LA TRANSFORMATION DE L AUTOCONSTRUCTION PAR LE NUMÉRIQUE
L'AUTOCONSTRUCTION EN OPEN-SOURCE,UNE NOUVELLE èRE DU VERNACULAIRE?
MARTEL CHRISTINE
Mémoire de Master, Février 2019 - Séminaire Repenser la Métropolisation - ENSAP Bordeaux
AMBAL Julie, GUILLOT Xavier, WILLIS Delphine
COUVERTURE:
Photomontage © Christine Martel
Janvier 2019
LA TRANSFORMATION DE L’AUTOCONSTRUCTION PAR LE NUMÉRIQUE
L'AUTOCONSTRUCTION EN OPEN-SOURCE, UNE NOUVELLE èRE DU VERNACULAIRE?
MARTEL CHRISTINE
Mémoire de Master, Février 2019
Séminaire Repenser la Métropolisation - ENSAP Bordeaux
AMBAL Julie, GUILLOT Xavier, WILLIS Delphine
Avant-propos INTRODUCTION
PARTIE I: L’AUTOCONSTRUCTION, AVANT-GARDE DE L’ARCHITECTURE EN OPEN-SOURCE
A. Une brève histoire de l’autoconstruction
B. Son intégration à la pratique de certains architectes
PARTIE II: L’INFLUENCE DU NUMÉRIQUE DANS LE DOMAINE DE L’AUTOCONSTRUCTION
A. Un monde ouvert et solidaire? Les origines de l’open-source
B. L’open-source dans le domaine de l’autoconstruction: le partage des données pour construire localement
PARTIE III: L’OPEN-SOURCE DANS L’AUTOCONSTRUCTION: UNE PERSPECTIVE D’ÉCO- CONSTRUCTION?
A. Les dérives et les promesses de ces outils numériques
B. Une redéfinition de la profession d’architecte face à ces changements
CONCLUSION
Bibliographie
Table des figures
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SOMMAIRE 7 8 12 12 23 31 31 38 54 54 72 76 78 82
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AVANT-PROPOS
Ce fut durant l’année de mon échange universitaire à l’Ecole d’Architecture de l’Université Laval de Québec que je réalisais combien le numérique transformait nos méthodes de travail et notre relation avec l’architecture. En effet, c’est en découvrant leur immense FabLab caché au sous-sol de leur bâtiment que je découvris une nouvelle facette de l’architecture: les fraiseuses cotoyaient les imprimantes 3D, déjà très performantes et appréciées des étudiants. La menuiserie située à côté de ces imposantes machines numériques apportait une touche de tradition rassurante, et les odeurs de plastique se mélangeaient avec celles du bois fraichement découpé. C’était un endroit vivant, bruyant, dans lequel les conceptions numériques des étudiants crééaient des formes organiques et délicates encore jamais vues dans mon cursus scolaire.
Ma colocataire québécoise avait alors à l’époque choisi un atelier de master dont l’objectif était de créer un pavillon pour de jeunes Inuits, à Kuujjuaq, au Québec, Canada, grâce à la conception numérique. Ce pavillon explorait le phénomène d’isolement que ressentent aujourd’hui la majorité des jeunes Inuits quittant leur territoire pour le Sud. La conception numérique sur le logiciel Grasshopper lui a permis de créer une forme très originale, organique et fine, composée de draps filaires et de fibre de verre. Ce pavillon pouvait être rapidement monté sur place avec l’aide des Inuits, et s’apparentait ainsi à de l’autoconstruction. A l’époque, ce projet était pour moi intriguant et fascinant, car il réfutait ce que je pensais du développement de ces outils numériques en architecture: la crainte d’un éloignement progressif du réel, de la matérialité et des gens pour lesquels on dessinerait dans un futur proche.
Et puis au fur et à mesure que je m’intéressais à ces outils numériques, des articles apparaissaient sur le web à propos d’habitats imprimés et de nouvelles méthodes collaboratives: partage de plans en open-source, plateformes numériques dédiées au développement du design, etc. Le potentiel d’internet pour développer de nouvelles collaborations entre nous m’a paru immense et riche, mais j’étais également consciente des dérives qu’ils pouvaient entrainer...
En quoi ces nouveaux outils numériques pourraient améliorer les conditions de vie des populations les plus fragiles? Dans un contexte d’urgence que le changement climatique entraine, comment bien utiliser leur potentiel?
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« Comme nous bénéficions des grands avantages des inventions d’autrui, nous devrions être heureux de pouvoir servir les autres par notre invention, et nous devrions le faire librement et généreusement. »
Benjamin Franklin (1706-90)
Père du capitalisme, éminent homme de lettres et scientifique reconnu, Benjamin Franklin nous rappelle à travers ces mots son ouverture d’esprit. Toute sa vie fut dictée par ses principes de transmission et de partage, irriguant les moyens de communication de ses inventions utiles. Le paratonnerre, le poêle Franklin, les palmes…tant d’œuvres qu’il refusa de breveter, et dont les instructions furent publiées dans son périodique Poor Richard’s Almanach. Entièrement libérées, ses œuvres devenaient ainsi la propriété de tous, et pouvaient alors exploiter leur potentiel dans sa totalité. Ainsi, selon le docteur Christian DeFeo1, cette approche ouverte et collaborative dans le développement du paratonnerre ou du poêle Franklin a présenté une méthode d’innovation qui nous rappelle celle des défenseurs du mouvement libre, de Linux aux Makers d’aujourd’hui. Son approche ouverte de la science en réseau se poursuit aujourd’hui dans l’approche moderne de la recherche et du travail en open-source. Le paratonnerre et le poêle Franklin, de précoces objets en opensource ?
Ce mémoire s’intéresse justement au potentiel créatif stimulant de l’open-source aujourd’hui, et à son influence dans le domaine de l’autoconstruction. Car depuis les dernières décennies du XXème siècle, les Etats-Unis et le reste du monde sont témoins d’un changement de pratique productive et de reconfiguration du rapport collectif au travail. En effet, de nombreux individus et groupes se retrouvent autour d’une vision du travail, celle du faire (make), rassemblant des activités telles que le bricolage, les activités artisanales...Et nombreux sont les Makers qui recherchent un travail à la main qui se suffit à lui-même, sans objectifs, sans contraintes, sans délais...un travail qui répond à l’envie de faire. Cette envie de faire soi-même est aujourd’hui influencée par internet et les nouvelles technologies de l’information et de la communication, notamment par la production de logiciels libres. En effet, une des conséquences de la production de ces logiciels fiables et robustes est l’émergence d’un modèle important, l’open-source, très influent dans le domaine de l’autoconstruction. Cet outil, basé sur la collectivité, la collaboration et
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1. Docteur en ingénierie à l’université de Scoughborough.
INTRODUCTION
l’organisation autonome de la hiérarchie, modifie non seulement notre façon d’accéder et de bénéficier de l’information, mais également la manière dont l’information est produite. Les programmes générés par les logiciels libres ont la particularité d’être créés de manière collective, et donnent à l’utilisateur l’opportunité d’être un développeur. De plus, ces logiciels permettent de souligner l’efficacité d’une communication horizontale, en respectant les droits de propriété des développeurs en facilitant leur adaptation à différentes échelles. Par ailleurs, ce modèle a réussi non seulement à s’affirmer dans la production de bien immatériels (informations, idées, programmes…) mais également matériels.
En effet, l’open-source est à ce jour un outil de partage et de production important dans le domaine de l’architecture et du design, et sa mise en pratique est récente et s’applique à différentes échelles. Il facilite en effet l’accès à de nouvelles procédures de conception et de construction de bâtiments, d’espace et d’aménagement, en encourageant la collaboration à travers des réseaux participatifs. L’architecture et le design sont ainsi transformés en des systèmes plus accessibles et transparents. Ainsi l’open-source est particulièrement lié à l’autoconstruction, car son esprit se rapproche de cette envie de faire soi-même, selon, autrement dit à la volonté de créer et de partager en se défaisant des contraintes imposées par le marché, la rentabilité, le droit de propriété...
Ce mouvement faire du XXIème siècle fait écho à un autre mouvement bien plus ancien, dont le nom officiel fut créé durant l’essor de l’Industrialisation et la perte de contrôle de la fabrication des logements par les habitants, mais qui existait déjà aux temps des premières sociétés sous la forme vernaculaire : l’autoconstruction. L’envie de faire soi-même, de se réapproprier le logement, ou d’autres objets du quotidien, n’a jamais disparue, et s’adapte aux évolutions constantes de notre société. Un des célèbres mouvements d’appropriation de logements en France, un pionnier de l’autoconstruction, fut la création de la Cité des Castors (1948), à Pessac, France. Avec comme objectif de répondre à la crise des logements en France durant la période d’après-guerre, cette coopérative de 150 ouvriers et leurs familles est un exemple d’autoconstruction solidaire et utopique. Elle sera développée dans la première partie de ce mémoire, consacrée à l’historique du mouvement de l’autoconstruction et à sa définition.
Puis, quelques initiatives collaboratives d’autoconstruction à l’étranger, et notamment dans les pays sous-développés, viendront enrichir cette première partie, mettant en exergue le contexte commun qui a enclenché leur développement : la crise du logement et l’instabilité politique. Pour conclure cette partie, nous nous interrogerons sur le rôle que peut jouer l’architecte dans ces systèmes collaboratifs, à travers l’exemple de deux précurseurs, le théoricien britannique John F. Turner (1927-) et le prix Pritzker 2016, Alejandro Aravena (1967-). Leur point commun ? La défense d’une architecture sociale et collaborative, utilisant les méthodes de l’autoconstruction pour inclure l’usager dans le processus de conception et de construction. Mais ces méthodes présentent des limites dans la qualité architecturale qu’elles génèrent et dans la part réelle donnée au processus participatif.
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«Alejandro Aravena est un pionnier de la pratique collaborative qui sait produire des architectures pleines de force, mais aussi relever les défis du XXIe siècle. Ses constructions participent à offrir des opportunités aux plus défavorisés, à atténuer les effets des catastrophes naturelles, à réduire la facture énergétique et à procurer des espaces publics accueillants. Innovant et inspirant, il nous montre comment l’architecture, à son meilleur niveau, peut améliorer la vie des gens.»
En plus de la dimension sociale engagée, Aravena se démarque et s’affirme en tant qu’architecte pionnier par la mise en libre-service de ses plans sur internet, et donc par l’acceptation d’une entière transparence. Ainsi, tout en modifiant le rôle de l’architecte traditionnel, Aravena s’adapte également aux pratiques numériques du XXIème siècle en utilisant l’open-source comme moyen de diffusion et de partage. Et c’est justement cette relation entre autoconstruction et open-source qui sera développée dans une seconde partie, avec une problématique majeure : en quoi les nouveaux outils numériques tels que l’opensource influencent-ils aujourd’hui l’autoconstruction ?
Dans un premier temps, nous nous intéresserons à la genèse du mouvement open-source et à sa définition, abordant les notions complexes du mouvement du libre : logiciels libres, Licences Creative Commons, open-source, free…qui nous montrerons l’existence de méthodes digitales collaboratives intéressantes. Ces méthodes pourraient alors inspirer le monde de l’autoconstruction à travers la création de plateformes participatives et l’amélioration des techniques d’autoconstruction.
L’open-source devient alors physique, et s’intègre dans de nouvelles communautés s’identifiant à ses valeurs : Fab labs, makers, etc. A travers ces communautés, sont développés en opensource des outils numériques tels que l’imprimante 3D, la fraiseuse ou encore la découpe laser. Ils proposent de nouvelles procédure de conception et de construction et favorisent l’apparition d’une nouvelle forme d’architecture vernaculaire, aux matériaux innovants. Des exemples tels que la maison imprimée Ihnova de Nantes ou encore la Maison Fab Lab. présentée au concours Solar Décathlon Europe 2010 seront développés pour illustrer cette nouvelle forme d’autoconstruction.Mais ces outils en open-source peuvent-ils être au service d’une éco-construction ?
