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La justice et les autorités militaires
La justice et les autorités militaires
Peu de témoignages existent sur ce thème. Nous avons deux histoires à rapporter : La première se passe en France : A Vitry-le-François, on me dit : Les Allemands te cherchent ! Effectivement ils n'avaient pas perdu ma trace. Deux Feldgendarmen viennent à vélo me chercher pendant que je lave mon bateau. J'avais été dénoncé par un « ami » pour les armes que j'avais récupéré. Je jette les armes dans le tabernacle, la patronne est surprise que j'avais ça dans ma cabine. En passant à Lutzelbourg, trois militaires allemands m'ont demandé s'ils pouvaient embarquer jusqu'à l'écluse suivante. Pas de problème mais je n'étais pas tranquille. Ils piétinaient à mon côté sur le naviage ; s'ils avaient soulevé un coin de la bâche... j’étais fait ! C'est à ce moment que j'ai pris la décision d'envelopper ces armes et de les dissimuler dans le charbon. Nous nous trouvions à Nancy à destination de Rouen. Ma patronne y avait de la famille et c'était l'habitude de finir la journée au port Saine-Catherine. Ma patronne est sortie faire des achats. Toc, toc ! Encore la Feldgendarmerie, direction le tribunal militaire de Châlons-surMarne. J'ai alors demandé aux Allemands de pouvoir nous arrêter au magasin Caprion pour faire part de mon arrestation.217
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Incarcération dans une cellule occupée avec trois ou quatre bonhommes. Au bout de 8 jours, on est venu me chercher, menottes aux poignets, pour passer devant le Tribunal militaire : je fus condamné à mort ! Grâce à ma plaidoirie, ma peine est tombée à un an et six mois de prison. Mais les Alsaciens sont bien des Allemands de souche ! A la suite de quoi, ma peine est tombée à deux mois de prison. Ouf ! Je revenais de loin ! Nous avons répété notre histoire qui ne tenait pas debout ! Ces soldats qui gardaient le pont du canal, logeaient au café qui se trouve à l'angle du pont. Nous avons été bien traités ; on nous a donné un peu à manger et à boire ; nous avons couché sur la paille ; et le lendemain matin, on nous convoyés en camion à la prison de Sarrebourg.218
En novembre 1942 quand les Allemands occupent la zone sud, ils sont dénoncés par le patron de Charles comme étant étrangers. Il y a la visite des Allemands mais rien de compromettant. La T.S.F. ne peut fonctionner par manque d'électricité. Seulement une peur à cause des tracts bleus blancs rouges servant à allumer le feu ou mis dans les rayonnages pour protéger le fond des cocottes.219 Une autre fois, cela devait être vers la fin de l'année 1941, en attente de déchargement à Châlons-sur-Marne depuis plusieurs jours, je dois haler mon bateau en marche arrière pour rejoindre le port. A l'arrêt, le mât dressé à la verticale, comme c'est l'habitude des mariniers pour éviter que l'humidité ne pénètre le bois. Il
217 F. Berenwanger - Halage et traction, souvenirs d'un batelier - n° 30 - 1993 218 F. Berenwanger - Halage et traction, souvenirs d'un batelier - n° 30 - 1993 219 Lydia Carnec-Branchet - Une saga batelière de 1850 à 1980 - n° 64 –2010
se rabat uniquement vers l'arrière. Je n'ai pas aperçu plusieurs câbles téléphoniques tendus en travers du canal. Impossible d’abaisser le mât à la dernière minute puisque ces câbles se trouvaient derrière et crac ! Tout est arraché. De peur de représailles sur des innocents, ce qui était monnaie courante à l'époque, je me rends avec le collègue qui halait la péniche avec moi, à la Kommandantur pour expliquer mon cas. Le gradé qui nous reçoit dégaine son revolver et nous dit en rugissant : « Vous allez être fusillés ! ». Je ne perds pas mon sang-froid, je tape énergiquement mon poing sur le bureau et dis à cet individu : « Monsieur, quand on a votre grade et votre autorité, vous devriez savoir que tout câble tendu au-dessus d'une voie navigable doit être à onze mètres de hauteur minimum, faute de quoi il doit être balisé de façon visible de tous les points de l'horizon ». Notre Allemand rengaine son arme et, d'un retentissant « Raus ! », nous indique la porte. Nous ne nous faisons pas prier et regagnons le bord d'un pas peu rassuré, mais je crois bien que le lendemain nous avons arrosé non pas les fils téléphoniques, mais l’événement. 220
On perçoit la pression de la surveillance car il n'est pas rare la nuit que l'on frappe aux volets de la maison éclusière de Roc, pourtant isolée, si le couvre-feu n'est pas respecté ou si la radio fonctionne. L'Epargne, le directeur conseille aux patrons des bateaux de ne se mettre en danger au cas où les Allemands demanderaient du vin. 221
Suite à une avarie à l'arrière, l'administration française refuse de l'arrêter et maintien son affrètement. Mon père enfile un ancien treillis de marin, boucle le ceinturon avec l'ancre au milieu et s'en va … à la kriegsmarine expliquer son cas ! Il est écouté par les marins, désaffecté et un bon de réparation délivré.222
La deuxième qui se déroule en Alsace est plus sombre encore : Un article publié par l'Amure en 2006 relate la triste aventure d'un groupe de bateliers alsaciens et lorrains résistants durant le conflit. 223 Les archives du jugement sont entreposées au service historique de l'armée tchèque à Prague qui conserve les archives du Tribunal de Guerre du Reich. Cette affaire concerne six personnes : Emile Wendling, Lucien Jacob, Charles Lieby, Joseph-Mouis Metzger, Berthe Schenk et Georgette Schenck. Il s'agit d'une action de collecte de renseignements au bénéfice des Britanniques.
