ARKUCHI #19 Janvier 2021

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janvier 2021

mensuel gratuit

#19

art culture architecture



N 19 .24

.04

Des envies... Des cadeaux

ÉDITO

.06

SUCCESS STORY Un cadeau nommé Doisneau

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Expos

Laetitia Bégou©

Céline Moine et Laurent Giros Edi Dubien

Un dernier numéro pour claquer la porte à une sale année sous pandémie. Une fois de plus, on espère vivement retourner dans les salles et on a misé là-dessus (le 15/12 ?) parce qu’on n’en peut plus et qu’on a plus que jamais besoin de culture. À cette heure où j’écris, rien de moins sûr… Il y a bien un gagnant (merci le confinement !) dans l’histoire : Adrien Blanc, invité du mois dernier, remet le couvert avec de nouvelles photographies à découvrir. Surtout ArKuchi continue de croire en des jours meilleurs. Résistons, cultivons-nous et vivons. Haut les cœurs ! A.H.

FORME & FONCTION Au pays du facteur Cheval

.26 ADN

Monireh Mir Khosh

.28

C’était Mieux Avant

Chet Baker

.29

Lettres & Ratures

.30

Popote(s) & Jugeote

.31

Street Art by Graphull

Best-of

arkuchi #19 jan. 2021

.10 C dans l’air

Dominique A Chronique d’une vie étrange

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Dossier spécial

Les scènes font de la résilience

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Bêtes de Scènes

TNP, Comédie de Valence, José Montalvo, Pierre Pontvianne, etc.

.20

FOKUS

Adrien Blanc

.16

à l’affiche Arthur Fourcade se livre

vélos toulouse

contact.arkuchi@orange.fr

Mensuel gratuit Lyon, Métropole & Rhône-Alpes Édité par ArKuchi, 18 rue de Belfort, Lyon 4 Direction de la publication - Rédaction en chef Anne Huguet - 06 13 07 06 97 Secrétariat de rédaction : Emmanuelle Babe Ont participé à ce numéro Claudia Cardoso, Blandine Dauvilaire, Ponia DuMont, Graphull, Émiland Griès, Marco Jéru, Trina Mounier, Enna Pator, Nikki Renard, Florence Roux, Gallia Valette-Pilenko Photo de couverture : Adrien Blanc Publicité : contact.arkuchi@orange.fr 06 13 07 06 97 Conception et mise en page Impression : FOT

Tirage : 10 000 ex. Dépôt légal à parution – ISSN : 2646-8387

La rédaction n’est pas responsable des textes et photos publiés qui engagent la seule responsabilité de leurs auteurs. Tous droits de reproduction réservés.

Abonnement

9 num./an = 27 eur.

Des photos prises sur le vif Rejoignez la communauté ArKuchi

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Carte blanche

Guillaume Poix

°


Des envies...

Par Anne Huguet, Trina Mounier, Florence Roux

artistes urbains

Le nouveau Erri de Luca se lit d’une traite, implacable et passionnant, parce qu’un jour il faut payer et solder ses comptes… avec la vie. Impossible

collector

Nick Cave, magistral, se met à nu avec un seul en scène au piano. La voix habitée, la beauté simple des mélodies, la mélancolie et l’émotion palpables, on est subjugué et bouleversé par cet Idiot Prayer. Somptueux.

On a vu, on a aimé Le Jeu de la Dame (The Queen’s Gambit) et Antidisturbios. Prenant.

séries

fresques

Gallimard (sortie : 20 août 2020)

m2

+ DE

4 000 100 120

Réouverture le 15.12

Snake, El Seed, Seth, Brusk, Kalouf, Aéro, Jo Di Bona, Lady K, etc. Visite XXL du sol au plafond.

ArKuchi #19 JAN.2021

05 > 16.01 Les Célestins

joyeusement avec le premier spectacle de la jeune carrière de Thomas Jolly, 38 ans : Arlequin poli par l’amour avait fait forte impression en… 2007 !

Super rétro Un enchantement pour démarrer l’année

> 03.02

La Poule Rouge, Navette, Tanibis et le must de la microédition indépendante lyonnaise vous attendent au Bistrot Fait Sa Broc (Lyon 4) pour un marché de Noël joyeusement DIY. Jusqu’au 24 déc. (13h/19h, sa. 11h/19h)

Une exposition gratuite pour découvrir le fonctionnement du TNP à la grande époque de son fondateur, Jean Vilar. Avec ses notes de service punaisées. Savoureux. Ce soir, oui, tous les soirs !

Le Broc fait sa Noël

a chaud

Mathieu Jiroet ©

Yan Le Pon ©

Nick Cave Idiot Prayer (Alone at Alexandra Palace) Bad Seeds Ltd - Sortie : 20 nov. 2020

Pour les radins curieux

ZOO ART SHOW

Tabula non rasa


Des photos de rue réalisées au sténopé par Christian Poncet. Comme hantées par des fantômes…

19 > 30.01 Théâtre de L’Elysée

10 kg

C’est le poids des fringues d’une ado qui se cherche et s’enfuit dans le salafisme. C’est aussi la voix de sa mère Lau Nova brisée d’amour, mise en scène par Antonella Amirante. Création.

19 > 23.01 Théâtre de La Renaissance

Fan de

L’interprétation de Jean Genet par Stéphane Bernard, dans Le Funambule, est remarquable, puissante et subtile.

06.01 > 13.03 Galerie Nörka

Un monde étrange

Contre la montre

ArKuchi #19

JAN.2021

Thomas Kellner ©

De Thomas Vinterberg, on ne retient que Festen. Drunk a cette même force. Le film nous lance à la poursuite de la jeunesse qui nous fuit dans un meilleur des mondes fadasse. Avec l’alcool comme carburant et l’amitié pour parachute. Un film politiquement incorrect et diablement intelligent. En salle

12 > 13 JAN. Maison de la Danse

Les Belges de Peeping Tom reviennent avec le dernier volet de leur trilogie dédiée à la famille. Kind est une pièce hyperréaliste, troublante, cruelle et virtuose, qui secoue le cocotier de nos peurs et fantasmes. Bluffant.

De bruit et de fureur

Kind

Olympe Tits ©

... des cadeaux

expo

vente

Plus de 300 photographies à (re)voir et avoir ? ça se passe du côté de Vrais Rêves qui "fait sa foire" annuelle. Une photo d’artiste signée et numérotée à 100€ ? Joli cadeau. > 21 fev.

Paris Tour Eiffel

Tribal chic

Depuis quinze ans, Kumka mélange les formes, les matières, les techniques pour créer des bijoux artisanaux à la main. Pièces uniques à petits prix.

kumka.fr


success story

Robert Doisneau Portraits d’artistes et vues de Lyon

> 11 avr. Musée Jean Couty, Lyon 9

museejeancouty.fr

Robert Doisneau - Gamma Rapho ©

Niki de Saint Phalle à table avec ses nanas, Soisy-sur-école juillet 1971

Atelier Robert Doisneau ©

Tinguely, portrait de l’artiste, Paris 1959

Place des Terreaux, Lyon 1950

un cadeau nommé

Robert Doisneau - Gamma Rapho ©

Doisneau

Atelier Robert Doisneau ©

Par Blandine Dauvilaire

Pour la première fois à Lyon, plus de 90 tirages originaux de Robert Doisneau consacrés aux portraits d’artistes et vues de Lyon sont exposés. Cet ensemble exceptionnel, comprenant une vingtaine d’inédits, est dévoilé grâce au Musée Couty et à Francine Deroudille, la fille de l’artiste.

Place Bellecour, Lyon 1950

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success story

Votre père a photographié les plus grands artistes de son époque. Comment arrivait-il à saisir la vérité d’un être en faisant son portrait ? Francine Deroudille Il donnait à la pudeur une place très importante, n’essayait pas de percer à vif les secrets des gens, mais il avait une acuité de regard qui bien souvent lui donnait un pressentiment très juste de la personne. Il aimait capter très vite le décor. Quand on regarde bien les images, on voit que les gens ne sont pas placés par hasard, il y a toujours beaucoup d’éléments qui vont parler dans la photo. Il aimait particulièrement photographier Picasso ? FD Il disait que c’était le meilleur modèle qu’il ait jamais eu, car Picasso aimait poser et avait le sens du théâtre. C’était sûrement plus difficile avec Georges Braque.

