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art contemporain - occitanie - juin juillet août septembre 2018 - numéro 47
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abonnement 3 numéros par an 10 € Envoyez votre chèque (à l’ordre de BMédiation) et vos coordonnées à BMédiation 39 avenue Bouisson Bertrand 34090 Montpellier le site de la revue
acturama - des articles inédits sur l’actualité addenda - une sélection d’expositions archives - toutes les chroniques publiées
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Le temps des vacances, pour le photographe aussi. Karim par François
lachrimae antiquae novae - Corinne Rondeau wolfgang tillmans - Carré d’Art, Nîmes (30) julien garnier - Cosmologik évasions, l’art sans liberté - Miam, Sète (34) in the mood for taïwan - Christian Rizzo acturama - La Cuisine, Nègrepelisse - Mrac, Sérignan - L’Été photographique de Lectoure nicolas daubanes - Aucun bâtiment n’est innocent nicolas daubanes - 300 ou 400 briques festirama - Uzès danse - Printemps des Comédiens - Montpellier danse - Avignon a-chroniques - Benoist Bouvot silhouette - Dominique Rochet la dramatique vie de marie r. - Marie Reverdy i’m back - Laurent Goumarre
offshore est édité par BMédiation 4 rue Chamayou 34090 Montpellier
Couverture : Amélie et Julien. Photo de Karim Zeriahen © offshore 2018
directeur de publication : Emmanuel Berard rédacteur en chef : Jean-Paul Guarino
ont collaboré à ce numéro : Benoist Bouvot, Laurent Goumarre, Marie Reverdy, Dominique Rochet, Corinne Rondeau
site : offshore-revue.fr tél. : 04 67 52 47 37 courriel : offshore@wanadoo.fr ISSN 1639-6855 dépôt légal : à parution impression : JF Impression. 34075 Montpellier
crédits photos : François Deladerrière, Julien Garnier, Laurent Goumarre, Christian Rizzo, Dominique Rochet, Pierre Schwartz, Karim Zeriahen
vous pouvez recevoir chez vous les 3 prochains numéros d’offshore en envoyant vos coordonnées et un chèque de 10 € à BMédiation, 4 rue Chamayou 34090 Montpellier
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lachrimae antiquae novae
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corinne rondeau
Massacre des innocents ; Adieu du Christ à sa mère ; Disciples au tombeau ; Marie-Madeleine, les larmes ne manquent pas dans l'histoire de la peinture. Incontinentes et indécidables, les larmes sont ce qui reste de silence dans le récit ; ce qui reste de la souffrance tant qu'elle n'a pas détruit celle ou celui qui pleure. « Toutes les Larmes sont des Pleurs, mais tous les pleurs ne sont pas des Larmes » écrivait Marin Cureau de la Chambre, médecin et philosophe du XVIIe siècle. Tous les pleurs sont contingents et discontinus, mais les larmes sont la continuité de l'être, ce qui se conserve sans la moindre cause, persévère le temps de la vie et se conserve telle une perpétuité de l'esprit. Sans origine visible, ni de fin déterminée, c'est au singulier qu'il faut l'écrire, comme on dit la passion de l'âme, La larme. Elle nous tient respectueusement au bord d'une connaissance avec sa ligne ondoyante de l'esprit sur la chair, mi-hiéroglyphe d'une émotion échappant au langage, mi-événement d'une fonte de l'âme qui dilue toutes limites. Pourtant la larme se répand vers le dehors plus qu'elle invite à l'intériorité. C'est son paradoxe. I'm too sad to tell you (1971) est un film de 3'34 de Bas Jan Ader. Cataracte de larmes, paupières très basses, visage brillant, crispation des traits par instant, main essuyant les joues, sanglots, le film effleure l'effacement. Pourquoi pleurer ? Question sans avenir. Pas de mots pour attraper la tristesse (too sad), juste dire qu'on ne peut pas dire. Juste assez de mots (to tell) pour sentir qu'il y a une réserve (you). Curieux les commentaires qui en appellent au romantisme ou à la mélancolie afin de mettre des mots là où un autre est à faire venir. En regardant fondre et s'effondrer le visage de Bas Jan Ader, ce qui frappe c'est le plan serré sur ce qui ne connait ni début ni fin. Juste un cadre pour résister à la destruction en se dissolvant. Se dissoudre n'est-ce pas toujours être ici et là sous une autre forme ? Il y a de la gravité dans la dissolution, même si elle déplace le caractère physique de la pesanteur. Sa dernière œuvre, In search of the miraculous (1975), est moins imprévue qu'inachevée. Personne ne l'a vu disparaitre de son petit voilier qui ralliait Cap Code à la Hollande. Bas Jan Ader a rendu la performance à son mystère : elle est le lieu d'un corps sans lieu, le ressassement d'une geste jusqu'à n'être presque plus rien. Se fondre dans un lointain comme au plus fort des sanglots ne laisser aucune trace de son existence. La performance s'astreint à poser une question sans réponse : comment faire corps ? Série Woman Crying (2016) de Anne Collier. Photographies de photographies