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art contemporain - languedoc roussillon - mars avril mai 2014 - numĂŠro 34
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Après un thé au Sahara, bien sûr. Café Hafa, avenue Mohamed Tazi, La ville des mille et une lumières.
triviale poursuite - Corinne Rondeau entretien - avec Jean-Marc Prévost - Directeur du Carré d’Art, Nîmes on se marre en se racontant des histoires de lune verte... - Patxi Bergé céleste boursier-mougenot le murmure d’un souffle... - Lise Ott acturama - Crac - Mrac opération plastique - Christian Gaussen la dramatique vie de marie r. - Marie Reverdy silhouette - Dominique Rochet i’m back - Laurent Goumarre addenda Couverture : Nicole Garcia par Karim Zeriahen © offshore 2014 UN BEAU DIMANCHE Le nouveau film de Nicole Garcia tourné principalement à Montpellier et sur la côte, est sorti en salles le mercredi 5 février 2014.
offshore est édité par BMédiation 39 avenue Bouisson Bertrand 34090 Montpellier directeur de publication : Emmanuel Berard rédacteur en chef : Jean-Paul Guarino ISSN 1639-6855 dépôt légal : à parution impression : Atelier 6. St Clément de Rivière contacts : offshore@wanadoo.fr tél. : 04 67 52 47 37
ont collaboré à ce numéro : Patxi Bergé, Laurent Goumarre, Lise Ott, Marie Reverdy, Dominique Rochet, Corinne Rondeau crédits photographiques : Nassira Belmekki, Patxi Bergé, Laurent Goumarre, Jean-Paul Guarino, David Huguenin, Luc Jennepin, Philomène Pinho, Jean-Paul Planchon, Dominique Rochet, Corinne Rondeau, Benoit Viguier
vous pouvez recevoir chez vous les 3 prochains numéros d’offshore en envoyant vos coordonnées et un chèque de 10 € à BMédiation, 39 avenue Bouisson Bertrand 34090 Montpellier
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triviale poursuite corinne rondeau
Un excès de désœuvrement se découvre à d'incongrues interrogations, genre Trivial Pursuit, catégorie Arts et Littérature, couleur Marron. Quelle la différence entre une période historique et une époque ? Quelle différence entre les groupes d'avant-garde du XXème et les individualités du XXIème ? Évidemment, il y a un prérequis à toute tentative de réponse : l'instabilité du cours du temps et de l'art à venir parce qu'on est partie prenante des deux. La solution est la machine à voyager dans le temps. C'est à toi de jeter le dé ! Les grands rassemblements artistiques, type biennale – d'autres aiment le foot –, m'ont toujours paru suspects lorsqu'ils se transforment en intense curiosité sur les « tendances » futures de l'art, révélant un enthousiasme démesuré pour la science-fiction. Ce qui me fait regretter de ne plus aimer le foot et ses 90 minutes d'incertitude quant au score. Les « tendances » ressemblent davantage à des synthèses façon « et si on faisait le point après »… le post-colonialisme, la peinture, la performance, la fiction, la mondialisation, les années 60, les années 90, et les autres… Ce mouvement qui consiste à faire le point est justement notre époque. En fait, je me demande si le problème n'est pas plutôt l'« après » que le point... après quoi ? Oh tu le jettes ce dé ! Et puis pourquoi faire le point ? Pour asseoir une période, et dire avant il y avait ça ! Hum, tout de même, à force d'en faire les uns après les autres, on dessine une ligne, si ce n'est un collier de perles dont on n'a pas trouvé le cou, peut-être parce qu'on a oublié d'en faire des tours. On est passé à la catégorie Divertissements, couleur Rose. Finalement, c'est peut-être le début d'une idée que de faire des tours plutôt que le point. C'est même pas mal du tout. D'abord parce qu'on finirait par inventer un cou avec une tête au-dessus et un corps en dessous. Ensuite parce qu'à force d'en faire, des tours, on ne se poserait plus la question du premier par rapport au dernier. C'est pour ça que je n'aime plus le foot. La catégorie Sports et Loisirs, c'est Orange. Après tout ce n'est pas un problème de savoir où ça commence et finit. Le fermoir est tout à fait éloquent là-dessus : ça unit ce qui est séparé, point barre. Ce qui est davantage le problème, c'est comment pourrait-on arrêter de tourner en rond sur les questions de notre époque où le gigantisme de certaines expositions se métamorphose en oracle homérique. Pis de continuer à se tordre le cou entre la curiosité de l'avenir et le flash-back. Y a-t-il quelqu'un pour clipper le fermoir ? Et sans vouloir offenser personne, l'avenir qui semble se profiler est encore très largement au coup de lapin entre éclectisme et recyclage : un tour vers l'avenir, un tour vers le passé, et crack ! Histoire, Jaune. Faut-il encore savoir comment et vers quoi on se retourne pour articuler le mouvement à ce qu'on avance. Ce qui est le contraire de ce qu'on entend trop souvent dans la communauté du langage et de l'archive – les ateliers d'école d'art –, « ton travail me fait penser à tel artiste, tu devrais aller voir ça de plus près. » C'est la meilleure façon de perdre le fil dans le jeu de la reproduction, base de données à l'appui. Camembert ! C'est là que se pose la question débile de ce qui appartient au XXème et au XXIème. À quand une génération Tour d'écrou, façon fantastique comme la nouvelle d'Henry James ? Des enfants capables de voir « les autres », apparitions d'hommes et de femmes du temps passé, bref des fantômes avec qui ils fabriquent leur histoire. Faut dire que chercher la génération de demain est aussi de la sciencefiction. Mais elle a tout de même un bon côté que ne possède pas le Trivial Pursuit. La SF construit des mondes imaginaires. Oups, ça me fait penser à un titre d'exposition ça… Non : l'exposition ce serait comment faire une omelette sans casser des œufs, la SF une omelette sans œufs. Bref, la SF implique, voire contraint, la doxa à s'affirmer en doctrine, volonté de la cohérence, qu'on appelait académisme,
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et qui se retrouve aujourd'hui réduite à la reconnaissance établie par la phrase : ton travail me fait penser à machin chose qui est représenté par la galerie bidule et qui était exposé à la biennale truc muche. C'est sûr que l'académisme en jetait crânement plus. Inventer une histoire, ce n'est pas refaire une perle de plus pour allonger le collier. Tout est dans le cou. C'est plutôt reprendre un fil ancien pour le piquer dans une autre étoffe, c'est une autre manière de faire des tours. J'ai toujours préféré les foulards aux colliers, surtout de perles. Faut dire qu'on se pose encore moins la question du premier et du dernier, plus du tout du foot. La question est dans le temps où adviendront tête et corps, comme les jeunes filles romaines à qui on achetait quelques perles chaque année, pour en faire un collier à leur majorité (ça c'est pour le Trivial Pursuit), et celui des filles et des garçons d'aujourd'hui qui n'attendent pas la majorité, ou qui s'en foutent, pour mettre autour du cou foulards, écharpes, tatouages ou rien du tout (ça c'est dans la vie). Notons qu'un minimum d'attention, depuis les deux questions incongrues, était nécessaire pour ne pas mettre en péril le début de l'idée : le fil. Sans quoi pas de tours, de colliers, de tissus ou d'aiguilles, de tête et de corps. Ce n'est pas tant qu'il faut du fil pour enfiler ou tramer, que pour rappeler l'évidence du « faire le point », indice qu'il n'y a pas d'exigence de cohérence. Eh oui, il faut donc le répéter, l'art se passe de généralités, autant que ce qui se ressemble ne s'assemble pas nécessairement. On n'est pas obligé d'aimer Étienne Daho. Et ce serait un défaut de mémoire