art contemporain - languedoc-roussillon-midi-pyrénées - octobre novembre décembre 2016 - numéro 42
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acturama - des articles inédits sur l’actualité addenda - une sélection d’expositions archives - toutes les chroniques publiées
# 42
Un de Los Angeles, 2016 © Laurent Goumarre
dis-moi ton horizon, je te dirai tes limites - Corinne Rondeau rodrigo... - Marie Reverdy le printemps de septembre - 26e édition, Toulouse le bureau de - Johan Creten acturama - Crac, Sète - Post_Production, Montpellier - Carré d’Art, Nîmes a-chroniques - Benoist Bouvot silhouette - Dominique Rochet la dramatique vie de marie r. - Marie Reverdy i’m back - Laurent Goumarre
offshore est édité par BMédiation 39 avenue Bouisson Bertrand 34090 Montpellier
Couverture : Koo Donnelly par Karim Zeriahen © offshore 2016
directeur de publication : Emmanuel Berard rédacteur en chef : Jean-Paul Guarino
ont collaboré à ce numéro : Benoist Bouvot, Laurent Goumarre, Marie Reverdy, Dominique Rochet, Corinne Rondeau
site : offshore-revue.fr tél. : 04 67 52 47 37 courriel : offshore@wanadoo.fr ISSN 1639-6855 dépôt légal : à parution impression : JF Impression. 34075 Montpellier
crédits photos : Franck Alix - Le Printemps de septembre, Stéphane Arcas, Tim Bowditch, Claire Dorn, Stan Douglas, Marc Ginot, Laurent Goumarre, Jean-Paul Guarino, Ilmari Kankkinen, Ahmed Makhlouf, Cécile Marson, Hans Op de Beeck, Dominique Rochet, Corinne Rondeau, Raphaël Zarka
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dis-moi ton horizon, je te dirai tes limites corinne rondeau
« J'ai dit souvent que tout le malheur des hommes vient d'une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre. » Blaise Pascal
Je lisais quelque part que faire une croix était la rencontre d'une horizontale et d'une verticale. En fait, ça n'a rien d'évident de faire une croix. Je me dis qu'on oublie, pour tes tas de raisons qui n'en sont pas, le temps et la nécessité pour qu'une chose existe dans l'éloignement et le rapprochement de deux lignes. Même vieille comme croix. Sûr, c'est très différent deux lignes qui se rencontrent et tracer une croix. A force, on oublie ce que peuvent bien réunir deux lignes. Réunir dans l'espace, ça demande du temps, parfois un temps assez long. Y a des croix d'une énergie folle, au point qu'on ne parle plus de croix, mais de peinture (de peinture parce que ce que je lisais avait trait à la peinture). C'est après-coup qu'on dit Y a d'l'artiste. Des forces concrètes qui font la croix (et non un symbole prêt-à-porter) et l'artiste (ou alors le dilettante passionné qui n'est pas sans un goût certain pour la mode). On peut toujours recevoir et ranger du langage plastique ça ne fait pas la croix – ou autre chose : oui c'est toujours le problème d'autre chose qui est en jeu, car ce n'est jamais ce qui fait qui l'est… hum, je sens bien que ça coince ici. Je recommence. On peut toujours recevoir et ranger du langage plastique ça ne fait pas la croix, juste des moyens pour représenter où l'ingéniosité du bricoleur et le respect du technicien se tirent la bourre. Si on va du côté du placard parce qu'on est perdu « faut faire quelque chose » qui signifie « faut une idée », la panoplie symbolique s'étalera et s'étalant, joue contre l'art. Le placard fait des semblants de croix. Sans même l'élégance désabusée d'Anna Karina, les pieds dans l'eau, « qu'est-ce que je peux faire, j'sais pas quoi faire », faut savoir faire avec l'ennui à défaut de liberté, l'ennui c'est le temps qu'il faut non pour savoir, mais pour « faire » et s'il le faut allongé sur son lit. La liberté commence avec une portion d'espace, un bon matelas. Les illustrateurs, c'est le nom de ceux qui ont oublié de se perdre perdant ainsi la liberté et le temps pour faire une rencontre qui est plus qu'un axe, plus qu'un symbole. Ils sont très actifs et savent toujours ce qu'ils font, ils le disent, ils n'ont peur de rien, même pas d'achever les lignes. Paraît que ça rassure, parce que achever est en soi un progrès dans la mesure où y aurait un après. Moi ça me fatigue, le progrès. Donc perdu de pas avoir d'idée, y a toujours un cadavre dans un coin pour s'y asseoir dessus (de la copie qui se fait passer pour du progrès, le pléonasme !) mais surtout ne pas se perdre soi-même sur un matelas. Vous notez comme moi, la substitution nécessité/liberté, sans doute à cause de l'ennui et de la fatigue. Je ne sais pas pourquoi mais tout d'un coup, ça me donne envie de relire les aventures de Denise Baudu dans Au bonheur des dames de Zola. Denise refuse c'est son truc, mais pas jusqu'au bout, c'est ça le truc. Oui c'est ça, faut pas refuser que les choses deviennent autre chose. Faut refuser l'idée toute bien repassée dans le placard. Pour le comprendre, il suffit de réapprendre l'alphabet, ce n'est jamais une perte de temps même quand on le connaît. De le connaître, ça fait justement travailler la vitesse, le rythme, le silence. Comme quoi réapprendre l'alphabet ça fait prendre conscience de la ponctuation. La liberté c'est rien que la prise de conscience des blancs entre les mots, rupture et dépendance, et de l'espace où passe l'existence. Point à la ligne, et toujours un bon matelas, cela va de soi.
