SUBURBS SUICIDES l’effondrement du rêve américain
« Aux yeux de tout le monde, c’est le suicide des soeurs Lisbonne qui a marqué le début de la fin pour notre quartier, à croire qu’elles avaient eu le pressentiment de la maladie et de la mort des ordres, qu’elles avaient lu dans le dur éclat du soleil le déclin de l’industrie automobile.» - Virgin Suicides (1999) Sofia Coppola.
INTRODUCTION. C’est un rêve que les américains n’ont jamais cessé d’aimer, entre amour gloire et déchéance, la vie d’une famille en suburbs avec pavillon, voiture et électroménagers, aura à la fois construit et détruit l’Amérique. On avait commencé par vendre une voiture, puis deux, puis de millions d’autres. On avait vendu avec un univers, qui paraissait indispensable. On avait réussi à vendre aussi, des morceaux entiers de paysages de maisons alignées, et qu’on ne rendait accessibles que par la voiture. Un peu comme un morceau de paradis, à quelques kilomètres de la ville bruyante et insupportable, on trouvait le calme et la vie de famille idéalisée. New-York 1939. Le pays sort alors d’une crise économique sans précédent, et l’avenir cette année-là était un événement immanquable. Centre de toutes les attractions, il y eut dans la grande ville, la foire de toutes les attentes : on présentait à la masse, le monde qui demain les attendait, un monde qui demain serait un spectacle : « To help us get a glimpse into the future of this infinished world above us, that has been created for the New York world fair, an exhibit of the developments ahead of us.. The greater and the better world of tomorrow!.. the world of 1960 is spread before you.. in dazzling lights. There is fun and merriment in the world of tomorrow. » - Voix off de l’exposition The Wolrd of Tomorrow, NY 1939
À l’exposition «The World of Tomorrow» General Motors et Bel Geddes feront fantasmer les américains dans une théâtralité qui, plus proche du pragmatisme que de l’irréel réussira à convaincre et à amorcer, les grands changements qui s’opéreront deux décennies plus tard. Bel Geddes aura donc comme ambition, de délimiter les contours possibles du futur, esquissant ce que les américains n’auraient imaginer, et qui maintenant font parti intégrante du quotidien américain. Il avait prédit, précurseur du modèle urbain dominant, ce qui allait faire fuir les gens des villes vers leurs périphéries, et il leur donnât le moyen de le faire : Futurama sera l’apologie du mouvement dans une exposition où même les hommes, embarqués dans une sorte d’incessant manège, se verront contraint d’assister à une vision conditionnée d’un futur qui paraissait inévitable. Mais comme le rappelle Christopher B. Leinberger dans The option of urbanism : investing in a new american dream : « Futurama did not just spring whole from the mind of Norman Bel Geddes or from the marketing department at General Motors. It was part of a movement led by modernists such as le Corbusier, Walter Gropius, Mies Van der Rohe, Ludwig Hilberseimer. These men believed that new technologies, particularly the automobile, could and should transform city life. Their ideas transformed both architecture and city form around the world. » (p.25)
Dès les premières images de Futurama, le monde sem blait reconstruit : on avait séparé la ville en sections, et on avait redessiné les contours du futur sous des lignes
modernes. On assistait à l’éclosion d’un espace urbain repensé, où la nouveauté suprême fut celle des voies de voitures rapides, qui devaient alors changer la circulation en un flux de mouvement infini, qu’aucun embouteillage ne viendrait entraver : Futurama, a été une utopie visionnaire, qui aura étirée l’urbanisme américain par la force du highway et aura rendu la mobilité possible. «A family exits the ride, and the father says, ‘General Motors is telling us what they expect from us: we must build them the highways so they can sell us the cars.» - E. L. Doctorow’s novel World’s Fair
La société devient consommatrice d’images, en oublie l’expérience de l’espace. Par la voiture, l’homme ne fait plus cet effort de déambulation, ou ne le fait que dans des espaces conditionnés. Le lieu a disparu, et on évolue entouré d’un amoncellement d’objets qui nous rassurent, se détachant de ce qui pouvait alors constituer un confort autre que psychologique. C’est l’image que l’on renvoie à la société, et l’image à laquelle on pense que la société nous rattache : c’est le début de la société de consommation. « Battered by the Depression and living with anxiety about the brewing war, Americans were ready for a new version of the American Dream. » - Christopher B. Leinberger
Cependant aujourd’hui, le rêve semble être entamé, et s’élèvent les voix moralisatrices avec comme précurseur la culture des élites qui contre la culture de masse se distingue par son regard critique envers les suburbs. Suivent plus récemment les considérations politiques, écologiques mais aussi une critique exacerbée d’à la fois la profession architecturale et urbaine. Alors, pourquoi le modèle des suburbs a-t-il été possible ? Comment a-t-il été popularisé, devenant le modèle dominant ? Pourquoi et comment estil aujourd’hui critiqué, et surtout, comment, le rêve américain est-il devenu négociable ? Dans cet écrit, nous allons donc aborder l’émergence de l’American Look et la promotion de ce dernier, comprendre comment tout est devenu sujet à consommation, y compris l’architecture que l’on construit à la chaîne, comment ce modèle sera promu à travers les médias de masse, et comment l’élite culturelle puis les médias décrieront l’ordre établi, en renversant l’utopie en décor d’événements troubles, de l’aliénation sociale et psychologique. Et enfin nous nous attarderons sur l’impossible maintien de ce mode de vie, à travers l’évocation de ses problématiques urbaines, écologiques, politiques, sociales et culturelles, et donc la remise en question de l’American way of living, en essayant de se saisir des solutions proposées pour y remédier, dans ce contexte où l’alternative est inévitable : critique
de la conformité aliénante, d’un modèle insoutenable & de l’espoir d’un back to the city.