Atelier Robert Doisneau - Succession Picasso 2020 ©

Picasso dans son atelier de Vallauris, 1952

Pourtant il l’a immortalisé en pantoufles ! FD Ça l’avait frappé d’être face à quelqu’un en pantoufles qui gardait une dignité totale. Quant au portrait de Giacometti, il montre à la fois sa beauté et le bazar dans lequel il travaillait. Ce sont des portraits classiques au départ mais qui vont très loin dans l’intimité de l’artiste. L’autre volet est consacré aux vues de Lyon réalisées en 1950 pour le magazine Vogue. FD La majorité de ces photos n’ont jamais été montrées. Comme à chaque fois, mon père pactise avec le sujet à traiter. Il a cherché à comprendre comment cette ville fonctionnait. Il y a à la fois le Lyon de la tradition, les jeunes peintres et les gens qui refont vivre cette ville à ce moment-là. J’aime beaucoup ces photos très simples qui montrent le regard émerveillé qu’on peut avoir face à une grande ville très belle. Lui, c’est un petit Parisien banlieusard, ce n’est pas son milieu, c’est un regard de découverte. La commissaire d’exposition, Clotilde Scordia, a eu une idée formidable… FD Oui, elle a su mettre en résonance les toiles de Jean Couty et les photos de Lyon de mon père. Ça apporte vraiment quelque chose, on voit que des deux côtés il y a une vibration artistique forte. C’est une réussite.

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expos

Chercheurs

La

Par emmanuelle Babe

Elle raffole d’art contemporain, lui collectionne les œuvres sur papier. À la tête de la galerieappartement Le 1111, Céline Moine et Laurent Giros font subtilement dialoguer des artistes contemporains avec les maestros anciens et modernes.

Le 1111

11 rue Chavanne Lyon 1 1er étage celinemoine.com

FEUX #2

> 24 déc. Carte blanche à Fabien Villon

Photo d’oeuvre d’Auguste Rodin, La Main du sculpteur avec torse A, 1917, Sculpture en bronze exposée pour la collective Handle With Care.

Jan.i

scène se passe au Musée des Beaux-Arts de Lyon. Céline Moine, « à peine adolescente », visite une exposition consacrée à Giacometti. «  J’ai été percutée, bouleversée. J’y suis retournée tous les jours. » Son destin s’est-il dessiné alors ? Sans doute, affirme tout sourire cette passionnée devenue galeriste, qui a « découvert l’image dans les livres » et se plaisait, enfant, à reproduire les dessins de l’Encyclopédie familiale. Aujourd’hui c’est non loin du Palais Saint-Pierre que Céline Moine et Laurent Giros, son mari, animent la galerie Le 1111, ouverte en 2017. En 2010, le couple a investi cet appartement situé au premier étage d’un immeuble discret de la Presqu’île. Le trois-pièces devait simplement faire office de bureau. « Et puis, on s’est dit : pourquoi ne pas exposer ? Laurent et moi avons des univers tellement différents », raconte Céline Moine. L’art contemporain pour elle, les gravures anciennes et modernes pour lui. Tous les deux sont des passionnés érudits. Expert en œuvres d’art sur papier, Laurent a travaillé pour la prestigieuse maison de ventes aux enchères Christie’s, à New York et Londres. Céline, historienne de l’art et décrypteuse chevronnée du marché, a organisé, pendant dix ans, des expositions à Lyon, Paris, mais aussi New York, Miami, Istanbul… Toujours dans des lieux différents, « de l’appartement très bourgeois aux écuries en friche ! J’ai adoré ce nomadisme libre et festif », se souvientelle. Une décennie à remplir son carnet d’adresses de jeunes créateurs contemporains : Marie-Julie Michel, Marta Nijhuis, Akira Inumaru… Laurent Giros, lui, est devenu collectionneur de gravures. De Rembrandt à Hockney en passant par Pissarro, Picasso et le Franco-Chinois Zao Wou-Ki, quelque 400 pièces sont précieusement conservées par le couple. Un trésor qui se renouvelle : Laurent vend et acquiert. Céline Moine et Laurent Giros ont décidé de confronter leurs univers, lors de Cartes blanches qui font la patte du 1111. Le principe : faire entrer en résonance des artistes contemporains avec ceux de la collection. « Cette démarche plaît beaucoup. C’est un choix intime de se confronter à Picasso ou Matisse, avec cette question : Est-ce que je vais tenir en face du maestro ? Pour nous, c’est aussi l’occasion de lire l’œuvre ancienne sous un autre jour. » En trois ans, dix-sept artistes ont fait l’objet d’une Carte blanche (Delphine Balley & Auguste Rodin, Ferrante Ferranti & Piranèse…), en plus des cinq expositions thématiques présentées. Un rythme soutenu pour ce lieu hors norme, à la fois confidentiel et chaleureux.

D.R. ©

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expos

Adagp, Paris, 2020 ©

des

garçons très nature

Une pensée naturelle 2019

Par Gallia Valette-Pilenko

Pour sa première exposition monographique, Edi Dubien, artiste méconnu du grand public, investit le premier étage du Musée d’art contemporain de Lyon avec ses portraits de jeunes hommes au regard absent. Questionnant à la fois l’identité, la liberté d’être, la fusion avec une nature qui apaise autant qu’elle inquiète, le plasticien a accroché plus de 400 dessins, peintures et sculptures tout aussi poétiques et étranges les uns que les autres. Si les portraits semblent se ressembler, comme des répliques de l’artiste, il faut prendre la peine de s’approcher pour découvrir de petits détails qui transforment radicalement le regard. Ces portraits androgynes semblent flotter sur le papier, prêts à s’évaporer puis disparaître comme une brume sur la rivière, interrogeant le genre autant que le rapport à la nature, végétale et animale, omniprésente dans le travail de Dubien. Et l’on devine que la nature est un pansement pour lui, qu’elle le répare et le réconcilie avec le monde. Non dénué d’humour, notamment avec la figure récurrente de Colargol, ourson d’une série télévisée pour enfants des années soixante-dix, qui ponctue l’exposition, l’univers de Dubien ne ressemble à aucun autre. Comme si l’artiste, autodidacte, avait créé son monde pour pouvoir affronter celui qui l’a maltraité dans son identité, « chargé d’une violence normalisante, à la fois mentale et physique » alors qu’il ne cherche qu’à échapper aux codes et aux cases dans lesquelles on a voulu le faire entrer... Diaphane et mélancolique.

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Edi Dubien, l’homme aux mille visages

> 21 fév. MAC Lyon Lyon 6 mac-lyon.com


c dans l’air

Dominique A

EN ATTENDANT Par anne huguet

Revoilà le grand chauve. Il devait recharger ses batteries créatives en 2020. Que nenni. Dominique A s’est « laissé embarquer » par l’époque et a soigné ses états d’âme en musique. Et à la plume. Après Fleurs plantées par Philippe, sobre récit qui tient du livre-hommage et du journal intime, il a lâché le 6 novembre Vie étrange, un 10-titres à fleur de peau qui ressemble à du Dominique A avec son chant tout en retenue, ses ambiances monochromes et son minimalisme ambiant. Retrouvailles.