que de négliger qu'il est carrément irrationnel, l'art pas Daho. Disons le plus tranquillement possible : depuis que l'art est un art libéral, il n'y a que des courants : baroque, classicisme, impressionnisme, néo-impressionnisme, minimalisme, fluxus… Qu'est-ce à dire ? Que chercher une cohérence consiste à éviter l'incompatibilité des courants : il n'y a pas d'orientation principale, juste des livres d'histoire. Pourtant le fil est toujours unique : on a toujours des manières différentes de traiter de la même chose qu'on appelle art. C'est le fil, pas les perles, ni la garniture en soie ou en cachemire. Bien que l'art ne néglige pas le brillant nacré ou le plaisir caressant des apparences, qu'on connaît sous l'autre nom de foire d'art. Nul doute qu'on aura notre période balisée par des historiens qui ne sont pas encore nés et qui, souhaitons-le, ne sortiront pas de la cuisse de Jupiter. Pas besoin d'être patient, à moins d'être éternel, un paquet d'années est à attendre pour trouver une cohérence à nos beaux et mauvais jours entre biennales, foires et Trivial Pursuit. Il faudrait alors se poser la question du futur historien : par où commencer au milieu de l'incohérence ? Il fera peut-être comme par le passé en allant voir du côté de ceux qui ont été les acquéreurs, ou, dits aussi, collectionneurs. Mais attention, côté princes et papes d'antan qui eux aussi étaient bourrés aux as. Lorsque le problème du « combien ça coûte » (c'est un autre jeu) ne se pose plus, on achète ce qui se vend cher sur le marché – c'est là que s'affirme la reconnaissance ; on acquiert cher ou pas cher (qui se vend aussi) ce qui a tapé l'œil – c'est là que se dévoile la moelle du collectionneur. Le « trop » du fric peut avoir un bon côté au : ne plus se soucier des « tendances ». Certes, c'est assez rare. Il ne faut pas non plus perdre de vue qu'un collectionneur (qui se respecte) a quelque chose d'un sauveteur des formes passées : quand il n'y a plus de tradition, c'est encore là qu'on y pratique quelque exhumation. Il a un goût prononcé pour les beautés disparues. La société et la personnalité sont toutes deux en action dans le bon pour achat. Il faudra aussi que ce futur historien se demande, au milieu des collections, ce qui fera d'un artiste, un incontournable. Je mets au rebut la boîte à questions et file chez le bookmaker pour parier à titre posthume. Il aura fait un saut tel, en avant, dans le temps, qu'il aura réussi à embarquer avec lui « les autres », les has-been. Et il n'aura pas reproduit une règle, mais créé une variation, sa manière de piquer son fil, sa petite histoire de fantômes. Une façon d'attacher son foulard, de serrer ses rangées de perles, de se la jouer ras de cou, de faire tomber une ligne tatouée de la carotide vers la poitrine, de laisser voir un morceau de son élégante nudité... On en viendra même à dire qu'il a fait de bonnes études sur la tradition. Qui était son prof ? Ce qui sera une énormité. Car le saut démontre toujours l'incohérence de la théorie linéaire dominante. Le saut c'est simultanément le vertical et l'horizontal. À bon entendeur salut ! La règle du jeu vient toujours après, sans quoi on ne pourrait pas repérer de variation, ni un cou, qui change une époque en période, un « faire le point » en courant, et un saut en point de croix. Corinne Rondeau est Maître de conférences Esthétique et Sciences de l’art à l’Université de Nîmes, critique d’art, collaboratrice à La Dispute sur France Culture.
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entretien avec jean-marc prévost - directeur du carré d’art, nîmes
Jean-Paul Guarino : Après la superbe exposition des œuvres de Stan Douglas, nous allons découvrir Chorégraphies Suspendues, rassemblant huit artistes vietnamiens. Avant d’en venir au contenu de cette nouvelle exposition, que peuvent traduire ces premiers choix de votre idée d’une programmation ? On pourrait penser que votre regard se porte plus sur les périphéries que sur le mainstream – Canada vs USA, Vietnam vs Chine, ou que vous souhaitez élargir la dimension européenne donnée auparavant par Françoise Cohen à une géographie mondiale ou et si cela n’était que symptôme d’un goût du voyage ? Jean-Marc Prévost : Je souhaite construire une programmation qui fasse sens dans le temps avec également des échos dans la présentation de la collection permanente. Stan Douglas, Photographies 2008-2013, la première exposition que j'ai programmée au Carré d'art est pour moi une sorte de « statement » dans le sens où c'est un artiste qui se situe dans le champ de l'histoire de l'art et qu'il traite de sujets complexes qui sont liés à l'histoire, aux médias et au politique. Il y a différentes strates dans son travail qui amènent à différentes lectures. Par le passé j'ai travaillé avec des artistes qui inscrivent leur travail dans le monde comme Ernesto Neto au Panthéon à Paris ou Walid Raad dans le cadre du Festival d'Automne. A toutes les époques les plus grands artistes ont eu cette exigence. Je vous conseille la lecture du livre récent de Patrick Boucheron, Conjurer la peur : Sienne 1338 - Essai sur la force politique des images, qui analyse de façon extrêmement pertinente la création de la fresque de Lorenzetti dite « Du bon gouvernement » au Palais communal de Sienne. En lecteur assidu de Stuart Hall et d'Edouard Glissant, il me semble que nous devons aussi opérer des décentrements. L'histoire a été souvent racontée à partir de la position occidentale, notre propre conception de la modernité. L'écriture d'une nouvelle histoire des formes s'élabore tardivement aujourd'hui. Elle est visible dans les grandes institutions comme la Tate Modern à Londres, le MOMA à New York ou le Musée National d'Art Moderne à Paris. Il faut toutefois savoir d'où l'on parle quand on construit cette histoire pour ne pas commettre des erreurs inacceptables. C'est pourquoi j'ai invité Zoe Butt comme commissaire de l'exposition Chorégraphies Suspendues. Elle vit à Hô-Chi-Minh-Ville depuis plusieurs années et est une des spécialistes de la scène vietnamienne et plus largement de l'Asie du Sud-Est. J-P. G. : L’Histoire n’a pratiquement jamais épargné le Vietnam. Être artiste et vietnamien, oblige-t-il à relire le passé avant de dessiner un avenir ? J-M. P. : Les artistes de l'exposition ont une conscience de l'histoire et font en quelque sorte un travail de mémoire. Ils ont aussi conscience que des filtres de différentes natures que l'on peut aussi bien retrouver dans les champs de la littérature, des productions cinématographiques autant que dans la construction d'une histoire officielle, rendent difficile une approche objective. Zoe Butt rappelle dans son texte pour le catalogue que la guerre du Vietnam est le conflit le plus représenté dans le cinéma hollywoodien. Le titre Chorégraphies Suspendues est aussi l'expression d'un moment particulier où ils tentent de se détacher des traumatismes du passé mais qu'ils trouvent face à eux d'autres forces aussi bien politiques qu'économiques qui réduisent considérablement la liberté du geste. J-P. G. : Cette exposition est présentée au niveau 2 du musée ; cet étage est-il donc définitivement dédié aux expositions temporaires ? Et quels étaient vos sentiments lorsque vous fréquentiez le bâtiment, auparavant, en simple visiteur ? J-M. P. : Je pense que les étages sont interchangeables. Ils sont très différents avec une plus grande souplesse pour construire des « boîtes noires » au dernier étage. Je me laisse bien entendu la liberté de pouvoir présenter les expositions aussi au 1er étage.
