Cahier automne 2021

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Cyberhaine L’historien Marc Knobel éclaire la façon dont les réseaux sociaux ont révolutionné la diffusion du racisme et de l’antisémitisme ÉGLISE CATHOLIQUE Les cathos allemands se rebiffent LA SPA Avec un record d’animaux abandonnés cette année, la SPA ne chôme pas

Supplément au no 3936 de Témoignage chrétien

GRAND ENTRETIEN Le sociologue et prospectiviste Jean Viard s'attache à analyser les mutations sociologiques et philosophiques que génère le covid-19

Témoignage

chrétien L I B R E S ,

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Et aussi : Pierre Rosanvallon propose une lecture de notre société à travers les épreuves de la vie de chacun, Notre-Dame offre un terrain d’exploration inédit aux chercheurs, et Saint-Julien-Chapteuil décline la solidarité sous toutes ses formes Notre dossier : 80 ans la résistance dans les gênes Étienne Fouilloux : l’histoire mouvementée de TC La guerre d’algérie, la condamnation de la torture Jacques Delors, Joseph Doré, Joseph Pinard, Yvan Tranvouez racontent leur tc novembre 1941 : « France, prends garde de perdre ton âme » le legs et l’avenir Les Cahiers du Témoignage chrétien – Automne 2021 – Supplément au no 3936 – 11,90 € – ISBN 978-2-490646-04-3

Les Cahiers du TÉMOIGNAGECHRÉTIEN

CLIMAT Le point sur les migrants climatiques

Automne 2021

PAKISTAN Plongée glaçante dans la vie des chrétiens pakistanais

80 ans ! Les Cahiers du

TÉMOIGNAGECHRÉTIEN Automne 2021


TC

Les défis de la fraternité

TÉMOIGNAGECHRÉTIEN CAHIER D'HIVER LE 23 DÉCEMBRE 2021

« Vieillir, c’est encore le seul moyen qu’on ait trouvé de vivre longtemps. » Sainte-Beuve (1804-1869)

Image de couverture : Pierre Chaillet en 1931.


Le chemin, la vérité et la vie

80 ans !

C’est évidemment un grand moment pour un journal. Ça l’est d’autant plus quand les circonstances de la naissance furent si particulières. En novembre 1941, une faible voix se levait pour, au milieu du déferlement de la désinformation, du mensonge, et de la lâcheté, faire entendre une parole de vérité, de justice et de courage. Les chrétiens n’ont pas eu l’exclusivité de ce sursaut salutaire, mais il est naturel qu’il l’ait eu parce qu’ils se souvenaient que leur raison d’être était de porter une parole de vérité. C’est au bout du compte leur seule véritable mission ; porter la Bonne Nouvelle, cette « parole » qui vient de Dieu lui-même et qui assure les humains du sens de leur existence. Il y a trois ans maintenant, TC prenait la tête d’un mouvement d’opinion qui a conduit à la formation de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église, dite commission Sauvé, du nom de son président. Le rapport est rendu et l’ampleur de la catastrophe nous laisse abasourdis. Cet automne-là, nous avions titré « La chute de la maison catholique ». Nous n’imaginions pas que nous y serions si vite : nous y sommes. Pourtant, il serait dommageable de se réjouir de cette « chute ». En octobre 2018, nous écrivions : « L’Église catholique n’est pas le tout du christianisme mais elle en est une très grande part, c’est pourquoi ceux et celles qui demeurent convaincus que l’Évangile mérite d’être annoncé sont concernés par cette grande crise, quelle que soit la distance qu’ils ou elles ont prise avec l’institution catholique. » Aujourd’hui, l’Église catholique et les chrétiens sont face à une vérité effrayante mais ils ne sont pas démunis. Ils ont l’Évangile, et c’est là que s’ancre leur fidélité et non dans une institution en faillite. C’est dans cette fidélité que TC est né. C’est dans cette fidélité que nous poursuivons la route, celle que Jésus trace lorsqu’il invite à la suivre, lui qui est « le chemin, la vérité et la vie ».

Christine Pedotti

LES CAHIERS DU TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN - AUTOMNE 2021 - 3


somm Édito Aujourd’hui p. 6 Un trimestre européen p. 8 80 ans – TC ou le choix de la résistance – Une histoire mouvementée – Algérie : de l’humanisme au soutien à la cause – TC & moi – Quand les jésuites sauvaient notre âme – Le legs et l’avenir

Maintenant p. 48 Cyberhaine : de Mila à l’antisémitisme Entretien avec Marc Knobel

VOIR p. II Le Mensonge et la Vérité p. X Sous la seule protection de Dieu p. xVii Partage en bleu De l’identité à l’universel p. xxIv Portrait(s)

4 - LES CAHIERS DU TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN - AUTOMNE 2021


aire

automne  2021

Saisons p. 104 Dissidences p. 107 Climat et migration, une équation complexe

p. 1 10 Le feuilleton de Notre-Dame

Regards

p. 1 16 Saint-Julien-Chapteuil, un village au pied des sucs

p. 83 Allemagne

p. 1 2 1 Livres

Des cathos qui se rebiffent

p. 90 SPA p. 96 Fraternités

Grand entretien p. 98 Jean Viard La révolution du virus

LES CAHIERS DU TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN - AUTOMNE 2021 - 5


REGARDS AUJOURD’HUI

Un trimestre européen

L’Europe avance, la plupart du temps avec l’inertie d’un p ­ aquebot, parfois plus vite, sous l’effet d’événements imprévus ou d’une ­volonté politique affirmée. Florilège.