de magazines des années 5080 recadrées, agrandies, choisies au motif de son titre, femmes pleurant par gros temps de la démocratisation pornographique. Il ne s'agit pas de pleurer sur la femme réifiée par l'image, ni sur la fétichisation par réappropriation d'images faites par des photographes hommes. En donnant à voir la moitié d'un visage et une larme, en expulsant le sujet par le recadrage, Anne Collier isole chaque image de la série, soustrait chaque visage à sa totalité, et, paradoxalement, les individualise. Une seule larme exhibée et le pathos est évacué. Elle intrigue par le grossissement, radicalise le point de vue. Élaguant le champ du visible, l'artiste nettoie le discours de toute valeur morale, aplanit l'espace et le tend irrémédiablement vers un hors-champ : l'horizon d'un corps autre. À la toute-puissance de la page glacée, à son fantasme impalpable, sourd l'effleurement d'un regard sans brutalité, sans culpabilité : on est toujours l'objet de ce qu'on regarde, toujours le sujet d'un autre. On est toujours divisé. Sur les visages fragmentés, la larme orpheline indexe l'autorité du cadrage ; sépare le corps de l'esprit pour ne plus avoir à toucher le corps afin de penser l'image ; échange le sillon provisoire du mouillé en pur assèchement ; transmue la larme en brûlure. Anne Collier ne met pas l'image en abîme par l'efficacité d'un dispositif, elle retient l'esprit en silence pour l'atteindre, le pénètre plus que le langage ne saurait le faire. La larme ne se réduit pas à son aspect extérieur, à la brillance d'un récit de souffrance, disparition ou réification. Une larme peut en chasser une autre, cependant que dure la larme, lit immuable où se conserve l'être, malgré les changements, malgré l'absence d'un corps ou le pouvoir d'une coupure. 1
Nouvelles larmes anciennes
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Anne Collier, Woman Crying #1, 2016. Courtesy the artist, Anton Kern Gallery, New York ; Galerie Neu, Berlin ; Marc Foxx, Los Angeles ; The Modern Institute/Toby Webster Ltd., Glasgow. © Anne Collier.
L’exposition « Anne Collier » eut lieu au Frac Normandie Rouen du 27 janvier au 25 mars 2018.
Corinne Rondeau est Maître de conférences Esthétique et Sciences de l’art à l’Université de Nîmes, critique d’art, collaboratrice à La Dispute sur France Culture.
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wolfgang tillmans carré d’art, nîmes (30)
Vapeur, 2017. Courtesy Galerie Chantal Crousel, Paris ; Galerie Buchholz, Berlin/Cologne. © Wolfgang Tillmans
Chaque exposition de Wolfgang Tillmans peut être pensée comme une installation où les images se répondent les unes aux autres selon des correspondances, connections et récurrences s’inscrivant dans des réseaux complexes visibles et invisibles. Elles peuvent révéler des moments de beauté, de désir mais aussi avoir une dimension sociale et politique. Faire l’expérience d’une de ses expositions c’est faire une expérience du monde dans lequel nous vivons par le regard à la fois critique et sensible de l’artiste. A Carré d’Art, l’exposition « Qu’est ce qui est différent ? » révèle ses différentes façons d’instaurer une relation au monde visuel et physique mais aussi à l’autre. Elle est aussi étroitement liée à l’édition d’un livre – dont le titre nomme aussi l’exposition – où il s’interroge sur la notion du Backfire Effect (retour de flamme) et plus précisément sur sa banalisation actuelle qui n’est pas sans conséquence sur notre rapport à la vérité mais aussi sur la construction de notre identité et nos convictions politiques. Après deux expositions importantes en 2017 à la Tate Modern de Londres et à la Fondation Beyeler à Bâle, l’exposition de Nîmes associe des œuvres des plus récentes à ses premières images en noir et blanc de 1987 – très rarement exposées – reproduisant des personnes, des paysages, des coupures de presse, laissant apparaître une trame liée au processus d’édition fait à partir d’une photocopieuse laser, dévoilant, déjà, son intérêt pour toutes les techniques de reproduction et la notion de reproductibilité. Immergés dans la globale vanitas qu’est cette exposition environnementale, Wolfgang Tillmans nous invite, généreusement et en toute complicité, à faire confiance à notre propre regard en en permettant sa pleine subjective expression. Un très beau moment. Carré d’Art - Nîmes (30). Qu’est ce qui est différent ? Wolfgang Tillmans. 4 mai - 16 septembre 2018
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julien garnier cosmologik
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Ci-dessus : Révélations. 2018. Série de dessins. Crayon et Rotring sur papier Canson, 63 x 83 cm chaque. A droite : Ordo Ab Chao, constellations de la Vierge, de la Poupe, de l’Ophiuchus et du Phénix. 2018. Impressions 3D, dimensions variables.
