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Vus du ciel

Les paysages et la photographie aérienne

L’apparition de la photographie aérienne en France au xixe siècle a transformé la perception et la compréhension même des paysages

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La première photographie aérienne, prise en 1858 depuis la nacelle d’un ballon captif placé au-dessus du Petit-Clamart 1, est généralement attribuée à Nadar. Et, immédiatement, celui-ci exalte la puissance de « révélation » (au sens propre comme au sens figuré) de la photographie par rapport au paysage : « Ce n’est qu’un simple positif sur verre, très faible par cette atmosphère si brumeuse, […] mais qu’importe ! Il n’y a pas à nier : voici bien sous moi les trois uniques maisons du petit bourg : la ferme, l’auberge, la gendarmerie […]. On distingue parfaitement sur la route une tapissière dont le charretier s’est arrêté court devant le ballon, et par les tuiles des toitures les deux pigeons blancs qui venaient de s’y poser 2 » La photographie provoque un sentiment de nouveauté, d’inédit, de non encore vu. Pourtant, la perception et la représentation aériennes des paysages ne sont pas des choses récentes en 1858. Quand la photographie s’en empare, la philosophie, la littérature et la peinture ont développé depuis longtemps le thème du regard aérien jeté sur le monde. Ainsi, pour les philosophes de l’Antiquité, la vue de haut est un moment décisif des exercices spirituels, celui où, regardant « d’en haut les choses humaines et, contemplant les choses supérieures et célestes, nous méprisons nos choses humaines, comme mesquines et étroites 3 »

Aux xvie et xviie siècles, la représentation aérienne des paysages est une des dimensions de la topographie, qui s’applique en particulier à la représentation des villes « à vol d’oiseau », c’est-à-dire en perspective.

Au xixe siècle, de nombreux dessinateurs publient avec succès des recueils de vues de villes et de paysages (supposées prolonger des voyages en ballon). Ainsi, par exemple, les « panoramas » édités par l’architecte Alfred Guesdon dans des séries intitulées Voyage aérien en France (1848), ou La Suisse à vol d’oiseau (1858), sont également largement présents au même moment dans les pages du magazine L’Illustration 4 .

Autrement dit, que ce soit sur le registre moral, sur celui de la description des lieux ou bien dans une perspective pittoresque, la représentation aérienne des paysages fait déjà partie des habitudes visuelles du public lorsque Nadar et d’autres photographes diffusent leurs premières vues. Cependant, la photographie aérienne, et ceci en grande partie grâce à la puissance de réalité des images ainsi produites, va progressivement imposer auprès du public ses propres codes visuels et un nouveau rapport aux paysages. Des expériences de l’espace inédites et de nouveaux paysages vont alors apparaître et s’installer.

La vue aérienne : un bouleversement du regard

Il faut attendre le début du xxe siècle, et la Première Guerre mondiale, pour que la photographie aérienne s’impose dans les cultures visuelles de la modernité. Parallèlement aux progrès de la photographie elle-même, l’aérostation (ballons libres et dirigeables) puis l’aviation – c’est-à-dire des dispositifs techniques et matériels permettant de voler et de naviguer de façon suffisamment durable et effective au-dessus des paysages pour qu’il soit possible d’y faire une prise de vue –

Assérac, Loire-Atlantique. © Photo Francis Leroy / www.imag-in-air.com

1. Alors appelé Petit-Bicêtre.

2. Nadar, À terre et en l’air –Les mémoires du Géant, Paris, 1864, p. 58. Le cliché semble avoir été vite perdu… s’il a jamais existé. Voir à ce sujet T. Gervais, « Expérimentations photographiques. La vision en plongée, de Nadar (1858) à Gaston Tissandier (1885) », dans A. Lampe, Vues d’en haut, Centre Pompidou-Metz, 2013, p. 51-65.

3. Cicéron, Premiers Académiques, II, 41, 127. Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 246-247.

4. Voir J.-M. Besse, « Villes européennes à vol d’oiseau : le cas d’Alfred Guesdon (1844-1855) », dans F. Pousin et M. Dorrian (éd.), La vue aérienne : jalons pour une histoire culturelle, Genève, Éditions MetisPresses, 2011, p. 55-67.

Julie Noirot

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