Cerveau & Psycho
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SELF-CONTROL OU LÂCHER-PRISE ?
Comment dépasser les injonctions contradictoires
Juillet-août 2022
N°145
N° 145 Juillet-août 2022
L 13252 - 145 - F: 7,00 € - RD
« LÂCHER PRISE, CE N’EST PAS FAIRE N’IMPORTE QUOI » par Christophe André
SELF-CONTROL OU LÂCHER-PRISE ? Comment dépasser les injonctions contradictoires
BIEN-ÊTRE COMMENT LE BONHEUR VIENT EN VIEILLISSANT
TÉLÉPATHIE LE CERVEAU SE TROMPE LUI-MÊME ! MOTIVATION LA MÉTHODE SCIENTIFIQUE POUR ALLER DE L’AVANT DOPAMINE L’INFLUENCEUSE DU CERVEAU DOM : 8,50 € – BEL./LUX. : 8,50 € – CH : 12,00 FS – CAN. : 12,99 CA$ – TOM : 1 100 XPF
Minute Papillon ! © Photo : Christophe Abramowitz / Radio France
Sidonie Bonnec Du lundi au vendredi 14 h - 15 h De l’anecdote au savoir, le nouveau magazine joyeux de culture générale
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N° 145
ÉDITORIAL
NOS CONTRIBUTEURS
p. 14-21
SÉBASTIEN BOHLER
Laurent Bègue-Shankland
Professeur de psychologie sociale à l’université Grenoble-Alpes, membre de l’Institut universitaire de France et directeur de la Maison des sciences de l’homme (MSH-Alpes), à Grenoble, il explore les déterminants de l’obéissance humaine dans la maltraitance animale.
p. 26-31
Allison Whitten
Docteure en neurosciences cognitives et journaliste scientifique, elle a enquêté sur la fonction neuromodulatrice de la dopamine, qui influence de façon large nos passages à l’action, sans que nous en ayons conscience.
p. 34-41
Christophe André
Psychiatre, pionnier de la méditation en France, il propose une vision du lâcher-prise « responsable », dans lequel l’individu est maître de soi et de ses choix, tout en acceptant de ne pas tout contrôler.
p. 84-85
Tobias Esch
Professeur à l’Institut de santé intégrative de Witten-Herdecke, en Allemagne, il répond à une ancienne question : le niveau de bonheur a-t-il tendance à augmenter lorsqu’on vieillit ?
Rédacteur en chef
300 000 ans de lâcher-prise
L
es Ju/’hoansi, peuple de chasseurs-cueilleurs d’Afrique du Sud, ne sont pas dans l’hypercontrôle. Ils se contentent de prélever le juste nécessaire pour survivre, ont beaucoup de temps libre, ne cherchent pas à faire des réserves ni à accumuler de biens personnels. Ils partagent tout, et vivent au jour le jour. Depuis des dizaines, voire des centaines de milliers d’années. Dans un récent et passionnant ouvrage, l’anthropologue James Suzman explique comment les humains qui peuplaient l’Europe durant la dernière glaciation commencèrent à devenir prévoyants pour passer l’hiver, se mirent à stocker, puis à ensemencer et domestiquer des animaux. Ils étaient sortis du lâcher-prise pour entrer dans le contrôle. Parce que c’était la clé de leur survie. Peut-être avons-nous hérité de ces différentes strates cognitives issues de nos tribulations multimillénaires. Nous aurions un esprit bimodal, doté d’une position « lâcher-prise » et d’une position « contrôle ». Certes, nous vivons mieux subjectivement dans une forme d’insouciance, mais l’importance prise par le travail et la planification nous ramène inlassablement vers le contrôle. Une des leçons de cette histoire est que nous serons pleinement humains en faisant cohabiter ces deux tendances en nous, ce à quoi s’attache le dossier central de ce numéro. Mais lâcher prise, c’est aussi rêver. Et, sur ce plan, le bénéfice de la rêverie éveillée et du vagabondage mental est avéré : JeanPhilippe Lachaux nous explique en page 80 que cette pratique permet d’améliorer les apprentissages – à condition d’être un minimum cadrée et pilotée. En un mot, lâchez prise dans le contrôle ! Et réconciliez le Ju/’hoansi et l’Européen glaciaire qui sommeillent en vous… £
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SOMMAIRE N° 145 JUILLET-AOÛT 2022
p. 6
p. 14
p. 22
p. 33-56
Dossier
p. 26
p. 33
SELF-CONTROL OU LÂCHER-PRISE ?
p. 6-31
DÉCOUVERTES p. 6 ACTUALITÉS Rêver rend plus créatif ! Yeux bleus : danger Pour que bébé s’endorme… Les interneurones de la tendresse Covid long : vingt ans de plus pour le cerveau ! Alzheimer : comment combattre la somnolence p. 14 PSYCHOLOGIE EXPÉRIMENTALE
p. 26 NEUROSCIENCES
p. 34 PSYCHOLOGIE
Juste avant que vous n’agissiez, une molécule s’accumule dans votre cerveau : la dopamine. Quand elle franchit un seuil, on se met en mouvement !
Faut-il « se foutre la paix » ou « reprendre le contrôle de sa vie » ? Il s’agit avant tout d’alterner.
Dopamine : l’influenceuse dans votre tête
Allison Whitten
COMMENT LÂCHER PRISE SANS PERDRE LE CONTRÔLE Christophe André
p. 42 PSYCHOLOGIE
NOUS SOMMES SOUMIS À DES INJONCTIONS CONTRADICTOIRES !
Pourriez-vous tuer un poisson ?
Des chercheurs ont cherché à savoir combien d’entre nous seraient prêts à faire souffrir des animaux si on leur en donnait l’ordre.
Entretien avec Antoine Pelissolo
Laurent Bègue-Shankland
p. 48 COGNITION
FAITES CONFIANCE À VOS AUTOMATISMES !
p. 22 DÉVELOPPEMENT
Les premières courbes de croissance du cerveau
Développer de bons automatismes permet de lâcher prise sur les actions simples et de n’exercer son contrôle que sur les aspects stratégiques.
Un pédiatre mesure le poids et la taille d’un enfant. Pourquoi ne pas vérifier de la même façon la bonne croissance du cerveau ?
Jean-Philippe Lachaux
Max Koslov
Ce numéro comporte un courrier de réabonnement posé sur le magazine sur une sélection d’abonnés. En couverture : © M. Unal Ozmen/Shutterstock
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5
p. 58
p. 80
p. 66
p. 70
p. 94
p. 72 p. 84
p. 92
p. 58-64
p. 72-90
ÉCLAIRAGES
VIE QUOTIDIENNE LIVRES
p. 58 SANTÉ
p. 72 BONNES FEUILLES
« Bébés Covid » : un retard de développement ?
Retard moteur, moindres performances cognitives : le Covid est-il dangereux pour le cerveau des bébés ? Melinda Wenner Moyer
Les clés de l’automotivation
Comment se motiver pour réussir dans tous les domaines ? Extraits du dernier ouvrage d’Yves-Alexandre Thalmann. p. 80 L’ÉCOLE DES CERVEAUX JEAN-PHILIPPE LACHAUX
PERSONNEL
Tous télépathes !