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évasions, l’art sans liberté miam, sète (34)
Vues de l’exposition. Photos Pierre Schwartz
Au-delà de ce qu'on nomme communément « l'art carcéral », l'exposition Évasions, l'art sans liberté rassemble plus largement, et pour la première fois, des œuvres et travaux plastiques produits dans des espaces de privation de liberté : prisons, mais aussi camps et lieux d'accueil d'exilés, jusqu'aux camps de concentration. Des productions des ateliers de la Jungle de Calais aux dessins d'Hafiz el Sudani réalisés sur les trottoirs de Paris, des Paños, créés par les prisonniers mexicains dans les geôles américaines aux travaux plastiques produits dans les prisons françaises par des détenus dans le cadre d'ateliers de pratique artistique, Évasions, l'art sans liberté pose l'expression artistique comme dernière des libertés de l'homme. L’exposition, qui présente nombre d’œuvres et d’objets inédits jamais montrés en France et dont le commissariat général est assuré par Norbert Duffort, s'organise selon trois sections : « Territoires imaginaires » avec les camps et campements d'exilés en référence, « Dehors imaginaires », avec Pascal Saumade en commissaire associé, montrant les réalisations issues de prisons et « Festins imaginaires », avec Anne Georget en commisaire associée, qui nous permet de découvrir un incroyable ensemble de carnets de recettes de cuisine illustrés, imaginés et rédigés dans des camps de concentration nazis, des camps de travail soviétiques et chinois et dans les camps de prisonniers civils et militaires japonais. La plupart de ces carnets sont cachés dans les familles depuis des décennies. Ils sont exceptionnels, rares étant les documents produits dans le quotidien de la captivité et de l’anéantissement et enfreignant les représentations de la déportation. MIAM – Musée International des Arts Modestes - Sète (34). Évasions, l’art sans liberté. 7 avril - 23 septembre 2018
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in the mood for taĂŻwan christian rizzo
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Christian Rizzo. Taipei, avril 2018
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acturama la cuisine, nègrepelisse (82) - mrac, sérignan (34) - l’été photographique de lectoure (32)
Accroché à une corde d’escalade ou de guitare, ce duo d’insatiables baroudeurs surprend autant par un mélange des genres mordant que par la poésie qu’il émane. Shipsides & Beggs Projects réunit ainsi deux artistes protéiformes (Dan Shipsides et Neal Beggs) qui basent leurs pratiques sur un questionnement du statut de l’artiste et de l’œuvre d’art. Refusant la sacralisation qui peut parfois en être faite, ils jouent avec les codes de la culture populaire. Leur recherche artistique, basée sur l’expérience et le vécu, renoue avec la notion de temps, de transformation d’objet et de fait main. Véritables aventuriers de l’art contemporain, ils ne cessent d’arpenter les espaces. Utilisant aussi bien la vidéo, la musique, le dessin que le volume, le duo tisse de nouveaux paysages. Ci-contre : Accolade Tree, 2015.
