mémoire de master
Repenser la métropolisation : Construire un monde en transition
villes petites et moyennes et stratégies de développement territorial
villes petites et moyennes et stratégies de développement territorial
guéret, de nouvelles formes de développement
Quentin Barthe
Quentin Barthe
Sous la direction de Julie AMBAL, Aurélie COUTURE, Xavier GUILLOT Omar RAIS, Fabien REIX, Delphine WILLIS
janvier
2021
Image de couverture : Barthe Quentin, 07/01/2021, Guéret, photographie
villes petites et moyennes et stratégies de développement territorial
villes petites et moyennes et stratégies de développement territorial guéret, de nouvelles formes de développement
Résumé :
Après les grandes villes et les métropoles, ce sont les hiérarchies territoriales intermédiaires, petites et moyennes villes, qui occupent aujourd'hui le débat public. Dans un contexte généralisé de crise marqué notamment par la désertification des centres-villes, ce mémoire interroge la manière dont une ville moyenne stigmatisée du monde rural développe son projet territorial de revitalisation. Il nous plonge dans l'évolution des réflexions sur ces territoires révélant une mise à l'agenda progressive des problèmes qu'ils rencontrent. Cet écrit s’intéresse en parallèle aux approches théoriques sur ces espaces non métropolisés et aux nouvelles prises de position des politiques publiques qui apparaissent sur le territoire français. À partir d'un travail de repérage et d'arpentage dans la ville de Guéret, de rencontres avec les acteurs et d'analyse des actions mises en place, se dresse une lecture globale de la manière dont Guéret élabore son projet territorial.
Mots-clés :
stratégies, développement, revitalisation, Guéret, récits, local, co-construction
Quentin BARTHE
Mémoire de Master
Repenser la Métropolisation : Construire un monde en transition
Sous la direction de Julie AMBAL, Aurélie COUTURE, Xavier GUILLOT Omar RAIS, Fabien REIX, Delphine WILLIS
École nationale supérieure d’architecture et de paysage de Bordeaux
Janvier 2021
SOMMAIRE
Trajectoire personnelle : de la Creuse à la métropole bordelaise
AVANT-PROPOS INTRODUCTION
Les villes petites et moyennes face à la métropolisation : vers de nouveaux modèles de développement territoriaux
PARTIE I
Les villes petites et moyennes : approches théoriques alternatives et nouveaux « modèles » d’action publique
A/ Les villes petites et moyennes: catégorie hétérogène, enjeux communs
1. Les petites et moyennes villes : des notions relatives
2. Différents critères à prendre en compte
3. Une catégorie « intermédiaire » dans la hiérarchie urbaine
4. L’influence du positionnement géographique : intégrer ou isoler
5. Entre comparaison au village et mimétisme avec la grande ville
B/ Une lente mise à l’agenda des problèmes des villes petites et moyennes
1. Des problèmes symptomatiques propres aux petites et moyennes villes
2. Les très grandes villes au coeur des stratégies de développement
3. Les villes intermédiaires, un objet de recherche en marge
4. Des territoires délaissés par l’action publique
C/ Approches théoriques alternatives pour les villes petites et moyennes
1. Le mouvement territorialiste : conscience du lieu, retour au local
2. La notion d’interterritorialité : changement des mentalités et nouveaux rôles des acteurs
3. La décroissance urbaine : déclin urbain et modèle alternatif
4. Le récit territorial : changement de comportements et fin des modèles
5. Le programme POPSU Territoires : nouvelles clefs de lecture des villes moyennes
D/ Nouveaux «modèles» d’action publique
1. Le plan «Action Coeur de Ville»: une trame de développement pour soigner les centres-villes
2. Le dispositif «Petites villes de demain»: une boîte à outils pour aider les projets de revitalisation
3. De nouveaux modèles d’action publique alternatifs
6 sommaire 21 13 23 29 35 45 09
PARTIE II
Fiche technique
A/ Une ville du monde rural aux problématiques caractéristiques des villes intermédiaires
1. Un espace de vie entre urbain et rural
2. Une ville intermédiaire aux multiples statuts
3. Des problématiques classiques des petites et moyennes villes
4. Des problématiques propres à Guéret
B/ Des actions mises en place pour soigner ces symptômes
1. Deux premières actions «isolées»initiées par un seul acteur
2. Le projet urbain «Guéret 2040 : une ville oxygène...» : une démarche participative et expérimentale
3. Le programme «Action Coeur de Ville» : un nouvel outil qui doit faire ses preuves
4. Le PPC «Plan Particulier pour la Creuse» : retour au local et nouveaux rôles des acteurs
C/ Enjeux communs, récits diversifiés et stratégies de développement multiples
1. Des enjeux communs servant de base à l’élaboration des récits
2. Une stratégie recentrée sur le centre-ville
3. Un récit, un projet global
4. Des outils au service d’une identité locale
5. L’envie d’une co-construction de la ville de demain
BIBLIOGRAPHIE table des figures Guéret : de nouvelles formes de développement 7 sommaire 53 111 119 105 54 55 69 89
CONCLUSION
AVANT-PROPOS
Trajectoire personnelle : de la Creuse à la métropole Bordelaise
10 AVANT-PROPOS
Je suis né et j’ai grandi dans un milieu à dominance rurale, à proximité de la ville de Guéret, dans le département de la Creuse. Ayant très peu souvent quitté ce territoire avant d’entamer mes études supérieures d’architecture, l’univers des grandes villes, du processus de métropolisation, m’était étranger. Mon arrivée à Bordeaux marqua très rapidement un bouleversement dans mon train de vie et dans ma vision de la pratique de la ville. Faisant régulièrement le va-et-vient entre mon domicile familial en Creuse et la métropole bordelaise, j’ai appris à m’adapter à deux rythmes de vie différents. Même si le rythme métropolitain m’est apparu au premier abord stimulant, il m’était toutefois indispensable de retrouver très régulièrement une sérénité dans un cadre plus apaisant.
J’ai donc voulu, à travers ce mémoire, m’interroger sur la complexité de ces territoires ruraux et tout particulièrement sur ma ville natale : Guéret.
11 AVANT-PROPOS
INTRODUCTION
Les villes petites et moyennes face à la métropolisation : vers de nouveaux modèles de développement territoriaux
Les villes petites et moyennes face à la métropolisation : vers de nouveaux modèles de développement territoriaux
introduction
14 introduction
De nos jours, il apparaît d’une importance capitale de retrouver une cohésion territoriale, afin de lutter contre la fragmentation des territoires. Selon Jean-Charles Edouard, professeur spécialisé en géographie urbaine et en développement territorial, «cela viserait la réduction des inégalités, renforcerait les synergies entre les territoires et aurait comme valeur fondamentale la solidarité entre les individus1». Tout cela viendrait se regrouper dans ce que les auteurs Patrice Godier, Thierry Oblet et Guy Tapie nomment « Le Moment Territorial »2. L’impersonnalité des métropoles tend à rendre les périphéries et la campagne beaucoup plus attractives. Les deux grandes dynamiques qui structurent nos territoires, métropolisation et périurbanisation, ne sontelles pas devenues à terme celles qui les divisent ?
On retrouve avec abondance cette notion de « modèle » dans les réflexions à l’échelle territoriale, l’un d’entre eux étant notamment au cœur des débats actuels : le modèle métropolitain. Celui-ci tend à nous montrer que la répétition d’un modèle conduit à terme à le rendre impersonnel et très souvent accentue la concurrence entre les territoires, nuisant ainsi à leur cohésion. On peut ainsi remettre en cause la légitimité de l’emploi de ces modèles dans nos stratégies territoriales. Chaque territoire est différent, les réponses doivent donc l’être aussi. Plutôt que de définir un modèle de développement territorial unique applicable à tout type de ville, le géographe Olivier Bouba-Olga prône un changement de mentalité qui serait favorable aux villes petites et moyennes et tendrait à favoriser le « cas par cas » 3 .
De nombreuses actions en faveur du développement des petites et moyennes villes sont en marche actuellement et leurs démarches sont loin du modèle de développement des grandes métropoles. Partant d’un constat que les villes moyennes sont structurantes pour leur territoire mais qu’elles présentent des difficultés comme le taux de pauvreté, le taux de vacance des logements et le taux de chômage supérieurs à la moyenne, le plan « Action Cœur de ville »à été mis en place en France. Il répond ainsi à une double ambition : améliorer les conditions de vie des habitants des villes moyennes et conforter le rôle moteur du développement du territoire de ces dernières 4 .