Notre cerveau fait n’importe quoi : il prend certaines de ses pensées pour celles d’un autre… et se croit télépathe ! p. 70 RAISON ET DÉRAISON NICOLAS GAUVRIT
Les astres avec Pécresse
Quand l’astrologue Élizabeth Teissier prédit la victoire de Valérie Pécresse, son erreur décrédibilise-t-elle l’astrologie ?
p. 92 SÉLECTION DE LIVRES Human psycho Ma cigarette Cent Médecines douces validées par la science La Folie dans tous ses états Un Tanguy chez les hyènes Les Désillusions de la psychanalyse p. 94 NEUROSCIENCES ET LITTÉRATURE
p. 66 L’ENVERS DU DÉVELOPPEMENT
YVES-ALEXANDRE THALMANN
p. 92-97
La rêverie : un trésor inexploité ?
Quand un enfant est « dans la lune », c’est aussi le moment idéal pour apprendre. p. 84 LA QUESTION DU MOIS
Est-on plus heureux quand on est vieux ? Tobias Esch
p. 86 COMPORTEMENT
Bruxisme : quand le cerveau est sur les dents
Grincer des dents pendant la nuit peut avoir de graves conséquences pour la santé. Comment y remédier ? Annika Röcker
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SEBASTIAN DIEGUEZ
La Mort d’Olivier Bécaille : enquête sur un enterré vivant Cette terrifiante nouvelle d’Émile Zola décrit un personnage qui est enterré vivant après être tombé dans un état de mort apparente. Fiction littéraire ou réalité médicale ?
DÉCOUVERTES
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p. 14 Pourriez-vous tuer un poisson ? p. 22 Les premières courbes de croissance du cerveau p. 26 Dopamine, l’influenceuse dans votre tête
Actualités Par la rédaction COGNITION
Rêver rend plus créatif !
La rêverie éveillée partage avec le rêve nocturne les mêmes aires cérébrales. Certaines personnes les ont notablement développées. Elles font des rêves à foison et ont un talent pour l’innovation. R. Vallat et al., High dream recall frequency is associated with increased creativity and default mode network connectivity, Nature and Science of Sleep, 2022.
© Foxys Graphic/Shutterstock
S
i on vous donnait 63 élé ments chimiques composant la Terre, et qu’on vous demandait de proposer une méthode de classement qui rende compte de leurs points communs, de leurs différences, de leur masse et de leurs propriétés, tout en précisant que personne n’a jusqu’alors réussi à accomplir cette tâche, comment vous y prendriez-vous ? C’est à ce défi surhumain que s’était attelé Dmitri Mendeleïev, un chimiste russe qui y consacra des années de labeur, sans résultat. Et puis, un soir de février 1869, épuisé, il alla se coucher et fit ce qui allait devenir un des rêves les plus célèbres de l’histoire. Il vit apparaître un vaste tableau dans les cases duquel les 63 éléments connus à l’époque se rangeaient avec une facilité déconcertante. Il écrivit : « J’ai rêvé d’une table dans laquelle chaque élément aurait une place logique. En me réveillant, je l’ai immédiatement couchée sur
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PSYCHOLOGIE RETROUVEZ-NOUS SUR
Les yeux bleus font des jaloux P. Bressan et al., Blue eyes help men reduce the cost of cuckoldry, Archives of sexual behavior, 2021.
AU MATIN, DES IMAGES PLEIN LA TÊTE Or, et c’est là la découverte de l’équipe de recherche de Perrine Ruby, au centre de neurosciences cognitives de Lyon, les personnes les plus créatives possèdent un réseau du mode par défaut plus actif que la moyenne – et font aussi davantage de rêves. Ou, du moins, elles sont capables de s’en remémorer davantage au petit
matin. Tout vient donc du réseau du mode par défaut : il produit à la fois des rêves quand nous dormons, et des images variées lors de nos vagabondages mentaux. L’étude de Perrine Ruby, Raphaël Vallat et leurs collègues, a en outre mis en évidence que les personnes créatives ont un sommeil plus léger : celui-ci est davantage entrecoupé de « microréveils », de très courts moments où l’on se réveille pendant la nuit, sans même s’en apercevoir, mais qui permettent aux rêves d’être stockés pour qu’on s’en souvienne le lendemain matin. Peut-on devenir plus créatif en tirant parti de ces nouvelles connaissances ? La clé, on l’a compris, consiste à faire fonctionner davantage son réseau de mode par défaut. Et pour cela, de se déconnecter périodiquement des stimulations extérieures. Pour éveiller le réseau du mode par défaut, rien ne vaut l’inactivité. Et, à l’inverse, le simple fait de réaliser une tâche mobilisant notre attention (cela peut être au travail, ou tout simplement en réagissant à des sollicitations sur un smartphone) réduit au silence ce réseau du vagabondage et du rêve. À chaque fois que nous préférons consulter nos courriels, nos SMS, une chaîne d’info sur notre smartphone, ou jouer à un jeu vidéo, nous privons donc notre cerveau d’une occasion de rêver et, peut-être, de créer. £ Sébastien Bohler
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n interrogeant plus d’un millier d’hommes italiens, la psychologue Paola Bressan, de l’université de Pavie, en Italie, a montré que ceux ayant des yeux bleus avaient un faible pour les femmes dont les yeux étaient de la même couleur, surtout pour une potentielle relation à long terme. En outre, ces mêmes hommes se disaient plus jaloux de rivaux ayant aussi les yeux clairs que d’hommes aux yeux foncés. Pourquoi ? Les lois de la génétique font que deux personnes aux yeux bleus ne peuvent avoir que des enfants aux yeux bleus. Par conséquent, la naissance d’un enfant aux yeux bruns dans un tel couple ne s’explique que par une liaison extraconjugale. Ce qui mettrait instantanément la puce à l’oreille du compagnon officiel et expliquerait aussi la jalousie accrue vis-à-vis de rivaux aux yeux bleus, car une liaison avec eux peut passer inaperçue. Mais les hommes aux yeux bleus ont-ils connaissance de ces lois génétiques ? Probablement pas. Peut-être ont-ils développé ce comportement de manière instinctive parce que cela se traduisait en des temps anciens par une meilleure transmission de leurs gènes – ou, plus probablement, parce que les humains ont noté depuis longtemps de manière empirique que les couples aux yeux bleus ont des enfants aux yeux bleus, et qu’une exception signale une infidélité. Et il n’en faudrait pas plus pour susciter la prudence… £ Elisa Doré
© javi_indy/Shutterstock
papier. Je n’ai eu besoin d’y apporter qu’une seule correction. » Comment le cerveau humain produit-il ces éclairs de génie ? Depuis quelques années, il devient possible d’observer ce qui se passe dans nos neurones durant ces moments clés. Les recherches dans ce domaine ont ainsi fait apparaître que lors d’un processus créatif, notre cerveau produit d’abord des idées originales, de façon libre et presque débridée, puis opère un tri de ces idées afin de n’en garder que les plus intéressantes. La phase de génération fait intervenir un groupe d’aires cérébrales réunies sous le nom de « réseau de mode par défaut » : c’est le réseau du vagabondage mental, celui de la rêverie, qui enchaîne les concepts sans lien apparent quand on est « ailleurs », « dans la lune », et que l’on peut imaginer des girafes ailées buvant des sirops de grenadine sur Mars. Quant à la phase de tri, elle revient à la partie rationnelle de notre cerveau, le cortex préfrontal.
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DÉCOUVERTES Psychologie expérimentale
Pourriez-vous tuer un poisson ?
Par Laurent Bègue-Shankland, professeur de psychologie sociale à l’université Grenoble-Alpes, membre de l’Institut universitaire de France et directeur de la Maison des sciences de l’homme (MSH-Alpes), à Grenoble.
