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Éditorial
from hors-série 303-175
by Revue303
On ne trouvera, dans les images qui illustrent ce numéro, ni surabondance d’effets ni sensationnel, rien d’« amazing », contrairement à une tendance actuelle qui s’applique, en toute chose et en toute occasion, à vampiriser notre attention, prendre en otages notre temps et notre vitalité. Cette publication n’est pourtant pas sans jeter un léger trouble, car le paysage nous a le plus souvent été présenté comme immuable et dans sa seule dimension pittoresque : des considérations flatteuses et forcément réductrices, qui nous ont longtemps empêchés de penser le paysage dans sa globalité. Dans le sillage des grandes missions photographiques comme celle de la DATAR, dans les années 1980, l’État et les collectivités territoriales tentent aujourd’hui de répondre, notamment par le biais de commandes artistiques ou documentaires passées à des photographes, aux épineuses questions que pose la dégradation de l’environnement. Le médium photographique confirme ainsi sa capacité à réunir des données à la fois artistiques, historiques, politiques et sociales à même d’étayer une réflexion sur le paysage. Paysages photographiés… Ce titre témoigne d’un accomplissement. Celui de l’expérience du photographe face au décor, rural ou urbain, que constitue un paysage façonné en profondeur et de très longue date par l’action de l’homme. Les auteurs – photographes et rédacteurs – qui ont contribué à ce numéro ont une vision partagée entre le réel et l’allégorie, et de ce fait participent à la (re)découverte de la région des Pays de la Loire, représentée d’une manière nouvelle. Les pages qui suivent proposent une expression étendue des points de vue qui oblige à reconsidérer le pouvoir des images. Représenter le paysage est une gageure car il est tantôt immobile, tantôt mouvant, faussement l’un ou l’autre. Son apparence présente tour à tour de nombreuses facettes : il est naturel, anthropisé, politique, industriel, intellectuel, urbain, pittoresque, quotidien... La liste est longue, qui dessine en filigrane la responsabilité du genre humain : le paysage parle de nous. En alerte, le monde vit aujourd’hui un moment de bascule que le photographe explore physiquement. Il franchit les fossés, explore les villes, traverse les champs, les rues, les friches et les parkings, grimpe au sommet des monts et des tours, parcourt les vallées : être arpenteur de territoires est le dénominateur commun de tous les photographes de paysage depuis l’invention du médium. Leurs cadrages aspirent à nous faire rêver la continuité du paysage.
Il serait pourtant hasardeux d’enfermer les photographes dans des catégories étanches : la frontière est bien incertaine entre pratique artistique et pratique documentaire, et dans ce domaine le chevauchement prévaut.
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À ses débuts, la photographie de paysage était considérée comme relevant du régime de la vérité car elle représentait le réel de façon « objective » : elle était donc reléguée à un rôle strictement documentaire. Le regard porté sur les missions, commandes et carrières photographiques a changé, et la photographie a gagné d’entrer dans le domaine de l’art. Nous devons aux historiens de la photographie, à des chercheurs, écrivains, philosophes et institutions d’avoir analysé, par le biais de nombreux livres et expositions, la façon dont les artistes photographes s’emparent aujourd’hui du paysage, un sujet devenu très sensible. C’est ce dont témoignent les photographies présentées dans Paysages photographiés, entre objectivité formelle et émotion intense.
Pierre-Henry Frangne