Ursula dixit En Europe, une femme sur cinq est victime de violences physiques ou sexuelles. En raison de la crise sanitaire, et notamment du confinement, les États membres de l’Organisation mondiale de la santé/Europe ont enregistré une hausse de 60 % des appels d’urgence ! « D’ici à la fin de l’année, nous nous doterons d’une loi de lutte contre les violences faites aux femmes », a promis la présidente de la Commission européenne,

Ursula von der Leyen, lors de son grand oral annuel sur l’état de l’Union européenne, le 15 septembre dernier, ajoutant : « Il s’agit de la dignité de chacune, de la justice pour chacune. » En Europe, les pays du Sud, comme l’Italie ou l’Espagne, font plutôt bonne figure, alors que les pays du Nord – en particulier Suède, Pays Bas, Finlande, Lettonie et Danemark – ont les plus mauvais scores. Henri Lastenouse, Sauvons l’Europe.

Apprendre de ses erreurs L’Union européenne « ne répétera pas l’erreur » commise après la dernière crise financière, dite des « subprimes », a déclaré la présidente de la Commission européenne. Petit retour en arrière : en 2008, l’Allemagne avait imposé un retour trop rapide à la rigueur budgétaire pour les pays de la zone euro. Cette précipitation avait provoqué une rechute du continent dans la récession, sans parler de l’interminable feuilleton grec. « Les leçons de la crise financière pourraient servir d’avertissement. À l’époque, nous avons déclaré victoire trop tôt et nous en avons payé le prix », a insisté Ursula von der Leyen. Ces propos interviennent alors que les ministres des Finances viennent d’ouvrir le débat sur l’avenir du pacte de stabilité qui limite les déficits publics à 3 % et la dette à 60 % du produit intérieur brut (PIB). Mises entre parenthèses avec le Covid, ces règles semblent plus incohérentes que jamais. Elles sont notamment difficilement applicables à certains des pays les plus touchés par l’épidémie. Ceux-ci ont vu leur dette s’envoler très au-delà du plafond des 60 % du PIB. D’ailleurs, le ratio de dette moyen de la zone euro a atteint 100 % du PIB l’an dernier… H. L. 6 - LES CAHIERS DU TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN - AUTOMNE 2021


Essayer ailleurs Lors de son intervention annuelle devant le Parlement européen, la présidente de la Commission européenne a enfin réaffirmé que « l’Europe a besoin de toute sa jeunesse », proposant de faire de 2022 « l’année de la jeunesse européenne ». Dans cet esprit, elle a annoncé un « nouvel Erasmus pour les jeunes décrocheurs », autour d’un programme baptisé « Alma ». Ce dispositif doit permettre de donner « une expérience professionnelle temporaire dans un autre pays de l’UE […] aux jeunes qui passent à travers les mailles du filet », sans emploi ou études par exemple. H. L.

Faire voile vers le Pacifique Ironie du calendrier, l’affaire des sous-­ marins australiens interpelle l’Europe le jour même où la Commission européenne présentait officiellement ses propositions en matière de stratégie « indopacifique » pour l’UE. En creux, cette communication constitue une réponse au défi que représente la puissance chinoise, officiellement reconnue depuis 2019 comme « rival systémique ». Il est question, dans ce texte, de sécurité des voies maritimes et de lutte contre les pirates, sur mer ou dans le cyberespace. Le texte met aussi en avant des partenariats numériques avec plusieurs pays parmi les plus avancés – Japon, Sin-

gapour, Corée – de manière à imposer des standards communs au niveau mondial. Entre-temps, l’onde de choc provoquée par l’alliance indopacifique nouée par les ÉtatsUnis avec l’Australie et le Royaume-Uni n’en finit pas de secouer l’Europe. La présidente de la Commission européenne a jugé « inacceptable » la façon dont Paris a été traité et le président du Conseil européen, Charles Michel, a, lui, dénoncé un « manque de loyauté » de la part des États-Unis. Reste maintenant à « faire voile ensemble à vingtsept » pour répondre à cette alliance baptisée « Aukus », nouveau lieu de la résistance anglo-saxonne au défi chinois ! H. L.