Dinh Q Le Erasure, 2011. Capture d’écran. © Dinh Q Le Nguyen Huy An Image contextuelle – message gouvernemental Courtesy de l’artiste © Nguyen Huy An
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Le bâtiment a des contraintes. Quels sont les musées qui n'en ont pas ? Il est pourtant vrai que les salles assez monumentales appellent une certaine typologie de formes artistiques. Elles sont plus adaptées à des artistes qui ont déjà une certaine expérience de l'espace. C'est une des raisons de la création du Project-Room au niveau de la collection, donc en accès gratuit, pour penser d'autres types de projets plus légers dans la forme. J-P. G. : Au niveau 1, vous avez donc créé ce Project-Room et vous proposez votre premier réaccrochage des œuvres de la collection. Une double occasion nous a été offerte de voir de la vidéo : une pièce de Julien Crépieux, premier invité à occuper l’espace du Project-Room et un film de Aurélien Froment, en dépôt dans la collection. Les artistes et les étudiants croisés lors du vernissage furent très sensibles à la présence de ce médium et de cette nouvelle génération à ce fameux étage. Est-ce la première étape d'une nouvelle vie au musée et d'une nouvelle médiation à venir ? J-M. P. : La collection est fondamentale dans un musée. Elle permet de construire une histoire ou plus exactement des histoires. J'ai eu un grand plaisir à me plonger dans les réserves pour faire ce premier accrochage. Il est vrai que chaque directeur a ses propres centres d'intérêt et l'histoire que je raconte avec comme prétexte le texte de Pasolini « La disparition des lucioles » est différente de celles de mes prédécesseurs. La référence à Pasolini permet de faire le lien avec le cinéma, la littérature mais aussi avec le très beau texte de l'historien d'art Georges Didi-Huberman, « Survivance des lucioles ». La collection du musée est très riche mais il est vrai que jusqu'alors il n'y avait pas d'œuvres vidéo. Je ne suis pas attaché à un médium plus qu'à un autre mais m'intéresse avant tout à des œuvres qui sont pour moi importantes. Il est vrai que de nombreux artistes s'intéressent aux images en mouvement ce qui n'est pas étonnant dans notre monde saturé d'images et les moyens techniques qui sont à leur disposition. Les vidéos de Julien Crépieux et Aurélien Froment, deux jeunes artistes français prometteurs, sont très riches et parlent aussi de l'histoire de la peinture, de la relation à la poésie et rejouent la notion d'archives. La première œuvre vidéo du musée a été acquise en 2013 – une œuvre de Peter Friedl, « The Children » qui a beaucoup à voir avec les œuvres de Richter et Polke. D'une façon plus générale notre relation à l'œuvre d'art doit toujours être remise en question et les grands artistes nous y obligent. Les expositions récentes de Pierre Huyghe au Centre Georges Pompidou et Philippe Parreno au Palais de Tokyo étaient à ce titre exemplaires. Ils ont, chacun à leur façon, proposé un espace sensible qui était une nouvelle expérience du temps, de l'espace, de l'imaginaire, de la mémoire... J-P. G. : Toujours au niveau de la collection, nous notons un certain nombre d’œuvres en dépôt provenant de collections privées. Que cela inaugure t-il des liens possibles entre le musée, les collectionneurs et les futurs donateurs ? J-M. P. : Le musée a toujours eu un lien avec les collectionneurs privés ou des artistes qui ont fait des dépôts importants. Cette année nous avons bénéficié du dépôt d'un Georg Baselitz qui complète parfaitement notre ensemble de peintures allemandes mais aussi d'une sculpture de Ryan Gander qui répond à l'œuvre achetée l'année dernière. J'ai été commissaire de plusieurs expositions de l'ADIAF, association de collectionneurs français créée par Gilles Fuchs, dont l'exposition des dix ans du prix Marcel Duchamp au musée Mori à Tokyo ou des lauréats du prix au Pavillon Français de l'exposition universelle de Shangai. Je souhaite bien entendu poursuivre cette collaboration avec les acteurs privés et arriver à créer un groupe de collectionneurs qui pourraient soutenir le musée.
