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- les transports réquisitionnés Les relations quotidiennes

Photo souvenir envoyée par un soldat allemand qui prend la pause à Rouen. Les installations sont en bon état. - Coll. A.A.M.B.

Les relations quotidiennes

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Le CFNE 36 avait un chargement de 80 tonnes de Pernod en bouteilles... à un moment on a vidé le bateau entre autres des bouteilles. Les Allemands qui prétendent ne pas aimer le Pernod sont quand même venus en prendre liaison dans une camionnette !209 C'est un dimanche. Quatre soldats allemands se promènent sur le chemin de halage. Après quelques palabres sur les difficultés de l'époque, ils me disent : « nous allons t'aider ». Et ils s’attellent sur-le-champ, se stimulant par des ho ! Ho ! Comme tirant une charrue. Je leur fais remarquer que ce n'est pas la bonne façon de faire ; mais pour eux, c'est un jeu. Mon cordage se rompt et ces quatre allemands mordent la poussière du halage, se relèvent en s'époussetant avec force « Scheise » - mot de Cambronne en allemand - et me laisse choir. 210 Les Allemands pêchent à la grenade avec un propulseur. Nous récupérons un jour deux énormes barbillons, mais cela cesse à la suite d'une panne de moteur. Propulseur et soldats manquent de passer par-dessus le déversoir du barrage. Dommage, cette pêche améliorait notre ordinaire.211

Nous jouions à terre du matin au soir, à la balle, à la corde et nous allions souvent réveiller le colonel allemand dans sa camionnette. Il avait, lui et ses soldats, établi son camp près du pont. Nous lui demandions du riz et gentiment il nous conduisait à

209 F. Berenwanger - Halage et traction, souvenirs d'un batelier - n° 30 - 1993 210 François Berenwanger - Transporteur par eau, souvenirs de mon métier - n° 67 - 2012 211 Martial Chantre - La péniche, ma vie batelier de père en fils - n° 48 – 2002

la cuisine volante. Il prenait notre seau, le présentait au cuisinier et ordonnait de mettre du riz cuit dedans, et on le mangeait avec du pain sec. Nous n'avions pas grand-chose d'autre. Quelquefois le colonel nous mettait un morceau de viande cuite.212

Papa, jeune homme, à la guerre de 1914 avait appris quelques mots d'allemand et à compter. Il en profita pour se débrouiller auprès des Allemands de 1940. Ce qui lui permit de faire connaissance avec le colonel qui vint un jour visiter le bateau. J'en profite moi aussi pour apprendre quelques mots de cette langue nouvelle. Bientôt je sors : « eins, zwei , drei, vier, der Brot, ein Fisch ». 213

Comme nous étions stationnés près d'un campement d'allemands, souvent de jeunes soldats venaient au bateau et touchaient à tout. Mes parents m'avaient recommandé de ne jamais rien dire et de les laisser faire pour éviter des représailles. A la fête foraine, Yvette et moi nous cherchions des voiture (autos tamponneuse) où il n'y avait qu'une seule personne et on leur demandait pour faire un tour à côté d'elle, même des fois, des soldats allemands voyant notre manège nous invitaient. Nous pouvions ainsi nous amuser gratuitement car il ne fallait pas demander de l'argent aux parents pour s'amuser, il y en avait déjà trop peu pour manger. Il y avait souvent des manœuvres de soldat. Les exercices se faisaient sur les bateaux. Une fois, papa surprit un tout jeune soldat allemand caché derrière le gros mât, il pleurait, il avait froid, il avait peur. Il disait qu'à son âge, il serait mieux chez lui, il détestait la guerre. Papa lui donna une tasse de café chaud ; geste d'échange pour le riz que nous avions eu du colonel à Liverdun. La guerre, c'est inexplicable !214

Un jour, depuis le pont, les Allemands nous tirèrent dessus à la mitrailleuse avec des balles traçantes mais sans nous toucher. En réalité, ils avaient tenu leur promesse d’éloigner les civils, car toute la famille se précipita dans l'abri. On entendit alors une forte explosion. 215 Le canal sert de démarcation entre les deux zones occupées. Les soldats allemands montent la garde jour et nuit sur les écluses et les ponts. Nous entendons des coups de feu tirés par les sentinelles sur des réfugiés qui profitent de ce que le canal soit gelé pour traverser à toute vitesse. Les soldats sont logés dans une sorte de villa près de l'écluse et viennent chercher du charbon dans le bateau de note voisin chargé de boulets. Notre poussier ne les intéresse pas et nos collègues s’inquiétant d'avoir un jour à rendre des comptes à leur destinataire. 216

212 Eliane Droissart Bourdon - Marinière, ma vie, ma profession - n° 26 –1990 213 Eliane Droissart Bourdon - Marinière, ma vie, ma profession - n° 26 –1990 214 Eliane Droissart Bourdon - Marinière, ma vie, ma profession - n° 26 – 1990 215 Jacques Monier - Un batelier au service des ciments d'Origny - n°81 -2019 216 Martial Chantre - La péniche, ma vie batelier de père en fils - n° 48 – 2002

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