Les Néerlandais, grands d’Europe ! Les Néerlandais sont les plus grands du monde en taille, même si la génération née en 2001 sera un peu plus petite que la précédente, selon une étude menée par ­le Bureau central de la statistique des PaysBas. Cette diminution pourrait s’expliquer par la « limite biologique », mais probablement aussi par « de mauvaises habitudes alimentaires et un apport énergétique excessif durant la période de croissance ». Un homme néerlandais de 19 ans mesure aujourd’hui en moyenne 182,9 cm, contre

183,9 cm pour un homme né en 1980. Une femme néerlandaise de 19 ans mesure en moyenne 169,3 cm contre 170,7 cm pour celles nées en 1980. Les Néerlandais n’ont cependant pas toujours été aussi grands. Au début du xixe siècle, ils étaient même petits par rapport aux autres Européens, ne commençant à « grandir » dans le classement qu’à partir des années 1840. Et, ce n’est qu’avec la génération née à la fin des années 1950 qu’ils ont finalement gravi la plus haute marche du podium ! H. L. LES CAHIERS DU TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN - AUTOMNE 2021 - 7


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ans

Témoignage

chrétien L I B R E S ,

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1941 2021 TC est né d’une insurrection de la conscience. La conviction qui animait ses fondateurs était que, face à la situation terrible qu’ils affrontaient, ils ne pouvaient se taire, ils ne pouvaient renoncer à s’indigner, à protester, à résister. Ils le firent au nom de leur foi, de leurs convictions, et contre les autorités politiques et religieuses qui s’acoquinaient dans l’esprit de défaite et de collaboration. Oui, ils résistèrent et s’opposèrent parce qu’ils écoutaient la voix de leur conscience, laquelle s’insurgeait contre la doctrine inhumaine qu’était le nazisme. Ils le firent durant la guerre et de nouveau en s’engageant en faveur de la décolonisation des peuples et contre la torture en Algérie. Le souvenir de ces heures dangereuses et glorieuses ne doit cependant pas nous aveugler. Ceux qui, en ces temps cruels, choisirent la voix de leur conscience plutôt que l’obéissance aux autorités furent des héros, et certains le payèrent de leur vie… De leur vie, pas de la vie d’autres qu’eux. Quand, aujourd’hui, face au désastre de la révélation de l’ampleur des violences sexuelles commises sur des enfants par des hommes d’Église, le président de la Conférence des évêques invoque une « loi de Dieu » supérieure à la loi de la République à propos du secret de la confession, il oublie qu’on peut invoquer de suivre sa conscience au risque de sa propre vie mais pas de celle d’autrui. Quelle règle, quel principe même invoqué au nom de Dieu peut valoir la vie d’un enfant ? Ce que nous apprend l’histoire de TC, c’est que choisir d’écouter sa con­ science est toujours un acte moral complexe et coûteux. Si, in fine, chacun et chacune prend seul sa décision, le débat fraternel est un rempart contre les dérives et les illusions. C’est pourquoi nous allons continuer à alimenter débats et réflexions afin que vous puissiez décider en conscience.

Christine Pedotti LES CAHIERS DU TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN - AUTOMNE 2021 - 9


AUJOURD’HUI // 80 ANS

Témoignage chrétien

ou le choix de la résistance « France, prends garde de perdre ton âme » : en novembre 1941, la première brochure des Cahiers du Témoignage chrétien est diffusée clandestinement à près de 5 000 exemplaires à Lyon et dans la zone sud. C’est grâce à la mobilisation de nombreux religieux et laïcs que cette aventure se poursuivra tout au long de la guerre et au-delà. Par Cécile Vast