C’est dans une troisième et dernière partie que nous interrogeront leur impact environnemental, leurs dérives et leurs limites. Participent-il à une transition écologique et constructive ? Quelle est la nature de leurs matériaux ? Sont-ils biosourcés, comme la plupart des utilisateurs l’affirme ? Quelle est la valeur de cette autoconstruction ? S’inscrit-elle dans un contexte spécifique, ou est-elle non-située à l’espace construit ? Peutelle rester dans une économie de partage ? Et quid du rôle de l’architecte dans cette nouvelle autoconstruction ? La transformation de sa profession est-elle systématique pour s’adapter à ces évolutions ? Comment peut-il évoluer ? Peut-on améliorer l’accessibilité à l’information sur l’autoconstruction, et inclure les professionnels de la construction dans ce processus, les rendant plus abordables et transparents ?
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Tom Pritzker (13 Janvier 2016). Chicago, Il.
Ce mémoire tentera ainsi de répondre à ces problématiques à travers une méthodologie précise :
Tout d’abord, une analyse documentaire sur l’historique de l’autoconstruction et sur les origines de l’open-source sera effectuée, pour comprendre les deux processus et le lien qui les rassemble.
Cette analyse sera suivie d’un inventaire de revue de presses actuelles, principalement digitales. Leur nombre croissant montre l’intérêt réel porté à ces nouveaux outils numériques et l’attractivité qu’ils engendrent. Il faudra trier entre le vrai du faux et prendre du recul sur la subjectivité de certains médias. Mais cette analyse permettra de faire un inventaire des différentes opinions sur ce sujet, très variées, car il touche un débat éthique qui nous concerne tous.
Puis, pour illustrer et enrichir ce débat, des études de cas d’autoconstruction en opensource seront présentées, développées, analysées. Mais il faut noter que l’open-source dans l’autoconstruction, à l’échelle de l’architecture est à son état embryonnaire. Les exemples sont rares et le manque de recul ne nous permet pas de tout savoir. Ce mémoire propose ainsi de questionner le devenir de ces nouveaux outils numériques dans le domaine de l’autoconstruction, et permet d’ouvrir le débat sur l’éthique qu’ils représentent, et les risques qu’ils engendrent.
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FIGURE 1: La cabane primitive comme première forme d’architecture
Partie 1
L’AUTOCONSTRUCTION, AVANT-GARDE DE L’ARCHITECTURE EN OPEN-SOURCE
Cette première partie s’attache à expliquer les origines de l’autoconstruction afin de comprendre son ampleur dans nos sociétés actuelles. Succédant à l’architecture vernaculaire, elle semble être aujourd’hui un terrain attractif pour certains architectes de renom. Nous tenterons ainsi de comprendre les enjeux de différentes initiatives d’autoconstruction à travers le monde, qu’elles soient politiques ou idéologiques, pour révéler des évolutions importantes dans ses pratiques collaboratives et constructives.
A. UNE BRÈVE HISTOIRE DE L’AUTOCONSTRUCTION
Définition
L’autoconstruction désigne tout ce qui est construit et utilisé par l’usager lui même, notamment en architecture. En tant que telle, elle fut la norme pendant une grande majorité de l’histoire humaine, et tant que le recours à un maçon ou à un architecte n’était pas répandu, elle est restée l’évidence, jusqu’à l’aube de la révolution industrielle. Aujourd’hui, elle existe sous différentes formes, et implique une appropriation de l’acte de construire l’espace qui n’est pas sans difficultés. Elle n’est pas pratiquée pour les mêmes raisons suivant les classes sociales et les valeurs qu’elle véhicule à travers cette démarche constructive.
L’autoconstruction est un mot composé en deux parties : « auto » et « construction », qui révèlent des enjeux bien précis de ce procédé. En effet, le préfixe « auto » vient du pronom grec autos, soi-même, lui-même (Larrousse), et se réfère à une action (ici la construction) effectuée par un être humain pour un être humain. Le deuxième mot, « construction », vient du latin constructionem, signifiant « établir ensemble », qui vient lui même du verbe construire, et qui prend un sens plus profond qu’uniquement « l’action de construire quelque chose 2 ». Ainsi, selon médiadico, un dictionnaire en ligne:
2 Définition du Centre National des Ressources Textuelles et Lexicales (CNRTL). Repérée sur: http://www.cnrtl.fr/ definition/construction
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« Construire est plus général que bâtir. Construire signifiant par son étymologie, établir ensemble, s’applique à toute espèce d’arrangement ; et l’on dit construire une machine aussi bien que construire une maison. Bâtir, impliquant étymologiquement, l’idée de ce qui supporte, ne se rapporte qu’aux maisons, aux édifices, aux vaisseaux. »
Ainsi, la construction ne pourrait se résumer uniquement à l’acte de créer une entité physique, à transformer, connecter, organiser la matière, ayant pour objectif de répondre à un besoin fonctionnel, pour un usage précis. En effet, elle établit ensemble et s’imbrique dans un processus de conception de l’acte architectural qui intègre des relations étroites entre l’humain et le monde, et ses différentes manières de le voir.
De plus, on associe beaucoup ce mot au processus d’automatisation, à des objets autonomes, capables de se mouvoir de manière indépendante, avec peu ou pas de contrôle extérieur. Cette affiliation à l’autonomie est d’autant plus présente aujourd’hui, au XXIème siècle, que la technologie progresse et évolue notamment au service de la robotique. C’est ainsi que ce mémoire a pour objectif, dans une deuxième partie, de montrer la façon dont les nouvelles technologies de l’information et de la communication (TIC) influencent aujourd’hui le domaine de l’autoconstruction, par le biais d’outils et de machines très spécifiques.
Une discrète omniprésence
Les origines de l’autoconstruction remontent à l’aube des civilisations. En effet, l’humain a toujours eu le besoin de se protéger de son environnement hostile, du climat aux envahisseurs. C’est en 1753 que Marc-Antoine Laugier (1713-1769), jésuite et homme de lettres, publie dans son Essai sur l’Architecture (1753) ses questionnements sur l’habitat originel. Considéré comme le père du naturalisme, il affirme que le premier homme à avoir construit un abri devait imiter la nature, voire même l’améliorer à son avantage. Joseph Rykwert, dans La maison d’Adam au paradis (1976) analysant dans la Genèse la maison originelle, affirme que :
« L’homme veut se faire un logement qui le couvre sans l’ensevelir. Quelques branches abattues dans la forêt sont les matériaux propres à son dessein. Il en choisit quatre des plus fortes, qu’il élève perpendiculairement et qu’il dispose en carré. Au-dessus, il en met quatre autres en travers, et sur celles-ci, il en élève qui s’inclinent et qui se réunissent en pointe des deux côtés. Cette espèce de toit est couverte de feuilles assez serrées, pour vrai que le froid et le chaud lui feront sentir incommodité dans sa maison ouverte de toutes parts mais alors, il remplira l’entre deux des piliers et il se trouvera garanti...3».
Cette description de l’abri originel soulève de nombreuses questions, tant sur son aspect caricatural que ses précisions sur une géométrie déjà complexe et définie qui n’était surement pas encore bien établie aux origines de l’homme. Mais nous comprenons ainsi
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3 Rykwert Joseph, La maison d’Adam au paradis, éd. Parenthèses, 2017.
que pour l’auteur, la maison originelle était une cabane primitive. Marc-Antoine Laugier (1713-69) dont les théories sont issues de Vitruve partage également cet avis. Selon lui, la première forme d’architecture était une cabane primitive, posée sur des arbres, et composée d’éléments de toiture (fronton) servant d’abri. L’ossature y était primordiale.
Avant l’essor de l’Industrialisation à la fin du XIXème siècle, le terme autoconstruction n’existait pas dans la langue française. En effet, l’autoconstruction avant l’ère industrielle était définie comme étant de l’architecture vernaculaire: « […] l’implication des habitants dans la construction (architecture vernaculaire), en milieu rural ou urbain, dans les sociétés préindustrielles ou traditionnelles.4».
Celle-ci évolua dans un contexte différent de l’autoconstruction actuelle, et fut un moyen de se protéger contre les dangers de la nature, et non pas de l’exploiter, comme ce fut le cas après l’ère industrielle. En effet, l’acquisition des connaissances en architecture vernaculaire se faisait alors par accumulation d’expériences et par la transmission locale des techniques de construction, de génération en génération. Aujourd’hui, l’architecture vernaculaire reste très présente dans les territoires ruraux et les pays en voie de développement ou sous-développés.
Les premières expériences d’autoconstruction organisées : étude de cas de la Cité des Castors, à Pessac, France.
Cependant, selon L. Valladares, c’est à la fin du XIXème siècle que « l’idée d’autoconstruction apparaît pour la première fois, grâce à une initiative lancée par un mouvement syndical allemand5 ». L’objectif était alors de trouver une solution aux problèmes de logement dans un contexte de crise favorisant l’apparition de programmes populaires d’autoconstruction. En effet, selon l’auteure, les syndicats allemands commencèrent à proposer des modèles collectifs d’entraide et de solidarité, tels que des coopératives d’alimentation ou des associations de loisir. Or, les progrès technologiques de l’ère industrielle et post-industrielle entrainèrent progressivement la perte de contrôle de la production des logements par les habitant.
Selon Harms (1982), c’est après la première guerre mondiale que les ouvriers du bâtiment virent dans l’autoconstruction un « moyen d’intervenir dans le processus de production des bâtiments, de court-circuiter le système d’exploitation salariale, et du même coup, d’améliorer leurs conditions de vie et de travail à travers l’autodétermination des producteurs dans un processus socialisé de production6 ».
4 Choay, F., & Merlin,P., Dictionnaire de l’aménagement urbain (3ème éd). Paris: Presses Universitaires de France-PUF, 2010
5 Valladares L., Les initiatives d’autoconstruction dans les villes du Tiers-monde : revue de la littérature. International Rewiew of Community Development, 1987, 13-24. URL: https:// doi.org/10.7202/1034364ar.
6 Ibid.
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C’est ainsi que des mouvements contestataires d’appropriation du logement répondant aux pénuries d’après guerre émergèrent, et que l’idée d’autoconstruction, telle que nous la connaissons aujourd’hui, commença à apparaître. En conséquence, l’architecture vernaculaire devint alors marginale, voire interdite dans certains milieux urbains du fait de normes et de règles imposées par les politiques.
Les effets de l’Industrialisation sur le secteur du logement furent problématiques vers les années 1840, notamment en GrandeBretagne. En effet, les exodes ruraux (de la campagne vers la ville) entrainèrent une pénurie d’offre de logements par rapport à la demande. La mécanisation du travail, l’apparition de nouvelle machines performantes pouvant remplacer la main d’œuvre favorisa le licenciement de nombreux artisans. En conséquence, d’importantes manifestations d’ouvriers se constituèrent un peu partout, et favorisèrent l’apparition des premières coopératives.
En France, le contexte fut similaire, voire pire, mais les mesures pour y remédier furent plus tardives. C’est en effet dans un contexte de reconstruction d’après-guerre que les premiers mouvements organisés d’auto constructions sont nés.
Parmi eux, vers le début des années 1920, les cottages sociaux formés par des groupes d’ouvriers organisés spécifiquement, constituant les ancêtres des Castors
Leurs objectifs ? Favoriser l’accès aux logements décents à des ménages ayant des faibles revenus, qui n’auraient pas eu la possibilité d’accéder à la propriété autrement. L’avantage de la formule coopérative ? Réduire les coûts de construction, permettant notamment la négociation des prix avec les artisans.
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FIGURE 2: Vue aérienne de la cité des Castors, à Pessac.
