ENTRETIEN // THIERRY PECH
La démocratie à l’épreuve des faits La démocratie n’est pas faite que de principes abstraits. Sa mise en œuvre concrète soulève problèmes, questions et dilemmes. C’est sous cet angle que Thierry Pech, qui a coprésidé le comité de gouvernance de la Convention citoyenne pour le climat, a choisi d’en parler dans son dernier essai.
© DR
Votre ouvrage revient sur toute l’ingénierie mise en œuvre pour organiser la Convention citoyenne pour le climat. Vous y décrivez la démocratie comme une expérience qui répond à des questions très techniques ? Thierry Pech : On a beaucoup de grands récits, de grands discours sur la démocratie, mais l’histoire matérielle de ses instruments est très rarement faite. Or, on ne peut pas séparer les concepts fondateurs de la démocratie des problèmes très concrets auxquels on se heurte et qu’on doit surmonter quand on mène une expérimentation de ce type. Quand on fait ce récit, on mesure ce qu’est fondamentalement la vie démocratique. La démocratie est un système de valeurs qu’on s’efforce d’honorer du mieux possible, mais il existe mille chemins pour y arriver ! Ce livre n’est pas là pour présenter un mode d’emploi, mais pour donner à voir les dilemmes auxquels d’autres seront confrontés demain. Prenons l’exemple du tirage au sort : c’est l’expression de l’égalité radicale, mais comment le mettre en pratique ? Tant que la question de la représentativité se pose de manière abstraite, on a l’impression qu’il suffit de constituer une assemblée qui ressemble à la société. Mais quels
96 - LES CAHIERS DU TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN - HIVER 2022
sont les traits distinctifs de la société ? Sous l’Ancien Régime, c’est simple, il y a trois ordres hiérarchisés. Dans la société industrielle, ça l’est déjà moins : il faut identifier les positions des individus et leurs relations dans le système socioproductif. Aujourd’hui, c’est devenu encore plus compliqué. Pour qu’une assemblée soit représentative, faut-il respecter l’équilibre entre les différentes catégories socioprofessionnelles, entre les hommes et les femmes, les jeunes et les vieux ? D’autres traits ne sont-ils pas plus pertinents, comme la distance aux centres urbains et les formes de mobilité requises ? Plus on s’approche des problèmes concrets, plus on prend conscience de la difficulté à mettre en œuvre certains principes. Vous évoquez aussi la nécessité d’informer les citoyens pour les préparer au débat. Là encore, ça semble simple… De loin, on a l’impression que ça va de soi. Mais délivrer une information pluraliste est en fait très compliqué. Respecter le pluralisme, ce n’est pas juste donner la parole à quelqu’un de gauche et quelqu’un de droite, mais transmettre des savoirs pas seulement académiques, qui recouvrent des régimes