I- L’AMERICAN WAY OF LIFE : l’utopie qui vendait des voitures
« L’architecture et la ville ont souvent été des champs de réflexion et de pratiques très favorable à l’épanouissement d’utopies. À travers des bâtiments ou des formes urbaines, on a pensé inventer des mondes meilleurs. » Serge Wachter
« Forme, proportion, rythme et variété, le designer laisse sa marque sur tous les objets quotidiens dans des lignes fluides et des formes gracieuses que nous les américains devrions adorer ! ». Idyllique. Cette phrase tirée d’une publicité présentée par Chevrolet en 1958, met en scène le supposé quotidien de toute bonne famille nucléaire américaine. Dans des habits trop bien repassés, une famille trop bien coiffée, mène une vie paisible entre barbecue et préparation de gâteaux. La famille sourit, la famille pique-nique, dans cette banlieue sans skyline, le glamour du quotidien semble les rendre heureux : profusion de design et d’esthétisme, ces «Américains qui aiment «la beauté et la liberté du choix individuel» semblent s’être procurés tous les attirails dit, à l’ère du temps : on devrait ici, vendre une voiture, mais à cette époque, Chevrolet la relègue au second plan, car il faut avant de vendre tout produit, vendre le confort et l’image qu’il confère. Luxe et design dans une vie paisible des suburbs, constitue l’anonymat suffisant pour que chaque famille américaine s’y identifie et y aspire. Cette obsession de la perfection est poussée à son paroxysme par l’importance du détail : la poignée de porte en or plaquée, l’abat-jour, l’appareil photo : tout est bon à prendre pourvu que ce soit à la mode. C’est l’American Look. Contrairement aux décennies précédentes, où la crise depuis 29 puis la seconde guerre mondiale avaient imposé un mode de vie de restrictif, les consommateurs des fifties assistent à cette révolution sans précédent. Cette génération née avant et pendant la crise a atteint l’âge où son pouvoir d’achat la place en position de richesse. Ce phénomène, le fait qu’un nombre moindre d’individus y participe, et l’extraordinaire reprise économique de l’industrie américaine après la guerre, incitent les Américains à dépenser. Devenir propriétaire devient alors l’un des principaux axes de la consommation de ces années-là. S’éloigner de la ville en direction de la banlieue, s’inscrit alors comme une réalité sociale et 23,6 millions d’Américains deviennent propriétaires de leur domicile; un chiffre qui ne fera que croître dans la décennie qui suivit, pendant laquelle ils seront 32,8 millions. Cette
migration entraîne la construction d’interminables banlieues telles que Levittown, ancien champ de pommes de terre qui en 1951 se couvre de 17 447 maisons. Tous ces pavillons individuels, doivent être meubler et qui plus est, à la «mode». Dans les dix ans qui suivent, la vente de meubles de jardin et de véranda passe de 53,6 à 145,2 millions de dollars. Celle des machines à laver automatiques double presque, passant de 1,7 à 2,6 millions de dollars. Les annonceurs inondent le public de produits toujours plus novateurs au design constamment renouvelé. L’avenir s’annonçait formidable, à travers la télévision, les magazines et la publicité. Influencés par les médias, les consommateurs s’évertuent frénétiquement à consommer, encore et toujours plus. Ils commenceront par acheter en masse le meilleur des moyens de propagande de cette époque : la télévision. En 5 ans, la vente des postes passe de 3,1 millions en 1950 à plus de 32 millions, et les Américains la regarderont en moyenne 6h par jour et par semaine, et absorbe toutes les couches et classes sociales. Cette demande croissante du modèle de vie américain dans les suburbs est une résultante du zonage : les banlieues, en périphérie des villes, rendent la voiture indispensable même pour de courtes distances. Avec un taux de productivité de deux pour cent par an, entre 1945 et 1955, ils achétront 75% des voitures et des appareils fabriqués sur Terre : « drivable sub-urbanism - which means that we get in our car for nearly every trip we take because the buildings are arranged in a very low density - became the basis of the American economy, the unofficial domestic policy, and the American Dream… Its obviously a market-accepted way of organizing society. » - Christopher B. Leinberger
Ce modèle urbain, Bel Geddes l’avait prédit dans sa vision «futuramienne» de l’avenir de la ville américaine : « The city of 1960 is divided into three separate units : residential, commercial and industrial. Industrial activities are now confined to a location back from the river front and the section is a unit itself with railroads, a ship terminal, and housing development all related to it. « / « Outside the commercial and business districts of the modern city, are the housing developments, reaching out into the residential areas. There is no intrusion of business onto these sections. Land is devoted to par and residential areas.»
