A Moroccan Way Of Life

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CASA BLANCA A morrocan way of life



CASA BLANCA A morrocan way of life

Rhita Cadi Soussi

encadré par elke mittmann - 2012 école nationale supérieure d’architecture de Versailles



Introduction ............................................................................................................................... P. 6

1/ The shape of desire and dream ........................................................................................ P. 8 - Just get me plenty of glamour - Make sure it screams luxury ! - Palm Springs & le modèle californien - Transmission - Genius Julius

2/ Le pouvoir de la modernité .............................................................................................. P. 18 - Hollyblanca - Bienvenue à Anfa ! - Aïn Diab

3/ Morrocan Wall .................................................................................................................... P. 32 - Anfa Prequel - Secession of the Successful

CONCLUSION ................................................................................................................................ P. 36

Bibliographie ............................................................................................................................. P. 38

Iconographie ............................................................................................................................ P. 39


INTRODUCTION


À quoi reconnait-on une ville? Souvent à son architecture ou à sa population, à ses contrastes ou à ses contradictions, à son image réelle ou rêvée,… parfois à ses palmiers. Casablanca, fait partie de ces villes qui transgressent les limites de la globalité. C’est une hétérogénéité qui semble s’effacer derrière les façades homogènes de ses gros plans, et que l’échelle agrandie brouille : Casablanca, c’est cette réalité qui remet les pieds sur terre au rêve californien.

Nous sommes en Californie (* nom d’un quartier de villas à Casablanca), mais pas tout à fait, c’est ce que le soleil nous fait croire ou nous laisse penser. C’est ce que, l’ostentation et la grandeur de la modernité architecturale, demeure de ces «prisonniers volontaires du rêve américain», veut véhiculer, niant l’inextricable lien, entre bidonvilles et villas d’Anfa (*quartier le plus riche du Maroc) . Plus qu’un label, plus qu’un nom ou une existence patrimoniale, c’est en ce lieu que l’élite recherche, à la fois une identité qu’au fil des décennies elle s’est créé et qu’elle perpétue, mais aussi un véhicule tangible et moteur de la réussite et de l’ascension sociale. Mais ces villas d’Anfa et de Californie, ne constituent que l’aspect flamboyant d’une ville en constante reconstruction, qui ne garde de son passé que les images d’une ville d’excès à l’identité complexe. C’est une ville dont le passé reflète le présent, et dont l’image fondamentale n’est qu’imposture. À travers «les villes des privilégiés» c’est un des morceau de la vie et de la ville marocaine qui est présenté, séparé par tant de murs, qu’il y a de mondes. Mais avant de comprendre l’image, il faut se saisir de son influence. Bienvenue dans la fabuleuse Californie, la modernité à chaque coin de rue, encerclée de murs d’enceinte, nichée sur une colline ou proprement alignée sur une rue bordée de palmiers, que la vue projette sur la mer et où l’on plonge dans sa piscine pour aussitôt en sortir souriant. On y boit décomplexé du Coca Cola, et on se prélasse devant les yeux ahuris de la masse incomprise. De la maison, en passant par la piscine, et le regard condescendant mais heureux de ses habitants, l’idée de la vie moderne à l’insoupçonnable bonheur a pris forme à travers l’architecture. Photographiée, peinte, filmée, habitée… Idéalisée.

Aspect mythique sur papiers glacés. 6



THE SHAPE OF DESIRE AND DREAM architecture et vie californienne des années glamour c h a p i t r e 1

L’architecture moderne américaine a d’abord été la conséquence d’une mode et d’un mode de vie. Dans les années 50, Il fait beau en Amérique, et encore plus en Californie. Les acteurs du quotidien prennent ainsi place dans leur tout nouveau décor, déboulant dans leur vrombissante Cadillac, dans le but se reposer avant même d’en avoir besoin. Leurs chaises nonchalamment posées (mais pas trop non plus) en face de leur piscine, ils arborent avec fierté le flambeau de leur réussite : ils jouent à la perfection le rôle d’homme moderne qu’ils se sont attribué. Cette société est enclin à son effervescence, à la nouveauté, aux changements des moeurs, à l’évolution du goût et à l’amélioration de la technique. La société de consommation par excellence déverse alors sur elle-même un nouveau culte : le culte glamour (Alice T. Friedman le défini comme étant un terme aussi bien utilisé pour un objet, une personne, ou une expérience, à condition qu’il ou elle soit magique). Elle démontre dans «American Glamour and the evolution of modern architecture» que les façades lisses et brillantes de l’architecture des années 40 et 50 reflète une culture passionnée par les promesses du Jet Age, ainsi qu’une fascination grandissante pour cette architecture moderne de demi-siècle dont les américains adoucissent les contours de l’avant-garde : William Jordy, historien d’architecture, n’aura pas oublié de le mentionner dans son essai sur Marcel Breuer : «et c’est un florilège de patios, de piscines et de barbecue qui encouragera un matérialisme excessif doublée d’une paresse nationale». Ces maisons renvoient aussi à un univers du good life modern, comprenant l’idée du confort, de la domesticité des banlieues, des loisirs.. ce qui n’a déjà plus grand rapport avec l’origine d’une architecture se voulant fonctionnelle, honnête et

authentique , des idées qui ne concordent pas avec une Amérique en quête de d’excitations visuelles, une volonté populaire et médiatique d’imageries de l’après-guerre auxquels les architectes tentent de répondre et véhiculent à travers leurs oeuvres aux aspirations théâtrales, souvent plus photogéniques qu’habitables. Qu’importe : le rêve est américain, et l’Amérique a un rêve : celui de recouvrir de paillettes le morceau de territoire qui les fera briller. I.I JUST GET ME PLENTY OF GLAMOUR L’idée du glamour nous est familière, parce qu’elle nous évoque tout à la fois, des gens, des endroits et des expériences, pour la simple raison que nous les avons vu se dérouler devant nos yeux… mais souvent derrière un écran : les panneaux publicitaires, le cinéma, les magazines... Elle revêt pourtant de nombreuses définitions : le glamour est attirant mais pas inaccessible, c’est un luxe imaginé que le consommateur peut s’offrir Le glamour américain se distingue cependant de toutes les autres sortes de glamour : le glamour français de la haute couture et de la nightlife parisienne se détache largement de l’image rock’n’roll d’un shinny Hollywood, de classe (Audrey Hepburn, Grace Kelly, Cary Grant) ou de décadence (Marilyn Monroe, Elvis Presley, James Dean). Cette mouvance, ce style, cette mode, cette influence, ou peut importe sa dénomination, sera glamoureusement édifiée : les architectes américains, entre la fin de la seconde guerre mondiale et la mort du président Kennedy, rendront ce rêve possible. De la même manière qu’un produit de consommation, ou qu’un film populaire, ces bâtiments racontent une histoire, offrant de multiples opportunités de faire intrusion dans leur monde d’exceptionnelle