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D

ans un pays traumatisé par la défaite de 1940, en partie occupé par l’Allemagne nazie et gouverné par le régime antidémocratique du maréchal Pétain, Témoignage chrétien s’attache à réaffirmer la valeur fondamentale de la personne humaine. Le père jésuite Pierre Chaillet, son fondateur, s’entoure de militants catholiques pour lancer un périodique clandestin ambitieux, auquel il souhaite associer par œcuménisme des protestants. Il s’agit, par l’action et par le verbe, et en dehors de toute caution de l’Église, d’éveiller les consciences et de dénoncer les dangers de l’idéologie nazie, tout particulièrement le racisme, l’antisémitisme, le néopaganisme et le culte de la violence. Pour les résistants catholiques de TC, un tel engagement constitue une profonde rupture culturelle avec le dogme de l’obéissance et le respect de la hiérarchie. La rupture est grande également avec la ferveur maréchaliste de l’épiscopat et son soutien sans faille au régime de Vichy et à la Révolution nationale. La rédaction est assurée par un groupe de théologiens jésuites : les pères Pierre Chaillet, Henri de Lubac, Gaston Fessard, Yves de Montcheuil, auxquels s’adjoint le pasteur protestant Roland de Pury. Des intellectuels laïcs complètent l’équipe : Robert d’Harcourt, les historiens Joseph Hours et HenriIrénée Marrou, Stanislas Fumet, André Mandouze, les philosophes Joseph Vialatoux et Jean Lacroix. Pour faire vivre la publication, l’organisation des Cahiers du Témoignage chrétien est confiée à Louis Cruvillier, qui recrute. L’impression est assurée par Eugène Pons dans ses ateliers de Saint-Étienne et de Lyon – arrêté, il sera déporté sans retour au camp de concentration de Neuengamme en mai 1944. La diffusion essaime dans toute la France, à Lyon autour de Fernand Belot, Adrien Némoz et Renée Mély-Bédarida, Marseille, Toulouse avec Marcel Vanhove, etc. Parmi les militants de base de TC, les étudiants sont nombreux, la féminisation importante et l’on retrouve des lecteurs de L’Aube, de Temps présent, parfois proches de la Ligue de la Jeune République et du Parti démocrate populaire. Le premier numéro est rédigé par le père jésuite Gaston Fessard. Il est composé de documents commentés sur le nazisme et la situation des chrétiens dans le Reich. Chaque numéro des Cahiers, pensé comme une réponse argumentée à une situation de la guerre, donne des clés de lecture du temps présent. En tout quatorze brochures de vingt à soixante pages sont éditées clandestinement entre novembre 1941 et la Libération. Trois Cahiers dénoncent les persécutions antisémites et les rafles de l’année 1942 : « Les racistes peints par eux-mêmes », « Antisémites », « Droits de l’homme et du chrétien ». Le volume « Déportation » de juin 1943 appelle clairement les plus jeunes à se soustraire au service du travail obligatoire en Allemagne (STO). En plein accord avec les idéaux de la Résistance, les Cahiers offrent à plusieurs reprises une réflexion pour les lendemains de la guerre : « Où allons-nous ? » rédigé en 1943 par


AUJOURD’HUI // 80 ANS

Georges Bernanos depuis son refuge du Brésil, puis, en 1944, « Exigences de la Libération », avec une analyse de l’usage de la violence et de l’idée de guerre juste, en soutien à la lutte armée, « pour le maquis, contre le terrorisme », et « Espoir de la France », ouvert sur la reconstruction à venir. En mai 1943 est créée sous l’impulsion d’André Mandouze une feuille recto verso destinée à un public plus large. Le Courrier français du Témoignage chrétien « Lien du front de résistance spirituelle » contre l’hitlérisme est moins doctrinal et davantage tourné vers l’action. Jusqu’en août 1944, douze numéros sont imprimés avec un tirage de 50 000 à 150 000 exemplaires, le treizième sort au moment de la libération de Paris. C’est un tournant dans l’histoire de TC, qui entre dans l’ère d’un journalisme en prise directe avec l’actua­lité. Une dizaine de numéros du Courrier sont imprimés à Pont-deRoide (Doubs) par Antoine et Yvonne Vernier*. En 1972, cette dernière se souvient : « C’est moi qui ai imprimé les numéros. Je les recevais, je tapais : “Le sang des martyrs n’a jamais coulé en vain.” » Il s’agit de la légende de l’illustration dessinée par Jean Stetten-Bernard représentant un condamné à mort en une du numéro 8 (voir p. 23). Autour de ces publications se déploie un mouvement de résistance singulier en ce sens qu’il ne développe ni branche armée ni ambition politique. Témoignage chrétien n’est pas représenté au Conseil national de la Résistance, mais son action caritative est reconnue par l’intermédiaire du Comité des œuvres sociales de la Résistance. Par ailleurs, une constellation d’actions gravitent autour du mouvement chrétien, tout particulièrement le sauvetage et l’aide humanitaire. Nombre de ses militants se retrouvent ainsi au sein de L’Amitié chrétienne, à l’image de Germaine Ribière, qui organise une filière d’évasion d’enfants juifs vers la Suisse, avec la complicité active du père Chaillet. D’autres s’engagent dans Combat, Franc-Tireur, Défense de la France ou participent à la lutte armée dans les maquis. Sous l’Occupation, Témoignage chrétien est l’expression résistante du renouveau spirituel des années 1920 et 1930 porté par l’Action catholique. Le mouvement chrétien clandestin traduit en actes une spiritualité incarnée, celle de l’engagement temporel dans le monde. La dénonciation des lois et des rafles antisémites en 1942 vient du rejet de l’antijudaïsme chrétien, sous l’influence du philosophe Jacques Maritain. Humanisme intégral forme, avec les œuvres de Péguy, Mounier, Mauriac ou Bernanos, les racines intellectuelles de TC. Sur le plan théologique, la doctrine des Cahiers se nourrit de la pensée antinazie du calviniste Karl Barth et de celle du jésuite Henri de Lubac. La résistance est conçue comme refus de la soumission, défense de l’être et respect de la personne humaine, dans l’héritage assumé des principes de la Révolution française. En septembre 1944, les Cahiers et le Courrier s’effacent pour devenir l’hebdomadaire Témoignage chrétien. Le journal