L’exposition aura donc rempli le rôle qu’elle s’était fixée : magnifier le futur. Elle a fait d’elle l’utopie qui vendait des voitures.
american way of eating
Après l’acquisition du logement, l’automobile occupe la deuxième place dans cette consommation frénétique américaine.La voiture devient alors un objet de représentation sociale, et les designers explorent toutes sortes de possibilités stylistiques afin d’atteindre les demandes de leurs acheteurs. L’industrie automobile profite d’un succès jusque là inégalé. Dans ces années ivres de consommation, personne n’oserait se laisser dépasser par les modes : être moderne, c’est être à la page, c’est s’ouvrir à un monde meilleur.
ciaux et sur l’occupation des territoires. Mais ceci aura donc eut surtout, un impact sans précédent sur la manière de vivre leur quotidien : les américains sont sujets à la suburbanisation de la nation, allant de paire avec le développement des infrastructures (highways) qui combinés, définiront l’urbanisme américain du 20ème siècle.
Dans «Design for dreaming», une publicité de General Motors datant de 1956, on assiste à une sorte de court-métrage hybride entre Disneyland et la comédie musicale. Une femme, en plein rêve, se réveille dans son lit, dans ce qui semble être un appartement en centre-ville. Son homme, son sauveur en chapeau haut-de-forme l’emmène à un show-room où les nouveaux modèles de GM sont exposés. Trop beau pour être vrai, je la cite quand elle dit «I can’t believe that this dream will come true». Après une ellipse temporelle savamment orchestrée, elle se retrouve dans une cuisine pour.. y faire un gâteau, du tennis, du golf puis bronzer. Car oui! La femme des années 50, grâce à sa cuisine haute technologie n’a pas besoin de faire d’efforts pour cuire son gâteau et peu pendant son temps libre, s’adonner à de nombreux loisirs. Chaque nouveau modèle de voiture est ensuite présenté, entre applaudissements et feux d’artifices. «Ces voitures, peuvent toutes vous menez là où vous avez envie d’aller» : le message de GM est à peine dissimulé. Ils empruntent alors la «highway of tomorrow», là où les rêves se réalisent. Les images quasi-futuristes rappellent alors l’exposition de 1939, et mènent donc logiquement au rêve suprême : les suburbs.
Nous pouvons sans grande difficulté, nous saisir de la vision prophétique de Bel Geddes : aujourd’hui, la moitié des américains vivent dans les standards qu’il aura imaginé, dans son idée de la «vie moderne en campagne» qui manifestement n’aura pas vieilli, ces banlieues sont toujours construites selon un système hiérarchisé de routes : des petites rues, parfois des culs de sac, donnent sur des rues plus larges, qui donnent à leur tour à des routes fédératrices de plusieurs banlieues, et des maisons aux couleurs pastels, desservis par les derniers modèles de voiture, qui ressemblent à s’y méprendre à celles de leurs voisins :
Les deux éléments sont donc indissociables l’un de l’autre : le paysage de l’Amérique se reconstruit. De la même manière que l’avait planifié Futurama, s’allient en conséquences initiatives privées et publiques, entreprises et gouvernement, qui ont eu des répercussions majeures sur le paysage urbain, sur les choix résidentiels et commer-
« The city of the future would be larger, although the population would become more decentralized. That all land would be completely controlled by the municipalities » - Bel Geddes.
