CHRONIQUE PROPOSÉE PAR
ON CASSE
LA BARAQUE ?
Autorisation de construire sur le terrain d’autrui : quand la confiance se fourvoie dans l’appréciation juridique de la bonne foi. PAR MAÎTRE MÉLANIE GRIMONET, AVOCAT
A
près l’expérience du confinement, Gauthier et Véronique ont envie de changer d’air et de pouvoir se dégourdir les jambes sans attestation en cas de nouvelle crise sanitaire. Une maison avec jardin en Haute-Savoie les fait rêver, mais le budget ne suit pas : c’est soit la maison, soit le terrain, mais pas les deux. Heureusement, tante Alice est là, et bienveillante. Elle a toujours apprécié Gauthier, son fidèle neveu et lui donne son accord pour la construction de leur habitation sur une grande parcelle qu’elle avait conservée, à l’époque, pour ses enfants. Leur rêve devient réalité : ils peuvent commander et faire installer leur chalet en kit. Malheureusement, la lune de miel entre les voisins tourne vite court et tante Alice n’apprécie finalement guère de ne plus jouir de sa vue sur le lac. Elle demande au couple de partir en remettant le terrain en l’état. Paniqués en recevant une assignation en justice, Gauthier et Véronique se décident à consulter un avocat. Ils entendent réclamer le remboursement des frais occasionnés par la construction.
DOUCHE FROIDE Le juriste leur explique le régime particulier des constructions réalisées entièrement sur le fonds d’un tiers. En principe, ce qui est construit sur le sol appartient au propriétaire du sol (art. 552 C. Civ.). Les choses se corsent lorsque le constructeur n’est pas propriétaire du sol. Les amoureux découvriront à leurs dépens qu’ils ne sont, non seulement pas propriétaires de « leur » chalet, mais que
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tante Alice peut leur imposer sa démolition, à leurs frais. Aux termes de l’article 555 alinéa 1 du Code civil : ”Lorsque les plantations, constructions et ouvrages ont été faits par un tiers et avec des matériaux appartenant à ce dernier, le propriétaire du fonds a le droit, sous réserve des dispositions de l'alinéa 4, soit d'en conserver la propriété, soit d'obliger le tiers à les enlever”.
IL ÉTAIT UNE FOI... Si le propriétaire souhaite conserver l’édifice, le constructeur a-t-il droit à une indemnité ? Et s’il en demande la destruction ? Tout dépendra de la bonne foi du constructeur. La Cour de cassation a récemment statué en jugeant que le constructeur autorisé par le propriétaire n’est pas de bonne foi, laquelle s’apprécie par référence à l’article 550 du Code civil : elle concerne celui qui possède comme propriétaire en vertu d’un titre translatif de propriété dont il ignore les vices (Cass. 3e civ., 15 avr. 2021, n°20-13.649). Dans cette espèce, un père avait justement construit, avec l’accord de sa fille, une maison sur un terrain appartenant à sa progéniture. Après avoir quitté les lieux, il a réclamé en justice le remboursement de sa construction. En réponse, la demoiselle a revendiqué la démolition aux frais de son père. Elle a obtenu gain de cause. La situation du constructeur sur le sol d’autrui est donc précaire. En cas de bonne foi du constructeur, le propriétaire ne peut imposer la destruction à ses frais. S’il conserve l’édifice, il doit indemniser le bâtisseur. En cas de mauvaise foi, le constructeur perd tout : la maison, et il doit supporter les frais de démolition. En accordant aveuglément confiance à tante Alice, sans chercher à sauvegarder leurs intérêts par une convention réglant le sort des constructions projetées et autorisées par elle, Gauthier et Véronique auront profité du terrain de famille à leurs risques et périls. La prudence ne prévient pas tous les malheurs, mais son défaut ne manque jamais de les attirer.
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