Au départ de Bâle, en Suisse qui est un pays neutre dans le conflit, les renseignements et les demandes les rencontrent sont échangés. Par le moyen de feuilles dissimulées dans les étuis de papiers à cigarettes, les mariniers transmettent les renseignements glanés le long du Rhin et de ses affluents.
220 François Berenwanger - Transporteur par eau, souvenirs de mon métier - n° 67 - 2012 221 André Miquel et sa famille – des barquiers du Midi - n°69 - 2013 222 Raymond Carpentier – 2020 223 Auguste Gerhards des bateliers alsaciens et lorrains victimes du tribunal de guerre du Reich - Amure 2006 n°18
Les demandes portent sur les natures des trafics qui se déroulent et plus particulièrement le pétrole. Les infrastructures de défense anti aériennes ainsi que les effets des bombardements sont recherchés. Ce petit réseau n'aura une existence brève de quelques mois en 1942. Dénoncés, sans que l'identité du ou des délateurs ne soit donné, ils passent devant le Tribunal de Guerre du Reich à Berlin en mai 1943. Eliane, la fille d'Émile Wendling témoigne bien après la guerre en 2004, de ses souvenirs.
"Notre péniche, la Pierre, était amarrée au port de Strasbourg. J'étais parti avec maman faire des courses. A notre retour, en fin de matinée de ce 29 octobre 1942, la Gestapo était là et nous n'avons plus eu le droit de monter sur la péniche. La police nous a indiqué que mon père avait déjà été emmené. Quelques instants après, ma maman à été arrêtée à son tour et emprisonnée à Kehl. Mon père y était aussi, mais elle ne le savait pas ! Interrogée et torturée par les hommes de ma Gestapo, elle n'a rien pu dire parce qu'elle ne savait effectivement rien de l'activité de son mari.
Pour ma part, petite fille de 3 ans et demi, j'ai été placée dans un foyer à Neudorf. Au bout d'un mois, maman a été relâchée en jurant devant les policiers de ne rien dire sur ce qu'elle avait vu et vécu sous peine de déportation en Pologne. A sa sortie de prison, elle s'est retrouvée, démunie de tout, sans travail et sans effets. Elle a finalement été engagée comme femme de ménage chez un cordonnier de la route de Colmar à Strasbourg. "
Les bateliers Jacob, Lieby, Letzger et Wendling sont accusés d'espionnage contre le Reich. Le tribunal leur reproche d'avoir secrètement recherché et rassemblé des renseignements d'ordre militaire et stratégique, pour les transmettre à une puissance ennemie. Les quatre bateliers sont également accusés d'avoir monté une véritable organisation en impliquant ou en cherchant à impliquer de plus en plus de personnes. En conséquence de cause, ils ont livré à un membre des services de renseignements britanniques, des informations sur les résultats de bombardements alliés, sur l'implantation de défenses anti aérienne, sur un site portuaire, ainsi qu'une liste d'agents allemands dans la Zone Sud de la France.
En temps de guerre, depuis août 1939, une seule de ces infractions impliquait la peine capitale.
Ils sont guillotinés le 27 septembre 1943 dans la prison de Halle ainsi que 10 autres personnes. De plus, ils sont qualifiés de "traîtres à leur pays" ce qui permet au tribunal de confisquer au bénéfice de l'Etat leurs biens. De lourdes amendes sont infligées aux familles. L'article raconte que ces sommes servent à récompenser financièrement les auteurs de la dénonciation.
Au final, quand l’implacable « justice » Nazie n’intervient pas, les rapports entre les soldats Allemands et les mariniers sont sous le signe de la méfiance mais il n’y a pas de terreur ou de haine.
Un soldat allemand au bord d’une écluse dans l’Est de la France Source : Coll. Guillaume Kiffer
Deux soldats allemands prennent la pose devant le canal – derrière eux un tracteur de halage est au travail et de l’autre un chaland freycinet en fer est halé. - Coll. Guillaume Kiffer