Vues du nouvel accrochage de la collection et du Project-Room – Julien Crépieux. Photos D. Huguenin
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J-P. G. : Sur notre territoire régional, vous êtes très présent, curieux et attentif. Avez-vous noté l’absence de résidences d’artistes mais aussi l’ampleur du tourisme culturel du triangle Avignon-Arles-Nîmes ? Avez-vous repéré d’autres manques ou qualités et pensez-vous qu’il y aurait des « choses » à optimiser ou à inventer ? J-M. P. : Je ne souhaite pas reprendre mon rôle d'inspecteur de la création artistique qui m'a amené au Ministère de la Culture à faire des rapports sur ce type de sujet mais je ne peux que constater que la région a des structures importantes consacrées à la diffusion de l'art contemporain qui ont chacune des histoires spécifiques. Elles sont repérées au niveau national et international mais trop peu par le public régional. Il est vrai qu'il manque à Montpellier un véritable lieu consacré à la diffusion de l'art contemporain qui permettrait de former un public susceptible de fréquenter les autres structures ou galeries privées. Le FRAC comme dans toutes les régions qui se sont dotées de FRAC de nouvelle génération doit être plus visible. La Panacée, à mon sens, peut jouer un rôle moteur dans l'avenir. Nîmes dans un futur proche va se tourner plus vers l'Est avec les projets de la Fondation Luma à Arles puis l'agrandissement de la Collection Lambert en Avignon. Marseille n'est pas si loin mais étrangement difficile à joindre par le train. Il me semble que dans l'avenir le public intéressé par la création contemporaine va circuler dans le triangle constitué par Nîmes/Arles/Avignon. Le public national et international se déplacera d'autant plus que les propositions sont riches et multiples avec un accès aisé à 3 heures de Paris. Barcelone est aussi à un peu plus de 3 heures. Ensuite c'est une stratégie de communication à mettre en place. Il faut aussi parler des artistes qui sont présents dans la région depuis longtemps comme Claude Viallat ou Daniel Dezeuze ou de ceux plus jeunes qui ont fait le choix d'y rester ou de s'y installer comme Céleste Boursier-Mougenot qui a aussi bien une galerie à Paris qu'à New York ou Abdelkader Benchamma qui a aussi une visibilité à l'international. J-P. G. : Dans la géographie nîmoise, envisagez-vous des actions en lien avec l’université et avec l’École des beaux-arts nouvellement dirigée par l’entreprenante Christelle Kirschtetter ? J-M. P. : Il est tout à fait naturel de tisser des liens avec l'École des beaux-arts et l'université. Je conçois le musée comme un lieu de diffusion de la création contemporaine, de production mais aussi comme un lieu de recherches. D'ailleurs nous avons un centre de documentation régional de très grande qualité. Depuis mon arrivée nous avons surtout commencé à penser des projets avec l'École des beaux-arts avec l'idée que les étudiants utilisent le musée comme un lieu de ressources à partir de la collection et des expositions. Des journées de réflexion autour des expositions vont être organisées, la première autour de l'exposition du Vietnam a eu lieu le 21 février. Les artistes invités par le musée vont intervenir à l'école. Fahd Burki un jeune artiste pakistanais qui sera invité pour le Project-Room à partir de mai prochain fera une résidence à l'école autour d'un workshop. Il y a encore beaucoup de choses à inventer et l'arrivée de la nouvelle directrice permet de faire avancer les projets beaucoup plus vite. Le musée collabore aussi avec le théâtre de Nîmes. Je m'intéresse à la danse et j'avais invité Alain Buffard qui nous a quitté trop tôt. Rodolphe Dana du collectif Les Possédés va intervenir dans la collection du musée autour de textes de Louis-Ferdinand Céline. J'entretiens aussi un dialogue avec mes collègues conservateurs des autres musées qui sont très ouverts à l'art contemporain. J'essaie de construire des projets avec mes partenaires les plus proches tout en inscrivant le musée dans un réseau international et en gardant à l'esprit que c'est avant tout un lieu pour le public et les artistes.
Jean-Marc Prévost. Photo Nassira Belmekki
Chorégraphies Suspendues Carré d’Art - Musée d’art contemporain, Nîmes 21 février - 27 avril 2014
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on se marre en se racontant des histoires de lune verte... patxi bergĂŠ
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I L'autre jour, alors que je venais de me préparer un plat de pâtes aux épinards, je me suis mis devant mon ordinateur, et comme il m'est habituel de le faire, ai regardé les sites d'actualités pour voir ce qui ne tourne pas rond dans le monde. Et puis je suis tombé sur cette vidéo, tournée à Kiev, en Ukraine, dans laquelle on voit une statue de Lénine se faire déboulonner, au milieu des manifestants pro-européens réunis dans la ville. Le « HOURRA ! HOURRA ! OUH OUH OUH » de la foule retentit alors que Lénine chute, accompagné d'applaudissements. Tandis qu'en fond, le néon ProCredit Bank, lui, reste bien branché.
III Sur la Friedrichstrasse, à Berlin, au niveau du fameux Checkpoint Charlie, il y a quelque chose que j'avais remarqué une fois : ce sont les drapeaux que portent les deux jeunes déguisés en soldats, avec qui il est possible de poser moyennant la pièce. Les deux drapeaux en question sont semblables, c'est le drapeau des EtatsUnis. En ayant cherché des photos de touristes posant au même endroit, mais il y a quelques années de cela, j'y ai vu, brandi à l'époque, un drapeau de l'Union soviétique, l'autre étant celui des EtatsUnis. Étant retourné sur place plusieurs fois pour vérifier s'il s'agissait d'une erreur, j'y ai toujours revu les deux drapeaux des Etats-Unis. Tandis que sur le côté, à droite au moment de prendre la photo, la typographie de McDonald's ne manquera pas de faire partie du cliché. Et le feu rouge passe au vert.
II Les deux doigts de la paix du Jésus juché sur le mont Urgull de Donostia, sont le support d'une antenne. Mais c'est quoi cette antenne ? La fréquence de la sainteté.
IV Un daltonien atteint de deutéranopie ne perçoit pas les différents roses d'un même coucher de soleil, ni les bleus de Klein. À propos de lui-même, Yves Petident, sur son site daltonien.fr affirme : J'aime bien être daltonien. Je ne vois pas le monde comme tout le monde. Mais tout le monde sait-il bien comment il voit le monde ? Je profite de cette question ouverte que pose Monsieur Petident pour faire suivre ci-après un extrait de La lettre à un daltonien que j'avais débutée, mais que je risque de ne jamais terminer.