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fantaisie, en se déplaçant littéralement dans l’expérience de la vie moderne, un cocktail Martini à la main. Dans les années 40 50, cette tendance se confirme par la commande : il se construit plus de maisons que de bâtiments publics, et les businessmans qui, au lieu de s’inspirer de l’histoire architecturale ou de celle des élites, se tournent plutôt vers leur propre expérience de l’apparence de leur habitat et de leur façon de l’habiter. Le «glamour» est un univers débordant de sensations, de moues boudeuses, de poses lascives, de regards aguicheurs mais toujours dans les limites du savoir-vivre. C’est la forme douce que prend la domination hollywoodienne. Il possède les contours flou de l’envie, et n’est proprement défini que par cette quête de la possession perpétuelle. Il façonne les esprits et les villes californiennes, et l’archétype de l’habitat moderne devient la vitrine transparente de tous ces américains qui ont choisi de se donner en speactacle dans leur dernier gadget consommable. I.II & MAKE SURE IT SCREAMS LUXURY ! Cette architecture est aussi porteuse d’un message fort : celui que se fatigue à crier l’Amérique aux oreilles du monde : l’Amérique est une démocratie puissante, forte de sa culture de masse et de sa réussite économique. Le voisin américain secoue les codes de cette arrogance conscient de son triomphalisme, de sa supériorité capitaliste et de sa réussite sociale. Ces lecteurs de Life et Fortune, sont puissants et indépendants dans cette Amérique fastueuse. La villa devient le précieux joyaux que l’on conserve pour mieux l’exhiber. « People desire buildings that represent their social, ceremonial, and community life. They want these buildings to be more than a functional fulfillment. They seek the expression of their aspirations in monumentality, in joy and excitement.» _ Sigfried Giedion. Ce goût exacerbé de la culture populaire sera entendue par Neutra, Saarinen, Johnson & Lapidus, utilisant dans leurs bâtisses de la couleur, de nouvelles techniques de mises en scène empruntées aux cercles influents de la mode et du cinéma, et réussissent à établir une connexion avec leur public : hommes et femmes sont conquis, délaissés par les frustrations des années 20, ils décident de mener une vie théâtrale et superficielle. Ce mode de vie devient un besoin.


« The people of America have found a new mode of living, and southern California, the richest community in the world, is fostering the economical, colorful, casual California Way of Life that you may all enjoy. » _ Richard Neutra, The Californian, Mars 1948 Aux États-Unis, c’est en Edgar Kauffmann, un riche entrepreneur, et ses descendants (Kauffmann Junior) que l’architecture moderne post-war trouve son mécène : ils deviennent des figures clé de ce modernisme architectural à l’américaine, attirés par les idéaux et les motivations qui la définissait, la rattachant indéniablement à une économie florissante : «so sure that housing will dominate the postwar economy» - disait Kauffmann, et projetait de vendre tout ce qui entourerait le quotidien de ces hommes modernes, prêt à tous les sacrifices pour obtenir leurs cuisines dernier cri, l’écran de télévision qui leur renverra leur propre image et des radios pour y écouter cette musique dont tout le monde parle. C’est en Richard Neutra, William Lescaze et quelques autres européens exerçant aux ÉtatsUnis que l’Amérique se ressource de nouveauté : nouvelles technologies, nouveaux matériaux, nouveaux produits qui donnaient à l’architecture un air de richesse et de prospérité, allant de paire avec les nouvelles voitures américaines et leur côté standardisé. Le magazine Fortune titre en 1935 « Modernism : the House that works », destiné à tous ces hommes modernes : la maison qui leur convient n’est plus une métaphore. La piscine devient aussi un élément phare, presque indispensable pour ces maisons de luxe. L’image d’une piscine bleue claire illuminée par le ciel dégagé, les cactus et les chaises longues font maintenant parti intégrante du rêve. À Palm Springs, deux architectes E. Stewart Williams et Albert Frey attire l’attention de clients célèbres à la recherche d’un havre de paix à l’eau chlorée photogénique. I.III PALM SPRINGS & LE MODÈLE CALIFORNIEN Palm Springs est un mirage. Une ville improbable posée au milieu de nulle part. Un studio à ciel ouvert où ont déjà travaillé Julius Shulman, Slim Aarons et Bruce Weber. On aurait pu y croiser un Ansel Adams, un Garry Winogrand, un Stephen Shore ou un William Egglestone... Destination glamour des sixties, fréquentée par la high société de la côte Ouest c’est l’image seule pouvant révéler le rêve. C’est le luxe, parties & sexy sun de