Je me suis dit que la nécessité est un mot qui m'ennuie. Qui m'ennuie aujourd'hui. Le temps, jamais, le temps je n'y reviens pas dessus, ça m'importe qu'il passe, ça donne la mesure d'un écoulement. Après reste un choix : robinet ou fleuve ? Ça dépend si on est casanier ou nomade. Ça dépend du moment. Faut faire attention que ça ne dépende pas toujours de tout, ça s'appelle l'inertie. L'inertie c'est l'obésité de la dépendance. La nécessité sonne comme un impératif, ça joue aussi contre l'artiste, celui qui ne l'est pas encore parce qu'il a toujours à le devenir. Je me suis dit que « devenir » aussi ça m'ennuie. Finalement parce qu'on ne fait pas l'effort d'inventer avec un vieux mot (trop prétentieux ou carrément mégalo en disant d'inventer un mot… carrément débile en fait, car avec tous les mots qu'on a oubliés à ne plus les employer on pourrait créer un musée, sans blagues). Et puis ça a un avantage un vieux mot à la place du mot « devenir », ce mot resucé jusque dans les mouvements de tête de l'audience, « on se comprend, n'est-ce pas ». L'avantage du vieux mot c'est de questionner : à quoi servent les vieilles choses, et les vieilles opérations, qui sont restées malgré tout si longtemps, à cause de leurs forces concrètes, qui ont irradié longtemps, très longtemps dans la culture, qui sont devenues des symboles, et puis longtemps, après ça, ça fait qu'on oublie la force du symbole en ayant appris la signification, puis la leçon de la signification. Ou comment passer de la croix à la sémiologie. Oui vraiment, le progrès ça m'ennuie, parce qu'il agite les causalités, ligne horizontale des pourquoi et des parce que. Il y a aussi une ligne verticale, et elle se cogne des causalités et du progrès, elle est l'insensé désir des comment et de la matière. Plus de questionnement, on a le placard des réponses. Je ne sais pas pourquoi tout d'un coup je pense au tour de magie de la femme coupée en deux. Rien à voir avec un problème d'illusion, c'est que dans toute distance (le « en deux » suppose un écart) y a toujours de l'incompatible, forcément y a du vide. Le placard est vide, même si la panoplie est au complet : les réponses ne servent à rien. Cette image me plaît beaucoup, celle de la boîte en deux devenue le placard vide. Une histoire de distance à cause d'un espace qui s'ouvre : sidération des spectateurs, où est le corps s'il est en deux, lui qui doit sa survie à son unité ? On s'en fout de la survie ! Ce qui compte c'est le vieux mot qui arrive, qu'on ne veut pas réveiller, même si, je le vois, il revient doucement, il va avoir mal si on veut le mettre sur le devant de la scène. Il va revenir doucement, laissons faire, laissons-le réveiller toutes les phrases qui dorment. Il viendra de l'intérieur, là où on l'a bien noyauté, avec tout ce qu'on lui a collé, un mot pour les vieux cons, Nietzsche, Bachelard, Pasolini, Barthes,… un mot d'une formidable force de conversion, car si y a un noyau c'est qu'il y a du fruit autour. Oui vraiment cette image de boîte qui s'ouvre comme un placard à double-fond me plaît beaucoup, c'est comme une porte qui s'ouvre, je veux dire que l'image est une porte : je vois que ça s'ouvre. Ce n'est plus la femme en deux, c'est tout un horizon, c'est un désert, à cause du temps qui n'arrête pas de questionner les limites avec lui, et du fleuve parce qu'on a vaincu les dépendances du moment, on s'écoule dans la vision, une mer sur le désert s'étend. Et là à cause de l'incompatibilité, y en a toujours – y en a plus que du compatible ou de la ressemblance – il y a l'horizon du mot, un mot qui fait que ça s'éloigne et se rapproche, un mot pas mort du tout, qui fait des lignes et puis des points, des croix et des spirales, des poèmes. Un mot qui s'ouvre et que je ne vous dirai pas. C'est tout de même formidable de voir le fleuve couler en soi alors qu'on n'est pas sorti de sa chambre ! Et si vous voulez tout savoir, je crois que c'est pour ça qu'on a inventé le cinéma, pour renouveler la chambre, les images et le matelas.
Corinne Rondeau est Maître de conférences Esthétique et Sciences de l’art à l’Université de Nîmes, critique d’art, collaboratrice à La Dispute sur France Culture.