FIGURE 3: Vue perspective des lotissements
FIGURE 4: Répartition des taches: l’équipe béton
22 groupes de cottagistes créèrent plus de 1000 logements à travers la France. Cependant, malgré un engagement certain, des difficultés financières en découragèrent plus d’un. En effet, des délais très long empêchèrent l’obtention rapide de crédits. En 1945, les destructions du conflit armé furent immenses, le bilan était catastrophique car 450 000 logements furent détruits et plus de 1 500 000 endommagés. L’urgence de se loger décemment était alors imminente, et c’est ainsi que de petits groupes se créèrent en France afin de faciliter la reconstruction de leurs logements, sans avoir d’autre choix que de les diriger eux même. Pour pallier à la faiblesse de leurs revenus, ils s’impliquèrent personnellement dans les travaux de construction et par une organisation commune du travail. On les surnommaient alors les Castors (figure 2-3-4).
Ce mouvement fut d’abord lancé à Bordeaux, par Etienne Damoran, aidé de deux syndicalistes CFTC (Confédération Française des Travailleurs Chrétiens), qui créérent en Novembre 1948 la coopérative HBM, le Comité ouvrier du logement (COL) regroupant principalement des ouvriers des chantiers de la Garonne. Le succès de leur entreprise dépendait alors de la motivation des coopérateurs et de la rapidité des chantiers.
La coopérative acquit un terrain de 12 hectares à Pessac, et construisit 150 logements en location, en plus d’un centre commercial occupé par une coopérative de consommation. Des règlements intérieurs rythmaient et organisaient la construction de la Cité des Castors En effet, une présence d’au moins 24 heures par mois était obligatoire, et l’attribution des maisons ne devait se faire qu’une fois les travaux terminés. Par ailleurs, la Caisse d’Allocations Familiales (CAF) lança un prêt de 2 millions de francs, et servit d’exemple à la France.
Cependant, la séduction certaine de cette coopérative Castor qui inspira des ménages populaires dans la France entière, ne réussit pas à empêcher l’émergence de confrontations. En effet, le travail laborieux, l’intégration difficile de familles populaires et d’autres problématiques notables participaient aux disfonctionnements et à la création d’une utopie.
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FIGURE 5: Le château d’eau, construit entièrement par les Castors.
Ainsi, le développement de programmes populaires d’autoconstruction est très souvent associé aux contextes de crise du logement et aux agitations politiques des pays, c’est-àdire lorsqu’un « déséquilibre entre l’offre et la demande » (Wikipédia) se crée.
Ces programmes, comme nous l’avons vu, peuvent être lancés sous l’initiative de groupes de citoyens (ouvriers) tels que les cottages sociaux de Grande-Bretagne afin d’améliorer leurs conditions de vie et de travail, ou sous celle de l’Etat. En effet, pendant la crise des années 1930, le gouvernement nazi créa des programmes d’emploi et de logement mettant en pratique les idées de collaboration et d’entraide de l’autoconstruction, fondées sur le principe d’une « économie sans argent » (Valladares, 1987). Ces programmes minimisèrent le rôle de l’Etat tout en assurant la reproduction sociale des chômeurs (Harms 1982).
L’exportation de ces initiatives à travers le monde
Ces programmes d’autoconstruction populaires s’exportèrent également hors de l’Europe. En effet, ce fut aux Etats-Unis, vers les années 1930 dans un contexte de crise économique, d’agitation politique et de chômage élevé que des expériences similaires eurent lieu.
Selon Valladarès, c’est en 1933, en Pennsylvanie, que des programmes d’autoconstruction furent créés afin de diminuer le chômage des mineurs de charbon. Ces programmes encourageaient alors « un retour à la terre et la création de communautés autarciques » (Valladarès, 1987). Toujours selon Valladarès, des initiatives similaires d’autoconstructions furent développées un peu après par les américains à à Porto Rico, entrainant la création de 40 000 unités d’habitations résidentielles.
A partir des années 1960, ces expérimentations d’autoconstructions furent exportées massivement vers les pays sous-développés, afin de répondre aux cirses du logement. Cet export permit d’aborder la question de la pauvreté dans des pays soumis à une urbanisation incontrôlable, à des processus d’urbanisation rapide des grandes villes de pays en voie de développement tels que les bidonvilles.
En effet, les logements sociaux n’existaient jusque-là que dans des cités standardisées isolées et peu nombreuses, et l’explosion démographique couplée à un taux de chômage élevé et à un exode rural massif entrainèrent l’augmentation du pourcentage de familles à bas revenu dans la population urbaine (Harms, 1982). Ces familles furent alors reléguées en périphérie des villes, dans des ensembles urbains d’habitations insalubres et pauvres, appelés bidonvilles.
Le terme « bidonville » fut employé pour la première fois dans la Voix du Tunisien7 désignant un ensemble de maisons construites en « bidons » à Tunis. Ce terme a rapidement pris une signification plus large, selon Wikipédia, pour se rapprocher des mots anglais tels
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7 Dr. Matéri, La Voix du Tunisien, quotidien francophone, journal du Destour, 1931.
que slum qui désignait au XIXème siècle les taudis de Dublin. Aujourd’hui, cette forme d’habitat insalubre existe sous différents mots suivant les langues (township en Afrique du Sud, favelas au Brésil, chabolas en Espagne, etc.).
Bâtis sous forme d’autoconstruction par les habitants, les bidonvilles sont densément peuplés, voire surpeuplés (env. 800 000 habitants à Bombay, en Inde), sont généralement situés en périphérie des villes et ont un accès insuffisant aux premières nécessités, telles que l’eau potable: « C’est d’abord la misère rurale qui emplit les bidonvilles. Puis l’accroissement naturel prend le relais8 ».
Il existe probablement aujourd’hui plus de 200 000 bidonvilles dans le monde entier, et la majorité sont dans des pays peu industrialisés. Dans ce contexte, les projets de développement sont voués à l’échec, car l’explosion de la demande est largement supérieure à celle de l’offre (Valladarès, 1987). Certains gouvernements de pays sous-développés admettent d’ailleurs l’inefficacité de raser les bidonvilles pour les remplacer par des cités standardisées (Gilbert, 1982), une méthode utilisée par les anciennes politiques mais qui fut systématiquement un échec.
Ainsi, suite à l’échec des politiques traditionnelles, des programmes alternatifs d’autoconstruction furent développés dès les années 1960 dans ces pays afin d’améliorer des conditions de vie des habitants urbains les plus pauvres. Parallèlement émergèrent des points de vue différents des politiques classiques, venant d’universitaires, d’anthropologues ou d’architectes, remettant en question le mythe des bidonvilles : « chaotiques, désorganisés dont les résidents constituent un fardeau économique pour le pays, lieux privilégiés de pathologies sociales (criminalité, délinquance, prostitution, drogues) et lieux de prédilection pour des agitations politiques » (Valladarès, 1987).
W. Mangin ou l’architecte John F. Turner démolirent ces mythes, suite à leurs expériences de terrain au Pérou, où ils affirmèrent l’existence d’organisations internes spécifiques aux bidonvilles, de l’importance de la famille et de l’existence d’espaces de vie collectifs
8 Cannat, N., Sous les bidons, la ville...de Manille à Mexico, à travers les bidonvilles de l’espoir, Paris, France, L’Harmattan, 1988
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FIGURE 6: Des autoconstructions en matériaux recyclés, dans le bidonville d’Hussein Dey, Alger, 1930.
FIGURE 7: Zoniers d’Ivry, Paris, avant le périphérique, 1913.
(figure 8). John F. Turner fait alors l’hypothèse que l’investissement des résidents dans leurs maisons et dans leurs quartiers est étroitement lié à l’assurance de leurs droits de propriété. Ses idées entrainèrent alors le développement de programmes de logements alternatifs, que l’on développera dans une seconde partie avec l’exemple des logements sociaux de l’architecte Alejandro Aravena, au Chili.
Aujourd’hui, certains pays développés tels que la France ou l’Angleterre possèdent également des bidonvilles, mais sous des formes plus discrètes et moins denses. Il en existe ainsi différentes formes, décrites par Mike Davis, dans son livre Le pire des mondes possibles9: des logements formels de type immeubles abandonnés, et informels comme les squats…
Ces typologies d’habitats se développent de plus en plus, le nombre d’habitants étant estimé à atteindre deux milliards en 2030 dans le monde pour un milliard en 2008. Certains pays du Nord semblent être pour l’instant dépassés par le nombre croissant de réfugiés politiques, qui seront bientôt rejoints par les réfugiés climatiques. Ces déplacements massifs de populations, souvent livrées à elles-mêmes, entrainant la création de micro-bidonvilles en périphérie des villes comme la « jungle de Calais », démantelée en 2017. Ces réfugiés sont au cœur des débats politiques et expriment une réelle problématique actuelle et future que les pays développés doivent aborder sérieusement, car la situation engendrée par le réchauffement climatique nécessite une réaction rapide. Ainsi, des initiatives d’autoconstruction créées par des organismes publics pourraient éventuellement prendre en charge l’amélioration de leurs conditions de vie, tout comme elles essaient de le faire depuis quatre-vingt dix ans dans les pays du Sud.
9 Davis, M., Le pire des mondes possibles. Paris, France: La Découverte, 2007
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FIGURE 8: Des maisons-corridor aux pièces sans fenêtre: « un tombeau pour personnes vivantes » (Fernando Belaúnde). Plan et photographie de John F. Turner, Bidonville de Lima, Pérou, 1945.
Aujourd’hui : le développement d’expériences d’autoconstructions issues d’initiatives privées
Encore aujourd’hui, le développement d’initiatives d’autoconstruction est lié au contexte de crise. L’insécurité de l’emploi amène ainsi deux caractéristiques majeures : des ressources financières moins importantes et des temps plus longs hors du travail salarié. Un équilibre temps-emploi est alors créé, favorisant le développement d’expériences d’autoconstructions dans les pays développés. En effet, l’intérêt pour des processus alternatifs de construction est porté aujourd’hui par un nombre croissant d’individus dont les mentalités évoluent face à la diminution des ressources et aux problématiques que le changement climatique engendre. Leurs motivations sont à la fois idéologiques et économiques, celles de :
- Participer à la transition constructive, écologique et sociale en encourageant le développement de filières constructives locales et écologiques (bois, chanvre, paille, terre) en lien avec leurs performances énergétiques.
- Posséder des logements de meilleure qualité ; celles de répondre à un désir socio-culturel de savoir-faire et de se réapproprier le processus de construction.
- Participer à un mouvement collaboratif, communautaire, social et de s’engager dans un système alternatif de production en faveur d’une « résilience locale ».
Ainsi, leur besoin de se réintégrer dans les décisions impactant leur vie quotidienne est symbolisé à travers ces choix alternatifs. De plus, les avantages de l’autoconstruction sont nombreux, affirme Valladarès :
- Des logements plus économiques
- Une flexibilité, et une meilleure adaptation aux envies et aux besoins des familles.
- Une plus grande autonomie qui fait place à l’initiative individuelle, à la « liberté de construction » (Turner), et qui favorise la responsabilité des habitants.
- L’importance de la participation individuelle et collective, qui enlève au consommateur sa passivité.
Ces affirmations proviennent d’analyses issues de mémoires universitaires10 ayant travaillés sur l’autoconstruction, sujet étudié en profusion, et d’expériences personnelles. Voici l’exemple d’une maison paloise entièrement rénovée par ses habitants, qui répond à tous les critères évoqués ci-dessus. Leur principale raison est à la fois d’ordre idéologique et économique: un désir de projet commun avec des moyens limités. La rénovation fut un choix économique évident pour répondre à leur principale exigence: celle d’avoir un jardin en centre-ville. Ils furent accompagnés techniquement durant tout le processus, par différents corps de métiers (amis ou professionnels): Espace Info Énergie de Pau (ADEME), plombier, électricien, platrier, conseil en charpente, chauffagiste. La conception fut conseillée par moi-même (optimisation des espaces, travail en plan et en coupe). Plusieurs aides financières permirent de réaliser la seconde partie du projet, à savoir les combles: le crédit d’impot transition énergétique (CITE), des subventions issues de l’agglomération en faveur de la transition énergétique également, et des primes énergie. Tous les éléments
10 Chamand Y., Concevoir et accompagner l’auto-construction: posture d’architectes, mémoire d’architecture, Clermond-Ferrand, 22 Janvier 2018 & Lacoin Félix, Architecte et habitat participatif, rôle postures et évolutions, mémoire d’architecture, Lyon, 2018.