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Marilyn Monroe, Frank Sinatra, Raymond Loewy, Clark Gable ou encore Howard Hugues. L’architecture de Palm Springs rejette le rationalisme pour être en phase avec le tout récent art de vivre, fantaisiste et optimiste : les paysages s’immiscent dans les volumes internes. Parois de verre, lignes épurées en aluminium, toits aériens, piscine technicolor, introduisent un design novateur viscéralement lié à l’intense soleil. La liberté des plans, à l’image de la liberté des moeurs, devient absolue, et un niveau dialogue avec l’environnement s’engage. Henry Dreyfuss, industriel, se demande en 1947 : « Is California, where youthful thinking and new ideals are encouraged and fostered, destined to become the world’s new design center? » La réponse est sans conteste une évidence : l’esthétique californienne a révolutionné la vie moderne américaine, et dont la culture définira l’imaginaire collectif : une utopie démocratique dont la météo clémente permet de vivre au regard de tous. Mattel Inc. est fondée en 1945 dans le sud de la Californie. On y produisit le premier modèle de masse de l’idéal féminin : Barbie, avec son désormais connu maillot à rayures noires et blanches inspiré de la «beach culture» et de la sophistication des stars des années 50. La première «Dream House» de Barbie vint peu de temps après, pensé comme la mid-century modern house .. mais en miniature. « California modernism became a different, and hugely influential, model for the rest of the country and was widely admired abroad because it reflected the way people really wanted to live. « extrait de Built in USA 1932 1944 , Museum of Modern Art NY 1944. I.IV TRANSMISSION Immédiatement après la seconde guerre mondiale, les directeurs de journaux et de magazines du monde entier étaient en quête de reportages pour leurs publications. La télévision n’avait pas encore absorbé l’économie des médias. Les magazines étaient volumineux et grâce à l’apparition d’un petit marché publicitaire, il n’y avait jamais eu autant de demande de photos. La décennie des années 50 fut l’une des plus productives de l’histoire de la presse. Hormis les journaux dédiés aux professionnels («Architectural Forum», «Progressive Architectu-

re», «House & Home»..) c’est un type de littérature assez différent qui sensibilisera le grand public aux thèmes architecturaux : « American Home», « Architectural Digest « , « Better Homes and Gardens», « Good House-keeping» , « Ladie’s Home Journal», « House & Garden « et « House beautiful « jouèrent un rôle essentiel dans la promotion d’une vision moderniste de la vie à un public non spécialisé. Ils se concentraient sur l’architecture résidentielle pour mettre en évidence les valeurs domestiques et les priorités données au logement de la société américaine de l’après-guerre, tout en assurant dans le même temps la publicité des architectes auprès de leur public. Des titres de la presse populaire comme «Life» , «Look» , «Newsweek», «Horizon», «Sunset» suscitaient également un intérêt pour l’architecture. Ces publications catalysaient l’opinion publique sur certains architectes et/ou bâtiments et vendaient le modernisme comme un style global. Par ailleurs, le «Los Angeles Times Home Magazine» joua un rôle essentiel dans la formation d’une culture architecturale moderne en Californie du Sud. Ce supplément dominical du «Los Angeles Times» publiait régulièrement des projets résidentiels dus aux représentants du Style international. Le magazine devient un outil pédagogique qui éduquait systématiquement des lecteurs non spécialisés et les aidait à décoder et à accepter l’habitat moderne tout en renforçant son statut social autour d’un consensus. Les travaux de Shulman présentaient au reste du monde les bâtiments édifiés par les architectes de la Californie. D’ailleurs, sans lui, ces architectes n’auraient probablement jamais joui d’une telle notoriété. Il avait le pouvoir de transformer une réalité architecturale en de nombreux moments de rêves. Il avait su transfigurer les promesses d’une vie meilleure. I.V GENIUS JULIUS Il y a dans les clichés de Shulman, cet avant-goût de paradis. La possibilité, presque tangible, de vivre heureux sous le soleil californien : dans ses photographies, l’architecture devient séduisante, confortable, immortelle. Le sud de la Californie n’a jamais été aussi attirant, les murs de verre et les boîtes blanches de la modernité se parent d’une glamorous aura, véhiculant l’image d’un lifestyle où se confondent intérieurs et extérieurs, plaisirs et ambitions, nature et artifices, et où le bonheur coexiste avec l’homme. Des photographies comme celles de la Kaufmann House de Richard Neutra (1947) ou de la Case Study House

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n°22 de Pierre Koenig (1960) sont devenues des icônes de la vie d’après-guerre en Californie. « Julius, vous avez encore réussi ! Félicitations pour cette splendeur inattendue ! » L’architecte paysagiste reçut des centaines de lettres sur le thème « comment puis-je réaliser une si ravissante mer de papillons blancs? » c’était un jardin d’azalées fanées, sous le brouillard de la Californie du Sud, remplacé par les propres papillons de Shulman : des kleenex blancs, secrètement mis en scène par le photographe. Il ne s’agissait plus simplement de produire une image exacte de l’oeuvre architecturale, mais bien de promouvoir l’architecte et son travail. La photographie a contribué, par son impact graphique, à promouvoir l’image de l’édifice. L’effort du photographe est double : il doit montrer, d’une part, le travail de création personnel de l’architecte et de son cabinet dans la définition d’un concept architectural et, d’autre part, la valeur commerciale générée par l’organisation de l’espace et la qualité de confort procurée à ceux qui vont occuper cette construction : « j’ai découvert que la logique de ma fonction ne consistait pas seulement à prendre de «jolies photos» mais que je devais aussi «accompagner» l’intention de l’architecte en structurant mon image.» Dès 1950, Shulman introduira régulièrement des figurants dans ses constructions photographiques, eux aussi seront soigneusement «composés». Chaque photographie est à la fois une interprétation et un document sur sa propre époque. La photographie de Shulman prouve à quel point la photographie d’architecture est un moyen de construire un ordre des choses à voir. Ses reportages les plus appréciés sont tenus pour les synthèses de la culture de l’espace et du style de vie de l’époque qu’ils représentent. La Californie fait alors office d’exemple de lifestyle, d’architecture, de goût et de glamour, qui déversera son influence sur le pays, mais aussi,... sur le monde grâce aux médias, aux talents des photographes, aux articles de magazines, aux films d’Hollywood et à ses personnages cultes. Le monde voudra s’identifier à ce rêve faussement dénué d’ennuis. C’est ce qu’à Casablanca, au Maroc, une poignée de privilégiés se donneront comme objectif, et c’est sous le soleil marocain que tout commence enfin.