Il y a soixante ans, la célèbre expérience de Milgram montrait qu’une large majorité de personnes acceptent de délivrer des chocs électriques mortels à un individu quand on leur en donne l’ordre. Et avec un animal ? L’expérience a été tentée, et les résultats sont édifiants.
© NYU Studio/Shutterstock
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n vous ordonne de vous jeter du haut d’une falaise : le faites-vous ? Probablement pas. Mais si on vous ordonne d’y pousser quelqu’un pour sauver l’humanité : que décidez-vous ? Allez-vous obéir aveuglément ? Et le soldat de l’armée d’un dictateur doit-il toujours se plier aux ordres et tuer hommes, femmes et enfants du pays voisin envahi ? La question de la soumission à l’autorité était un peu un « marronnier » pour les psychologues, philosophes et autres penseurs jusqu’à ce que, dans les années 1960, Stanley Milgram mène des études frappantes sur le sujet, études qui font aujourd’hui référence et appartiennent au patrimoine des sciences humaines. Le psychologue américain de l’université Yale, aux États-Unis, a en effet conclu, sur la base de nombreuses expériences, que la plupart des gens n’hésitent pas à faire souffrir quelqu’un d’autre quand une autorité le
EN BREF
£ Depuis les célèbres expériences du psychologue américain Stanley Milgram en 1963, où il ordonne à des participants de faire souffrir un homme pour des recherches scientifiques, on considère souvent que les gens n’hésitent pas à obéir quel que soit l’acte à réaliser… Un peu comme des « agents » déresponsabilisés. £ Or il est possible d’interpréter différemment ces résultats à la lumière de nouvelles études… £ Notamment, les objectifs scientifiques de ses expériences influaient fortement sur la conviction de ses volontaires, et donc sur leur soumission à l’autorité.
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leur ordonne… Quelles que soient leurs valeurs ou les raisons de l’acte. LA THÉORIE DE L’ÉTAT AGENTIQUE En effet, Milgram avait recruté des volontaires pour une étude scientifique prétendument sur l’apprentissage. À leur arrivée au laboratoire, les sujets rencontraient un scientifique en blouse et un homme qu’ils croyaient être un simple participant comme eux et qui endossait le rôle d’apprenant – mais qui était en fait un complice. À chaque fois que ce dernier commettait une erreur lors d’un exercice d’association de mots, les volontaires devaient lui administrer une décharge électrique de plus en plus intense, par tranches de 15 volts, à l’aide d’un faux générateur de chocs allant jusqu’à 450 volts. Et si les participants hésitaient à électrocuter le pauvre apprenant, le scientifique présent à leurs côtés leur ordonnait imperturbablement de poursuivre l’expérience… Résultat : la majorité des personnes envoyaient les décharges maximales à l’apprenant, malgré ses implorations – feintes, puisqu’il ne souffrait pas – de stopper l’expérience. Comment expliquer ces résultats ? Milgram a
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Plus de 120 000 clichés d’IRM ont été compilés pour donner naissance à des courbes de maturation cérébrale en fonction de l’âge.
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© nodff/Shutterstock
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DÉCOUVERTES Développement
Les premières courbes de croissance du cerveau Par Max Koslov, journaliste à la revue Nature.
Pour la première fois, des courbes de croissance viennent d’être établies pour le cerveau, comme pour la taille et le poids des enfants. Un travail colossal qui pourrait changer bien des choses dans l’approche du développement cognitif des petits.
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n sortant de chez le pédiatre il y a quelques semaines, le neuroscientifique Jakob Seidlitz n’était pas vraiment satisfait. Il était venu faire passer la visite de contrôle des 15 mois à son jeune fils. Rien d’anormal dans le bilan général de santé, heureusement – le jeune garçon semblait se développer à un rythme classique, du moins selon les tableaux de taille et de poids utilisés par le médecin. Non, c’est du côté de son cerveau que l’examen laissait à désirer : aucune courbe de croissance, aucun barème, comme si cet organe ne le méritait pas. Totalement anormal. « Il est choquant de constater le peu d’informations biologiques dont disposent les médecins sur cet organe essentiel », lâche alors Seidlitz. En espérant que cela va changer. C’est
EN BREF
£ En rassemblant les données d’imagerie cérébrale de plus de 120 000 patients, des chercheurs ont établi les premières courbes montrant le développement de diverses parties du cerveau humain avec l’âge. £ La matière grise se développe la première, suivie par la matière blanche, puis les ventricules augmentent de volume avec le vieillissement, traduisant une perte de neurones. £ L’extrême fiabilité de ces graphes, résultat de la masse de données collectées, pourrait imposer un nouveau standard aux études de neuro-imagerie.
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pourquoi il a rassemblé, avec ses collègues de l’université de Pennsylvanie à Philadelphie, plus de 120 000 scanners du cerveau, ce qui représente à ce jour la plus grande collection de ce type. Le but : établir ce qui sera la première carte de croissance du développement du cerveau humain. Un support où l’on voit, de manière très visuelle, comment le cerveau humain se transforme et évolue tout au long de la vie. Alors, que voit-on au juste ? D’abord, le cerveau se développe rapidement aux premiers âges de la vie. Puis il se stabilise et se met alors à rétrécir lentement avec l’âge. Mais c’est l’ampleur de cette étude, publiée dans la revue Nature le 6 avril dernier, qui a stupéfié les neuroscientifiques, eux qui ont longtemps été confrontés à des problèmes de reproductibilité dans leurs recherches, en partie à cause de la petite taille des échantillons de volontaires dont on étudiait les cerveaux. Un problème lié au coût important des examens utilisant l’imagerie par résonance magnétique, qui fait que les scientifiques sont souvent limités quant au nombre de participants qu’ils peuvent recruter pour leurs expériences.
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DÉCOUVERTES Neurosciences
Dopamine L’influenceuse dans votre tête Par Allison Whitten, docteure en neurosciences cognitives et journaliste scientifique.
Pourquoi décidez-vous soudain de vous lever et – par exemple – d’aller vous préparer un café ? Quelques secondes ou minutes avant ce mouvement, une vague de dopamine est montée dans votre cerveau, comme si elle vous poussait à l’action. EN BREF
£ Dans des expériences récentes, des chercheurs ont observé une montée progressive des taux de dopamine dans le cerveau d’animaux quelques secondes avant qu’ils réalisent une action.
© GrAl/Shutterstock
£ Cette molécule, traditionnellement considérée comme un neurotransmetteur, apparaît dans un rôle nouveau : celui de neuromodulateur, une substance qui ajuste les niveaux d’excitabilité des neurones et influence l’action d’autres messagers chimiques. £ En tant que modulatrice, la dopamine augmente les probabilités d’action de l’individu, sans les déterminer à 100 %. Essentiel pour un comportement adapté aux situations.
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haque fois que vous attrapez votre tasse à café se produit un véritable mystère neuroscientifique. Quelques instants avant que vous n’étendiez volontairement votre bras, des milliers de neurones dans les régions motrices de votre cerveau déclenchent une activité électrique qui se propage jusqu’à la moelle épinière, puis jusqu’aux muscles qui permettent à votre main d’atteindre la tasse. Mais juste avant que se produise cette activité massivement synchronisée, les régions motrices de votre cerveau sont relativement silencieuses. Et, à ce jour, pour tous les mouvements comme celui que nous venons de décrire – qui sont déclenchés de manière autonome par l’individu – le signal de départ indiquant aux neurones le moment précis de l’action – plutôt que le moment juste avant ou après – n’a pas encore été identifié. Dans un récent article publié dans la revue eLife, un groupe de neuroscientifiques dirigé par
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La base de données qui rassemble toutes les femmes scientifiques de renommée internationale
AcademiaNet offre un service unique aux instituts de recherche, aux journalistes et aux organisateurs de conférences qui recherchent des femmes d’exception dont l’expérience et les capacités de management complètent les compétences et la culture scientifique.
