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ARSENAL-MORLAND UN NOUVEAU SOUFFLE
NOUVELLES PERSPECTIVES
Morland Mixité Capitale rend à tous cette vue unique, embrassant Paris, de l’île Saint-Louis à La Défense, jusqu’au Mont Valérien. Confisquée jadis par l’ex-préfecture de la ville, elle est aujourd’hui sublimée, démultipliée, renversée par l’artiste Olafur Eliasson et Other Spaces Studio. Ce dispositif optique immersif en verre et miroirs au 15e étage se poursuit sous la forme d’un kaléidoscope géant au 16e étage, avec comme impression d’avoir littéralement la tête dans les nuages.
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Changement de perspectives, élargissement de l’horizon. Renversant la vue à 360°, l’installation artistique d’Olafur Eliasson avec Other Spaces Studio, serait-elle symbolique de la mutation du quartier ? Hier peu fréquenté, fantomatique, Sully-Morland reprend du souffle en transformant l’ancienne préfecture de la ville en épicentre culturel, hôtelier, gustatif, festif, sportif.
PAR Virginie Bertrand PHOTOS Vincent Thibert
RENAISSANCE PATRIMONIALE
PAGE DE GAUCHE L’impressionnante architecture moderniste d’Albert Laprade édifiée entre 1957 et 1964, acquiert une nouvelle stature due à l’architecte David Chipperfield et l’agence Calq, et devient la nouvelle balise urbaine du quartier de l’Arsenal.
PAGE DE DROITE 1. Le marché couvert sous les arcades. 2. Dans la cour Louviers, créée par David Chipperfield, bordée d’un péristyle, se trouve la forêt miniature plantée par le paysagiste Michel Desvigne. 3. L’installation optique et hypnotique de l’artiste Olafur Eliasson et Other Spaces Studio. S’y reflètent les cultures verticales de Sous les Fraises. 4. Paula Aisemberg, directrice des projets artistiques du groupe Emerige, à côté des sculptures de Laurent le Deunff.
LA TOUR MORLAND ET LA MUE DU QUARTIER
Entre les boulevards de la Bastille et Henri IV, le port et La Seine, le quartier de l’Arsenal reste méconnu. Certains le décrivent « plombé » par de « grands ensembles qui ne se traversent pas ». Le choix de cet adjectif percute son passé militaire. Hier, comme illustré sur le plan de Turgot de 1739, visible à la Bibliothèque de l’Arsenal, se succédaient fonderies à canons, entrepôts de poudre, écuries et fossés défensifs. La caserne de la Garde républicaine en est l’héritage. Autre bâtiment imposant, édifié début 1960, le siège de la préfecture érigé par les architectes Pierre-Victor Fournier, René Fontaine et Albert Laprade sur ce qui était autrefois l’île Louviers, à la superficie égale à sa voisine en aval, l’île Saint-Louis. Le comblement du bras de la Seine en 1840 donnera le boulevard Morland. Cette construction moderniste s’élevant à cinquante mètres, dépassant de trente mètres les normes, assouplies par l’État commanditaire, détonne par son austérité, sa minéralité, d’autant plus qu’Albert Laprade était reconnu en tant qu’auteur du Palais de la Porte Dorée. Le premier appel à projets « Réinventer Paris »en 2014 enclenche sa transformation. Le défi est relevé par le promoteur Emerige et une bande de visionnaires. De bloc impénétrable, énergivore, amianté, ce navire amiral doit devenir l’épicentre de la cité de demain, plus frugale, plus inclusive. Et entraîner dans son sillage une nouvelle dynamique dans cette partie de Paris qui est aussi celle des architectes avec le Pavillon de l’Arsenal, des designers installés dans d’anciens ateliers, de quelques restaurants n’ayant rien perdu de leur authenticité. L’édifice revu et corrigé par l’architecte David Chipperfield apparaît aujourd’hui en « phare de l’Arsenal ». Aux 15e et 16e étages, l’artiste Olafur Eliasson et son studio Other Spaces fondé avec Sebastian Behmann, plongent le visiteur dans une œuvre littéralement renversante, entre ciel et terre. « Les dispositifs optiques kaléidoscopiques recadrent une vue qu’on a tendance à prendre pour acquise. Ils suscitent de nouvelles perspectives sur la ville. » souligne Olafur Eliasson. Sur un nouvel art de vivre aussi au sein de la capitale.