En opposition au récit métropolitain, Olivier Bouba Olga propose un récit territorial plus souple en étant attentif aux diversités et en prenant en compte les interdépendances. Cette notion de récit est primordiale dans tout projet architectural ou urbain. Les acteurs vont créer des récits pour parler et faire parler de leurs projets. «Faire la ville, c’est raconter des histoires. Sans récit, l’espace n’est rien 5»
1 EDOUARD, Jean-Charles, « L’action publique dans les petites villes françaises Mimétisme ou innovation ?», Métropolitiques, 2014
2 GODIER, Philippe ; OBLET, Thierry ; TAPIE, Guy, L’éveil métropolitain - L’exemple de Bordeaux, Bordeaux, le moniteur, 2018
3 BOUBA-OLGA, Olivier, « Pour un nouveau récit territorial», POPSU, 2019
4 Ministère de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales.
« Programme Action coeur de ville», 2019
5 BOUBA-OLGA, Olivier, « Pour un nouveau récit territorial», POPSU, 2019, p.19
introduction 15
Lorsqu’on analyse les stratégies de développement des petites et moyennes villes françaises, il apparaît souvent un mimétisme avec les grandes villes. Le spécialiste en développement urbain Jean-Charles Edouard nous montre que l’impression de duplication en plus petit des politiques déjà expérimentées dans ces vastes territoires semble inappropriée étant donné que les atouts des petites et moyennes villes sont beaucoup plus nombreux et variés que les simples aménités résidentielles et qu’elles font face à des contraintes techniques et financières bien plus grandes6. Ce mimétisme risque de nous conduire à une double forme de banalisation urbaine, tout d’abord entre les différents niveaux de la hiérachie urbaine mais aussi entre les petites villes ellesmêmes. Les réflexions pour éviter ce phénomène dénoncé par Jean- Charles Edouard sont au coeur des débats actuels concernant l’aménagement du territoire français.
Il apparaît, selon diverses études, que les politiques publiques auraient tout intérêt à mettre en oeuvre leur propre système de développement plutôt que d’adhérer à un modèle universel. D’après Christophe Demazière, chercheur en aménagement du territoire, «trop de recherches ont été accordées au niveau supérieur des hiérarchies urbaines nationales au détriment des niveaux intermédiaires7». Se pencher sur les petites et moyennes villes permettrait donc d’observer les problématiques de développement territorial et d’évolution des sociétés contemporaines. Comme le disait Germaine Veyret-Verner, dans la revue de Géographie Alpine, «ces villes moyennes sont le reflet d’une région, elles assurent sa vitalité, jouent un rôle d’attraction et aident à l’épanouissement de l’individu 8». L’importance de la qualité de vie doit aussi constituer un objectif majeur des politiques publiques afin de participer à l’élargissement des critères d’attractivité.
À l’ère du marketing territorial, les villes moyennes françaises mettent en place des stratégies de communication pour valoriser leurs atouts dans un contexte de compétition territoriale. Néanmoins, un difficile positionnement identitaire apparaît et témoigne de l’ambiguïté de ces stratégies d’images : d’après Hélène Meinet, chercheure en géographie urbaine, « L’analyse des mots et des images de la promotion territoriale des petites villes permet de mettre en lumière un certain nombre de caractéristiques qui témoignent d’un difficile positionnement identitaire 9»
On observe cependant un paradoxe : les récits territoriaux qui se mettent en place dans les villes moyennes ont pour but de rechercher une identité mais celle-ci se construit souvent en référence à des modèles voisins. Les territoires ruraux apparaissent comme des terrains de jeu, de véritables laboratoires d’exploration, des territoires de projets où émergent de nouvelles façons de faire. L’exemple de la ville de Guéret et plus largement du département de la Creuse illuste bien ce phénomène de stigmatisation d’un territoire rural. On peut se demander s’il est préférable de s’affranchir de toutes ces stigmatisations ou alors de les assumer et d’en faire une force.
6 EDOUARD, Jean-Charles, « L’action publique dans les petites villes françaises Mimétisme ou innovation ?», Métropolitiques, 2014
7 DEMAZIÈRE, Christophe, « Villes petites et moyennes, un regard renouvelé », Mutations économiques des villes petites et moyennes, 2012, p.8-9
8 VEYRET-VERNER, Germaine, « Plaidoyer pour les moyennes et petites villes », Revue de Géographie Alpine, tome 57- 1, 1969, p.15
9 MAINET, Hélène, «Les petites villes françaises en quête d’identité. Ambiguïté du positionnement ou image tactiquement combinée ?», journals.openedition, 2011, p.5
introduction 16
La ville de Guéret dans la Creuse est très souvent stigmatisée par l’ensemble du territoire français. En effet, dans le magazine Détours en France «spécial Guéret», l’écrivain Marcel Jouhandeau, originaire de Guéret, illustre cette stigmatisation en disant : «la discrète préfecture de la Creuse n’a pas une image glamour : pour certains, elle est même l’archétype d’une petite ville provinciale tristounette 10». Un article intitulé «La bouse ou la vie» paru dans la revue Technikart en 2012 compare la ville à un « trou perdu, un véritable désert pour les jeunes, à un centre névralgique de la diagonale du vide» et accentue cette mauvaise image (...) Guéret souffre de l’apparente austérité de son architecture, de son manque de pittoresque et de son relatif isolement11».
Cependant, Marcel Jouhandeau modère ses propos en affirmant que Guéret peut être décrite comme une «petite ville paisible, discrète mais loin de la triste ville que décrivent ceux qui n’y ont jamais mis les pieds 12». Guéret est la terre des premiers émigrés, ces maçons creusois qui ont largement contribué à la construction de Paris. C’est à partir de la fin du XVème siècle qu’ils ont exporté leur savoir-faire dans tout le pays. Ainsi, des paysans se sont faits maçons et la Creuse est devenue la première terre d’émigration.
De plus, la ville de Guéret apparaît comme une cité administrative où les travailleurs viennent pour la journée et repartent dans les petites communes aux alentours. À travers l’histoire, l’objectif de chaque municipalité a été de doter Guéret d’équipements publics. L’identité de Guéret est aussi marquée par les maires bâtisseurs qui au cours du temps, ont construit puis démoli plusieurs édifices publics. Enfin, malgré un difficile positionnement identitaire, Guéret reste une ville à taille humaine, une ville où il fait bon vivre.
Derrière l’image négative de la ville de Guéret véhiculée par ses détracteurs, se cachent de nombreux atouts, son principal étant son environnement immédiat.
Tous ces atouts ne masquent pas le problème majeur de cette petite ville : la désertification de son centre. Les acteurs publics accordent une importance capitale à la place Bonnyaud, épicentre de la ville, qui revêt aujourd’hui davantage une vocation de lieu de transit, de carrefour et de parking, que de lieu d’échange et de partage que devrait lui conférer son statut de place et son dimensionnement.
Ce constat d’assèchement du centre-ville est frappant puisqu’il n’est pas propre à la ville de Guéret. En effet, cette désertification des centres est symptomatique des petites et moyennes villes françaises. Un des objectifs de ce mémoire sera d’analyser les actions mises en place pour faire évoluer la ville au sein de son territoire et pour résoudre les différentes problématiques rencontrées.
10 JOUHANDEAU, Marcel, « GUÉRET, La ville à la campagne», détours en France spécial Guéret. n°190, 2016, p-32-41
introduction 17
11 ibid 12 ibid
Les petites et moyennes villes sont-elles déterminées à copier un modèle spécifique en termes d’évolution ? Sont-elles condamnées à copier les métropoles ou peuventelles s’en affranchir ? Face à l’homogénéisation des réponses en termes de stratégies de développement urbain, comment une ville moyenne du monde rural fait-elle face aux multiples problèmes qu’elle rencontre et quelle(s) stratégie(s) de développement territorial développe-t-elle pour sortir de cette situation difficile ?
Sur quelles bases une petite ou moyenne ville peut-elle élaborer son projet territorial ?
La méthode que j’ai mise en place pour tenter de répondre à ces interrogations de départ se compose de deux phases : une analyse du terrain d’étude par un travail d’arpentage, de répérage, de cartographie suivie d’un travail d’analyse documentaire des actions mises en place par Guéret et d’analyse du discours des acteurs de la ville par la réalisation d’entretiens semi-directifs.
Dans une première partie, nous contextualisons l’évolution des petites et moyennes villes : après avoir défini les caractéristiques des petites et moyennes villes, une analyse globale des problématiques symptomatiques de ces villes françaises est faite pour enfin énoncer les différents courants théoriques qui émergent concernant le devenir de ces hiérarchies territoriales ainsi que les nouveaux «modèles» d’action publique mis en place.