Partenaires
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Dossier 33
SOMMAIRE
p. 34 Comment lâcher prise sans perdre le contrôle p. 42 Interview Nous sommes soumis à des injonctions contradictoires ! p. 48 Faites confiance à vos automatismes !
SELF-CONTROL LÂCHER-PRISE ? OU
Connaissez-vous le chamallow
le plus célèbre de l’histoire de la psychologie ? C’est un chamallow qu’il ne faut pas manger. Si vous y parvenez pendant quinze minutes, vous aurez deux chamallows. Cette expérience, menée par le psychologue américain Walter Mischel dans les années 1970 auprès d’enfants de 4 à 5 ans, est devenue l’emblème des bienfaits du self-control – une capacité qui favorise le bien-être, la santé, la réussite scolaire et professionnelle… Oui, mais voilà : les recherches montrent aussi que l’obsession du contrôle est néfaste, ouvrant une voie royale vers l’épuisement et les troubles anxieux. Alors, ce chamallow, que faut-il en faire, finalement ? Dans l’idéal, à la fois le manger et ne pas le manger. Un chamallow quantique, en quelque sorte, à l’instar du fameux chat de Schrödinger, à la fois mort et vivant. La bonne nouvelle est que c’est possible ! Tout au long de ce dossier, psychiatres et neuroscientifiques vous expliquent comment alterner, sélectionner et même fusionner le contrôle et le lâcher-prise dans votre vie quotidienne, notamment grâce aux étonnantes capacités de votre cerveau. Guillaume Jacquemont
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Dossier
COMMENT
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LÂCHER PRISE SANS PERDRE LE CONTRÔLE
Faut-il « se foutre la paix » ou « reprendre le contrôle de sa vie » ? En la matière, peut-être plus qu’ailleurs encore, le maître mot est : équilibre.
EN BREF £ Les ouvrages de développement personnel vantent à longueur de page deux attitudes qui semblent contradictoires : d’un côté, le lâcher-prise ; de l’autre, la maîtrise de soi et de sa vie. £ De fait, les recherches en psychologie trouvent de nombreux bienfaits à ces deux attitudes. £ Mais elles comportent aussi des inconvénients, de sorte qu’il est essentiel d’apprendre à les concilier, voire à les fusionner.
S
i vous vous promenez dans une librairie et que vous passez par le rayon « développement personnel », sans doute serez-vous comme moi amusé par l’apparente contradiction qui émerge de la multitude des titres d’ouvrages. « Foutez-vous la paix », « Devenez maîtres de votre destin », « Lâchez prise », « Reprenez le contrôle de votre vie »… On a l’impression d’un choc constant d’injonctions opposées ! Qui faut-il dont écouter, les chantres du contrôle ou les apôtres du lâcher-prise ? Pour le déterminer, examinons ce que recouvrent ces deux attitudes. Ou plutôt, dressons-en le bilan. Car l’une et l’autre ont
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Par Christophe André, médecin psychiatre.
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INTERVIEW
ANTOINE PELISSOLO PSYCHIATRE AU CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE HENRI-MONDOR, À CRÉTEIL, ET SPÉCIALISTE DES TROUBLES ANXIEUX
NOUS SOMMES SOUMIS À DES INJONCTIONS CONTRADICTOIRES ! Aujourd’hui, on a de plus en plus souvent l’impression d’être tiraillé entre deux impératifs opposés, le contrôle et le lâcher-prise. Comment en est-on arrivé là ? Ces injonctions contradictoires ont progressé de manière parallèle au cours des dernières décennies. Le lâcher-prise, tout d’abord. Les connaissances sur cette attitude ont augmenté depuis un certain nombre d’années et son impact positif sur le bien-être est de plus en plus démontré. L’essor
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de certaines formes de psychothérapies, et du développement personnel en général, a mené beaucoup de thérapeutes à présenter la capacité de lâcher-prise (autrement dit, la faculté d’abandonner temporairement la maîtrise de soi et le contrôle de ses émotions) comme une bonne façon de gérer son stress et de s’épanouir dans la vie. De l’autre côté vient l’injonction de contrôle… Qui me semble issue, quant à elle, plutôt du monde professionnel. Dans un environnement toujours plus compétitif, on met une grande pression sur les employés, à qui on demande d’être de plus en plus performants, de ne pas faire d’erreurs. La tendance générale est également d’améliorer sans cesse la productivité – pas seulement dans les usines, mais aussi dans le secteur des services. Il faut rationaliser au maximum, notamment car la réduction du temps de travail a poussé à une certaine forme d’optimisation, qui requiert une rigueur accrue dans l’organisation : aucun temps mort n’est accepté, on doit tout contrôler dans son planning ! Avec, pour ceux qui n’ont pas d’horaires strictement délimités, une tendance dangereuse à envahir l’espace privé. Au final, le risque est celui de l’épuisement et du burn-out. Je donne ici une tendance globale : toutes les situations individuelles ne se valent pas. Ainsi, ces deux attitudes, contrôle et lâcher-prise, sont étudiées et prônées séparément, par des experts d’horizons différents. Ce qui aboutit à deux injonctions très fortes, qui ne sont en effet pas toujours faciles à concilier. Cette injonction à la performance et au contrôle, ne se l’impose-t-on pas aussi à soi-même ? Sans doute en partie, mais la pression exercée par la hiérarchie me semble primer. Surtout chez les jeunes générations, qui sont, moins que les précédentes, séduites par l’hyperperformance et la recherche de la perfection au travail. Ce que
D’un côté, la sphère professionnelle valorise le contrôle. De l’autre, le développement personnel prône le lâcher-prise ! je constate à mon échelle de praticien, c’est qu’elles se plient aux injonctions de leur organisation pendant un certain temps, puis finissent souvent par remettre complètement en cause leur plan de carrière quand elles s’aperçoivent que cela ne leur convient pas. Du tout ou rien, en quelque sorte. Mieux vaudrait laisser à chacun davantage de liberté pour moduler son investissement. En somme, quand on est tenu à une forme de contrôle à cause de son métier, il faut trouver moyen de lâcher prise de temps en temps… Comment faire ? En évoluant à la fois du côté de l’employeur et du salarié. Au premier de respecter les horaires de ses subordonnés, ainsi qu’un temps de travail défini, tout en laissant la possibilité à chacun de décrocher de temps à autre. Au second de pratiquer un bon séquençage du temps : se ménager des moments de pause, sans penser sans arrêt qu’il pourrait donner plus. Dans ces moments, on lâche prise par rapport aux objectifs immédiats, on se permet d’être dans une réflexion à long terme, ce qui présente en outre l’avantage de stimuler la créativité. Ces temps de pause peuvent d’ailleurs être organisés sur un mode collectif,
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à travers des rencontres ou des activités informelles entre salariés. Et le télétravail est susceptible d’aider sur ce plan – il n’a pas que des avantages, mais offre au moins la souplesse. Il est plus facile, par exemple, d’entrecouper les séances de travail par des promenades relaxantes, afin de passer d’un mode de contrôle à un mode de lâcher-prise. Ces derniers temps, le terme « burn-out » a également fait son apparition dans le contexte de la famille, pour parler d’une forme d’épuisement des parents et des enfants. Est-ce là aussi lié à un excès de contrôle ? C’est vrai qu’on constate ce phénomène dans le milieu familial, depuis dix ou quinze ans. Et, pour le coup, les jeunes générations ne sont pas épargnées, bien au contraire : moins poussées par l’ambition professionnelle, elles réinvestissent le champ de la famille. De plus en plus de parents vivent une forme d’angoisse d’avenir pour leurs enfants, dont ils redoutent – plus que leurs prédécesseurs – la précarité économique future. Dans mes consultations, je croise beaucoup de ces parents anxieux, qui cherchent à contrôler le moindre aspect de l’éducation, afin
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DOSSIER SELF-CONTROL OU LÂCHER-PRISE ?