Rétrospectivement, la reprise de L’Éclaircie a-t-elle été le déclencheur ? Dominique A J’ai toujours considéré que la musique était un monde à part, à partir duquel on pouvait s’extraire du quotidien. Normalement, je ne me laisse pas corrompre par l’époque, ni embarquer par les circonstances. Là, j’étais tellement démuni… Sans doute, j’étais déjà dans un certain état d’esprit avec ce texte que j’avais commencé à écrire sur Philippe Pascal*. Je l’avais laissé en plan ; j’y suis retourné avec le confinement. Puis L’Éclaircie est arrivée. Imprévue, tellement adaptée à ce qu’on vivait et collant à l’époque comme rarement. C’est le pouvoir de certaines chansons de réussir à se cristalliser sur un moment donné et à prendre sens. Comme une espèce "d’hypertrophie" de la chanson. Je me suis acharné. Et ce qui ne devait être qu’une fin de quelque chose a enclenché la machine. Cette collection de titres forme un vrai tout à l’écoute. D.A. J’ai gardé la chronologie de l’enregistrement. Outre L’Éclaircie, un peu à part, il y a deux parties. Les cinq premiers morceaux sont froids et synthétiques avec une voix en dedans, très peu de volume

sonore, un chant en retenue comme contrarié. Puis on déconfine : le chant reprend un peu de couleur, c’est plus ouvert, presque pop. Avec des morceaux principalement joués à la guitare. Même si Quand je rentre [ndlr, l’un des très beaux morceaux de l’album] n’est pas d’une gaieté folle ! Il y a une espèce de progression. C’est surtout l’ambiance musicale qui donne cette impression cotonneuse d’isolement.  Que raconte ce 10-titres ? D.A. Plutôt des états d’âme. Liés à un ressenti. Il n’y a pas de description du contexte, malgré quelques références directes. Comme dans Wagons de porcelaine, à raccrocher à cette impossibilité à se projeter dans quoi que ce soit. En tout cas un album 100% maison ? D.A. Je partais de pas grand-chose : une suite d’accords, une boucle rythmique, un texte écrit (ou pas) dans la nuit. L’idée était d’aller à l’essentiel pour donner des chansons, dans un laps de temps de trois heures, avec un huit pistes (un vrai garde-fou !). Un peu comme de petites performances. Ce qui était nouveau ? Savoir que j’allais

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Laetitia Bégou©

c dans l’air

C’est aussi l’histoire d’un livre d’être bâti de regrets

@DominiqueAofficiel

Fleurs plantées par Philippe

(Mediapop) 8 oct. 20

Vie Étrange

(Cinq7/Wagram Music) 6 nov. 20

mixer ça tout seul. Sans beaucoup de matériel en plus ! Le challenge était que ça sonne comme un disque avec un son correct. Il a fallu que j’apprenne une sorte de rigueur domestique pour être très précis dans les prises. Peut-on parler de la création comme catharsis ? D.A. C’est vraiment une purge ! Mais c’est aussi un starting-block, pour la suite. Car tout ce travail en solitaire m’a regonflé. Cela m’a donné confiance dans la vertu d’une écriture plus ramassée et moins soucieuse d’ambition. Je réussis mieux quand je suis détaché, c’est une leçon à retenir pour le prochain enregistrement. […] L’écriture de Fleurs plantées par Philippe était une nécessité. C’était cathartique là aussi. Je n’écris que lorsque je ressens le besoin de raconter une histoire liée à ma vie. Sa mort a réveillé tout un tas de trucs chez moi… J’ai eu l’impression qu’elle enterrait la new wave française. Donc la jeunesse de pas mal de gens qui ont vécu cette époque. Je n’étais pas un ami proche de Philippe Pascal. Mais j’ai ressenti un vrai deuil de la jeunesse. Au départ, je ne savais pas ce que je ferais de ça. Mais j’ai réalisé que ce récit pouvait toucher des gens. Il y avait quelque chose là-dedans qui ne tenait pas uniquement du journal intime. Étonnamment dès qu’il parait, un texte devient extérieur à vous. Là surgit tout ce qu’on aurait pu raconter en plus. C’est aussi l’histoire d’un livre d’être bâti de regrets… On n’est jamais satisfait. Encore plus qu’un disque, je crois. *Figure emblématique de la scène rock rennaise, mort en septembre en 2019. Il fut le chanteur de Marquis de Sade avant d’incarner Marc Seberg. ArKuchi #19 JAN.2021


Yvan Clédat©

RÉSILIENCE

DE LA

dossier spécial

LES SCÈNES font

les merveilles (Les Subs, mars)

C’est aujourd’hui qu’il faut soutenir la création de demain stéphane Malfettes

Par Anne Huguet & trina mounier

E

n sortant du Théâtre de la Renaissance où quelques happy few avaient eu la chance d’assister à une représentation du Funambule de Jean Genet, mis en scène par Véronique Bettencourt et Stéphane Bernard, on a senti comme un frémissement, un souffle printanier. La même scène se reproduisait quelques jours après, devant les Célestins, après une lecture très mise en scène du prochain spectacle de François Hien, La Peur. Ou encore au Polaris qui avait donné le coup d’envoi de ces séances uniques avec Le Bal des disparu(e)s de la Compagnie La Grenade. « Ça fait du bien de revoir du théâtre, en chair et en os, avec de vrais acteurs, comme une bouffée d’oxygène », voilà ce qu’on entendait. Les théâtres de Bourg-en-Bresse et de Vénissieux, le Grand Angle (Voiron), la MC2 (Grenoble), l’Espace Malraux (Chambéry), les Clochards Célestes ont aussi montré le travail de leurs compagnies en résidence. Mais tous n’ont pas fait le pari d’une telle mise en avant. La question fait débat et crée une réelle ligne de fracture entre les tenants d’un "vrai" théâtre en live avec un "vrai" public (non

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trié sur le volet) et ceux qui choisissent la visibilité, même a minima. Elle se double d’une autre, connexe : puisque les comédiens sont là où ils devaient être, c’est-à-dire dans nos murs, pourquoi ne pas faire des captations à offrir aux spectateurs qui sont privés de spectacle ? En un mot, numérique ou vivant (et pour qui) ? Certaines prises de position surprennent. Ainsi, on aurait attendu de Joris Mathieu, directeur du TNG, un grand enthousiasme pour le digital. Et bien non. « Nous avons fait une captation de En marge, ma dernière création qui n’a pour ainsi dire pas pu être vue, proclame-t-il, mais nous ne la diffuserons pas sur les réseaux sociaux. Nous refusons de substituer à une expérience vivante une diffusion numérique. Car notre cœur de métier, c’est le travail de la scène. » Sa position est tout aussi tranchée en ce qui concerne les représentations privées. Elle est partagée par Mathurin Bolze, de la compagnie MPTA : « Nous défendons le travail sans masques des artistes du mouvement. Nous n’avons pas utilisé l’outil numérique, nous avions une actualité Presse et sinon, le silence. » Expérience vivante ou visibilité numérique ? À l’inverse, Dominique Hervieu, directrice de la Maison de la Danse, qui, pourtant, programme le danseur circassien, explique  : « Les spectateurs eux-mêmes ont plébiscité la diffusion des vidéos, faisant exploser les scores de Numéridanse*. Une captation bien réalisée permet de développer la culture chorégraphique et surtout donne à la plupart des gens l’envie de (re)voir le spectacle en "vrai" ». Entre les deux, tout un éventail de positions mitigées. Ou prudentes. Ainsi Stéphane Malfettes, directeur des SUBS, constate que « certaines formes artistiques sont plus télégéniques que d’autres et que le risque est de ringardiser un spectacle si la transposition digitale n’est pas à la hauteur », point de vue partagé par Philippe Vincent et Véronique Bettencourt qui ont accepté une unique diffusion de la vidéo du Funambule, parce que la qualité technique n’était pas suffisante pour l’ouvrir plus largement. Il est vrai que toutes les salles n’ont pas à leur disposition un studio vidéo digne de ce nom (et encore moins les compagnies) ! Cependant, complète Stéphane Malfettes, « nous avons la responsabilité de ne pas laisser passer le train du numérique. C’est pourquoi nous travaillons à la création d’un nouvel espace de résidence virtuel… ». Le NTH8, avec des moyens bien plus limités, vient de lancer son journal BOÎTE NOIRE, « comme une matrice narrative (et numérique) où chaque membre des collectifs peut développer ses propres fictions créatrices ». Soyons clair. S’il y a rupture sur ce point, il y a unanimité sur d’autres, comme le principe absolu de solidarité avec les compagnies, le fait d’ouvrir les portes aux répétitions, aux résidences, aux artistes. *numeridanse.tv