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ESPACE DE PROMENADE
Les architectes David Chipperfield et l’agence Calq ont créé une cour entourée d’un péristyle moderne projetant un cloître du XXIe siècle, au cœur duquel le paysagiste Michel Desvigne a planté une mini-forêt de plus de 200 espèces végétales. Trente-huit voûtes colossales, se prolongent à l’intérieur du site, formant un nouveau passage jusqu’au fleuve.
44 000 M 2 REVISITÉS, UN DÉFI ARCHITECTURAL « Les “réinventer” correspond à notre façon de fabriquer des immeubles environnementaux. L’impact carbone incite à conserver les surfaces et transformer des bâtiments existants en architecture du XXIe siècle. » Laurent Dumas, président du conseil de surveillance d’Emerige, remporte le concours en 2016 avec une équipe hors normes. L’ambition est de faire « un modèle durable de la ville du futur ». Alexandre Labasse, directeur du Pavillon de l’Arsenal, centre d’exposition et de recherche sur l’architecture parisienne et du Grand Paris, insiste sur son rôle d’« exemple dans un quartier en déshérence ». Il souligne l’ingéniosité de l’architecte David Chipperfield, reconnu pour insérer des projets très contemporains dans des bâtiments anciens. « Il a réussi à densifier l’ensemble tout en légèreté. Les parties ajoutées de sept étages se posent sur des arches de béton de sept mètres de haut, une cour arborée remplace le parvis aride, l’ensemble se traverse par des passages, en écho à ceux historiques de la capitale. » David Chipperfield a rendu aux façades existantes leur puissance, avec une attention particulière aux détails, reprenant les pierres issues de la carrière d’origine, les menuiseries à l’identique dans un alliage spécial, tout en leur donnant une aspérité supplémentaire avec l’ajout d’un balcon par fenêtre, sept cent seize au total, distinguant les parties destinées aux habitations. Il a imaginé deux bâtiments adjacents surélevés sur une série d’arcades inspirées « de l’espace et de l’atmosphère des colonnades du Palais-Royal ». La cour intérieure, évoquant celle d’un cloître, est investie par le paysagiste Michel Desvigne, éminence verte des forêts citadines. Plus de deux cents espèces d’arbres, de mousses et de fougères sont plantées. Cette oasis verte accueille les sculptures animalières en rocaille de Laurent Le Deunff.
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Acteurs engagés 1. Perspective en 3 D du lobby de l’hôtel 5 étoiles SO/Paris conçu par l’agence RDAI. Au sol les pavés en granit en queue de paon des rues parisiennes, réinterprétés en marbre ; poteaux cylindriques s’évasant au plafond, jeux de grandes dalles de verre biseauté en alternance sur les murs, au fond une œuvre de l’artiste Neil Beloufa. 2. Denis Montel, directeur artistique et général de RDAI. 3. Un des 113 photogrammes de Thomas Fougeirol à retrouver dans chaque chambre. 4. Le duo fondateur de Terroirs d’Avenir, Alexandre Drouard et Samuel Nahon. 5. Le marché couvert de Terroirs d’Avenir.
MINI-VILLE DANS LA VILLE
Qui aurait pu imaginer qu’en lieu et place de l’ancienne préfecture de Paris, et plus tard du centre administratif de l’urbanisme de la Ville, s’installerait un hôtel 5 étoiles, un hostel, un marché couvert, des restaurants et cafés, une galerie d’art, une crèche, un club de sport, des bureaux et deux cents logements dont 80 % de sociaux et intermédiaires, le tout en harmonie énergétique, la chaleur des uns devenant le froid des autres, les eaux grises bio-filtrées par un système végétal sur le toit, récupérées pour l’entretien d’un potager de deux mille huit cents mètres carrés. Sous les Fraises, start-up lancée en 2015 et aujourd’hui leader européen en permaculture urbaine, cultive à la verticale sur panneaux, au sommet des tours, houblon, fruits et herbes aromatiques. Autres acteurs éco-responsables, Alexandre Drouard et Samuel Nahon fondateurs de Terroirs d’Avenir, ouvrent un marché couvert sous les voûtes de la deuxième cour : étals de légumes, crémerie, boucherie, poissonnerie, boulangerie en direct de leur réseau de trois cents paysans, défenseurs de la biodiversité et des savoir-faire traditionnels, et de pêcheurs sur des bateaux de moins de douze mètres. « Laurent Dumas, président d’Emerige, souhaitait recréer un esprit village. Grâce aux liens étroits