La Cuisine – Centre d’art et de design - Nègrepelisse (82) Lament of the Accolade Tree Shipsides & Beggs Projects. 16 juin - 30 septembre 2018
L’œuvre de Lubaina Himid questionne l’identité de la diaspora africaine et son invisibilité dans le champ social, politique et artistique. Dans une esthétique colorée, où affleure constamment son intérêt pour le théâtre et la mise en scène, l’artiste explore la question de l’esclavage, du colonialisme et de la représentation des africains dans l’histoire de la peinture européenne. Gifts to Kings, propose un ensemble de pièces parcourant plus de trente ans de son travail et soulignant l’extrême cohérence de sa pratique qui s’est développée longtemps dans une forme d’invisibilité, dans son rapport au marché de l’art, tout en bénéficiant d’une réelle reconnaissance auprès de ses pairs. Ci-contre : Gifts to Kings, vue de l’exposition. Photo Aurélien Mole
MRAC / Musée régional d’art contemporain - Sérignan (34). Lubaina Himid. Gifts to Kings. 7 avril - 16 septembre 2018
La vingt-neuvième édition de l’Été photographique de Lectoure s’intéresse à des collectionneurs et des collectionneuses et à travers eux à leurs collections. La collection comme une vision du monde, la création potentielle d’un autre monde. Elle s’intéresse aussi à des artistes qui utilisent plus largement le principe de la collecte dans leur démarche, à des artistes relecteurs d’images et d’objets, à des artistes qui récoltent, sélectionnent, compilent des images fixes, des images animées, des sons et des objets. Ci-contre : Bernard Plossu. My son Shane, 1982. © Bernard Plossu. Courtoisie collection Madeleine Millot-Durrenberger
L’Été photographique de Lectoure - Lectoure (32). Arno Brignon – Collection Madeleine Millot-Durrenberger avec Patrick Bailly-Maître-Grand, Claude Batho, Valérie Belin, Tom Drahos, Bernard Faucon, Valérie Graftieaux, Gabor Kerekes, Bernard Plossu, Françoise Saur et Josef Sudek – documentation céline duval – Laurent Fiévet – Lectoure 1000 Photos avec Bernard Plossu et Serge Tisseron – Bonella Holloway – Compagnies OBRA et VIDEOfeet – Régis Perray – Anu Tuominen – Annabel Werbrouck. 14 juillet - 23 septembre 2018
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nicolas daubanes aucun bâtiment n’est innocent . chapelle saint-jacques, st-gaudens (31), 14 avril - 16 juin 2018
15 janvier 1972. 2018. Terre cuite, bois et peinture, 130 x 900 x 300 cm.
Projet réalisé en partenariat avec la Briqueterie de Nagen, Saint-Marcel - Paulel et Collective Pulse for shared success. Photo © François Deladerrière
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nicolas daubanes 300 ou 400 briques. château de jau, cases de pène (66), 29 juin - 30 septembre 2018
Calepinage, prison de Montluc à Lyon, 2018. 500 Sérigraphies sur Rivoli 300 gr, 50 x 50 cm chaque.
Coproduction Chapelle Saint-Jacques, Saint-Gaudens et Château de Jau, Cases de Pène. © F. Deladerrière
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festirama uzès danse (30) - printemps des comédiens (34) - montpellier danse (34) - avignon (84)
Endo de David Wampach avec Tamar Shelef et David Wampach. Photo Martin Colombet
Mitten wir im Leben sind de Anne Teresa De Keersmaeker. Photo Anne Van Aerschot
Ode to the attempt de et avec Jan Martens. Photo Phile Deprez
Endo de David Wampach ouvrira le 23e Festival Uzès danse le mercredi 13 juin. Cette pièce avait été l’une des plus convaincantes et réussies de Montpellier danse 2017. A voir ou à revoir, comme l’on dit. Nous retournerons à Uzès, deux jours durant, le samedi 16 et le dimanche 17, et sous chapiteau, pour découvrir les invités de DUDASCHIIHCSADUD, carte blanche proposée à ce même talentueux David Wampach. Y est annoncé, Bryan Campbell qui présentera son Marvellous, édition performée du magazine de mode et de culture produit par l’artiste et deux complices. Sera aussi de la fête, Aina Alegre, conceptrice de Le jour de la bête, qui met en scène l'élaboration à vue et organique d’un groupe, son émergence et son avènement, et interroge la notion de rituel de fête, comme lieu de rassemblement, de création, de partage