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Charlotte Audureau©

dossier spécial

Et même, point plus délicat, sur la difficile question des annulations sèches et des reports que personne ne peut escamoter. Une précision. Qu’appelle-t-on report ? annulation ? Nous la devons à Gérard Lecointe, directeur du Théâtre de La Renaissance : « Il existe un accord tacite. On appelle report quand les dates changent mais restent dans la même saison. Les artistes sont payés comme s’il ne s’était rien passé. Nous parlons d’annulation quand c’est impossible avant la saison suivante. Ils perçoivent alors des indemnités et un nouvel engagement est pris au moment où on les reprogramme. En principe, tous les lieux reprogramment systématiquement les créations et les coproductions. On peut se permettre d’annuler ceux qui tournent bien ou viennent de très loin. J’ai fait pour ma part deux entorses à cette "règle" implicite : l’accueil de l’Opéra Chinois, une occasion unique, et celle de Candide à la demande pressante du public. » Derrière cette question sémantique se cachent des conséquences dramatiques. Dans tous les cas, il y aura des victimes car les agendas sont d’ores et déjà saturés pour les années à venir. Choisir de tout reporter, c’est faire l’impasse sur de nouvelles découvertes, c’est la prime au déjà-connu. Se résigner à annuler, c’est sacrifier des mois de travail et renvoyer des compagnies à la précarité. Cette réalité est particulièrement angoissante pour les jeunes artistes qui manquent de visibilité. Estelle, en dernière année de l’École de la Comédie (Saint-Étienne), l’exprime bien : « Toute notre scolarité, nous avons attendu la 3e année comme une promesse. Mais à cause de l’absence d’auditions, on se sent en retard sur nos aînés, c’est vraiment dur. » Triste constat confirmé par Samuel Hercule et Métilde Weyergans, parrain et marraine d’une promotion de l’ENSATT. Terminons par une note d’optimisme. Certains ont su mettre à profit l’épreuve Joris du confinement. Ainsi le Théâtre de l’Élysée a-til pu améliorer la régie et l’adaptabilité de sa salle tout en accueillant en résidence ceux qui étaient programmés. Les anciens élèves de l’école du Théâtre de l’Iris ont, quant à eux, investi les lieux désertés pour mitonner deux créations… À suivre !

nÄss (maison de la danse, mars)

notre cœur de métier, c’est le travail de la scène Mathieu


Bêtes de scènes

© Simon Gosselin

La réponse des hommes

LEVER DE RIDEAU Par trina mounier

La Réponse des Hommes Tiphaine Raffier

TNP Villeurbanne 7 > 16 jan. Nommé au 1er janvier 2020, il s’était fait discret en Théâtre de Dijon-Bourgogne (21) attendant la fin de la saison préparée par Christian 6 > 9 avr. Le Jeu des Ombres Jean Bellorini

TNP Villeurbanne 14 > 29 jan. La Comédie de Clermont (63) 24 >26 fév. MC2, Grenoble (38) 18 > 20 mai Onéguine Jean Bellorini

TNP Villeurbanne 23 fév. > 3 avr.

Schiaretti et pour cause de confinement. On l’attendait en majesté au Festival d’Avignon, plus précisément dans la Cour d’honneur du Palais des Papes. Las, l’annulation de celui-ci puis le second confinement nous ont empêchés de faire connaissance avec Jean Bellorini. Certains se souviennent de spectacles marquants portant sa signature – Paroles gelées, Un instant, Tempête sous un crâne, Liliom –, mais la déception était grande. Heureusement ce début d’année 2021 nous propose une session de rattrapage. Avec deux

spectacles du directeur du TNP et la création de Tiphaine Raffier, artiste associée très proche de lui. Le Jeu des ombres, écrit à partir du mythe d’Orphée, est né à l’ombre de la langue luxuriante de Valère Novarina et de la musique puissante de l’opéra de Monteverdi. À partir de ce matériau déjà très riche, Bellorini fait jaillir une multitude d’images qui parlent des retrouvailles d’Eros et Thanatos, du devoir de désobéissance et de la nécessité de vivre. À l’instar de cette musique et de cette langue, les rendant effervescentes, l’art de Bellorini est polyphonique, polysémique, jaillissant et surtout

ArKuchi #19 JAN.2021


Jeu des ombres, jean Bellorini

© C. Raynaud de Lage

Bêtes de scènes

incroyablement beau. Deux heures d’un voyage au creux des Enfers à parler avec les morts, ressusciter les vivants, se régaler l’oreille et les yeux. Mi-février, on aura l’occasion de découvrir Onéguine, d’après Pouchkine, traversé des éclats d’un autre musicien, Tchaïkovski. Là encore, Jean Bellorini qui, toute sa jeune vie, a vécu environné de musique et dirige ses comédiens à l’oreille, souvent au piano, célèbre la rencontre des arts. Ceux qui ont eu la chance de voir cette œuvre rapportent de ce voyage hypnotique un sentiment d’enchantement né d’une mise en scène qui s’efface derrière les mots du poète (Pouchkine est ici traduit en octosyllabes par Markowicz…) pour mieux faire revivre les charmes, l’indolence, les paysages de neige à la lumière tremblante des bougies. Quant à Tiphaine Raffier, elle est pour les spectateurs lyonnais une inconnue mais, à trente-six ans, elle peut déjà s’enorgueillir d’une reconnaissance impressionnante. Autrice, metteuse en scène, réalisatrice, elle prend à bras le corps des thèmes difficiles qu’elle tord pour leur faire rendre du sens aujourd’hui. Ainsi La Réponse des Hommes soumet brillamment les quinze injonctions des œuvres de miséricorde de l’Évangile selon saint Matthieu à des situations contemporaines pour poser la question du bien et du mal aujourd’hui.

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Bêtes de scènes

Par trina mounier

TROUS NOIRS et de l’humain

DOm JUAN

Sur le plateau, il a une présence rare. Il joue avec plusieurs collectifs, endosse des rôles très différents. Pas de doute, Arthur Fourcade est un hyperactif doué. Mais quand on parvient à le saisir, il est d’une extrême gentillesse, d’une grande douceur et étonnamment disponible. Tout sauf une star.

Destin(s) Cie Les Non Alignés

11 > 15 jan. Théâtre de l’Élysée, Lyon 7 OVNI/Cie Ostinato

3 > 4 fév. Théâtre du Parc, Andrézieux-Bouthéon (42) Maja/Collectif X

5 > 7 fév. Comédie de Clermont-Ferrand 24 > 26 fév. Comédie de Saint-Étienne

Olivier Masson doit-il mourir ?/L’Harmonie Communale

23 mars Théâtre des Collines, Annecy (74) 26 mars CC de la Ricamarie (42)

À quoi tient votre talent, Arthur Fourcade ? Arthur Fourcade Mon entrée dans le métier a été fondatrice. Ce n’était pas donné (il rit), car j’étais d’une timidité maladive. Enfant, ma mère m’a véritablement traîné à des cours d’art dramatique pour m’en sortir. Nous habitions Cambrai, une petite ville du Nord, et j’ai commencé à suivre à contrecœur les cours de la compagnie THEC et à pratiquer comme amateur. Sans ce groupe, je n’aurais jamais fait de théâtre. Aujourd’hui, le collectif m’est indispensable. Je menais des études de philosophie quand j’ai entendu parler de la Comédie de Saint-Étienne. J’avais presque vingt-cinq ans, la limite d’âge pour passer le concours, et je me suis dit pourquoi pas. J’y ai rencontré Maud Lefebvre et ceux qui sont devenus le Collectif X. Ensemble, nous avons travaillé avec Gwenaël Morin, Michel Raskine. Le chœur formé avec des amateurs pour Introspection de Peter Handke, nous obligeant à nous fondre dans le jeu collectif, a été une expérience particulièrement formatrice. Ce qui me guide, c’est toujours la qualité du groupe et les valeurs qui s’en dégagent. Seul, je suis calamiteux, un homme sans qualité. Dom Juan, ça été le contre-

exemple, je vis un stress incroyable dans ma loge. Entrer sur scène sans l’appui des autres, sans avoir rencontré les spectateurs avant, c’est une épreuve. Bref, je suis un acteur fragile. Vous parlez peu de mise en scène… AF À ma sortie de l’École, je me suis tourné vers la mise en scène. J’ai notamment créé Villes#, un projet évolutif, adapté chaque fois avec les habitants et les spectateurs. Pour moi, le théâtre a une dimension citoyenne. C’est d’ailleurs sur ce projet que j’ai rencontré François Hien. Mais, au fond, mon seul métier, c’est acteur. Des projets ? Me s m a ro t t e s , c’e s t l’astrophysique et la sciencefiction. Horizon(S), co-écrit avec Jérôme Cochet, est une fiction éblouie sur les trous noirs que l’on peut jouer partout dans la nature. Destin(s) continuera la série. Je participe actuellement à l’écriture de Échos de la fabrique avec François Hien et du Royaume avec Maud et Agnès d’Halluin… Là encore, le collectif est au cœur de mon rapport à l’écriture. Mais je ne suis pas auteur, j’écris avec d’autres. Et quand j’écris seul, c’est pour nourrir l’acteur.