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«California lacks a lot of the rules and restrictions the East has. Every house is a different style, different material, different color. There’s a lot of craziness out there.» - Parker Stevenson



LE POUVOIR DE LA MODERNITÉ LA MODERNITÉ, ARCHITECTURE DES PRIVILÉGIÉS c h a p i t r e 2

La modernité est à Casablanca, un aspect indéniable. Laboratoire expérimentale d’illustres architectes (Marius Boyer, Erwin Hinnen, Léonard Morandi, Wolfgang Ewerth, Jean-François Zévaco, Robert Maddalena, Pierre Coldefy, Élie Azagury,...) et urbanistes (Henri Prost, Écochard..) la modernité s’est transmise par ces travaux de grande ampleur. Mais quelle est réellement la vision du marocain sur la vie moderne et comment se matérialise-t-elle? La ressemblance et la persistance de la colline d’Anfa avec celles de la Californie est frappante, ou presque. « Renault : Et qu’est-ce qui a bien pu vous amener à Casablanca ? Rick : Je suis venu à Casablanca pour les eaux. Renault : Les eaux ? On est dans le désert ici. Rick : J’ai du être mal informé. » _ dialogue de Casablanca, film de Curtiz 1942 Comme l’on appelé Monique Eleb et Jean-Louis Cohen, la période d’après 1945 à Casablanca est qualifiée de période du nouvel âge d’or : « quand le visiteur américain arrive au Maroc pour la première fois, souvent la seule ville dont il connaît le nom, celle qu’il est déterminé à voir est Casablanca… » _ Paul Bowles, 1966. Cette période est marquée par la forte diffusion d’idéaux culturels qui envahissent la ville et ses esprits sous la forme d’une américanisation beaucoup plus précoce qu’en métropole qui se reflétera aussi bien dans les modes de vie que dans l’architecture de l’habitation bourgeoise. Ce processus est lié au débarquement des Américains sur le territoire casablancais, qui tant bien que mal donneront vie à l’idéalisation de la ville américaine par le cinéma. Casablanca devient alors une ville qui rêve d’Hollywood, de ses strass et de sa décadence : « À Casablanca, on pouvait tout acheter ou tout ven

dre au marché noir - des devises, des bijoux, des filles et même des vies humaines » _ Howard Koch, 1973. Le magazine Life publiera une cover story sur les aventures d’un officier américain et d’une française réfugiée au Maroc : « Rendez-vous à Casablanca », une autre séance photographique où la réalité s’engouffre hors du cadre, rendant la ville aussi clichée qu’elle l’est dans le film de Curtiz, confirmant sa réputation d’outre-mer, celle des ruelles sinueuses et des cheikhs en turban. Les clichés à partir desquels Julius et Philip Epstein dressent le scénario du film sont plus proches de ceux de la ville de Tanger. L’image de Casa est prise en otage par Hollywood. Elle devient la ville de toutes les aventures, et semble aux yeux du monde du cinéma être le moi adéquat des conflits et des intrigues ( une réputation qui perdure, car y seront tournés des films hollywoodiens comme Syriana en 2005 et Contagion en 2011 ) : Casablanca est chargée d’un sens nouveau aux yeux du monde. Mais qu’en est-il d’un Casablanca chargé d’un sens nouveau aux yeux du Maroc. II.I HOLLYBLANCA André Adam s’intéressera à Casablanca comme le lieu de la transformation sociétale. Il avait pressentit, que cette ville deviendrait l’archétype moderne du melting culturel qu’à vécu la ville. La contagion jusqu’à la copie, d’un mode de vie qui n’existe pas. Sur le territoire marocain, ce living in a modern way comme le mirage, comme un exemple, d’un rêve mondialisé, qui en influence les pensées, mais qui surtout matérialise la ville en une image fidèle à sa fulgurante copie. « La culture occidentale est à la source d’une révolution technologique qui transforme la face du monde et qui s’étend à toutes les sociétés sans exception, avec une rapidité et un succès, il est vrai, inégaux. Aucun ne la refuse, parcequ’elle est, dans le monde d’aujourd’hui,

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la condition de la puissance et de la prospérité.» - André Adam, Casablanca. La culture populaire s’implante avant la culture tout court, et cette culture de masse touche essentiellement les couches les plus aisées de la société. « Les femmes de la très haute bourgeoisie casablancaise se font habiller à Paris, conduisent leur voiture américaine, vont en soirée, les épaules nues, et se baignent en bikini.» - André Adam, Casablanca. Le cinéma devient l’art populaire par excellence. Avec cet art, nous sommes aux frontières des loisirs et de la culture de masse. Il y avait à Casablanca en 1953 38 salles de cinéma sur 153 dans l’ensemble du Maroc, contenant 27 923 places. Edgar Morin, dira du cinéma « dans les sociétés occidentales, ce sont les transformations économiques, notamment l’essor industriel, qui ont transformé les mentalités. Dans le Tiers-Monde, l’industrie ultra-légère, celle des communications (radios, cinéma au premier chef) commence à révolutionner les mentalités avant même que la société soit transformée... Le processus est souvent inversé.». Dans Picturing Casablanca, Susan Ossman tente d’expliquer comment la ville s’est développée en même temps que l’image médiatisée. Dès le début du protectorat, la ville s’agrandit avec une spontanéité bruyante, contrariant joyeusement le plan de Lyautey. Les cinémas et les européennes en tenues légères d’été deviennent un spectacle habituel dans les rues de la ville. Les nouveaux médias envahissent la vie quotidienne tandis que les propos qui entourent les images et la vie sociale se mettent à ressembler à ceux des européens. La peinture, la sculpture, les discussions sur l’art, les articles sur les vedettes de cinéma dans les magazines populaires font aussi leur apparition. Pour les vrais casablancais mais aussi pour les étrangers, le quotidien et l’insolite se mélangent, s’entrecroisent, divergent et se métamorphosent. L’étrange est apparu dans ses recherches, alors qu’elle essayait de comprendre ce qui se dissimulait derrière le côté ostentatoire d’un Casablanca moderne. « Like heavenly bodies on an astrologer’s chart, massproduced images have brought a new cosmogony to Morocco, promising different futures. » - Susan Ossman Elle parle de l’urbanité comme un moyen de se


