Philosophie magazine #109 mai 2017

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MENSUEL N° 109 Mai 2017

Nouveulllee form CAHIER JEAN-JACQUES ROUSSEAU CENTRAL BERTRAND COMMENT NE PAS ÊTRE RUSSELL « Éloge de l’oisiveté » COMPLICE DU MAL

BERTRAND RUSSELL

Éloge de l’oisiveté

SUPPLÉMENT OFFERT

Ne peut être vendu séparément. © photo Granger/Bridgeman Images ; retouche : StudioPhilo.

ENQUÊTE EN ISLANDE L’ÎLE QUI RÉINVENTE L’UTOPIE

TRAVAIL, JE T’AIME MOI NON PLUS

DIDIER ERIBON

Mensuel / France : 5,90 € Bel./Lux./Port. cont. : 6,50 € Suisse : 11 CHF Andorre : 6,20 € Allemagne : 6,90 € Canada : 11,50 $CA DOM : 8 € COM :1 000 XPF Maroc : 60 DH

« La honte du milieu d’où l’on vient ne nous quitte jamais »

Travail , je t ’ aime ) s u l p i non (mo

M 09521 - 109 - F: 5,90 E - RD

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ÉDITO

L’œil de

Berberian Par Alexandre Lacroix Directeur de la rédaction

Du bâclé, du bon et du beau eau travail : depuis quelques jours, je réfléchis au sens de cette expression. Elle recèle un mystère. Je ne connais rien à l’art du luthier ni au métier de maçon, et pourtant, que je regarde un mur fraîchement crépi ou un violon restauré, je crois être à peu près capable de deviner si j’ai affaire, ou non, à du beau travail. Nul besoin, semble-t-il, d’être expert d’un domaine pour sentir que des règles d’excellence esthétique ont été satisfaites. L’expression est d’autant plus étonnante qu’elle pourra être employée dans tous les secteurs, quels que soient les produits de l’activité désignés : un algorithme, un poème, un business plan, un film, une présentation PowerPoint, une réparation de cordonnier ou de carrossier se verront tous qualifiés de « beau travail ». Mais alors, quels critères ? En y songeant, je me dis qu’il est nécessaire que trois conditions soient réunies pour qu’un travail nous donne l’impression d’atteindre ainsi à la beauté. En premier lieu, il est indispensable que l’on ressente une certaine disproportion entre les moyens engagés et la finalité de la tâche. Autrement dit, il n’y a pas de beau travail sans gâchis – gâchis de matières premières trop nobles, de forces créatrices trop amples ou plus simplement de temps. Pour le temps, c’est évident : c’est lorsqu’on passe plus d’heures que le quota indispensable que l’on commence à peaufiner, que l’on se met à travailler pour la gloire – pour la perfection en tant que telle, gratuite. Pour la matière première, idem : poser de la peinture à l’or sur le rebord d’une tasse à café ou du bois de palissandre sur le tableau de bord d’une voiture est absurde, mais participe de la quête de beauté, quoique de façon un peu clinquante. Du côté des forces créatrices, trois coups de crayon de Picasso ont une puissance d’évocation surprenante, et, même si nous sommes tous aptes à manier un crayon, nous ne savons pas même gribouiller comme lui (c’est en quoi un beau travail est parfois vite fait) ! En deuxième lieu, il faut que l’objet travaillé ait atteint ce que Roland Barthes appelait, à propos d’un texte, sa clôture. N’avez-vous pas remarqué que, sur les chantiers, les gens ont la phobie de finir le boulot – le menuisier laisse toujours une poignée de porte manquante et le peintre une reprise en souffrance ? Dans la presse, de même, les journalistes n’aiment pas trop déposer leur article sur le serveur commun – et ainsi en être dépossédés. C’est que la clôture est impitoyable : une fois un travail terminé, il montre ses limites. Tant qu’il était inachevé, le chantier ou le texte était riche de nos fantasmes, de nos tâtonnements, de toutes ses virtualités. Une fois livré, il est aplati sur lui-même. Beau, le travail qui résiste au choc de son achèvement. Mon troisième critère est plus subjectif, puisqu’il a trait au sentiment. J’en ai souvent débattu avec mes enfants. Quand ils me demandent pourquoi je n’aime pas les cartes Pokémon, je leur réponds : « Parce que ce n’est pas fait avec le cœur. » Cet argument les met en rage et donne lieu entre nous à des débats passionnés, pour savoir ce qui remplit ou non le critère. Faits avec le cœur : les Astérix avec Goscinny, la série Ernest et Célestine, les premiers Disney. Pas faits avec le cœur : les Astérix sans Goscinny, la série P’tit Loup, la plupart des Disney récents (mais pas tous !). Regardez autour de vous : quand c’est fait avec le cœur, ça crève les yeux ! En somme, il y a un lien secret entre le sentiment et la beauté. Le bon travail se contente d’accomplir une certaine utilité, sans plus. Mais pour gravir l’échelon supérieur et passer du bon au beau, il faut donner un peu de soi-même.

