien de peau en somme, encore un peu sexuel entre nous et rien. Et c’est quand même rassurant de pouvoir encore caresser l’immatériel, de sentir au bout de ses doigts tout un monde qui défile. Car l’index sert à ça : faire « défiler » les images, les données. Et même si parfois, la virtuosité technologique se passe du contact du doigt, parce qu’il n’y a même plus rien entre nous et l’écran, le geste reste encore. Il devient alors autonome, un geste sans objet, qui ne touche rien, un geste rhétorique comme celui des saint Jean-Baptiste l’index pointé dans les tableaux classiques, comme celui des princes des ballets romantiques qui signifient par leur jeu de doigts « je promets ». C’est en fait tout un enchainement de gestes que le digital suppose : l’index qui touche/appuie sur l’écran tactile pour lancer une application, la sélectionner, la changer de place ; encore l’index qui doubletape pour zoomer dezoomer sur un texte, une photo ; et puis l’index qui s’écarte du pouce pour zoomer, enfin les doigts qui se pincent pour dézoomer et fermer l’application en cours. Alors oui le digital est bien une affaire de manipulation, mais juste du bout des doigts, une opération à fleur de peau qui exprime un rapport délicat au monde. Car on ne traverse plus, on ne pénètre plus, on reste à la surface ; on a le monde au bout des doigts qui ne demande qu’à être touché/tapé pour s’ouvrir, pressé pour changer de place, caressé pour défiler, pincé pour se refermer. Ces gestes, on les connaissait avant, on les avait déjà fait, on n’a pas attendu le digital pour les employer. Mais ils ont trouvé désormais une nouvelle dimension historique : en étant déconnectés de la fonction qu’on leur faisait tenir, en éprouvant l’horizontalité sans profondeur des écrans tactiles, ils ont tous été désamorcés pour revenir à un geste qui les contient tous : la caresse. Voilà ce que le digital nous a appris : qu’on pouvait taper, presser, qu’on pouvait pincer et qu’à chaque fois, nous ne faisions que caresser. Et depuis peu le digital est aussi devenu une question de regard, les yeux enfermés sous un casque, derrière des lunettes. Et là encore quelque chose s’est modifié pour une autre experience du corps tout entier résumé à ce regard paradoxal, comme replié sur lui-même pour accéder à un autre monde, au-delà de celui qui nous entoure. C’est beau quand on y pense : regarder au-delà, caresser dans l’absolu. A chaque fois le digital autorise une expérience corporelle de recentrage. Bien sûr, il y en aura pour penser que c’est la voie de l’isolement, chacun replié sur son propre corps, aveugle à l’autre, les doigts qui balaient du vent ; et qu’il est bien triste le spectacle d’une communauté digitale de corps sans accès. Alors que c’est tout le contraire, exactement à l’image de ces derviches tourneurs, tous recentrés sur eux-mêmes, sans jamais se toucher, les yeux fermés, mais tous, absolument tous, participants d’une même transe ; pour une communauté d’esprits en somme. Être Digital c’est alors faire l’expérience de l’autre en son absence, mais un autre qui pense quand même à vous, qui pense parfois pour vous, qui vous connecte aux autres parce que vous auriez les mêmes goûts, parce que vous avez acheté les mêmes disques, vu quelques films en commun, parce que vous vous êtes baladé un jour, puis un autre — et que vous êtes souvent revenu — sur des sites sexuels qui laissent supposer que vous pourriez être intéressé par …… Le Digital au fond c’est ça, caresser du bout des doigts et du regard le monde de chacun, sur lequel on n’a littéralement pas de prise, sur lequel on n’exerce littéralement aucune pression. Juste un contact. Laurent Goumarre est critique d’art, producteur de l’émission Le Nouveau Rendez-Vous sur France Inter et présente Entrée libre chaque jour sur France 5.