Dans un deuxième temps, nous analysons ce phénomène à partir du cas de Guéret. Tout d’abord, nous révèlons les indicateurs de ce mal-être. Puis, nous nous intéressons aux différentes actions mises en place pour soigner ces symptômes en y introduisant le regard des acteurs. Pour finir, nous voyons, par l’analyse du discours des acteurs, qu’il y a une pluralité de récits qui se mettent en place témoignant de stratégies de développement diversifiées.
introduction 18
introduction 19
partie i
Les villes petites et moyennes : approches théoriques alternatives et nouveaux « modèles » d’action publique
partie I 22
A/ les villes petites et moyennes :
catégorie hétérogène, enjeux communs
1/ les petites et moyennes villes : des notions relatives
Il n’existe aucune définition officielle de la « petite ville » ou de la « ville moyenne ». Ainsi, d’après Sylvie Fol, professeure en aménagement et urbanisme, «la définition des villes petites et moyennes, en tant que catégorie d’analyse, est floue, même si la plupart des travaux s’y réfèrent, faute de mieux 13».
L’Insee (Institut national de la statistique et des études économiques), organisme officiel de la définition de ce qui est urbain en France, se préoccupe peu des hiérarchies territoriales et se contente de fourchettes démographiques non justifiées scientifiquement. De plus, les études portant sur les petites et moyennes villes n’adoptent pas toutes les mêmes limites démographiques : cela témoigne du flou sémantique concernant la classification de ces villes intermédiaires.
On peut ainsi se demander si ces villes qualifiées de « petites », « moyennes », « intermédiaires » constituent différentes hiérarchies territoriales non identifiées confrontées à des enjeux divers ou bien si elles appartiennent à une même strate du système urbain vouée à des problèmes et des enjeux communs 14 . La définition d’une « petite ville » n’est pas aisée : c’est une ville de petite taille mais la question des seuils se pose. En effet, la plupart des auteurs utilisent tout d’abord les données démographiques pour définir une hiérarchie territoriale mais, selon le chercheur Christophe Demazière «il apparaît presque autant de seuils que de chercheurs ou d’organismes traitant les données sur ces villes 15». Même si une limite inférieure de 2000 habitants semble acquise, étant le seuil statistique de l’urbain en France, elle ne semble pas être adoptée par tout le monde, notamment les chercheurs en études urbaines.
De plus, la notion de « petite ville » diffère d’un pays à un autre, rendant abstraites toutes ces fourchettes démographiques. Christophe Demazière, dans son écrit «Le traitement des petites et moyennes villes par les études urbaines», précise que la borne inférieure de ces petites villes est de 250 habitants au Danemark, contre 5 000 en Autriche ou encore 30 000 au Japon16.
Concernant la France, l’Insee retient souvent la limite inférieure de 3000 habitants alors que les chercheurs, géographes retiennent quant à eux plutôt le seuil de 5000 habitants. Le seuil supérieur varie aussi d’une source à une autre, faisant osciller la limite imaginaire entre une petite ville et une ville moyenne de 20 000/ 25 000 habitants (Insee, Edouard, 2007 ; Mainet, 2008) à 40 000/50 000 habitants (Santa Maria, 2000)17
13 FOL, Sylvie, « Les villes petites et moyennes - Territoires émergents de l’action publique», POPSU, 2020, p.8
14 ibid
15 DEMAZIÈRE, Christophe, «Le traitement des petites et moyennes villes par les études urbaines», Espaces et sociétés, 2017 p.21
16 ibid
17 ibid
les villes petites et moyennes catégorie hétérogène, enjeux communs
partie I
A/
23
A/ les villes petites et moyennes catégorie hétérogène, enjeux communs
La définition de la « ville moyenne » n’échappe pas non plus à ce flou sémantique. Même si ses limites sont très souvent en France entre 20 000 et 100 000 habitants, on peut distinguer différentes acceptations de ces bornes. Même si l’Insee et les chercheurs se rejoignent sur cette fourchette, la DATAR18 a préféré observer les aires urbaines de 30 000 à 200 000 habitants (De Roo, 2007). Toujours d’après Christophe Demazière, «ces deux fourchettes peuvent être ainsi combinées pour une nouvelle approche du fait urbain 19»
TABLEAU - DÉFINITION DES PETITES ET MOYENNES VILLES : DIFFÉRENCES SELON LES SOURCES
Pour les associations d’élus
Pour les chercheurs en études urbaines
Pour l’État (la Datar) Pour l’Orate20
Petites villes
Villes Moyennes
Communes de 2 500 à 25 000 habitants
(Association des petites villes de France)
Communes centres de 20 000 à 100 000 habitants
(Fédération des villes de France)
Unités urbaines de 5 000 à 20 000 habitants
(Laborie, 1978)
Unités urbaines de 20 000 à 100 000 habitants
(Lajugie, 1974)
Aires urbaines de 30 000 à 200 000 habitants
(Programme villes moyennes 2005-2009)
Zone à continuité du bâti d’une densité supérieure à 300 hab./km2 abritant de 5000 à 50 000 habitants
Pôle d’emploi et pôle de service dans le cadre d’une région urbaine fonctionnelle
Siège d’un gouvernement local
{fig 1} Définition des petites et moyennes villes, tableau modifié par l’auteur, source : Demazière Christophe, 2017 «Le traitement des petites et moyennes villes par les études urbaines» p.21 d’après Doré (2010) et Servillo et al. (2014)
Les villes petites et moyennes semblent ainsi constituer une notion relative : elles ne dépendent pas seulement de leurs seuils démographiques. Leurs bornes apparaissent comme abstraites, arbitraires, et dépendent de l’angle d’observation de celles-ci. Ce flou sémantique traduit la complexité de cet objet géographique. Les critères de définition à prendre en compte sont variés, le professeur Jean-Charles Edouard en dénombre plusieurs : aspects fonctionnels, socio-économiques, culturels, politiques et démographiques21
18 DEMAZIÈRE, Christophe, «Le traitement des petites et moyennes villes par les études urbaines», Espaces et sociétés, 2017, p.22
19 Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale
20 Observatoire en réseau de l’aménagement du territoire européen
21 EDOUARD, Jean-Charles, « L’attrait des petites villes, une chance pour redynamiser leur centralité ?», Belgeo, 2019
24 partie I
-
2/ Différents critères à prendre en compte
Afin de définir la nature d’une ville, il convient toujours d’associer aux données démographiques d’autres critères variables selon la question que l’on se pose et le niveau où l’on se place. Ainsi, certaines villes sont qualifiées de « moyennes » au niveau national (comme par exemple Châteauroux avec ses 90 000 habitants sur l’aire urbaine) mais pour le conseil régional, ce sont de « grandes » villes. À l’inverse, une ville de moins de 20 000 habitants comme Guéret sera considérée comme « petite ville » à l’échelle nationale mais à l’échelle du département, son rôle de préfecture de la Creuse lui confère un statut de « ville moyenne ».
Cette notion d’échelle variable apparaissait déjà il y a 40 ans. En 1974, Joseph Lajugie, professeur universitaire , dans son ouvrage Les villes moyennes, disait déjà : « telle ville de petite taille […] devra être considérée comme une ville moyenne dans une région peu peuplée et peu urbanisée, alors qu’une ville deux fois ou trois fois plus peuplée, noyée dans le tissu urbain d’une région à haute densité démographique, ne joue pas nécessairement ce rôle et ne répond pas toujours à cette vocation 22 »
Les données démographiques ne permettent à elles seules de définir la nature d’une ville car on peut trouver des références à la ruralité pour des villes de 20 000 habitants et à l’inverse, une affirmation d’urbanité pour des villes de 10 000 habitants.
Outre cette approche par des données démographiques et spatiales, il faut aussi prendre en compte l’évolution au cours de l’histoire de ces villes. En ce sens, certaines villes sont actuellement considérées comme des «petites» ou «moyennes» villes alors que par le passé, c’était des villes d’importance.
Le déclin de l’industrialisation dans certaines régions du nord ou du nord-est de la France en est le témoin.
les villes petites et moyennes catégorie hétérogène, enjeux communs
22 DEMAZIÈRE, Christophe, «Le traitement des petites et moyennes villes par les études urbaines», Espaces et sociétés, 2017, p.10
25 partie I
A/
les villes petites et moyennes catégorie hétérogène, enjeux communs
De nombreuses études ont été faites sur la définition des petites et moyennes villes. L’évolution de ces écrits tend à rassembler ces deux typologies dans une catégorie certes hétérogène mais aux caractéristiques et aux enjeux communs. Ainsi, d’après Jean-Charles Edouard, «les petites et moyennes villes se rejoignent dans cette situation « d’entre-deux territorial », entre le monde rural et le monde urbain. (...) Elles constituent un territoire de chevauchement des limites 23» .