© Serge Picard pour PM ; illustration : Charles Berberian pour PM.

B

N’hésitez pas à nous transmettre vos remarques sur la nouvelle formule de philosophie magazine

reaction@philomag.com

Philosophie magazine n° 109 MAI 2017

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ILS ONT PARTICIPÉ À CE NUMÉRO

10, rue Ballu, 75009 Paris Tél. : 01 43 80 46 10 www.philomag.com SERVICE ABONNÉS abo@philomag.com / 01 43 80 46 11 Philosophie magazine, 4, rue de Mouchy, 60438 Noailles Cedex - France Tarifs d’abonnement : prix normal pour 1 an (10 nos) France métropolitaine : 53 € TTC (TVA 2,1 %). UE et DOM : 64 €. COM et Reste du monde : 73 €. Formules spéciales pour la Belgique et la Suisse Belgique : 070/23 33 04 abobelgique@edigroup.org Suisse : 022/860 84 01 abonne@edigroup.ch

HÉLÈNE LANDEMORE P. 28

MARCUS MØLLER BITSCH

Originaire de Aarhus au Danemark, il est autodidacte et animé du désir de raconter des histoires en images, souvent à l’aide de supports créatifs. Après avoir voyagé à travers le monde avec son appareil photo, ce freelance pour de nombreuses publications aussi bien que pour la pub s’est fixé à Paris. Très bricoleur, il a fabriqué un ordinateur portable et une flèche en mousse, en exclusivité pour la couverture de ce numéro.

NIRAJA GOPAL JAYAL P. 20

Elle est professeure de sciences politiques au Centre for the Study of Law and Governance de la Jawaharlal Nehru University, à Delhi. Ses travaux sur la démocratie indienne sont aujourd’hui des références. Notre journaliste Jack Fereday l’a interrogée au lendemain de la victoire écrasante remportée aux élections régionales par le parti nationaliste, au sujet du nationalisme hindou.

HIND ELIDRISSI

NOÉMIE DE GRENIER

P. 56

Après quatorze ans passés au sein d’Axa, elle a cofondé, avec un ancien collègue, Wemind, une plateforme mutuelliste qui propose aux free-lances de s’associer pour se garantir de vraies protections sociales. Lectrice de Nietzsche et de Pascal, elle nous explique le sens d’un projet qui ne cherche pas à « créer une communauté parfaite à l’écart d’un monde déchu, mais à se coltiner avec la réalité concrètes de la vie des indépendants ».

P. 56

Diplômée de l’IEP de Lille et de l’université de Louvain-la-Neuve, elle a commencé sa vie professionnelle en Argentine dans le développement local avant de rejoindre la coopérative d’activités Coopaname, qui propose une alternative à ceux qui ne veulent plus ni du salariat subordonné ni de l’indépendance précarisée. Elle nous raconte comment on peut aujourd’hui développer une forme de « papillonage » amoureux avec son travail, dans l’esprit de l’utopiste Charles Fourier.

Diffusion : Presstalis. Contact pour les réassorts diffuseurs : À Juste Titres, 04 88 15 12 42, Julien Tessier, j.tessier@ajustetitres.fr

CÉLINE SPECTOR P. 70

Se retirer ou se compromettre ? Telle est, selon elle, la grande question morale que pose Rousseau à la fin de sa vie lorsqu’il s’imagine en proie à de multiples complots et envisage de se retirer de la vie sociale. Une inquiétude dont cette spécialiste des Lumières françaises, autrice d’un étonnant Éloges de l’injustice, nous montre qu’elle résonne avec l’état d’esprit de nombre de nos contemporains, tentés eux aussi par l’abstention.

