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art contemporain - languedoc-roussillon-midi-pyrénées - juin juillet août septembre 2016 - numéro 41 - gratuit


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abonnement 3 numéros par an 10 € Envoyez votre chèque (à l’ordre de BMédiation) et vos coordonnées à BMédiation 39 avenue Bouisson Bertrand 34090 Montpellier le site de la revue

acturama - des articles inédits sur l’actualité addenda - une sélection d’expositions archives - toutes les chroniques publiées


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Musée du design de Barcelone, Disseny Hub Barcelona building – MBM Arquitectes

de la performance - Corinne Rondeau post_production - Cindy Coutant, Emma Cozzani, Jimmy Richer, Emmanuel Simon le bureau de - Bruno Peinado acturama - Mrac, Sérignan - Crac, Sète - Carré d’Art, Nîmes - Le Parvis, Ibos-Tarbes - Maison Salvan, Labège - Carré Sainte-Anne, Montpellier L.a.c., Sigean - Images/Ventenac, Ventenac-en-Minervois a-chroniques - Benoist Bouvot silhouette - Dominique Rochet la dramatique vie de marie r. - Marie Reverdy i’m back - Laurent Goumarre addenda

offshore est édité par BMédiation 39 avenue Bouisson Bertrand 34090 Montpellier

Couverture : Guillaume Monnet, chef de L’Affable, Paris VIIe par Karim Zeriahen

directeur de publication : Emmanuel Berard rédacteur en chef : Jean-Paul Guarino

ont collaboré à ce numéro : Benoist Bouvot, Laurent Goumarre, Marie Reverdy, Dominique Rochet, Corinne Rondeau, Mickaël Roy

site : offshore-revue.fr tél. : 04 67 52 47 37 courriel : offshore@wanadoo.fr ISSN 1639-6855 dépôt légal : à parution impression : Atelier 6. St Clément de Rivière

crédits photographiques : Laurent Goumarre, Yohann Gozard, Jean-Paul Guarino, Cécile Marson, Roman Mensing, Bruno Peinado, Dominique Rochet, Karim Zeriahen

vous pouvez recevoir chez vous les 3 prochains numéros d’offshore en envoyant vos coordonnées et un chèque de 10 € à BMédiation, 39 avenue Bouisson Bertrand 34090 Montpellier


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de la performance corinne rondeau

Dans son court essai Du suicide, d'abord intitulé De la folie, Léon Tolstoï note que la culture de son temps se compte au nombre gigantesque de gens atteints de folie : « les agités, (jadis on les appelait les violents), les demi-agités, les calmes, les cobayes. » Vie insensée écrit-il, « l'affirmation toute simple de ce qui est. » La vie que nous menons est toujours insensée, et l'agitation qui nous préoccupe, même fébrilement, formerait comme en 1910, l'incapacité à voir et voir notre folie. Elle pourrait bien ressembler à la brèche d'un vase de porcelaine qui ne tinte plus exactement aussi clair. Ça sonne mat à force de prendre les fleurs pour autre chose que ce qu'elles sont. L'illusion tourmente l'écrivain russe, cherchant la vie raisonnable. Tolstoï parle aussi du rêve, et son problème est moral. Voilà qui n'est pas raisonnable. Mais lorsque nous rêvons de vilénies, dit-il, que le cauchemar nous réveille, nous savons que nous n'avons pas commis de forfaiture, de meurtre, de mal. Ainsi le rêve vaut comme principe d'interruption. Voilà qui est merveilleux. Et comble d'ironie, le cauchemar est de la plus haute moralité. Interrompre, c'est apprendre à sauver un geste de l'irrémédiable. Le rêve nous sauve, sauve le geste, le seul qui vaille : empêcher la folie d'aller à son terme dans la veille. Ainsi le réveil est-il le meurtre que nous ne commettrons jamais. Cet instant, plus que cette leçon de morale, permet de distinguer la réalité de ce qui n'est pas elle. Je me demande si ça ne pourrait pas être ça la paix : la capacité à rêver d'un meurtre qui n'aura pas lieu, bien qu'au plus profond du sommeil une chose inhumaine reste tapie, prête à bondir. Et je me demande si l'art ne pourrait pas avoir à faire avec ça, dérouter la fatalité. Le cauchemar lui-même ne serait-il pas un temps de paix ? Paix incessamment à retrouver, celle d'un instant bref où nous écouterions la réalité d'un tintement de porcelaine fêlée. Trouver le geste de fragilité qu'appelle la fêlure, la vie entière qu'elle contient, et le réveil, et le geste d'un réveil réel de l'art où les choses sont ce qu'elles sont sans plus pouvoir être confondues avec l'illusion. N'aurions-nous qu'à rêver pour prendre la mesure de l'interruption et de la vie insensée ? Cela ferait pas mal de silence, tout de même ça ne serait pas mal. Ce qu'il y a de plus terrible, et même en un sens de plus criminel, c'est de penser qu'existe un geste qui sauve sans l'interruption du rêve. Une volonté de sauver, en vertu des circonstances : un geste de trop, geste du pire avec les meilleures intentions du monde. Croire qu'on peut sauver. Croire, voilà bien le problème. Si la vie raisonnable est simple comme un réveil, la culture elle vit sous le signe de l'inéluctable à force d'entendre « Ça ne va pas aller en s'arrangeant ». N'est-ce pas la forme la plus massive de la crédulité, notre condamnation ? N'est-ce pas déjà entrer dans la folie, qui ne serait plus l'instant et l'image d'un tranchant qui réveille ? Ainsi tous les simulacres deviendraient sang, pauvreté, et disparition, et les rêves seraient de chair, de misère et de mort.