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intérieurs initiaux (cloisons, isolants, revêtements, plancher) furent remplacés par des matériaux choisis pour leurs qualités environnementales en lien avec le confort voulu: laine de bois, velux double vitrage, poêle à bois, revêtement à la chaux. Le chantier s’est effectué en six mois et la transformation est radicale. La majorité des cloisons intérieures furent détruites puis reconstruites, recréant des espaces plus généreux et lumineux (cf. figure 9) et les combles furent réaménagées quelques mois plus tard en chambres et salle d’eau suite à l’aggrandissement de la famille.
Cette initiative d’autoconstruction illustre ainsi les principales raisons des autoconstructeurs: économie, écologie, qualité. Cependant, cet engouement pour l’autoconstruction reste encore marginal à l’échelle nationale, tout comme le recours à l’architecte pour construire sa maison de moins de 170m2 de surface.
Mais qu’en est-il du rôle de l’architecte dans ces mouvements alternatifs de construction?
Peut-il s’adapter à un programme qui semble paradoxalement l’exclure ? Quel serait alors son rôle ? Comment peut-il être acteur du processus ? A travers une étude de cas de logements sociaux d’Alejandro Aravena, construits sous les principes de l’autoconstruction, nous étudierons les enjeux, les perspectives et les limites qu’offrent ces alternatives à l’architecte. Quel rôle eut l’architecte chilien dans le processus de construction de ces logements ?
Cette analyse critique sera précédée d’un paragraphe sur l’architecte précurseur John F. Turner, auteur d’écrits inspirants sur l’autoconstruction.
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FIGURE 9: Première et deuxième sessions des travaux de rénovation intérieure. En haut, l’espace cuisine avant-après. En bas, l’espace combles avant-après. 2014, Pau, France.
B. SON INTÉGRATION A LA PRATIQUE DE CERTAINS ARCHITECTES
John F. C. Turner, l’architecte théoricien
Un des premiers architectes à s’être réellement intéressé à l’autoconstruction et à utiliser ses connaissances et ses capacités en faveur de ces modèles alternatifs est le britannique John F. C. Turner, cité précédemment. Son travail consista à répertorier les différentes structures des habitats précaires dans les bidonvilles situés en périphérie de Lima, au Pérou, à la fin des années 1950. Il obtint ainsi son premier emploi en tant qu’architecte-consultant auprès des associations de résidants des barriadas de la ville d’Arequipa (Turner, 1982). Selon Valladarès, dès ses premiers écrits, Turner aborde le « problème de la définition des besoins et des priorités en matière de logement. Il met ainsi en relief les différences qui existent entre la vision petite-bourgeoise, typique des planificateurs, qui surévaluent l’importance des normes, et la vision des pauvres, qui privilégient beaucoup plus la situation géographique et la sécurité d’occupation11». Comme nous l’avons expliqué précédemment, John Turner participa à l’évolution des points de vues sur le mythe des bidonvilles et encouragea le développement de programmes alternatifs d’autoconstruction dans ces lieux. Son intérêt pour la construction locale et sa volonté de valoriser le vernaculaire impliquait un rejet de la production de logements de masse qui débutait alors fin du XIXème siècle. Il se positionna ainsi dès le début comme un architecte contre les grands projets sociaux, et élabora des perspectives d’alternatives au mouvement moderne.
« On éprouvait, et on savait que l’architecture ne pouvait pas être pratiquée comme s’il s’agissait d’une variable indépendante, comme si l’architecte n’avait pas de responsabilités sociales ou politiques, et d’ailleurs, on ne pouvait pas accepter l’antithèse marxiste. Il était aussi absurde de croire que la structure sociale pouvait être modifiée par l’architecture ou que l’architecture devrait se soumettre entièrement à une interprétation officielle du goût populaire12».
Turner envisageait alors déjà d’impliquer les acteurs dans le processus de conception et de construction des habitats, et le voyait comme un instrument pour « atteindre des bien existentiels dont la réussite exprime l’épanouissement de l’individu et de la communauté13».
John F. C. Turner fut ainsi le premier architecte à défendre des pratiques alternatives de construction impliquant l’habitant dans le processus entier, en tant qu’acteur essentiel du projet. L’architecte fut le théoricien d’un mouvement qui aujourd’hui prend de l’ampleur dans notre profession.
11 Valladares L., « Les initiatives d’autoconstruction dans les villes du Tiers-monde : revue de la littérature», International Rewiew of Community Development, 1987,(17), pp.13-24. URL: https:// doi. org/10.7202/1034364ar 1987.
12 Turner, F., Housing by People: Towards Autonomy in Building Environments, 2nd éd., Marion Boyars Publishers Ltd, 1976, p.132
13 Op. Cit. Valladares L., p.23
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Mais la partie la plus intéressante réside dans ses derniers travaux : l’élaboration du projet Tools for Community Regeneration (TCR). Ce projet consistait à construire une bibliothèquebase de données, qui « fournirait des outils locaux appropriés aux taches que les habitants et les usagers réalisent en développant une acticité concrète, non seulement dans des pays en voie de développement mais aussi dans des pays développés14».
Quelques années après, J. F. C.Turner renforce cette idée avec le projet Framework, un cadre comportant des « informations et des outils accessibles, qui pourrait devenir un instrument pratique pour les techniciens, pour les mouvements sociaux et pour les actifs d’habitants dans le domaine de l’architecture et de l’urbanisme15». Cet outil pourrait ainsi permettre de diffuser et de partager mondialement les informations, les connaissances des modes de construction alternatifs et locaux. Car selon Turner, pour affronter la prochaine crise économique et idéologique il faudrait s’inspirer des expériences locales communautaires et orienter le monde de la construction à la voie écologique qu’il lui faut emprunter : « il est temps d’abandonner les chemins erronés, il est temps de chercher ensemble les clés de ce développement durable dans l’histoire16». Un autre architecte, plus contemporain, semble s’inscrire dans la lignée de Turner : Alejandro Aravena.
Alejandro Aravena, un architecte accompagnateur ?
L’intérêt de cet architecte réside dans sa manière d’aborder les projets alternatifs de logements sociaux développés au Chili. Plus contemporain que J. F. C. Turner, il semble s’inscrire dans la continuité de ses théories en encourageant les processus de participation et d’évolution dans la conceptualisation de ses projets.
En effet, le 4 Avril 2016, Alejandro Aravena gagna le prix Pritzker pour son projet de logements sociaux à Iquique, au Chili, ce qui lui donna l’opportunité d’affirmer l’importance d’une architecture qui « inclue la communauté dans le processus17 ». Il s’impose également en tant que précurseur par la mise en libre accès sur internet des plans de quatre de ses logements sociaux. Quiconque peut ainsi les étudier et les utiliser en téléchargeant gratuitement les plans d’implantation, de construction et les détails techniques. Cet acte, qui existait déjà mais qui n’était qu’à un stade embryonnaire, pourrait bien être généralisé dans la pratique de l’architecte, dans l’objectif de favoriser la prise d’initiatives de constructions individuelles dans des pays où l’offre sociale est faible. On y voit un parallèle avec le projet original Framework de John F. Turner, qui préconisait également le partage de connaissance (ici les plans d’architecture).
14 Op. Cit. Valladarès, p. 23
15 Op. Cit. Valladarès, p. 23
16 Golda-Pongratz, K. ; Oyón, J. L. ; Zimmermann, V. 2011. Entretien de John F. C. Turner, Hastings, 18-21 junior.
17 Aravena A., « My architectural philosophie? Bring the community into the process », TEDGlobal talk, Rio de Janeiro, Brésil, Octobre 2014.
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Mais le personnage médiatique d’Aravena est bien plus complexe que son apparence rebelle et anticonformiste. Derrière une démarche se voulant engagée socialement, pertinente et originale, se cachent des intérêts économiques et personnels évidents.
Pour comprendre la valeur de sa production architecturale Quinta Monroy, à Iquique construite en 2004, il faut alors remonter aux origines, bien avant la création de son agence Elemental.
En effet, la politique autoritaire et conservatrice du régime d’Augusto Pinochet (19152006) contrôlant et limitant l’information provenant de l’extérieur, marqua fortement les études d’Aravena. Malgré toutes les tares de cette dictature militaire, Aravena défend l’idée d’avoir pu échapper, grâce à elle, à l’influence du Post-modernisme des années 1985, l’obligeant à se concentrer sur sa culture chilienne, sans avoir été distrait pas le reste du monde.
Cependant, l’influence de la culture chilienne sur l’architecture sociale de Quinta Monroy est minimale. En effet, son approche de l’architecture, très utilitariste, semble être aux antipodes d’une architecture s’inspirant de la culture chilienne et prenant en compte un contexte social local. Nous pouvons ainsi questionner la diffusion mondiale d’un modèle se présentant comme la solution à des problématiques sociales, économiques et culturelles spécifiques au Chili. Mais quel donc ce projet qui charme le monde entier (ou presque) ?
Elemental fut créée en 2003 grâce à une bourse fournie par le Fond National du Développement Technique et Scientifique (FONDECYT) et désignée à l’origine comme étant une entreprise publique. C’est en 2005 que ses membres décident de s’associer à COPEC, l’industrie pétrolière du Chili et à l’Université pontificale afin de devenir une entreprise à profit, tout en gardant sa vocation sociale.
« Si l’architecture du logement ne peut plus se contenter d’être une commande sociale et doit devenir durable, c’est par sa propre réversibilité, sa capacité de revenir à un état minimum antérieur, à partir duquel on pourra transformer, reconstruire18 ».
(Aravena A., entretien pour Deezen, 16 Janvier 2016).
Avec cet objectif « d’éveiller les consciences19 » sur les initiatives de développement durable et de projets de villes, l’agence Elemental participa à de nombreuses conférences, se concentrant principalement sur un type de bâtiment capable de résoudre la question de la haute densité tout en évitant le surpeuplement par la création d’extensions et d’autoconstructions que rendait possible la propriété. Leur travail était fondé sur deux restrictions : chaque maison aurait une surface initiale de 36m2 ; et serait livrée inachevée pour permettre de futurs ajouts, selon les besoins des familles. Cette restriction finale garantirait ainsi la diversité et l’individualisation des programmes.
Silvia Aaros, alors Directeur National des Infrastructures des Programmes de Quartiers du Chili, confia la tâche à Elemental de résoudre la problématique de l’implantation
18 Winston A., « Architects «are never taught the right thing» says 2016 Pritzker laureate Alejandro Aravena », Deezen, 13 Janvier 2016, entretien avec Alejandro Aravena.
19 ibid.
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du quartier Quinta Monroy, à Iquique. Il fallut alors trouver un moyen de construire de nouvelles maisons pour cent familles, vivant déjà sur le site, avec un budget restreint de 10.000 euros (300 UF). Avec ces fonds, ils devaient alors être capables d’acheter le terrain, d’installer les infrastructures nécessaires et de construire les maisons. La participation des familles au projet était également une condition stipulée par le programme Barrio, et intégrée par Elemental.