rodrigo… marie reverdy
el retrato de Rodrigo Garcia tal y como su imagen se ha quedado colgando de una de mis pestañas le portrait de Rodrigo Garcia tel que son image est restée accrochée à l'un de mes cils
Tout pourrait commencer par une histoire comme il y en a tant, une histoire humaine, trop humaine, et tristement célèbre : un père de famille et son fils ont un accident de voiture. Si le père va relativement bien, on craint pour le choc que le jeune garçon a eu à la tête et qui a provoqué son évanouissement. On transporte l'enfant d'urgence à l'hôpital. Dans le hall des urgences, le médecin de garde s'approche du brancard et s'écrit : « je ne peux pas soigner cet enfant, car c'est mon fils !! ». Pourquoi ? Combien sommes-nous à avoir eu, comme premier réflexe, une réponse alambiquée, construite sur le modèle narratif du « fils du laitier ou du facteur » ? La réponse, fort simple pourtant, était que le médecin était sa mère. Mais combien sommes-nous à l'avoir eue ? Combien sommes-nous à avoir eu une représentation imagée de cette scène alors que nous étions invités à penser une fonction précise plus qu'un individu type ? Ainsi donc la représentation est toujours là, présente dans notre mode d'appréhension du monde, tapie dans les moindres replis de notre système cognitif. Les œuvres qui viennent bouleverser nos modes habituels de représentation du réel font alors preuve de « subversivité », au sens premier et noble du terme, issu du latin subvertere (de sub « sous » et vertere « tourner, changer, transformer ») qui signifie « retourner, bouleverser, renverser ». La subversion, ce n'est pas faire table rase mais se pencher dans l'espace vide qui se situe entre ses quatre pieds. Il ne s'agit pas de jeter les assiettes avec la nappe mais de regarder ce qui se cache dessous, et de vérifier, par la même occasion, s'il ne faudrait pas passer un bon coup de balai. Une œuvre subversive ne rejette pas tout, elle explore les méandres de nos attentes, et les déçoit souvent pour notre plus grand bonheur. Je crois que le travail de Rodrigo Garcia tient de la subversion dans la mesure où chaque image sociale qu'il explore, lisse comme une toile cirée, est grattée, triturée, afin de nous laisser entrevoir ce qui se cache sous sa surface. Il ne s'agit pas, pour lui, de les expliquer, mais bien de pousser leur logique jusqu'au bout, parfois jusqu'à l'absurde, afin que notre œil se distille de l'habitude que nous avons à ne plus les percevoir. Ce à quoi nous sommes invités, c'est à voir autrement le réel qui lui sert de référent. Malgré son rapport très minutieux aux arts visuels, cette exigence créatrice fait de lui, comme on l'entend souvent, un iconoclaste. Il est iconoclaste comme un philosophe est sceptique, il pratique le doute sans le systématiser car, comme disait Henri Poincaré dans La Science et l'Hypothèse, « Douter de tout ou tout croire, ce sont deux solutions également commodes, qui l'une et l'autre nous dispensent de réfléchir. » De réfléchir, d'observer ou d'éprouver le monde. Loin de ces arrogantes certitudes du tout critique ou de l'inconditionnelle adhésion, se trouve l'espace propice à la création. Celui à l'intérieur duquel nous serions toujours surpris, par le monde et par l'art, toujours attentif, occupant l'humble position de celui qui observe le monde impressionniste qui s'offre au regard, capté au moment de son apparition. Rodrigo Garcia est donc un iconoclaste d'une rare finesse, qui ne commet par l'erreur de confondre Image et Phénomène. Car si la création d'image est production de sens, narration, le phénomène, quant à lui, n'est ni critique ni utopique mais relève de la forme et de la performance. Par ce biais, Rodrigo Garcia œuvre à la naissance de la perception, utilisant la dilatation du temps, la démesure et la saturation ; orgie de matières, de sons, de projections et de décibels.
Rodrigo Garcia Directeur de hTh - humain Trop humain / Centre Dramatique National de Montpellier
Edito. Double page du programme de la saison 2016-17 de hTh / humain TROP humain – CDN de Montpellier. Création graphique de Arturo Iturbe Chinas.
Dans ce quelque chose qui apparaît, d'une manière ou d'une autre, par un sens ou un autre, nous sommes responsables du sens que nous accordons à la forme émergente. Le travail de Rodrigo Garcia ne s'apparente pas à un discours sur le monde mais à un regard porté sur ses effets esthétiques, il peut être lisible par le prisme de l'humour, de la politique, de l'existentialisme, du cynisme, etc. C'est sûrement pour cela que certains voient en lui la filiation de Brecht, d'autres d'Artaud, d'autres encore sentent le background publicitaire, etc. Rodrigo Garcia, quant à lui, se définit comme enfant de rien d'autre que de la date d'aujourd'hui ; enfant pour le regard neuf et pour la puissance du Vouloir qui n'est pas encore résigné, et d'aujourd'hui car, par cet énoncé performatif, il s'assied durablement dans l'éternelle contemporanéité, constamment en éveil aux sollicitations des évènements. C'est un peu de cette manière, également, qu'il conçoit la programmation 1 de hTh, en restant « à l'écoute du hasard » et en se méfiant de ce que le terme « intuition » sous-entend comme prétention au génie créateur. Car une œuvre est créatrice si on la conçoit comme un évènement qui rajoute du réel au réel, et hTh, dans ses plus doux rêves, doit devenir un lieu non pas de simple diffusion théâtrale, mais de « célébration de la vie créatrice », « festive et partagée ». Trouver en hTh l'endroit à partir duquel nous pourrions prendre conscience de nous-même et de nos failles, et que cela soit une fête plus qu'un mea culpa. Prendre conscience de nos violences sans les commettre, prendre conscience de nos fantasmes sans en avoir peur, prendre conscience de notre finitude sans en éprouver l'angoisse. Prendre également conscience de notre soif d'infini, voire même de notre inépuisable manque d'amour. Non pas éduquer le regard mais proposer une expérience, et offrir de la prolonger à loisir dans un lieu qui lui est dédié. D'ailleurs cela le démangeait, il reprendra les concerts de l'après-spectacle, rappelant néanmoins qu'ils sont gratuits et ouverts à tous, et non seulement à ceux qui sortent de la pièce qui aura été programmée dans la même soirée. C'est également la raison pour laquelle il propose 3 festivals 2, afin qu'en un temps relativement court, nous puissions être immergés dans l'ambiance des possibles d'un médium (Mèq festival) ou d'un thème (Explicit) ou encore d'un territoire (Big Bang).
Dans l’ordre chronologique, pièces de Markus Öhrn, Toshiki Okada, Maarten Seghers, Ana Borralho & Joao Galante, Gisèle Vienne, Tino Sehgal, Théo Mercier et François Chaignaud, Jan Lauwers, Luis Garay, Lola Arias, Claude Schmitz, Miet Warlop, Jan Martens, Gob Squad, Philippe Quesne, Steven Cohen.
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Mèq festival – Festival international d’art numérique performatif. 14 - 17 septembre. Explicit – Festival d’expressions plurielles du sexuel. 22 - 27 novembre. Big Bang – Créations en région. 21 février - 3 mars 2017 2
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Rodrigue as-tu du cœur ? J'sais pas mais j'ai la foi en tout cas !!
