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Avril 2013 • www.saison.ch
Le magazine culinaire de bon goût
La Crète Sur cette île baignée par la Méditerranée, le jardin potager est au menu.
Caramel
Duos insolites Asperges et poivre de Tasmanie? Délicieux! Truite et rhubarbe? Un régal.
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Une gourmandise qui se décline et sublime les desserts.
ÉDITORIAL |
On y prend goût PHOTOS: PIA GRIMBÜHLER, CLAUDIA LINSI
Chère lectrice, cher lecteur,
L
a combinaison d’arômes a priori incompatibles est pour moi l’un des aspects les plus passionnants de la cuisine moderne. J’ai commencé à y prendre goût au début des années 1990, après m’être vu servir en guise de dessert une coupelle de fraises saupoudrées de poivre
fraîchement moulu. Je me souviens encore comme mon cerveau rechignait à porter la première cuillérée de ce mélange à ma bouche. Cela me semblait trop étrange, trop dissonant. Mes papilles étaient en état d’alerte. C’est pourtant resté
l’une des expériences sensorielles les plus intenses de ma vie: jamais les fraises ne m’avaient semblé aussi goûteuses et sucrées, et ce soupçon de rigueur poivrée chatouillait mon palais d’une manière subtile et complètement nouvelle. Christine Kunovits, rédactrice en chef.
Aujourd’hui, la perspective de fraises au poivre excite mes papilles au point que j’en ai l’eau à la bouche. Pour notre rubrique de pointe «Mariages inspirés», mon confrère Daniel Tinembart a également associé des arômes à première vue contradictoires: morille et carvi, carotte et violette ou encore truite et rhubarbe. Bea Wyler, seule femme rabbin suisse, cuisine bien différemment. C’est autour d’une table qu’elle confie à notre journaliste Christiane Binder ses passions culinaires et la particularité de son métier. Les desserts au caramel de ma collègue Lina Projer constituent assurément un autre point fort de cette édition. Qu’il s’agisse de glace, de gâteau, de tarte ou de fudge, difficile de résister à la tentation d’y tremper un doigt… Comme je suis impatiente de savoir si vous aussi, vous y prendrez autant goût que moi!
l ttes Danie ur de rece te au ion e at tr o ar N la prép t pendant rie sé la t Tinembar n vue illustra e d s se s ri des p binaison sur les com de recettes insolites. d’arômes
Cordialement,
Christine Kunovits
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| SOMMAIRE
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20 objets qui ont fait leurs preuves et qui facilitent la vie en cuisine.
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10 MARIAGES INSPIRÉS Rien ne les destinait à s’entendre et pourtant leur association est éclatante.
Plats savoureux, faciles et vite faits pour cuisiner comme un maître-queux.
34 APPAREILS & USTENSILES 20 objets de cuisine qui ont leur place dans tout bon ménage. 44 CARAMEL Le sucre sous sa forme la plus noble: des desserts à frémir de plaisir.
Entretien avec Bea Wyler, unique femme rabbin en Suisse.
26 CUISINER AU QUOTIDIEN Le talent de Ralph Schelling s’invite dans votre assiette.
52 LA CRÈTE A peine récolté, déjà dans l’assiette. Une île riche en jardins potagers. 60 ÉTAPE GOURMANDE Des tajines à faire pâlir d’envie les Berbères au «Au Couscous» à Lausanne.
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20
Le caramel donne une note subtile et gourmande au gâteau à la banane et autres desserts.
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A la découverte des locaux les plus traditionnels et les plus innovateurs de Crète, accompagné de deux guides.
