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Le retour au bateau
Le retour au bateau
« Arrivé à Manaval un soir, l'Artisan flotte toujours mais pillé et saccagé. Personne au village, vide, sauf un garde de navigation. La cabine est à peu près vide : vêtements, provisions, biens personnels comme l'appareil photo ou le poste de radio sont posés en haut de l’escalier prêt à être emmené. C'est donc une première nuit de garde que mon père passe avec sa carabine 9mm sorti de sa cachette, une cuve à gas-oil. » 89
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« Le 15 juin, après trois jours d'enfer et une bonne bière à la terrasse d'un café, dans l'après-midi nous sommes chez nous. Nous sommes heureux de retrouver les deux bateaux intacts, nous avons été épargnés par des pilleurs. A peine étions-nous sur le bateau que la sentinelle française qui gardait le pont, voyant que des gens s'activent sur la berge et les bateaux, cri : « Sauvez-vous ! On va faire sauter le pont, les Allemands arrivent ! Le pont passe juste au-dessus du « Porphyre », notre bateau, notre demeure, notre gagne-pain, risque d'être anéanti en quelques secondes.
Sauter le pont ? Mais mon bateau est dessous ! Il va être démoli ! Il va couler ! Ce n’est rien, dit la sentinelle, c'est la destruction. Nous avons l'ordre de tout détruire avant l'arrivée des allemands.... Papa appelle maman pour aller se cacher sous la voûte, péniches et occupants. Tous les six, car dans ces cas-là les enfants ont de la force, nous tirons l'Alma qui se trouve le premier à partir, nous le lançons et l'abandonnons dans sa dérive et plus vite encore, nous revenons chercher le « Porphyre » pour le protéger de l'explosion. L'arrière est à peine sous le tunnel qu'un bruit retentit.... La péniche en bois tangue et plonge, elle se secoue avec une telle violence que l'on craint qu'elle coule. Le pont qui devait tomber sur la péniche tomba dans l'eau avec un fracas épouvantable. Parrain nous ordonne de monter sur l'Alma péniche en fer, plus solide. Il conseille de s'allonger au fond du reû90, il redoute que le bataille se fasse sous la voûte, à un bout les Français à l'autre bout les Allemands. Papa avait un revolver, et tout français pris avec une arme en temps de guerre passe par les armes. Donc papa jette son revolver au nez du bateau dans le canal. Nous passons une nuit blanche, couchés sur le tapis, l'oreille tendue au moindre bruit. Le 16 juin, tôt le matin les Allemands arrivent. Tout se passe dans le calme.
Comme il ne restait que deux longueurs d'eau avec le pont écroulé, mon parrain et mon père prennent la décision de traverser le souterrain en tirant les péniches à la main, sur le chemin de halage, pour se garer à l'autre bout du tunnel, à Souvignal en amont de Liverdun. Nous plaçons les péniches bord à bord pour être ensemble sans aller à terre. y restons cinq mois, le temps de remettre les canaux démolis par les bombardements en état de navigation. » 91
89 Raymond Carpentier - 2020 90 Reû : Logement arrière du bateau de commerce quand il est entièrement contenu dans la coque. 91 Eliane Droissart Bourdon - Marinière, ma vie, ma profession - n° 26 - 1990