« Little boxes on the hillside, Little boxes made of ticky tacky Little boxes on the hillside, Little boxes, all the same. There’s a green one and a pink one And a blue one and a yellow one And the people in houses who went to the university, where they were put in boxes, And they all came out the same. There’s doctors and lawyers And business executives, They’re all made out of ticky-tacky And they all look just the same. And they all play on the golf-course, And drink their Martini dry, And they all have pretty children, And the children go to school. And the children go to summer camp And then to the university, They all get put in boxes And they all come out the same.» - Malvina Reynolds (1962)
C’est le rêve de l’Amérique avant qu’on ne vienne s’y attaquer. On assite alors, après les «Madame est servie» et, à un retournement d’opinion de la part des médias, qui depuis les fifties servaient religieusement le rêve puritain de la nation : la culture se rebelle, et dresse le portrait d’une banlieue à l’esprit tordu de conformisme, peuplé d’individus notoires, serial killer (Dexter), dealer de drogue (Weeds) ou encore alcolo-dépressif (Desperate Housewives) : panorama d’un univers impitoyable.
quittons la ville en voiture
«ouh, what a dream !»
II- SUBURBIAN DYSTOPIA: get away from the sprawl
Il était une fois une banlieue américaine «Suburban war», est une guerre déclarée aux banlieues. Dans un court métrage de Spike Jonze, «Scenes from the suburbs» (2011), on suit des adolescents dans une vie de banlieue qui tourne en rond. Sans voiture, ils se retrouvent à combattre leur vie prise en cul-de-sac. On est bien loin de l’idéal américain, bien loin de la vie paisible, parce qu’elle en devient inquiétante quand elle l’est beaucoup trop. Un point de vue que de nombreux cinéastes avaient déjà abordé avant et que nous citerons plus tard : bienvenue dans la dégénérescence du modèle du sprawl. Les couleurs des voitures ne sont plus flamboyantes, et celles des maisons sont ternes. Il ne se passe rien, de l’attente et des relations humaines perturbées. Alors que quelques décénnies plus tôt les suburbs avaient une image de lieu sûr, la police est ici omniprésente & l’ambiance violente. Dès le début des années 2000, la télévision américaine détourne aussi l’image des banlieues comme les restes d’une époque aujourd’hui prétexte à renouveler le genre par la décontraction d’un modèle urbain esseulé. Un tel changement de discours interroge alors la capacité des médias et des arts télévisuels à porter un regard innovant, réflexif et critique sur les conditions d’habitations des sociétés. Les suburbs prennent aujourd’hui sous l’angle des scénaristes une dimension d’illusion d’une vie, mais pas la même illusion que dans les fifties : l’histoire d’amour qu’entretenait jusqu’alors les américains avec leur modèle élu semble plus que jamais s’effriter, mettant à nu la faillite morale d’une société égarée dans la glorification d’une normalité pavillonnaire aussi factice qu’illusoire. Un environnement parfaitement rangé, que la fiction dérange sans complexe. Dans «Weeds», une série télévisée américaine créée par Jenji Kohan en 2008 qui se déroule dans une banlieue californienne fictive et bourgeoise «Agrestic» : le nom renvoie d’emblée à un sentiment réactionnaire contre les suburbs. «agreste» signifie champêtre ou rustique, mais veut aussi dire surtout agressivité. Sa population vit dans les apparences et le conformisme prévalent. Cette série est une dénonciation claire d’un modèle de ville en situation d’échec sociale et plastique : « La représentation des habitants comme des clônes à la démarche automati-
que, tous vêtus à l’identique, accomplissant les mêmes actes aux mêmes moments, renvoie implicitement à la métaphore concentrationnaire (...) La standardisation des paysages et des modes de vie se traduisent par une aliénation
des individus et une dépersonnalisation de leur existence.» - Billard & Brenetot
Habiter la banlieue équivaut à l’uniformité : même voitures, mêmes pratiques quotidiennes, même apparence physique, même formatage, dans un lieu déraciné= et sans histoires : c’est le modèle urbain de l’anti-héros. Les médias tentent d’interpeller la société sur le basculement en cours de certains de ses fondements urbains, d’une Amérique en proie à une crise de civilisation aux allures de plus en plus éloignées de l’utopie : «
there’s a home for everyone in suburbia, and a realtor eager to find you exactly what you want. Whether it’s something warm and cozy.. or something dignified and elegant.. or perhaps something affordable with a porch. Yes, everyone wants a home with a lovely exterior, mostly so the neighbors will never suspect the ugliness going on inside. » - Desperate Housewives.