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ET AUSSI… 6 9 33 38 40 43 51 64 65 66
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L’émincé est encore meilleur si la viande vient d’un élevage respectueux des veaux. 4 | 2013
Sur le feu Offre aux lecteurs: moulins à poivre et à sel Garofalo: pâtes napolitaines Chez Annick: brochette de viande hachée TerraSuisse Migros: viande de veau Tabasco Crème d’Or Migros: Lychee & Mora de Castilla Concours / Solution et gagnants du mois de février Impressum / Avant-goût A dévorer des yeux: Une entrecôte sur papier jaune de Félix Vallotton
65 Service lecteurs et abonnés
PHOTOS: PIA GRIMBÜHLER, NIKOS CHRISIKAKIS, RUTH KÜNG, LUKAS LIENHARD, JOS SCHMID; ILLUSTRATION: FELICE BRUNO; COUVERTURE: PIA GRIMBÜHLER
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20 À TABLE! Petite leçon de nourriture cachère avec Bea Wyler, femme rabbin.
Le printemps c'est…
… la saison du renouveau. Une période propice à la découverte et aux rencontres comme celle du poisson et de la rhubarbe ou de la carotte et de la violette. Des liaisons savoureuses qui s'unissent avec harmonie. recettes: danieL tinembart | photos: pia GrimbühLer | iLLustrations: stefanie beyeLer
Salade d'asperges avec sa vinaigrette au poivre de Tasmanie page 16
mariages inspirĂŠs |
Risotto au carvi avec morilles et fromage de chèvre page 16
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| À TABLE!
«J’aime les épiceries turques» Bea Wyler, l’unique femme rabbin de suisse, sert du gâteau aux carottes argovien à pessah, réduit sa consommation de viande et apprécie la culture juive du débat. entretien: Christiane Binder | photos: Jos sChmid
Bea Wyler, née en 1951, a grandi à Wettingen (aG). après des études d’agronomie à Zurich, elle a été la première femme à diriger la rubrique éco nomique de la Basler Zeitung. elle a ensuite étudié la théo logie juive à Londres, new York, Berlin et Jérusalem. en 1995, elle est devenue la première femme rabbin d’alle magne, fonction qu’elle continue d’exercer depuis son retour en suisse en 2004.
A l’entrée des locaux de la Communauté israélite de Zurich, qui abritent le restaurant Olive Garden, l’agent de sécurité jette un regard sévère. «Avec qui avez-vous rendez-vous? Bea Wyler?» Il note le nom, s’empare du téléphone. «Attendez qu’on vienne vous chercher.» Au bout de quelques minutes, madame le rabbin arrive. Elle tend un pot de confiture de cassis maison en signe de bienvenue. Cuisine de Saison: Savez-vous déjà ce que vous voulez manger? Bea Wyler: Mon frère dit que c’est ici qu’on trouve la meilleure escalope viennoise. Vu le choix restreint de restaurants cachers qui servent de la viande, ce premier rang est relatif, mais j’aimerais quand même profiter de l’occasion pour goûter. En quoi se différencie-t-elle d’une autre escalope? Elle est préparée avec de la viande de veau cachère et cuite dans de l’huile végétale. Que faut-il entendre par mets cachers? Ce sont des mets apprêtés conformément à la cacherout, le code alimentaire du judaïsme. A travers ces règles, il s’agit de faire preuve de sainteté au quotidien. S’agissant de la viande, trois points sont à observer: le choix de l’animal, le mode d’abattage, la combinaison dans l’assiette. Seule la viande des ruminants à sabots fendus est autorisée, à savoir le bœuf, la chèvre et le mouton. La volaille convient aussi. La cacherout ne considère pas le poisson comme de la viande. Les bêtes doivent avoir été abattues selon les prescriptions juives. Enfin, viande et produits laitiers ne peuvent pas être mélangés dans un même plat ou repas. C’est pourquoi il existe des restaurants «lactés» et «carnés». C’est aussi la raison pour laquelle cette escalope n’est pas cuite dans du beurre – et n’est donc pas une véritable escalope viennoise.