d’énergie, mais aussi comme espace de purgation. Enfin, Erwan Ha Kyoon Larcher se présentera en T o u t E s t B e a u, groupe à lui tout seul, entre concert d’homme orchestre Hi-Fi et performance dansée, entre techno faite maison et expérimentations krautrock. Un dj set suivra, achevant cette édition 2018. Le Printemps des Comédiens, à Montpellier, propose un certain nombre de « Première en France », à l’instar du On s’en va de Warlikowski. Plus rares sont les créations, telle la mise en scène par Dag Jeanneret du texte Mon grand-père de Valérie Mréjen ; nous irons. Et pour s’assurer que Ça ne se passe jamais comme prévu de Tiago Rodrigues, nous irons encore. Puisque la curiosité, plus que la vérification, nous guide, avec quelle impatience attendons-nous l’impensable rencontre entre Marlene Monteiro Freitas et la Batsheva Dance Company, les 28, 29 et 30 juin, lors du Festival Montpellier danse ! Entre l’énergie de l’une et la physicalité des autres, à défaut d’être étonnés, nous ne pourrons qu’être, a minima, bousculés. Et on aime. Avec Anne Teresa De Keersmaeker, c’est notre intériorité qui sera toute chamboulée des ellipses chorégraphiées à l’unisson des transports spiralés des boucles de Bach ; une odyssée encore. Et, 2 ans après Farci.es, brillant solo, nous aurons hâte de retrouver l’iranien.ne Sorour Darabi les 23 et 24 juin, qui en aura à découdre avec ses corps et leur culture qui l’habitent. Sur un ton voisin, au Festival d’Avignon, François Chaignaud chantera « Je ne suis pas celui que vous voyez vivre, je ne le suis plus non, non, non ? » dans Romances inciertos, un autre Orlando conçu et mis en scène par Nino Laisné. Au Gymnase du lycée Aubanel, dans La Reprise – Histoire(s) du théâtre (I), nous aurons une fois encore, grâce à l’extraordinaire Milo Rau, l’occasion de mesurer la dimension et les limites que l’on décide d’accorder à notre responsabilité de spectateur. Nous ne repartirons pas d’Avignon, sans aller revoir Ode to attempt, autoportrait performé et dansé de Jan Martens, pleinement inscrit dans son Jean-Paul Guarino présent, puisque « le passé est fini », dit-il. Festival Uzès danse, Uzès / 13 - 17 juin 2018 Printemps des Comédiens, Montpellier / 1er - 30 juin 2018 Festival Montpellier danse, Montpellier / 22 juin - 7 juillet 2018 Festival d'Avignon / 6 - 24 juillet 2018
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a-chroniques benoist bouvot
Cadrage sonore, l'anarchie silencieuse Se boucher les deux oreilles le mieux possible pendant une minute ou plus. Les déboucher en écoutant attentivement ce retour au monde. Se boucher l'oreille droite, écouter avec la gauche. Se boucher l'oreille gauche, écouter avec la droite. Plonger l'arrière de la tête dans l'eau jusqu'aux oreilles, et lancer le regard vers le ciel les yeux hors de l'eau, écouter sans bouger, puis écouter en agitant l'eau. Enlever le son d'une séquence vidéo musicale et bien regarder l'image. Enlever le son d'une scène cinématographique et bien observer le déroulé. Ecouter notre respiration. Entrer dans une chambre anéchoïque. En ressortir. Y retourner parfois. Toujours penser à en ressortir. Ecouter une personne parler une langue qu'on ne comprend pas. Prendre le temps d'écouter le changement de saison. Chanter une musique que l'on veut écouter, puis la mettre. Ecouter un bruit répétitif comme on s'approcherait d'un objet pour le regarder sous tous les détails. Faire le même trajet avec et sans musique dans les oreilles. Se poser dans un endroit, écouter les yeux ouverts, continuer les yeux fermés en détaillant les sons entendus : nature, provenance, intensité, son long, son court, ponctuel, répétitif... Essayer d'imaginer le son de la projection de notre voix quand on entre dans un endroit nouveau. Parler. Tenter dans un moment d'écoute de séparer les sons dits naturels, des sons artificiels. Essayer plusieurs jours durant de se souvenir du premier son entendu au réveil, puis du dernier au coucher. Ecouter un morceau très fort. L'écouter tout de suite une nouvelle fois, très bas. Chercher le son le plus bas puis le plus aigu de l'endroit dans lequel on se trouve.