est dirigé par Pierre Chaillet et la rédaction assurée par André Mandouze. Ce dernier donne peu à peu au journal une orientation politique progressiste de gauche qui heurte une partie des résistants engagés aux côtés du mouvement sous l’Occupation. Ainsi de Louis Cêtre, libraire et responsable de la diffusion clandestine du périodique à Besançon, qui reproche à TC de s’être éloigné de son apolitisme d’origine. D’autres militants regrettent l’oubli de leur action clandestine. Imprimeur à Lure (Haute-Saône), André Écrement a composé les plombs de deux numéros des Cahiers, « travail exécuté dans la joie ». Lorsqu’il les confie en 1987 au musée de la Résistance et de la Déportation de Besançon, il peine à contenir son émotion devant cette reconnaissance tardive. Il fut de ceux qui, avec Témoignage chrétien, ont fait le choix de la résistance.

Ils ont fait Témoignage chrétien Pierre Chaillet (1900-1972) Issu d’une famille paysanne très religieuse du Doubs, Pierre Chaillet étudie à partir de 1918 au grand séminaire de Besançon, puis à la Compagnie de Jésus à Lyon. Ordonné prêtre en 1931, il effectue de nombreux séjours en Allemagne, Autriche et Europe centrale, où il approfondit sa connaissance de la théologie. Il observe la persécution antichrétienne et dénonce le caractère mortifère du nazisme dans un ouvrage publié en 1938, L’Autriche souffrante. Autant par patriotisme que par conviction antinazie, Pierre Chaillet n’accepte pas la défaite. En mai 1941, il rencontre Henri Frenay, qui lui propose de rédiger une chronique religieuse pour Les Petites Ailes et Vérités. Sous le pseudonyme de Testis, le père jésuite appelle à la résistance spirituelle tout en poursuivant des activités humanitaires au sein de L’Amitié chrétienne. En novembre 1941, il décide de fonder un journal clandestin spécifiquement chrétien pour alerter l’opinion sur les dangers du nazisme : les Cahiers du Témoignage chrétien. Surveillé par les Allemands, il est arrêté dans les locaux de L’Amitié chrétienne le 27 janvier 1943, puis libéré. Ses multiples activités le font connaître au sein des organisations clandestines qui lui confient la direction du Comité des œuvres sociales de la Résistance, chargé d’aider les familles de résistants arrêtés. Après la guerre, Pierre Chaillet continue de diriger Témoignage chrétien jusqu’en 1957. Il meurt en 1972. En 1981, Yad Vashem lui décerne à titre posthume la médaille des Justes pour sa participation au sauvetage de Juifs.

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AUJOURD’HUI // 80 ANS

Fernand Belot (1917-1944) Fernand Belot est l’un des logisticiens de Témoignage chrétien. Né à Besançon de parents instituteurs, il adhère à la Jeunesse étudiante chrétienne et entame des études de médecine à Nancy. Lecteur assidu de L’Aube, Sept et Temps présent, il n’ignore rien de la nature des régimes fascistes. Infirmier militaire puis médecin auxiliaire pendant la « drôle de guerre », il est démobilisé en septembre 1940. Il poursuit ses études à Lyon, où il rencontre le professeur de droit François de Menthon, qui lui propose de diffuser Liberté, Vérités puis, à l’automne 1941, Combat. Son efficacité est appréciée par les responsables de Témoignage chrétien. Louis Cruvillier le charge d’organiser la distribution du journal dans la zone sud. En 1943, le père Chaillet lui confie la mission de trouver un nouvel imprimeur pour remplacer Eugène Pons, ­menacé. L’abbé Jean Flory lui indique un couple d’imprimeurs de Pont-de-Roide (Doubs), Antoine et Yvonne Vernier. Fernand Belot multiplie alors les activités clandestines, sauvetages, évasions, liaisons, mise en place de planques de réfractaires au STO, ce qui accroît les risques. Il obtient son doctorat de médecine en juin 1943 puis épouse une jeune permanente de TC, Raymonde Vallat. Le couple mène à Lyon une existence traquée. Raymonde, Fernand et ses parents sont arrêtés le 27 mars 1944 par la Sipo-SD (Police de sûreté allemande) et emprisonnés à Montluc. Raymonde est déportée en juillet 1944 à Ravensbrück. Elle survit au camp et témoigne en 1987 au procès de Klaus Barbie. Torturé, Fernand est abattu le 9 juin 1944 à Communay (Rhône). Il est inhumé au cimetière de Saint-Ferjeux à Besançon.

Yvonne Vernier et Antoine Vernier (1898-1982) (1899-1984) C’est le 11 novembre 1943 que Fernand Belot, accompagné de l’abbé Selb, rencontre Antoine Vernier, ancien combattant de 14-18 qui refuse l’occupation allemande. Ce dernier vit à Pont-de-Roide (Doubs) avec sa femme Yvonne, originaire de Roubaix (Nord), qui parle l’anglais et héberge à l’occasion des agents britanniques. Dès la fin de 1940, Antoine imprime des papillons inspirés d’extraits du bulletin paroissial local et invitant la population à rester digne face aux Allemands. Sollicité pour

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Mariage de Fernand Belot et Raymonde Vallat.