De ce fait, les dernières recherches et écrits concernant les petites et moyennes villes tendent à les traiter conjointement, comme on peut le voir dans l’article de Christophe Demazière « Le traitement des petites et moyennes villes par les études urbaines » ou dans la conférence POPSU de Sylvie Fol « Les villes petites et moyennes, territoires émergeant de l’action publique ». De nouvelles dénominations apparaissent : Christophe Demazière les qualifie de « villes secondaires » ou de « villes intermédiaires 24» .
Nous emploierons ces dénominations pour parler conjointement des petites et moyennes villes dans la suite du mémoire.
23 EDOUARD, Jean-Charles, « La petite ville : contexte scientifique et enjeux de développement/ aménagement.», Bulletin de l’Association de géographes français, 85e année, 2008, p.5
24 DEMAZIÈRE, Christophe, «Le traitement des petites et moyennes villes par les études urbaines», Espaces et sociétés, 2017
3/ Une catégorie « intermédiaire » dans la hiérarchie urbaine
26 partie I A/
4/ L’influence du positionnement géographique : intégrer ou isoler
On va retenir deux types de villes intermédiaires en fonction de leur localisation par rapport au monde rural et aux grandes villes. La maître de conférences Hélène Mainet repère d’une part des villes « intégrées » à des logiques de fonctionnement d’agglomérations (des villes « banlieues », des villes périurbaines »). Celles-ci participent à une situation d’entre-deux ne serait-ce que par leur localisation. Elles valorisent un rapprochement aux aménités rurales en opérant une rupture avec le monde urbain. D’autre part, elle repère des villes « isolées » qui sont des centres de bassins de vie et qui polarisent des territoires surtout ruraux, plus ou moins élargis25 Ces villes cherchent à valoriser leurs capacités de polarisation à travers leur centralité, ayant souvent le rôle d’un centre au service des campagnes environnantes.
5/ Entre comparaison au village et mimétisme avec la grande ville
Les villes intermédiaires se comparent systématiquement aux autres niveaux territoriaux. En effet, Hélène Mainet nous parle de « constant balancement entre références rurales et urbaines ». Certaines se placent dans une logique de mixité mi-urbain, mi-rural, positionnement valorisant la situation intermédiaire des petites et moyennes villes. D’autres se positionnent dans une comparaison délibérée avec le monde rural : « La ruralité, c’est le « petit plus » identitaire, le supplément d’âme qu’utilisent les petites villes pour se présenter comme des villes où il fait bon vivre » . Enfin, le dernier type de positionnement identitaire est le mimétisme avec les grandes villes. Ce type de villes se tourne vers le modèle urbain en se dénommant comme « capitale » ou « cité » de tel ensemble ou de telle activité 26 .
les villes petites et moyennes catégorie hétérogène, enjeux communs
25 MAINET, Hélène, «Les petites villes françaises en quête d’identité. Ambiguïté du positionnement ou image tactiquement combinée ?», journals.openedition, 2011, p.5
26 MAINET, Hélène, «Les petites villes françaises en quête d’identité. Ambiguïté du positionnement ou image tactiquement combinée ?», journals.openedition, 2011, p.7-8
partie I A/
27
Ainsi, les petites et moyennes villes, difficiles à définir démographiquement, sont confrontées à des échelles variables qui rendent leur classement peu aisé. Elles peuvent être rassemblées dans une sorte « d’entre-deux territorial » et peuvent être qualifiées de villes « intermédiaires ». Néanmoins, cette catégorie reste très hétérogène avec des villes « intégrées » qui s’opposent à d’autres « isolées » et qui se comparent différemment aux autres niveaux territoriaux.
Les petites et moyennes villes font partie de l’expérience quotidienne de nombreux citoyens mais elles sont relativement en marge des recherches urbaines.
28 partie I A/ les villes petites et moyennes catégorie hétérogène, enjeux communs
B/ Une lente mise à l’agenda des problèmes des villes petites et moyennes
1/ Des problèmes symptomatiques propres aux petites et moyennes villes
Comme l’identifie Nicolas Rio dans son article «Les villes moyennes (1/3) : une crise de vocation !», «ce qui caractérise aujourd’hui les villes moyennes dans le débat public, c’est avant tout la crise qu’elles traversent, ou plutôt les crises» 27 Le déclin de ces territoires se traduit par des problèmes symptomatiques qu’il observe par trois phénomènes distincts.
Le premier concerne «la crise des chefs-lieux» : Les villes moyennes se sont longtemps distinguées par la forte présence des équipements et administrations publiques. Elles sont aujourd’hui les premières touchées par le processus de « rationalisation » des cartes administratives, judiciaires ou hospitalières. Entre la réorganisation des services publics, la revitalisation des départements et la hausse des mobilités quotidiennes, les villes préfectures ont perdu leur fonction de capitale sur leurs périphéries. Ainsi, cette crise des chefs-lieux résulte d’une transformation de la place qu’occupent les villes moyennes dans nos systèmes territoriaux.
Une lente mise à l’agenda des problèmes des villes petites et moyennes
B/
29 partie I
27
RIO,Nicolas, «Les villes moyennes (1/3) : une crise de vocation !», Partie prenante, 2018
{fig 2} Carte des « sous-préfectures en danger » source : Challenges.fr 2014
Le deuxième phénomène concerne «la crise de l’offre commerciale» qui résulte de deux tendances : la stagnation de la consommation des ménages et la fuite en avant dans la production de nouvelles surfaces commerciales. Ces centres commerciaux en périphérie ont transformé nos modes de vie et continuent à se multiplier. Ainsi, selon l’Institut pour la ville et le commerce, 70% des dépenses des ménages sont effectuées dans les zones périphériques. Le développement rapide du e-commerce vient renforcer cette tension. Ce phénomène peut se résumer à la hausse de la vacance commerciale qui met à mal la fonction traditionnelle des rues piétonnes des petites et moyennes villes et qui entraîne le désintérêt des consommateurs potentiels pour les coeurs de ville.
Le troisième phénomène que Nicolas Rio énonce concerne justement «la crise des centres-villes» par rapport à la périphérie. La plupart des villes font face à une désaffection croissante de leurs coeurs historiques. Comme pour le tissu commercial, le départ vers la périphérie est tout aussi marqué pour l’habitat. Pourquoi habiter un petit logement mal isolé quand on peut acquérir une maison neuve avec jardin tout en payant moins d’impôts ? Pour les ménages, ce choix du périurbain est souvent le signe de l’ascension sociale. « Ceux qui restent dans les centres sont les jeunes, les retraités et de façon plus générale les pauvres » constate le spécialiste du logement Jean-Claude Driant, dans Alternatives économiques.
Ainsi, aucune ville secondaire ne semble avoir échappé à un moment donné à l’apparition de ces symptômes. Néanmoins, nous allons voir que le traitement de ceuxci a mis du temps à se mettre en place pour différentes raisons.
30 partie I
B/ Une lente mise à l’agenda
problèmes des villes
des
petites et moyennes
7,2 7,8 8,5 9,5
{fig 3} Évolution du taux moyen de vacance commerciale dans les centres-villes en France, retraité par l’auteur, source : données Codata 2015
2012 2013 2014 2015
ÉVOLUTION DU TAUX MOYEN DE VACANCE COMMERCIALE DANS LES CENTRES-VILLES EN FRANCE ( EN %)
2/ Les très grandes villes au coeur des stratégies de développement
Depuis une quinzaine d’années, les politiques territoriales des pays développés ont tendance à se concentrer sur les hiérarchies supérieures supposées constituer les principaux foyers de la croissance économique et de l’innovation. En France, une nouvelle catégorie de structures de coopération émerge : les métropoles. Il s’agit , selon Sylvie Fol, «d’inscrire ces territoires supposés « gagnants » dans la compétition internationale à toutes les échelles et en particulier entre les villes et entre les régions 28»
Ces idéologies se basent sur l’hypothèse que, «pour peser dans la concurrence, il faut atteindre une taille critique qui seule peut permettre de produire efficacement de la richesse susceptible d’être redistribuée aux autres territoires 29» (Fol, 2020).
Cette focalisation sur les métropoles fait débat mais depuis les années 2000, les politiques publiques s’inscrivent de moins en moins dans une perspective de rééquilibrage territorial.