que nous avons avec nos producteurs, la logistique mise en place, c’est comme s’ils apportaient eux-mêmes leurs récoltes du jour ». Une recyclerie et un réparateur de vélos viennent aussi répondre à ces envies de consommer autrement. Cette mini-ville dans la ville accueille aussi deux hôtels. Le premier, The People, déjà ouvert est un hôtel mixant chambres doubles, familiales et dortoirs, le tout dans une ambiance street art avec restaurant en double hauteur, totalement vitré et végétalisé. Quatre cents lits sur quatre mille mètres carrés dont les prix oscillent entre vingt-neuf et cent cinquante euros. Le second SO/Paris, 5 étoiles, s’inaugure en septembre. L’architecture intérieure est signée RDAI, l’agence, entre autres, des boutiques Hermès dans le monde et lauréate de l’Équerre d’Argent, en 2014, pour La Cité des Métiers Hermès. Denis Montel, directeur général et artistique, dit « avoir pratiqué une archi-contextuelle » se penchant sur les origines du lieu, son nouveau langage formulé par David Chipperfield, la présence de la Seine, la vue sur Paris. Le scintillement des lumières orangées de la capitale, la nuit, lui a inspiré une gamme ambrée enflammant les dalles de verre dans le lobby. Les imposants poteaux carrés deviennent cylindriques et s’évasent au plafond, en écho aux portiques extérieurs, éléments architectoniques-clés. La ferronnerie de la porte d’entrée évoque les ricochets d’un caillou sur l’eau, un mur magistral, une carte topographique du lieu, le parement en terrazo marquent le niveau de la plus haute crue de la Seine. L’impression donnée est ascensionnelle et convie à rejoindre les chambres du septième au quatorzième étage ou à gagner directement le restaurant-café-club Bonnie de Paris Society, et aussi les installations kaléidoscopiques d’Olafur Eliasson et du Studio Other Spaces. « Ce lieu mal-aimé des Parisiens, à l’architecture dépréciée bien que remarquable, implanté dans un quartier peu vivant, deviendra l’un des endroits les plus courus et emblématiques de Paris, annonce Laurent Dumas, président d’Emerige. Nous espérons entre cinq mille et sept mille visiteurs par jour, de toutes les catégories sociales. »
EAU ET ART À TOUS LES ÉTAGES
Du jardin de la cour Louviers au sommet de la tour, de l’hôtel SO/Paris à la piscine, Laurent Dumas, président d’Emerige et Paula Aisemberg, directrice des projets artistiques du groupe, ont essaimé l’art. À l’origine de la charte, un immeuble, un artiste. Laurent Dumas, collectionneur engagé dans l’art contemporain, à travers son fonds de dotation et la bourse Révélations, multiplie ici les possibilités de rencontre avec l’art, jusqu’à initier un nouveau concept de galerie-résidence accueillant tous les deux mois une galerie internationale. « C’est un symbole du Paris cosmopolite. La première est la Libanaise Marfa’Projects. Des commandes ont été faites à quatre artistes de la scène française : Thomas Fougeirol a créé cent trente-trois photogrammes originaux pour les chambres de SO/Paris, Neïl Beloufa s’empare du lobby avec une œuvre lumineuse monumentale, Alice Guittard pose ses marqueteries de marbre dans le spa, et Elsa Sahal, ses céramiques ». Paula Aisemberg annonce aussi des ateliers avec les enfants du quartier et même de la crèche.
POINTS DE RENCONTRE
PAGE DE GAUCHE La piscine à l’ozone du club de Fitness O’Zenith.
PAGE DE DROITE 1. Œuvre d’Alice Guittard à retrouver dans le SPA. 2. Entrée, boulevard Morland de l’hostel The People, « auberge de jeunesse » pour tous ceux qui sont jeunes dans leur tête, chambres à partir de 29 euros. 3. Une des chambres familiales de The People. 4. Restaurant Titi Palacio de The People, entièrement vitré dans l’esprit d’une serre géante de 500 m2 , imaginé par l’équipe de la Brasserie Rosie, Juliette Cerdan et Kevin Caradeuc et mis en scène par l’architecte Olivier Lekien. En cuisine : Lisa Desforges, ancienne de L’Ami Jean.
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LIGNES D’HORIZON
Le port de l’Arsenal ou bassin de l’Arsenal accueille quelque deux cents bateaux de moins de 23 mètres. Côté boulevard de la Bastille, il se borde de plusieurs jardins auxquels succèdent des terrains de pétanque envahis à toute heure. Avec un air de vacances, l’ensemble donne une ambiance très différente des autres quartiers parisiens.