AUJOURD’HUI // 80 ANS

Yvonne et Antoine Vernier.


le Courrier français du Témoignage chrétien, il répond à Fernand Belot : « Tout ce que vous voudrez, je le ferai. » De novembre 1943 à août 1944, dix numéros du Courrier, tirés chacun à 1 000 exemplaires, sortent de son imprimerie puis sont acheminés grâce à un ami transporteur à la cure de Montbéliard, d’où ils sont expédiés par la poste avec un faux bandeau sur lequel est imprimé par ses soins « État français, Ministère de l’Intérieur ». Agente de liaison du maquis d’Écurcey, Yvonne est arrêtée et emprisonnée quelque temps à Belfort à l’été 1944. Antoine, lieutenant de réserve, devient au même moment commandant FFI du groupe Doubs-Dessoubre.

Renée Bédarida (1919-2015) Dans leur témoignage de 1972, les époux Vernier évoquent la figure d’une étudiante lyonnaise venue de Lyon à bicyclette récupérer en août 1944 à Pont-de-Roide des numéros imprimés du Courrier français du Témoignage chrétien. Il s’agit de Renée Mély, qui épousera plus tard l’historien François Bédarida. Avec Gilbert Dru, elle avait formé à Lyon fin 1940 une organisation d’aide à des étudiants alsaciens réfugiés. Elle participe par la suite aux activités clandestines de TC ainsi qu’à celles de L’Amitié chrétienne. Après la guerre, elle devient l’historienne de TC. Elle consacre en 1977 un premier ouvrage au mouvement et au journal éponyme, Les Armes de l’Esprit, puis écrit une biographie de Pierre Chaillet en 1988. Jusqu’à sa mort en 2015, elle est membre du jury du prix ­Philippe Viannay-Défense de la France.

Sources : Renée Bédarida, Les Armes de l’Esprit – Témoignage chrétien : 1941-1944, Paris, Les Éditions ouvrières, 1977, 378 p. Daniel Mengotti et Paul Robaux, « Fernand Belot (1917-1944), un résistant chrétien à l’Occupation nazie » in Annales de l’Est, Presses universitaires de Nancy, 1993/3, pp. 181-216. Hommage au docteur Fernand Belot fusillé le 9 juin 1944, Conseil général du Doubs, 2007, 64 p. Étienne Fouilloux, « Les cinq étapes de Témoignage chrétien » in Vingtième Siècle. Revue d’histoire, n° 125, 2015, p. 3-15. François Marcot, Les Voix de la Résistance. Tracts et journaux clandestins francs-comtois, Besançon, Cêtre, 1989. Témoignages d’Antoine et Yvonne Vernier (1972), de Louis Cêtre (1980) et d’André Écrement (1987) recueillis par François Marcot, archives personnelles de François Marcot.

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AUJOURD’HUI // 80 ANS

TCmouunev emhistoire e n tée L’histoire de Témoignage chrétien, né pendant la Résistance, a été traversée de clivages et de mutations quant à son rapport au communisme, à la décolonisation ou encore à l’autorité ecclésiale. Étienne Fouilloux, spécialiste de l’histoire du catholicisme français, nous les détaille.

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Les Cahiers du Témoignage chrétien sont fondés en 1941, le Courrier français du Témoignage chrétien en 1943, autour notamment des jésuites de Lyon et de Pierre Chaillet. En quoi ce terreau est-il favorable à l’émergence d’une « résistance spirituelle » ? Il y a à Lyon, entre 1940 et 1945, tout un réseau – constitué de Lyonnais mais aussi de gens réfugiés de Paris, comme Stanislas Fumet ou Emmanuel ­Mounier – porteur de l’initiative prise par Pierre Chaillet, qui est par ailleurs lié à la Résistance et notamment à Combat. Il y a à Fourvière quelques professeurs de scolastique – pas tous – qui s’engagent. Pierre Chaillet enseigne l’ecclésiologie. Il est très fortement appuyé par Henri de Lubac et Victor Fontoynont, qui est moins connu. Ce sont les trois hommes clés, tous trois jésuites. Gaston Fessard, qui est parisien mais a été un temps réfugié à Lyon, est le rédacteur du premier numéro des Cahiers, qui a pour soustitre France, prends garde de perdre ton âme. C’est ce milieu-là, constitué de jésuites et d’intellectuels qui ont déjà lutté dans les années 1930 contre l’essor du nazisme, qui aide à lancer cette aventure, et pas du tout le milieu catholique lyonnais. Celui-ci est dominé par un journal, Le Nouvelliste de Lyon, conservateur, favorable à Pétain, plus ou moins à la collaboration avec l’Allemagne, qui continue de paraître après 1941 et est interdit à la Libération. Fourvière est alors un milieu catholique conservateur très classique. Les personnes dont on parle sont tout à fait minoritaires à l’intérieur de l’Église. Comment les pionniers de Témoignage chrétien articulent-ils la résistance au nazisme et la foi chrétienne ? Le point de vue des Cahiers est spirituel. Gaston Fessard, dans son texte, qui fait la taille d’un petit livre, est surtout sensible au risque que court la foi chrétienne si des idées issues du nazisme devaient la contaminer. Il en a quelques exemples en Allemagne, où un certain nombre de théologiens catholiques se sont dit que, après tout, les nazis ayant été très efficaces contre les communistes, on pourrait conclure une sorte d’accord et mettre de côté leur négation des racines juives du christianisme. Pour nos jésuites, c’est un danger majeur, qui risque non seulement de contaminer mais de pervertir complètement le christianisme, en lui faisant oublier des racines juives fondamentales, et d’en faire une sorte de religion sans Christ hébreu venant de Palestine. Un Christ aryen, en quelque sorte. Le Courrier est beaucoup plus lapidaire, avec une feuille seulement au départ. Les articles, journalistiques et beaucoup plus engagés que ceux des Cahiers, sont des articles coup de poing contre le service du travail obligatoire ou contre la répression des résistants, avec la volonté de faire un journal populaire, que tout le monde peut comprendre. C’est plus proche de la presse clandestine résistante.