V Un exemple. L'orange. Elle est perçue comme orange par la plupart des gens, puisque son nom-même semble avoir été influencé par cette donnée. Pourtant, l'orange ne dégage pas strictement de l'orange, puisqu'elle vire au vert argile lorsqu'elle vieillit. L'orange n'est pas qu'orange, si l'on veut. L'orange est un corps qui est perçu par l'œil humain d'abord de couleur orange, puis de couleur vert argile, avant de pourrir, mais parce que la distribution spectrale de ce corps est telle, que les ondes qu'il laisse échapper, à des moments différents de sa vie, correspondent à ces couleurs. Autrement dit, il semblerait que chaque corps ait le potentiel de véhiculer toutes, ou une majorité des couleurs du spectre visible, et que les états successifs de ce corps altèrent la prédominance de telle ou telle couleur. Tel est en tout point le cas pour notre exemple, l'orange, qui est aussi verte en fin de vie. Le changement de couleur, c'est donc parce que l'orange est avant tout un corps vivant, qui évolue. C'est le processus vital d'une matière, ou d'un corps, qui induit un changement de couleur de cette dite matière, ou de ce dit corps. Aucune couleur n'est donc constitutive d'un corps ; aucun corps n'a de couleur qui lui soit propre. Par ailleurs, en restant sur l'exemple de l'orange, la démonstration précédente sur les changements de couleur est validée dans
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le seul cas où le regardeur est en mesure de déceler la couleur orange, puis la couleur verte. Dans une grande majorité des cas, cela est possible pour l'œil humain, dont le spectre optique va du violet au rouge. En même temps, si l'on prend l'exemple de l'abeille, dont le spectre colorimétrique ne se limite que du vert au violet, un tel cas n'a pas lieu d'être, puisque l'abeille n'a aucune idée de ce dont on parle lorsque l'on évoque une orange « orange », car ne pouvant percevoir cette couleur. Reste à savoir ce que l'abeille voit, lorsqu'elle tourne autour d'une orange encore orange. Le chien, lui, ne voit le monde quasiment qu'en jaune et bleu. Pour lui donc, pas d'orange orange, ni d'orange verte, ni même de viande rouge. En fait, c'est cette viande rouge qui a motivé la lettre que je vous fais aujourd'hui. Car cette viande rouge, vous ne la voyez pas comme moi. Ce Cola qu'il peut vous arriver de boire, lorsque vous en achetez la canette, vous ne le voyez pas comme moi. J'ignore en fait ce que vous voyez, lorsqu'aussi vous assistez à un défilé organisé par des syndicats ou des partis politiques dits de gauche. D'après ce que j'ai pu lire, les drapeaux brandis sembleraient donner une couleur jaunâtre au cortège défilant ; vous, vous voyez une masse jaune, quand elle est pour moi rouge. La règle selon laquelle j'identifie une manifestation de gauche à la couleur rouge s'avère donc fausse à vos yeux. Pour vous, la gauche est jaune.
On se marre en se racontant des histoires de lune verte... – Yves Petident V This man is your FRIEND Russian He fights for FREEDOM *** Ce sont les choses que l'on peut lire sur une affiche produite par le gouvernement américain en l'année 1942. Qui ne se ressemble pas, risque donc de ne s'assembler qu'au détriment d'un tiers ressemblant encore moins aux deux autres. Quitte à ce qu'il n'en reste qu'un, au final. La fréquence de la liberté. Il est notable de préciser que la typographie, autant que le soldat russe illustré sur la dite affiche, sont entièrement bleus. Paraît-il, que rien n'influe sur le fait qu'un homme rougisse de honte, ou bien de gêne.
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Céleste Boursier-Mougenot perturbations Les Abattoirs – Musée d'art moderne & contemporain, Toulouse. 31 janvier - 4 mai 2014 © Benoit Viguier 2014
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le murmure d’un souffle... lise ott
L'hôpital est par essence le lieu d'une invention. Cette invention réside dans la nécessité de trouver sa place en tel lieu. Elle se fait à l'insu de l'échange – des mots, des paroles, des regards, des gestes et des esquives ; elle se trame à l'intérieur du corps, elle laisse sa trace. C'est étrangement de cette trace que se profile la certitude de ce qui nous relie avec toute origine. L'invention, et la trace qu'elle laisse en nous, à notre insu transformés, sont à l'endroit de l'enfance. L'enfance est le point commun des trois œuvres installées dans trois patios du CHRU de Montpellier. A des degrés divers. « Rosace de Mai » de Pierre Joseph offre l'agrandissement géant « du traçage solitaire d'une rosace à laquelle [une petite fille] a donné quelques couleurs en déclinant au crayon la gamme chromatique ». « Jardin métaphysique » de Carmelo Zagari se construit dans le regard comme un des ces apologues que l'on destine aux enfants : on y entre par la voie des merveilles – celles où, de ses branches nues, un arbre rutile de fruits éclatants et délicats, où rêvent un dieu à tête de cerf, un jeune homme et son double, des animaux à plumes et à bec ; la leçon est ouverte, chacun en dévoile le sens, en file le récit, à son niveau d'écoute. On devine dans « Tracés communs » conçus par les deux artistes le désir d'une lévitation hors du temps – un état où l'on ne sait encore ni mesurer le passé, ni se représenter clairement l'avenir autrement que par des figures de lumière, ellesmêmes signifiant bien davantage une présence, par l'aura que leur confère l'intensité de l'imaginaire. C'est en quelque sorte l'être au monde de l'enfance. Bien entendu, les enfants sont sages. Leur sagesse consiste à penser le monde tel qu'il se dévoile à leur observation. A leur échelle, le monde est infini, tout comme il finira un jour. Je me souviens d'avoir étrangement compris ce paradoxe le jour où j'ai regardé autrement la démultiplication vertigineuse des images dans deux miroirs qui se faisaient face. Le trouble qui en fut issu s'est inscrit en moi comme une apparition. Un silence absolu. On dénie à l'art du XXe siècle – siècle qui se figea devant l'inimaginable des camps de concentration – toute méditation qui aurait le fait religieux pour horizon d'esprit. Pour autant, avec la disparition de la figuration dans l'art abstrait, bien des salles de musées dans leur blancheur et leur lumière ont pris la configuration d'un cloître à cheminer sur ses quatre côtés, où penser « l'humain, dignité, l'entre-deux, l'écho, l'air, le sang, l'espérance… » – j'emprunte ces termes aux deux artistes s'exprimant ainsi dans un temps de l'absence de toute éducation spirituelle. Du religieux, donc. Qu'on ne s'y trompe pas : il ne s'agit pas de divination, ni de dogme. Il s'agit d'interroger ce qui fait silence en nous. Et l'enfance est légère. A considérer le plateau volant de « Rosace de mai », son plan incliné, suspendu près du sol, je me suis demandée à quelle image en moi renvoyait cette fleur géométriquement tracée, de couleurs esquissée. Quelle image elle recouvrait de son insistante candeur,