RÉDACTION redaction@philomag.com Directeur de la rédaction : Alexandre Lacroix Rédacteurs en chef : Martin Legros, Michel Eltchaninoff Conseillers de la rédaction : Philippe Nassif, Sven Ortoli Chefs de rubrique : Martin Duru, Catherine Portevin Secrétaires de rédaction : Noël Foiry, Marie-Gabrielle Houriez Conception graphique : William Londiche / da@philomag.com Rédactrices photo : Camille Pillias, Mika Sato Graphiste : Alexandrine Leclère Rédacteur Internet : Cédric Enjalbert Webmaster : Cyril Druesne Ont participé à ce numéro : Adrien Barton, Charles Berbérian, Bruno Bressolin, Annabel Briens, Philippe Chevallier, Paul Coulbois, Olivier Culmann, Jean-Robert Dantou, Victorine De Oliveira, Jack Fereday, Franck Ferville, Sylvain Fesson, Philippe Garnier, Gaëtan Goron, Jul, Jules Julien, François Morel, Tobie Nathan, Aïda N’Diaye, Charles Pépin, Charles Perragin, Serge Picard, Claude Ponti, Séverine Scaglia, Sylvain Tesson, Thomas Van Den Driessche ADMINISTRATION Directeur de la publication : Fabrice Gerschel Responsable administrative : Sophie Gamot-Darmon Responsable développement éditorial : Julie Davidoux Fabrication : Rivages Photogravure : Key Graphic Impression : Maury imprimeur, Z.I., 45300 Manchecourt Commission paritaire : 0521 D 88041 ISSN : 1951-1787 Dépôt légal : à parution Imprimé en France/Printed in France / Philosophie magazine est édité par Philo Éditions, SAS au capital de 254 000 euros, RCS Paris B 483 580 015 Siège social : 10, rue Ballu, 75009 Paris Président : Fabrice Gerschel RELATIONS PRESSE Canetti Conseil, 01 42 04 21 00 Françoise Canetti, francoise.canetti@canetti.com PUBLICITÉ Partenariats/Publicité culturelle et littéraire Julie Davidoux, 01 71 18 25 75, jdavidoux@philomag.com Publicité commerciale Anne Borromée, 01 71 18 16 03, 06 51 58 08 45 aborromee@philomag.com Audrey Pilaire, 01 71 18 16 08, apilaire@philomag.com MENSUEL NO 109 - MAI 2017 Couverture : © Marcus Møller Bitsch pour PM

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Philosophie magazine n° 109 MAI 2017

La rédaction n’est pas responsable des textes et documents qui lui sont envoyés. Ils ne seront pas rendus à leurs propriétaires.

© DR ; Jean-Robert Dantou/VU ; Monica Steffensen ; E. Marchadour/Seuil ; CP ; Philippe Barbosa.

D’où peut bien lui venir son attrait pour les petites îles vikings ? Spécialiste des idées politiques, elle enseigne à la Yale University et s’intéresse de près aux nouveaux modes d’implication des citoyens dans la prise de position politique et, en particulier, aux assemblées tirées au sort. Nous lui avons donc demandé d’éclairer notre enquête en Islande auprès de ceux qui ont réinventé les institutions démocratiques du pays.


Nouvelles fenêtres de prison p. 17

Tube d’aération du promeneur solitaire p. 70

NOTRE ESPACE COLLABORATIF DE CE MOIS-CI Fauteuils anglais pour philosophes oisifs

Cahier central

Escalier de l’épouvante esclavagiste p. 88

Dosettes de plaisir interdit

p. 22

Tableau pour jeunes parents professeurs

p. 36

Prothèses pour cerveaux humains

© Illustration : Paul Coulbois pour PM

p. 18

Tablette du mutin mutant

p. 56

Table Gjentagelse p. 77

Tablette traditionnelle des Navajos

p. 24


SOMMAIRE Briques apparentes du discours amoureux p. 44

P. 3 Édito

P. 8 Questions à Charles Pépin

P. 9 Questions d’enfants à Claude Ponti P. 10 Courrier des lecteurs

DOSSIER Travail, je t’aime (moi non plus)

P. 44 Fragments d’un discours

Déchiffrer l’actualité P. 12 TÉLESCOPAGE

P. 14 LA PERSONNALITÉ

Cyril Aouizerate

P. 16 REPÉRAGES

P. 18 PERSPECTIVES

Débat entre amis autour du devoir (ou non) de voter / Le nouveau nationalisme hindou analysé par Niraja Gopal Jayal / Elon Musk connecte le cerveau : aux dépens du cogito ? / Un ermite américain dans les pas de Thoreau P. 22 AU FIL D’UNE IDÉE Surveillance & adultère P. 23 POUR UN NOUVEAU PARTAGE Cynthia Fleury (en partenariat avec la Maif) P. 24 ETHNOMYTHOLOGIES par Tobie Nathan

Prendre la tangente P. 28 REPORTAGE

Ping-pong entre Marx et Lafargue

Islande, l’île qui réinvente la politique P. 36 LE MÉTIER DE VIVRE Anthony et Nathalie Vandeuren P. 40 GÉNIE DES LIEUX par Sylvain Tesson

p. 54

Mezzanine des abstentionnistes

laborieux

P. 50 Nos lecteurs écrivent

à leur « cher travail » P. 54 Trois penseurs pour s’éclater en boîte P. 56 50 nuances de coworking. Enquête

Cheminer avec les idées P. 64 ENTRETIEN

Didier Eribon

P. 70 LE CLASSIQUE SUBJECTIF

Jean-Jacques Rousseau ou la tentation de l’abstention, par Céline Spector P. 76 BOÎTE À OUTILS Divergences / Sprint / Intraduisible / Strates P.78 BACK PHILO