Rodrigo Garcia, dont on connaît la fidélité dont il fait preuve envers ses interprètes ainsi qu'avec les artistes qu'il aime, est également fidèle à lui-même et au projet qu'il a toujours défendu pour le CDN de Montpellier. Il n'est qu'à regarder l'édito de la saison d'hTh pour s'en convaincre : Ne perds jamais la foi – devise de l'Atlético de Madrid. Mais pour garder la foi, autant faut-il avoir déjà quelques convictions et il paraît impossible, pour un artiste, de créer sans croire, a minima, à l'art et au public. Cette foi dans l'art, on a pu s'en délecter pendant les trois quarts d'heure des Sept Dernières Paroles du Christ en Croix de Joseph Haydn, interprétées au piano par Marino Formenti lors de Golgotha picnic. On peut également la mesurer à l'importance qu'il accorde à la production 3 puisqu'hTh n'est pas un simple lieu de diffusion de l'art mais un « Centre de Création Contemporaine ». Cette importance est double, car outre le soutien à la création que Rodrigo Garcia défend sans relâche, la présence des artistes sur le lieu, malheureusement trop peu équipé pour des résidences au long cours, participe de la « célébration de la vie créatrice » et éloigne le CDN du modèle consumériste de l'art. Les artistes sont invités à rester pour un temps relativement long, de deux à trois mois pour les spectacles produits par hTh, afin de favoriser des rencontres réelles, quelques crans plus loin que le seul bord de plateau, notamment par le biais des workshops 4. Rodrigo Garcia a foi dans le fait que leur présence puisse favoriser une émulation créatrice ainsi qu'il la vit lui-même. Amoureux de l'art, il s'intéresse, bien sûr, à leurs œuvres. Iconoclaste curieux, il s'intéresse, également, à leur processus singulier de création, par lequel l'œuvre advient, réalimentant ainsi sans cesse sa capacité à s'émerveiller devant le mystère de l'art en train de naître.
Productions déléguées (créations) : To Walk the Infernal Fields de Markus Öhrn, Science and Friction et Primitive Futures de Luis Garay, Begin the Beguine de Jan Lauwers. Productions déléguées (reprise) : Allez Mourir plus loin de Ana Borralho & Joao Galante, C'est comme ça et me faites pas chier de Rodrigo Garcia. 3
Interventions de Toshiki Okada, Twiggy Pucci Garcon, Claude Schmitz, Jan Martens, Gob Squad et Master class de Jan Lauwers.
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Quant à sa foi dans le public, Rodrigo Garcia l'a souvent répété, « je n'aime pas l'idée de la culture élitiste ou intimidante ; mon travail s'adresse à tout le monde, aux chauffeurs de taxi… ». Il est vrai qu'à bien y regarder nous sommes tous des chauffeurs de taxi, enfermés dans nos armures de fer, soumis aux précieux prix de chaque minute mais néanmoins ouverts aux rencontres éphémères et aux parcours rhizomatiques. Le chauffeur de taxi incarne l'emblème du public rêvé par Rodrigo Garcia. Moi, j'avoue que je l'écoute parler des chauffeurs de taxi comme j'écouterais les plus beaux contes de l'amour courtois, car dans sa bouche, le chauffeur de taxi est une figure tutélaire de notre monde et non le simple accessoire d'un discours de légitimation de la culture, vaguement bienfaitrice, et qu'il faudrait distribuer à ceux qui en seraient, soi-disant, les plus démunis. Ainsi, qu'il soit auteur, metteur en scène ou directeur de CDN, Rodrigo Garcia garde la même foi dans l'art et dans la vie, pour lui relativement synonymes. C'est pour cela, sûrement, qu'il se méfie de l'illusionnisme de la représentation. Le théâtre, comme le cinéma, a ceci de particulier qu'il se base sur l'action et la parole feintes. Comme tout être conscient, donc éminemment libre et responsable, Rodrigo Garcia s'est confronté à l'épineuse question de la légitimité de ses actes : « Pourquoi demander aux comédiens de dire ce qui relève de ma responsabilité d'auteur ? » Une certaine méfiance à l'endroit de la représentation... Il préfère offrir au regard le processus de création : la forme écrite du texte projeté – car ainsi qu'il l'écrit dans C'est comme ça et me faites pas chier 5, « je place mes espoirs dans l'alphabet » – et la performance des interprètes, dont la présence de leur corps nietzschéen est déjà « d'une grande raison ». Aucune œuvre de Rodrigo Garcia ne prescrit ou ne proscrit un acte, que ce soit en direction de ses comédiens ou du public, aucune de ses œuvres ne critique ni ne condamne, il se contente de décrire ce qui pourrait apparaître comme le mécanisme interne de nos vies, celui de générer, par le fait même que nous vivions, une présence et des actes qui relèvent du phénomène parfois insensé mais, puisqu'il faut finir comme l'on a commencé, qui est tellement humain, et parfois Trop humain.
C'est comme ça et me faites pas chier de Rodrigo Garcia. 4, 5 et 8, 9 novembre 2016.