AMBIANCE PORT DE PLAISANCE
La plus grande voie d’eau entre deux rangées d’immeubles, quand s’ajoutent au port de l’Arsenal les boulevards de la Bastille et Bourdon. Cette échappée vers la Seine s’appréhende d’autant mieux depuis 2021 qu’une grande partie de la place de la Bastille s’est reconvertie en esplanade. Onze mille mètres carrés de la colonne de Juillet au nouvel escalier de pierre menant sur le quai. Hier, fossé défensif de l’enceinte Charles V au XIVe siècle, puis bassin après la chute de la Bastille, le port de l’Arsenal passe de port de marchandise au XIXe siècle, à celui de plaisance à partir de 1983. Au 36, boulevard de la Bastille, une cour cernée de bâtiments en brique témoigne de ce passé industriel. Manuelle Gautrand, architecte, dont les bureaux se situent dans une aile, s’est plongée dans son histoire et a découvert qu’un amiral était à l’origine de sa construction, allouée à la transformation des matières premières : bois, blé, métaux, directement débarquées. Le port de l’Arsenal est le seul à se situer à une écluse de la Seine. Deux cents bateaux s’amarrent à l’année, avec l’obligation de naviguer vingt et un jours par an. Il en résulte une vraie ambiance de port. Tous, qu’ils soient architectes, artistes, réalisateurs, retraités… sont également des marins. S’y glissent quelques Riva rutilants ou des vedettes hollandaises proposant des croisières fluviales à l’exemple du Frou-Frou de Christine Bravo pour des escapades « Sous les jupes de l’histoire » animées par elle ou ses acolytes de l’émission du même nom (Marc Fourny, Élisabeth de Feydeau) ou des parties de pêche sur la Marne. Bienvenue à bord !
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DE LA MER A LA SEINE
Sans vague à l’âme, Clément Perrot est passé de la traversée de l’Atlantique, des croisières polynésiennes, caribéennes, au cabotage sur le fleuve parisien. Épris de surf pendant ses études en Australie, il décide de continuer sur l’eau, délaisse son avenir dans l’entreprise pharmaceutique familiale. Formations de skipper, puis de capitaine de yacht et enfin d’ingénierie en mécanique, il convoie des voiliers, barre des catamarans et se dédie même pendant cinq autres années aux bateaux de luxe. « J’adore la mer. Je me suis construit avec elle. Mais être à la manœuvre de yachts de trente mètres, minimum, qui pour une heure de navigation, consomment plus de cinq cents litres de gazole, est une aberration. J’ai tout quitté sans quitter l’eau. » Il déniche « une perle rare, un Andréyale Lattitude 46 de 2006, dessiné par les architectes JoubertNivelt, de fabrication française à La Rochelle, inspiré des commuter boats, des vedettes américaines des années 1930 », dont les bois sont en très mauvais état mais pas le moteur, ni la coque effilée. « Pendant le Covid, on avait le temps de faire les choses. J’ai restauré toutes les boiseries, en acajou et teck, tous les cuivres, refait des coussins en voile ». Il le baptise Le Bateau Français et l’amarre dans le port de l’Arsenal en juillet 2021. « Je voulais un bateau qui se démarque des taxis vénitiens et des vedettes hollandaises. Je peux accueillir jusqu’à onze personnes mais aussi simplement une si elle le désire. La cabine est un attrait supplémentaire, un luxueux abri quand il pleut, instaurant un moment ou une séquence très cinématographique ». Cap sur la Seine…
Échappée Azur 1. Retour de croisière sur la Seine à bord du Corto de Clément Perrot. En arrière-plan, le viaduc d’Austerlitz, pont ferroviaire bâti en 1904, est emprunté par la ligne 5 du métro de Paris. Il est inscrit au titre des monuments historiques. 2. Manœuvre dans le port de l’Arsenal. 3. Embarquement immédiat pour deux heures de croisière sur le quai au pied du nouvel escalier de pierre partant de l’esplanade de la Bastille.
