Le Guillon N°57 - FR

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«Propos de clavende»

prendre les commandes sanitaires d’un canton de Vaud plongé à son tour en pleine pandémie. «Les Prophéties du Chancelier» n’ont décidément plus rien à envier à celles de Nostradamus! La seule faiblesse du scénario tenait à l’absence d’enveloppe à entête officiel et d’oblitération postale. Qu’à cela ne tienne! Profitant d’un moment d'inattention, je glisse la missive dans la paperasse du gouverneur comme si elle venait de sortir de la sacoche du facteur. Et là, le miracle attendu se produit: le bon Philippe Gex, qu'une simple étincelle suffisait parfois à embraser, prend feu comme une cuve de kérosène, les flammes se propageant alors à l'ensemble du Petit Conseil. La coupe promise à la désinfection, voire remplacée par du plastique, c’en était trop: en touchant à son emblème, c’est la Confrérie qu'on assassinait. Et chacun de pester sans distinction contre l'incompétence des fonctionnaires cantonaux, le mépris de l'Etat pour la vie associative, et les rabat-joie impies, «probablement de gauche, d'ailleurs», soit dit en passant. Se tenant les côtes de rire, le Chancelier est prestement démasqué, mais c'était sans compter avec les effets démultiplicateurs du deuxième acte. Décidé à son tour à rouler dans la farine le Grandconseil, soit l'autorité législative de la Confrérie du Guillon, Philippe Gex se mue alors en arrosé arroseur. Arborant la mine sombre du résigné face à l'insondable

bêtise humaine, il entreprend de lire le contenu de la lettre scandaleuse. La réplique est sans commune mesure avec le séisme initial: au premier paragraphe déjà, la salle vocifère, ivre de colère. Des juges cantonaux, des anciens conseillers d'Etat, autant de gens rasés de frais, d'habitude si placides, éructent brusquement leur rage contre ce coup de poignard infâme. On hasarde un instant l'hypothèse d'un poisson d'avril, avant que ne redoublent de violence les appels à la vengeance contre la traîtresse et stupide autorité qui avait pu prendre une décision aussi insensée. La mascarade finalement dévoilée, les esprits s’apaisent, heureux de s’être réveillés d'un mémorable cauchemar. Délirante, mais prémonitoire, cette farce a gravé des souvenirs impérissables dans la mémoire de ceux qui l'ont vécue. Hier impensable ou presque, aujourd'hui triste réalité, l'épidémie a poussé la Confrérie du Guillon à réfléchir sans tarder à une autre forme d'administration du sacrement de sa communion, à quelque chose de spirituellement fort, mais d'hygiéniquement pur. «Bois ce vin, et sois sain comme lui!» Nous en reparlerons à coup sûr, mais certainement pas autour d'un calice jetable... Edouard Chollet, chancelier

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