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Alors que le journal devait initialement être baptisé Témoignage catholique, il prend dès ses débuts le parti de l’œcuménisme. Quelle place occupent les protestants dans la rédaction ? Pendant la Résistance, les catholiques qui fondent le journal ont l’appui d’un certain nombre de protestants disciples du grand théologien suisse alémanique Karl Barth, qui, entre 1941 et 1945, sont complètement partie prenante dans l’affaire, avec des liens du côté de Genève et de ce qui allait devenir le Conseil œcuménique des Églises. Roland de Pury est pasteur à Lyon mais il est suisse et a des liens avec son pays d’origine. Autour de lui, il y a un certain nombre de jeunes, notamment des membres de la Fédération française des associations chrétiennes d’étudiants, qui, à Lyon ou Montpellier, soutiennent et diffusent le journal. Il y a un apport du protestantisme qui n’est pas négligeable. La filière suisse, qui permet d’obtenir des documents, est importante pour Témoignage chrétien. En 1945 naît le journal Réforme, qui est un peu dans la même ligne, mais qui regroupe uniquement des protestants et n’est pas très œcuménique. Ce sont des théologiens qui, sans pour autant former une réaction anticatholique – il y a tout de même quelques passes d’armes, notamment autour du culte de Marie – représentent une réaction identitaire estimant qu’il faut que le protestantisme français ait une voix à la Libération. Comment Témoignage chrétien vit-il les lendemains de la guerre ? Au moment de la Libération, il y a un désaccord à l’intérieur de l’équipe pour savoir s’il faut continuer ou pas. Quelques-uns des conseillers jésuites, notamment de Lubac, disent : « On a accompli la tâche, le nazisme est vaincu, il faut arrêter. » D’autres, comme André Mandouze, soulignent qu’on a là un instrument qui a fait connaître les chrétiens dans la Résistance, qu’il faut continuer en maintenant les liens établis avec d’autres résistants non catholiques, et donc jouer un rôle beaucoup plus politique, ces liens impliquant de ne pas refuser la main tendue des communistes. Mandouze adhère à l’Union des chrétiens progressistes, qui est composée de compagnons de route du Parti communiste. C’est là-dessus que va se faire le clivage. L’auteur de « France, prends garde de perdre ton âme », Gaston Fessard, publie en 1946, aux Éditions du Témoignage chrétien, un ouvrage qu’il intitule France, prends garde de perdre ta liberté, dans lequel il explique que le danger principal sur le plan intellectuel n’est plus la contamination du catholicisme par le nazisme, qui a été vaincu, mais la contamination par le communisme. Il y a tout un débat autour de ce livre, on voit bien les clivages s’installer. Le journal continue, mais la ligne Mandouze, qui veut maintenir des liens avec les communistes, est battue en 1945. Il trouve un poste à Alger, s’éloigne de la France et


passe la main à une équipe beaucoup plus modérée, qui pense que le communisme de type stalinien est un danger et qu’il faut s’en méfier énormément, y compris du fait de son poids en France – jusqu’en 1958, un quart des électeurs voteront communiste. Cette nouvelle équipe dirige le journal jusqu’au début des années 1950, selon une double optique. D’une part, une grande ouverture à toute l’effervescence apostolique de l’Église de France, avec l’aide de théologiens connus, comme