Livres

P. 80 ESSAI DU MOIS

L’Âge de la régression. Pourquoi nous vivons un tournant historique P. 81 ROMAN DU MOIS Nous / Evgueni Zamiatine P. 82 CARREFOUR Gestion des ressources émotionnelles P. 84 Nos choix P. 88 Notre sélection culturelle

p. 18

P. 90 Agenda

P. 92 LA CITATION CORRIGÉE

par François Morel

Éclairage vintage dû à des origines populaires

P. 94 Jeux

P. 96 50 NUANCES DE GRECS

par Jul

p. 64

P. 98 QUESTIONNAIRE DE SOCRATE

Rodolphe Burger

Bureau ovale de la politique régressive p. 80

Imprimante de lettres d’amour et de rupture

PHILOSOPHIE MAGAZINE N° 110 PARAÎTRA LE 1er JUIN

p. 50

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Tangente

REPORTAGE

Une muraille de roche noire entoure le Þingvellir, ou « plaines du Parlement », où les Islandais ont fondé en 930 l’une des plus vieilles chambres des représentants au monde.

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ISLANDE L’île qui réinvente la politique

Alors que la crise économique et les scandales financiers avaient laissé le pays au bord de la faillite, Les Islandais expérimentent tous azimuts pour redonner un nouveau souffle à l’une des plus vieilles démocraties du monde : constitution écrite par des citoyens tirés au sort, élus punks, parti pirate… le tout sans recourir à un homme providentiel. Et si cette petite île de l’Atlantique nord dessinait les contours d’une autre façon d’exercer le pouvoir ? Texte et photos Charles Perragin

D ans l’ouest de l’Islande, l’Almannagjá est un haut mur de basalte long de plusieurs kilomètres. La muraille de roche noire écume en un marais verdoyant que l’on appelle le Þingvellir, les « plaines du Parlement ». Ici fut fondé en 930 la première chambre de représentants de l’Europe médiévale, l’Alþingi. Au sommet du Lögberg, le « Rocher de la loi », un étendard signale l’emplacement exact de l’assemblée… dont aucune trace ne subsiste. Disparue, l’insti­ tution fondatrice de la nation islandaise est devenue une obsession dans ce pays, surtout après la crise financière de 2008. Cet effondrement économique et social d’une rare violence, et les révélations, notamment de WikiLeaks, de manipulations boursières et de délits d’initiés de grande ampleur ont fait naître un profond trouble et le besoin de réinventer la politique.

L’Alþingi, naguère ignorée des Islandais opulents, est alors récupérée comme un symbole d’insoumission aux vicissitudes d’une élite corrompue. L’Islande fait alors la une des médias, avec des mesures répressives inédites : la condamnation et l’incarcération de trente ban­ quiers impliqués dans le krach, puis la mise en examen du Premier ministre Geir Haarde (Parti de l’indépendance, classé à droite), déclaré cou­ pable de la faillite du pays à titre symbolique. Début novembre 2016, quand nous arrivons en Islande, la capitale, Reykjavik, semble rattrapée par le spectre de la crise. Au lendemain d’élections législatives anticipées, la droite est revenue au pouvoir. Les Islandais seraient-ils donc devenus indifférents à leurs désirs de révolte ? Loin de là. La troisième force politique du pays, derrière le Mouvement des

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) s u l p n o n i o (m

© Marcus Møller Bitsch pour PM

Travail, je t ’ aime

Dossier


PARCOURS DE CE DOSSIER

P. 44

P. 54

Et si nous avions un rapport véritablement amoureux à notre travail, avec toutes les complications que cela implique : passion, jalousie, angoisse d’abandon et scènes de rupture ? Telle est l’hypothèse qui nous donne l’occasion d’esquisser, sur le modèle des Fragments d’un discours amoureux de Roland Barthes, de nouveaux « Fragments d’un discours laborieux ».

Quelle place alors donner au travail dans sa vie ? Cette question était déjà en débat entre les révolutionnaires du XIXe siècle. Ainsi, Marx, s’il condamne l’aliénation capitaliste, affirme néanmoins la valeur primordiale du travail dans l’expérience humaine. Au contraire, Fourier, Proudhon et Lafargue cherchent à le réinventer.

P. 50

Et maintenant, prenons la plume ! Que dirionsnous à notre « cher travail » si nous lui écrivions une lettre, d’amour ou de rupture ? Des lecteurs de Philosophie magazine se sont prêtés à l’exercice : nous publions ici un émouvant florilège.