Dans Virgin Suicides, premier long métrage de Sofia Coppola sorti en 1999, on retrouve Cecilia Lisbon, une des cinq soeur de la famille puritaine que la réalisatrice met en scène dans le cadre d’une banlieue bourgeoise huppée de Détroit dans les années 70. Elle fera de ce lieu le cadre de l’opression morale, qu’imposeront les parents à leurs progénitures : elles sont en mal de vivre dans une demeure familiale où leur seul échappatoire semble être la mort : c’est «l’Asphyxie», nom donné à la soirée qui s’organise dnas le quartier : les robes immaculées se mêlent aux masques à gaz. Sur le jardin, plus personne ne pique-nique, et des filles vomissent leur dégoût non loin de la piscine où se jètent les adolescents ravagés. Le suicide collectif des quatre soeurs sera le point final mis à cette dégénérescence programmée de la banlieue : il semblerait que l’american way of life fassent plus de victimes que d’heureux : « In the end we had pieces of the puzzle, but no matter how we put them together, gaps remained. Oddly shaped emptiness mapped by what surrounded them, like countries we couldn’t name. What lingered after them was not life, but the most trivial list of mundane facts. » - Virgin Suicides (1999) Sofia Coppola.
La famille Burnham à des airs de famille américaine ordinaire, des parents parfaits dans une maison parfaite, dans un quartier parfait : l’emboîtement du rêve, «they have it all !» ... toutefois au premier abord. Alors que l’Amérique pavillonnaire scintille d’élégance et d’harmonie, que les jardins exhalent la bonne odeur des rosiers et du gazon fraîchement tondu, on devine l’anti-monde qui derrière se cache : Lester est un beau quadragénaire fatigué. Il a une maison charmante et asep-
post-utopia suburbians
les petites existences
tisée, une épouse impeccable à faire peur et une fille trop adolescente pour être aimable. Dans American Beauty, film réalisé par Sam Mendes en 1999, on retrouve les thématiques de la frustration et du dérèglement rattachées à la banlieue. On apparente rapidement le film à une satire de l’american way of life : la façade pimpante et respectable d’une famille moyenne dissimule des abîmes de malêtre, de mesquineries et de frustrations. Sam Mendes va théâtraliser le quoditien de cette famille et en souligne la part de simulacre et de folie latente.Tous les vices, ceux dénoncés dans cette même société dans laquelle ils ont choisi de vivre, deviendrons la raison même de leur existence. Cette représentation de réalité derrière le décor du vieil idéal communautaire remet en cause de nombreuses ambitions liées aux suburbs; notamment sociales et politiques : le rêve d’une ville-campagne n’aurait pas su contenter les attentes des Américains y ayant succombé. Cette disqualification est donc à la fois qualifiée de misère esthétique, de ségrégation sociale, et de conservatisme politique : aujourd’hui cette critique est généralisée dans le cadre académique, et s’impose comme le nouveau stéréotype négatif de l’envers de l’Amérique.
the ghost town theory « Most of the media, smart growth advocates, urban sociologists, carbon footprint zealots, champions of high density growth, and fossil fuel adversaries couldn’t wait to print or announce the newest census data released in June 2012 : U.S cities are growing faster than the suburbs for the first time since the 1920s… For much of the past decade, there has been a constant media drumbeat about the return to the cities.» - Bill Miley
Alors les suburbs sont-elles sur le point d’être désertées? De nombreuses théories, économiques pour la plupart, tendent à décrire, sa possible disparition. D’abord, l’envolée du prix de pétrole, et donc de l’essence, a fait exploser les frais de déplacement des ménages américains. En l’absence d’une taxation significative, comme en France, un doublement du prix de pétrole fait tout simplement doubler le prix de l’essence, pesant terriblement sur le budget des ménages vivant dans les banlieues excentrées. Ce choc pétrolier a donc rendu moins recherchés les logements en périphérie, et a fait baisser leur prix relativement aux habitations de centre-ville. Dans « The End of Suburbia : oil depletion and the collapse of the American Dream » sorti en 2004 de Gregory Greene, on rappelle que les américains ont investi leur richesse dans ce mode de vie décrié : dans leur recherche de l’espace, de mobilité et de vie de famille, ils ont
créé le rêve inversé à la durabilité limitée : en effet, la demande globale de pétrole surpasse son approvisionnement, et comme sa production est en déclin, le pays es en alerte face à cette crise globale : « like Madison Avenue, life in the suburbs has its good moments, and others, not so good ». Les américains ont consommé beaucoup, et beaucoup trop vite. Ils se retrouvent maintenant dans une impasse entre un centre-ville qui se désintègre, et des banlieues auxquelles ont ne pourra plus accéder ou, à prix d’or : sans la voiture, les banlieues n’auraient pas été possibles, et leur disparition par la rarefaction des combustibles fossiles entraîne un ensemble de changements majeurs, car son fonctionnement était indissociable de la promesse de l’énergie à bas coût. Dans «Suburbia R.I.P» un article de Michael Cannell paru en mars 2009, il rappelle le déclin des suburbs en cours : « Cul-de-sac neighborhoods once filled with the sound of backyard barbecues and playing children are falling silent. Communities like Elk Grove, Calif., and Windy Ridge, N.C., are slowly turning into ghost towns with overgrown lawns, vacant strip malls and squatters camping in empty homes.»
