ENSAP Bordeaux Séminaire “Repenser la métropolisation. Construire un monde en transition” David, Anaïs S7 - Article - Janvier 2022
La ville durable est-elle réellement égalitaire et profitable à tous ? Étude de la mixité sociale dans des écoquartiers
Introduction Selon la géographe Yvette VEYRET, « la ville durable doit non seulement disposer d’un environnement de qualité, mais elle devrait aussi éliminer pauvreté et inégalités socio-spatiales » (2011, p. 6). En une phrase, elle résume les enjeux fondamentaux de la ville durable. Historiquement, cette notion n’est pas nouvelle et les enjeux sont connus depuis longtemps. De nombreuses conférences mondiales sur l’écologie se sont succédées tel que le Grenelle de l’environnement en 2007 et 2010 ou encore la COP21 en 2015. Toutes évoquent majoritairement les grands enjeux environnementaux. Comme lors de la dernière conférence sur le climat, la COP26 en novembre 20211, l’objectif principal était de trouver des solutions pour limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C d’ici 2050. Ainsi, l’urbanisme durable est souvent réduit qu’à la gestion de l’urgence climatique. Les priorités environnementales sont venues surpasser les problématiques socio-spatiales. Si bien qu’aujourd’hui, on assiste à un débat scientifique autour de la question de la ville durable (HERBAN, 2015). Entre ceux qui la décrivent comme une solution et une nécessité pour faire face à la crise du réchauffement climatique. Et ceux qui, au contraire, la perçoivent comme une utopie. Or, comme le dit Michel Lussault, « on est au-delà d’une simple vision écologique de la ville et de sa politique » (2011, p. 82). Peu de chercheurs traitent les aspects de l’urbanisme durable autres qu’environnementaux. De nombreux articles mettent en avant les acteurs de cette transition écologique, ainsi que les stratégies urbanistiques à adopter. Peu évoquent concrètement les effets sociologiques, politiques et économiques de l’urbanisme durable sur les principaux usagers. Pourtant, les 4 enjeux de la ville durable (VEYRET, 2011) sont la ville recyclable, la ville compacte, la ville mixte et la ville participative. Ces derniers sont des réponses aux enjeux sociaux, économiques, politiques et écologiques. Ils se traduisent par des aménagements urbains spécifiques forts et souvent symboliques. Les écoquartiers sont les premiers laboratoires (BONARD, 2010) de ces aménagements urbains à l’échelle d’un quartier. En théorie, l’objectif est d’améliorer la qualité de vie des habitants et des usagers. Cela passe notamment par la lutte contre la croissance des ségrégations sociales et spatiales (JUND, 2011). De ce fait, la mixité est perçue comme une solution à nos problèmes sociaux-urbains (DA GUNHA, 2011) car elle résoudrait l’exclusion par l’inclusion. Or, on constate que la ville mixte est celle qui engendre le plus de contradictions avec l’urbanisme durable. La mixité sociale est considérée comme un modèle de vie urbaine et pourtant, la ville durable semble exclure les catégories sociales les plus défavorisées. Le concept de ville durable ne serait plus un idéal, mais un paradoxe pour notre société. ¹
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Voilà pourquoi, j’ai décidé d’évoquer les limites de la ville durable à travers la question de la mixité sociale. Je me suis posée la question suivante : la ville durable creuse-t-elle les inégalités sociales existantes ? Nous évoquerons tout d’abord, les différents conflits théoriques que peut engendrer la mixité sociale, puis nous démontrerons une réussite mitigée sur le terrain. I/ La mixité un terme évolutif et polysémique Dans le cadre de cet article, nous aborderons plutôt l’aspect social du terme. La notion de mixité apparaît dans nos politiques publiques en 1970 comme une action publique. Puis dans les années 1990, elle devient un outil de rééquilibrage social (VALEGEAS, 2016) dans nos territoires urbains. Toutefois, en 1992, la mixité prend une nouvelle dimension à l’échelle internationale, lors du sommet de la Terre à Rio. Pour la première fois, la mixité sociale est reliée au développement durable d’un quartier. Aujourd’hui, la mixité sociale est devenue une politique publique impérative à la ville durable. Pour résoudre les inégalités socio-spatiales, l’objectif est d’intégrer dans un lieu, de manière équitable, toutes les catégories sociales (DA GUNHA, 2011). Néanmoins, la mixité sociale fait l’objet de diverses controverses. On observe deux camps (GENESTIER, 2011, p.27) : ceux qui la perçoivent comme un idéal, participant à l’équilibre des villes contre ceux qui perçoivent son aspect utopique. Les premiers perçoivent la mixité comme un outil de « justice sociale » (GENESTIER, 2011). Elle serait mise en place pour réduire les inégalités socio-spatiales en réduisant la distance sociale par la notion de proximité spatiale (LELÉVRIER, 2010, p.60). Seulement, comme le dit Pierre Bourdieu, « rien n’est plus intolérable que la proximité physique de gens socialement éloignés » (1993, p.166). Car elle est vécue comme une promiscuité physique, en cela, la séparation spatiale prévaudrait à la mixité sociale en termes d’appropriation d’un espace. Ce serait donc un moyen pour les différentes catégories sociales, de choisir sa façon d’habiter et de s’approprier un espace librement. Dans le cas inverse, les classes sociales supérieures domineraient les classes inférieures, en leur imposant une manière spécifique d’habiter (GENESTIER, 2011, p.28). De ce fait, les inégalités socio-spatiales sont liées aux problèmes de la répartition sociale et aux formes d’inclusion et d’exclusion, que l’on associe souvent aux phénomènes de ghettoïsation. Dorénavant, l’exclusion peut devenir synonyme de pauvreté, laissant place à une forme de spatialisation de la pauvreté. Ainsi, la mixité sociale dans la ville durable apparaît comme une « illusion écologique » dans laquelle les acteurs publics vantent ses mérites tout en la surestimant. Ils confondent la proximité spatiale et la cohésion sociale (TISSOT, 2010).