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Laurent Goumarre Sans titre, 2014


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Se réveiller est une façon pour la conscience de distinguer le symbole du fantasme. La réalité de ce qui ne l'est pas. Symboliser n'est pas fantasmer. C'est banal, mais il faut le répéter, pour laisser une chance au cauchemar de nous éveiller. Car sans réveil, nous pourrions bien voir notre temps comme Tolstoï, une vie encore plus insensée qu'elle ne l'est, où la culture dissoute dans le réel ne se distinguerait plus du cauchemar. Or la seule nécessité de la culture c'est la solidarité avec les incertitudes, un monde où l'idée d'être réconforté, consolé n'aurait aucune raison d'être. C'est le rêveur qui met un temps à se remettre du cauchemar dans un appel d'air. Notre sympathie ne doit-elle pas se tourner vers ceux qui sentent l'arme retomber dans un sommeil de plomb dont il se sont extirpés, rêves et actes devenant, de Tolstoï à cette page, un même tissu de mots, une texture qui serait la fiction sur laquelle tiennent nos vies sensibles, voire fêlées, grandes et petites. Que la culture soit donc comme elles, incertaine, insensée. Lorsque dans les œuvres nous rencontrons des mots que nous peinions à formuler, nous découvrons en un éclair que les mots nous manquaient, ainsi la révélation s’exprime-t-elle : « C'est ça ! ». Il y a de la sympathie dans les vies, mais pas de communauté pour autant parce qu'on aurait trouvé les mots justes absents de notre bouche dans celle d'un autre. Monde de maîtres qui parlent à la place des autres. Si les incertitudes nous gouvernent, nous ne pouvons pas négliger que nous ne sommes pas les mêmes, même un bref instant, le rêveur s'éveillant toujours seul. Et s'il y a communauté, l'art devient un état fédéral de la culture, voire un néant. La formule révélée par l'autre est baliverne. Pas de révélation sans un geste et son réveil. La sympathie délivre car elle signale que ce qui est énoncé, exposé, n'est que l'expression des incertitudes de nos vies communes, la vie insensée même. Peu importe alors la configuration à l'instant des circonstances où l'on s'exclame « C'est ça ! » Il n'y a pas de « C'est ça ! » qui vaille pour deux. Il y a des indéterminations qui reconduisent à des interruptions. C'est ça. Alors nous naîtrions à l'interruption, qui naîtrait elle-même d'un rêve qui est aussi une illusion. Et de cette illusion, au réveil plein de vie et de souffle, il y aurait le geste réel de l'art. Un geste venu d'une illusion, chose ancestrale comme le simulacre, chose contemporaine comme l'interruption. La vie insensée deviendrait le rêve qui donne des raisons de vivre et des désirs capables de se changer en acte. Un rêve sans croyance, puisqu'il ne faut croire qu'à l'interruption. L'illusion ne serait pas le réel mais la matière même à agir. C'est ce qu'il faut bien appeler performance. Une performance qui ne mimerait pas le rêve d'un crime, qui ne servirait pas à convaincre comment les choses devraient être pour les empêcher, ni à nous persuader que nous manquons de ceci, souffrons de cela. Une performance qui serait interruption et engendrement tout à la fois, car le geste de l'art n'a qu'une prétention, annihiler la confusion. Une performance plus absurde que le suicide, qui ne serait pas faire, mais vivre comme les fleurs, elles ne se trouvent pas dans les vases pour simplement se trouver là. À la fois un geste et un silence, à la façon de Saint Jean de la Croix dans sa lettre du 22 novembre 1587 aux Carmélites déchaussées de Beas, que Jonas Mekas lit dans son film, Walden : « ce qui fait défaut (si quelque chose fait défaut), ce n'est pas d'écrire ou de parler, parce qu'en cela on excède d'ordinaire, mais bien de se taire et d'agir. »

Corinne Rondeau est Maître de conférences Esthétique et Sciences de l’art à l’Université de Nîmes, critique d’art, collaboratrice à La Dispute sur France Culture.


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L.A.C. / Lieu d’Art Contemporain – Sigean El Camino, the way between two points CEL CRABEELS CHRISTINE CLINCKX RENATO NICOLODI STIJN COLE RONNY DELRUE JONAS VANSTEENKISTE 26 juin - 18 septembre 2016 Ouvert tous les jours sauf le mardi – de 15h à 19h Hameau du Lac – 11130 Sigean – 00 33 (0)4 68 48 83 62 – www.lac.narbonne.com


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post_production cindy coutant, emma cozzani, jimmy richer, emmanuel simon Initiative primée par le ministère de la Culture dans le cadre de son appel à projet 2015 « Soutien à la professionnalisation et l'émergence artistique », Post_Production, initié par les écoles supérieures d'art de Montpellier, Nîmes, Pau-Tarbes, et Toulouse, est un programme destiné aux artistes émergents. Outre l'AIC – Aide à la Création Individuelle – attribuée par la DRAC, et des initiatives personnelles issues de certains Centres d'art et lieux associatifs, il n'y avait pas à ce jour de dispositif structuré d'accompagnement des jeunes artistes nouvellement sortis des écoles d'art de la région Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées. Si l'on peut espérer que cette initiative soit reconduite voire pérenniser – avec de nouvelles inventions et nouveaux partenaires – cette première édition s'est construite en partenariat avec le Frac Languedoc-Roussillon à Montpellier et Lieu-Commun à Toulouse. Heureuse concordance d’enthousiasmantes initiatives, Le Printemps de septembre de Toulouse lance cette année, en collaboration étroite avec l’Institut supérieur des arts de Toulouse la première édition du « Choix du Printemps » qui distingue des artistes diplômés de l’isdaT. Ce prix sélectionne dans un premier temps trois artistes et leur offre, en sus d’une exposition à L’Adresse – nouvel espace occupé à l’année par Le Printemps –, un accompagnement professionnel, une visibilité ainsi qu’une dotation de production pour la réalisation de leur projet. Il invite ensuite un lauréat à produire une exposition monographique à L’Adresse. Les nommés du Choix du Printemps 2016 sont Romain Ruiz-Pacouret, Marine Semeria et Emmanuel Simon.