« Le désintéressement de leur pensée était tel, à l'égard de tout ce qui, de près ou de loin semblait se rattacher à la vie mondaine, que leur sens auditif, – ayant fini par comprendre son inutilité momentanée dès qu'à dîner la conversation prenait un ton frivole ou seulement terre à terre sans que ces deux vieilles demoiselles aient pu la ramener aux sujets qui leur étaient chers, – mettait alors au repos ses organes récepteurs et leur laissait subir un véritable commencement d'atrophie. » A la recherche du temps perdu. Marcel Proust
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silhouette dominique rochet
Portrait de maître Sweat-shirt ajouré avec cadre en mousse pour glisser et exposer ceux qu’on aime, de chez Rottingdean Bazaar. La marque arty de James Theseus Buck et Luke Brooks est maintenant visible à la boutique Lafayette Anticipations.
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la dramatique vie de marie r. marie reverdy
Allergie et dramaturgie Le printemps amène son lot de bourgeons, de moustiques, de rhinites allergiques et de questions existentialo-théâtrales... Carrément existentialo ! Comment commencer ? Et comment finir ? Voilà de quoi nous donner le vertige. Comment éviter les trop longs prologues, les trop trop longs épilogues, la succession de fausses fins et les débuts laborieux ? Puisque c'est le printemps, nous commencerons par le commencement, la naissance et l'éveil du sentiment esthétique. Commencer, c'est comme un contrat de mariage, on peut le signer bourrée à Las Vegas, l'avoir mûrement réfléchi, ou considérer qu'il est dans l'ordre des choses, une sorte de fatalité, un conventionnel lever de rideau. Voilà un bon début, celui de l'œuvre. Mais le début de l'œuvre ne signe pas nécessairement la naissance du sentiment esthétique. Il faut parfois du temps pour que l'amour s'installe, laisser faire le désir pour que l'attachement puisse advenir, pour que l'on puisse se dire, face à l'objet de notre attention « je suis bouleversée, et enfin chez moi ». Grande question : est-ce moi qui suis disponible, ou bien l'autre qui possède un irrésistible charme ? Probablement un peu des deux, c'est ça le printemps, il se manifeste dans les yeux. Conjonctivite oblige. Ce moment où la vision se trouble, où mon regard s'arrête et se laisse absorber, où tout un monde semble s'ouvrir devant moi, et où mon corps entier suit le mouvement de ma rétine. Cela a beau être un moment, ce n'est pas qu'affaire de temps, car il faut bien que quelque chose appelle mon œil. Ce quelque chose serait, selon Greimas, une petite imperfection. C'est vrai, le charme n'est pas nécessairement la beauté symétrique, parfaite, lisse, d'un homme couché sur papier glacé. La petite cicatrice, un sourcil plus haut que l'autre, la fossette sur une seule joue, un léger accent picard et tout autre détail qui ne me donne pas seulement envie de regarder, mais bien d'y mettre aussi les doigts... C'est bien ça le charme, celui qui me cloue sur place et réveille mon envie de fusionner avec l'objet de mon attention, provoquant ce moment « d'innocence », que Greimas définit comme le « rêve d'un retour aux sources, alors que l'Homme et le monde ne faisaient qu'un dans une pancalie originelle ». Le sentiment esthétique provoque la sensation de dissolution de celui qui l'éprouve, jusqu'à son absorption par l'objet même de sa vision. C'est le moment où l'on saisit le monde autant que nous sommes saisis par lui. C'est le moment où l'on est saisi par son propre saisissement. On vient de fondre. Puis on entend un léger craquement qui fissure notre monde habituel, manifestant l'instant précis où le liquide que nous sommes devenus, dans un léger bruit de craquement, forme ses premiers cristaux dès qu'il passe, sous la pression du froid, à l'état solide – autrement dit lorsqu'il se dilate et se fige en même temps. Un frisson vient de parcourir notre colonne vertébrale. Mais on n'a pas envie de fusionner avec le premier imbécile venu,
