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Nature humaine

Loin du grandiose sauvage, les paysages

Que serait Guérande sans ses marais salants ? Saint-Nazaire sans la silhouette de ses portiques titanesques et des paquebots qui s’y construisent ? Les collines du sud-est de Nantes sans leurs vignes ? Les campagnes sarthoises sans leurs « trognes », ces arbres taillés au gré des besoins en bois de chauffage et d’outillage ? Ces paysages si familiers nous semblent pour certains naturels, pourtant ils ont tous été modelés par les humains. Qu’on le regrette ou non, ces derniers font partie du paysage, non seulement par leur présence physique de plus en plus imposante mais aussi par la manière dont ils transforment l’espace autour d’eux. Bien souvent, ce que l’on considère comme espace naturel est en effet aménagé, entretenu, voire exploité. L’empreinte humaine est plus flagrante lorsqu’on est face à une usine ou l’extension d’une ville, mais les exploitations agricoles ont elles aussi changé le visage de nos campagnes. Quant aux forêts, si quelques zones échappent à la gestion séculaire de l’État, voilà bien longtemps qu’elles ne sont plus primaires.

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Paysages utilitaires

Quand on évoque le fait de regarder un paysage, cela correspond la plupart du temps à admirer une nature non marquée par la société, dans un moment de temps libre. Rares (et chanceux) sont celles et ceux qui s’émerveillent chaque matin du trajet qui les mène au travail. Pour notre confort, nous avons aménagé notre cadre de vie, avec plus ou moins de considération pour les panoramas. Complexes industriels ou commerciaux, zones pavillonnaires, mais aussi voies de chemin de fer ou installations liées au réseau d’énergie... La transformation est souvent imposante, parfois brutale, au point que ces constructions peuvent être accusées de « gâcher le paysage ». Leur fonction l’a emporté sur la beauté ou la simplicité des étendues qui les précédaient. Qu’ils soient de végétation ou de béton, ces paysages du quotidien ont une valeur utilitaire, qui évolue sous l’effet des dynamiques sociales, économiques et parfois environnementales. Passer dans le domaine de l’art est, pour n’importe quel sujet, une forme de légitimation. En matière de paysage, l’œil humain focalise son attention esthétique sur certains critères : un « beau » paysage doit exprimer l’immensité, l’harmonie, l’inattendu... Même s’ils retiennent depuis longtemps le regard des peintres puis des photographes, les paysages utilitaires font quant à eux rarement l’objet d’une analyse théorique en art. Le plus souvent, on leur assigne un rôle de décor, plus ou moins riche en détails, qui peut, au mieux, symboliser la richesse, le labeur ou encore la maîtrise. À l’inverse, lorsqu’ils sont au centre d’une œuvre, l’analyse qui en est faite est la même que s’ils avaient été des paysages naturels. On les admire alors pour leur gigantisme ou la surprise créée par le contraste entre la végétation et une construction.

Du document à l’œuvre d’art

Historiquement, les photographes qui immortalisent nos paysages quotidiens suivent d’abord un objectif documentaire selon deux axes, la recherche de réalisme et le goût du pittoresque. Au fil du xxe siècle, la photographie humaniste, qui pioche sa poésie et son intensité dans la

Presqu’île de Guérande, Samuel Hense, février 2018, dans le cadre de la résidence Recherche photographique de la galerie Hasy, Le Pouliguen, Loire-Atlantique.

Lilian Froger

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