P. 56

De fait, pour reprendre un mot de Fourier, de plus en plus de nos contemporains découvrent le plaisir de « papillonner » professionnellement. Loin des servitudes du salariat en milieu pyramidal, ils sont séduits par le choix de l’indépendance. Mais comment échapper dès lors à la solitude anxieuse de l’autoentrepreneur ? Enquête du côté des nouvelles coopératives de freelances et autres espaces de coworking qui tentent de concilier le meilleur des deux mondes, la sécurité et la liberté. Pari gagné ?

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Dossier

TRAVAIL, JE T’AIME (MOI NON PLUS)

Fragments d’un discours laborieux


© Stéphane Remael. Les photos ci-contre et pages 47 et 48 sont extraites d’une série, où des salariés de Petit Bateau se mettent en scène de manière décalée sur leur lieu de travail dans l’usine de Troyes.

Et si, pour comprendre ce que chacun de nous vit au quotidien dans son travail, il fallait s’éloigner un peu du langage de l’économie et du droit ? Telle est notre proposition : détourner le vocabulaire de l’amour pour cerner la part affective et intime de l’expérience professionnelle. Par Alexandre Lacroix

J

our marqué d’une pierre blanche : aujourd’hui, vous avez obtenu un premier rendez-vous. D’un naturel peu porté à la coquetterie, vous avez réfléchi longtemps à la tenue vestimentaire adaptée et fait plusieurs essais devant le miroir… Dans la rue, en chemin vers cette rencontre que vous espérez concluante, votre cœur bat plus vite, vous sentez votre pouls au niveau du cou, là où le dernier bouton de la chemise étrangle un peu, zut ! vos mains sont moites. Vous préparez in petto des répliques, vous cherchez le moyen d’éluder les questions embarrassantes sur le passé, vous redoutez les gaffes, les silences. Vous aurez si peu de temps pour séduire… Jour marqué d’une pierre noire : vous saviez que ce serait dur, mais la conversation a été pire que prévu. Vous avez lancé des protestations, et même des promesses, mais l’autre

avait déjà pris sa décision de rompre. Autant parler à un mur. Vous avez refoulé des larmes, vous étiez en position de faiblesse, quelle humiliation ! Mais comment cette personne at-elle pu partager des milliers d’heures avec vous, des fous rires et une vraie complicité, puis vous redemander vos clés sans même vous regarder dans les yeux ? L’entretien d’embauche, le licenciement : voilà deux événements qui, loin de nous laisser indifférents, nous émeuvent, affolent corps et pensées, à tel point qu’ils n’ont de comparables, peut-être, que la rencontre amoureuse ou la séparation. On a l’habitude de traiter du travail à travers les catégories de l’économie politique, du droit ou de la sociologie. Mais pourquoi ne lui appliquerait-on pas le langage du sentiment, afin d’en saisir l’épaisseur vécue ? Après tout, qu’est-ce qui sert d’étai tout au long de la vie, autant (voire plus pour certains) que les liens affectifs, sinon l’activité, le ou les métiers exercés ? N’est-ce pas au travail que s’érige la construction de soi-même, qu’on mouille la chemise, qu’on donne de soi ? Roland Barthes, dans Fragments d’un discours amoureux, a listé un certain nombre de « figures » liées aux bavardages, intrigues, détours et démarches dans lesquels le sujet amoureux s’empêtre. Le mot de « figure », précise Barthes au début de l’essai, « ne doit pas s’entendre au sens rhétorique, mais plutôt au sens gymnastique ou chorégraphique » ; il ne s’agit donc pas seulement d’identifier des schémas, des structures abstraites, mais bien des gestes « du corps saisi en action ». L’amoureux se met dans tous ses états, c’est pourquoi il vit une histoire dont il ne maîtrise pas le cours, mais à laquelle il s’identifie. Or, pour décrire cette réalité du travail dont ne traitent jamais les livres d’économie, pour évaluer la teneur de notre investissement affectif dans la sphère professionnelle, ne pourrait-on pas transposer la grille de lecture de Barthes, lui emprunter quelques-unes de ses figures ? Cette méthode devrait permettre d’approcher de plus près le sujet laborieux, avec toute la gymnastique mentale et sentimentale qui le préoccupe depuis l’embauche jusqu’à la déchirure du contrat. Le parallèle résonne de plus avec l’actualité. Publié en 1977, Fragments d’un discours amoureux osait aborder la question de l’amour, dans une période où celui-ci était menacé, fragilisé, pris en tenailles entre le délitement du mariage traditionnel et

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Dossier

TRAVAIL, JE T’AIME (MOI NON PLUS)

Cher il, a v a tr Nous l’adorons, le détestons, lui faisons des reproches, le quittons. Alors pourquoi ne pas écrire une lettre à notre travail pour lui livrer la vérité de nos sentiments ? Défi superbement relevé par des lecteurs de Philosophie magazine dont nous publions neuf missives passionnées et cruelles. Pages coordonnées par Michel Eltchaninoff