L’agence réussit donc à résoudre l’équation 1 maison = 1 famille = 1 lot, grâce à leur proposition finale : des lots de 9x9m2, avec un volume de 9x6 mètres en plan sur 2,5 mètres de plafond. Le volume de 135 m2 contient l’essentiel : salles de bain, cuisine, salon et salle à manger, le tout entouré de murs mitoyens en blocs de béton armé. Au dessus de ce bloc principal (la section horizontale), s’ajoute un duplex mesurant 6x6x5 mètres, dont seulement la moitié est livrée. De plus, les deux propriétés possèdent chacune un accès indépendant. Jusqu’à 72m2 de construction peut également être ajoutée, suivant les besoins des familles. Dans un article consacré à l’architecte, la revue Le Monde cite Aravena expliquant sa méthode:
« Avec l’argent public, on construit ce qu’une famille ne peut pas faire correctement par elle-même : la cuisine, la salle de bains, les murs mitoyens, l’isolation. Aux habitants de réaliser peintures et finitions sur les murs de briques et de béton ; à eux aussi de bâtir les pièces supplémentaires dans les vides prévus à cet effet20 ».
20 Grégoire A., « Alejandro Aravena, la ville comme creuset de l’équité sociale», Le Monde, article publié le 30 décembre 2008. URL: https://www.lemonde.fr/planete/article/2008/12/30/alejandro-aravena-laville-comme-creuset-de-l-equite-sociale_1136305_3244.html
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FIGURE 10: Evolution d’un logement du quartier Quinta Monroy, Iquique, Chili.
Plan d’implantation des logements sociaux de Quinta Monroy mis en open-source par Elemental.
Plan du rez-de-chaussé. On remarque en pointillé les extensions possibles.
Coupe révélatrice du concept d’Elemental: une demi maison évolutive.
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FIGURE 11:
FIGURE 12:
FIGURE 13:
En plus de l’optimisation de la construction, vint de rajouter la dimension participative à travers une série de workshops et de réunions avec les habitants, qui leur permis de s’approprier leur maison à moindre coût et de participer à leur conception (répartition des pièces, matériaux, etc.).
Ainsi, la demande élevée de logement sociaux dans les pays en développement crée souvent des situations où les produits sont de pauvre qualité. Il est en effet fréquent d’opposer la qualité à la quantité. Cependant, le vrai problème du logement social, selon A. Aravena, serait son incapacité à augmenter sa valeur. Il faudrait alors prendre le logement social comme un investissement, et non pas comme un coût. Aravena a ainsi inventé, selon Camillo Boano et Francisco Vergara Perucich, deux critiques et théoriciens de l’architecture, une méthode néolibérale pour produire de l’architecture sociale. En effet, selon eux:
« les demi-maisons, sont obtenues avec l’aide de fonds publics afin d’activer les cycles d’accumulation du capital, et urbanisent afin de préparer les champs pour des développements immobiliers meilleurs et plus rentables21».
Ainsi, la décision de partager l’ensemble des plans de construction et des détails techniques, cotations incluses, sur internet serait alors une manière d’augmenter la valeur du logement social proposé par A. Aravena et de populariser ce modèle et cette démarche afin d’en faire bénéficier des pays dont le contexte économique et social seraient similaires à ceux du Chili.
Les limites de ces initiatives d’autoconstruction
Mais Boano et Vergara Perucich dénoncent cette vison de l’architecture comme étant uniquement la solution à un problème plutôt que l’expression d’une manière culturelle et sociale d’habiter les espaces et les villes, ou d’une manifestation culturelle, ou encore d’une exploration technologique. Cette approche utilitaire d’une architecture sociale pour des objectifs néolibéraux pose de nombreuses questions. De plus, certaines critiques sont formulées sur des aspects généraux de ces programmes alternatifs de logements sociaux, que Quinta Monroy semble illustrer. Elles sont de deux ordres, selon Valladares22: idéologique et pratique.
La première questionne le principe même de l’autoconstruction comme politique officielle de l’Etat (Harms, 1982), comme moyen de minimiser son rôle et de se désengager des problématiques réelles. La seconde critique les objectifs sociaux non atteints de certains projets alternatifs (Crooke, 1983), à travers des études de chercheurs indépendants.
Le débat idéologique, toujours selon Valladarès, concerne la tendance à la « mystification des formes spontanées observées dans la réalité » (Pradilla, 1976), sans remettre en question l’importance de l’autoconstruction « comme pratique spontanée des pauvres
21 Boano C., Perucich F. V., «Half Happy Architecture », researchgate.fr, texte critique, Avril 2016. URL: https://www.researchgate.net/publication/304256124_Half-happy_architecture
22 Op. Cit. Valladarès, p. 23
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en milieu urbains23» (Valladarès, 1987). En effet, Turner et Aravena ont tendance à idéaliser les conditions de vie et à exagérer sur la liberté de choix que peuvent avoir les habitants sur la forme de leurs logements. Pradilla voit cette liberté comme étant une nécessité imposée par un contexte spécifique de crise plutôt que d’une liberté. De plus, en pratique, des études menées par la Banque mondiale en 1978 sur vingt-six projets qu’elle finançait, montrent que l’aspect participatif n’est pas si évident. En effet, selon cette étude le recours au travail de la famille dans la construction est moins important que l’on peut l’imaginer, voire quasi inexistant. La même critique est faite sur les projets de logements sociaux d’Aravena. Très souvent, les familles engagent des tiers dans la construction de leurs maisons, ne participant qu’aux finitions. Des problématiques de financement, d’augmentation de la valeur marchande des propriétés qui oblige les familles les plus pauvres à s’exiler s’ajoutent aux premières. Mais chaque projet a ses limites qu’il est nécessaire de contourner, et Elemental a eu au moins le mérite de proposer des alternatives intéressantes aux bidonvilles et d’essayer d’améliorer les conditions de vie des habitants les plus pauvres. Même si les critiques sont entendues, la qualité des logements sociaux d’Aravena et son modèle alternatif constituent un progrès social intéressant.
Aujourd’hui, l’autoconstruction en architecture reste encore marginale dans les pays développés, mais la connexion illimitée et instantanée des réseaux numériques semble faciliter l’engagement des citoyens dans ces processus de participation. En effet, avant l’apparition d’internet, les initiatives d’autoconstruction faisaient face à des difficultés de communication et de collaboration à l’échelle mondiale, ralentissant des projets sociaux locaux. Avec l’aide d’outils modernes tel que l’open-source, ces initiatives semblent prendre une toute autre ampleur collaborative, passant du réel au virtuel, et vice-versa. Ce qui n’était jusqu’alors qu’un mouvement minoritaire semble aujourd’hui se développer rapidement grâce aux réseaux numériques. Ces outils améliorent l’accessibilité à l’autoconstruction des professionnels de la construction tels que les architectes, et désacralise leur position, les rendant plus abordables et transparents. Aravena reste ainsi un précurseur dans le domaine de l’architecture en partageant ses plans gratuitement, en libre-accès, mais cette pratique pourrait-elle se généraliser à d’autres architectes ? Ces outils modernes peuventils alors mettre en place un réseau participatif mondial, ayant une approche plus inclusive de la conception spatiale ? Inventent-ils déjà de nouvelles procédures de conception, de construction et d’opérations de logements, d’infrastructures et d’espaces ? La pratique de l’architecte peut-elle se rapprocher des méthodes de l’autoconstruction, et ainsi être plus inclusive, tout en gardant un rôle central au sein de la société ?
Nous verrons ainsi dans cette deuxième partie en quoi les outils numériques transforment aujourd’hui les pratiques traditionnelles d’autoconstruction. Assiste-t-on à une nouvelle ère du vernaculaire ?
23 Op.Cit. Valladarès, p.23
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FIGURE 14: Des formes dynamiques de l’Embryological House (1997-2001) composées de surfaces fluides et vectorisées, qualifiées d’architecture de «blob», créées à partir de logiciels d’animation.
Partie 2
L’INFLUENCE DU NUMÉRIQUE DANS LE DOMAINE DE L’AUTOCONSTRUCTION
A. UN MONDE OUVERT ET SOLIDAIRE? LES ORIGINES DE L’OPENSOURCE
Depuis 1960, la révolution numérique transforme l’ensemble de nos systèmes de représentation et de nos activités. Aujourd’hui, le numérique est omniprésent et rend dépendant des secteurs tels que l’énergie, le transport, l’industrialisation, la vie quotidienne…ainsi que l’architecture. L’intégration du numérique dans le secteur de l’architecture s’inscrit dans le questionnement d’Antoine Picon (1957-), dans son ouvrage Culture numérique et architecture : une introduction24. En effet, selon lui il devient primordial d’interroger et de comprendre l’influence du numérique dans le domaine de l’architecture, et non plus uniquement de questionner le bien fondé de celui-ci. Car face aux innovations technologiques continuelles, le changement qu’il apporte est grand.
Les architectes commencent aujourd’hui à comprendre l’impact du numérique dans l’architecture, et de nouvelles manières de créer apparaissent grâce aux innovations technologiques. L’expérience du Paperless Studio, (l’atelier sans papier) mise en place en 1992 par Bernard Tschumi est une des premières tentatives d’utilisation systémique de l’ordinateur, de la conception à la réalisation. De cette expérience résulteront des formes architecturales diverses, habituellement caractérisées par une absence d’orthogonalité, et qualifiées de différents noms25: « free-form », « blob », « digital », « liquid » ou encore « non-standard » (cf. figure 14). Leurs formes ne respectent pas les règles communément admises de la conception architecturale. Cette architecture non-standard est également développée dans de grands cabinets d’architecture comme ceux de Frank Gehry ou Zaha Hadid, considérés comme étant les plus actifs dans ce domaine. Ainsi, la célébrité de ces star-architects permet de populariser cette architecture. Le Musée Guggenheim à Bilbao ou encore la fondation Louis Vuitton à Paris en sont des exemples parfaits.
24 Picon, A., Culture numérique et architecture: une introduction, Première éd., Birkhauser Fr., 15 Avril 2010.
25 Tshumi B.: mots issus des paperless studio, qui étaient des expériences didactiques menées vers le milieu des années 1990 à la Graduate School of Architecture, Planning and Preservation de Colombia University.
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Cependant, l’impact du numérique dans l’architecture ne se résume pas uniquement à la création de nouvelles formes, dites non-standard. En effet, il modifie radicalement notre façon d’accéder et de bénéficier de l’information, par la création de nouveaux modèles dits ouverts. Ce sont ces modèles et leur influence dans le domaine de l’architecture que nous essaieront d’expliquer, d’analyser et de questionner dans cette seconde partie du mémoire.
Définition de l’open-source
Ces modèles ouverts, dits open-source, open data, prennent naissance dans le domaine de l’informatique et sont des modèles de production basés sur la collaboration et la collectivité, qui s’imposent aujourd’hui dans la production de biens matériels. Ils défendent la liberté de pouvoir consulter, modifier, redistribuer librement le code source d’un logiciel.
Un des exemples les plus connus est le navigateur web libre et gratuit Firefox, développé et distribué par la Mozilla Foundation et des milliers de bénévoles26, grâce aux méthodes de développement du logiciel libre (open-source) et à la liberté du code source. Selon l’école virtuelle Xyoos, qui propose des cours informatiques gratuits en ligne, le code source est un « fichier qui permet à un développeur de programmer un logiciel, grâce à des lignes écrites dans un langage particulier, qui sera compris et ensuite compilé en un programme […] le code source est l’ADN des logiciels27». Ces modèles repensent la chaine de valeur en ouvrant le code de tout développement, et correspondent à des choix philosophiques mais aussi économiques, car ils permettent de faire des économies sur la recherche et le développement, et accueillent une expertise en ingénierie gratuite, provenant de l’extérieur. En effet, la maintenance d’un logiciel est une activité très couteuse, dont les estimations varient entre 40% et 90% du coût initial du projet. Cela coûte ainsi presque aussi cher de maintenir un logiciel que de le produire28
C’est donc un écosystème de solutions parallèles qui se crée grâce à l’open-source, et qui transforme le partage en tendance lourde, et notamment celui des plans de construction. Cependant, pourquoi choisir d’ouvrir à tous, et pour tous ? Selon Alexandre Hocquet29, historien des sciences et professeur attaché aux Archives Poincaré de l’Université de Lorraine, il existe deux types de motivations : l’une citoyenne et militante, qui prône la liberté des individus et leur émancipation en leur donnant accès au savoir de manière libre. L’autre motivation, plus pragmatique, concerne la rapidité, l’efficacité et l’accessibilité à des marchés dans lesquels un individu n’a pas forcément été invité, le tout avec moins de ressources.