II/ La mixité sociale dans les nouvelles politiques urbaines : une réussite plus ou moins variable Après avoir évoqué les différents débats théoriques, nous posons la question de sa réussite sur le terrain. Depuis que la loi SRU impose 20 % de logements sociaux aux villes de plus de 5 000 habitants sous contrainte d’une amende ; l’intégration de la mixité sociale dans les écoquartiers s’est faite par la réflexion d’une nouvelle manière d’habiter. Cette dernière est mise en œuvre par une diversité d’habitants, mais aussi d’habitats (tailles, 2
prix, localisation…). Toutefois, suite aux premières expériences d’écoquartiers en France, on constate une réussite mitigée dans ses objectifs de mixité sociale. Certains chercheurs dénoncent ces quartiers comme des produits de la ville néolibérale, engendrant de nouvelles inégalités (DA GUNHA, 2011). La mixité sociale s’est transformée en outil politico-économique freinant les bonnes ambitions urbaines et sociales. Nous retenons donc deux problématiques liées à la mixité sociale dans les écoquartiers. 1) Une mixité sociale souhaitée dans des écoquartiers difficilement accessibles Dans les écoquartiers, la mise en œuvre de logements dits “ accessibles ” est à étudier avec précaution. On peut constater aujourd’hui, une hausse des prix non-négligeables sur les loyers et sur les prix d’achat des logements. Elle s’explique d’une part, par le coût de la construction d’un logement dans un écoquartier (MANCEBO, 2011). Le cahier des charges est tellement strict que les promoteurs se permettent des marges supplémentaires. De ce fait, sa valeur sur le marché en tant que logement neuf n’est plus la même que celle d’un logement ancien. D’autre part, elle s’explique par un déséquilibre entre l’offre et la demande (MANCEBO, 2011). Les logements proposés sont limités et très demandés, entraînant une explosion du prix au m². Par conséquent, les écoquartiers sont en proie aux investisseurs qui se servent des logements comme un système d’investissement immobilier. C’est pourquoi, comme le dit Yvette Veyret, les prix du marché immobilier sont un « indicateur des logiques de production des inégalités » (2011, p. 26). Ainsi, au lieu de préserver des logements accessibles, on produit l’effet inverse. Les jeunes, les étudiants, tout ce qui constitue la classe moyenne et la classe populaire peuvent avoir des difficultés à se loger dans ces nouveaux quartiers. De plus, les formes d’exclusion vont encore plus loin, il existe un « filtrage social » (VEYRET, 2011), dans lequel est exercée une sélection sur dossier des familles qui seront relogées dans ces nouveaux quartiers. Pour être relogés dans ces écoquartiers aux catégories sociales plus élevées, les critères ne sont pas équitables. On privilégie généralement les couples de plus 50 ans sans enfant qui ont des revenus stables et légèrement plus élevés que les autres. Cela peut conduire à une perte de mixité sociale intergénérationnelle et socio-culturelle. En conséquence, on peut observer un écart entre la théorie de la ville durable et la réalité. Les objectifs de la mixité sociale semblent être difficiles à atteindre. Le système politico-économique creuse les écarts entre les quartiers chers et les quartiers pauvres. Cela peut conduire à une concentration des catégories les plus pauvres dans les quartiers les plus sensibles. 2) Une mixité subie, le vécu difficile des ménages relogés À la suite de cette première lecture, on constate clairement que les acteurs publics se servent de la mixité sociale comme un argument politique de la ville durable. Selon François Valegeas, les politiques publiques seraient conscientes des effets négatifs de la mixité sociale. Ils pourraient s’en servir comme un atout politique pour favoriser le phénomène de gentrification (VALEGEAS, 2016). Quelques chercheurs dénoncent ce contrôle de nos gouvernements. Comme Anne Clerval, qui met en avant la volonté des villes d’embellir leur image et de valoriser leur patrimoine culturel à 3