Je suis un acteur fragile

AF

ArKuchi #19 JAN.2021

Michel Cavalca ©

DES


Patrick Berger ©

Bêtes de scènes

Dans la danse, on construit une autre manière d’être ensemble

y’a de

la joie Par Florence Roux

Gloria du chorégraphe José Montalvo sera donnée en première mondiale à Lyon en janvier. Initialement prévue pour être créée à Chaillot en avril, la pièce s’est transformée avec la pandémie : plus jubilatoire, diverse et intimiste.

Gloria

Maison de la Danse, Lyon 8 19 > 24 Jan. maisondeladanse.com

Que ressentez-vous à la veille de cette création à Lyon ? José Montalvo De l’inquiétude liée à la pandémie et une immense joie de créer à la Maison de la Danse ! Pour moi, c’est le lieu de la diversité et de l’excellence des danses. J’ai pour ce lieu une affection particulière parce qu’avec Dominique Hervieu, nous y avions créé Paradis, en 1997, accueillis de manière exceptionnelle par Guy Darmet. Les danseurs, eux, sont partagés entre l’inquiétude et la joie de se retrouver sur scène après cette période tragique. Cette crise a-t-elle changé Gloria ? JM Elle l’a transformée. Nous avions commencé à répéter en février, pour la

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création en avril à Chaillot… Gloria, en diptyque avec le spectacle Carmen(s), devait évoquer une joyeuse émancipation féminine dans la danse. Depuis le printemps, nous avons travaillé dans la dispersion, mais en restant toujours en contact. Premier effet : nous avons accentué encore la joie pour en faire une espèce de pièce jubilatoire pour temps de crise. Une pièce optimiste ? JM Pas que. Elle est aussi devenue plus intime. Avec le confinement, nous nous sommes beaucoup parlé. Et nous avons décidé de rendre un hommage de gratitude à nos Gloria, chacun évoquant une personne – chorégraphe, mère ou prof –,

un modèle qu’il admire et qui a donné du sens à sa vie et à sa danse. Qui l’a aidé à se hausser d’un ton… Aujourd’hui, nous devrions mettre un S à Gloria. Et Vivaldi est-il resté ? JM En partie. Le spectacle devait se faire autour de lui. J’aime sa musique solaire et rythmée, directe. Avec nos diverses Gloria, il sera accompagné par des musiques savantes et populaires, par des comédies musicales, avec toutes les danses que maîtrisent nos danseurs, classique, flamenco ou hip hop. Dans la danse, on construit une autre manière d’être ensemble.


Bêtes de scènes

Faux départ pour la Comédie de Valence qui a dû, à peine le coup d’envoi donné, annuler plusieurs spectacles, et non des moindres, puisque créés par des artistes réunis dans l’Ensemble artistique autour du nouveau directeur : Sylvia Costa, Penda Diouf, et Marc Lainé lui-même. Tous des artistes singuliers donnant la tonalité de cette première saison. Heureusement, la saison de rattrapage annoncée promet quelques belles surprises : d’abord des classiques qui n’en ont que le nom, tant les metteurs en scène en ont extrait la contemporaine moëlle. Ainsi Mithridate Orphelins de Racine, dans lequel Éric Vigner a réuni une 5 > 7 jan. distribution éclatante : Stanislas Nordey, Thomas Jolly, Omma 20 > 22 jan. Philippe Morier-Genoud… Dans Antoine et Cléopâtre, Shakespeare donne à Célie Pauthe l’occasion de réfléchir D’un lit l’autre 27 > 30 jan. aux enjeux géopolitiques de la rencontre entre Orient et comediedevalence.com Occident. Du théâtre festif, grave, musical et poétique. Par trina mounier

Arnaud Bertereau©

d’un lit l’autre

retour vers le futur Les arts du corps et du mouvement seront aussi de la fête avec Omma, une chorégraphie de Josef Nadj pour huit danseurs africains sur le thème de la formation du monde. Tünde Deak, autre membre de l’Ensemble artistique, se peint en Frida Kahlo, sur une scène où renversements, dédoublements et suspensions se croisent D’un lit l’autre. Citons encore Orphelins de Dennis Kelly mis en scène par Chloé Dabert (Prix du Jury du Festival Impatience 2014) et un road movie signé Lola Molina et Lélio Plotton, Seasonal Affective Disorder, tout un programme ! Cerise sur le gâteau, un solo de Philippe Quesne en forme de fable écologique et contemporaine dans un monde envahi de plastique et de latex, Farm fatale. Au total, une programmation originale, résolument ancrée dans le XXIe siècle, forte en émotions et qui donne envie de suivre la Comédie de Valence.

> 14 jan. Théâtre du Vellein Villefontaine (38) 27 > 30 avr. Ramdam Ste-Foy-lès-Lyon

Le chant des sirènes

Pierre Pontvianne revient avec une nouvelle création, PERCUT. Ce titre coup de poing porte une violence sous-jacente (on pense à uppercut) et donne une impression de rebond. L’époque perturbée que l’on vit y est sans doute pour beaucoup. On n’en sait guère plus. Le chorégraphe stéphanois, toujours discret voire secret, avoue « s’inspirer de l’actualité et creuser encore et toujours l’écriture des corps au plateau… ». Il évoque une pièce « de rupture », à l’instar de ses précédentes. Autre piste lâchée : « PERCUT doit déstabiliser le spectateur ». De la danse, des cris, des performances ? « La performance vocale s’impose presque totalement », lâche-t-il. En décembre, l’équipe s’est remise au travail et peaufine sa première pour janvier. Ils seront six sur le plateau, peut-on lire, à crier à perdre haleine, en chœur. On se doute qu’il sera beaucoup question de corps, de mouvement, de rythme, d’énergie et de sens aussi. Création le 5 janvier à Paris. a.h.

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Bêtes de scènes

un grand vent

de liberté

L’Homme qui tua Don Quichotte Le Chaperon louche

F. Dumas©

Par Trina Mounier

En tournée dès janvier Lyon & Rhône-Alpes premieracte.net

Le Chaperon louche

Ses spectacles sont indémodables. Ils puisent en effet dans le répertoire des contes et légendes comme des grandes œuvres classiques, mais Sarkis Tcheumlekdjian y met sa patte inimitable. On le reconnaît dès les premières notes (la dimension musicale est essentielle, la présence d’un musicien sur le plateau quasi systématique), les premières ambiances teintées de mystère, d’aventure et de poésie, les premiers tableaux (la beauté des costumes, masques et maquillages, toujours très colorés). Tout cela fait merveille au sens premier du terme : Sarkis nous entraîne en plein merveilleux tout en rendant un hommage fidèle aux textes dont il s’inspire et qu’il adapte. Ainsi Le Chaperon louche reprend avec malice la fable célèbre. Mais celui de Sarkis est plus curieux, plus aventurier. Quant à son loup, il prend les traits d’un vagabond qui fait peur mais ne demande qu’à être apprivoisé. Hymne à la différence, ce Chaperon n’est pas si louche que cela ! L’Homme qui tua Don Quichotte est plus littéraire, tout en gardant la verve et la magie propres au metteur en scène. La pièce est portée par le souffle d’une grande comédienne, Déborah Lamy, seule en scène avec Gilbert Gandil à la guitare. La conteuse, qui garde pressé contre elle le livre, donne de la puissance à la folie – et aux malheurs – de Don Quichotte, à l’affection qui unit les deux hommes : elle est époustouflante.