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Inséparables

Quand j’ai besoin de prendre le large, c’est pour mieux te retrouver

orsque j’ai dû te laisser tomber pour la naissance de mon quatrième enfant, un deuil long et douloureux m’a surprise. Un vide aussi. Ce n’est pas facile de se présenter en société, aux dîners en ville, sans toi. Les gens t’attendent toujours, comptent sur toi pour entrer en relation. Tu m’as bien eue pendant toutes ces années ! Alors que je pensais t’évincer en douceur, me réaliser sans toi, ailleurs, prendre mon pied sans toutes tes contraintes, ton absence est devenue lourde de reproches cachés, d’amertumes larvées, d’envies ou de dénigrement. Je t’ai remplacé par le mot « projet ». Élever quatre enfants pour qu’ils soient bien dans leurs pompes, c’est un sacré projet, non ? Eh bien, figure-toi que ça ne marche pas trop. Au début, quand tu commences par un « Oh ! je travaille sur un énorme projet... », les gens sont tout ouïe. Ensuite, quand tu développes, ils te regardent comme une femme adultère ! Certains retournent devant monsieur le Maire, moi je suis retournée à l’Urssaf. P0-PL, P2-P4… J’ai signé. Nouvelle histoire d’amour. J’ai changé. Je suis restée en très bonne relation avec mon ex, et mon évolution personnelle m’a permis de me créer un travail sur mesure. J’en viendrais presque à croire au prince charmant tellement je t’aime, mon cher travail. Reconnaissance, gratifications, estime, relations, joies, rêves, indépendance, liberté… Tu sais me garder près de toi et me chérir, mon joli travail d’amour. Sans doute parce qu’on s’aime. Quand on sait que l’on est fait l’un pour l’autre, que l’on s’appuie l’un sur l’autre pour avancer et que tout cela donne un sens à notre vie, alors « travail », « vie » ou « rêve », c’est la même chose ! Car tu as bien compris que quand j’ai besoin de prendre le large, c’est pour mieux te retrouver. Au fait, je ne t’ai pas dit ? Dans trois semaines, je pars en vacances. Mais d’ici là, je vais prendre soin de toi.

Laure B. / 21 février 2017

Recommençons tout

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© Joel Robison

e jour où tu pourras me dire de tout ton esprit, de tout ton cœur et de toute ton âme : « Effaçons, oublions, pardonnons même ce passé jusqu’ici affligeant et misérable. Soyons enfin tout l’un à l’autre... Trente-deux heures tout au plus par semaine. » Ce jour-là, un jour proche, je l’espère, nous fuirons ensemble loin de ce monde, nous nous aimerons d’un amour tendre et sincère, travaillant enfin pour vivre et ne vivant plus pour travailler. Laurent T. / 22 février 2017

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Je suis venue te dire que je m’en vais

e vais bientôt te quitter, moi, la passionnée ; toi, par qui j’existais. Tu as bien changé et nos rapports se sont détériorés au fil du temps. J’allais vers toi chaque jour avec enthousiasme, mais tu remplissais aussi mes nuits lorsque je devais résoudre un problème. Fini nos longs dialogues au moment où sont arrivés des importuns : les « managers », l’ordinateur, le portable, etc. Je devais rendre compte, moi qui aime tant mon indépendance. L’organisation, les relations de pouvoir, la tyrannie des petits chefs ont pris le pas sur mon « cœur de métier ». La nostalgie a remplacé la jouissance des petits instants où je m’éclatais avec toi… Alors c’est décidé, je pars en retraite moi qui, jeune assistante sociale, ne pouvais m’imaginer « inactive ». Je mets fin à notre histoire commune, alors que je me sens si peu « senior », toujours habitée par les valeurs qui ont guidé mon engagement dans le travail social. À vous les tristes sires qui dénaturez mon « cher travail », je dis adieu en prenant le parti de me souvenir uniquement des belles choses.

Agnès J. / 12 mars 2017

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Dossier

TRAVAIL, JE T’AIME (MOI NON PLUS)

Les associés de la coopérative d’activités Coopaname, réunis autour de Noémie de Grenier (assise sur la chaise au premier plan, au centre).