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le printemps de septembre 26e édition - toulouse, jusqu’au 23 octobre 2016
Les mots de Marie-Thérèse Perrin, la Présidente-fondatrice En 2014, le Printemps de septembre prenait la décision de devenir biennal. À la faveur de ce changement de rythme, qui questionnait le projet général du festival, c’est à Christian Bernard que j’ai souhaité faire appel pour le refonder en s’adossant aux principes essentiels qui avaient présidé à sa création : une manifestation qui renoue avec sa dimension festivalière généreuse, exigeante, ludique, favorisant la création, les découvertes formelles, créant un véritable dialogue avec son territoire et ses acteurs divers, en prise avec le monde en mouvement. 2016 constitue le premier épisode de cette nouvelle séquence du festival que nous projetons dans la durée. Les principes actés cette année se développeront progressivement en 2018 puis en 2020. L’un des tout premiers sans doute consiste dans la multiplication de projets pensés spécifiquement pour la ville et sa région, singuliers par nature parce que vous ne pourriez les voir nulle part ailleurs que dans les lieux pour lesquels ils ont été créés, dans leur diversité, espace urbain compris. L’indifférenciation de la présentation des pratiques choisie par Christian est aussi la marque d’un temps où l’hybridation des formes, l’incursion des artistes dans de multiples champs d’expression, limite considérablement leur catégorisation. Et c’est tant mieux, le Printemps de septembre a toujours eu à cœur d’explorer de nouvelles pistes, de regarder vers demain, de défaire les cadres. En revenant à notre nom d’origine, le Printemps de septembre, c’est notre label pionnier et notre curiosité que nous réaffirmons aujourd’hui. Je me réjouis qu’il s’incarne dans une telle pluralité de voix, celles de tous les artistes, d’ici et d’ailleurs, que nous avons invités pour nous raconter le monde autrement. Les mots de Christian Bernard, le directeur Le retour du Printemps de septembre à la rentrée et sous son appellation « historique » est aussi l’occasion de le redéployer à l’échelle de l’agglomération toulousaine. Plus de vingt lieux partenaires accueillent ainsi ses expositions, ses concerts, ses projections, ses performances. Cette constellation de manifestations rassemble plus de cinquante artistes invités par le festival et une douzaine de commissaires associés, pour « affecter la ville » quatre semaines durant. Opéra en archipel, le prochain Printemps de septembre dissémine ses propositions visuelles et musicales selon différentes lignes de réflexion : — sur le musée aujourd’hui, dans les musées des Augustins, des Abattoirs et Paul-Dupuy où des artistes (Aurélien Froment et Raphaël Zarka) ou des conservateurs (Charles Esche et Grazia Quaroni) mettent en abîme ou en crise l’institution, les collections et leur exposition : trois « jeux de musée ». — sur les lieux et leur interprétation par les œuvres conçues pour eux (Hans Op de Beeck au réfectoire du couvent des Jacobins, Claudia Comte à l’Espace EDF Bazacle, Eva Kot’átkovà à l’Hôtel-Dieu ou Dominik Lang au Château d’Eau) : quatre saisissements singuliers. — sur la musique quand elle opère au cœur des œuvres de Stan Douglas, Ragnar Kjartansson, Vincent Meessen, David Shrigley, etc. : autant d’installations où se jouent les partitions de la bande originale du festival. — sur les formes faibles, légères, éphémères ou festives, dans les cours, les bars, les restaurants universitaires, sur la Garonne et partout en ville, des périphéries au centre historique : autant d’expériences de déplacement et de décentrement pour retrouver l’espace urbain, les flâneries nocturnes, les flux conviviaux qui font la marque du festival. — sur la nouvelle géographie et la nouvelle histoire des mondes de l’art qu’explorent aussi bien le rituel civique imaginé par Claire Tancons que l’exposition conçue par Christine Eyene ou les artistes kirghizes présentés par Karine Tissot. En tout, sept expositions collectives, dix expositions personnelles, une vingtaine de concerts, performances, rencontres et autres propositions participatives conclues par un Grand Bal Dada dédié à Marc Dachy, pour explorer les interactions à l’œuvre dans la pluralité des mondes de l’art et de la culture, dans la multiplicité des mondes de pensée.
Aurélien Froment – Raphaël Zarka jusqu’au 8 janvier 2017 Les Abattoirs – FRAC Midi-Pyrénées
David Shrigley jusqu’au 23 octobre 2016 isdaT - institut supérieur des arts de Toulouse
Stan Douglas Luanda-Kinshasa jusqu’au 23 octobre 2016 Théâtre Garonne - Scène Européenne (At. 1)
Marion Baruch jusqu’au 23 octobre 2016 L'Adresse du Printemps de septembre
John Cage – Satch Hoyt – Yinka Shonibare MBE (RA) Résonances : second mouvement jusqu’au 23 octobre 2016 Espace Croix-Baragnon
Samir Ramdani Superbe spectacle de l’amour jusqu’au 23 octobre 2016 BBB Centre d’art
mais aussi : Claudia Comte The Curves, The Corners, and The Machines Espace EDF Bazacle Ragnar Kjartansson The Visitors Théâtre Garonne - Scène Européenne (At. 2) Eva Kot’atkova The Blood is Less Impressive on Green Hôtel-Dieu
BLEUBLEU jusqu’au 23 octobre 2016 Lieu-Commun
Hans Op de Beeck The Garden of Whispers jusqu’au 27 novembre 2016 Couvent des Jacobins
Dominik Lang Château d’Eau Vincent Meesen Fondation d’entreprise Espace Écureuil
le bureau de johan creten
Johan Creten
La Traversée CRAC – Centre Régional d’Art Contemporain, Sète (34) 22 octobre 2016 - 15 janvier 2017
acturama crac, sète - post_production, montpellier L’être humain, l’artiste en particulier, a toujours entretenu une relation privilégiée aux pierres, aux cristaux et au monde minéral dans son ensemble. Bien avant l’art des grottes, depuis l’apparition des premiers outils lithiques jusqu’à nos jours, il ne cesse d’animer un règne minéral pourtant considéré aujourd’hui comme inerte et inorganique. A quoi tient ce phénomène ? En quoi intervient-il dans l’alchimie profonde de la création artistique ? L’Académinérale du Musée de l’Invisible – inaugurée en juin 2015 à L’Institut d’Art Contemporain de Villeurbanne et au Musée National des Arts & Métiers à Paris avec l’exposition De Mineralis – se consacre à ces questions. La proposition pour le Centre Régional d’Art Contemporain à Sète correspond à une étape importante de l’Académinérale et à l’un de ses passages obligés. Il s’agit ici de revisiter les vécus et les dimensions mythiques liés à la pierre et aux minéraux à travers la poétique de l’alchimie. Un domaine qui curieusement passionne un nombre croissant d’artistes contemporains. C’est à cette singularité associée à celle du retour récent et remarqué de la pierre dans la création actuelle, que ce projet s’intéresse. C’est pourquoi l’exposition est conçue à partir du motif et de la symbolique de l’Athanor, le fameux fourneau de l’alchimiste... Avec la participation des artistes : Art Orienté Objet, Basserode, Caroline Corbasson, Johan Creten, Damien Deroubaix, Evi Keller, Bertrand Lamarche, Julie Legrand, Myriam Mechita, Jean-Michel Othoniel, Olivier Raud, … Ci-contre : Julie Legrand. Vers la lumière (Black lux), 2016. Verre noir filé au chalumeau et pépites de verre transparent.