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addenda aigues-mortes - 30 Tours et remparts Promenons-nous dans le bois Une proposition de 3 cabinets d'architecture : Atelier Vecteur, NAS Architecture et Byme Architecture jusqu’au 30 novembre 2015 bagnols-les-bains - 48 Le Vallon du Villaret Because the light Le Gentil Garçon jusqu’au 1er novembre 2015 castries - 34 Aldébaran 2 rue du Cours complémentaire
montpellier - 34 La Panacée 14 rue de l’Ecole de Pharmacie
Anatomie de l'automate Eric Baudart, Thomas Bayrle, Lauren Huret, Konrad Klapheck, Joachim Koester, Eva Kotatkova, Mark Leckey, Benoît Maire, Anita Molinero, Matt Mullican, Jean Perdrizet, Delphine Reist, Thomas Ruff, Denis Savary, Markus Schinwald, Jean-Frédéric Schnyder, Alain Séchas, Thomas Struth, The Otolith Group, Paul Thek, Francisco Tropa, Tatiana Trouvé, Ulla von Brandenburg... Commissariat : Mamco, Genève 21 novembre - 28 février 2016
Carré d’Art Musée d’art contemporain
montpellier - 34 Centre Rabelais 29 boulevard Sarrail les Assises du Corps Transformé
Yto Barrada 16 octobre - 13 mars 2016 Latoya Ruby Frazier 16 octobre - 13 mars 2016 Prix Marcel Duchamp Davide Balula, Neïl Beloufa, Melik Ohanian, Zineb Sedira jusqu’au 1er novembre 2015 sérignan - 34 MRAC Musée régional d'art contemporain Languedoc-Roussillon Avenue de la Plage
6ème édition : le Cyber-corps Du corps substitué au corps augmenté 9 et 10 octobre 2015 Galerie Vasistas 37 avenue Bouisson Bertrand Foto malgrado David Coste, Morgane Gille, Laurent Goumarre, Florence Girard, Qi Wang, Thomas Wattebled, David Wolle 30 octobre - 12 décembre 2015 Iconoscope 25 rue du Courreau Le temps du paysage 6 novembre - 19 décembre 2015
arles - 13 Fondation Vincent van Gogh 35 ter rue du Docteur Fanton David Hockney Raphael Heft 11 octobre - 10 janvier 2016
nîmes - 30
Let’s Print Bertrand Segonzac jusqu’au 23 octobre 2015
provence
Fermeture du plateau temporaire le temps des travaux d’extension.
Project room Bruno Pelassy 23 octobre - 17 janvier 2016
ailleurs lyon - 69
Fondation Lambert La collection Hôtel de Montfaucon Andres Serrano Hôtel de Caumont à partir de décembre 2015
Biennale de Lyon 13e édition
digne-les-bains - 04 CAIRN Centre d’art Paisajes Subversivos Marcos Avila Forero 16 octobre 2015 - 28 février 2016
midi-pyrénées albi - 81 Le LAIT / Moulins Albigeois Dots Obsession Yayoi Kusama Temps variable et baisers de Méduse Orlan jusqu’au 25 octobre 2015 nègrepelisse - 82 La Cuisine Centre d’art et de design Esplanade du Château Olivier Vadrot 10 octobre - 10 janvier 2016 toulouse - 31 Les Abattoirs 76 Allées Charles-de-Fitte Picasso, horizon mythologique
Design Claire Rolland, Image Yuan Goang-ming © Courtesy of the Artist
La vie moderne jusqu’au 3 janvier 2016 paris - 75 Centre culturel suisse 38 rue des Francs-Bourgeois le Centre fête ses 30 ans, mettant en avant un artiste chaque semaine au sein de ce nouveau dispositif : PerformanceProcess jusqu’au 13 décembre 2015 FIAC Grand Palais & Hors les murs OFFICIELLE - Cité de la Mode 22 - 25 octobre 2015 venise - italie Biennale de Venise Pavillon français Céleste Boursier-Mougenot
sète - 34
S’inventer autrement Sylvie Blocher 23 octobre - 17 janvier 2016
BBB Centre d’art 96, rue Michel-Ange Zone de Ralentissement Olivier Nottellet 8 octobre - 12 décembre 2015
avignon - 84
Portrait de l'artiste en jeune homme Accrochage 2015 des collections jusqu’au 30 novembre 2015
CRAC Centre régional d'art contemporain Languedoc-Roussillon 26, quai Aspirant Herber
toulouse - 31
Figures au bord de la mer, 1931.
Photo Benoît Viguier
languedoc-roussillon
© Succession Picasso. © RMN-Grand Palais (musée Picasso de Paris) René-Gabriel Ojéda
Toiles, sculptures, dessins et estampes de la dation Picasso montrés en association au 30e anniversaire du Musée national Picasso-Paris 18 septembre – 31 janvier 2016
Rêvolutions jusqu’au 22 novembre 2015
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abonnement 3 numéros par an 10 € Envoyez votre chèque (à l’ordre de BMédiation) et vos coordonnées à BMédiation 39 avenue Bouisson Bertrand 34090 Montpellier le site de la revue
acturama - des articles inédits sur l’actualité addenda - une sélection d’expositions archives - toutes les chroniques publiées
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