on exige d'une histoire qu'elle soit belle. L'imperfection, pour Greimas, arrête l'œil en rompant l'ordre attendu des choses et en perturbant, de fait, les habitudes perceptives. On sent, ou plutôt on pressent, le sens, l'intelligence, les valeurs de celui que l'on vient de croiser dans la rue, et qui monopolise à présent toute notre attention. On a du mal, en effet, à accepter de rêvasser devant celui qui semble « beau et con à la fois », n'en déplaise à Jacques Brel. C'est sûrement à ce titre que, pour Greimas, l'expérience esthétique se présente comme la condition du sens, dans la mesure où, dit-il, « l'imperfection nous apparaît comme un tremplin qui nous projette de l'insignifiance vers le sens. » Ai-je vraiment vécu jusqu'ici, ou voici l'authentification de mon existence d'être charnel ? Ça y est, c'est le coup de foudre, et le choix du terme « tremplin » par Greimas attire particulièrement notre attention, tout d'abord parce qu'il porte sur « l'imperfection » et non sur le sentiment esthétique lui-même. Le tremplin de l'imperfection est capable de nous propulser (comme un jaillissement ) et de provoquer cette seconde d'apesanteur pendant laquelle nous sentons nos organes se soulever et le monde familier se redéployer autrement sous nos yeux. Bref, nous nous sentons être enfin au monde. Alors on s'installe à la même terrasse de café que lui, persuadée qu'on ne l'a pas vu par hasard. On l'attend de pied ferme, montrant par quelques œillades à quel point nous sommes disponibles à notre destin, comme notre horoscope nous l'a dit, aujourd'hui, Taureau 3e décan. Comment commencer ? Beh on n'a pas commencé, telle une flaque de givre on est restée assise, pas forcément belle mais avec l'air sûrement très con. Comment finir, beh on le regarde partir, on essuie langoureusement autant que pathétiquement la goutte fraîche qui perle sur le rebord de notre verre, et on rechute, après ce saut esthétique, vers l'anesthésie qui nous conduit à écrire un article. On se dit que la saison théâtrale de hTh se termine, à jamais, que le printemps s'éteint, que déjà loin tu es flou derrière la conjonctivite de mes yeux, que ça rajoute à ton charme, un flou artistique pourrait-on dire... Greimas A.-J., De l'Imperfection, Editions Pierre Fanlac, Périgueux, 1987.
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i’m back laurent goumarre
Souvenez-vous, j’avais l’idée de Jeff Koons à Palavas-les-Flots ; on ne voulait pas de lui à Paris ? les tulipes trop grandes ? la tour Eiffel trop petite ? Parfait, Jeff Koons prenait des vacances à Palavas-les-Flots ; on en voulait bien nous à Palavas, et sur la rive droite en plus, celle du casino et de la galerie Gustave Courbet. J’imaginais alors Jeff Koons au bureau de tabac, celui qui fait le coin du quai et de la rue je sais pas quoi, mais on ne peut pas se tromper, il y a ce bas-relief d’une barque qui sort du mur, là face au pont du quai, le genre de truc qui peut faire chuter une mairie, mais pas à Palavas où on a apprécié le geste de l’artiste, on n’est pas à Paris, on croit encore en l’art. Donc Koons dans ce bureau de tabac face au portant de cartes postales, en arrêt devant ces cartes de vacances de flamands roses, de chats qui lol, ou de cette femme nue de dos en capeline avec un bouc sur la plage, sur-titre « Pas le temps d’écrire je suis sur " fessesbouc " ». On comprend que Koons puisse hésiter, mais c’est cette carte que j’ai achetée et redessinée avec des paillettes, une carte à l’origine de mes premiers dessins, ensuite il y aura eu : « Super les mecs » avec 4 types qui marchent en ligne sur le sable – que j’ai redessinés sans maillot comme je le faisais enfant avec les pages slips de La Redoute –, puis je suis passé à Emmanuel Macron, les mains sur le nœud de sa cravate, les yeux fermés. Bref Jeff Koons achetait lui aussi une carte (c’est mon idée) en se promettant de l’agrandir. C’était ça et seulement ça l’idée : surdimensionner une carte postale pour que tout le monde la voit. Je m’étais arrêté là avec cette conclusion : il faut imaginer Koons heureux. Ça va faire un an que j’y pense et me dis que ça ne suffisait pas. Et puis un jour j’ai trouvé. Ça se passe à Paris, au Marché d’Aligre, un type qui vend des cartes postales, je tombe en arrêt devant des cartes de chiens, portraits de chiens années 50-60-70 ?, un chien qui fait ami avec un chat, un chien qui fait un bisou à un oiseau, et puis cette tête de berger allemand sur fond vert. Et là tout s’éclaire, la carte ne suffit pas ; je la prends en photo et l’agrandis au tirage. Prendre une carte postale en photo, j’aurais jamais pensé en arriver là. Laurent Goumarre est critique d’art, journaliste et producteur de l’émission Le nouveau rendez-vous sur France Inter du lundi au jeudi de 22h00 à minuit
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