A la suite de sa résidence d’artiste à la Villa Saint Clair à Sète l’été 91, Johan Creten, jeune sculpteur belge était invité à présenter les œuvres réalisées lors de son séjour dans, notamment, un lieu choisi par l’artiste « la quarantaine » du port de Sète. Pour les découvrir, un seul accès possible : une traversée en bateau pour atteindre ce lieu entre la terre et l’étendue immense de la Méditerranée. 25 ans plus tard, La Traversée prend une symbolique encore plus grande, forte des changements du monde et date anniversaire des 350 ans de la création du port de Sète. Le projet au CRAC propose un voyage initiatique des œuvres qui illustrent le mystère de la nature où fleurs et algues se confrontent à un bestiaire étrange et fascinant, élevant la beauté au rang de force salvatrice – certaines des pièces ont été réalisées avec la Manufacture Nationale de Sèvres, illustrant le génie et la passion de l’artiste pour la céramique. Johan Creten. Wedgwood, 1993. Émail bleu sur terre cuite rouge. 71 x 47 x 55 cm. Courtesy Johan Creten © Villa Arson – Jean Brasille
CRAC - Centre Régional d’Art Contemporain, Sète (34) ATHANOR / Petite suite alchimique #1. Commissariat de Pascal Pique Johan Creten. La Traversée. Commissariat de Noëlle Tissier. 22 octobre 2016 - 15 janvier 2017
Post_Production est un programme de soutien aux artistes émergents des territoires réunis Languedoc-Roussillon et Midi-Pyrénées – initié par les écoles supérieures d'art de Montpellier, Nîmes, PauTarbes et Toulouse et soutenu par le Ministère de la Culture. En suite à une résidence partagée à Lieu-Commun – Artist Run Space à Toulouse – au printemps dernier, dans le cadre de la première édition de ce dispositif, l’exposition Frac à QUATRE présente les œuvres des 4 lauréats de l’édition 2016 : Cindy Coutant, diplômée de l'ESA des Pyrénées, Pau-Tarbes Emma Cozzani, diplômée de l'ESBAN, Nîmes Jimmy Richer, diplômé de l'ESBAMA, Montpellier Emmanuel Simon, diplômé de l'isdaT, Toulouse, et ses invités Ci-contre : Dessin d’Emmanuel Simon © Emmanuel Simon
FRAC - Fonds Régional d’Art Contemporain, Montpellier (34) Frac à QUATRE (répliques). 17 septembre - 6 novembre 2016
Qi WANG Be like water 28 octobre - 10 dĂŠcembre 2016
Galerie Vasistas 37 avenue bouisson bertrand - montpellier / du mercredi au samedi 15h - 18h30
carré d’art, nîmes Anna Boghiguian (née en 1946) réalise des dessins et des peintures d’individus et d’espaces urbains tout en étant poète. Sa démarche artistique peut se comprendre comme un essai de cartographie du monde. Pour elle, les individus sont conditionnés par l’espace qui les entoure et le moi par les murs bâtis par les conditionnements culturels, religieux ou politiques. Elle voyage sans cesse pour abolir ces frontières, crée où elle se trouve mais retourne toujours dans sa ville natale qui est Le Caire. Dans les années 70, elle a aussi composé à partir des bruits de la ville qu’elle a ensuite retranscrits dans le champ de la peinture. Ses peintures sont toujours des compositions très denses où elle associe parfois ses propres écrits. Ses narrations mêlent l’histoire personnelle et le politique passant du passé au présent, déconstruisant le réel pour aller vers le mythologique. A Carré d’Art, elle développe une narration complexe et poétique à partir de la richesse du passé de la ville et de la réalité qui est la nôtre. Ci-contre : The Salt Traders, 2015. Vue d’installation, Van Abbe Museum, Eindhoven, 2015. Photo © Peter Fox. Courtesy de l’artiste & Sfeir-Semler Gallery Hambourg/Beyrouth. © Anna Boghiguian.