Christophe Demazière, dans son article «Le traitement des petites et moyennes villes par les études urbaines» pose ainsi la question : «Quel regard accorde-t-on aux petites et moyennes villes qui s’étaient développées pendant les Trente Glorieuses par un desserrement de l’industrie et par l’accueil d’une population d’origine rurale ? 30»
Une lente mise à l’agenda des problèmes des villes petites et moyennes
28 FOL, Sylvie, « Les villes petites et moyennes - Territoires émergents de l’action publique», POPSU, 2020, p.7
29 ibid
30 DEMAZIÈRE, Christophe, «Le traitement des petites et moyennes villes par les études urbaines», Espaces et sociétés, 2017, p.25
31 partie I
B/
Une lente mise à l’agenda des problèmes des villes petites et moyennes
3/ Les villes intermédiaires, un objet de recherche en marge
Durant la dernière période, la politique d’aménagement du territoire s’est concentrée sur les villes les plus dynamiques (grandes villes et métropoles). De nombreux chercheurs comme Philippe Martin préconisent de concentrer les investissements publics sur les espaces fortement agglomérés. Cela témoigne d’un affaiblissement des objectifs d’égalité territoriale tels qu’ils ont longtemps été appliqués en France. Ainsi, comme le signale Sylvie Fol dans sa conférence sur les petites et moyennes villes, « l’égalité entre les territoires apparaît de nos jours comme une fiction qui risque de s’accentuer du fait des diminutions des transferts de l’Etat aux collectivités locales 31»
Les villes intermédiaires apparaissent ainsi délaissées, en marge des recherches de développement territorial qui idéalisent la métropole. D’après le chercheur Christophe Demazière, «la plupart des analyses des villes « globales » recèlent une approche qui les conduit à rendre « invisibles » les espaces urbains non métropolisés 32».Ainsi, la recherche sur les villes intermédiaires est limitée et récente.
Dans son article «La petite ville : contexte scientifique et enjeux de développement/ aménagement», Jean-Charles Edouard présente l’évolution des recherches sur cette hiérarchie territoriale en quatre étapes. Les premiers articles des années 1950 analysaient la petite ville essentiellement sous l’angle de ses relations avec les campagnes proches. Puis, dans les années 1960-70, on se positionne davantage dans la recherche de leur place spécifique dans les armatures urbaines. S’ajoute ainsi une relation avec les autres niveaux hiérarchiques. À partir des années 1980-90, s’effectuent des recherches davantage problématiques autour de la place des villes secondaires dans l’aménagement du territoire. On commence à s’intéresser à leur relation vis à vis du phénomène de métropolisation, on questionne leur avenir. Ce n’est que lors de la dernière décennie qu’une attention plus particulière est donnée aux petites et moyennes villes 33 .
On peut se demander alors pourquoi cette hiérarchie territoriale a été longtemps délaissée ?
31 FOL, Sylvie, « Les villes petites et moyennes - Territoires émergents de l’action publique», POPSU, 2020, p.15
32 DEMAZIÈRE, Christophe, «Le traitement des petites et moyennes villes par les études urbaines», Espaces et sociétés, 2017, p.24
33 EDOUARD, Jean-Charles, « La petite ville : contexte scientifique et enjeux de développement/ aménagement.», Bulletin de l’Association de géographes français, 85e année, 2008
32 partie I B/
4/ Des territoires délaissés par l’action publique
Christophe Demazière, dans son article « Pourquoi et comment analyser les villes moyennes ? », énonce une certaine « fragilité », un « retard » et les « handicaps » des villes intermédiaires face à la mondialisation, et fait l’analyse que « les fonctions administratives et politiques des villes moyennes ont subi de plein fouet la refonte de l‘organisation territoriale de l’Etat 34 ».
Les petites et moyennes villes ont été laissées peu à peu de côté par l’action publique alors même qu’elles ont connu des transformations qui ne leur sont pas favorables. Une grande partie d’entre elles ont éprouvé et éprouvent toujours des difficultés.
Sylvie Fol nous parle, dans sa conférence POPSU, tout d’abord de l’augmentation des vitesses de transport qui a conduit à un processus de « contraction de l’espace temps » et qui a favorisé le développement urbain des hiérarchies supérieures au détriment des autres. Ensuite, elle nous dit que «les travaux sur les villes en décroissance montrent que les villes intermédiaires sont les plus touchées par les dynamiques démographiques régressives (...) Ce déclin est attribué à l’éloignement des centres métropolitains et à l’augmentation des vitesses de circulation qui leur sont défavorables 35». Elle rajoute que « certaines régions ont été particulièrement affectées par la désindustrialisation 36». De plus, des villes dont l’économie dépendait d’une activité aujourd’hui en déclin ont connu de grandes difficultés. Enfin, elle affirme que «les villes éloignées des métropoles souffrent d’une dégradation de leur valeur économique et ne sont plus en mesure de retenir et d’attirer les classes supérieures 37»
Une lente mise à l’agenda des problèmes des villes petites et moyennes
34 DEMAZIÈRE, Christophe, « Pourquoi et comment analyser les villes moyennes ? », Métropolitiques, 2014
35 FOL, Sylvie, « Les villes petites et moyennes - Territoires émergents de l’action publique», POPSU, 2020, p.10
36 ibid
37 ibid
B/33 partie I
B/ Une lente mise à l’agenda des problèmes des villes petites et moyennes
L’identification des problèmes symptomatiques propres aux villes intermédiaires a récemment fait émerger de nombreux enjeux permettant de reformuler le problème de la place de ces villes dans l’armature urbaine nationale.
Des chercheurs se sont penchés sur cette hiérarchie territoriale et de nouvelles formes d’action publique sont apparues pour aider au développement de ces villes.
34 partie I
C / approches théoriques alternatives pour les villes petites et moyennes
Après s’être longtemps interrogées sur leur place dans l’armature urbaine, les villes intermédiaires ont trouvé un rôle que Sylvie Fol qualifie de « subalterne » dans la hiérarchie urbaine française. Elle dit qu’«elles n’en remplissent pas moins des fonctions essentielles à toutes les échelles (...) Elles ont un rôle à jouer dans la structuration du territoire et dans son développement économique 38.» Magali Talandier, économiste de formation et docteure en urbanisme et aménagement du territoire, souligne l’économie présentielle très active de certaines villes moyennes. Elle les définit comme « des espaces privilégiés pour l’économie de la consommation 39 » . Ses travaux nous montrent aussi que les petites villes ont un rôle dans la centralité et l’accès aux services des territoires qu’elles desservent.
Le chercheur Christophe Demazière nous apprend qu’ «en France, le champ des études urbaines a la particularité de s’être largement développé et structuré à partir de préoccupations des pouvoirs publics, donnant lieu à la commande d’études ou de travaux de recherche-expérimentation 40.» L’intérêt de certains chercheurs en sciences sociales pour les « petites villes » ou les « villes moyennes » s’inscrit certainement dans ce cadre. Ainsi, différents courants théoriques ont émergé sur ces interrogations à propos du devenir de ces villes intermédiaires. Les chercheurs ont analysé des cas et essayé de monter en généralités à partir des cas traités.
Pour ces espaces non métropolitains, des approches alternatives, plus soucieuses du bien-être des habitants, ont été réfléchies.
C/ approches théoriques alternatives pour les villes petites et moyennes
Nous analyserons 5 approches théoriques, que nous présenterons de manière chronologique, afin de montrer l’évolution des réflexions concernant les hiérarchies territoriales intermédiaires :
- Le mouvement territorialiste (Alberto Magnaghi)
- La décroissance urbaine (Vincent Béal)
- La notion d’interterritorialité (Martin Vanier)
- Le récit territorial (Olivier Bouba-Olga)
- Le programme POPSU Territoires
38 FOL, Sylvie, « Les villes petites et moyennes - Territoires émergents de l’action publique», POPSU, 2020, p.22
39 TALANDIER, Magalie, « Résilience des métropoles : le renouvellement des modèles », POPSU, 2019
40 DEMAZIÈRE, Christophe, «Le traitement des petites et moyennes villes par les études urbaines», Espaces et sociétés, 2017, p.17
35 partie I
C/ approches théoriques alternatives pour les villes petites et moyennes
1/ Le mouvement territorialiste : conscience du lieu, retour au local
Un courant de pensée, appelé « école territorialiste », est apparu dans les années 1970 en Italie autour d’Alberto Magnaghi, professeur à l’université de Florence. Cette pensée, arrivée en France dans les années 2000, critique les logiques de métropolisation. Elle est animée par le projet d’un développement local « auto-soutenable », basé sur trois objectifs, comme le précise Xavier Guillot, dans son article «Le territoire au coeur de la pensée et de l’action : l’école territorialiste italienne» : satisfaire les besoins fondamentaux de la vie humaine, chercher l’autonomie politique, économique et sociale des communautés locales et enfin maintenir la biodiversité des milieux en améliorant la qualité de l’environnement 41 .
Alberto Magnaghi, chef de file de ce courant territorialiste, approfondit la lecture du monde rural en proposant des pistes de développement alternatif basées sur la conscience du lieu et le retour au local.