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FAITES CONFIANCE À VOS
AUTOMATISMES ! Comment parvenir à un lâcher-prise « idéal » ? En apprenant à se reposer sur certains automatismes cérébraux, afin de trouver le « juste niveau de contrôle », nous disent les neurosciences… Par Jean-Philippe Lachaux, directeur de recherche à l’Inserm, au Centre de recherche en neurosciences de Lyon.
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pas toujours parfaitement rangée, qu’un rapport à rendre ait quelques défauts, etc. Mais il serait tout de même profondément frustrant de se dire que le lâcher-prise se résume à ce type de renoncement. N’y a-t-il pas un moyen de relâcher un peu ce contrôle crispé et épuisant sans renoncer à ses objectifs ? Je vous rassure, la réponse est « oui ».
l y a quelques années, le slalomeur olympique Julien Lizeroux m’a raconté une de ses courses, lors de laquelle il avait très vite commis plusieurs fautes qui avaient réduit à néant tout espoir de médaille. Perdu pour perdu, il s’était complètement « lâché » et avait skié à la perfection sur la deuxième moitié du parcours (en vain malheureusement). Pour cela, notre champion avait dû abandonner l’idée même de réaliser une belle course et de gagner ; d’une certaine façon, il ne risquait plus rien. Est-ce là la clé du lâcher-prise : arrêter de vouloir et accepter de rater ? Autrement dit, renoncer à tout ce qui nous tient à cœur ? Certaines évocations communes du concept de lâcher-prise rappellent cette forme de détachement : on « accepte » que les enfants n’aillent pas à tous leurs cours de musique, que la cuisine ne soit
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VOULOIR, MAÎTRISER, OBTENIR Sans prétendre à des solutions magiques, les neurosciences me semblent en effet arrivées à un niveau de maturité suffisant pour proposer quelques pistes concrètes. Et d’abord, revenons à cette expression : « lâcher-prise », qui est assez explicite. Elle paraît indiquer un changement soudain d’état et d’attitude : on lâche un élément que l’on tenait, comme une prise d’escalade à laquelle on s’agrippait. Il y a donc, dans cette formulation, l’idée de renoncer à quelque chose qui nous sécurisait. Mais le terme de « prise » suggère aussi un effort et une crispation, voire un blocage ; et c’est pour y mettre un terme qu’on la lâcherait. Il s’ensuivrait une forme d’abandon. Mais abandon de quoi, et avec quelles conséquences ? Quels risques nous maintenaient dans cette crispation lorsque nous les anticipions ? Et comment trouver un fonctionnement cérébral plus équilibré ?
ÉCLAIRAGES
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p. 66 Tous télépathes ! p. 70 Les astres avec Pécresse
« Bébés Covid »
Un retard de développement ? Par Melinda Wenner Moyer, collaboratrice de la revue Scientific American, autrice de l’ouvrage How to Raise Kids Who Aren’t Assholes : Science-Based Strategies for Better Parenting-From Tots to Teens, G. P. Putnam’s Sons, 2021.
EN BREF
£ Selon de premières études, les bébés nés pendant la pandémie accusent des déficits cognitifs, émotionnels et moteurs par rapport à leurs aînés. Avec des écarts significatifs entre les classes sociales et entre les pays. £ En cause, sans doute, le stress prénatal et le manque de jeux et d’interactions sociales. £ Une série d’études à large échelle est en cours à l’international pour valider ces résultats et proposer des solutions.
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Firestein, chercheuse postdoctorale à l’université Columbia, à New York, de comparer le développement neurologique des deux groupes. DE PREMIERS SIGNES D’INQUIÉTUDE C’est alors que, quelques jours plus tard, Firestein l’appelle dans un état de grande confusion. « On fait face à une crise, dit-elle ; je ne sais pas quoi faire, parce que non seulement il s’agit d’un effet de type pandémique, mais de grande ampleur. » Il faut dire qu’elle venait de passer une bonne partie de la nuit à examiner les données. Et selon elles, les bébés nés pendant la pandémie obtenaient des résultats inférieurs, en moyenne, à ceux nés avant, dans toute une série de tests de motricité globale, de motricité fine et de communication. Les deux groupes d’enfants avaient été évalués par leurs parents par l’intermédiaire d’un questionnaire établi – que les parents aient été infectés par le virus ou non. C’était le contexte même de la pandémie qui semblait en cause. « Nous étions sous le choc, se souvient Morgan
© daniel catrihual/Shutterstock
L
es premiers constats étaient rassurants. Comme de nombreux pédiatres, Dani Dumitriu s’était préparée à l’arrivée du coronavirus SARS-CoV-2 dans son service de l’hôpital pour enfants New York-Presbyterian-MorganStanley. Connaissant les effets du Zika et d’autres virus susceptibles de provoquer des malformations congénitales, les médecins étaient attentifs à la moindre alerte. Et puis, ce fut le soulagement. La plupart des nouveau-nés du service qui avaient été exposés au Covid-19 semblaient très bien se porter. Mais peu après, de premiers indices d’une tendance plus subtile ont commencé à se manifester. Il se trouve que depuis fin 2017, elle et son équipe analysaient la communication et la motricité des bébés jusqu’à l’âge de 6 mois. Ils disposaient ainsi de plus de deux ans de données sur le développement des nourrissons. Pensant qu’il serait intéressant de comparer les résultats des bébés nés avant et pendant la pandémie, Dani Dumitriu a alors demandé à sa collègue Morgan
Les bébés nés pendant la pandémie ont-ils de moins bonnes aptitudes cognitives et motrices que ceux nés avant ? C’est ce que laissent supposer de premiers rapports épidémiologiques aux États-Unis, qui pointent une perturbation des liens sociaux. Mais les résultats doivent être confirmés et ces altérations ne seraient pas irréversibles.
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VIE QUOTIDIENNE p. 80 La rêverie : un trésor inexploité ? p. 84 Est-on plus heureux quand on est vieux ? p. 86 Bruxisme, quand le cerveau est sur les dents
Les clés de l’automotivation Comment mettre en place les conditions de la réussite dans les études, le travail, la santé, quand on est constamment distrait ou attiré par des occupations faciles qui nous détournent de nos objectifs ? Le dernier ouvrage de notre chroniqueur Yves-Alexandre Thalmann, paru aux éditions Humensciences, livre des clés essentielles pour actionner en soi-même les ressorts – complexes – de la motivation. Extraits choisis.