Abraham Cruzvillegas. Vue d’exposition, Agustina Ferreyra Gallery, San Juan Puerto Rico, 2016. Courtesy de l’artiste & Agustina Ferreyra Gallery, San Juan Puerto Rico © Abraham Cruzvillegas
La pratique d’Abraham Cruzvillegas convoque l’histoire et la construction de soi dans des contextes économique, social et politique. Il utilise différentes stratégies de production et de réception pour créer du sens et donne aux objets une nouvelle vie dans de nouveaux contextes générant des changements dans leur interprétation. La réflexion sur les interrelations et interconnexions est au cœur de son travail. Il s’intéresse aux objets délaissés et examine les façons dont sont construites ou reconstruites des histoires à partir d’informations, de documents, de témoignages. L’improvisation et l’assemblage sont au centre de sa pratique en relation avec l’idée de survie économique, du travail et du ready-made. L’exposition à Carré d’Art est constituée de nouvelles œuvres réalisées en relation au contexte à partir de la collecte de matériaux dans la ville de Nîmes et inclut la participation d’un couple de danseurs traditionnels qui interagissent avec les sculptures pour produire divers sons. Carré d’Art - Musée d’art contemporain. Nîmes (30). Anna Boghiguian – Abraham Cruzvillegas. 14 octobre 2016 - 5 mars 2017
a-chroniques benoist bouvot Postcard # 3 Des frontières et du vent
Depuis trois ans, j'ai pris l'habitude de t'écrire une lettre au même moment de l'été, comme pour dire quelque chose depuis l'endroit où je pense être. Aujourd'hui je suis encore dans ce long voyage qui m'amène sur les bordures du monde qui, quand elles sont faites par des politiques cérébrales et sans âme se nomment des frontières : ces lignes imaginaires que les humains ont dessinées pour exploiter ou piller ceux qui sont du côté le plus pauvre ou le plus faible en terme de force, et se protéger de ceux-là même qu'ils exploitent. On prend aussi ce terme dans un sens plus imagé pour dire que quelque chose n'est pas forcément là où on l'attend, qu'il est presque ailleurs : on dit qu'il est à la frontière. C'est obsédé par le souffle, que j'écoute la musique depuis des mois et que je me suis transporté ailleurs que là où je pensais être. Il faut qu'il y ait de l'air expulsé, une respiration, pour que je sois touché, et c'est comme déplacé par le vent que je me suis retrouvé dans une autre musique. J'ai suivi un drôle de chemin que je ne vais pas prendre le temps de te raconter, mais il m'a amené par le biais du chanteur Nidhal Yahyaoui et de son groupe Alphawin Populaire à découvrir un instrument qui a traversé la frontière si tristement connue de nos jours entre la Lybie et la Tunisie. Le mezoued est un instrument qui vient vraisemblablement de Lybie. C'est une outre en peau de chèvre qui rappelle une forme de la cornemuse, et il accompagne la culture populaire tunisienne, tant les chants soufis que ceux, profanes, des voyous. Il est si profondément attaché au peuple que le pouvoir autoritaire de Bourguiba l'avait écarté de toute visibilité, comme interdit. En fait je regarde cette peau de chèvre se remplir d'air redonnant la forme de l'animal en remplaçant sa chair absente par le souffle, pour se vider en notes criardes qui viennent se jouer sur des thèmes entraînants. Je regarde l'ancrage incroyable de la musique du mezoued qui fait danser la culture tunisienne, comme les basses bègues de nos DJ font danser les occidentaux, et parfois le monde entier. Je regarde comment le même instrument est lié à un patrimoine ambivalent passant du sacré aux bas-fonds. Je regarde comment les chansons louant les Saints sont connues de tous, religieux et profanes, une liturgie pour inviter le corps à se bouger et la voix à vibrer. Je pense aux orgues, aux trompettes, aux flûtes, à la voix et à tous ces couloirs de vent qui deviennent des notes pour former des accords, parcourir des mélodies et se répandre en musique, et je rêve du vent qui se joue des frontières. Tu l'auras compris je cherche un peu d'air dans un temps qui me semble trop proche de la fermeture et de l'asphyxie.
silhouette dominique rochet
Black tie massacer Cropped smocking type Deauville, chemise blanche à col rabattu et nœud papillon, Creepers en daim avec surpiqûres apparentes. Ne porter que pour des évenements bien particuliers.
la dramatique vie de marie r. marie reverdy La dramatique vie sexuelle de Marie R.
Il est des métiers, si j'en crois Catherine M., qui offrent une vie sexuelle stimulante et qui produisent une littérature sexuellement éprouvante. Force est de constater que ce n'est pas le cas du dramaturge, dont le bureau se situe près de son lit, de sa cuisine, et qui passe une grande partie de son temps à écrire des articles en pyjama. Peu glamour en effet… Mais quand même, si Catherine M. s'est tapé pas mal de mecs, glaçons en bouche, moi, en l'occurrence, je me suis tapée Natacha Polony – disons plutôt ses émissions – clope au bec. Bon, pas de quoi en faire un roman érotique, certes, mais tout de même, de quoi en faire un essai sur les erreurs que l'on commet en tentant de formuler un raisonnement. Pourquoi un dramaturge aurait-il un droit de regard sur une spécialité qui n'est pas la sienne, a priori, et qui relèverait plutôt de la socio-linguistique ? Tout simplement parce que la dramaturgie, si elle s'intéresse aux échanges dialogués, ne saurait faire l'impasse de la rhétorique et des sous-entendus qui intéressent en tout premier lieu le metteur en scène qui sait les mettre en lumière. Ensuite parce que le dramaturge considère les mots comme des « mini-récits » à eux tout seul, condition nécessaire de l'accès au symbole. Mais également parce qu'il est impossible de regarder du côté de l'œuvre sans considérer son énonciation, car chaque parole prononcée est comme l'obturateur de la caméra que l'on pointe sur le réel : un simple point de vue, dont la focale est plus ou moins ouverte, et dont l'angle d'approche est plus ou moins obtus. Le système énonciatif dans les médias de masse, news et chroniqueurs confondus, offre un