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fokus

Capter la chaleur de la rue

NIcolas Marchi Lyon

P h o t o g r a ph e

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qu ot i d i e n

adrien blanc

Morning View nouvelle zĂŠlande

benjamin Garcia Wallie Lyon

autoportrait serrières-sur-Ain

Shooter des ambiances de vie


fokus

Thomas Chassagne Victor Loron Tignes

fourvière lyon

road trip line arizona

adrienblanc

Surfeur hossegor

Sergio Cadaré Ollie Nice

> 5 jan.I Pome Turbil Thonon (74)

J’aime photographier la sensibilité de ce qui m’entoure

Work routine essaouira

Adeline Perriat Lyon

doggy style Lyon


carte blanche

Noir

(Rêvant à La Lecture d’Édouard Manet)*

Guillaume Poix est dramaturge, metteur en scène et romancier. Aux éditions Théâtrales, il a notamment publié Straight (2014), Tout entière (2017, adapté à l’opéra en 2020 par Benjamin Dupé), Et le ciel est par terre (2017), et Soudain Romy Schneider (2020). Son premier roman Les fils conducteurs (2017) a reçu le Prix Wepler-Fondation La Poste. Tout juste sorti, Là d’où je viens a disparu explore les rêves d’exil de différentes familles en quête d’un meilleur avenir.

Par guillaume poix

C’est une robe de mariée. Je suis certain que c’est une robe de mariée. Elle remonte une allée, c’est la fin du printemps, on est aux Pays-Bas, près de Delft, des gens bien mis la contemplent s’avançant, seule, jusqu’au peintre, jusqu’au corps du promis. Elle tient un bouquet de tulipes fraîchement cueillies. Il n’y a pas d’homme plus âgé agrippant son bras, son père est mort, elle a déjà plus de trente ans, ce serait ridicule de prétendre n’être que ça : un trophée qu’on s’échange d’homme à homme. Elle y va libre.

Straight

NTH8, Lyon 8 14 jan > 2 fév. nth8.com

Éditions Théâtrales Straight

(2015)

Soudain Romy Schneider

(2020) Verticales

Les fils conducteurs

(2017)

Quelques notes d’orgue, un courant d’air, elle frémit dans le taffetas, la soie, le tulle, peu importe le nom des tissus qui la nimbent. C’est comme ça que le peintre, l’époux, la veut. Comme ça qu’il la voit. C’est la seule chose qui l’intéresse. Elle, en blanc. Deux ans plus tard, en 1865, il lui demande de se revêtir de la robe, maintenant qu’ils sont à Paris, chez eux. Elle ne pose pas de questions. Seulement pose – et c’est toujours intransitif. Elle ouvre une armoire normande, elle ne se demande jamais d’où vient ce meuble massif. À droite, les draps, les couvertures, les nappes. À gauche, la penderie.

Dans une housse de daim, la robe somnole depuis de longs mois. Il y a une tâche de vin rouge sur la poitrine, auréole bavant sur le col, à gauche, on n’a pas réussi à la faire partir, elle s’en moque, c’est un souvenir. De toute façon, il ne la représentera pas. Il l’effacera. Il triche toujours, fait croire qu’il reproduit quand elle sait bien qu’il ne fait qu’inventer. Elle, légèrement engoncée dans sa robe de mariée maculée de grenat comme si une balle avait traversé son sein, comme si son cœur saignait, comme si le sang la quittait, se propageant sur la robe de la même manière que sur un buvard, ressemblera à une honnête et désirable épouse, chair pimpante, enveloppée d’une toilette d’allure presque campagnarde. S’il laissait crier son ventre. S’il lui prenait soudain une détermination d’aliéné. S’il hurlait sur la toile, se débarrassait des sourdines et des demi-teintes. Elle réapparaît dans le salon, il a installé son matériel, la regarde à peine tandis qu’elle replace en chignon lâche sa chevelure vénitienne devant un miroir au mercure qu’il faudrait épousseter. Il ne remarque pas la ceinture de cuir vernis qu’elle a sanglée sous les seins. Elle a longtemps cherché le ruban de dentelle qui étreignait sa taille, à Delft. Pas retrouvé.

Là d’où je viens a disparu

(2020)

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Francesca Mantovani © pour les Éditions Gallimard

carte blanche

Elle est pieds nus, elle se tient devant lui, attend qu’il donne son accord. Un signal. Il se tourne vers elle, l’examine. C’est rapide. Elle regarde alors le blanc de zinc envahir la palette qu’il souille aussi d’outremer, de vert pin, de brun, de violet, d’ocre et de noir d’ivoire. Il s’essuie les mains avec un chiffon rêche et bariolé. Il s’approche et sans préavis, plaque ses lèvres boursouflées sur les siennes, les écarte pour y loger sa langue vermillon qu’il badigeonne sur l’intérieur de sa bouche à elle – palais, dents, gencives – il braconne et ça les excite tous les deux, surtout quand elle sent les poils de sa barbe hirsute et musquée. Où est ton voile ? Elle penche la tête, tâte le quatrième bouton de son gilet semblant dire tu le fais exprès. Puis elle renverse délicatement son crâne, donne une pichenette du menton en direction du divan anglais qu’ils ont disposé à l’aplomb de la porte-fenêtre et qui se tient derrière eux. Il n’a pas l’air de comprendre. Elle se retourne alors et désigne les rideaux. *La Lecture d’Édouard Manet (vraisemblablement réalisé vers 1865) est visible au Musée d’Orsay (Paris).

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FORME & FONCTION

Cheval

Palais idéal Du Facteur Cheval

Hauterives (26)

facteurcheval.com @facteur.cheval

Bâtisseurs chimériques Doisneau/Fatal

> marsi

Idéal Par Blandine Dauvilaire & émiland griès

L’évasion est possible pour l’esprit. Le voyage intérieur affranchit le rêveur des frontières du quotidien, avec autant d’assurance et de réussite qu’un séjour en terre inconnue. En ces temps de disette culturelle et de déplacements sous contrôle, l’involontaire leçon de vie d’un facteur de campagne résonne avec une intacte force.

G

igantesque château de sable, tentative de temple hindou délocalisé, grotte reconstituée ? Le Palais idéal du facteur Cheval à Hauterives, dans les collines drômoises, résiste à toutes les comparaisons, toutes les références, tout tracé régulateur, quasiment à toute description ! Cet édifice plissé, bosselé, tavelé, constitué de myriades de nervures enchevêtrées et de moulures concentriques, de colonnettes boursouflées, de basreliefs au bestiaire et à la flore naïfs, d’atlantes géants

et d’un amoncellement de tempietti miniatures, est le résultat de plus de trente années de créativité sans faille, de labeur quotidien sans relâche : toute la vie d’un seul homme et, à cette échelle, le temps d’une cathédrale. L’exubérant Palais idéal renvoie irrémédiablement aux contrastes les plus extrêmes. La figure de Ferdinand Cheval, thaumaturge métaphysique, tout à la fois humble prolétaire et constructeur transcendental, recèle un mystère irrésolu : celui d’un artiste total, émergeant inopinément à la fin du XIXe siècle d’un monde rural, et abordant l’architecture sans science

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Après plusieurs collaborations avec la Monnaie de Paris et la Villa Médicis à Rome, vous voici directeur du Palais idéal, pourquoi ce choix ? Frédéric Legros J’ai découvert le Palais enfant grâce à ma tante qui travaillait à La Poste. Ce lieu me fascine depuis toujours, il a attiré les plus grands artistes et intellectuels. Simone de Beauvoir envoyait des cartes postales depuis le Palais idéal mentionnant que c’était « un truc extraordinaire » ; Anaïs Nin, Marguerite Duras et André Breton ont été marqués par sa visite, Picasso a commencé à dessiner sur des pierres après être venu ici, même Dali, qui n’est jamais venu, a écrit un texte sur le rapport du facteur Cheval à sa brouette et s’en est inspiré par la suite.