Post_Production #1 permet donc aux jeunes diplômés des écoles d'art mais qui ont déjà entamé un parcours professionnel, de mener à bien un projet artistique grâce à l'accompagnement d'acteurs professionnels dans toutes les étapes de son élaboration, leur offrant une résidence – mars et avril 2016 à Lieu-Commun, cette année – où ils bénéficient d'un espace de travail, d'un accompagnement technique et artistique, puis une exposition de leur travail au Frac Languedoc-Roussillon à Montpellier à l'automne 2016 sous la bienveillance du directeur et des équipes de l'institution, ainsi qu'une bourse d’un montant de 2000 euros. Les 4 lauréats 2016 sont Cindy Coutant, diplômée de l'ESAP (Pau-Tarbes), Emma Cozzani de L'ESBAN (Nîmes), Jimmy Richer de l'ESBAMA (Montpellier) et Emmanuel Simon de l'isdaT (Toulouse). Jean-Paul Guarino


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Jimmy Richer ne se lasse pas de raconter des histoires. L'univers narratif que ses œuvres développent, nourri par une quête de connaissances et de savoirs, savants ou vernaculaires, trouve ses débouchés dans l'image dessinée et dans la sculpture d'objets. Ces médiums, employés pour livrer les potentiels éléments d'un récit, cristallisent les formes imaginées à partir de marqueurs souvent issus des temps médiévaux et modernes, débusqués dans l'épaisseur de référents historiques extraordinaires, burlesques, fantasques ou anecdotiques et ce faisant toujours porteurs d'événements et de faits de la culture occidentale. Par ce biais, Jimmy Richer fait surgir dans son travail, entre autres choses, les motifs d'une danse macabre plus drolatique que dramatique tant les squelettes mortifères semblent devenus inoffensifs, dépossédés de leur pouvoir d'effroi ; celui aussi d'un cercueil vertical traversé de néons lumineux, pour suggérer la réminiscence d'un dogme chrétien à propos du corps considéré comme ce lieu que l'on est condamné à porter de notre vivant comme il est condamné à sa mise en bière. Dans la continuité de cet intérêt pour des représentations issues d'un registre religieux, il y a cette histoire tout à fait rocambolesque dont l'on saisit un fil par l'intermédiaire de la représentation de la figure du Pape bénissant un étron fumant : sous le titre Sitôt que sonne votre obole, Du feu brûlant l'âme s'envole, la fresque convoque la mémoire de Johann Tetzel, prédicateur catholique allemand du XVIe, resté célèbre pour avoir été pris à son propre piège pour le trafic d'indulgences organisé par le Vatican dont il faisait commerce à son avantage. Si ce qui est lu et découvert par l'artiste au cours de ses investigations relève de sources littéraires, archivistiques ou médiatiques, la traduction visuelle qu'il en propose relève d'une approche figurative qui fait disparaître leur origine au profit d'un imaginaire qui a trouvé son style propre et qui révèle l'intérêt de l'artiste pour la bande dessinée, ici privée de son vocabulaire. Il faut donc s'accrocher aux motifs proliférants des représentations pour lire ces histoires, en saisir la possibilité d'un début, d'une fin ou d'un milieu, tant elles ne font aucun recours à la linéarité d'un schéma narratif traditionnel : la fulgurance de l'invention qui opère à leur rencontre, à laquelle fait assurément confiance Jimmy Richer, oblige en cela à ne pas faire l'économie du verbe. Ce faisant, du point de vue du regardeur, ce pouvoir d'apparition du mot à l'image et inversement sollicite avec assiduité la capacité de résurgence de ces tranches d'histoire(s) à partager. Mickaël Roy Si elles sont à voir, les images ont aussi des choses à dire. En cela, elles peuvent bien agir comme des adresses, des objets à lire. A ce propos, Emma Cozzani conçoit des formes visuelles qui usent d'une parole sans bavardage, par extraction d'indices prompts à produire une manifestation discrète (graphique, fixe ou en mouvement), tandis que d'autres formes (sonores ou performées pour de récentes tentatives) font aussi image par ce qu'elles donnent à voir et à entendre (un corps, une voix), peut-être même à entendre-voir. Puisque les outils du langage contiennent, à cet égard, les conditions d'existence de représentations sous-jacentes, latentes, à venir, de ce qui est énoncé (un récit, une description, une abstraction même), peut naître assurément une représentation. Ce faisant, de cette projection visuelle, l'œuvre fonctionne comme une zone à partir de laquelle s'opère une traduction : ce qui est lu, peut être imagé, vu, mais aussi perçu, et plus encore déchiffré en fonction de l'incertitude du chemin qui existe entre la formation d'une image – son information – et sa désignation. Aussi, le langage visuel développé en rapport aux sources premières sollicitées (des graffitis sur un bloc de papier, un texte de Marguerite Duras, un épisode mythologique, etc.) produit un effet de trouble dans la reconnaissance de ce que l'image, in fine, contient comme signes d'identification, de lecture, de compréhension, et éventuellement d'élocution : c'est là, souvent, que se produit paradoxalement, tantôt un bruit, tantôt un silence car si ce que l'on voit devrait pouvoir se lire, et s'entendre donc, il apparait parfois quelque résistance au seuil de ce qui se forme devant les yeux et au bout de la langue. En cela les signes de ponctuation extraits d'une double page des Confessions d'un compositeur de John Cage dans lesquelles l'auteur revient sur les intentions de 4'33'' (Silent prayer), reproduits par transfert, ne livrent aucune information car ils possèdent en eux l'absence des mots, disparus, qu'ils encadrent habituellement, et provoquent ainsi de multiples respirations, laissant de l'espace au souffle dans le même temps qu'ils empêchent la langue de s'accrocher intelligiblement. A l'égard de ce qui demeure d'une expérience faite d'un langage soustrait, le projet Reading space s'emploie à traduire moins qu'à bruire l'apparence visuelle d'espaces architecturés, de leur description littéraire à leur mémorisation, compte tenu que leur apparition est soumise à la disparition contingente de leur progressive circonscription. C'est donc dans une ambivalente présence qui frôle l'absence, que les formes que développe actuellement Emma Cozzani vont au-devant de la perception sous l'impulsion d'un regard préhenseur : telles des figures familières et aussi vives que des revenants. Mickaël Roy