HABITER SUR L’EAU
« Rendre les choses plus magiques. ». C’est en choisissant ses lieux de vie que l’architecte d’intérieur Valérie Mazerat pratique cet enchantement du quotidien, se déconnectant « de l’urgence permanente ». Après une usine désaffectée, un ancien entrepôt de la SNCF, depuis dix ans elle a investi une drôle de péniche dont la partie supérieure est un ancien wagon soudé. « J’ai été une des premières femmes du port. Aujourd’hui, nous sommes plusieurs. Les rapports entre les gens sont très différents, très respectueux. On se sent protégé. Le rythme est plus lent. La possibilité de naviguer offre aussi des moments très particuliers. Cette possibilité d’être nomade élargit l’horizon, les possibles. » Quand elle l’acquiert, elle la désosse complètement, privilégie le bois au sol, l’acier pour des doubles parois et les étagères, les couleurs fanées sur des lins rustiques. Cette pratique de mise à nu, d’appréhender l’espace dans sa globalité, histoire comprise, se retrouve dans ses chantiers, ou inversement. « Après je retravaille les choses en pleine matière. » Récemment elle s’intéresse au plâtre qu’elle traite pour la nouvelle boutique de sacs RSVP ou encore la boulangerie Petite Île aux murs « façon mie de pain » de deux jeunes Taïwanais installés dans le XIe. Elle pousse les recherches techniques comme elle l’a fait avec l’acier, la main dans la main avec Carine Delalande pour les plâtres de plancher, par exemple. Du concept-store Merci, en passant par Bonton ou encore le dernier showroom DCW éditions « ni déco, ni faux », souligne Valérie Mazerat, vent debout, et sourire aux lèvres
Art de vivre sur l’eau 1. Bivouac sur le pont de la péniche ancré dans le port de l’Arsenal. L’architecte Valérie Mazerat a dressé sur le pont une tente en coton écru, deux lits de camp avec matelas et coussins, et un kilim. 2. Valérie Mazerat habite depuis dix ans sur cette péniche, acquise dans le port de Joinville, aujourd’hui au Port de l’Arsenal. Chaque été, elle navigue sur les canaux. La cloche est obligatoire sur les embarcations pour signaler un danger.
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PATRIMONIAL ET CONTEMPORAIN
D’un côté, la Bibliothèque de l’Arsenal, ancienne demeure des grands maîtres de l’artillerie, sous François 1er et jusqu’en 1757 où elle devient celle d’un bibliophile, le marquis de Paulmy, avant d’être publique après la Révolution française. Elle est à la fois, bibliothèque, faisant partie de la BnF, conservant des incunables, les archives de la Bastille, la première traduction française de Confucius, du Coran… Et trésor historique avec des pièces telles qu’à l’origine, avec décors peints et mobilier : le salon de musique rocaille de 1740, le cabinet des femmes fortes et la chambre de la maréchale de la Meilleraye. Son directeur, Olivier Bosc, multiplie conférences, concerts et lectures. En face, le Pavillon de l’Arsenal se revendique « le lieu de la ville en train de se faire ». Alexandre Labasse, son directeur général, précise « ses missions sont d’interroger les grands sujets de société sous le prisme de l’architecture ». Toutes les expositions envisagent Paris demain, de « TerraFibra » sur les matériaux biosourcés, ou encore « Soutenir » anticipant le vieillissement de la population. Sous la codirection de la philosophe Cynthia Fleury et du collectif d’architectes SCAU, cette dernière interroge l’histoire du soin, « des lieux et des architectures qui nous tiennent et nous soutiennent, plutôt qu’ils nous détiennent, ou nous contiennent ». À venir, « Les banlieues d’hier », territoires fertiles de demain et les refuges périurbains. Depuis cinq ans, le Pavillon de l’Arsenal a aussi un « bras armé » avec un budget alloué de 400 000 euros public-privé : l’accélérateur FAIRE, qui accompagne une vingtaine de projets urbains innovants par an, d’étudiants, d’architectes, de paysagistes, ouvrant de nouvelles perspectives.
Institutions de l’Arsenal 1. Le Pavillon de l’Arsenal, premier centre européen consacré à l’architecture et à l’urbanisme, proposant expositions, conférences, débats et librairie. 2. La chambre de la maréchale de la Meilleraye, 1645, est décorée d’un plafond peint. 3. Façade de La Bibliothèque de l’Arsenal construite par Théodore Labrouste en 1868. 4. Le salon de musique restauré dans les couleurs d’origine, les grisailles au-dessus des portes représentent les 4 saisons.