Cheval de bataille Frederic Jouhanin - Le Labo©

l

FORME & FONCTION

ni érudition, sans méthode ni savoir savant, bref sans aucun des outils intellectuels et culturels dont s’entourent les Hommes de l’Art. Avec lui, se pose une question quasiment sans réponse : Ferdinand Cheval, bien que facteur de son état, était-il un architecte ? Etait-il comme Monsieur Jourdain, le Bourgeois gentilhomme de Molière, qui faisait de la prose sans le savoir ? Il révait d’appeler son édifice Seul au monde. Tout un programme, et en somme, un manifeste. Monument à la fois universel et unique, bien commun de l’humanité, le palais inspire et fait vibrer depuis près de cent ans chaque visiteur, le touriste lambda comme Picasso, qui reconnut dans Cheval son frère en création. Il cueille à froid au détour des ruelles du village qui enserre son jardin, réveille l’âme d’enfant, quelque chose d’indicible renvoyant à l’origine des temps. Depuis des décennies, il féconde en permanence d’autres artistes, et pourquoi pas les architectes. La rêverie en action. E.G.

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Depuis dix-huit mois, contre covid et marées, Frédéric Legros nourrit d’ambitieux projets pour le Palais idéal du facteur Cheval, qu’il dirige au galop.

C’est le deuxième monument préféré des Français, comment l’expliquez-vous ? FL Avec le temps, ce qui était une curiosité touristique est devenu une œuvre à part entière qui parle à tous. Ce lieu est la preuve que l’on peut réaliser ses rêves et c’est extraordinaire. Quels sont vos projets pour le Palais ? FL Je souhaite offrir un éclairage différent sur le bâtiment et montrer l’importance qu’il a eu dans l’histoire de l’art, en programmant des expositions en duo. L’idée est de faire dialoguer les figures importantes qui ont rendu hommage à Ferdinand Cheval, avec des artistes contemporains. Actuellement, les photos du Palais idéal prises par Robert Doisneau sont présentées avec les sculptures de Simone Fattal, artiste née en 1942 à Damas. L’idée de cette exposition est-elle née durant le confinement ? FL Oui, nous avons profité de cette période pour nous plonger dans les archives et avons découvert des clichés de Robert Doisneau. De leur côté, les filles de l’artiste ont aussi trouvé des photos inédites réalisées au Palais idéal. Vous supervisez également la programmation estivale du château de Hauterives ? FL Oui, l’été prochain Claude Lévêque proposera une production pour toutes les pièces de ce château qui a un côté presque punk, comme lui. Le Palais des fées parlera des nuits hantées du facteur Cheval. Puis en septembre on retrouvera Agnès Varda, pour le deuxième volet de la trilogie d’expositions que nous lui consacrons. À sa mort, elle travaillait sur un hommage au facteur Cheval. La visite du Palais s’impose plus que jamais, non ? FL Oh oui, les messages inscrits sur le bâtiment par le facteur sont d’une actualité sidérante ! J’aime particulièrement cette phrase : « Pour les hommes de bien tous les peuples sont frères, notre devise à nous est de les aimer tous ». B.D.


ADN

Cette absolue

rencontre Les parfums sont un luxe. Mais pour Monireh Mir Khosh, qui tient une parfumerie de niche à Lyon, ils éveillent aussi ses souvenirs d’Iran, engagent parfois dans une quête de soi et provoquent, toujours, la rencontre. Parole de psychologue.

L’atelier parfumé

27 rue Tupin, Lyon 2 atelierparfume.com Par florence roux photo enna pator

« C’est mon coffre-fort. » Monireh Mir Khosh se souvient de ses premières odeurs comme des paysages à hauteur d’enfant. « À Téhéran, où je suis née, j’aimais les géraniums et les roses d’Ispahan. J’aimais aussi l’odeur de la flanelle et les parfums de mon père, toujours élégant. » Au nord, près de la mer Caspienne où son grand-père avait des plantations de thé, Monireh se remémore encore « les parfums du riz fumé, des mandarines et des grenades, l’odeur du cocon qui cuit pour fabriquer la soie et celle du thé qui sèche dans de grandes boîtes en fer ». Après la révolution de 1979, la jeune femme alterne résistance lycéenne, périodes cachées et tentatives d’entrer à l’université. Puis, « le 17 février 1987 », elle débarque seule à Orly : il neige et sa copine n’est pas venue la chercher. Mais de déceptions en jolies surprises, la nouvelle exilée construit sa vie à Lyon. Elle se marie et met au monde un fils. Elle étudie, devient psychologue et éducatrice auprès de jeunes en difficulté.

Dans cette période, un troublant épisode semble annoncer sa future conversion. Un jour, dans les années 1990, alors qu’elle porte son tout premier parfum, un classique au muguet, elle perd l’odorat. Elle le retrouve peu à peu, comprend « la nocivité des nouvelles formulations chimiques des parfums », dans un secteur en pleine industrialisation. Elle découvre aussi la parfumerie artisanale à laquelle elle reviendra plus tard, fin 2005, lorsqu’elle quittera son premier métier. Elle ne connaît alors personne, mais contacte des parfumeurs, trouve une boutique dans le 2e arrondissement de Lyon qu’elle transforme en salon, avec tapis persan et sièges douillets. «  Petit à petit, poursuit-elle, j’apprends le commerce et j’étudie les matières premières »… Au fil du temps, elle affine son concept d’un lieu de rencontre autour du parfum. Elle organise des conférences où les nez – Marc-Antoine Corticchiato, Gian Luca Perris, ou encore Lorenzo Villoresi – racontent leurs créations. Elle élabore des séances de recherche individuelle de deux heures pendant lesquelles les clients, pour trouver leur fragrance, « prennent le temps de parler de leur vie  », glisse la psychologue. Parfois, la rencontre, c’est le parfum lui-même. « Quand j’ai senti Iskander de Marc-Antoine Corticchiato, il m’a rappelé des jours de mai au bord de la mer Caspienne, quand l’odeur des fleurs d’oranger se mélange à celle du sel. J’en pleurais. »

Parfois, la rencontre, c’est le parfum lui-même

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c’était mieux avant

Chet Baker & Strings Columbia (1954) Chet Baker Quartet Barclay (1955) Chet Baker Diane Steeplechase (1985)

Franck Bergerot ©

LET’S GET LOST Bruce Weber Documentaire (1988)

Comme si j’avais des ailes chet baker 10/18 (2001)

CHET BAKER

PRINCE FÊLURE DE LA

pochette de l’album chet baker sings and plays from the film Let’s Get Lost

Par Nikki Renard

Chet Baker (1929-1988), trompettiste et chanteur, est l’une des légendes du jazz. Icône des fifties, cette gueule d’ange mène une vie tumultueuse consacrée à la musique, aux femmes et à son autodestruction.

A

Little bear films inc. ©

msterdam, vendredi 13 mai 1988. Chet s’envole dans la nuit hollandaise, par la fenêtre de sa chambre au deuxième étage de l’hôtel Prins Hendrik. En 1954, en compagnie de son quartet fondé avec Gerry Mulligan, il est élu meilleur trompettiste de l’année par la presse musicale. Ce sont les années fastes où tout le gotha d’Hollywood se presse pour le voir. Avec ce demisourire énigmatique, Chet incarne l’un des plus beaux cris du XXe siècle, tel un fantôme capable de jouer des solos qui ne sont que purs moments de poésie et touchent l’âme. Si sa rencontre, à vingt ans, avec Charlie Parker est déterminante musicalement, elle est également liée à l’addiction à l’héroïne dont souffrent les deux musiciens. Le style de Baker, teinté de délicatesse et de fragilité, évolue au fil de sa carrière : son jeu, souvent à la limite de la rupture, résonne de longues phrases sinueuses et sensuelles. Il maîtrise à merveille l’art de la ballade. Son chant présente les mêmes caractéristiques par sa voix douce aux accents androgynes. Le bassiste Riccardo Del Fra, qui a longtemps joué avec Chet, témoigne : « Je sentais chez lui une profondeur qui me bouleversait. La perfection, on le sait, n’existe pas. Mais lui, quand il joue, il en est très proche. Et quand on joue avec lui, il faut vraiment servir la musique et se libérer de son ego. Disons que sa virtuosité est plus magique que technique. » Son œuvre exprime un lyrisme délicat et pudique. S’il a très peu composé, il a réussi à marquer d’une empreinte indélébile des standards comme My Funny Valentine et se les approprier. You don’t know what love is est un sommet de mélancolie où dévalent des larmes de sang. Chet reste un formidable interprète, toujours sur la ligne blanche, marchant au bord du gouffre, révélant ses fêlures comme les nôtres, nous laissant exsangues.