déplacer, de la télévision comme limite, de la ville comme événement et du temps comme pouvoir. Elle cite le cinéma comme machine de guerre du formatage intellectuel. Casablanca assure donc un lien indéfectible avec l’intrigue, comme avec le cinéma. Loin d’être son industrie première, ou son image primordiale, elle reste cependant liée à son aura. Une aura qu’elle transmet à son élite comme un brin de Californie, sur la colline casablancaise, et sur ses villas. Un appétit de modernité, souci passionné d’échapper à un passé tenu pour responsable de tous les maux. II.II Bienvenue à Anfa ! « Casablanca c’était donc du noir et blanc, avec l’intensité des trahisons et des fidélités, c’était une ville qui disparaissait sous les hélices d’un avion... Ville qui mélange de façon déconcertante la nonchalance et l’agitation. » _ Isabelle Broz Casablanca derrière les klaxons, est une ville résidentielle où le bourdonnement de la vie pétillante se transforme en un bruit sourd de paradis, et où la bourgeoisie se ménage sur sa terrasse : vue panoramique d’une existence protégée. Alors qu’à la même époque les français se détournent d’une architecture moderne, la commande de villas à la fois luxueuses et fonctionnelles sont relancée dans le pays dès les années 50 par les clients fortunés, et réceptifs aux formes nouvelles. « L’architecture moderne jouit à Casablanca d’une liberté plus grande que dans aucune ville de la métropole, et trouve de nombreux clients désireux de rompre avec les styles traditionnels.» _ Maison et Jardins 1953. Gaston Jaubert est un de ces architectes, et indiquent que ses clients «aiment à la fois l’architecture et la spéculation». Dans la revue «Réalités», on note que « construit qui peut où il peut « et que « l’on voit partout des petites villas ultra-modernes, d’un blanc chirurgical, surgir entre deux lots de vieilles baraques minables », et « les clients désireux de se faire construire une villa cossue n’ont aucune peine à découvrir sur les écrans les modèles proposés par Hollywood ». Los Angeles et son cinéma deviennent modèle grâce à leur climat analogue à celui de Casablanca : les deux villes sont situées sur le même parallèle, fournit des rêves d’autant plus légitimes que Los Angeles apparaît à beau-

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Villa Serge Varsano, Wolfgang Ewerth




coup comme une référence pour le devenir de la ville. C’est à 30 km de Casa, sur la base américaine, que l’on s’équipe en appareils électroménagers du dernier cri. Sur le chemin on écoute, diffusé sur les ondes, les premiers rock n roll. Il fait une chaleur épuisante et l’on s’abreuve, d’un Coca Cola encore interdit en France. Casablanca à le goût de la liberté, et dans les années 50, cette liberté est américaine. « La colline d’Anfa. Chic et reposante... J’avais l’impression d’être dans une sitcom californienne.» _ Isabelle Broz Et pendant que la jeunesse s’encanaillent sur la côte, leurs mères lisent le dernier «Housekeeping» (magazine américain spécialisé dans la maison présent dans les kiosques dans les années 50 au Maroc) devant la piscine. Il faudra peu de temps pour que les voitures américaines et les villas stupéfiantes de modernité viennent marquer une culture où hédonisme est égal à exhibitionnisme. Les architectes sont aussi séduits par l’Amérique : les maisons de Neutra ou de Schindler correspondent aux demandes de leurs clients, et empruntent leur modernité de ligne. Casablanca aura aussi ses figures architecturales modernes : Azagury, Jaubert, Zévaco, Lévy, Ewerth utiliseront tous les principes de cette architecture moderne, élaborant une sorte de langage commun : pilotis, terrasses, pergolas, loggias, brise-soleil, pans de murs jouant du contraste entre brique et verre, pierre apparente et béton brut ou enduit. « Élément récurrent parfaitement repérable le long des rues de la ville, le pare-soleil en béton armé formant pergola est particulièrement fréquent. Il dérive à la fois des projet de Le Corbusier - en particulier pour Alger et Rio - et des villas de la Californie du Sud.» _ Monique Eleb Dans les années 50, la construction d’une dizaine de villas aux formes hardies impressionnent à la fois les Casablancais et les critiques européens. Oeuvres plastiques des plus personnelles, elles sont aussi admirablement organisées pour ceux qui veulent ET peuvent vivre avec art. « Un architecte r’bati m’a donné un jour une définition spirituelle du Maroc : c’est un pays, me dit-il, où l’on parle beaucoup de gratte-ciel et où l’on construit énormément de villas. » _ Chantiers nord-africains, décembre 1931

La villa Suissa : construite en 1947 par J-F Zévaco pour le lotisseur Sami Suissa est « la plus précoce de ces villas que l’on pourrait croire construite en Californie » _ Monique Eleb. Surnommée la Pagode, elle devient l’un des emblèmes des beaux quartiers de la ville. Cette villa fait scandale par son luxe et sa modernité et par la mise en scène de chacun de ses éléments, notamment sa piscine. Son client évoque avec une certaine jouissance les réactions jalouses du public lors de son inauguration, confirmant ainsi le caractère ostentatoire de sa maison. Elle sera largement publiée dans de nombreuses revues, notamment dans le numéro de mai de 1951 de L’Architecture d’Aujourd’hui. La villa Terraz : construite par Albert Planque en 1953, la maison en rez-de-chaussée est couverte d’une terrasse dont le brise-soleil saillant est soutenu par un poteau en V. Elle est conçu pour que chaque pièce ouvre sur un jardin ou un patio. La piscine est équipée de douche en sous-sol dont les hublots confirment l’inspiration navale de l’architecture. La villa Varsano : construite en 1954 par Wolfgang Ewerth, cette villa d’un luxe remarquable associe droite et courbe venant envelopper la piscine. Le jeu des pilotis qui prend place dans cette maison cadre les espaces extérieurs du rez-de-chaussée, ce qui permet une réelle transparence depuis l’entrée vers un jardin à la fois intérieur et extérieur. La référence aux villas californiennes apparaît dans la composition, l’usage des baies coulissantes, le rapport à la piscine et même dans le choix des cactus plantés dans le jardin. Le décor et le mobilier utilisent toutes les ressources de la production des designers européens et américains et constituent avec les objets et les tableaux, une sorte de manifeste du goût des années 50. Un style rappelé par la villa Girard. La villa Schulmann : construite sur la colline d’Anfa avec une vue exceptionnelle sur la ville en par Azagury, cette villa réinterprète le patio. II.III SHINING POOLS La jeunesse dorée colonise la côte et ses loisirs, elle s’empare de Ain Diab comme on s’empare de Venice. La colline d’Anfa descend vers l’océan, le long du rivage d’Aïn Diab. Son âge d’or remonte à la Seconde Guerre mondiale, où il s’est aussi éteint peu après.