D’après une étude du Metropolitan Institute of Virginia Tech, il y aurait 22 millions de terrains vacants dans les quartiers des suburbs, ce qu’avait déjà prédit James Howard Kunstler dans «The Geography of Nowhere», en disant que les suburbs n’était plus un modèle urbain que l’Amérique pouvait se permettre. Ensuite, la crise financière a révélé au grand jour l’augmentation de l’endettement des américains tout au long des années 2000, alors que leurs revenus stagnaient, les ménages ont vécu au dessus de leurs moyens. Ils ont fait construire trop de maisons, et de trop grandes maisons qu’ils sont maintenant incapables de payer. On trouve ainsi des quartiers entiers vidés de leurs habitants, incapables d’honorer leurs traites, parfois même des quartiers qui ne seront pas construits : « If we are to believe what we read, abandoned suburbs are a new phenomenon, destined to become dystopian slums, strange perturbations forming on the outermost rims of our cities. But what of suburbs that failed equally spectacularly because they were never even built in the first place? In the desert 100 miles northeast of Los Angeles is a place called California City. »
Dans un article de Geoff Manaugh «Ghost Town : the abandoned suburb of California City» l’auteur décrit une grille fantôme aux abords de California City : « a labyrinth of meticulously named culs-de-sac—Oldsmobile Boulevard, Alpha Street, Planet Lane: a dream city that never quite happened.»
Le rêve serait-il en train de littéralement disparaître ?
Le plus intéressant ici est que le contrôle de l’étalement urbain, qui avait été rejeté quand il était proposé pour des raisons environnementales, est aujourd’hui imposé par des contraintes économiques, démontrant ainsi une fois de plus qu’il est absurde d’opposer le développement économique et la protection de l’environnement. Alors que va-t-il arriver à ces logements trop grands, trop éloignés des lieux de travail et de loisir, trop dépendants de la voiture, trop nombreux ? En 2008, Georges W. Bush affirmait à propos de l’adhésion des USA au Protocole de Kyoto que « le mode de vie américain n’était pas négociable ». Il est maintenant temps qu’il le devienne...
III- THE BLACK-OUT LEVEL: solutions for the sprawl «The
deepest problems of modern life flew from the attempt of the individual to maintain the independence and individuality of his existence against the sovereign power of society, against the weight of the historical heritage and the external culture and technique of life.» - Georg Simmel.
Dans l’article «Will the suburbs soon become ghost towns ?» parut en juillet 2012 dans le Metro Study Report, Bill Miley avance ceci : « Most of the media, smart growth advocates, urban sociologists, carbon footprint zealots, champions of high density growth, and fossil fuel adversaries couldn’t wait to print or announce the newest census data released in June 2012 : U.S cities are growing faster than the suburbs for the first time since the 1920s… For much of the past decade, there has been a constant media drumbeat about the return to the cities. »
ce qui allait de paire avec la déclaration de Shaun Donovan, qui dit que la nation avait atteint les limites de son développement suburbain, une sorte de «back to the city» après le «world of tomorrow». Mais à la question que se pose Bill Miley, la réponse est loin d’être affirmative. En effet, il constate que malgré les contestations nombreuses de ce modèle et ce, à différentes échelles, dépassant les considérations urbaines ou architecturales, les Américains n’ont pas fini de poursuivre le rêve qu’ils avaient érigé au rang de mythe : « The 2010 Census reveals that, contrary to the back to the city message, suburban growth continues to dominate in most regions of the country, constituting between 80% and 100% of all growth in all but three of the 16 metropolitan areas reporting.. The new American Dream is not a home in the suburbs with a white picket fence, rather it’s a fourth floor walk up apartment in the bustling city.. disregarding the May 2012 homebuyer poll released by TD Bank revealing desires of homeownership are still quite alive in the US.»