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Ils sont de plus en plus nombreux à tourner le dos au salariat classique, à reprendre les rênes de leur carrière sans avoir un patron sur le dos, à développer plusieurs activités. Qui sont ces nouveaux travailleurs pour qui labeur ne doit pas rimer avec toujours, comme l’amour jadis, mais avec liberté, plaisir, solidarité et coopération ? Enquête. Par Marie Denieuil et Martin Legros / Photos Jean-Robert Dantou/Agence VU

ree-lances, travailleurs autonomes, entrepreneurs salariés, autoentrepreneurs, homeworkers ou slashers… Depuis une dizaine d’années, de nouvelles appellations surgissent dans le monde du travail. Le partage entre le salarié, attaché à une seule entreprise, et l’indépendant, attaché à son cabinet privé, est en train de voler en éclats pour laisser la place à de nouveaux statuts, de nouveaux espaces de travail et de nouvelles manières de vivre sa profession. Mais aussi un nouveau langage et de nouveaux concepts. Les maîtres mots en sont : coopération, autonomie, horizontalité, plaisir, bricolage. Pour cerner cette transformation encore timide mais profonde, nous avons rencontré ses acteurs au sein des espaces où elle se joue. Avec une hypothèse en forme d’analogie en

poche : en admettant que notre ancienne attache au travail était assimilable au contrat de mariage bourgeois, un lien de longue durée et exclusif avec la même activité, ne serionsnous pas en train d’assister à l’émergence de nouvelles « conjugalités professionnelles », qui iraient du papillonnage à la polygamie en passant par le démariage et le remariage ?

UNE COOPÉRATIVE FOURIÉRISTE DANS L’EST PARISIEN

« Avec Coopaname, vous êtes libre tout en étant salarié. C’est un peu comme dans le phalanstère imaginé par Fourier au XIXe siècle. On incite les individus à se lier les uns aux autres en développant la multiplicité de leurs talents. En termes affectifs, Fourier appelle cela la “Papillonne”, la variété des plaisirs appliquée au travail [lire pp. 54-55].

50 nuances

de coworking Philosophie magazine n° 109 MAI 2017

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Idées

ENTRETIEN

DIDIER ERIBON

LA HONTE DU MILIEU D’OÙ L’ON VIENT NE NOUS QUITTE JAMAIS Sociologue et philosophe, Didier Eribon défend la « pensée critique » contre toute forme de réaction. Lui qui a signé Retour à Reims, actuel best-seller en Allemagne, revient sur l’abandon des classes populaires et la montée du Front national. Propos recueillis par Cédric Enjalbert / Photos Franck Ferville

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ssez bourgeois, mais qui a le mérite d’être calme », nous dit Didier Eribon du bar d’hôtel où nous nous retrouvons, comme pour s’excuser. C’est que le sociologue et philosophe français a choisi son camp : contre les conservateurs et les réactionnaires ! Fils d’un père ouvrier et d’une mère femme de ménage, il s’est forgé une identité de « transfuge », à laquelle il ne cesse de revenir, constatant avec désarroi l’abandon des classes populaires et une implacable reproduction sociale, dont il s’est sorti, par accident, au contact de la littérature. Lui qui a dû aussi batailler avec son identité gay a fait de son histoire personnelle et de celle de sa famille le symptôme d’un malaise social, en empruntant sa méthode à Pierre Bourdieu autant qu’à Michel Foucault et à Annie Ernaux. Il rend compte de cette « auto-analyse » dans Retour à Reims, où, retrouvant sa ville natale et son milieu d’origine dont il s’est éloigné depuis trente ans, il entame une réflexion sur les classes sociales et les raisons du vote des classes populaires pour le Front national à partir de son expérience personnelle. Cet ouvrage rencontre aujourd’hui, après la France, un grand succès en Allemagne. Là-bas, il est accueilli comme une star de la pensée critique – 80 000 exemplaires vendus en moins d’un an et quatorze tirages. Le metteur en scène allemand Thomas Ostermeier, qui brille sur les scènes européennes par l’acuité de ses adaptations, l’a suivi à Reims pour réaliser avec lui un documentaire, qu’il intégrera à un prochain spectacle. Returning to Reims sera joué au théâtre à Manchester puis à la Schaubühne à Berlin. Et en France, qui sait ? Espérons-le. Entre deux voyages, le sociologue, enseignant à l’université d’Amiens, pose donc un pied à Paris. Il nous accorde près de trois heures d’entretien, après avoir vérifié qui nous sommes. En effet, cet habitué des tribunes se méfie de la presse. Il identifie des amis et des ennemis dans le champ politique, intellectuel et institutionnel, prêt à dégainer contre les conservateurs de tout poil. Ami de Foucault, dont il s’est fait l’héritier, Didier Eribon a beaucoup écrit sur la question gay. Il est prolixe lorsqu’il est question de littérature, de Genet, de « l’abject » Jouhandeau ou de Proust. Et finalement fort réservé lorsqu’il s’agit de parler de lui. Car derrière les prises de position tranchées, Didier Eribon reste comme traversé par une fracture, habité par une histoire personnelle dont il ne s’est pas complètement tiré, et qui, succès faisant, maintenant le dépasse.