«J
e ne suis pas motivé ! » Combien de fois ai-je entendu cette plainte, comme un cri du cœur, de la part d’étudiants que je suis dans ma fonction de psychologue ? Combien de jeunes en proie à ce qu’ils appellent la « démotivation » ai-je vus défiler dans mon bureau ? Ils décrivent un état où l’énergie pour se mettre à l’ouvrage est insuffisante, où ils se retrouvent sans même le vouloir à perdre un temps précieux à des distractions futiles, souvent derrière un écran, au détriment de tâches importantes qui attendent d’être menées à bien. Beaucoup pensent être affectés d’un problème personnel qui aurait tari leur élan et leur allant, les empêchant d’être animés par le feu sacré des études. Pourtant, je n’en ai rencontré que peu qui
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souffraient véritablement de démotivation – cette forme d’apathie et de perte d’envie généralisée consécutive à un état dépressif. JEUX VIDÉO, RÉSEAUX SOCIAUX… À l’exception de pathologies avérées telles que la dépression ou la schizophrénie, la démotivation ne se présente pas sous une forme généralisée. Celle-ci porte sur des comportements particuliers, exactement comme la motivation. Vous pouvez être motivé ou démotivé vis-à-vis d’une tâche spécifique – par exemple, vous acquitter des corvées ménagères –, mais pas démotivé tout court. Pour revenir à mes étudiants, ils disent implicitement qu’ils ne sont plus motivés à travailler pour leurs cours. Cela étant, ils demeurent
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ressentent pas l’envie d’étudier, qu’ils imaginent comme une force impérieuse et spontanée leur conférant le goût des mathématiques ou des langues étrangères… et surtout celui des efforts indispensables à fournir. À la place, ils éprouvent un intense attrait pour leur smartphone ou toute autre distraction. Osons cette formulation paradoxale : ces jeunes sont démotivés par leurs envies. Ils ressentent bien des envies mais qui les détournent de leurs études. Mais pourquoi leurs envies les portent-elles vers des distractions plutôt que le travail ? Pour le découvrir, analysons la liste des activités alternatives dans lesquelles ils s’engagent à la place de réviser : jouer, consulter les réseaux sociaux, surfer sur Internet, visionner des séries, passer du temps avec des amis, lire des romans. Deux caractéristiques communes peuvent être dégagées de ces activités : l’immédiateté de la gratification procurée et la facilité, ou la modestie des efforts à consentir. Les envies se distinguent habituellement par un plaisir sans délai, lors de leur assouvissement. Au moment même où l’on s’engage dans l’activité, on en retire directement de la satisfaction. De plus, il n’y a aucune idée de labeur dans les activités de la liste précitée ; elles ne s’accompagnent le plus souvent ni de fatigue, ni d’épuisement. Nul besoin de se forcer pour les accomplir. Un plaisir rapide et facile, voilà ce que promettent les envies. Pas vraiment le même tableau que pour les études… Qui aime devoir produire durablement des efforts et patienter (parfois des années) pour en toucher le bénéfice ? L’ENVIE N’EST PAS LA MOTIVATION ! Si vous dressez la liste de vos propres envies au fil des jours, vous arriverez vraisemblablement au même constat. Vous découvrirez des activités à gratification immédiate et faciles, dans le sens où elles n’exigent pas ou très peu d’efforts de votre part. Par exemple, vous pouvez avoir envie de boire un verre en terrasse, vous immerger dans une bonne lecture, vous détendre devant la télévision, faire du shopping ou une sieste, vous balader au parc, etc. En revanche, vous direz être motivé à apprendre une langue étrangère, à vous entraîner à jouer de la guitare ou du piano, à pratiquer de l’exercice physique, à faire des rangements, à réparer la porte du garage, etc. Ces tâches « réclament » de la motivation de votre part – au sens familier du terme – car elles ne suscitent pas naturellement votre envie. Toutes procurent une satisfaction différée, qui survient généralement une fois l’activité achevée, et nécessitent un investissement sous forme d’efforts parfois ingrats et rébarbatifs. Le
Paru le 4 mai 2022, 256 pages, 18,00 euros.
motivés à effectuer d’autres actions. D’où ma question, pour les aider à y voir plus clair et à comprendre ce qu’ils vivent : « Que faites-vous à la place d’étudier ? » L’éventail des réponses est quasiment infini, même si depuis quelques années, les mêmes répliques tendent à s’imposer : « Je joue aux jeux vidéo », « Je consulte les réseaux sociaux », « Je surfe sur Internet et regarde des vidéos », « Je visionne des séries », « Je passe du temps avec mes amis », « Je lis des romans fantastiques », etc. Il est clair que ces jeunes ne souffrent pas d’apathie. Ils ont bien l’énergie de se bouger et l’envie de s’investir, mais pas à ce moment précis dans leurs études. J’ai choisi à dessein le mot « envie » dans la phrase précédente car il est bien question d’envie. Ces étudiantes et étudiants ne
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VIE QUOTIDIENNE Comportement
Bruxisme
quand le cerveau est sur les dents
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Grincer des dents involontairement pendant la nuit : gare aux dégâts ! C’est dans la tête que cela se passe... Soumis à un stress trop intense, le cerveau se défoule en mettant la pression sur les mâchoires. Heureusement, des solutions existent.
© poosan/Shutterstock
G
rincer des dents, moi ? Première nouvelle ! C’est une blague ? À en croire le regard réprobateur de ma dentiste, c’est plutôt du sérieux. Je le saurais, vous ne croyez pas ? Celle-ci m’explique que ces grincements sont inconscients. Ils surviennent la nuit, dans mon sommeil, comme chez 13 % des adultes environ. Et 31 % grincent même des dents le jour, sans manger. Comme quoi, ça pourrait être pire ! Je desserre un peu les dents… Là, la dentiste se penche pour lire dans les traces d’usure de mes dents les mouvements de ma mâchoire la nuit, démonstrations à l’appui. Les mouvements qu’elle me fait faire me semblent étonnamment familiers. Pour limiter cette usure, elle me prescrit une orthèse pour la mâchoire inférieure, à porter la nuit. J’avoue que la nouvelle me pèse un peu. Qui aurait envie de dormir avec une gouttière en plastique dans la bouche ? Sans doute pour me remonter le moral, la dentiste me confie que certains sportifs portent volontairement des gouttières. Car cela permettrait d’améliorer leurs performances athlétiques – ce dont je ne comprends pas immédiatement la raison. En tout cas l’argument fait mouche. En tant que sportive amatrice ambitieuse, je suis piquée au vif. Comment diable cela fonctionne-t-il ? Existerait-il un lien encore inconnu entre les dents, le cerveau et les muscles ? La force exercée sur la mâchoire peut-elle être réinvestie de manière positive ailleurs ? Après tout, au moment du grincement, la force exercée par les mâchoires peut être dix fois supérieure à la pression habituelle de mastication. Je lance mes recherches. Une fois de plus, c’est nettement plus compliqué que prévu. D’abord, parce qu’il existe au moins trois types
Par Annika Röcker, docteure en biochimie et autrice scientifique.
EN BREF
£ Il existe différents mouvements involontaires des muscles masticateurs que les spécialistes rassemblent sous le terme de « bruxisme ». £ En cause : le stress, l’anxiété et les troubles du sommeil. £ Des gouttières réalisées sur mesure, en stimulant des capteurs neuronaux présents dans la mâchoire, peuvent commander au cerveau de relâcher son effort. £ Ces orthèses dentaires seraient par ailleurs utilisées par les sportifs de haut niveau car elles stimuleraient les commandes motrices de divers groupes musculaires dans le corps.