Jimmy Richer Sitôt que sonne votre obole, Du feu brûlant l’âme s’envole. Work in progress, 2016. Feutre et encres

Emma Cozzani Reading Space, 2016 (en cours) Photogramme extrait de captation vidéo de dessins sur calques à partir de descriptions textuelles


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On pourrait croire qu'Emmanuel Simon pratique la peinture comme un peintre. Tout y est, ou presque, pour que l'image apparaisse : toile, peinture à l'huile, et reconnaissance d'un espace pictural autant qu'il est visuellement architecturé mais vide de tout élément de décor et de personnage, de toute action. Cela pourrait s'arrêter là : la peinture peut bien être une image manquante. Face à ces absences, on pressent pourtant la potentialité d'une représentation supplémentaire : c'est en effet lorsque le point de vue choisi vient à être représenté en fonction du contexte de réalisation de la peinture, que l'acte pictural peut encore avoir lieu. C'est un protocole constant : les conditions des situations de travail, un lieu d'exposition souvent, déterminent le programme de la peinture qui devient une scène à habiter, à augmenter. En cela, il s'agit pour la peinture de trouver, doublement, sa place. Car à l'espace bidimensionnel et perspectif premièrement construit à grands traits, s'ajoute la disponibilité de cet espace à partager qui consent à l'intervention d'un artiste invité. Nu et neutre comme la galerie d'un white cube, cet espace est conçu comme le point de départ d'une co-conception par délégation, d'une œuvre qui dépasse le geste du premier auteur : tandis que la part d'autorité de celui-ci s'abandonne volontiers dans l'avenir incertain de la réponse qu'implique cette « carte blanche » adressée à un second auteur qui s'en empare selon des opérations à chaque fois différentes – de la superposition d'un nouvel objet pictural au recouvrement et à l'intervention au sein de l'espace préparé, jusqu'à l'association de formes en dehors de cet espace –, l'intérêt de la sollicitation réside assurément dans la mise en dialogue des signatures. D'ailleurs, le titre de chaque peinture élargie ainsi réalisée procède du nom de l'artiste invité, soulignant que l'acte de la peinture autant que celui qui en est porteur sont à considérer comme les sujets de la contribution. Initiée depuis 2014, cette démarche d'ouverture de la toile à d'autres mains répond à un impératif qui oblige souvent les jeunes artistes, hors de l'environnement de l'école, à inventer les occasions de leurs collaborations. Par ailleurs, en abandonnant progressivement la prise en charge individuelle de l'acte de création jusqu'à son terme, Emmanuel Simon poursuit une pratique paradoxale, à travers laquelle l'addition procède d'une soustraction, autant qu'il contribue au dépassement du métier de peintre vers un champ où l'artiste devenu intermédiaire revendique moins son savoir-faire personnel que son souci de laisser-faire et de voir-faire l'autre. Mickaël Roy

Emmanuel Simon Rebecca Konforti. 2015. Huile sur toile, 150 x 100 cm. Elise de Castelbajac « invitée » à l’atelier. 2016

En plein rêve, il se peut que les mots se réveillent. La tête habitée de phrases, un jour - une nuit, Cindy Coutant a entendu et reformulé les yeux plissés : « On ne peut pas assurer la survie d'une érection à l'oreille ». De là, devant l'anomalie du langage, les mots ne peuvent pas tout, alors il faut bien tenter une traduction. De là, les mots s'ajoutent, s'augmentent, et de l'énigme de départ, ce n'est pas toujours la compréhension qui vainc. Il se peut même que l'opacité gagne encore du terrain. C'est bien d'ailleurs l'avantage du langage : lorsqu'on l'étire, même les yeux ouverts, même l'esprit bien clair, l'intelligibilité n'a pas encore gain de cause. C'est bien connu : le songe peut lui aussi être éveillé, et ainsi se poursuivre, et bégayer. Néanmoins, lorsque le langage pose problème et mérite une exploration, alors, Cindy Coutant s'essaie à la mise en fiches – le poète Lev Rubinstein disait que cette technique était pour lui le moyen de développer par chaque fiche « une unité rythmique polyvalente » : et il est vrai, chaque note produit l'effet d'une mise en mouvement, d'une percussion. L'écriture comme remède ? Mais l'écriture comme moyen vain de circonscrire. Car l'écriture oblige à aller toujours plus loin : puisque « l'oreille n'est pas une condition suffisante à l'édification ». Que faut-il faire pour y comprendre quelque chose – pour y voir clair – pour tout faire tenir ? Prière de dresser, s'il-vous-plait ! La réponse se trouve peut-être sur une table rêche. Là, sur l'établi du travail qui n'a pas besoin de résidence ni d'atelier permanent, la recherche s'agrippe partout où l'esprit se frotte, le coude sous le menton et sous la langue – avec « l'intime conviction qu'à la fin il peut se passer quelque chose » : à la fin de l'attente, lorsque quelque chose tombe, impressionne. Devant l'événement impromptu, il faut néanmoins réagir avec un peu d'ordre : classer, pour savoir « ce que c'est » et pourquoi « faire », et « faire ça ». Accordant tout crédit à la capacité réflexive inhérente à l'individu qui s'en donne le temps, Cindy Coutant ne voit aucun problème à ajouter des virgules là où il y a des zones d'ombres, et pousser la précision là où il y a des scories et quelques embouteillages dans le vocable ou dans l'image. Puisqu'il s'agit d'affûter le langage, de le rendre efficace, percutant – quitte à le tordre, à l'essorer, à le replier de manière symétrique comme une tautologie – moins lisible que tranchant. Cet effort mérite bien l'érection de quelques monuments, symboles précaires pour quelques instants d'un langage toujours insuffisant ; et même de faire place nette, de délimiter une certaine surface de réparation, compte tenu des difficultés de son élucidation. Mickaël Roy

Cindy Coutant Surface de réparation. 2016. Lecture-performance, 15 mn.