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Villa Sami Suissa, Jean-François Zévaco




« Les piscines argentées scintillaient comme des poissons morts dans les établissements du bord de mer. Leurs noms seuls auraient suffi à faire bronzer une colonie d’albinos : Acapulco, Tahiti-Plage, Miami, Sun-Beach, Kon-Tiki.. Aïn Diab déployait sa frange de lumière comme une rampe de scène. L’océan était le public plongé dans l’ombre. Les premiers rangs chahutaient. Sur la scène, boîtes de nuits, piscines et villas bourgeoises jouaient une comédie dont ils se croyaient les auteurs. » _ Tito Topin, 1983, 55 de fièvre. Dès 1942 la côte est en effervescence. Ce n’est pas un haut lieu de l’architecture casablancaise, mais c’est une scène urbaine intense que les casablancais feront vivre comme un lieu hors du temps. Les cabines, les bungalows, laisseront place à de véritables établissements de béton et de plusieurs sortes de bleus. Dès le milieu des années 1960, la Corniche est totalement privatisée du Lido au Kon-Tiki. « Cet espace naquit afin de concurrencer les plages d’Europe et d’Amérique pour satisfaire les désirs des riches.. Après l’indépendance, Aïn Diab a perduré. Toutefois la classe riche marocaine s’y faufilait et exigeait des tarifs d’entrée plus élevés afin de protéger le calme des clients et détourner les citoyens ordinaires vers les plages environnantes. » _ Florence Chevallier, 1955 Casablanca. « Le samedi soir nous allions danser au Rayon Vert, dancing du Miami, où parfois la concurrence masculine des G.I’s de l’armée américaine provoquait des bagarres avec les jeunes.. Les cinémas également occupaient nos fins de semaines. La télévision n’avait pas envahi les demeures.. Pendant l’entracte, au cinéma Lutétia et au Liberté nous admirions les posters d’acteurs d’Hollywood.. La découverte du Surf en 1967 a changé notre mode de vie.» _ Randolph Benzaquen, Souvenirs de Casablanca des années 60. Tous les espaces d’exception ont été des lieux de conquêtes. De la colline à son eau, le béton a formé sa nouvelle topographie, une topographie exclusive, moderne, qui impressionne le commun Casablancais. On recule devant l’audace, l’audace architecturale édifiée dans le but d’éloigner ceux qui ne sont pas susceptibles de la comprendre. La modernité sied au Maroc, comme elle sied à la Californie. La Californie est son modèle, parce que le Protectorat lui aura fait perdre ses repères, et lui en aura apporté de nouveaux par l’écran, pour le réel.

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« Si Casa était une ville, elle aurait des habitants qui ne s’enfermeraient pas dès le noir tombé pour regarder les chaînes françaises. Casablanca c’est un film, en noir et blanc, tourné en studios, avec une mosquée sur papier glacé.» _ Isabelle Broz « L’industrie cinématographique est actuellement une force sociale reconnue, les directeurs n’épargnent rien pour que les films les plus récents et les plus célèbres passent au Rialto en même temps qu’à Paris, quelquefois plus tôt que dans la capitale même.» _ Édouard Sarrat, 1938, Le Maroc en 38



Morrocan wall PRIVATOPIA, ENFERMEMENT DE LA BOURGEOISIE DE CASA c h a p i t r e 3

III.I ANFA PREQUEL « Développé dès les années 20, le quartier des villas d’Anfa reste isolé du centre… La prospérité du second après-guerre s’y manifeste par la construction de dizaines de résidences ostentatoires ou expérimentales qui remplissent les lotissements vacants… dont les plus hardies font référence à des modes de vie plus lointains, californiens par exemple. Invention plastique et recherche du confort s’y conjuguent en des projets au luxe inconnu en métropole. En effet, alors que le goût bourgeois se ferme presque complètement en France à` l’architecture moderne, celle-ci restera longtemps recevable pour les industriels et les négociants casablancais. » _ Monique Eleb C’est dès les années 20 que la bourgeoisie et l’élite intellectuelle, se fait construire un monde dans lequel elles exercent leur puissance : elles y travaillent, y vivent, enfermées et aveuglées par une image que ce monde se renvoie à lui-même agissant comme une conscience inconsciente des réalités sociales qui l’entourent. La société casablancaise se composait essentiellement d’anciens bourgeois fâsis qui pratiquaient l’émigration temporaire et de nomades insuffisamment sédentarisé. Le cadre tribal éclata sous la pression de l’industrialisation et l’on assista à l’apparition de quelques classes sociales éprises de modernisme. Anfa poursuit aujourd’hui sa modernité, avec la mutation perpétuelle d’un terrain en continuelle destruction/reconstruction. Un cycle qu’elle ne semble vouloir arrêter, de peur de perdre le prestige que la société qui l’habite et la construit veut faire transparaitre depuis des décennies. « Colline d’Anfa : dominant la Corniche, la colline d’Anfa a été dès les années 20 repérée par les urbanistes de Casablanca pour en faire le lieu possible d’une résidence de luxe. À partir des années 1930, de riches