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de gouttières dentaires. Et, disons-le tout de suite, parce que l’exemplaire que j’ai reçu – transparent, relativement souple et flexible – ne me rendra certainement pas plus performante, même si je le porte pour faire du sport. Et ne m’empêchera sans doute pas non plus de grincer des dents. Alors à quoi sert cette chose ? Selon Rainer Hahn, directeur d’un centre de soins dentaires à Tübingen, « la gouttière classique n’est en réalité qu’une protection contre l’usure ». Elle vise à déposer sur les dents un revêtement souple qui « absorbe » les mouvements de la mâchoire. PAS VRAIMENT UNE MALADIE De plus, il existe une large variété de mouvements différents. Les spécialistes les rassemblent d’ailleurs sous le terme de bruxisme (du grec brugmos, qui signifie « grincement de dents »). Outre le frottement des dents les unes contre les autres, c’est-à-dire le grincement de dents classique, il existe aussi la crispation spasmodique de la mâchoire, sans mouvement et sans bruit, les claquements de dents, ainsi que les tremblements. « Les bruxomanes font ici travailler leurs dents en mouvements rythmiques », rapporte Ingrid Peroz, de la Charité de Berlin. Par extension, le bruxisme désigne également le fait de contracter les muscles de la mâchoire sans même que les dents n’entrent en contact. Est-ce une maladie ? De nombreuses personnes grincent ou serrent les dents dans la journée sans s’en rendre compte. D’autres pressent leur langue contre les dents ou tirent leur joue vers l’intérieur de la bouche et la mastiquent. « Chez certains adultes, la muqueuse est même devenue blanche », relate Ingrid Peroz, car il s’est formé une couche cornée protectrice. « Par définition, le bruxisme n’est en fait qu’une activité
LIVRES
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p. 92 Sélection de livres p. 94 Neurosciences et littérature
SÉLECTION
A N A LY S E
Par Laurent Bègue-Shankland
CULTURE & SOCIÉTÉ Human psycho, Sébastien Bohler Bouquins, 2022, 280 pages, 19 €
L
e proverbe de Hobbes « L’homme est un loup pour l’homme » est complètement démodé. Le philosophe anglais semblait ignorer que les loups sont l’une des espèces les plus coopératives de la planète. Et surtout, il n’avait pas compris que c’est justement l’humain, et non ce quadrupède jadis si redouté, qui est le danger planétaire absolu. L’humain, ou plutôt l’humanité, car c’est de l’association de milliards d’individus, par ailleurs plutôt empathiques, que naissent des propriétés pour le moins terrifiantes. Dans une sombre fresque clinique, Sébastien Bohler, rédacteur en chef de Cerveau & Psycho, diagnostique en neurocriminologue les déficits sociocognitifs de ce dangereux psychopathe autodestructeur, affligé d’un ego démesuré, et de surcroît « manipulateur, dénué d’empathie et totalement impulsif ». La scène du crime n’est autre que la planète et ses écosystèmes souillés. Human psycho pointe par quel glaçant mélange de narcissisme, d’aveuglement et d’insensibilité, l’humanité cause la disparition d’une espèce vivante toutes les vingt minutes. Jouant sur d’audacieux parallèles entre le cerveau détraqué d’un psychopathe assoiffé d’hémoglobine et la monstruosité destructive du macroorganisme écocide que nous constituons, ce passionnant ouvrage inaugure peut-être un nouveau registre : les neurosciences piloérectiles (car oui, regarder les effets planétaires de nos cerveaux connectés donne vraiment la chair de poule). Mais le pire n’est pas certain : à travers des lois et des régulations collectives, nous pourrions nous doter d’un organe de contrôle salvateur – à l’instar du cortex orbitofrontal, qui régule notre comportement individuel. Au programme, mieux reconnaître la valeur intrinsèque des animaux, mais aussi développer de façon volontariste une forme d’empathie « dans les rouages de l’économie, du droit, de la finance, de l’entreprise », par exemple en instaurant un retour d’information sur les souffrances environnementales causées par chacune de nos actions. Ce n’est qu’à ce prix que nous parviendrons à rééduquer le psychopathe global qu’est devenue l’humanité. Laurent Bègue-Shankland est professeur de psychologie sociale à l’université Grenoble-Alpes et membre de l’institut universitaire de France (IUF).
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SANTÉ Cent Médecines douces validées par la science Grégory Ninot Belin 2022, 448 pages, 21,90 €
ADDICTION Ma cigarette Nathalie Lajzerowicz De Boeck
2022, 192 pages, 14,90 €
En France, près de deux fumeurs sur trois aimeraient arrêter, selon la Haute Autorité de santé (HAS). Ce petit livre de la médecin addictologue Nathalie Lajzerowicz devrait les y aider. À la fois clair et synthétique, il délivre nombre d’informations sur les mécanismes de l’addiction et sur les techniques thérapeutiques existantes. En parallèle, de multiples témoignages de patients lui assurent un côté incarné, qui convainc que ces techniques ne sont pas déconnectées du vécu des fumeurs, mais solidement ancrées dans leurs préoccupations.
« Qu’elles soient naturelles, traditionnelles ou alternatives, des médecines dites “douces” semblent pouvoir tout soigner, tout prévenir. Mais le meilleur côtoie le pire », avertit d’emblée Grégory Ninot. Ce chercheur, qui évalue ces pratiques depuis une trentaine d’années, nous livre ici les résultats des études qui ont mesuré l’efficacité de ces approches. Ils sont parfois surprenants – oui, l’acupuncture appliquée sur l’oreille peut vous apaiser si vous êtes terrorisé par le dentiste –, parfois plus attendus – non, le sperme de taureau ne protège pas de la chute de cheveux. Un guide indispensable pour se repérer au milieu du foisonnement actuel de « thérapies ».
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COUP DE CŒUR Par Nicolas Gauvrit
HISTOIRE DE LA PSYCHIATRIE La Folie dans tous ses états Jacques Antoine Malarewicz Humensciences 2022, 240 pages, 16 €
En matière de souffrance psychique, il n’est pas toujours facile de tracer la frontière entre le normal et le pathologique. Le psychiatre et psychothérapeute Jacques Antoine Malarewicz relate ici les différentes tentatives menées à travers l’histoire, alertant au passage sur le risque de « psychiatriser » la société. Risque qu’il illustre avec une anecdote savoureuse : « Le psychologue britannique Richard P. Bentall a proposé, non sans humour, de compter le bonheur au nombre des affections psychiatriques dans la mesure où, selon lui, cet état serait un sous-type de l’hypomanie – cette dernière étant un état d’excitation excessif qui tutoie le pathologique – et entraînerait une certaine complaisance envers l’alcoolisation et les excès alimentaires. »
PSYCHOLOGIE Les Désillusions de la psychanalyse, Jacques Van Rillaer Mardaga, 2022, 432 pages, 24,90 € PSYCHOLOGIE ANIMALE Un Tanguy chez les hyènes François Verheggen Delachaux et Niestlé
2022, 192 pages, 22,90 €
C’est l’histoire de vampires altruistes, de poissons masseurs, de serpents travestis, d’une association de malfaiteurs entre mérous et murènes, de fils-àmaman chez les hyènes… Avec un talent de conteur certain, François Verheggen, professeur de zoologie à l’université de Liège, nous fait découvrir la fascinante diversité des comportements animaux. Au passage, il s’offre un détour dans notre lointain passé évolutif, grâce aux conclusions de la paléogénétique : vous serez ainsi surpris – ou pas – d’apprendre que ce qui a permis l’émergence de l’espèce humaine, il y a quelques millions d’années, serait une bonne tolérance à l’alcool !