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car elle me poursuivait, énigme solubilisée dans une mémoire des signes. Dans « Les Ambassadeurs » d'Holbein, peint en 1533, l'anamorphose d'un crâne instruit un plan bizarrement incliné, qui force au déplacement pour en percevoir l'objet. Divine rosace qui suspend l'arrêt du temps de sa fraîcheur sans cesse renouvelée. « Et pourtant, vois l'eau calme, et quel silence !… L'air / Semble même épargner le murmure d'un souffle. », écrit Valéry, traduisant Virgile 1. C'est de cette matière – « le murmure d'un souffle » – que Carmelo Zagari et Pierre Joseph ont façonné l'indicible. L'indicible en sentinelles – et de bronze, et de verre, de néons surlignées – bienveillantes et muettes, comme les échos enfouis de l'éveil à un être, pas seulement constitué « d'un corps et d'une âme, d'un vivant et d'un logos, d'un élément naturel (ou animal) et d'un élément surnaturel, social ou divin ». Car « peut-être la sphère plus lumineuse des relations avec le divin dépend-elle aussi, en quelque manière, de la sphère – plus obscure – qui nous sépare de l'animal », écrit Giorgio Agamben 2. On dira aussi que la lumière qui s'insinue dans les formes, cette lumière dont on ne sait vraiment depuis quand elle a jailli des mains de l'homme – aucun des chiffres de « Tracés communs » n'étant exact – c'est celle du parcours silencieux et qui médite en nous. A la recherche d'une invention, d'une place à trouver, en tel lieu hors du temps, par éclats fulgurants et éclairs poétiques, de ce qu'est murmurer, à deux pas de l'enfance. 1 2
Les Bucoliques de Virgile, chant IX, v.57-58 L'ouvert. De l'homme et de l'animal de Giorgio Agamben. Ed. Bibliothèque Rivages
Lise Ott est critique d’art et de danse contemporaine, productrice de l’émission De Visu sur FMPlus – radiofmplus.org
Tracés communs, Pierre Joseph et Carmelo Zagari Rosace de Mai, Pierre Joseph Jardin métaphysique, détail, Carmelo Zagari. Photos : Luc Jennepin
Commande publique pour le département d’hématologie clinique du CHRU de Montpellier – menée conjointement par l’État / DRAC L-R et le CHRU, avec l’École Supérieure des Beaux-Arts de Montpellier Agglomération et le soutien de la Ville de Montpellier – inaugurée en novembre 2013. En accompagnant et en soutenant la commande publique d’œuvres d’art, l’État, ministère de la Culture et de la Communication, affirme sa volonté d’accompagner ses partenaires publics et parfois privés, dans l’enrichissement du patrimoine national et du cadre de vie.
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acturama crac - mrac
Un ensemble conséquent de sculptures de différents formats, disposées au sol ou prenant appui sur les murs ou encore suspendues entre sol et plafond, mettent en perspective les principaux enjeux du travail de Jacques Julien. «… Une sculpture c’est un point de départ, deux sculptures c’est une direction, trois sculptures c’est déjà un territoire… » précise l’artiste. « Tailles douces » propose de nous faire découvrir l’ensemble des facettes du travail de Jacques Julien d’un point de vue « perspectif » plus que « rétrospectif ». Ci-dessus : Série « les empathiques » (2000-2010), matériaux divers. Ci-contre : Vue de l’exposition « dur comme plume, léger comme pierre », Orangerie du domaine départemental de Chamarande (2011).
CRAC - Centre Régional d’Art Contemporain, Sète (34) Jacques Julien. Tailles douces. 28 février - 9 juin 2014
Cette exposition consacrée à Peter Downsbrough est la plus importante jamais présentée en France et met en lumière toute l'étendue de son travail. Ses œuvres – sculptures, maquettes, photographies, films, cartes postales retravaillées, éditions et livres – parlent de place, de placement comme de déplacement, de point de vue donc. Elles induisent une relation, proposant au spectateur de prendre position : « les pièces ne sont pas des objets mais plutôt des éléments qui engagent le sujet dans un dialogue ». Ci-contre : ENCORE, LA, LA, 2013. Production in situ (détail). Photo J-P Planchon. Courtesy de l'artiste et Galerie Martine Aboucaya, Paris.
MRAC - Musée Régional d’Art Contemporain, Sérignan (34) Peter Downsbrough. 1er mars - 11 juin 2014
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opération plastique christian gaussen Contexte difficile, morosité ambiante, économie en berne, on devrait s'attendre à un lamento de la part des jeunes gens sortis d’école d’art et ici réunis qui, malgré tout, envisagent sereinement une vie artistique, une vie de création face à ce que l'on présente comme une limite, un plafond de verre invisible mais infranchissable, dans un contexte qui ne les attend vraiment pas. En réalité ce qu'ils veulent exposer c'est à contrario leur détermination à vivre pleinement cette situation, leur volonté de la comprendre au-delà des stéréotypes, de la dépasser et de l'enrichir comme l'histoire de l'art le démontre sans cesse. Cette génération sait qu'il n'y a pas que l'histoire de l'art et qu'en même temps s'écrit l'histoire des hommes, elle poursuit un dessein parallèle quand il s'agit de distinguer la qualité singulière du stéréotype. Un viticulteur, Olivier Cousin, dans son Anjou natal attire depuis octobre 2013 l'attention des médias par l'exemplarité de sa volonté à maintenir la quête de qualité comme un art de vivre, celui de penser en homme libre. Cela le conduit à franchir les frontières que les règles de la viticulture industrielle lui imposaient. Projeté sur la scène médiatique malgré lui par un procès qu'on lui a fait de vouloir rester un viticulteur (l'homme qui élève la vigne) plutôt que de bazarder des pesticides, des sulfites et autres levures chimiques dans un vin, comme le fait un « exploitant » viticole. Cette petite variation sémantique poursuit son chemin. Le territoire de l'art est lui très fréquenté, trop balisé, polémique, critique et souvent désabusé de sa survalorisation ; eux ils annoncent, pour le coup, une opération où ils tentent de se révéler comme de jeunes artistes au moment même où ils se débarrassent de leurs exuvies *. Exercice périlleux par ce qu'on attend d'eux ; comme si une familiarité avec l'art nous légitimait à penser à leur place. Basta ! Jean-Paul Guarino, commissaire invité, propose une plongée au cœur même de leurs processus de création en les invitant à leur ESBAMA - École Supérieure des Beaux-Arts de Montpellier Agglomération première exposition revendiquée comme telle en tant qu'artistes, Opération plastique. 27 mars - 16 mai 2014 il ne s'agit donc pas pour lui de compiler des œuvres produites par Adrien Blondel, Julien Borrel, Maxime Boutin, C.G, Kyoko Kasuya, Edouard des étudiants mais seulement de regarder comment une nouvelle Lecuyer, Floriana Marty, Marilina Prigent, Bérénice Serra, Florian Vanderdonckt. vague d'artistes produit des œuvres déterminantes. Observer avec Projections sur les vitrines extérieures de la galerie du lundi au vendredi, attention et exigence ces pièces singulières, même si elles sont parà la tombée de la nuit jusqu’au lever du jour. fois encore immatures par la trop grande générosité qui réside en elles. Être présent à ce qu'elles anticipent déjà des œuvres qu'ils produiront dans les années à venir, c'est en fait se tenir prêt à accepter d'être surpris, déplacé, pris à contre-pied, voire entartré comme si la jeunesse ne devait pas connaître de limite, en tout cas pas les nôtres, pour éprouver leur liberté. C'est à cet immense jeu qui se renouvelle à chaque génération et dont nous avons pu, déjà, être les témoins, que nous sommes une fois encore conviés. Pouvoir entrevoir l'inimaginable qui réside, dès à présent, dans ce qui sera révélé peut-être dans vingt ans, ce sont ces parcelles de vérités qui allumeront plus tard pour l'une ou l'un d'entre-eux un immense feu éclatant, celui de la puissance de l'Art. Aujourd'hui c'est à une expérience discrète, que nous vous invitons comme celle de voir la beauté fugace et intangible des lucioles dans la nuit, expérience que nous avons pratiquée et que nous avons cherchée pendant les cinq années qu'ils ont passées avec nous. * Enveloppe qu'abandonne un insecte lors de sa mue entre le stade de nymphe vers l'insecte parfait.