industriels profitent de cette oasis de fraîcheur et de tranquillité pour faire construire des villas modernes, où l’esthétique marocaine et le confort californien se mélangent souvent. Aujourd’hui cette colline exclusivement résidentielle est le Bervely Hills de la Ville blanche, allées de villas cernées de luxuriants jardins. » _ Extrait du petit futé, guide de Casablanca. En tête de classement sociologique se place donc la colline d’Anfa Supérieur. Avec ses environs immédiats, elle forme un espace de luxe et de plaisance, espace à l’intérieur duquel s’agrègent les élites du pouvoir. Du haut de leur perchoir, elles surplombent l’océan et dominent la ville. Ici les constructions ne peuvent être entreprises que sur des terrains d’une superficie au moins égale à 2000m2. Au pied de la colline se trouvent les quartiers Val d’Anfa, Longchamp, Hippodrome, puis Ain Diab au bord de la Corniche. Petits villages de la banlieue chic de Casablanca, ces quartiers s’emboitent les uns dans les autres. L’ensemble forme un espace résidentiel hermétiquement clos au-dehors, mais sensiblement hiérarchisé. C’est comme le dit Stéphane Dégoutin dans «Prisonniers volontaires du rêve américain» la secession of the successful. III.II SECESSION OF THE SUCCESSFUL « Je vais dire une chose affreuse. Les pauvres sont souvent laids. Je l’ai dite la chose affreuse. J’ajoute que je n’aime pas les riches.» - Abdellatif Laâbi, «Spleen de Casablanca» La bourgeoisie casablancaise est divisée entre Anfa et Mers-Sultan. Anfa accueille les villas les plus luxueuses. La colline devient l’espace tangible du «quartier de plaisance» dont voulait Henri Prost dès ses premiers plans, un lieu où, «l’homme

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d’affaires vient se reposer dans son logis familial entouré de verdure». Ce quartier fait office de ville dans la ville, à la fois par sa population, mais aussi par ses singularités et sa grandeur architecturale. L’action des lotisseurs privés sera essentielle : les frères Teste, propriétaires de terrains proches de la mer obligent leurs acheteurs à construire dans un style qui ne jurerait pas avec ce qui existe déjà, une directive applaudie par les critiques. Cette unité stylistique transparait aussi dans une unité sociale : les Marocains resteront longtemps tenus éloignés de ce quartier de tous les privilèges. Se succèdent alors des périodes architecturales très marquées : les maisons des années 20, les villas art déco, celles des années 30, celles de style mauresque, et d’autres beaucoup plus éclectiques. Mais il y a entre Anfa et Californie, une étendue non négligeable de misère. Casablanca happe dans sa frénésie de nombreux extrêmes. Elle accueille désormais la misère du monde rural et la richesse des capitales royales du nord et du sud. Richesse et pauvreté sont deux dimensions qui caractérisent la vie économique et sociale de la métropole.. Parce que l’une ne peut s’accroître sans l’accroissement de l’autre, la ségrégation sociale est l’organisation urbaine la plus appropriée. Chacun trace ses frontières, possède son territoire, son économie et sa culture. Deux mondes qui parfois s’entrechoquent. « Dans de nombreux pays dits «du Tiers monde» l’état n’assure pas un développement urbain cohérent et n’est pas en mesure de fournir les services fondamentaux…. Les quartiers privés sont commercialisés comme les lieux d’une élite moderne et occidentalisée. Ils remplacent les services publics et le contrôle de l’état, toutefois uniquement pour une clientèle fortunée. » _ Glasze 2003 Après Anfa, de nouveaux quartiers résidentiels se sont développés aux Crêtes et à Californie. Erwin Hinnen fut d’ailleurs un des architectes pionniers dans les années 50 en y faisant construire sa résidence. À Californie, le sol est moins onéreux qu’à Anfa, et la nouvelle bourgeoisie s’y installe. Dans ce quartier, les villas y sont d’un style nouveau riche qui adopte les écritures du colonial américain. Sa particularité ne se situe pas uniquement au niveau architectural : au milieu des terrains vagues, des poubelles et des poches de bidonvilles s’élèvent les hauts murs de briques et de végétation de ces maisons du paradoxe du m’as-tu vu. Ici, les guérites de surveillance sont omniprésentes, et


même plus nombreuses qu’à Anfa. Les parcelles des maisons sont aussi plus vastes, « sont-elles inspirées par la Californie ou les faubourgs de Dallas tels qu’ils sont représentés dans les soap opéras de la télé ? » _ Monique Eleb. Leur jardin pourtant les différencient de ces dernières : ils ne sont pas en front lawn à la vue des passants à la manière du suburb classique américain. « Dans les vastes espaces de ce quartier en développement, le piéton n’a pourtant pas d’espace spécifique comme dans certaines rues impraticables de Los Angeles. Ce mode de vie suburbain est à rapprocher des conceptions des lotissements à l’américaine dont la critique commence à être aigüe dans certaines villes qui se ré-urbanisent comme LA. » _ Monique Eleb «La ville est devenue un paysage d’objets, où « dans le futur chaque maison sera une petite forteresse. Dans le futur, chaque maison sera un parc de divertissement total. » _ David Byrne, 1984 Dans ces quartiers de forteresses, on roule en voiture avec chauffeur pour les dames et les enfants, que l’on conduit vitres fumées dans des écoles privées (dont l’école américaine de Casablanca). Les femmes poursuivent leur route à travers les artifices que leurs hommes se sont construits, et vont au mall (le tout dernier centre commercial de Casablanca, le Morrocco Mall vient d’ouvrir ses portes - 2012). Paul Bowles notait dans les années 60 que la grande majorité des habitants ne venaient pas dans le centre. Ce sont aujourd’hui les classes privilégiés qui le fuient, devenu dense et populaire, brisant leur rêve d’Amérique et leur rappelant qu’ils sont au Maroc. Casablanca est une ville complexe forte et faible à la fois de ses 3 millions d’habitants. Si j’ai décidé d’étudier un des aspects de sa modernité, c’est pour en faire ressortir le plus gros ses contrastes, en souligner les divergences, rappeler que sa réputation de «villes de travailleurs acharnés» est parfois à l’image de l’American Dream, parfois à celle de son statut de cité du Tiers-Monde et questionner son évolution, questionner son clivage et son avenir, son urbanisme en voie d’explosion, dirigé par des privilégiés qui se moque des idéaux sociaux, n’hésitant pas à mettre en scène l’incohérence urbaine dans toute sa splendeur : Casablanca est un ghetto urbain, catalogue architectural de toutes les décennies, catalogue social de toutes les injustices.

