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LE MAÎTRE-MOT Climat et vinification

Par Ross Wise, MW

La première chose que l’on apprend en viticulture est que 90 % du potentiel de qualité d’un vin provient du vignoble. Selon mon expérience, ce serait plutôt 100 %.

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Le climat est essentiel à la vinification. Le sol et la vigne jouent tous deux un rôle, mais le climat est la clé de la qualité du raisin et du vin, ainsi que du rendement. Les raisins de cuve sont incroyablement sensibles aux variations climatiques importantes. Les pluies excessives, la sécheresse, le gel, la grêle, la chaleur extrême et la fumée des feux de forêt peuvent ruiner une récolte. Sans oublier un tableau toujours plus large de parasites et de maladies qui s’attaquent aux vignes. La fréquence des phénomènes météorologiques extrêmes augmente dans de nombreuses régions viticoles du monde, menaçant ainsi la qualité et les rendements.

Les feux de coteaux ou encore les vignobles inondés ou ravagés par la grêle ont trop souvent fait les manchettes ces dernières années. Les impacts du changement climatique sur le secteur vitivinicole ne datent pas d’hier et sont bien documentés par des décennies de suivi. C’est ce que révèle l’évolution des taux d’alcool sur les étiquettes des vins provenant des régions réputées. Outre l’augmentation constante des taux d’alcool, l’acidité des raisins diminue, les tanins s’adoucissent et les arômes passent de la fraîcheur à la maturité, puis au parfum confituré. Les styles de vin ont évolué littéralement sous notre nez.

Les rendements ont également été affectés par le changement climatique. Dans de nombreuses régions, les récoltes ont souffert de gelées sévères, de grêle, d’épisodes de chaleur extrême, d’inondations et de sécheresse. La Bourgogne a connu plus que sa part d’épisodes extrêmes, entraînant des pénuries importantes de vin sur les marchés. Et les bouteilles qui parviennent aux étagères sont vendues à des prix élevés. La viticulture est devenue un investissement risqué dans de nombreuses régions, et la vinification, un métier plus difficile qu’il n’y paraît. Le métier de vigneron ne se résume pas à des dîners de dégustation et à des verres de chardonnay que l’on sirote sur une terrasse.

Mais la viticulture a-t-elle un impact sur le climat?

Il ne fait aucun doute que l’industrie du vin laisse une empreinte. La viticulture nécessite le recours au diesel. La fabrication du vin requiert de l’énergie pour la réfrigération et l’utilisation des équipements. Les navires et les camions qui distribuent le vin dans le monde consomment du carburant. Cependant, il existe dans le monde de nombreux exemples de viticulture durable, biologique et régénérative. Les producteurs ont trouvé des moyens novateurs de s’affranchir du réseau électrique, de recycler les eaux usées, d’intégrer des plantes et des animaux indigènes dans l’agriculture, afin de réduire ou d’éliminer les émissions. Des fondations internationales telles que le protocole de Porto et l’International Wineries for Climate Action font figure de pionniers, montrant au secteur ce qui peut être fait grâce à la collaboration et à l’engagement envers des objectifs significatifs. Malgré son empreinte, le secteur est proactif et innovant, et il ne se dérobe pas devant ses responsabilités. Alors, quelle est la prochaine étape pour l’industrie du vin? L’adaptation est le nouveau mot à la mode. Des stratégies de gestion des feuilles et du couvert sont utilisées pour ralentir la croissance de la vigne et rafraîchir les raisins. Une récolte plus précoce permet de réduire les niveaux de sucre – et donc d’alcool – sans perte de qualité dans le cas de certains cépages. Des filets antigrêle suspendus, comme ceux utilisés à Mendoza, peuvent intercepter les grêlons destructeurs avant qu’ils ne causent des dommages. L’adaptation est un moyen de maintenir les conditions optimales un peu plus longtemps. Mais ce n’est pas une solution à long terme.

ROSS WISE MW est basé dans la vallée de l'Okanagan, en Colombie-Britannique, où il travaille comme vinificateur à l'emblématique Black Hills Estate Winery. En 2020, Ross est devenu le 7e Master of Wine du Canada et, pendant ses études, il a rédigé un document de recherche sur les conséquences du changement climatique sur la viticulture dans la vallée de l'Okanagan.

L’atténuation à plus long terme oblige à revoir l’implantation des vignobles, à réévaluer le choix des cépages dans les régions et, dans certains cas, à déplacer la viticulture vers des sites plus frais, à des latitudes ou des altitudes plus élevées. Bordeaux, une région traditionnelle, a réagi aux menaces climatiques en ajoutant à sa réglementation sur les variétés approuvées des cépages internationaux comme le touriga nacional; ce qui aurait été jadis impensable. En Alsace, le Domaine Muré, qui existe depuis 12 générations, a réagi au changement climatique en plantant de la syrah à titre expérimental – un changement radical pour cette région ayant fait sa renommée grâce aux cépages blancs et au pinot noir. Au Chili, sous l’effet d’une décennie de sécheresse, la viticulture s’est déplacée vers le sud des régions existantes à la recherche de sources d’eau fiables. À l’instar de l’action climatique, les termes adaptation et atténuation sont aussi incontournables que vitaux pour l’avenir de la filière vitivinicole. Si les pratiques de viticulture et de vinification durables et proactives sont de plus en plus courantes et ont de plus en plus d’impact, l’emballage en verre demeure le principal responsable de l’empreinte carbone de l’industrie. Tous les vins ont-ils besoin d’une bouteille en verre? Non. Il existe des options plus écologiques pour les vins qui ne sont pas élevés en cave pendant un an ou plus entre l’emballage et la consommation. Et pour être franc, seul un petit pourcentage de la production mondiale de vin en a besoin. Outre l’emballage, la distribution est également examinée à la loupe. Le transport du vin en vrac et son emballage sur le marché visé ont été des réussites durables pour le secteur. Les campagnes de promotion des vins locaux connaissent un fort succès et devraient continuer à prendre de l’ampleur. Quelqu’un veut un bidon de vin? Le secteur du vin a toujours été doué pour raconter des histoires. Les actions servant à atténuer les effets du changement climatique font désormais partie de cette histoire. Les consommateurs sauront-ils apprécier l’évolution des styles de vins et les innovations liées au climat qui se dessinent?

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