Il décrit l’urbanisation comme un processus qui déterritorialise le monde dans des métropoles, des mégarégions, des mégavilles où les habitants n’ont plus aucun lien avec la terre d’origine, ne produisant plus de nourriture et qu’il faut nourrir artificiellement. Les territorialistes considèrent le territoire comme un milieu vivant dans lequel la nature n’est pas soumise à la domination de l’homme mais pensée dans une relation de co-évolution. Il met l’accent sur la notion de biens communs territoriaux, de patrimoine territorial. La connaissance partagée du patrimoine territorial est un moyen de redonner aux citoyens un rôle actif et la base nécessaire de conscience collective. Enfin, il s’oppose au processus de mondialisation en prônant comme échelle fondatrice du développement celle du local.
Dans un autre ouvrage intitulé La conscience du lieu 42, il définit « l’utopie territorialiste » comme processus de reconstruction démocratique des valeurs patrimoniales de biens communs nécessaires au bien-être individuel et social des habitants. Le projet d’une urbanisation par le bas apparaît comme un fil directeur avec trois modes de reconnaissance des lieux : des réseaux de petites municipalités, des biorégions urbaines et des réseaux de petites villes historiques.
Enfin, dans Le projet local 43 , il insiste sur le fait qu’il faut développer le territoire pour tous et non pas seulement pour ceux qui sont capables de lui fixer un intérêt majeur et qu’il faut aussi réduire la mobilité en améliorant la qualité des produits, de préférence locale. Il préconise l’élaboration de la reterritorialisation des lieux en déclin et propose un projet de repeuplement des territoires ruraux. Le projet local renvoie à l’utopie d’un monde pluriel, déhiérarchisé et solidaire.
41 GUILLOT, Xavier; D’EMILIO, Luna, «Le territoire au coeur de la pensée et de l’action : l’école territorialiste italienne», 2020, p.2
42 MAGNAGHI, Alberto, La conscience du lieu, traduit par Eterotopia France, rhizome, Paris, 2017
43 MAGNAGHI, Alberto, Le projet local, traduit par PETITA Amélie, Architecture + Recherches, 2003
36 partie I
La ville d’Acquarica, dans les Pouilles, illustre cette volonté de retour au local et de conscience du lieu afin de conserver le caractère mémoriel du territoire. En effet, la destruction de l’environnement, du paysage et de certains murets en pierre sèche, véritable trésor de ce territoire, a conduit les habitants à prendre conscience de la nécessité de préserver ce patrimoine. La représentation participative ci-dessous exprime ces caractéristiques spécifiques et nous plonge vers un retour local.
Ainsi, l’approche théorique proposée par Alberto Magnaghi à travers ses différents travaux insiste sur une échelle fondatrice qui est celle du local et défend un projet de repeuplement des territoires ruraux. Cette approche m’a paru intéressante dans la mesure où les villes intermédiaires disposent d’atouts à travers leur patrimoine et leurs spécificités propres.
37 partie I
C/ approches théoriques alternatives pour les villes petites et moyennes
{fig 4} Extrait de la représentation participative de la ville d’Acquarica, exprimant les caractères spécifiques et mémoriels du territoire, recadrée par l’auteur, source : Guillot, X., D’Emilio, L. 2020. «Le territoire au coeur de la pensée et de l’action : l’école territorialiste italienne»
2/ La notion d’interterritorialité : changement des mentalités et nouveaux rôles des acteurs
Martin Vanier, géographe et professeur à l’Institut de Géographie Alpine de l’Université Joseph Fourier de Grenoble, a proposé à son tour en 2008 une autre approche théorique. Il a dirigé un groupe de travail sur la notion d’ « interterritorialité », afin de proposer des pistes pour hâter l’émancipation spatiale.
Partant du constat que «les politiques territoriales ne précèdent pas la société, mais l’accouchent», il affirme que « les figures d’interterritorialités contribuent à sortir du «tout territorial»». Le géographe ajoute que la pluralité des territoires est devenue une des conditions d’épanouissement de l’individu qui s’exerce par exemple à travers les pratiques récréatives, touristiques, sportives de pleine nature, d’une pseudo-aventure qui est devenue si centrale dans les programmes de vie de catégories croissantes de la population occidentale en nous disant que : « nous prenons plaisir à nous sentir chez nous dans plusieurs lieux ou territoires 44 »
Martin Vanier propose trois pistes d’interterritorialités : des lieux de vies connectés à partir de projets intégrateurs, la transformation des non-lieux en lieux de vie et la connexion des hyperlieux identitaires.
L’interterritorialité est aujourd’hui une réalité émancipatrice et s’accompagne de plus en plus d’une pluralité des échelles : l’interterritorialité sociale et économique requiert une véritable interterritorialité politique qui fait le travail entre les territoires à toute échelle pour une efficacité globale. Ainsi, territoires, réseaux et lieux continuent chacun leurs rôles mais selon des évolutions et dans des configurations différentes 45
Si les territoires disposent de limites, le mot ne s’applique pas qu’à leur périmètre mais aussi à leur pouvoir. Selon Martin Vanier, «le vrai pouvoir des territoires serait sans doute de mieux le déléguer à travers diverses formes de partages et d’interterritorialités 46» .
L’interterritorialité a attrait à la fabrique des politiques publiques plutôt qu’à la fabrique des territoires avec pour enjeu territorial : produire des biens et des services d’intérêt public en adéquation avec une société dont les usagers outrepassent constamment les territoires, sans pour autant les renier 47
44 VANIER, Martin, «L’interterritorialité : des pistes pour hâter l’émancipation spatiale», CNRS, 2007
45 ibid
46 VANIER, Martin, «Le pouvoir des territoires»,2008
47 BÉHAR, Daniel ; ESTÈBE, Philippe ; VANIER, Martin, « Réforme territoriale : avis de décès de l’interterritorialité ? », Métropolitiques, 13 juin 2014
38 partie I
C/ approches théoriques alternatives pour les villes petites et moyennes
Enfin, les stratégies de développement alternatives qui se basent sur cette notion d’interterritorialité visent à construire une centralisation à petite échelle accompagnée de la production d’un projet collectif. L’Etat délègue des fonctions, mais il n’invente pas la coordination des structures autour de ces fonctions.
Ainsi, ce processus vise aussi à repenser les différents rôles des acteurs : le pouvoir de l’élu, que Martin Vanier définit comme « le puissant d’un territoire », doit désormais être attaché à un réseau, plus qu’à un territoire. Il nous dit qu’«il faut inventer des administrations de missions et construire une vraie coordination administrative pour le technicien». Enfin, le citoyen ne peut plus seulement représenter la citoyenneté d’une seule entité territoriale : il faut avoir une citoyenneté à la fois locale et planétaire.
La notion d’interterritorialité induit donc une pluralité d’échelles à prendre en compte. Elle réinterroge la notion des limites des territoires en pointant du doigt la différence entre les limites spatiales et les limites en termes de pouvoir. L’interterritorialité invite aussi à repenser les rôles des acteurs : élus, citoyens, agents techniques. Enfin, Martin Vanier insiste sur la nécessité d’accepter la complexité des territoires. Il définit alors un nouveau rôle : «le design de territoire».
39 partie I
C/ approches théoriques alternatives pour les villes petites et moyennes
{fig 5} Illustration de l’article «De l’âge de l’interterritorialité au temps de l’ingénierie d’interface» d’après Matthieu ESTERNI source : Le blog de www.samuel-cebe.com
C/ approches théoriques alternatives pour les villes petites et moyennes
3/ La décroissance urbaine : déclin urbain et modèle alternatif
Sylvie Fol, dans sa conférence sur les petites et moyennes villes, évoque une nouvelle approche alternative urbaine en nous disant : «Dans un contexte où les villes petites et moyennes sont confrontées à un cumul de difficultés et où la décroissance urbaine relève de processus structurels, des stratégies de développement urbain se tournent vers les habitants « déjà là » plutôt que vers un retour à l’attractivité qui pourrait constituer une opportunité plus intéressante et réaliste 48».
Ce courant, que l’on qualifie par « décroissance urbaine », prend la position alternative qu’il faut peut-être accepter la décroissance de certains territoires et que certaines villes changent ainsi de modèle en inventant de nouveaux modèles d’action publique qui s’éloignent du référentiel d’attractivité et du modèle métropolitain. Cette notion de décroissance urbaine se traduit d’abord au Japon, en Allemagne et aux Etats Unis par des stratégies de « décroissance planifiée » ou de « décroissance intelligente» 49 . Il s’agit ainsi de redimensionner la ville pour l’adapter à des populations et activités de moindre importance. Cette stratégie se démarque nettement du simple retour à la croissance.
Les travaux de Vincent Béal, maître de conférences en sociologie et docteur en science politique, portent sur les politiques urbaines, le gouvernement des villes et les rapports entre niveaux de gouvernement. Il présente les politiques urbaines postcroissance qui envahissent actuellement les réflexions sur les villes intermédiaires en déclin et théorise la notion de décroissance territoriale. En s’éloignant du dogme de la croissance, ses approches se basent sur de nouveaux enjeux comme l’agriculture urbaine et la transition écologique. Elles participent ainsi à un renouvellement de l’action publique.