Christian Gaussen est directeur artistique et pédagogique de l’EPCC Esbama - École Supérieure des Beaux-Arts de Montpellier Agglomération.
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la dramatique vie de marie r. marie reverdy Sans incipit et sans vergogne ! (notes trouvées au réveil au pied de mon lit) … et de conclure que : « Je fais partie de la génération qui a toujours eu l'impression d'appartenir au genre larvaire... » Tandis que je méditais à la destinée pathétique de tous ceux qui sont nés en 1978, deux mots se sont télescopés dans ma tête : genre, et génération… et oui, autre temps, autres mœurs ; autre génération, autre genre. Mais je me rendais compte surtout que je ne savais pas très bien ce que ça voulait dire, « genre »... bien que ce mot fut de même étymologie que génération, tous deux étant issus d'étymons latins reposant sur la forme gen-, (genitus) « engendré ». Il aurait été facile de croire qu'un genre n'eut été que l'expression d'une période, mais cela aurait été confondre Genre et Courant... de plus il n'est qu'à considérer les seuls genres de Comédie ou de Tragédie pour nous interdire un tel raccourci, puisque cette distinction existe depuis l'antiquité et se présente comme immuable. Tout porterait à croire que cela ne vaudrait pas trop la peine d'y revenir. On pourrait considérer que cela n'a de toute façon aucune espèce d'importance, et effectivement, je me pose peu cette question avant d'aller au théâtre. Pourtant dès que je repère un principe esthétique, je « généralise », même l'énoncé « cette œuvre est inclassable » produit la classe des « inclassables ». Un horizon d'attente et une part du plaisir esthétique tiennent à ce discours que je produis, parfois malgré moi, face à une œuvre. Bref, j’appréhende l'œuvre à l'aune d'un savoir préalable. La définition du terme Genre est un peu obscure en fait : Classe d'œuvres définies par des caractères communs. Le découpage en genre présuppose que l'on reconnaisse plusieurs faits problématiques. Le plus significatif étant le fait que le théâtre soit pensé comme un genre littéraire, au même titre que le genre épique et celui de la poésie lyrique, chacun se divisant en sous-genres, et créant à eux trois la totalité de la littérature. Le théâtre comme genre littéraire se définit par son système énonciatif particulier puisqu'il imite le mouvement de la parole en multipliant les locuteurs, ce qui le différencie du récit, marqué quant à lui par la présence d'un narrateur. Tant que le théâtre est pensé comme un genre littéraire, ses sous-genres sont majoritairement établis selon le critère du registre qu'il emploie : ainsi en va t-il de la Tragédie et de la Comédie, ou du mode d’établissement du texte comme pour le théâtre documentaire. Outre le fait qu'il faudrait être en mesure de distinguer les énoncés littéraires de ceux qui ne le sont pas, nous sommes tout de même mis en demeure de reconnaître que le théâtre comme genre est totalement inféodé au texte. Ça ressemble à un détail, mais il est encore possible d'entendre, à la sortie d'un théâtre, des jugements hâtifs que l'on pourrait synthétiser en « Bordel de merde, mais c'est pas du théâtre ça ! Y a pas de texte, et ils bougent même pas ! » et autres délices d'Avignon 2005.
Certes de l'eau a passé sous le pont depuis et peut-être qu'en moins de dix ans les sensibilités ont déjà changé. Admettre le postulat que le théâtre est une catégorie littéraire ainsi que nous l'enseigne la classification traditionnelle, revient à nier l'autonomie du théâtre comme art, et le passage à la scène comme œuvre. Pourtant le théâtre, particulièrement celui du XXe siècle, a revendiqué vigoureusement la place du metteur en scène comme figure de l'artiste tout aussi créateur que l'auteur. A cela s'ajoute le repérage, dans la période contemporaine, d'un théâtre post-dramatique par Hans-Thies Lehmann, qui nous pousse à considérer que le texte n'est qu'un des éléments de l'art théâtral. Ce que le théâtre représente, ce n'est donc pas un texte mais bien une vision du monde. On pourrait bien sûr affirmer que chaque œuvre de la littérature théâtrale se nourrit autant qu'elle nourrit les moyens scéniques d'un genre donné à une période donnée, mais cela n'enlèverait en rien la prédominance, aujourd'hui insatisfaisante, du texte comme référence, atome, essence de la théâtralité. Il ne faudrait pas pour autant tomber dans l'écueil inverse et, partant de la scène, limiter le théâtre à un genre particulier des arts du spectacle qui aurait le texte pour particularité. Comment penser la notion de genre sans faire du théâtre une catégorie purement littéraire, ni une simple branche des arts du spectacle ? Je me suis mise à rêver, dans cette période post-moderne où tous les genres et toutes les époques sont convoqués, mélangés, et où le texte n'est pas un élément distinctif de la théâtralité mais un ingrédient parmi les autres. Maintenir la réflexion sur le système énonciatif, même lorsque le texte est absent ; comprendre la scène comme « horizon extérieur » permettant le sens des signes ; considérer que le comédien dans la relation qu'il entretient avec le personnage, parfois ténue, parfois fusionnelle, parfois inversée1, serait peut-être le critère le plus pertinent pour refonder la notion de genre en théâtre, voie ouverte en partie par Brecht qui, même s'il s'appuyait sur les critères de la littérature pour distinguer l'épique du dramatique, a surtout repensé par-là le statut du personnage et le jeu de l'acteur. Il est bien sûr difficile de circonscrire le théâtre à un terme qui serait censé le définir mais le lien « personnage-acteur », sans se poser comme définition, sert au moins de pivot pour ordonner l'ensemble des techniques qui font le théâtre. Voilà ce que notre génération pourrait faire : re-hiérarchiser les critères qui définissent les genres, selon la pertinence que nous décidons de leur donner, afin de porter un regard neuf sur l'Histoire du théâtre et de modifier en profondeur les paradigmes de lecture de la création contemporaine. Sans vouloir paraphraser les revendications des Gender Studies, nous pouvons tout de même affirmer que le genre est avant tout affaire de choix.