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SOUFFLE COLLECTIF POUR LA TRANSITION
« Une équipe pour emmener les territoires sur une trajectoire sobre et post carbone. » Trentenaires, François Peyron, spécialiste de l’énergétique et de la thermique, et Florian Dupont, urbaniste-environnementaliste, fondent Zefco en 2018, et rassemblent une vingtaine de jeunes talents, ingénieurs et architectes, engagés contre le réchauffement climatique et l’épuisement des ressources, à la recherche d’une nouvelle relation avec le vivant. Ils interviennent en amont des projets lors des appels à concours dans le cadre de « Reinventing Cities », une extrapolation internationale de « Réinventer Paris » à l’initiative de C40, réseau de métropoles mobilisées sur les mêmes objectifs. « On pratique l’ingénierie environnementale confortable pour l’usager, responsable pour l’environnement, passant par la sous-dimension des choses : enlever le béton, se passer de climatisation, réemployer les matériaux. » Leurs missions pour l’un des plus gros chantiers parisiens en cours, Porte de Montreuil, qui sera aussi celui du zéro carbone, se définissent autour de la stratégie pour atteindre cet objectif, de la coordination des intervenants, de la conception bioclimatique. 80 % des matériaux, bois, terre, pierre, chanvre, fibres végétales viennent d’Île-de-France. Pour la réhabilitation et l’extension de l’hôpital Saint-Vincent-de-Paul, ils proposent le réemploi des matériaux, la plantation d’une forêt, le compostage in situ, le traitement des eaux grises. Zefco pratique aussi, au sein de leur bureau, la parité, l’égalité des salaires, le zéro voiture, les achats en vrac, la consommation locale et saisonnière, le 100 % compost et énergie verte. « On cherche encore le bon compromis pour le chocolat ! »
Pour une ville verte 1. L’équipe Zefco, ingénieurs, architectes, paysagistes, avec une moyenne d’âge de 27 ans, accompagne les promoteurs dans une stratégie environnementale. Prochain chantier parisien, un immeuble de bureaux dans le XIIe, près de la gare de Lyon, aux côtés de l’architecte Franklin Azzi. 2. Les deux fondateurs et doyens trentenaires, à la tête de ce collectif de conviction et de créativité, François Peyron et Florian Dupont.
LA RÉGÉNÉRATION SELON MANUELLE GAUTRAND « Morland Mixité Capitale est une restauration exemplaire. Un bâtiment en fin de vie devient l’épicentre de la mixité des usages, ouvert à tous. C’est vertueux que le privé opère cette mue du public. Cela va faire boule de neige, le quartier va muter. » Première femme élue présidente de l’Académie d’Architecture, multirécompensée et l’une des architectes les plus reconnues en France et à l’international, Manuelle Gautrand travaille à une métamorphose de la ville contemporaine, à la fois plus dense, sociale et écologique. « Peut-être plus parler d’intensification que de densification, les métropoles doivent être régénérées et rester attractives. » La ville durable préfère la réhabilitation que le neuf avec un bilan carbone dix fois moins impactant, sans oublier que l’artificialisation des sols franciliens progresse de six cents hectares par an au détriment des terres agricoles et forestières. Elle revendique le réenchantement de la ville, refusant de s’enfermer dans un style architectural, optant pour des rénovations, des mutations aussi surprenantes qu’en osmose avec le paysage, ici un garage Citroën devenu logement, l’extension du musée d’Art Moderne de Lille, à Annecy celle des Galeries Lafayette, hier la Gaîté Lyrique, demain la bibliothèque de Parramatta à Sydney. Quand elle construit, sa pratique devient laboratoire. À Paris, l’immeuble Edison Lite édifié sur une friche, s’habille à chaque garde-corps de trois cent soixante jardinières avec plantes rustiques et système de goutte à goutte, et quatre cents mètres carrés d’espaces communs – atelier de bricolage, salle de sport, potager… pour vingt et un appartements. « Des balises urbaines pour demain. »
Architecture du changement 1. Manuelle Gautrand, dans ses bureaux de l’Arsenal, à droite, photo de l’immeuble Edison Lite dans le XIIIe, 21 logements sur mesure, conçus avec les acquéreurs. À gauche, Origami Building, avenue de Friedland, en avant, l’architecte a imaginé un origami de marbre formant les gardecorps et assurant l’intimité des usagers. 2. Salle de réunion donnant sur le Port de l’Arsenal. 3. Deux membres de l’équipe en réflexion dans la cafétéria de l’agence.
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LE MÉTAL GAGNANT DE VICTORIA WILMOTTE
« Une quête de rupture hors mode dans un monde de consensus qui manque d’aspérité. » Cédric Morisset, en charge du design chez Piasa, puis de la Carpenters Workshop Gallery à New York avant de rejoindre Pierre Yovanovitch, décrit la démarche de son amie Victoria Wilmotte en introduction du livre qu’elle autoédite pour les dix ans de sa factory. Car la créatrice, diplômée du Royal College of Art, et qui eut comme professeur Ron Arad, se veut indépendante et dans le « faire ». Elle installe son espace de travail-showroom- atelier en sous-sol, avec une armée de machines pour travailler le métal, plieuse, perceuse, cisaille, ponceuse… « Je ne suis pas une usine, ici j’expérimente ». Elle réalise des prototypes et quelques mini-séries surtout en métal, son matériau fétiche, transformiste, qu’elle peut manier seule, sans soudure. « Je ne lâche pas mon dessin. J’ai plus une démarche artistique de sculpteur. Chaque détail est important ». Elle privilégie aussi le travail avec les artisans. « J’aime passer du temps avec eux, tisser un lien. Après on va plus loin, on prend plus de risque. » Sa cheminée façonnée dans un seul bloc de marbre, ses lampes rétro-éclairées, son premier canapé reprenant en partie basse ses zigzags, tous ont été permis par ce dialogue incessant qu’elle mène, repoussant les limites de la matière. Son design est poétiquement puissant ou puissamment poétique, celui d’une géométrie lumineuse, se jouant des effets iridescents. Elle cite Jean Prouvé, fils d’un peintre devenu maître du métal, et Konstantin Grcic, présent dans son antre à travers plusieurs créations, pour « leur poésie industrielle ».