Vincent Béal nuance toutefois son propos en démontrant que ces politiques ne constituent encore que des réponses partielles à des stratégies de développement plus traditionnelles. Il définit différents points qui sont à l’origine de cette limite : «des contextes où la pluralité d’acteurs et d’intérêts conduit souvent à la mise en place de politiques duales où se côtoient stratégies de développement classiques et stratégies alternatives , des facteurs plus globaux dont l’action reste dictée par des objectifs de rigueur». Il dénonce ensuite «l’impossibilité à articuler une réflexion théorique et les difficultés pour les élus locaux d’assumer publiquement le déclin structurel de leur territoire 50».
48 FOL, Sylvie, « Les villes petites et moyennes - Territoires émergents de l’action publique», POPSU, 2020, p.24
49 BÉAL, Vincent ; ROUSSEAU, Max, «Après la croissance : Déclin urbain et modèles alternatifs», 2018
50 BÉHAR, Daniel ; ESTÈBE, Philippe ; VANIER, Martin, « Réforme territoriale : avis de décès de l’interterritorialité ? », Métropolitiques, 13 juin 2014
40 partie I
La gestion des vides urbains à Dessau, ville de l’Est de l’Allemagne qui a perdu en démographie et en activité économique, illustre cette notion de “décroissance urbaine”. La reconversion de ces vides en projets engagés basés sur l’agriculture urbaine et la transition écologique, comme on peut le voir sur la figure ci-dessous, permet à cette commune d’accepter son statut de ville décroissante pour en faire un atout socioécologique.
Dans ses travaux sur la décroissance urbaine, Vincent Béal nous montre que dans un contexte où l’incapacité structurelle du système politique à générer des alternatives au néolibéralisme, les villes intermédiaires pourraient constituer des espaces essentiels pour l’expérimentation de nouvelles pratiques et de nouvelles politiques qui ne seront plus essentiellement tournées vers la croissance à tout prix 51 . Ce courant alternatif, spécifique aux villes intermédiaires en déclin, ouvre de nouvelles perspectives dans la réflexion sur le développement de ces territoires.
51 BÉAL, Vincent ; CAUCHI-DUVAL, Nicolas ; ROUSSEAU, Max « La décroissance urbaine en France : des villes sans politique », Espace populations sociétés, 2016
41 partie I
C/ approches théoriques alternatives pour les villes petites et moyennes
{fig 6} La gestion des vides urbains à Dessau source : socialter.fr
C/ approches théoriques alternatives pour les villes petites et moyennes
4/ Le récit territorial : changement de comportements et fin des modèles
Économiste de formation, Olivier Bouba Olga est professeur des universités en aménagement de l’espace et en urbanisme à l’UFR de Sciences économiques de l’université de Poitiers et chargé d’enseignement à Sciences Po Paris. Ses recherches portent sur la géographie économique, l’économie de proximités et l’analyse quantitative et qualitative des dynamiques territoriales. Dans le cadre des conférences POPSU, il s’intéresse aux dynamiques des petites villes mais aussi à leur dépendance et interactions avec des systèmes urbains et territoriaux. Il va introduire la notion de « récit territorial » dans les réflexions de stratégies urbaines alternatives des villes petites et moyennes. Il énonce l’importance d’observer ce qui se passe dans les petites et moyennes villes pour identifier les problèmes et les opportunités auxquels font face les acteurs ainsi que les réponses à apporter en termes d’actions publiques. Il introduit ainsi dans son raisonnement la notion de « récit » en citant Yuval Noah Harari : «les êtres humains pensent en récits plutôt qu’en faits, en chiffres ou en équations 52».
Avant d’énoncer tout système alternatif, Olivier Bouba Olga dénonce la mythologie CAME (Compétitivité, Attractivité, Métropolisation, Excellence) et notamment l’émergence de son modèle représentatif : la métropole. «Le récit métropolitain relève d’une généralisation abusive à partir de moyennes et d’une injonction potentiellement performative 53» . Ainsi, il dénonce l’idée selon laquelle les territoires sont des entités en concurrence les unes avec les autres, l’idée qu’il faut soutenir partout l’ « excellence » de demain. L’obsession pour la compétitivité des métropoles produit tout un ensemble d’externalités négatives. La concurrence entre les villes est néfaste, il propose donc une nécessité de changement de comportements. L’enjeu prioritaire «consiste à identifier les complémentarités productives et territoriales, à s’interroger sur la façon de les entretenir et de les accompagner, plutôt que d’opposer les territoires» nous dit-il 54 .
Le chercheur avance des solutions alternatives pour ces territoires en marge du développement : «Le fait d’être délaissés va favoriser le rôle de ces territoires dans la production de forêts, de produits agricoles de qualité et de modes de vie paisibles»
L’auteur dénonce «l’uniformisation des réponses en termes de développement territorial tendant trop souvent à un mimétisme au modèle métropolitain : les résultats sont décevants lorsqu’on généralise la politique expérimentée 55». Cela est dû, nous dit-il, à la diversité des contextes territoriaux : à des contextes différents, des réponses différentes. Il est donc indispensable de reconstruire des histoires de territoires différentes pour éclairer le processus.
Olivier Bouba-Olga prône l’idée que la concurrence entre les villes est néfaste, qu’il est donc nécessaire d’adopter un changement de comportement, de sortir de la mythologie CAME, de la répétition de modèles : chaque territoire est différent, les réponses doivent donc l’être aussi. Il propose un récit territorial plus souple qui s’oppose à la notion de modèle en étant plus attentif aux diversités et à la prise en compte des interdépendances. 52 BOUBA-OLGA, Olivier, «
42 partie I
53
54 ibid 55 ibid
Pour un nouveau récit territorial», POPSU, 2019
ibid
5/ Le programme POPSU Territoires : nouvelles clefs de lecture des villes moyennes
POPSU est la Plateforme d’Observation des Projets et des Stratégies Urbaines. Elle croise l’expertise des acteurs locaux et les savoirs des milieux de la recherche afin de mieux comprendre les enjeux et évolutions associés aux villes et aux territoires. Elle a aussi pour objectif de capitaliser les connaissances sur le processus de métropolisation et d’en assurer la diffusion.
Cette plateforme implique 60 villes, 50 établissements d’enseignement supérieur et de recherches, 80 unités de recherche et mobilise 350 chercheurs.
Trois premiers programmes (POPSU 1, POPSU 2 et POPSU Europe) portant sur les projets et stratégies des grandes villes ont été mis en oeuvre entre 2004 et 2016. Depuis 2018, deux autres permettent d’enrichir la plateforme : POPSU Métropoles et POPSU Territoires.
C’est ce dernier programme qui nous interesse puisqu’il «vise, par le croisement des savoirs scientifiques et opérationnels, à mieux connaître les processus qui transforment les petites villes et les ruralités françaises (...) Il s’agit dans le même temps de nourrir les réflexions stratégiques des décideurs sur l’avenir de leurs territoires. (...) Il aspire à créer une dynamique de collaboration qui permette un enrichissement réciproque des élus, des praticiens de la ville, des concepteurs architectes et urbanistes, des chercheurs de diverses disciplines et des citoyens 56».
Le programme POPSU Territoires est mis en oeuvre par des équipes de recherche qui réalisent sur le terrain différentes études de cas afin de proposer des pistes d’action suite aux échecs ou réussites qu’ils ont observés. 20 petites et moyennes villes françaises ont fait l’objet de travaux de la part de ce programme.
Le programme de recherche POPSU Territoires apporte de nouvelles clés de lecture des petites et moyennes villes. Il produit une forme alternative de recherche sur ces territoires par des analyses de cas d’études. Il vient remettre sur le devant de la scène les questions liées aux petites et moyennes villes et, par ce dispositif original de collaboration entre des chercheurs et des acteurs de terrains (élus, professionnels et citoyens), vient remettre à l’agenda politique les réflexions sur les petites et moyennes villes. Ce programme témoigne de l’intérêt grandissant porté à ces territoires, jusqu’alors délaissés.
C/ approches théoriques alternatives pour les villes petites et moyennes
43 partie I
56 POPSU Territoires. «Plaquette de présentation de Popsu Territoires», 2020.
L’analyse de ces différents courants théoriques concernant le devenir des petites et moyennes villes nous montre le regain d’intérêt dans le domaine de la recherche pour ces hiérarchies territoriales. On s’aperçoit que plusieurs courants alternatifs de développement émergent, proposant des pistes alternatives au mimétisme des métropoles. C’est ce qu’Olivier Bouba Olga nous dit lorsqu’il propose de travailler en «récits» en opposition à l’adhésion à un «modèle». De nouvelles approches du développement sont théorisées comme le «retour au local» des territorialistes ou «l’interterritorialité» de Martin Vanier. Un courant s’oppose à ces stratégies de «croissance», celui de la «décroissance urbaine».