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Comment comprenez-vous le succès de Retour à Reims, notamment en Allemagne ? DIDIER ERIBON : Je vois deux raisons principales. D’abord, ce livre a fait revenir brusquement sur le devant de la scène le langage de la domination, de l’exploitation, de l’appartenance de classe, de la violence sociale qui avait largement disparu de l’espace public et intellectuel allemand, mais évidemment pas de la réalité. L’autre raison est que je tâche d’élucider comment une famille est passée d’un vote considéré comme allant de soi pour le Parti communiste [PC] à un vote tout aussi évident pour le Front national [FN]. Quand le livre est sorti en Allemagne, l’extrême droite commençait d’enregistrer des scores très élevés, notamment dans les régions ouvrières les plus frappées par la crise économique. Et mon




Idées

LE CLASSIQUE SUBJECTIF

JEAN-JACQUES ROUSSEAU V U PA R CÉLINE SPECTOR

« La tentation de l’abstention »

© Illustration : Jules Julien pour PM ; photo-droits d'inspiration : © akg-images ; E. Marchadour/Seuil.

Face au spectacle de l’injustice généralisée, l’activisme risque toujours d’être dévoyé. Et si le retrait était préférable ? C’est la question à laquelle Jean-Jacques Rousseau fait face dans ses Rêveries du promeneur solitaire, que nous restitue ici Céline Spector, spécialiste de philosophie politique, dans une réflexion très actuelle.

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ace à la corruption de la vie politique et de certaines élites qui préfèrent jouir en secret des paradis fiscaux ou s’octroyer l’impunité tout en défendant ardemment la sévérité pénale, qui ne serait pas tenté de brider son dévouement et de s’abstenir de “participer” ? Cette tentation, Rousseau la met en scène dans la sixième promenade des Rêveries d’un promeneur solitaire. Il y expose les motivations de son retrait, non seulement de la vie publique, mais également de la vie sociale

et morale. Il s’agit pour lui de se justifier : comment peut-il désormais s’abstenir d’agir alors qu’il a toujours préconisé une vertu active au service des opprimés ? Cette tentation de l’abstention peut paraître anodine, car nous sommes enclins à penser qu’il est plus grave de commettre une injustice que de s’abstenir de secourir autrui lorsqu’il est dans la détresse. Cette asymétrie entre le bien et le mal, entre le juste et l’injuste, est fondamentale dans la vie morale et sociale. Entamées à l’automne 1776 à Paris et poursuivies à Ermenonville, Les Rêveries ne sont pas considérées en général comme un texte de philosophie morale et politique. Elles font partie des écrits autobiographiques de Rousseau, c’està-dire de la dernière période de son écriture qui comprend Les Confessions et les dialogues de Rousseau juge de Jean-Jacques. Le philosophe tente alors de rétablir la vérité sur sa personne, lui qui se croit l’objet d’un “complot universel”, un sentiment aux confins du délire nourri par l’interdiction de ses ouvrages (l’Émile a été condamné par la Sorbonne et le Parlement), par

de violentes brouilles philosophiques (avec Voltaire ou Hume) ou encore par des mésaventures ponctuelles (lorsqu’il voit à Môtiers, dans la principauté de Neufchâtel, une foule menée par un homme d’Église jeter des graviers contre sa fenêtre…). Rousseau cherche continuellement des refuges et prend acte de son isolement : “Me voici seul sur la Terre, n’ayant plus de frère, de prochain, d’ami, de société que moi-même.” Ainsi débutent Les Rêveries qui resteront inachevées, puisque leur auteur meurt au moment où il rédige la dixième promenade. Même s’il est autobiographique, ce texte devrait néanmoins devoir figurer dans les grandes œuvres de philosophie morale du natif de Genève. Ses promenades sont l’occasion de méditations qui ressemblent à des confessions, à des examens de conscience : il évalue ses propres motivations morales face à des actes qu’à la réflexion, il juge étranges, singuliers, curieux. Rousseau tente de trouver un “baromètre” pour la connaissance de son âme. Dans la sixième promenade, il cherche à savoir pourquoi, soudainement puis systématiquement, il prend un chemin

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Ils ne croient pas au progrès Ils méprisent la démocratie Ils sont de retour

LUMIÈRES Barrès • Baudelaire • Chateaubriand • Heidegger • De Maistre • Maurras • Nietzsche • Sade • Carl Schmitt

Entretiens avec Antoine Compagnon, Alain Finkielkraut, Annie Le Brun, Peter Sloterdijk, Enzo Traverso... Cahier Culture : Vermeer, l’art du temps • Rio de Janeiro

France : 7,90 € / Andorre : 7,90 € / Belgique-Luxembourg-Portugal: 8,90 € / Allemagne: 9,20 € / Suisse: 14,90 FS Canada: 13,25 $CAN / COM: 1100 XPF / DOM: 8,90 € / Maroc: 90 DH

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LES ANTI-


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