Chez Victoria Wilmotte 1. Dans l’entrée de sa galerie-atelier, guéridons « Zigzag » en acier thermolaqué et miroir « Piega » édité par Classicon. 2. Victoria Wilmotte, une main sur l’une des carafes en Wedgwood, à ses côtés, son portrait réalisé par Nina Mrsnik et sur les étagères, tests de matières, marbres, pierres. 3. Dans le sous-sol, cheminée en Corian, grand miroir « Piega » en Inox poli miroir, Classicon, et table rouge, La Redoute/Bensimon (collection capsule 2014).
LA TABLE DES MATIÈRES D’ERIC SCHMITT
« Une antenne de la campagne », c’est-à-dire du village de Larchant quand Eric Schmitt quitte sa ferme fortifiée, ses ateliers-cathédrales, ses chevaux, pour rejoindre sa galerie personnelle en fond de cour rue de la Cerisaie. Un espace intime, libéré de ses murs d’anciens bureaux morcelés, repéré par son ami François Champsaur. Dialoguent ici mobilier, luminaires, céramiques, objets de façon anachronique. Des pièces plus anciennes telles que les appliques réalisées pour En Attendant les Barbares côtoient les vaisseliers « Scale » avec leurs façades patinées par Pierre Bonnefille « comme une nacre brisée, évoquant l’intérieur d’une perle », ou encore la bibliothèque « Elément », les guéridons « Champignon » en verre de Bohême, les consoles de l’Élysée, le fauteuil « Laquais » en bois et bronze… Il parle de ses dernières créations pour Ralph Pucci, présentées à Design Miami, la collection « In&Out », en bronze pour certaines, en fibre de verre pour d’autres, mais dont l’apparence égare : qui est en quoi ? « Mon travail est la conséquence du sculpteur que je suis presque, de l’architecte que j’aurais aimé être et du designer que je ne suis pas tout à fait. ». Résultent de ces formes libres, de ces matières caméléons, des pièces énigmatiques. « À plusieurs lectures peut-être. J’aime travailler par rapport aussi à l’image des galeries avec qui je collabore. Sous le prisme du design subversif des années 1980 pour Dutko, monumental, pour la Carpenters Workshop Gallery. » Expositions à venir !
Chez Eric Schmitt 1. Suspension « Jaillissement » en aluminium, bronze et verre, 2015, table « Tripode » en bronze et marbre, 2019. Chaises « NYOU » en aluminium laqué noir et coussin en daim, Lelièvre, 2020, et vaisselier « Scale » en bois et tuiles nacrées, 2008, sur l’étagère, vase en verre de Bohême et lampe à poser. 2. Lampadaire « Padirac » en aluminium laqué, 2018, banc « Pie » en bronze et chêne, 2018. 3. À côté d’Eric Schmitt, lampe « Sugesasa » en laiton, 2013, le tout Edition E S.
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Quelques figures du quartier 1, 2. Karin Nebot, à la tête de l’entreprise familiale Kaviari, de caviars et de produits de la mer. 3. L’atelier en étage des abat-jour Bouchardeau. 4. Galerie Boon, luminaire, Giopato & Coombes, peinture de Chidy Wayne, céramiques de Tora Frogner et Atori Bu, et tables basses, Stone Stackers. 5. Kristofer Kongshaug, fondateur de Boon Room. 6. Canapé, table basse et fauteuils en pierre, Boon Éditions, céramiques de Lenny Stopp et peinture de Chidy Wayne. 7, 8. Guillaume Taliercio, d’In Girum et ses céramiques aux émaux cendre de lavande. 9. Le fleuriste Romain, créateur de Studio Maison Ciero. 10. Le Temps des Cerises depuis 1830. 11. Le Petit Célestin.