Est-il difficile d’observer la cacherout en Suisse? Séparer la viande du lait est une question d’habitude. Avec seulement trois ou quatre boucheries cachères en Suisse, s’approvisionner en viande n’est pas chose facile, j’en conviens, mais il y a moyen de s’organiser. Mon mari et moi avons un jardin et nous produisons pas mal de légumes et de fruits nous-mêmes. Pour les produits frais, on trouve de tout au marché et dans les magasins. J’aime particulièrement les épiceries turques. J’y achète des variétés de haricots et de pois qui sont aussi très importantes dans la cuisine israélienne. L’escalope arrive, servie avec des pommes allumettes et une salade de concombre, le tout expertement inspecté, testé et approuvé par Bea Wyler. Visiblement, vous vous y connaissez en nourriture. J’adore cuisiner et pâtisser. J’adore aussi expérimenter. Ma cave est remplie de conserves maison en tout genre. Mon mari et moi consommons peu de viande, non seulement parce que c’est un peu compliqué de se procurer de la marchandise cachère, mais aussi par souci de l’environnement. Je suis attentive à l’origine des aliments et à la façon dont ils ont été produits, ne serait-ce que pour des raisons de cacherout. Cela dit, je ne suis pas une fana orthodoxe du bio. Mais les thèmes liés à l’agriculture sont quand même importants à vos yeux? J’ai fait des études d’agronomie à l’EPF de Zurich. Dans les années 1970, l’écologie n’occupait pas encore le rôle de premier plan qu’elle a aujourd’hui et le développement durable n’était pour ainsi dire pas à l’ordre du jour. Pourtant, cela m’a toujours intéressée de savoir comment améliorer la situation alimentaire dans le monde, même si j’ai déchanté quand j’ai compris qu’il s’agissait d’un problème politique et non pas biologique.
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h p l a R c e v a n i l a m r Cuisine ELL RECETTES: RALPH SCH
A CAC ING | PHOTOS: ORNELL
ACE (PORTRAIT), PIA GRI
MBÜHLER (FOOD)
, ses recettes sont dans Simples mais raffinées ine moderne. l’air du temps de la cuis
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STYLING: CECILIA PERALTA; VÊTEMENTS: ESPRIT
Ralph Schelling a déjà travaillé au Kunststuben de Horst Petermann, mais a aussi fait partie des brigades du Bulli de Ferran Adrià et du Schloss Schauenstein d’Andreas Caminada. Pour en savoir plus, vous pouvez lire son interview sur www.saison. ch/fr/cuisiner-au-quotidien
CUISINER AU QUOTIDIEN |
Cassolette de poisson aux asperges vertes Page 32
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A fondre de plaisir
Recettes: Lina PRojeR | Photos: Lukas LienhaRd | styLing: ayako sugaya
Le caramel n’est autre que du sucre sous sa forme la plus noble. Une douceur qui fond sur la langue, titille nos papilles et donne aux desserts une note subtile et gourmande.
Gâteau à la banane avec sauce caramel pAge 49
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Caramel |
Glace caramel avec poires page 49
Le jardin potager est au menu TExTE: Haia MüllEr | pHoTos: Nikos CHrisikakis | aDapTaTioN DE la rECETTE: liNa projEr
En Crète, on vous apporte tous les plats sur la table en même temps. Des mets simples, apprêtés selon des recettes anciennes avec des produits de culture propre.
La beLLe vie Le soleil luit sur la plus grande partie de l’île 300 jours par année.
LA Crète |
trAnche de vie urbAine Grâce à un climat clément, la vie des Crétois se déroule souvent en plein air, comme ici à La Canée.
trAnche de vie cAmpAgnArde Les oliviers caractérisent l’image de l’île. Chaque Crétois consomme en moyenne 31 litres d’huile d’olive par an.
AttAché à lA trAdition Dimitrios Kagiambis cuisine comme sa maman le lui a appris. Il sert entre autres de la salade verte aux olives, tomates et herbes sauvages, ainsi que des dakos, la variante grecque de la bruschetta.
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Les ingrédients Agneau, pruneaux, oignons, amandes, sésame, miel, diverses épices.
Le chef Fabio Diogo Araujo cuisine ses tajines dans des plats en terre qu’il pose à même la flamme.