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Bruno Peinado

Il faut reconstruire l'Hacienda MRAC - Musée Régional d’Art Contemporain, Sérignan (34) 21 mai - 9 octobre 2016


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acturama carré d’art, nîmes

Photo © Stefan Altenburger

L’accès à la « Terre » d’Ugo Rondinone mérite l’ascension de l’escalier monumental du musée. Une élévation vers l’inconnu, un ailleurs de la mesure physique et temporelle que l’on pénètre directement, sans sas. De l’humus alors, en lévitation, sans racines, et une horloge irradiante, sans aiguilles. On se dirige vers la droite ou la gauche, vers l’est ou l’ouest, mais peu importe puisque nous ferons le tour de la planétoïde, passant même sous l’arche intercontinentale. Nous serons bien grands devant les tout petits chevaux, ébahis au milieu des poissons nageant dans une mer vidée de son eau, hypnotisés face au cosmos et perdus dans une jungle d’encre. Aucune représentation humaine dans les œuvres de Rondinone et c’est très bien comme ça ; nous pouvons occuper pleinement le décor de notre fiction et le temps que l’on souhaite – la présence martelée des horloges atemporelles nous en rappelant l’autorisation. Aucune chair mais la présence de l’artiste par ses sens – et les nôtres aussi, qu’il active délicatement de salle en salle. L’odorat par les effluves d’encens, la vue par les rais de lumière qui traversent le temps, le son par un souffle muet, le toucher lui, lui est réservé. C’est bien lui qui a tenu le pinceau des encres, la brosse des peintures, l’argile qu’il a façonnée. Le « créateur » tient à signer, le geste retrouvé, de son empreinte même. Jean-Paul Guarino Carré d’Art - Musée d’art contemporain. Nîmes (30). Ugo Rondinone. Becoming Soil (Devenir Terre). 15 avril - 18 septembre 2016


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mrac, sérignan - crac, sète - carré d’art, nîmes

Outre La Promenade, une sélection d'œuvres issues d’un dépôt long du Cnap, Le MRAC – après 6 mois de travaux d’extension – ouvre ses nouveaux espaces en accueillant Bruno Peinado sur ses deux niveaux mais aussi en extérieur où l’artiste a réalisé une œuvre pérenne sur la facade ; cette pièce et l’exposition portant le même titre, Il faut reconstruire l’Hacienda. Jeu de dialogues donc entre l’intérieur et l’extérieur du musée, et par extension, entre l’espace intime et l’espace public. L’exposition est ainsi contaminée par collusion foisonnante de techniques, d’affects, de processus et de matériaux, autant qu’elle est contaminée par le site luimême, celui du musée et de son histoire, celui du sud et de sa lumière si particulière. Bruno Peinado. Il faut reconstruire l’Hacienda, œuvre sur la façade de l’extension. Réalisateur d’image YALA Yvon Arramounet Labiorbe ADE, © Bruno Peinado

MRAC - Musée Régional d’Art Contemporain, Sérignan (34) Bruno Peinado. Il faut reconstruire l’Hacienda. 21 mai - 9 octobre 2016

Ruines du temps réel présente – au Centre d’art – la période la plus récente du travail de Yan Pei-Ming : des œuvres réalisées spécialement pour le projet avec un choix de peintures entre portraits, paysages, peintures d'histoire et histoires de peinture. Au lycée Charles de Gaulle, trois peintures murales, monumentales et récemment restaurées, sont à nouveau visibles. Ces trois peintures, réalisées in situ l'été 1988 lors de sa résidence d'artiste à la Villa Saint Clair de Sète, sont représentatives de la première période de son parcours et sont ses seules peintures murales à ce jour ; Yan Pei-Ming les recouvrant habituellement et les faisant ainsi disparaître à peine nées. D’un lieu à l’autre, l’occasion d’être donc témoin de la croisée de deux périodes clés du travail de l’artiste. Yan Pei-Ming. Tête, 1988. Huile sur mur, 345 x 232 cm, exposition Villa Saint-Clair, Caserne Vauban, Sète, 1988. Photo François Lagarde © Yan Pei-Ming, ADAGP, Paris, 2016.

CRAC - Centre Régional d’Art Contemporain, Sète (34) Yan Pei-Ming. Ruines du temps réel. 1er juillet - 25 septembre 2016

« Dominique est le prénom mixte le plus donné en France, il est aussi le vingt-septième prénom le plus porté ; associé à Lambert, vingtseptième nom de famille également le plus porté. J’ai ainsi défini comme population d’étude les 191 Dominique Lambert répertoriés dans l’annuaire des particuliers (Pages Blanches, France). » Mettant en œuvre les différentes techniques officielles de représentation de l’identité, conviant des experts, procédant par étapes successives, Stéphanie Solinas fouille et épuise le système, les outils, de la représentation même. L’exposition au Carré d’Art déploie pour la première fois l’ensemble des visages de cet échantillon d’individus, offrant au spectateur la possibilité de parcourir les mondes des Dominique Lambert, d’éprouver la distance entre clichés de la représentation et irréductibilité de la singularité. Paula Aisemberg Carré d’Art - Musée d’art contemporain. Nîmes (30) Stéphanie Solinas dans le cadre des Rencontres d’Arles Commissariat de Paula Aisemberg

4 juillet - 25 septembre 2016


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Dans « Peindre et acheter » il s’agit des dernières peintures de Nina Childress, que l’artiste distingue et divise entre les « good » et les « bad », autrement dit les bonnes et les mauvaises – et ce n’est pas une question de valeur ! Les « bad » dérivent des « good » et se font remarquer par leur insolence. Sans cette première version sage, les « bad » ne pourraient pas exister. Et, selon un principe d’équivalence, les deux manières forment les parties d’un tout, naturel et cohérent. Le beau et le laid n’ont-ils pas d’ailleurs toujours quelque chose à voir ensemble ? Or, c’est précisément dans cette dichotomie picturale que se développe l’exposition, avec une vingtaine de peintures déployées dans l'espace et sur les murs qui, pour la plupart, traitent d'un corps féminin surexploité pour sa plastique mais revalorisé par la peinture de l'artiste. Ci-contre : Nina Childress. Bad Lesson, 2015. Huile sur toile, 130 x 162 cm. Courtesy de l’artiste et galerie Bernard Jordan, Paris