travers le phénomène de gentrification. Ainsi, on construit un paysage urbain pouvant plaire plus particulièrement aux classes moyennes et supérieures (CLERVAL, 2009). Les écoquartiers peuvent être concernés par cette planification urbaine et politique, ce qui est contradictoire aux objectifs de mixité sociale. Depuis la loi Borloo en 2003, la politique de rénovation urbaine, les mobilités et les stratégies de peuplement sont affectées (GILBERT, 2018). Cette dernière consiste à démolir les anciens logements pour reloger les catégories sociales les plus pauvres dans des logements neufs. Les écoquartiers sont les premiers outils de ces objectifs de relogement. Dans l’idéologie de la ville durable, cette stratégie contribuerait à “déconcentrer” les quartiers les plus défavorisés afin de leur offrir une meilleure chance de s’intégrer socialement dans un nouveau modèle de vie urbaine. Cette politique de relogement est moralement acceptée grâce à cette « croyance en la bienfaisance de la dispersion » (GENESTIER, 2006, p. 297), permettant de favoriser la mixité sociale. Toutefois, on constate des effets néfastes de ces stratégies de relogement dans les écoquartiers. En effet, certaines familles subissent ces déplacements “forcés”, pouvant entraîner une déstabilisation professionnelle et familiale. Dans un écoquartier, la création d’une communauté dépend du choix des habitants d’aspirer à des mêmes valeurs pour pouvoir cohabiter ensemble. Néanmoins, les familles relogées, n’ayant pas choisi d’y habiter se voient des valeurs et un mode de vie auxquels ils ne sont pas nécessairement sensibles. Par conséquent, ces familles peuvent s’isoler de la communauté et vivre en marge des autres habitants. De plus, leur situation financière précaire peut être accentuée par le prix du loyer d’un logement neuf pouvant augmenter par rapport à leur ancien loyer. Ainsi, ces familles peuvent avoir des difficultés à se construire de manière durable, ne les aidant pas à s’élever de leur classe sociale. Par ailleurs, la gestion de la mixité sociale à l’échelle d’une ville à travers la présence des écoquartiers parmi d’autres quartiers existants, peut engendrer des nouvelles contraintes financières. En effet, le nouveau quartier va exercer une « pression immobilière » (DA GUNHA, 2011) sur les quartiers les plus pauvres et ses habitants. À Bordeaux, c’est le cas de Ginko, un écoquartier installé et associé à un quartier sensible, les Aubiers. Cela entraîne divers conflits, car les problématiques sociales de chacun des quartiers ne peuvent être résolus en même temps ni de la même façon. Chaque quartier cherche à se différencier en même temps et met en avant des valeurs différentes. Ainsi, de cette manière, la recomposition spatiale et sociale ne fonctionne pas aussi bien qu’on l’aurait souhaité. Les stratégies de relogements semblent avoir été planifiées sans même avoir consulté les habitants concernés. Cela peut accentuer les problématiques sociales existantes notamment des plus pauvres. Nous pouvons alors remettre en question la durabilité de ces écoquartiers d’un point de vue sociale. Conclusion Pour conclure, bien que la mixité sociale soit parfois une réussite, elle ne reste que très localisée et ne se réalise qu’en présence d’un certain nombre de facteurs précis. Auquel cas, son semi-échec est également une réalité. La ville est tiraillée entre ses besoins économiques, sa politique d’image et sa préoccupation de la qualité de vie de ses habitants. Dans ce fonctionnement, elle est contre-productive, car l’aménagement urbain de la ville représente les « mécanismes ségrégatifs du marché » (DA GUNHA, 2011, p. 199). Ainsi, elle accentue les inégalités sociales existantes. Nous nous posons alors la question de la solvabilité des problématiques de la ville. 4
Les villes ne sont-elles pas devenues trop complexes dans leur structure et dans leur fonctionnement ? L’urgence climatique n’est qu’au final une couche supplémentaire parmi tant d’autres, ne faisant qu’intensifier et complexifier les problèmes existants. Ainsi, l’urgence climatique est-elle un « frein à la ville soluble » ? (MANCEBO, 2011, p.2). Pour la suite de cette étude, je souhaite poursuivre mon enquête en étudiant l’écoquartier de Ginko et sa relation avec un quartier sensible, les Aubiers. Je pense qu’il sera important d’observer d’abord le terrain puis, d’aller à la rencontre des personnes habitant le quartier. Je privilégierai les familles ayant bénéficié des logements sociaux, pour connaître leur parcours résidentiel et leur niveau d’intégration dans la vie du quartier.
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