ATELIERS, FABRIQUES, RESTAURANTS ET GALERIES
À l’aube de l’ouverture de ce nouvel épicentre Morland Mixité Capitale, en juin The People Hostel et Terroirs d’Avenir, en juillet le club de fitness O’Zenith, en août SO/Paris, en septembre la galerie d’art contemporain Atlas… une exploration du quartier s’impose tant certains lieux se révèlent une fois la porte franchie. Derrière une façade d’atelier, Kaviari, s’agite : création d’un chariot à caviar avec le designer Kostia, lancement du recyclage des peaux de saumon… La maison dont la spécialité est le caviar depuis plus de quarante ans, la deuxième génération est à la manœuvre, ouvre sa manufacture, laboratoire et cuisine, au grand public comme aux professionnels. Dégustations, dîners autour d’un chef étoilé ou entre amis, épicerie. Familial aussi est le Petit Célestin. Les frères Jaïs et Yanice Mimoun, fils de Madame Mimoun, à la tête (et à l’âme) de Tajine, rue de Crussol, ont repris il y a dix ans, ce restaurant du quai Célestin. « Laissé dans son jus, juste quelques tableaux et miroirs », ils en ont fait le repaire des autres chefs quand ils sont off et celui « de notre voisine baronne qui fêtera le 4 juillet ses 101 ans ». Rognon moutarde à l’ancienne, bœuf bourguignon, fonds d’artichauts crème de pleurotes et œuf poché… la tradition pour une jeunesse éternelle. Le Temps des Cerises existe depuis 1830 et dispense toujours des assiettes généreuses à une clientèle d’habitués. Sylvie Bonet navigue de table en table, comme sa mère avant elle, en cuisine Nicolas Sellin. Certains ateliers aussi sont presque centenaires. La maison Bouchardeau confectionne des abat-jour, depuis 1935. En étage, l’adresse se communique de bouche-à-oreille. De Madeleine Castaing jusqu’à Jacques Grange, en passant par tous ceux qui veulent rester anonymes, les demandes les plus extravagantes rencontrent un savoir-faire haute couture. De génération en génération, ce sont les employés qui reprennent le flambeau. Au fil des années, plus de cinq mille gabarits, des velours historiques, des galons par milliers. D’autres rejoignent ces rues par coup de cœur. Romain Pilato, fleuriste depuis vingt et un ans, investit en septembre 2021 la rue du Petit-Musc et ouvre un studio de création sur-mesure. Chaque bouquet est composé en fonction du vase, de son destinataire, de la décoration. « Roses odorantes d’une roseraie aux bons soins de la même famille depuis deux générations, pour les pois de senteurs, c’est la troisième et les pivoines “corail”, les dahlias, les hortensias… à vous de deviner ? ». Romain Pilato privilégie les fleurs de saison et d’Île-de-France. Son voisin, lui, cultive la discrétion. Arrivé en 2015, Guillaume Taliercio lie boutique et atelier de céramique. Sa technique qu’il partage fait « un pont entre les Occidentaux et les Orientaux, les premiers modèlent de l’extérieur, les seconds de l’intérieur », avec des émaux végétaux. Notoriété croissante pour la galerie Boon Room. Son espace sur sept cents mètres carrés et trois étages référence plus de cent designers, croisant noms connus et talents émergents. Diplômé de la Chambre syndicale de la couture, Christopher Kristofer Kongshaug, l’initiateur de ce temple dédié à la création, opte pour le design et rassemble plus de cent vingt créateurs : Studiopepe, Giopato & Coombes, Stéphanie Langard, 13 Desserts, Lizan Freijsen, Gorn Ceramics… Un tour du monde accompagné par François Leblanc, ex-galerie Bensimon. Entre Bastille et Marais, ce quartier vit plus fort, sans délaisser son authenticité. Adresses page 180
LE GRAND COLORAMA
Long est le chemin jusqu’à l’été. La séquence invite naturellement à se délester des contraintes, à desserrer le cran des obligations, à savourer l’inattendu, à préférer la couleur sans restriction, à hausser le ton et l’audace chromatique. Version coup d’éclat autour d’une palette saturée de soleil et de lumière, ou en nuances et demi-teintes pour des camaïeux tout en douceur. Temps forts…
PAR Aurélie des Robert
COUP D’ÉCLAT
PAGE DE GAUCHE Foulard imprimé, d’esprit nautique, en coton mélangé, 25,99 €, Parfois.
PAGE DE DROITE « Donut », design Mikiya Kobayashi, tabouret, en mousse de polyuréthane recouvert de tissu imperméable et structure en acier, plusieurs coloris, 420 €, Diabla.