Le Parvis, centre d’art contemporain. Ibos (65) Nina Childress. Peindre et acheter. 29 avril - 25 juin 2016

La Maison Salvan – équipement culturel municipal de Labège, commune de la petite couronne de Toulouse – fête ses 10 ans d’existence et d’activités. Outre de nombreuses manifestations débutés dès ce printemps, cet anniversaire sera marqué par une journée évènement le 11 juin. L’exposition estivale consacrée à Estefanía Peñafiel Loaiza – pensée par Paul de Sorbier, directeur du lieu – redouble finement l’idée de célébration, mobilisant la question de la mémoire. L’artiste, née en Équateur, vit à Paris depuis plus de 10 ans. Son travail est certainement marqué par la question de l’éloignement à la terre natale, au déplacement, à la mémoire des espaces et des personnes demeurant dans cet autre « bout du monde ». Il n’est pour autant jamais une fiction d’elle-même mais plutôt la conséquence d’éléments de son récit personnel qui initient des projets aux sujets plus universels. « Le souvenir d'une petite nouvelle de Julio Cortázar intitulée " Casa tomada " (" Maison occupée") m'est revenu d'un coup en parcourant la Maison Salvan. » Hantée par ce récit, et tout en se laissant envahir par la nature et l’atmosphère de cet espace, l’artiste a envisagé un projet d'exposition en mobilisant des œuvres déjà existantes et d'autres concues spécialement pour l'occasion. « Il s'agit d'explorer les lisières entre le présent et le passé, entre le proche et le lointain, d'invoquer des échos de l'Histoire, des fantômes de nos jours… » Loin de toute exhibition, tout en révélation. Ci-contre : Estefanía Peñafiel Loaiza. D'un regard l'autre (hasta mañana Rebeca, espero que tú no vas a olvidar), 2007. Installation, 25000 impressions sur papier. Dimensions variables. Photo de l’artiste

Maison Salvan. Labège (31) Estefanía Peñafiel Loaiza. casa tomada. 18 mai - 16 juillet 2016


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carré sainte-anne, montpellier - l.a.c., sigean - images/ventenac, ventenac-en-minervois

Des cercueils au sol, des formes fantomatiques suspendues aux voûtes, des peintures aux murs évoquant les guerres, les tremblements de terre, les attentats… Déluge, l’exposition que Barthélémy Toguo a conçu pour le Carré Sainte-Anne en aborde toutes les facettes : la destruction tout d’abord, puis la mort et enfin la résurrection. Le déluge est un thème que l’artiste camerounais, véritable observateur de son époque, traite en toute logique. Même s’il sait prendre la distance nécessaire, la télévision, la radio, les journaux, nourrissent réellement son travail artistique. Pour lui, l’artiste a le devoir de retranscrire la mémoire de tous ces évènements pour les générations futures. Ci-contre : Barthélémy Toguo dans son atelier à Paris, 2016. Courtesy Galerie Lelong, Photographie Fabrice Gibert

Carré Sainte-Anne. 2 rue Philippy, Montpellier (34) Barthélémy Toguo. Déluge. 22 juin - 6 novembre 2016 Commissariat : Les amis du Musée Fabre

Christine Clinckx, Stijn Cole, Cel Crabeels, Ronny Delrue, Renato Nicolodi et Jonas Vansteenki, cinq artistes belges – sous la houlette de Christa Vivey – ont été invités à parcourir partiellement ou intégralement El Camino, la route reliant Bruxelles à Compostelle. Les différents itinéraires pour rejoindre Santiago de Compostela, venus de l’Europe entière, se réunissent en Espagne, pour devenir le Camino francès, Chemin des Francs. Classé par le Conseil de l’Europe, inscrit au Patrimoine mondial de l’Unesco et balisé, ce Chemin suit à peu près le tracé historique du Moyen Âge. Au travers, entre autres, de Carnets de route « augmentés », l’exposition rend compte du périple physique, du parcours personnel et du voyage introspectif des cinq artistes. La longueur choisie du périple, le positionnement à la mystique ou l’attrait du voyage et de la découverte témoignent de la singularité de chacun d’entre-eux. Ci-contre : Christine Clinckx. 1946 Ostend, 2014. Photograph on Steinbach, 100 x 100 cm.

L.A.C. - Lieu d’Art Contemporain. Hameau du Lac, Sigean (11) El Camino, the way between two points Cel Crabeels, Christine Clinckx, Renato Nicolodi, Stijn Cole, Ronny Delrue, Jonas Vansteenkiste. 26 juin - 18 septembre 2016

Pour sa septième édition, Images / Ventenac – centre d'art privé dédié à l'image fixe et animée, – présente des films et vidéos dans lesquels les processus d'enfermement et de franchissement sont particulièrement mis en évidence, suscitant une réflexion sur la nature et la fonction des frontières. A travers un choix d'œuvres historiques et contemporaines de Bruno Boudjelal, Nira Pereg, Hayoun Kwon, Louis Llech/Louis Isambert, Adrian Paci et Till Roeskens, cette exposition est aussi un écho au tragique de l'actualité géopolitique. Ci-contre : Adrian Paci. The Column, 2013. HD Vidéo

Images / Ventenac 5 route de Saint-Nazaire, Ventenac-en-Minervois (11) (à 12 km de Narbonne) Clôtures et Frontières. 15 juillet - 11 septembre 2016