ArKuchi #19 JAN.2021


Lautréamont Les Chants de Maldoror

« Heureux qui comme Ulysse / A fait un beau voyage / Heureux qui comme Ulysse / A vu cent paysages ». Parce que la bourlingue, la route, l’odyssée… momentanément, c’est râpé. Dans un monde uniformisé par la globalisation et tétanisé par la crise sanitaire, les horizons sont restreints. La planète n’a plus qu’à aller se faire voir sur Google Earth® et les autoroutes de l’information. À moins qu’il ne reste, à deux pas de chez soi, des mondes à découvrir…

Par marco jéru

« Le monde est un livre, et ceux qui ne voyagent pas n’en lisent qu’une page » : à en croire Saint Augustin, le voyage est un catalyseur pour vivre et pour écrire. D’Arthur Rimbaud à Ella Maillart, en passant par Blaise Cendrars, Jack Kerouac ou Nicolas Bouvier, la confrontation à l’autre – donc à soi-même –, dans la solitude de l’itinérance, a produit de nombreux chefs-d’œuvre. Répondant à la nostalgie de l’ailleurs et du merveilleux, la "littérature d’évasion" se situe d’abord dans l’espace : aux récits de voyages liés aux découvertes géographiques (l’invention de l’imprimerie est contemporaine de la naissance du Nouveau Monde) succèdent la mode des voyages et des lieux imaginaires (les utopies et robinsonnades chères à Swift, Defoe, Voltaire, Diderot), puis de l’exotisme (Nerval, Chateaubriand, Roussel), du roman d’aventure (Verne, London, Monfreid, Conrad…), jusqu’au roman de science-fiction (Asimov, Tolkien, K. Dick…). Qu’on fuie une réalité pesante – tels Kafka ou les "fixeurs de vertiges" (Baudelaire,

ArKuchi #19 JAN.2021

Artaud, Lowry) – ou un régime autoritaire – tels Kertész sous les nazis ou Boulgakov sous Staline –, l’insolite et le merveilleux restent les valeurs refuges pour tous les "damnés-de-leur-temps-et-de-leurespace". Ainsi sont nés en prison le roman (Cervantès), la philosophie matérialiste (Sade), la psychologie et l’existentialisme (Dostoïevski), le communisme (Louise Michel, Lénine), le droit à disposer de son corps (Villon, Wilde, Genet)... à savoir le corpus princeps des grandes questions qui nous travaillent. C’est également reclus que Xavier de Maistre a fait son Voyage autour de ma chambre, que les grands mystiques ont délivré leurs visions et que des corps contraints ont appris à leur esprit à s’envoler. L’écriture est un voyage dont le chemin n’est pas tracé et dont la vitesse, au fil des mots, dépend des moyens de locomotion disponibles : des paysages arpentés pedibus par Rousseau à l’espace-temps des futuristes parcouru à toute berzingue, de la sente de montagne à l’autoroute, les impressions sont modulables à l’envi.

Prendre le temps, c’est inventer de nouveaux espaces En dépassant le réel, la littérature crée des mondes virtuels : elle permet de parcourir l’univers sans le connaître, de s’évader de sa propre langue et de se mettre à la place de n’importe qui et de n’importe quoi. Animal, végétal, corps inconnu, nouveau sexe. L’écriture lance ses lignes de fuite comme autant de devenirs possibles. Bien loin d’être une désertion ou une vie par procuration, la littérature est recherche, connaissance et recréation infinie du monde. Tolkien le dit fort bien : « la littérature d’évasion ne sert pas à fuir le réel, mais à le recouvrer avec un esprit régénéré ». Et Danièle Sallenave de conclure : « ceux qui n’ont jamais eu de livres, ce sont ceux qui n’ont pas de monde. » Heureux donc qui comme lecteur (et Hannibal à dos d’éléphants) a fait un long voyage…

lettres & ratures

Je te donnerai une bague enchantée ; quand tu en retourneras le rubis tu seras invisible, comme les princes dans les contes de fées


Par Ponia DuMont

VERTICALEMENT

A. Ébahis. B. Coin de verdure torride. Épuisé. C. Joints ignifuges. Traiter l’escalope. D. Intestinales. Abrège le temps de travail. E. Harceler. Fait de jolis parquets. F. Village d’un saint curé. Souvent "chassé" en vain ! G. Pas bien futées. Clôt un caprice enfantin. H. Appendices à ne pas chatouiller ! I. "Ferrailleurs" des temps modernes. J. Placée chez le notaire. Passés au bleu.

ArKuchi #19

JAN.2021

MA E C C H HA A L I A E N ND T E R

50 g de sucre 10 CL de lait 2 poires 2 g d’agar-agar ½ gousse de vanille Quelques noisettes

(ou crème de sésame)

500 g de crème fleurette 500 g de fromage blanc 45 g de tahini

20 minutes

4 personnes

Par claudia cardoso

jugeote

HORIZONTALEMENT

1. Précieux ornements, rarement objets de collection ! 2. Sous la coupe du maton. Chiffre et lettre. 3. Indispensables en cuisine. 4. Penche-t-il plus qu’un autre ? Organe de respiration. 5. Demeures. Des bords de la Baltique. 6. Porteuse de lait connue. 7. Tas informe. Intente en justice. 8. Fils de Créuse et Apollon. Est anglais. Point du jour. 9. Mouillons. 10. Marquera de rainures. Ne vous en cassez pas un en tombant dessus !

solutions

C H I AV E L HA R P E R A S AMO I S E C R P I E S ME L E S I MAN O E L E A T E A G I T E T I MO R E S T AN I S E R A E I N E T T E S

arkuchi 18

*Spécialité fromagère originaire de la ville de Fontainebleau à base de crème fouettée et de fromage blanc. On l’apprécie sucrée, en accompagnement d’un fondant au chocolat ou d’une tarte tatin. Mais, on peut aussi bien y tremper des légumes crus, ça change de la mayo !

Je m’appelle Léon, j’ai 6 ans et demi. J’aime la Pat’Patrouille, dessiner des bonshommes, parler aux oiseaux et jouer à chat avec Idris et Félix, mes copains. J’ai deux papas, Clément et David, qui m’aiment très beaucoup et une sœur de 3 ans, Marie, qui m’embête mais des fois elle est gentille. J’ai pas toujours été sage. J’ai fait des bêtises, un peu. Du coup, bah même que mes parents ils me grondent... Avec papa, on t’a préparé une surprise. Elle est dans le frigo. Tu peux la manger après avoir déposé les cadeaux, si tu veux. En fait, avec papa, on a battu la crème avec la vanille au robot mélangeur pour en faire un nuage. On a ajouté 300 g de fromage blanc égoutté, et on a continué à mélanger doucement, sinon le nuage il se casse. Dans un bol, on a battu le reste du fromage blanc avec le tahini. Puis, papa a porté à ébullition le lait avec l’agar-agar et le sucre, tout en fouettant sans cesse pendant une à deux minutes. Il a ensuite retiré la casserole du feu, il a renversé ça sur le mélange de fromage blanc et tahini. Papa m’a dit de bien remuer. C’était fatiguant. On a mis le fontainebleau* et la mousse tahini dans des verres, puis papa a découpé des poires en fines lamelles et il a râpé quelques noisettes par-dessus, c’est rigolo on dirait de la neige. Papa dit que c’est mauvais pour ses hanches. Qu’il va devenir gros comme une patate. Du coup, je lui dis que même s’il se transforme en patate, c’est pas grave je l’aimerai pareil. Je t’embrasse très très fort. Cordialement, Léon, 6 ans et demi

Cher petit Papa Noël,

façon Noël

Le fontainebleau*

popote(s)


agrume

By Dav’

street art

El Raffu

By Dav’

Zacharie Bodson

Par graphull

Cap Phi

Parce que les crises sont aussi des moments de créativité, voici quelques œuvres qui ont fait écho à la pandémie. Une rétrospective votive pour ce dernier numéro de 2020 : que l’épidémie ne franchisse pas l’année 2021 !

Myet



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