La solution à cette tendance est donc d’en trouver : les suburbs ont besoin de renouveau. Face à la difficulté de rénover ces immenses zones si excentrées et étalées, on entend maintenant des débats sur l’intérêt même de les sauver, et certains urbanistes – comme Richard Register ou Ellen Dunham-Jones – proposent même tout simplement de les détruire, pour recréer des zones naturelles et revenir à un habitat plus dense, constitué de logements plus petits et accessibles en transport en commun. Dans «Redesigning the American Dream : gender, housing, and family life», Dolores Hayden fait une proposition aussi simple qu’évidente : les villes américaines sont constituées de deux «patterns» différents : ville et banlieue. Les deux fonctionnent dans une idée de dualité et de dépendance. Cette relation complexe se doit d’être simplifiée par la création de connexion plus directe : «Private
life
and
public
life,
private
space
and
public
space,
are
bound together despite all the cultural pressures to separate them.»
Et, à chaque lobby sa proposition : Les nouveaux directeurs marketing proposent d’intégrer de nouveaux archétypes architecturaux, ceux de la banlieue du 21ème siècle : petites maisons, condominiums, apartements, mobile homes ou encore une maison high-tech : cette proposition reste donc dans le domaine de l’image, l’apparence, où l’architecture ne remplit son rôle que dans sa façade et donc dans l’idée qu’elle renvoie à son propriétaire.. & à ses voisins. Ces nouvelles maisons sont biensûr accompagnés de nombreux services pour lesquels il faudra payer : fast food, des garderies, et un service de «day-care» franchisé. Les politiques quant à eux, restent encore trop proches du modèle économique et immobilier pré-établi, restant dans un discours superficiel qui ne changera pas les conditions sociales, écologiques, de droits civiques etc. Ces deux solutions n’en sont donc pas. Selon Dolores Hayden, aucun changement architectural ou même urbain ne peut avoir lieu avant d’opérer un boulversement majeur : contrairement à l’architecture moderne qui pensait éduquer la «masse» par l’architecture, l’architecture doit maintenant s’adapter à des conditions qui la dépasse. Et une solution «globale» ne peut en être une : adapter la discipline au cas par cas, et reconnecter à l’échelle de l’humain, de la rue, se trouve être l’attitude à avoir.
C’est ce que propose Jerry Adler dans «15 ways to fix the suburbs» : des parcelles plus petites, réinsérer les commerces de proximité : « the suburban condition, is a landscape of absolute segregation.. not just in terms of income, age or ethnicity, but simple functional uses - This is so obvious that most people no longer see the absurdity of making a five-mile round trip for a loaf of bread. »
Rendre les rues moins larges : « Modern subdivisions are designed to be driven, not walked. Even little-used streets are 36 feet or 40 feet wide, with big sweeping curves at the corners. It’s great for cars: traffic barely needs to slow down. But for those on foot, the distance is daunting » ;
abandonner le cul-de-sac «a fancy word for dead end» ; diversifier l’architecture des maisons dans un but social et physique : « none would be as subversive as breaking the monopoly of single-family detached homes » ! Et enfin, recréer un centre-ville : toute vie sociale a besoin d’un parc, d’une place, d’un point de repère, et les centres commerciaux ne sont qu’un emblème d’une pauvreté sociale et architecturale sans précédent. Toutes ces idées se rejoignent donc dans une intention globale de l’échelle humaine : les États-Unis on construit trop grand. Trop vite. L’urgence, c’est la prise de recul de la nation : rien ne remplacera le pétrole, et rien n’est possible sans la voiture. Les suburbs deviendront pour les pessimistes les ghettos de demain, et pour les plus optimistes, une nouvelle façon de vivre ces espaces : les strips de fast-foods menant aux quartiers résidentiels devront se transformer en rue commerçante, plus dense, plus habitable, se prêtant à la déambulation humaine. Les maisons devront aussi indépendemment s’adapter aux nouvelles conditions écologiques et mettre en place de nouveaux dispositifs. Le sens de la communauté, et de l’entraide, que les rues et les maisons hors-échelles avaient supprimé, reprendrons d’une certaine manière. Même la façon de se nourrir ne sera plus la même, et les devantures se transformeront sans doute en potagers... Des idées que dès les années 80, le courant urbanistique du «new urbanism» auront émises. Ce courant propose de reprendre les morphologies d’un urbanisme dit «traditionnel», un urbanisme pensé sans la voiture et l’essence à moindre coût dans le but de retrouver une échelle d’aménagement, une densité, et un rapport entre le bâti et les vides afin de favoriser le piéton. Détaché de tout style ou de toute représentation visuelle, cet urbanisme pourrait être une des solutions à cette crise de l’aménagement du territoire américain.