26 « Firefox Has Too Many Developers », sur Trollaxor, 14 Décembre 2009.
27 « Code source », Xyoos, école virtuelle. URL: https://cours-informatique-gratuit.fr/dictionnaire/codesource/
28 Martin N., « Open-source: liberté, égalité? », La méthode scientifique, France culture, 7 Novembre 2018. URL:https://www.franceculture.fr/emissions/la-methode-scientifique/la-methode-scientifique-dumercredi-07-novembre-2018
29 Ibid.
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Richard Stallman et la naissance des logiciels libres
Pour expliquer les origines de l’open-source, il faut ainsi remonter en 1983, lorsque Richard Stallman, père fondateur du logiciel libre, lance le projet GNU ( l’acronyme récursif de « Gnu’s Not Unix ») et la licence publique générale GNU avec la Free Stofware Fondation (1984). GNU est un système d’exploitation libre qui a pour objectif d’être l’équivalent libre d’UNIX 30. Sa vision s’oppose à tout ce qui est propriétaire, qui prive à l’utilisateur la possibilité de voir et de modifier le code.
Il existe ainsi quatre libertés fondamentales du logiciel libre, créées par Richard Stallman, numérotées de zéro à trois, qui sont :
0 - La liberté d’utiliser le logiciel
1 - La liberté de copier le logiciel
2 - La liberté d’étudier le logiciel
3 - La liberté de modifier le logiciel et de redistribuer les versions modifiées.
Après avoir traduit juridiquement ces quatre libertés, R. Stallman décida de les mettre en œuvre. Pour ce faire, il commença à créer des logiciels nécessaires à la fabrication d’un système d’exploitation équivalent d’UNIX mais libre, mais fit rapidement face à des problématiques de monétisation (volonté de rachat et vente des licences). En réaction à celle-ci, il entreprit d’écrire des outils fondamentaux pour créer un système d’exploitation complet, qui sera amélioré par Linus Torvalds en 1991 avec Linux. Celui-ci est devenu aujourd’hui le noyau dominant d’Android (2008), système d’exploitation utilisé par 90% des smartphones, et développé par Google.
La logique de Richard Stallman, novatrice et idéaliste à l’époque, s’inscrit aujourd’hui dans les valeurs de l’open-source et s’est transformée en une industrie très attractive. Cependant, cette popularité n’était pas forcément acquise aux débuts de l’informatique
30 UNIX est une famille de systèmes d’exploitation multitâche et multi-utilisateur dérivé du Unix d’origine créé par AT&T en 1971.
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FIGURE 15: Caricature de Richard Stallman, « Stallmanoramix », le fondateur du logiciel libre.
et d’internet, car nombreuses furent les entreprises à vouloir systématiquement utiliser un langage propriétaire, et non libre. En effet, AOL ou encore Infonie en France essayèrent de développer des frais de port en langage propriétaire, inaccessibles, illisibles et non transformables par l’utilisateur.
C’est ainsi qu’à la fin des années 1990, l’arrivée du web et du standard http permirent aux logiciels libres de s’imposer face à des positions d’acteurs propriétaires très fermées, comme Microsoft. Aujourd’hui, un contre-mouvement s’installe grâce à l’arrivée massive de la téléphonie et des opérateurs qui camouflent derrière des interfaces propriétaires ce qui pourrait être accessible, programmable et modifiable. Le téléphone supplantant l’ordinateur, il devient alors de plus en plus difficile d’accéder à l’open. En effet, la stratégie d’entreprises telles que Microsoft vers les années 1980 fut une stratégie de captivité. Le principe était alors simple : les utilisateurs ne pouvant pas partir, le logiciel pouvait s’en sortir. Le logiciel libre et l’open se construisirent alors en réaction à cette logique là, et malgré cette stratégie, le secteur du libre semble avoir de belles perspectives d’avenir, si l’on regarde attentivement aujourd’hui son poids économique31. Et cet engouement mondial pour les start-up ne pourrait exister si des outils de développement d’applications web, mobiles n’étaient pas disponibles en logiciels libres32
De plus, selon Vincent Strubel, sous-directeur de l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI) et invité de l’émission La méthode scientifique33 , l’industrie du software (logiciel) est aujourd’hui en crise. Cette crise existe depuis les années 1976 à cause du rythme de production impossible à tenir, causé par l’évolution du matériel dans des secteurs tels que le design, la programmation, la diffusion, la maintenance...
« Ce serait peut-être l’une des plus grandes opportunités manquées de notre époque si le logiciel libre ne libérait rien d’autre que du code34», affirme Framasoft, un réseau de projets qui promeuvent la liberté numérique. En effet, on assiste aujourd’hui à l’émergence de l’open dans de nombreux domaines, tels que l’open-data, ou encore l’open-science. Cette dernière utilise en effet l’idée de reproductibilité, à savoir la publication de l’ensemble des outils utilisés pour produire un résultat scientifique. L’architecture et le design en sont largement concernés.
Distinction entre le free et l’open
Précisons désormais la différence entre le logiciel libre et l’open-source, distinction étant source de tensions aujourd’hui.
31 Martin N., « Open-source: liberté, égalité? », La méthode scientifique, France culture, 7 Novembre 2018.
URL:https://www.franceculture.fr/emissions/la-methode-scientifique/la-methode-scientifique-dumercredi-07-novembre-2018
32 Ibid.
33 Ibid.
34 Framasoft.org, URL: https://framasoft.org/fr/full/
34
Le mot free software (logiciel libre) fut introduit par Richard Stallman en 1983, et permit le développement d’une centaine de logiciels libres pendant quinze ans, produits par la Free software fondation, l’organisation fondée par R. Stallman. Cependant, aujourd’hui, le principal problème serait selon Vincent Strubel, la double signification du mot free en anglais, libre et gratuit, car des mots tels que freeware faisaient alors penser à la gratuité. Ce problème de marque s’est rapidement posé aux entrepreneurs désirant de vendre un logiciel libre sur lequel le mot avait de l’ambiguïté. Ils ont alors inventé l’expression open-source, dont la définition, en pratique, s’avère être la même chose que le logiciel libre.
Ainsi, la différence entre la version open et free réside dans l’aspect pragmatique de l’open, qui met la participation, la transparence au service de l’efficacité, qu’elle soit technique ou business. Tandis que la version « free » est un programme politique de résistance, de lutte contre ce qui est propriétaire, un concept plus ancien devant son origine à Richard Stallman. Le logiciel libre serait alors « l’articulation philosophique de l’open source, qui en serait l’adaptation méthodologique », selon Nicolas Martin, producteur à France Culture et animateur de l’émission La méthode Scientifique35. Mais la différence entre les deux, reste ténue. Ainsi, aujourd’hui, il est commun de voir
35 35 Op. Cit. Martin N., p. 34
FIGURE 16: Le casse-tête du mot libre (free)
un logiciel libre être open-source et gratuit. Mais cela n’est pas systématique. L’open-source serait ainsi une compatibilité de la logique d’entreprise avec la pensée éthique du logiciel libre. Autrement dit, il apporte les idées et les avantages du logiciel libre à l’industrie du logiciel commercial.
Afin de faire une réelle distinction, il faudrait alors s’intéresser aux licences des logiciels et déterminer celles qui appartiennent au free software, et les autres. En effet, une licence, qui permet de diffuser un logiciel ou autre chose comme une recette de cuisine ou une photographie peut ainsi avoir une clause telle que le share-alike, qui impose à celui qui reprend le logiciel de rester dans le monde du free (libre).
Il existe ainsi deux grands types de licences : les licences dites à copyleft et les permissives, qui proviennent de deux idéologies différentes.
Les licences copyleft, plus communément appelées share-alike, demandent aux utilisateurs de respecter leur volonté d’être diffusées le plus largement possible, et de partager également leurs modifications, sous certaines conditions.Tandis que les licences dites permissives n’imposent pas cette réciprocité. Il en existe aujourd’hui environ soixante dix, qui proposent chacune une spécificité selon l’usage que l’utilisateur veut en faire.
Les Licence Creative Commons, une protection juridique de l’open
Le début des années 2000 marquent un tournant dans le monde du numérique, avec la création des Licence Creative Commons. Très inspiré de Richard Stallman, Lawrence Lessig décide ainsi en 2003 de créer les outils juridiques qui n’existaient pas, pour que des informaticiens, mais aussi des artistes ou des universitaires puissent choisir librement sur leurs œuvres quelles prérogatives ils veulent garder pour eux et pour les utilisateurs. L’objectif est ainsi de donner le choix aux créateurs d’utiliser différentes licences selon ce qu’ils veulent mettre ou non en libre accès. Elles permettraient alors de faciliter leur liberté d’expression portée à travers leurs oeuvres, tout en reconnaissant qu’une partie de leur créativité provienne de celle d’autres personnes.
Ces Licence Creative Commons se décomposent en six licences différentes qui correspondent chacune à un degré différent de liberté. L’utilisation et la subversion de la propriété intellectuelle est au cœur des leurs problématiques:
L’Attribution (BY), qui impose la paternité ; La Non-commercial (NC), qui interdit la réutilisation commerciale ; la NoDerivs (ND), qui interdit la modification ; et la ShareAlike (SA), qui autorise la modification et la reproduction.
36
Dès lors qu’une telle mesure de protection est mise en place, le revers de la médaille devient physique et spatial. En effet, une série de plateformes digitales, ouvertes pour la production et le partage d’idées créatives, émergent.
OScar (1999), un forum online ayant l’objectif de designer des voitures peu coûteuses et faciles à produire, par un processus de conception décentralisée, en est un exemple. Le projet fut ensuite suivi par OSGV (Open-source Green Vehicle, 2002) qui chercha à allier un processus open de design avec les problématiques de la mobilité douce. Et il y a bien sur le plus connu et médiatisé, RepRap imprimante 3D qui peut uniquement être construit avec des partie imprimées par une autre RepRap (reprenant l’idée de reproductibilité).
Ces nouveaux outils numériques open-source permettent ainsi la création de nouvelles formes de collectivité, par la mise en commun d’informations, et changent radicalement les pratiques traditionnelles professionnelles, notamment dans le domaine de la culture, des médias, des sciences. La similitude de ces projets est bien sur l’énergie collective dirigeant le processus entier, appelée la « New Hacker Culture » par Paola Antonelli, Conservatrice de l’Architecture et Designer au MOMA, à New York, qui rappelle celle des mouvements d’autoconstruction. Cependant, il semblerait que la dernière discipline à changer est l’architecture, qui reste encore en périphérie de ces pratiques en open-source. Pourquoi ne pas étendre et enrichir l’écosystème de l’open-source en mettant à disposition des outils pour rassembler les individus ayant la volonté de créer ensemble? d’autoconstruire ensemble?
37
FIGURE 17: Les différentes degrés de liberté des Licences Creative Commons (LCC)
FIGURE 18: Le Green Vehicle et l’imprimante 3D RepRap, premiers outils numériques open-source
B. L’OPEN-SOURCE DANS LE DOMAINE DE L’AUTOCONSTRUCTION : LE PARTAGE DES DONNÉES POUR CONSTRUIRE LOCALEMENT
C’est donc depuis le XXème et XXIème siècle que les nouveaux outils de connexion provenant d’Internet ont radicalement modifié les dynamiques d’interactions et d’actions sociales, qui ont dépassé le monde digital pour se concrétiser dans l’espace physique.