Le restaurant La plupart des éléments décoratifs nord-africains sont de fabrication artisanale.
La viande Particulièrement tendre, c’est l’épaule d’agneau qui se prête le mieux au tajine.
ÉTAPE GOURMANDE |
Au-delà de l’Afrique «Au Couscous», à Lausanne, on sert le tajine d’agneau à la marocaine, avec des pruneaux, du miel et un mélange d’épices choisies.
Nous vous avons mis l’eau à la bouche? TextE: Claudia Langenegger | PHotos: Jorma Müller | Adaptation des recettes: Annina Ciocco
L d’idées gourmandes dans Plus le nouveau e sol est recouvert de carreaux colorés, les tables, les lampes et autres éléments décoratifs qui ornent murs et plafonds viennent de Tunisie ou du Maroc: aller au «Au Couscous», c’est un peu comme entrer dans un autre monde. Cela fait sept ans maintenant que Totaj Safet et sa femme Shpresa dirigent ce restaurant, un des plus anciens établissements nord-africains en Suisse. Les tajines ont toujours figuré parmi les plats les plus appréciés. Leur nom désigne aussi bien le ragoût que son plat en terre au couvercle conique. «On prépare des tajines dans tous les pays d’Afrique du Nord», explique Totaj Safet. Chaque région a ses variantes. Celui qui n’aime pas la viande trouvera son bonheur avec un tajine au poisson ou simplement aux légumes. «Le tajine classique, cependant, est à base d’agneau.» Safet et ses cuisiniers privilégient les morceaux d’épaule, car «particulièrement tendres».
boutique», nous traduit Totaj Safet: en d’autres termes, le fleuron des marchands d’épices du Maghreb.
Le plat des Berbères Le ras el hanout d’«Au Couscous» vient d’un fournisseur spécialisé situé en France. «La cuisine nord-africaine y est plus répandue que chez nous», rappelle Totaj Safet. Ce mélange jaune, moins épicé qu’on pourrait le croire, est constitué de curcuma, coriandre, carvi, cumin, graines de fenouil, poivre et ail ainsi que d’autres épices qui restent le secret de leur fabricant. Gingembre, muscade, laurier, clou de girofle ou cardamome, parfois aussi des épices plus recherchées comme la fleur de lavande, la maniguette ou la racine de violette. L’origine du tajine vient de l’habitude séculaire des Berbères de cuisiner la viande directement sur le feu, dans des plats de terre ou d’argile. Au Maroc, il n’est pas rare de voir mijoter ce plat sur un feu de charbon de bois. Dès qu’il est prêt, la famille se réunit autour du foyer. Un morceau de pain pita coincé entre le pouce, l’index et le majeur, chacun attrape sa bouchée. Heureusement, les clients du «Au Couscous» ne sont pas tenus de maîtriser ce tour de force. Ils peuvent s’aider d’un couteau et d’une fourchette. Cependant, quand Totaj Safet soulève le couvercle du tajine, libérant tous les arômes des épices, ils sont bel et bien en Afrique.
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Jusqu’à 50 épices différentes Dans les cuisines d’«Au Couscous», l’agneau s’accompagne de pruneaux, miel, cannelle, amandes et sésame. «Cette recette est typique du Maroc», explique le chef. La viande corsée se marie divinement avec ces saveurs sucrées. Mais c’est le ras el hanout qui donne au tajine son goût incomparable. Ce mélange marocain comprend près de 50 épices différentes. Ras el hanout signifie littéralement «tête de
Le duo de restaurateurs Depuis sept ans, Totaj Safet (47 ans) et sa femme Shpresa (38 ans) dirigent le restaurant Au Couscous, dans la vieille ville de Lausanne. Après une enfance au Kosovo, l’hôtelier est venu en Suisse en 1989 pour y apprendre le français. Quand la guerre a éclaté dans son pays, il est resté là. C’est dans les cuisines d’Au Couscous qu’il a appris à aimer toutes les nuances de la cuisine orientale. L’établissement existe déjà depuis 1958.
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