« Décrire un espace, créer des personnages, remplir le texte d'indications scéniques : à ne jamais faire. Ici, les noms qui précèdent chaque phrase sont ceux des comédiens pour lesquels je suis en train de travailler, auxquels je pense lorsque j'écris le texte. Il ne s'agit donc pas de personnages mais de personnes. » Rodrigo Garcia, Notes de cuisine.
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s il h o u e tt e d o m i n i q u e ro c h e t
m o n ke y b u s i n e s s ! « O n e s i e » , c o m b i n a i s o n i n t é g ra l e e n d i r e c t d e s r u e s l o n d o n i e n n e s p e r m e t t a n t d e s e s e n t i r a n i m a l e t d e g a g n e r d u t e m p s l e m a t i n d e va n t l e d r e s s i n g . P h o t o g ra p h i e : P h i l o m è n e P i n h o
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Sylvain FRAYSSE 20 mars - 26 avril 2014
Galerie Vasistas 37 av edi au samedi - 15h Ă 18h30 / www.v asistas.org g avenue bouisson bertrand bertrand - montpell montpellier / mercr mercredi www.vasistas.or
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i’m back laurent goumarre
Jamais je n'aurais pensé un jour avoir quoi que ce soit à voir avec ce qu'on appelle être un « collectionneur ». C'est même un terme qui m'a toujours un peu dégoûté, lié peut être à un sentiment de classe sociale, de patrimoine, de propriété privée, comme on parle de « collection privée » et que j'entends « privée de qui » ? « de quoi » ? Peut-être parce que je suis né dans un milieu enseignant où la culture était scolaire entre les Classiques Garnier et le Lagarde & Michard, mais où l'art était absent. A l'exception de deux beaux livres sur les « Trésors du musée du Louvre » qui étaient, je m'en souviens précisément, un support d'excitation sexuelle. Je me souviens encore de l'Enlèvement des Sabines, ou de Suzanne et les vieillards que je regardais d'une main, fasciné par la violence et la perversité de ces scénarios sexuels. Je parle de cela car les premières œuvres que j'ai réalisées étaient des pages de roman-photos pornographiques que j'avais présentées à la Galerie Alain Gutharc à Paris, comme des cours de grammaire, en soulignant dans les textes ici les adverbes, là les interjections. Et je me souviens précisément du mélange de honte et d'absolue nécessité qui m'avaient submergé lors de ma première exposition ; je montrais aux autres qui j'étais, mon rapport strictement sexuel à l'art, que je ne pouvais manifestement pas garder pour moi. Les premiers achats, je me souviens précisément, ont été la photographie d'un type nu en baskets dans un bois qui joue avec deux chatons, et celle d'une femme nue de dos avec chaussures dans un supermarché. Et j'ai mis des années à comprendre qu'il s'agissait dans les deux cas de naturistes, alors que j'y voyais un homme et une femme nus, ce qui n'a précisément rien à voir. Ce que je voyais, c'était la préparation de ces photos, la vitesse avec laquelle la femme s'était déshabillée, profitant de l'absence de clients et du personnel au rayon frais du magasin. Voilà c'est précisément ça que je voyais : un scénario, une petite fiction sexuelle. Et encore aujourd'hui quand je les regarde, lui qui joue avec ses chatons, elle qui choisit ses yaourts, je me dis littéralement que l'art qui me regarde est celui où il a fallu se mettre nu pour la photo. Il y a eu deux années où je n'ai rien acheté, 2007-2009 ; j'en parlais encore dernièrement sur le divan, rien. Ni photo ni tableau, rien. J'avais rencontré quelqu'un qui avait fait un tout de ma vie. Le contraire d'une collection qui est l'addition de un + un + un + un. Alors oui, j’ai été un collectionneur privé, avant 2007. Je le suis redevenu après 2009. Un collectionneur privé de tout ce qui a été ma vie pendant deux ans. Alors je ne sais pas si je collectionne, mais ce que je sais, je l'ai appris des gens qui viennent chez moi, des amis, relations de travail, ma famille, qui trouvent que « c'est encombré », que « je ne pourrais pas dormir avec ça », « manger devant ça », « vivre avec ça », et qu'« on n'y voit plus rien ». Ils ont raison, on n'y voit plus rien ; les autres n'ont jamais envie de vous voir comme vous êtes, peut-être pour vous protéger de vous-même, pour garder l'estime, et l'amour qu'ils ont pour vous. Ce que j'ai planté sur les murs de mon appartement ne leur donne pas envie d'être à ma place. Je les comprends. Laurent Goumarre est critique d’art, producteur de l’émission Le RenDez-Vous sur France Culture et présente Entrée libre chaque jour sur France 5 à 20h15
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addenda millau - 12 VRAC Julien Mijangos jusqu’au 31 mars 2014 montpellier - 34 Carré Ste Anne L’œil et le cœur 2 jusqu’au 27 avril 2014 La Panacée Dernières nouvelles de l’éther Laurie Anderson, Robert Barry, Berdaguer & Péjus, François Curlet, Liam Gillick... jusqu’au 22 juin 2014
montpellier - 34 Iconoscope 25 rue du Courreau Didier Trenet jusqu’au 26 avril 2014 narbonne - 11 L’Aspirateur Récits - Bernard Rancillac jusqu’au 11 mai 2014 sigean - 11 L.A.C. Hameau du Lac Nicolas Daubanes 5 avril - 25 mai 2014
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archives addenda - une sélection d’expositions acturama - des articles inédits sur l’actualité
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Opération plastique
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Une nouvelle vague Adrien Blondel, Julien Borrel, Maxime Boutin, C.G, Kyoko Kasuya, Edouard Lecuyer, Floriana Marty, Marilina Prigent, Bérénice Serra, Florian Vanderdonckt 130 rue Yehudi Menuhin 34000 Montpellier Projections sur les vitrines extérieures de la galerie du lundi au vendredi - à la tombée de la nuit jusqu’au lever du jour
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