En effet, l’espace physique a prouvé être la contrepartie vitale à l’espace digital : partout, à travers le monde, des citoyens se battent pour leur vie et leur liberté grâce au numérique, et des individus transforment des chambres privées en hôtel (Airbnb) et en créent des entreprises. La sociabilité humaine est aujourd’hui liée aux bits et aux atomes, l’attractivité d’internet étant quasiment impossible à résister. Ainsi, les intéractions humaines, la sociabilité et la connectivité en sont radicalement bouleversées, et internet envahit presque toutes les facettes de la culture, sauf peut-être l’architecture.
Dans le livre manifeste Open Source Architecture36 , les auteurs C. Ratti et M. Claudel questionnent ainsi l’influence que pourrait avoir l’open-source dans le monde de l’architecture:
« Pourquoi l’open-source, une méthodologie qui commande presque sans limite le potentiel du monde digital (prouvé par Mozilla Firefox ou Airbnb) et qui a existé durant une partie de l’histoire de l’architecture, ne pourrait pas avoir le même effet transformatif sur le design contemporain et sur la pratique constructive ? Où sont les Linux des maisons, des bureaux ou des bibliothèques?37».
Ils remarquent également la prépondérance des bâtiments signés par les star-architects dans les magazines de design et d’architecture, et la tendance du monde de l’architecture à tourner autour de sa propre orbite, sans s’ouvrir aux méthodes alternatives de participation proposées par les réseaux numériques aujourd’hui.
L’architecture, et notamment l’autoconstruction, peut-elle vraiment rester à l’écart de ce phénomène ? En effet, l’énergie collective présente par exemple dans des sites de vente en ligne comme Etsy38, qui encourage des créateurs indépendants et inconnus à partager leurs créations artistiques, et à les vendre, pourrait insérer une vigueur collective dans le monde de l’architecture. Le logiciel libre, en open-source a tellement de succès aujourd’hui qu’il serait étonnant que le monde de l’architecture ne s’en mêle, et notamment celui de l’autoconstruction. En effet, ces nouveaux outils numériques (les Licence Creative Commons, les logiciels libres, etc.) mis à disposition de l’architecte, pourraient rassembler les individus professionnels et non professionnels de la construction et leur permettre de changer, de créer, de faire évoluer l’environnement bâti autour d’eux.
36 Ratti C., Claudel M., Open Source Architecture, 1ère édition, Londres, Thames & Hudson Ltd, Avril 2015
37 Ibid.
38 Etsy, Inc., site de vente ene ligne créé le 18 Juin 2005 à Brooklyn, New-York.
38
S’inspirer du numérique pour améliorer les techniques d’autoconstruction en créant de nouveaux réseaux participatifs, plus inclusifs et transparents
C’est en 2006 que le vainqueur des conférences TED 200639, Cameron Sinclair, alors chef de l’innovation sociale et directeur du travail humanitaire chez Airbnb, propose de lancer l’Open Architecture Network40 C’est une plateforme online sur laquelle designers et architectes peuvent contribuer à mettre en œuvre des changements dans le domaine de la construction, notamment pour des pays en voie de développement qui manquent d’outils techniques. Il décrit dans son discours son envie de fonder cette organisation :
« What it showed me is that there is a grassroots movement going on of socially responsible designers who really believe that this world has got smaller, and that we have the opportunity- not the responsibility, but the opportunity – to really get involved in making change41 ».
Traduction de l’anglais:
« Cela m’a montré qu’il existait déjà un mouvement de concepteurs responsables socialement, qui pensaient vraiment que ce monde était devenu étroit et que nous avions la possibilité - pas la responsabilité, mais l’opportunité - de vraiment participer au changement ».
Sinclair décrit ce projet comme la réponse à un mouvement citoyen déjà présent, motivé par une communauté de concepteurs résolus et socialement responsables. Cependant, il lui manquait alors le moyen de mobiliser et de rassembler ce public. Celui-ci serait ainsi l’Open Architecture Network, une plateforme universelle, qui serait ouverte à quiconque, architectes ou non architectes, et permettrait à ses contributeurs de :
- Partager leurs idées, design et plans
- Voir et revoir les designs postés par les autres
- Collaborer avec les uns et les autres, toutes professions confondues, avec des dirigeants, pour adresser des challenges spécifiques.
- Protéger leurs droits de propriété intellectuelle utilisant les Creative Commons- Some right reserved
- Construire un futur plus durable et viable.
Ce site inclurait également des mesures de protection intellectuelle, encourageant les utilisateurs – spécifiquement les designers et architectes - à y participer de manière rigoureuse et à encourager les prises de décisions autonomes. L’objectif de cette plateforme n’est pas de remplacer l’architecte traditionnel, mais plutôt de permettre à celui-ci de travailler autrement. Elle permettrait à des millions de clients potentiels, et notamment
39 Sinclair, C., « My wish: a call for open-source architecture », Conférence TED, Long beach, California, US2006. URL: https://www.ted.com/talks/cameron_sinclair_on_open_source_architecture?language=en
40 Ibid
41 Ibid.
39
les plus pauvres, d’accéder aux compétences et expertises d’architectes et de designers professionnels. Des centaines de milliers d’idées de conception seraient ainsi générées, afin d’améliorer les conditions de vie des plus pauvres en optimisant la construction de bâtiments efficaces et locaux. L’OAN serait ainsi un marché libre pour la conception42 .
Ce discours inspira de nombreux architectes et constructeurs qui s’engagèrent dans dans création de plateformes collaborative similaires à celles de Cameron Sinclair, telles que l’Open Architecture Collaborative43
Cependant, les prémices d’un site internet d’autoconstruction en open-source existaient déjà bien avant le discours de Sinclair. En effet, c’est le designer Alastair Parvin et son collègue
Nick Ierodiaconou qui créèrent la première plateforme sur internet d’autoconstruction en open-source, Wikihouse44. Ayant constaté l’aspect élitiste et trop inaccessible de l’architecture pour les plus modestes, il décida de créer ce système afin de la mettre à la portée de tous. Wikihouse est un projet de conception et de construction de maisons générées par les utilisateurs pouvant être téléchargées par n’importe qui. Les plans, disponibles et téléchargeables, peuvent être imprimés en contreplaqué avec une fraiseuse numérique, et assemblés tout comme les meubles IKEA.
Cette idée rassemble ainsi trois grands principes : démocratiser la production (go amateur) penser à une échelle plus réduite (go small) et encourager la réutilisation à la construction du bâtiment (don’t build)45.
« Wikihouse ne consiste pas en un type de construction unique mais en un système ouvert, accessible et adaptable. Cela devient presque une sorte de langage de codage pour l’espace physique46 ». (traduction de l’anglais)
Les plans de chaque maison sont générés par le logiciel de modélisation 3D Sketchup, intuitif et libre. Le premier prototype de maison Wikihouse fut ainsi découpé et assemblé en moins de 24h, à faible coût. Ce prototype fut testé, modifié et amélioré durant les cinq dernières années à travers le monde par divers utilisateurs. Même si son processus de construction en open-source est intéressant, la Wikihouse ne fait pas l’unanimité et pose des questions que nous aborderons dans la troisième partie.
FIGURE 19: Présentation des différentes étapes de montage de la Wikihouse (p. 41).
42 Op.Cit., Ratti C., Claudel M., p. 38
43 Open Architecture Collaborative, URL: https://openarchcollab.org/about-us/
44 Parvin, A., Ierodiaconou N., Wikihouse, Londres, 2011.URL: https://wikihouse.cc/
45 Ibid.
46 Ibid.
40
1.
L’utilisateur choisit simplement un modèle et le télécharge en cliquant simplement sur Make this house. A partir du modèle, Wikihouse génère une série de forme à découper, pouvant être utilisés par une machine-outil CNC permettant de fabriquer la maison n’importe où.
2.
Les pièces sont découpées par une machine à commande numérique avec un matériau simple, du contreplaqué de 18 mm d’épaisseur, d’une dimension standard de 2440 mm x 1220 mm.
3.
Les pièces doivent être disposées sur le sol et assemblées comme un kit IKEA. Il faut ensuite caler les deux parties ensemble afin de n’en former qu’une seule.
4.
Il faut ensuite lever les parties verticalement en les positionnant tous les 600mm.
5.
Puis insérer les pièces de connecteur dans les fentes de des parties. Celles-ci doivent être décalés en alternance. Un maillet est fourni sur les plaque de fraisage pour les tasser fermement.
6.
Enfin, il faut installer les panneaux de revêtement internes et externes sur la structure. En interne, ils doivent généralement être vissés. La structure est enfin prête à accueillir l’isolation, le revêtement et les services.
41 w
42
FIGURE 20: Du kit de construction à l’échelle architecturale
Nous avons ainsi vu à travers l’exemple de la Wikihouse qu’un projet d’autoconstruction en open-source n’était rien sans une plateforme internet collaborative permettant le partage des plan en libre service. Ces sites internet, obtenus grâce aux technologies de l’information et de la communication (TIC) créent de nouvelles communautés qui partagent les mêmes valeurs que celles du mouvement du libre. L’open-source devient alors physique...non seulement dans la création de nouvelles formes d’autoconstruction, comme la Wikihouse, mais également dans celles de nouveaux lieux communautaires, appelés initialement FabLabs. Quand l’open-source devient physique – la création de nouvelles communautés s’identifiant aux valeurs de l’open
« Instead of talking about it, I’d give people the tools. This wasn’t meant to be provocative or important, but we put together these fab labs…and they exploded around the world47 ».
C’est en 2001, qu’un groupe d’étudiants, chercheurs et professeurs du MIT matérialisèrent physiquement la mentalité de l’open source, et plus précisément des « hackers » dans un laboratoire fabriqué avec pour seul objectif de créer. Dans cet espace souterrain, appelé the basement, est créé le premier FabLab (laboratoire de fabrication numérique). La mentalité d’hacker a ainsi permis l’assemblage d’outils situés à la frontière du digital et du monde physique, novateurs et performants : un assortiment d’imprimantes 3D, de laser-cutter, d’imprimante à jets d’eau.
Neil Gershenfeld, physicien et informaticien, et professeurs au MIT, vit alors l’immense potentiel de ces ressources créatives. En effet, selon lui la technologie a un potentiel illimité qui permettrait de « sauter d’un monde binaire à un monde physique, ouvert et libre48». Il estima alors que ces outils (imprimantes 3D, laser, etc) ne devaient pas uniquement être utilisés par des étudiants du MIT mais partagés dans le monde entier, à portée de main pour quiconque voudrait les utiliser. Persuadé que l’éducation par la construction est très efficace (la construction active des connaissances), il dessine alors les fondations du premier FabLab, la base d’un modèle de fabrication responsabilisant. N. Gershenfeld organisa alors collaboration avec le GIG (Gassroots Invention Group) et le nouveau centre des Bit et Atomes, et encouragea la récolte d’outils et de ressources afin de créer le premier laboratoire digital du monde, le FabLab.
Celui-ci explore ainsi la relation entre le monde digital et le monde physique, entre l’information digitale et sa manifestation physique. Son objectif est alors d’explorer le potentiel de l’éducation à travers la construction et de favoriser l’essor de communautés à
47 Gershenfeld N., « Unleash Your Creativity in a Fab Lab », Conférence TED, California, Février 2006.
URL: https://www.ted.com/talks/neil_gershenfeld_on_fab_labs?language=fr#t-1017252
48 Ibid.
43
travers la technologie.
Le succès fulgurant de son cours « How To Make Almost Anything » au MIT le conforta dans cette idée générationnelle, d’apprendre en construisant tout en traversant le monde digital.