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a-chroniques benoist bouvot

Les chansons d'amour finissent

Memento pour la fin d'une expérience : Les notes n'ont que les frontières de leur justesse, elles ne connaissent pas celles de l'incapacité expressive. Pratique étrange du genre humain : la relation amoureuse Que l'on considère une chanson d'Oum Kalthoum, d'Albert Marcœur, un morceau de Rammstein, de The Knife, ou de quelque autre s'il parle d'amour. La racine commune de ces effluves de désir restera la seule expression de la lamentation, de l'élégie ou du bonheur en musique. Une tendance humaine parmi d'autres mais qui semble presque dominante : assemblage musique/amour. Récit de l'aventure des êtres qui s'aiment d'un début jusqu'à quelque part dans le temps. Se donner à soi-même une chanson d'amour et ainsi trouver par de nombreux indices, son rapport propre à ces deux fictions humaines que sont la musique et l'amour. Écouter le magnifique disque de Vainio & Vigroux « Peau froide, léger soleil ». L'occident amoureux est-il aussi impérialiste que l'occident marchand. Universel et amour. Point commun de toutes les chansons d'amour, leur trait universel, reste celui de toutes les activités humaines : les chansons d'amour finissent.


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silhouette dominique rochet

Pull en bombe ! Maille sculptée en mousse à raser par ce duo de stylistes anglais basés à Brighton et vus ce printemps au festival DO DISTURB au Palais de Tokyo : Luke Brooks et James Theseus Buck. A suivre au plus vite sur Instagram !


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la dramatique vie de marie r. marie reverdy

Est-ce que tu viens pour les vacances ? Moi, je n'ai pas changé d'adresse !

Bonsoir Joris, Cher Joris, J'espère que tout va bien pour toi et que tu te portes bien. Je t'écris pour te donner de mes nouvelles. Je suis avec David et Jonathan. A Montpellier il fait déjà très beau. J'ai vu Jean-Paul aujourd'hui et, visiblement, toute l'équipe d'Offshore est un peu dans le même état printanier, qui se définit moins par le bourgeonnement que par une flemme inouïe, une procrastination outre mesure, un manque d'inspiration certain et une motivation endormie... Bref, je ne suis pas plus inspirée que le reste de l'équipe. Voilà, néanmoins, là où j'en suis : Jean-Paul me parlait de la question de l'adresse en théâtre et c'est devenu le sujet du prochain article. « Bonne idée, je suis sûre que j'aurai plein de choses à dire ! » En effet, je sais qu'il est possible de parler du principe de vraisemblance et du changement de sa définition au cours des siècles. Je sais également qu'il est intéressant de parler de la question de la vraisemblance au nom des liens qu'elle entretient avec le principe de la finalité que le théâtre se donne. Je sais, enfin, que le premier élément qui est impacté par ce changement de définition (vraisemblance et mission que le théâtre s'assigne), est celui de l'adresse. La bonne vieille vraisemblance est née, en effet, sous la plume d'Aristote, relue par les classiques qui en ont fait un principe aussi raisonnable que rationnel, autrement dit aussi logique qu'éthique. Elle passe ensuite entre les mains du drame bourgeois, et se colore d'un impératif de véracité que nous retrouverons dans le naturalisme. Condamnée par Brecht au nom de la finalité politique du théâtre, elle privilégie aujourd'hui non plus la véracité mais la réalité. Il n'est plus question de produire un énoncé vrai – comment le pourrait-on dans les affaires humaines ? – mais un énoncé réel car le théâtre n'est plus un art de la représentation, fonction que le cinéma remplit bien mieux que lui, mais un art de la présence : un art vivant quoi ! A chaque nouvelle mission que le théâtre s'assigne, et à chaque reconfiguration du principe de vraisemblance, le champ de l'adresse modifie ses frontières : rester immobile et déclamer, face au public comme dans la tragédie du XVIIe siècle ; introduire la présence du quatrième mur, plus ou moins saupoudré d'apartés comme dans le drame bourgeois ; parler au public et en faire un partenaire ; incarner un personnage ou rester soi etc. Il est vrai que la question de l'adresse est primordiale car elle révèle trois points, intimement liés. Le premier, que l'on nomme l'éthos, pourrait répondre à la question « Non mais pour qui je me prends ?!? » Il s'agit en effet du portrait que le locuteur dessine de lui-même, directement ou indirectement, à travers ses énoncés. Le second concerne, bien sûr, le destinataire. De même que l'ethos, le portrait proposé peut être direct ou indirect. Le troisième point, et non des moindres, concerne la relation qui lie les deux agents de la communication, déterminé par un cadre, ici, celui de l'art. Ce cadre délimite un « contrat » de communication entre les agents et en dit long, du coup, sur ce que l'on considère relever de la compétence artistique, ce que l'on considère relever de la mission de l'art. L'art comme méditation, subversion, sublimation etc. (Tu vois ce que je veux dire ?) Un peu de linguistique enfin, afin de pouvoir analyser cette question : l'ethos d'une part, destinataire d'autre part, relation contractuelle qui unit les deux et qui nous amène, gentiment, à la définition pragmatique de l'art et à la notion de « cadre » que Nelson Goodman évoque dans Manière de Faire des Mondes... Je me souviens, notamment, de cette citation : « Si je veux me renseigner sur le monde, vous pouvez proposer de me raconter comment il est selon un ou plusieurs cadres de référence ; mais si j'insiste pour que vous me racontiez comment est le monde indépendamment de tout cadre, que pourrez-vous dire alors ? Quoi qu'on ait à décrire, on est limité par les manières de décrire. » En gros, ce qui fait Art, c'est donc la façon dont on organise le cadre ! (Que penses-tu de cette idée, c'est pas mal non ?) Tout ça, bien sûr, par l'analyse de l'adresse. Il me reste à trouver la verve, l'envie de communiquer et d'écrire, des exemples, le ton et le mot juste... Bref, il ne me reste plus qu'à répondre à la question que je devrais me poser plus souvent : « au fait, à qui je m'adresse ? » A bientôt, Marie P.S. : J'espère que tu as du beau temps à Limoges !