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vec l’Argentine, la France est sans doute le pays le plus freudien du globe. Tandis que bien d’autres nations renonçaient au discours analytique après l’avoir accueilli avec ouverture et curiosité, bourgeonnait dans l’Hexagone une foi imperméable au réel. Quelle solidité théorique, quelle efficacité spécifique ont les approches freudiennes ? Fort peu. Le nouvel ouvrage de Jacques Van Rillaer, version entièrement révisée de son recommandable Les Illusions de la psychanalyse de 1981, est encore et toujours nécessaire. L’auteur, lui-même ancien psychanalyste, fut un des premiers à livrer au public francophone une présentation savante, circonstanciée et accessible de ce que nous savons véritablement de cette discipline et de ses origines. Au fil des pages, on découvre un Freud mégalomane, créatif, narcissique, cultivé mais trop sûr de lui, volontiers paranoïaque, mentant pour imposer ce qu’il pense vrai. Pour autant, Jacques Van Rillaer n’est pas en guerre contre les psychanalystes et reste nuancé dans sa critique. Si les affabulations sexuelles de Freud sont parfois comiques, si l’efficacité du médecin viennois fait défaut, cela ne signifie pas que les analystes soient toujours inopérants. La réussite d’une psychothérapie tient plus à l’alliance thérapeutique, à l’écoute, à la personnalité du clinicien et à la présentation d’une histoire cohérente – fût-elle fausse – qu’à la théorie sous-jacente. Il n’est donc pas contradictoire de combattre les méthodes antiscientifiques et les thèses inconsistantes de la psychanalyse tout en reconnaissant qu’un bon psychanalyste vaut mieux qu’un mauvais psychologue se fondant sur les meilleures pratiques. L’ouvrage se termine par l’évocation d’un personnage qui ferait passer Freud pour un parangon de rigueur : Jacques Lacan, grand expert des affirmations les plus obscures. On lui doit probablement l’émergence de la vague psychanalytique française, et sa prolifération dans des domaines incongrus – arts, littérature, enseignement… Jacques Van Rillaer nous aide alors à voir clair dans le jeu de ce grand maître de l’esbroufe (on dirait aujourd’hui bullshit) au culot si déconcertant que certains universitaires continuent sans relâche à relayer ses idées ! Nicolas Gauvrit est psychologue du développement et enseignant-chercheur en sciences cognitives à l’université de Lille.
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LIVRES Neurosciences et littérature
SEBASTIAN DIEGUEZ Chercheur en neurosciences au Laboratoire de sciences cognitives et neurologiques de l’université de Fribourg, en Suisse.
La Mort d’Olivier Bécaille Enquête sur un enterré vivant
Q
u’est-ce que cela fait de mourir ? La question est brutale et incommodante, certes, mais qui ne se l’est jamais posée ? L’ombre inquiétante du trépas inévitable plane sur nos vies depuis notre plus jeune âge, et malgré tous nos efforts pour l’ignorer, elle reste un problème existentiel indépassable. Pourtant, il existe un angle mort de la pensée qui a été noté par de nombreux intellectuels, dont Goethe et Freud : nous ne pouvons pas nous représenter notre propre non-existence. S’imaginer mort, c’est toujours s’imaginer vivant, mais contemplant son propre décès, par exemple sous la forme d’un spectateur de son propre enterrement. Nous sommes donc confrontés, pour ainsi dire, à deux sortes de mort : notre mort biologique, qui échappe largement à notre entendement, et notre mort sociale, accessible quant à elle à notre pensée. C’est tout le propos d’un des récits les plus
La terrifiante nouvelle d’Émile Zola décrit un personnage qui est enterré vivant après être tombé dans un état de mort apparente. Fiction littéraire ou réalité médicale ?
étranges d’Émile Zola, intitulé La Mort d’Olivier Bécaille, et publié pour la première fois en 1879.
EN BREF
£ L’état de mort apparente d’Olivier Bécaille évoque la catalepsie, une immobilité pathologique. £ Cet état, susceptible d’avoir des causes variées, est parfois déclenché par des facteurs purement psychologiques. £ Il est alors réversible, ce qui conduit le personnage de Zola à retrouver sa mobilité… une fois enterré vivant !
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DES TRACES D’ONGLES DANS LE CERCUEIL Dans cette nouvelle, Zola joue avec les nerfs du lecteur en exploitant un motif pour le moins terrifiant, et fréquemment employé dans la littérature fantastique de l’époque : la peur suscitée par l’enterrement prématuré. Être enterré vivant, peut-on seulement imaginer une expérience plus horrible ? Le phénomène n’était pourtant pas si rare avant l’avènement de la médecine moderne et des techniques développées pour diagnostiquer la mort avec certitude. Les anthropologues et archéologues rapportent nombre d’anecdotes sur des morts présumés retournant au village après leur inhumation, ou sur des cercueils marqués de traces de lutte intérieure, comme des ongles plantés dans les
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À retrouver dans ce numéro
p. 84
ENDORPHINE
p. 70
Au-delà de 60 ans, le cerveau produirait de plus en plus d’endorphine, de sorte que le niveau de bonheur remonte fortement. Vers 40 ans, il est minimal à cause de l’adrénaline et du cortisol, hormones du stre… p. 66
IL PENSE, DONC JE SUIS !
Notre cerveau se trompe parfois sur l’origine de ses propres pensées : il croit qu’elles viennent d’ailleurs, et non de ses propres neurones… D’où, peut-être, la croyance tenace en la télépathie.
ASTRONARCISSISME Les personnes qui prêtent foi à l’astrologie seraient, selon une récente étude, plus narcissiques que les autres. Elles considèrent qu’elles ont un destin écrit dans les astres, mais du côté des aptitudes cognitives, elles obtiennent en moyenne de moins bons scores de QI…
p. 80
VOYAGE SPATIAL DISCRET
p. 86
13 %
« Être dans la lune est une bonne façon, pour un élève, de stimuler son système de récompense tout en donnant l’impression d’être sage et d’écouter. » Jean-Philippe Lachaux
des adultes seraient atteints de bruxisme – ils grinceraient des dents en dormant. Par ce comportement, le cerveau se déchargerait d’un surcroît de stress – mais provoque une usure prématurée des dents. p. 34
p. 94
CERCUEIL À SONNETTE
Au xviiie siècle, des personnes victimes de catalepsie furent enterrées par erreur. On inventa alors des cercueils munis de dispositifs d’alarme actionnables de l’intérieur. Au cas où !…
BONHEUR INOPINÉ
Des personnes à qui on fait écouter un morceau de musique en leur demandant de s’efforcer de l’apprécier retirent moins de plaisir que celles à qui l’on fait simplement écouter le morceau !
p. 22
30 ANS
L’âge auquel notre cerveau contient le plus de fibres de substance blanche, ces câbles neuronaux qui connectent les différentes aires du cerveau les unes aux autres.
Imprimé en France – Maury imprimeur S. A. Malesherbes– Dépôt légal : juillet-août 2022 – N° d’édition : M0760145-01 – Commission paritaire : 0723 K 83412 – Distribution : MLP – ISSN 1639-6936 – N° d’imprimeur : 263113 – Directeur de la publication et gérant : Frédéric Mériot