Il se tourna alors vers le monde extérieur, se demandant quelle réponse pourrait trouver les FabLabs dans le monde entier, ce mot regroupant ainsi une multitude de termes, tels que hackerspaces, makerspaces, lieux de ressource, etc. Des FabLabs émergèrent ainsi le monde entier, à la fois dans les établissements scolaires, devenant des outils pédagogiques très actifs et recherchés par les étudiants (notamment dans les écoles d’architecture et de design) mais également dans des laboratoires public ou privés, accessibles à tout individu, professionnel et non professionnel, influençant à la fois le monde rural et métropolitain. Les projets qui en ressortirent furent entièrement novateurs et créés localement. Ce fut ainsi une nouvelle forme d’émancipation pour les citoyens, qui jusque-là absorbaient passivement leur environnement. La conception de nouveaux outils d’autoconstructions technologiques dans les FabLabs devint alors un phénomène mondial et favorisa l’essor d’évènements sociaux, de cours et d’ateliers.
Le réseau sortant alors du contrôle du MIT entraina la création d’une charte commune, permettant d’installer des points communs entre ces différents lieux. Ayant connu quelques évolutions depuis sa rédaction, celle-ci doit être affichée dans chaque lieu se réclamant du réseau Fab Lab. Elle ressort ainsi quelques définitions essentielles :
« Les FabLabs constituent un réseau mondial de labs locaux qui stimulent l’inventivité en donnant accès à des outils de fabrication numérique. Un Fab Lab mutualise un ensemble de ressources permettant de fabriquer à peu près tout ce que l’on veut et diffuser des connaissances, des savoir-faire et des projets. »
Selon la charte, « les FabLabs sont disponibles en tant que ressource communautaire proposant un accès libre aux individus autant qu’un accès sur inscription dans le cadre de programmes spécifiques ».
Certaines règles de vie et responsabilités sont également détaillées dans le texte de cette charte. Cependant chaque FabLab se différencie grâce aux différentes communautés qui les composent. Une des questions qui fait encore débat reste celle de la propriété intellectuelle, tout comme elle anima les conflits entre copyright et copyleft pour les logiciels libres :
« Les designs et les procédés développés dans les FabLabs peuvent-être protégés et vendus comme le souhaite leur inventeur, mais doivent rester disponibles de manière à ce que tout le monde puisse les utiliser et s’en nourrir ».
De plus, « les activités commerciales peuvent être prototypées et incubées dans un FabLab, mais ne doivent pas rentrer en conflit avec d’autres usages. Elles doivent croitre en dehors du lab plutôt qu’en son sein, et il est attendu qu’elles bénéficient à leurs inventeurs, aux labs, mais aussi aux réseaux qui ont contribué à leur succès49 ».
49 « Charte des FabLabs », Réseau français des FabLabs, Novembre 2012. URL: http://www.labfab.fr/ charte-fablab/
44
Ce texte, assez flou sur cette notion, tente de garder les valeurs de l’open-source, tout en permettant à chaque entrepreneur de faire comme il l’entend.
Aujourd’hui, le réseau fonctionne davantage sur le principe du copyleft que sur celui du copyright. Pour rappel, le copyleft consiste en un dispositif juridique qui assure que tout le monde puisse s’emparer d’un logiciel, de l’étudier, le transformer et le diffuser. Avec un tel dispositif, personne ne peut en revanche limiter la diffusion du logiciel.
Principalement concentrés en Amérique du Nord (62) et en Europe (195), les FabLabs sont aujourd’hui 85 en France, dont le premier fut construit en 2009 à Toulouse. Cependant, sur les 350 FabLabs présents sur la liste officielle mondiale, beaucoup sont encore en développement et tous n’ont pas la même facilité à accéder à internet, ce qui empêche l’idéal d’un réseau entièrement connecté et distribué. De plus, des pays comme la France, ou l’Espagne, redéfinissent le concept de FabLabs en l’utilisant pour désigner tout atelier de fabrication numérique, ouvert ou non au public, faisant partie ou non du réseau mondial. Il existe par conséquent beaucoup de déclinaisons, Fab Foundation, Fab Academy, Fab City, etc. qui donnent une nouvelle identité au nom de FabLab.
En créant ce mouvement de FabLabs, Nell Gershenfeld lança ainsi l’avènement de la « nouvelle révolution industrielle », prédisant la démocratisation de la production et de l’innovation, et faisant la promotion d’une nouvelle manière de concevoir (fabriquer et faire soi-même) en réponse à la culture de masse. Cependant, le futur de ce mouvement reste imprécis, le rêve de l’équipe du MIT étant que « chaque Fab Lab puisse créer d’autres labs ». Selon Neil Gershenfeld, « le vrai projet qui se profile est organisationnel. Aujourd’hui, Barcelone invente un nouvel urbanisme, où chaque habitant pourra avoir accès aux outils qui feront de cette ville une ville autosuffisante50 ». Ainsi ces nouveaux outils de fabrication numérique pourraient alors être étroitement liés à ceux de la ville, et plus précisément de l’architecture.
« La grande opportunité du mouvement faire est la possibilité d’être à la fois petit et mondial. A la fois artisanal et innovant. A la fois high tech et low cost51».
50 Toutes les citations ci-dessus sont issues du livre de Bosqué C., Noor O., Ricard L.,Fablabs etc. Les nouveaux lieux de fabrication numérique, première éd., Groupe Eyrolles, 2014
51 Anderson C., Makers, la nouvelle révolution industrielle, Tours, Pearson France, 2014
45
Chris Anderson.
Technologie, outils et matériaux au service d’une nouvelle architecture vernaculaire?
Ce nouveau design participatif est aujourd’hui devenu important par la création de ces nouveaux espaces collaboratifs, FabLabs, qui relient le monde digital à l’espace physique et partagé. La collaboration instantanée est alors permise immédiatement.
Dans ces laboratoires, les outils traditionnels des concepteurs (plans, dessins) sont complétés par les programmes interactifs, et les outils de fabrication traditionnels (limes,
46
FIGURE 21: Plan de l’intérieur du FabLab du MIT Norway, Juin 2013, Camille Bosqué
marteaux, râpe) cohabitent avec les micro-ordinateurs, les machines à découper au laser et les imprimantes 3D. On peut désormais voir l’émergence d’une nouvelle manière de conceptualiser, produire et construire des objets. Comment ces outils participent-ils à l’évolution du domaine de l’autoconstruction ?
Il est important pour chaque FabLab inscrit sur la liste officielle de respecter une typologie technique commune, afin que chaque laboratoire puisse reproduire les projets développés dans le réseau. Cependant, toutes les technologies existantes ne peuvent être présentent dans chaque FabLab, l’innovation dans la création de machines et de nouveaux procédés numériques continuant sans cesse de s’accélérer. Il existe ainsi une multitude d’outils utilisés dans chacun de ces domaines, on en explorera que quelques uns, plus utiles à la conception d’une nouvelle architecture52:
- L’impression en 3D : Prototypage rapide par dépôt de fil (FDM) utilisant des matériaux tels que le polycarbonate, le nylon, le bois composite, l’argile ou encore le chocolat… ; La Stéréolithogeaphie (SLA) utilisant des matériaux tels que les résines photo réactives sur mesure ; Le frittage sélectif par laser (3DP) utilisant plutôt des poudres et liants sur mesure.
- L’électronique : Le multimètre, la Soudure, l’Oscilloscope, les Capteurs, les composants électroniques, la numérisation en 3D etc.
- La découpe : découpe laser, utilisant des matériaux tels que le contreplaqué (Wikihouse), PMMA, MDF, carton, textiles, caoutchouc, etc.
- Le fraisage : le grand Fraiseur numérique utilisant des matériaux tels que le bois, le MDF, le polystyrène, la cire usinable…
- Sont aussi présents la broderie, le travail manuel (perceuses, scies, marteaux, râpes,etc.), le moulage et le thermoformage.
On voit ainsi ce mélange intéressant de technologies analogiques et numériques. Certains sont utilisés aujourd’hui dans le domaine de l’autoconstruction, comme l’impression en 3D, la découpe laser ou encore la grande fraiseuse numérique à bois. En effet, même si la majorité des projets créés dans les FabsLabs sont de petite taille, certains se démarquent par leur ambition et leurs prouesses techniques.
La frontière entre l’architecture et les machines numériques s’affine, et de part et d’autre du monde émergent des projets innovants et ambitieux.
C’est le cas de la Maison FabLab, construite à l’échelle 1/1 dans le cadre du concours Solar Décathlon Europe 2010. Cette maison a été réalisée grâce à la collaboration de personnes de nationalités différentes, provenant de différentes organisations et entreprises. Elles furent dirigées par l’Ecole d’Architecture de la Catalogne (IAAC), le Center of Bits and Atoms du MIT et le réseau mondial FabLab. Le projet fut conçu et fabriqué au sein
47
52
Menichinelli M., Fab Lab, la révolution est en marche, chapitre 6, éd. Pyramyd, 2015.
du FabLab de l’IAAC, et ses pièces structurelles portantes importées d’Allemagne.
« La pièce, créée avec une grande fraiseuse numérique à bois et des lasers, est complétée par des composants électroniques ainsi que des panneaux solaires industriels. C’est une maison solaire constituée de bois, conçue dans le respect des caractéristiques locales en termes de lumière solaire. Produisant plus du double de sa consommation énergétique, ainsi que de sa nourriture (potager en permaculture et verger), et son équipement (son propre Fab Lab). Un microclimat est alors généré optimisant de façon passive la qualité de vie dans la maison. Ce bâtiment, autonome dans la production de ses ressources, possède également un système de suivi des interactions avec l’environnement, qui gère en temps réel et automatiquement l’utilisation et la production d’énergie53 ».
48
53 Ibid.
FIGURE 22: Reproduction en 3D de la maison FabLab, d’une complexité évidente.
FIGURE 23: Les différentes épaisseurs et la structure de la maison FabLab
49
FIGURE 24: Photographies intérieures et extérieures qui montrent des qualités architecturales intéressantes. Les machinesoutils numériques semblent pouvoir créer une multitude de formes organiques très compliquées à réaliser traditionnellement.
Voici un autre projet innovant d’autoconstruction numérique conçu et produit en France, à Nantes, par un ensemble de partenaires scientifiques, industriels, publics et des acteurs du monde socio-économique : Nantes Métropole Habitat, l’Université de Nantes, Nantes Métropoles et la SATT Ouest Valorisation. Ce projet s’inscrit dans une dimension politique forte, avec la volonté d’encourager l’innovation et l’évolution du monde architectural, notamment du logement social. En effet, le projet Nantes Citylab a pour objectif de construire en quelques jours une maison de logement social, grâce à l’alliance des techniques traditionnelles d’autoconstruction et de techniques numériques. Ce projet utilise non pas une fraiseuse numérique à bois comme la Maison FabLab vue ci-dessus, mais la technique additive de l’impression 3D.
D’une surface de 95m2, comprenant cinq pièces, cette maison appelée YHNOVA fut la première maison imprimée en France, conçue grâce à Bâtiprint3D, un robot breveté par l’Université de Nantes, équipé d’un bras de quatre mètres de long polyarticulé, guidé par un capteur laser. Celui-ci est produit à partir de la maquette numérique de l’habitat, et dirigé directement sur la dalle. Posé sur un AGV (Automatic Guided Vehicle), il s’adapte aux obstacles extérieurs du site de construction et doit posséder une stabilité nécessaire à l’injection délicate et maitrisée des différents matériaux.
Utilisant la technologie additive de l’impression 3D, il dépose ainsi successivement des couches de matériaux en créant une triple paroi coffrante/isolante/structurante, fabriquant des murs directement sur le chantier en quelques jours, et suivant un plan informatique précis. Deux couches de mousse polyuréthane type expansive servent de coffrage à une troisième couche de béton coulé.
50
FIGURE 25: Une triple paroi coffrante/isolante/structurante effectuée par le robot Bâtiprint 3D.