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i’m back laurent goumarre

Qu’est ce que tu fais pour les vacances ? Ce doit bien être la seule question à laquelle je suis capable de répondre. Car j’ai la réponse. Même si elle est fausse : « un stage de céramique dans les Vosges. » Le stage c’est vrai, les Vosges c’est faux. Et c’est là toute la question. Pourquoi les Vosges alors que le stage se passe, si je me donne la peine de la vérité : en Creuse ? Pourquoi ? Parce que les Vosges ça fait peur, la Creuse ça ne fait rien. Les Vosges, c’est le petit Grégory, les rancœurs familiales, la Vologne, Duras qui voit tout, l’horreur de la montagne, l’inceste, je dis tout ce qui me passe par la tête, l’horreur des grandes forêts, le vert sapin, les lits gigognes, tout me vient, tout, des curés pédophiles, la messe en latin, les chemins verglacés, le froid chaque jour, l’été pas possible, l’absence de la mer. Vous en voulez encore ? Mon enfance dans le Vercors à prier qu’on ne m’envoie pas prendre un bol d’air, choisir le patinage artistique parce que la patinoire est couverte depuis les Jeux olympiques, parce que sur la piste glacée je serai couvert, au chaud, loin des pistes, de la montagne, du vert sapin, de la nature où j’avais découvert un jour de picnic familial une revue pornographique qui changera tout : la découverte de la violence. Alors voilà Les Vosges c’est le pas possible, le surtout pas. Les Vosges c’est le trauma, l’énonciation du pire qui peut m’arriver dans la vie. Mais qu’est ce que la céramique a à voir avec ÇA. C’est bien ÇA la question : la céramique que je collectionne, que je traque chaque jour sur ebay, qui envahit l’appartement, cette céramique qui s’expose en galerie, au musée, Maison rouge, Sèvres même si ce n’est pas le Centre Pompidou on est bien d’accord, cette céramique qui raconte le fait-main, fait l’éloge du toucher, du savoir-faire, de l’organique, bref de valeurs qui ne m’ont jamais intéressé – correction : qui m’ont toujours effrayé –, cette céramique serait la mise en forme de ce qui me fait horreur. Et de fait la raison pour laquelle je vis avec, coincé entre des vases de Vallauris dégoulinants, des terrines à tête de porc rose bébé, d’assiettes de Cerenne gonflées de poulpes jaunâtres tentacules vert sapin. Un monde qui croule sous les émaux couleur vomi, pizzas écrasées, glaires grasses, et qui raconte bien ce qu’il en est : la forme de la violence. Pornographique ? pourquoi pas, il suffit de se balader à la Maison rouge à Paris, à Sèvres, parcours Ceramix pour bien comprendre que c’est de cela qu’il s’agit, et je ne parle pas seulement de l’explosion des motifs sexuels, même si les poulets s’enculent chez Johan Creten. Non je parle là de l’éradication totale de l’érotisme, quand le monde qui prend forme au doigt et à l’œil retrouve la puissance du trauma : ce moment précis d’un picnic, où pendant que votre mère bronze en forêt, vous découvrez à force de vous ennuyer à quelques mètres de là une revue pornographique. Vous avez trouvé exactement ce que vous cherchiez : le remède à l’ennui, je ne vois pas d’autre expression. Vous êtes guéri, plus jamais vous ne vous ennuierez ; vous avez mis à la place la peur, l’excitation dans la violence. Et le vomi d’une pizza qui n’est jamais passée. Ça c’est les Vosges et la Creuse n’y peut rien. Laurent Goumarre est critique d’art, journaliste et producteur de l’émission Le nouveau rendez-vous sur France Inter du lundi au jeudi de 21h00 à 23h00


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addenda

nîmes - 30 Carré d’Art – Musée d’art contemporain Ugo Rondinone / jusqu’au 18 septembre 2016 sérignan - 34

midi-pyrénées labège - 31

languedoc-roussillon

MRAC – Musée régional d'art contemporain Bruno Peinado / jusqu’au 9 octobre 2016

Maison Salvan Estefania Peñafiel Loaiza jusqu’au 16 juillet 2016

carcassonne - 11

sète - 34

nègrepelisse - 82

Chapelle des Jésuites Tina Merandon / jusqu’au 2 juillet 2016

CRAC – Centre régional d'art contemporain Yan Pei-Ming / 1er juillet - 25 septembre 2016

La Cuisine – Centre d’art et de design Celia-Hannes / 4 juin - 18 septembre 2016

montpellier - 34

sigean - 11 L.A.C. – Lieu d’Art Contemporain Cel Crabeels, Christine Clinckx, Renato Nicolodi, Stijn Cole, Ronny Delrue, Jonas Vansteenkiste 26 juin - 18 septembre 2016

saint-gaudens - 31

Carré Sainte-Anne Barthélémy Toguo / 22 juin - 6 novembre 2016 FRAC - Fonds régional d'art contemporain L-R Superstudio jusqu’au 3 septembre 2016 Galerie Vasistas Bastien Cosson / jusqu’au 9 juillet 2016 Iconoscope Elmar Trenkwalder / jusqu’au 13 juillet 2016

ventenac-en-minervois - 11 Images / Ventenac Bruno Boudjelal, Hayoun Kwon, Llech/Isambert, Adrian Paci, Nira Pereg, Till Roeskens 15 juillet - 11 septembre 2016

Chapelle Saint-Jacques Agathe May, Jochen Gerner, Valérie Mréjen 11 juin - 8 septembre 2016 toulouse - 31 BBB centre d’art Valérie du Chéné / jusqu’au 2 juillet 2016 Lieu Commun Oxymore and more and more / 3 juin - 9 juillet 2016 BleuBleu / 24 septembre - 24 octobre 2016

Bastien COSSON une fois je pense, une fois je peins 27 mai - 9 juillet 2016

Galerie Vasistas du mercredi au samedi 15h - 18h30 37 avenue bouisson bertrand - montpellier


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