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conclusion


A quoi reconnait-on Casa? Pas à son architecture ou à sa population, mais bien à ses contrastes et ses contradictions, à toutes ses images rêvées devenues réelles, à toute sa dualité et l’envers de son chaos. Dans une ville aux origines modernes qui se vulgarisent, Casablanca se fond dans un morcellement de plus en plus marqué. La ville ne se découpe plus que par ses ambitions capitalistes, et l’on ne refrène plus sa volonté d’installer son palais à une rue d’un bidonville sur lequel on a une vue, et que l’on compte détruire. Casablanca est une grande ville, car par définition, ces dernières chassent la misère à chaque fois qu’elle les rejoignent. Nous ne sommes plus en Californie, mais dans un film, un film qui n’aurait pas cessé d’être tourné depuis 1942. C’est une ville évoluant rapidement sous la pression d’un dualisme qui s’étend à l’habitation, à l’économie et à la culture. La transformation des choses précède la transformation des hommes : en d’autres termes, l’économie modifie l’idéologie. Chacun de ses espaces est exceptionnelle ou tragique à sa façon, et c’est seulement parce que la vie se tait maintenant d’avantage autour des privilégiés, qu’on entend la misère de nouveau. L’image de Casablanca, c’est des millions de clichés disparates qui défilent sans cesse. Parce que Casa c’est la misère puis l’opulence. C’est la Californie puis le Tiers-Monde. Elle a voulu s’emparer tour à tour de toutes ces villes aux identités fortes, essayant de comprendre comment, elles véhiculent leurs images et leurs symboles à travers le monde. Anfa vous invite à vous perdre à travers les illusions de ceux qui l’on construit. Sur un mythe, une soif de pouvoir, ils ont conquis ce territoire comme des millions d’autres. Ghetto de privilégiés, gated community, l’image a transformé le paysage, le papier glacé a nourri leur rêve de styles audacieux et novateurs devenant le leur.

C’est l’idéalisme Mattel, cet homme parfaitement habillé dans sa parfaite voiture, sortant avec sa femme parfaite, parfaitement coiffée de son parfait brushing, déployant son rire parfait devant sa maison sur 3 étages et 2000m2, ignorant la misère derrière ses vitres fumées.


1 « American Glamour and the evolution of modern architecture » Alice T. Friedman « Julius Shulman, la redécouverte d’un modernisme » Julius Shulman « 1955 Casablanca » de Florence Chevallier « Casablanca » Film de Curtiz « Le style Palm Springs » Alice Coquelle « Palm Springs mid-century modern » Dolly Faibyshey « California Design 1930-1965 living in a modern way » Wendy Kaplan « Backyard Oasis » Robert Atkins, Dick Hebdige, Tyler Stallings, Robert Stearns, Jennifer A Watts 2 « Casablanca, mythes et figures d’une aventure urbaine » Monique Eleb & Jean-Louis Cohen « Casablanca, portrait d’une ville » Monique Eleb & Jean-Louis Cohen « Les milles et une villes de Casablanca » Monique Eleb & Jean-Louis Cohen « L’architecture d’aujourd’hui n°35 » (1951) « L’architecture d’aujourd’hui n°46 » (1953) « Le Maroc en 1938 » Edouard Sarrat « Casablanca : essai sur la transformation de la société marocaine au contact de l’Occident » André Adam « Picturing Casablanca, portraits of power in a modern city » Susan Ossman « Marock » Film de Laïla Marrakchi « Casablanca, ville moderne » Documentaire (http://www.dailymotion.com/video/xtbqm_2m-maroc-casablanca-ville-moderne_shortfilms) 3 « Prisonniers volontaires du rêve américain » Stéphane Dégoutin « Les élites du royaume » Ali Benhaddou


1 - page 5 : photographie personnelle, quartier d’Anfa - page 8 : Julius Shulman, source : internet - page 10 - 11 : photographie de la première barbie Mattel extraite de «California Design 1930 - 1965 living in a modern way » - page 12 : couverture de «House Beautiful», extraite de «California Design 1930 - 1965 living in a modern way » - pages 14 - 15 de haut en bas et de gauche à droite : * Julius Shulman * Raymond Loewy, publicité pour une voiture * Couverture magazine * Julius Shulman * Couverture magazine * Julius Shulman * Julius Shulman * Julius Shulman * Julius Shulman 2 - pages 16 - 17 : Michael Childers, extraite de «Backyard Oasis» - pages 18 : photographie de la maison du Docteur B de W. Ewerth extraite de « Les milles et une villes de Casablanca » - pages 20 - 21 : peinture de l’artiste DJ Hall, source : internet - page 22 - 23 : villa Varsano de W. Ewerth extraite de «Les milles et une villes de Casablanca » - page 24 : photographie personnelle, infrastructure électrique du quartier d’Anfa - page 26 - 27 : photographie de la villa Suissa de JF Zevaco, extraite de « Les milles et une villes de Casablanca » - page 28 : photographie extraite de « 1955 Casablanca » de Florence Chevallier - page 29 : photographies extraites de «Casablanca» de Marco Barbon - page 30 - 31 : photographie personnelle, vue de la colline d’Anfa 3 - page 32 : photographie extraite de «Zevaco » de Michel Ragon & Henri Tastemain - pages 34 - 35 : photographies personnelles, villas d’Anfa et de Californie - page 36 : photographie personnelle, villa de Californie



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