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La grammaire d’Hawaii aux Gambier

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Hokusai Manga

Hokusai Manga

Détail de la dédicace de Latour de Clammouze à Lesson sur Notes grammaticales sur la langue sandwichoise, Paris, Decourchant, 1834, Inv. n° 18053.

©Médiathèque de Rochefort

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Le 12 avril 1840, Pierre-Adolphe Lesson débarque à Mangareva (archipel des Gambier). Le Pylade y fait escale pour apporter son soutien aux missionnaires catholiques commandés par le père Laval, qui évangélise la population locale depuis son arrivée en 1834. Lesson, très méfiant vis-àvis des missionnaires, qu’il soupçonne de corruption et d’abus de pouvoir, rencontre non seulement le père Laval, mais aussi d’autres compatriotes présents lors de cette période d’acculturation intense des insulaires des Gambier. L’un de ces missionnaires est Alphonse de la Tour, plus connu sous le nom de frère Urbain. Voici le portrait qu’en dresse Pierre-Adolphe Lesson dans son livre Voyage à Mangareva, publié en 1844 à Rochefort, par les bons soins de son frère, sur les presses de l’imprimerie Mercier et Devois :

« M. de Latour mérite aussi sa biographie. Dans notre première entrevue, il me paraît mieux élevé que M. Laval, plus discret surtout, et bien qu’il soit plutôt simple catéchisant et chargé de propager par l’imprimerie les nouveaux dogmes, il a rendu à la mission des services hors ligne. C’est un petit homme d’un âge assez avancé, à large cerveau par le haut, mais à côté de la tête très bombé. Il a les bras longs et maigres, et tout son corps grêle semble avoir été macéré. Il n’a pas l’estomac meilleur que M. Laval, si j’en juge par certaines senteurs qui frappent l’odorat, sorte d’exhalaison que je crois due à une alimentation végétale continue et surtout à la consommation habituelle de fruit à pain converti en bouillie. M. Latour me dit être friand de ce mets, que

je trouve pour ma part fastidieux. Avant d’arriver aux îles Gambier, M. Latour m’avoua avoir essayé de plusieurs métiers. C’est ainsi qu’il passa quelques temps chez le lithographe parisien Langlumé pour apprendre à imprimer. Il a le goût des sciences, et sans être très versé dans leur culture il a appris de tout un peu ; et cependant, par son nom, M. Latour semble tenir à une vieille aristocratie. Il se nomme Alonzo [sic] Vicomte de Florit de la Tour de Clamouze. Les manières de ce petit homme sont simples mais distinguées. Son ton, son parler de bonne compagnie préviennent en sa faveur, et pour arriver à Mangareva de graves vicissitudes de fortune ont dû réagir sur cette chétive organisation. Pour ma part, j’ai éprouvé pour M. de Latour les plus vives sympathies ». Les récits de son bref séjour à Mangareva laissés par P.-A. Lesson montrent tous qu’il éprouva la plus vive aversion pour le père Laval, accusé de brutaliser les autochtones et de ne pas s’appliquer à lui-même les principes recommandés aux autres. Le contact avec Latour se passa mieux et c’est par lui que Lesson parvint à obtenir de nombreux renseignements sur Mangareva. Les manuscrits de Lesson font également apparaître clairement le rôle joué par Latour dans l’introduction de l’imprimerie aux Gambier. Le Rochefortais mentionne ainsi les efforts du missionnaire picpusien pour faire imprimer des abécédaires et une première grammaire mangarévienne, après avoir laissé à Dumont d’Urville, lors de l’escale de l’Astrolabe quelques mois auparavant, des notes manuscrites répertoriant environ 1200 mots de la langue mangarévienne. Plus largement, Latour semble avoir été le principal artisan de la diffusion de la culture écrite dans les premières années d’évangélisation des Gambier :

« Ma principale fonction me dit M. Latour, est de catéchiser les insulaires, mais je joins encore à ces devoirs qui me laissent peu de repos la direction de la fabrication des étoffes de coton. Je suis contraint de me rendre dans chaque île donner des leçons aux femmes depuis les plus jeunes jusqu’à l’âge de 60 ans. Quelles leçons, M. de Latour fut discret à ce sujet, mais le pilote me dit que c’était des leçons de lecture et surtout d’écriture, car les Mangaréviens ont montré le même empressement que les habitans des îles de la Société ou des Sandwich pour apprendre à écrire. Ils ont un goût excessif pour la calligraphie. Aussi quelques jeunes gens possèdentils au moment présent une fort belle écriture, bien que la masse ne soit encore qu’au début. Le roi sera bientôt en mesure de se passer de son premier ministre pour transcrire les affaires importantes qu’il n’est pas encore en état de traiter seul. M. de Latour me dit qu’il était aussi occupé à faire imprimer les premières feuilles d’une grammaire mangarevienne, et celles d’un petit vocabulaire de mots français travestis pour le génie de la langue de ce peuple qui s’assimile avec une prodigieuse facilité les mots des idiomes étrangers ».

Au moment de faire ses adieux à Lesson, « frère Urbain » lui fait don d’un nombre assez important d’insectes et d’une « grammaire sandwichoise ». Ce document se trouve dans la bibliothèque léguée en 1888. Il s’agit d’un

petit volume imprimé à Paris en 1834 chez Decourchant. Son auteur, Alexis Bachelot, est arrivé à Hawaii en 1827 pour diriger, en tant que préfet apostolique, la première mission catholique implantée à Hawaii. L’ouvrage, dont le titre exact est « Notes grammaticales sur la langue sandwichoise », porte de nombreuses mentions manuscrites de Lesson dans les marges et la dédicace suivante sur la page de garde :

“A Mr le doc[teu]r Lesson, Vte de Florit, Archipel de Mangareva, le 20 avril 1840”

Ce document prouve que les imprimés, comme les objets du quotidien ou les armes, circulaient largement dans l’espace océanien, d’une île à l’autre. Si P.-A. Lesson est bien allé à Hawaii en 1840, la grammaire sandwichoise figurant dans sa bibliothèque n’a pas été « collectée » à Hawaii, mais aux Gambier.

La bibliothèque des frères Lesson recèle aussi quelques curiosités sans rapport avec les voyages des deux frères dans le Pacifique. Voici deux exemples de documents qui méritent une attention particulière.

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