Ces courants de pensées font apparaître une nécessité de travailler conjointement avec les acteurs publics pour élaborer ces stratégies de développement. La méthode d’investigation du programme POPSU Territoires se base sur une coopération entre élus, chercheurs et citoyens, et Martin Vanier nous informe, dans ses travaux sur l’interterritorialité, qu’il veut inscrire la pensée politique au sein des réflexions académiques. Enfin, les travaux de décroissance urbaine de Vincent Béal et Max Rousseau vont inspirer de nouvelles formes d’actions publiques dans des petites et moyennes villes.
44 partie I C/
approches théoriques alternatives pour les villes petites et moyennes
D / nouveaux «modèles» d’action publique
Parallèlement aux programmes de recherches présentés précédemment, et dans ce contexte de crise, de nombreux enjeux ont émergé dans le débat public et ont permis une mise à l’agenda progressive des problèmes des petites et moyennes villes. L’influence de l’association des villes moyennes a permis de rendre visible ces problèmes qui se manifestaient depuis longtemps mais qui étaient largement ignorés. La mobilisation des élus des villes moyennes a trouvé un relai avec la Caisse des Dépôts et des Consignations qui s’est saisie de cette occasion pour proposer un programme expérimental : « centres-villes de demain ». Ce programme a par la suite permis l’élaboration du dispositif « Action Coeur de Ville ». Les différents courants théoriques ayant émergé suite au regain d’intérêt pour les petites et moyennes villes ont fait apparaître de nouveaux modèles d’action publique.
45 partie I D/
nouveaux «modèles» d’action publique
1/ Le plan «Action Coeur de Ville» : une trame de développement pour soigner les centres-villes
Ce plan a été mis en place en 2018 par le Ministère de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales. Il regroupe 222 petites et moyennes villes de tout le territoire français, comme on peut le voir sur la page ci-contre regroupant l’ensemble des territoires bénéficiaires. Ce dispositif engage une action globale sur l’ensemble du territoire. Partant d’un constat que les villes moyennes sont structurantes pour leur territoire mais qu’elles présentent des difficultés comme le taux de pauvreté, le taux de vacance des logements et le taux de chômage supérieurs à la moyenne, ce plan répond ainsi à une double ambition : améliorer les conditions de vie des habitants des villes moyennes et conforter le rôle moteur du développement du territoire de ces dernières. Jacqueline Gouraud, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, présente ce dispositif dans le podcast introductif «campagnes urbaines» comme « une politique qui vise à accompagner les villes moyennes françaises dans leur projet global de restructuration du centre-ville 57 »
Le programme vise à faciliter et à soutenir le travail des collectivités locales, à inciter les acteurs du logement, du commerce et de l’urbanisme à réinvestir les centres-villes, à favoriser le maintien ou l’implantation d’activités en cœur de ville, afin d’améliorer les conditions de vie dans les villes moyennes. À travers ce plan, l’État joue un rôle de facilitateur pour permettre aux territoires de développer leurs propres projets (cinq milliards d’euros ont été mobilisés à l’échelle nationale sur cinq ans).
Son objectif est le suivant : «faciliter l’émergence de projets et de programmes urbains innovants en centre-ville, adaptés aux marchés et aux besoins locaux, favorisant la transition écologique et l’inclusion sociale, et valorisant le patrimoine architectural, paysager et urbain dans les coeurs de ville 58».
Le plan «Action Coeur de Ville» constitue ainsi un nouveau «modèle» d’action publique proposant une trame de développement des villes intermédiaires à partir de leur centre. Ce cadre va par la suite être développé de manière différente d’une ville à une autre. La maire de Guéret, Marie-Françoise Fournier, décrit ce dispositif comme «un outil pour développer une identité territoriale» , «une manne de développement qui nous arrive en matière d’ingénierie et en matière de financement 59».
57 JUZA, Camille ; VAYSSE, Matthias ; réalisé par PLÉ, Thomas, en partenariat avec le PUCA «Campagnes urbaines» PUCA - BINGE Audio, 2020, podcast introductif
58 Ministère de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales.
« Programme Action coeur de ville», 2019
59 Citation de Marie-Françoise Fournier, lors de l’entretien téléphonique du 17 octobre 2020.
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nouveaux «modèles» d’action publique
47 partie I D/ nouveaux «modèles» d’action publique
{fig 7} Cartographie des territoires bénéficiaires du plan «Action Coeur de Ville» source : CGET, service cartographie 2018
2 / Le dispositif «Petites villes de demain» : une boîte à outils pour aider les projets de revitalisation
Un autre dispositif va être lancé courant 2021 : « Petites villes de demain ». Il sera réservé aux villes de moins de 20000 habitants qui n’ont pas intégré le plan « Action coeur de ville ». Piloté par l’Agence nationale de la cohésion des territoires, il accompagnera ces petites villes qui font centralité sur un territoire.
Le programme d’appui «Petites villes de demain» permet aux maires de petites villes françaises de redonner vie au centre-ville et aux territoires alentours tout en prenant en compte les aspirations écologiques de ses concitoyens (rénovation du centre-ville, écologie, circuit court…)
Ce dispositif prend la forme d’une boîte à outils qui permet aux villes de moins de 20000 habitants de bénéficier d’un soutien spécifique de l’État et de ses partenaires pour leur projet de revitalisation. Il va permettre aux maires de se lancer dans un diagnostic de leur territoire, dans la définition de la stratégie et des actions à mettre en œuvre, dans ce que le dispositif appelle «le projet de territoire 60».
1000 commune(s)-intercommunalités seront accompagnées par le programme et 3 milliards d’euros seront alloués à ce dispositif jusqu’en 2026. Elles pourront bénéficier immédiatement des crédits de la relance pour le financement de leurs projets qui contribueront aux trois priorités du plan que sont l’écologie, la compétitivité et la cohésion. La liste de ces communes bénéficiaires est en cours d’élaboration 61 .
Par ce dispositif, l’élu sera accompagné tout au long de son projet, de l’idée aux impacts : apport en compétences, réseau pour s’inspirer et affiner ses idées, financements supplémentaires 62 ...
60 Agence nationale de la cohésion des territoires, «Petites villes de demain» youtube, octobre 2020
partie I
61 ibid 62 ibid 48 D/ nouveaux
«modèles» d’action publique
3/ De nouveaux modèles d’action publique alternatifs
En opposition à ces programmes nationaux «Action Coeur de Ville» et «Petites villes de demain», de nouvelles formes d’actions publiques vont émerger dans certaines petites et moyennes villes, situées dans des régions en décroissance. Ces modèles d’action publique alternatifs s’inspirent des travaux de Vincent Béal et Max Rousseau sur la décroissance urbaine. En effet, dans ces territoires, les acteurs locaux ont compris que le retour à la croissance était peu envisageable.
Ces nouveaux modèles d’action publiques, moins dépendants des impératifs du marché, sont plus soucieux du bien-être des habitants. Sylvie Fol, dans sa conférence POPSU, avance que « la mise en place de politiques urbaines s’appuyant sur les ressources locales et tournées vers les habitants «déjà là» plutôt que vers un hypothétique retour à l’attractivité pourrait constituer une perspective plus réaliste et plus intéressante 63»
Ces modèles alternatifs s’opposent aux programmes d’action nationaux par leur statut local et spécifique à un territoire. On n’est plus sur des stratégies globalisées à l’échelle du territoire national mais plutôt sur une démarche locale et collaborative spécifique à un territoire donné.
partie I
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63 FOL, Sylvie, « Les villes petites et moyennes - Territoires émergents de l’action publique», POPSU, 2020, p.24
D/ nouveaux «modèles» d’action publique
Ainsi, en quelques années, différents programmes sont venus combler le vide de l’action publique envers les villes secondaires. Ces nouveaux «modèles» d’action publique s’opposent au modèle métropolitain et donc au mimétisme à la grande ville en cherchant à offrir aux petites et moyennes villes de nouvelles perspectives de développement. Deux formes d’actions publiques apparaissent et leurs démarches s’opposent.
La première catégorie d’actions publiques que nous avons présentée («Action Coeur de Ville» et «Petites villes de demain») prend la forme d’un dispositif national, d’une manne de développement qui constituent des outils que chaque ville va s’approprier pour construire sa propre identité.
En parallèle à ces dispositifs de croissance urbaine, émergent ponctuellement des actions publiques de décroissance urbaine, plus adaptés au bien-être des habitants.
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D/
nouveaux «modèles» d’action publique