CONCLUSION. Explorer l’imaginaire américain, ainsi que sa culture, c’est avant tout comprendre l’influence inconsciente sur la réalité. Au-delà de l’étude d’archétypes architecturaux et urbains, mon choix a été d’explorer ce qui a sous-tendu l’évolution et l’appréhension des américains vis-à-vis des suburbs, qui allait de paire avec l’idée qu’ils avaient d’eux-même. Les suburbs sont au final, le résultat tangible de l’espoir et de la fierté de LA nation que chaque famille américaine moyenne pouvait revendiquer en vivant son American Way of Life. Ce modèle urbain aura suivi la course économique qui triomphait dans les fifties, offrant un monde de tous les possibles à ces américains d’après-guerre. De l’éloignement de la ville, à l’installation d’une classe moyenne en périphérie, la banlieue devient une utopie que seul la plus grande puissance mondiale pouvait réaliser : « it’s a cartoon of country living, a cartoon of a house ». Aujourd’hui, les américains ont bien rêvé, et leur élite culturelle leur aura bien rendu (ironie) : ils détruisent tout ce qui subsistait à leur idéal : son image. Ils ont fait le choix d’ériger des murs pour symboliser leur statut social,ils ont construit des idées,plutôt que des espaces. En résulte de vaste terrains homogènes, des maisons et la voiture, comme élément nécessaire, comme échappatoire du dortoir aux jolies devantures. C’est le début de la déchéance, et les solutions se réduisent. Les villes sont trop grandes pour être rentables. Les solutions fantaisistes ne suffisent plus à la réalité de l’essouflement économique et de la menace du rechauffement climatique : il est inévitable de repenser les villes américaines, repenser leur mode de consommation, leurs habitations et les sortir de ce suicide imminent. Démanteler le rêve, se saisir de sa complexité, afin d’en appréhender le résultat : les suburbs ne sont qu’un enchevêtremenet d’événements succesifs & d’accident maladroit, une « machine à fric » qui sonne creux : « On the black river, the city lights shine They’re screaming at us, we don’t need your kind Sometimes i wonder if the world’s so small that we can never get away from the sprawl » - Arcade Fire.
Livres - GUTFREUND O., 2004, Twentieth-century sprawl highways and the reshaping of the american landscape, Oxford University Press, New-York - HAYDEN D., 2002, Redesigning the American Dream, W.W Norton & Company, New-York London - HEIMANN J., 2005, The Golden Age of Advertising - the 50s ,Taschen, China - LEINBERGER C., 2008, The option of urbanism : investing in a new American dream, Island Press, Washington DC
Films & Sitcoms - COPPOLA S., 1999, Virgin Suicides - MENDES S., 1999, American Beauty - JONZE S., 2011, Suburban War - KOHAN J., 2005, Weeds
Documentaires & Vidéos - GREENE Gregory, 2004, The End of Suburbia - GREENE Gregory, 2007, Escape from Suburbia : beyond the American Dream - The American Look 1958, http://www. youtube.com/watch?v=pstdNv44rIc - Design for Dreaming, http:// www.youtube.com/watch?v=4_ ccAf82RQ8&feature=related r
Articles - SZELPAL L., Images of the american suburbia, http://americanaejournal.hu/ vol8no1/szelpal - BILLARD G., BRENNETOT A., Subversive suburbia : l’effondrement du mythe de la banlieue résidentielle dans les séries américaines, http://www.univ-lehavre.fr/ ulh_services/IMG/pdf/1_Subversive_suburbia.pdf
ICONOGRAPHIE - COPPOLA S., 1999, Virgin Suicides, capture d’écran - The American Look 1958, http://www. youtube.com/watch?v=pstdNv44rIc , captures d’écran - JONZE S., 2011, Suburban War, captures d’écran - KOHAN J., 2005, Weeds, captures d’écran - MENDES S., 1999, American Beauty, captures d’écran - MACLEAN A., 2008, Over The American Landscape at the Tipping Point
bibliographie iconographie filmographie
rhita cadi soussi CADR 11990 04 2012-2013 architecture
« In the suburbs I, I learned to drive And you told me we’d never survive Grab your mother’s keys we’re leaving You always seemed so sure That one day we’d be fighting In a suburban war » - Arcade Fire, The Suburbs
..... / ...... / ...... ..... : ..... ARC 3305 architecture & stratégies urbaines