exercice d'une simplicité affligeante, voire d'un simplisme outrancier, propice à l'entraînement des premières années de linguistique. En opposition au monolithisme énonciatif de ces discours, dont on sent poindre la revendication identitaire de son énonciateur, l'art et son système énonciatif polyphonique font œuvres de résistance à la réduction du monde. Il est vrai qu'on ne saurait faire de la dramaturgie sans se préoccuper d'esthétique, et celle-ci est éminemment politique. Il ne s'agit donc pas de se contenter de la réalité présente, mais bien de comprendre qu'il y a une différence énorme entre le « Que voulons-nous vivre ? » et le « Que nous est-il donné d'espérer ? ». Si la première question relève de la pensée esthétique, nous invitant à nous interroger sur ce que nous considérons être une société désirable, la seconde est largement désespérée et se limite à nous faire avaler l'amère pilule de la résignation. Enfin, parce que le dramaturge fait souvent face à des personnages, et que ceux-ci se construisent par les paroles qu'ils prononcent, ou par la manière dont ils sont perçus. Il n'y a, chez eux, aucun caractère préexistant à leurs actes ; il n'y a que des intentions feignant une intériorité dont ils sont dépourvus. On apprend vite, dans ces conditions, à considérer que l'identité se construit de même, par les mots qui nous précèdent, et par le prisme du miroir que le regard d'autrui nous tend. C'est Wittgenstein, le premier, qui, par le biais de l'analyse du langage, a pensé l'identité sous le prisme de l'interlocution. La question s'impose alors d'elle-même : Comment nous adaptons-nous au masque social qu'on nous assigne, derrière lequel nous suons et grimaçons ? C'est à considérer que Shakespeare avait raison, lorsqu'il a fait inscrire, sur le fronton du Théâtre du Globe : Totus mundus agit histrionem (« Tout le monde se comporte comme un acteur »). Alors parfois, c'est vrai, il m'arrive, en regardant les news, de me demander : « mais c'est pas vrai, à quoi on joue là ?!? » Donc je fulmine, et je commence à écrire un post pour Facebook, puis finalement non, ce sera un article, oh et puis zut ce sera un bouquin ! Comment trouver un titre qui puisse le résumer ? J'aurais voulu l'appeler C'est comme ça et me faites pas chier mais, malheureusement, c'était déjà pris… Marie Reverdy. Choisir son regard, Comprendre la (dé)construction identitaire dans les représentations médiatiques. Ed. Chronique Sociale. Sortie octobre 2016
i’m back laurent goumarre
La liberté, Bill Cunningham la connaissait bien, il en a payé le prix. Ne rien devoir, ne rien recevoir. Vivre dans moins de 30 m 2, bourrés de milliers de négatifs à Carnegie Hall. Dormir sous la menace de centaines de livres de mode qui auraient pu l’ensevelir. Traverser New York à vélo, systématiquement le sourire aux lèvres. Oui la liberté est hors de prix. Surtout dans la mode, où Bill savait garder ses distances – « Money is the cheapest thing ; freedom is the most expensive ». Son art de la photographie, c’était ça : avoir et garder le sens de la distance. Etre proche de ses sujets, le nez dessus parfois, mais sans « en être ». Photographier les puissants dans leurs fêtes, pour Evening Hours mais sans rien accepter, ni un verre, ni manger, ni s’asseoir. Photographier par hasard le manteau de Greta Garbo en 76 et le glisser parmi d’autres manteaux inconnus : le principe de sa chronique « On the street » pour le New York Times. L’art de Cunningham ? défendre une vision horizontale de la société dans la ville des gratte-ciels. Il y a quelque chose de Warhol chez Cunningham, pas de pop, non, quelque chose de Warhol dans sa façon de tout mettre à plat, de rester en surface : le manteau de Garbo et celui d’une inconnue, les puissants, les anonymes tous mis en boite sans hiérarchie, mais avec le sens du beautiful people. Quand Warhol sérigraphie, il reste à la surface des choses, aucune profondeur n’est en jeu, tout pour la façade. Bill Cunningham, c’est aussi l’art de la façade, qu’il met littéralement en scène en 68 quand il shoote deux amies, en costumes d’époque, devant les plus riches builings new-yorkais. Tout est dit : la mode et l’architecture sont une histoire de « Facades » – titre de l’album qu’il signe à l’époque après 8 années passées à documenter systématiquement l’histoire architecturale de New York au regard de costumes vintage. Le projet raconte bien l’esprit de Bill Cunningham : la mode américaine est urbaine avant tout, une histoire de rue, une mode en plein air, les bases de ce qui allait devenir sa Street Photography. La distance de Bill au monde ou comment être au monde sans « en être » ? Voilà la question. Etre celui qui photographie en série les mêmes détails de la mode sur différents individus – la forme d’une jupe, l’imprimé léopard, autrement dit traquer les autres en Serial Photographer – et se mettre à distance, toujours pareil, dans la même veste bleue, sur son vélo, le sourire aux lèvres. Le style Cunningham ? le contrepoint formel aux changements de la mode. Etre toujours le même quand on choisit de photographier l’éphémère, on pourrait y voir de la raideur, diagnostiquer une difficulté psychotique. Mais on peut y lire la marque ultime du savoir vivre : être toujours le même, c’est offrir aux autres le spectacle rassurant qu’il y a des repères. Et Bill Cunningham en était un, un re-père qui appelait tous les autres du nom de « Child ». Disparu à 87 ans en juin dernier. Un sourire éternel sur les lèvres à New York, ça voulait bien vouloir dire quelque chose. Pas de pose, pas de mise en scène, pas de temps à perdre avec la technique, la lumière, ou je ne sais quoi, la seule chose qui vaille, c’est le vêtement, le manteau pour Garbo, la partie pour le tout. Le vêtement qui fait écran au reste du monde ? le vêtement pour oublier le monde ? Non le vêtement pour « révéler » le monde au sens photographique du terme. Laurent Goumarre est critique d’art, journaliste et producteur de l’émission Le nouveau rendez-vous sur France Inter du lundi au jeudi de 22h00 à minuit