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Yves Congar, qui publie de nombreux articles dans Témoignage chrétien dans les années 1940 : le journal s’intéresse aux prêtres-ouvriers, au mouvement liturgique, dans une optique qui est très pré-Vatican II, il n’y a pas du tout de conservatisme religieux, on critique un peu les coups de semonce ou de frein qui viennent de Rome. Et, d’autre part, une ligne politique qu’on pourrait qualifier de « MRP [Ndlr : Mouvement républicain populaire] de gauche ». Il n’y a pas de rupture complète avec ce parti, qui est l’ersatz d’une démocratie chrétienne française, bien qu’on le critique sur sa politique coloniale. Par exemple, Témoignage chrétien publie une enquête sur la torture en Indochine au début des années 1950. Il y a également une critique de la répression de l’insurrection de 1947 à Madagascar, de la politique de force au Maroc en 1952. Mais, sur le plan de la politique intérieure, on soutient les efforts de réforme sociale du gaullisme et du MRP au pouvoir. Et on reste très critique à l’égard de tout compagnonnage avec les communistes. La radicalisation politique et religieuse du journal date plutôt des années de la guerre d’Algérie, au moment où Georges Montaron, résistant issu de la Jeunesse ouvrière chrétienne, progresse dans le journal. Comment s’opère cette radicalisation ? Le journal prend fait et cause pour les appelés d’Algérie et pour le malaise qu’ils ressentent sur la menée de la guerre. Ce qui a été décisif, c’est l’expérience de Jean Muller, de la Route des Scouts de France, tué en Algérie en 1956. Témoignage chrétien publie des lettres à sa famille où il décrit ce qui se passe, c’est-à-dire les ratissages, les « corvées de bois ». Ça devient en quelque sorte l’image de marque du journal. Il est immédiatement catalogué par ceux qui mènent la guerre du côté gouvernemental comme un des « quatre grands de la contre-propagande française », avec L’Express, France Observateur et Le Monde. Il y a des phases d’interdiction du titre en Algérie. Sa radicalisation clive le milieu catholique. C’était jusqu’alors un journal qu’on pouvait acheter en étant catholique modéré, ouvert sur le monde. À partir du moment où il prend des positions très fermes sur l’Algérie, la partie la plus modérée de son lectorat cesse de le lire, et il devient sujet d’affrontement. Il était vendu à la porte des églises, il y a des bagarres entre vendeurs et gens hostiles. En 1961, Témoignage chrétien accepte de publier une partie du reportage photographique d’Élie Kagan, qui n’est pas chrétien, sur la répression des Algériens du 17 octobre 1961. Le journal critique le général de Gaulle, son « pouvoir personnel », son côté autoritaire, trouvant qu’il ne fait pas assez vite la paix en Algérie. Ces positions antigaullistes contribuent à le marquer à gauche. Évidemment, la fin des années 1950, ce sont aussi les années de la fin du pontificat de Pie XII, qui sont très difficiles. Une série de coups de crosse s’abattent sur le catholicisme français et alertent Rome de manière négative. On

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doit pouvoir le préciser maintenant que les archives sont ouvertes : il y a des menaces de suppression de Témoignage chrétien par le Vatican à la fin des années 1950. C’est ce qui entraîne le retrait des jésuites. La Compagnie demande que le père Chaillet se retire, même s’il ne jouait plus de rôle dans le journal depuis 1945. Le journal décide alors, à partir du Concile, de s’adresser aux dominicains. On fait appel à François Biot, de la province de Lyon, et à d’autres. Il ne se considère pas comme une sorte de censeur ayant un droit de regard sur le journal, mais comme quelqu’un qui remet régulièrement des articles. Il est dans l’équipe de rédaction, il n’est pas au-dessus. C’est lui qui va suivre les sessions du Concile pour Témoignage chrétien. Comment la rédaction de Témoignage chrétien s’est-elle engagée lors du concile Vatican II ? En 1963, Georges Montaron le qualifiera de « Noël de l’Église ». Il y a, au début, un enthousiasme, lié certes en partie à une certaine ignorance de la manière dont le Concile s’est préparé – cette préparation a été plutôt conservatrice –, mais surtout au fait qu’en 1962, au moment de la première session, une majorité d’évêques refusent plusieurs des textes qui ont été préparés ; ils veulent des textes beaucoup plus ouverts. Pour Témoignage chrétien, reconnaître enfin la liturgie en français ou en langue vulgaire est quelque chose d’important. Tout comme s’intéresser aux protestants ou aux juifs d’une manière autre que controversée ou hostile. Le journal a l’impression que le Concile ratifie un certain nombre de ses options. Mais ce bel enthousiasme ne dure pas. François Biot ne cache rien des magouilles, des retours en arrière, des manœuvres qui se jouent au Vatican. Sa chronique, très ouverte, est assez critiquée à Rome. À partir du moment où on s’aperçoit qu’il faudra faire des compromis pour pouvoir faire passer des textes qui, sans cela, risqueraient de n’avoir ni l’aval du pape ni une majorité suffisante, le journal devient un peu plus réservé. Assez vite, Montaron dit qu’il faudra un Vatican III, dans la mesure où un certain nombre de grands problèmes qui se posent au monde sont évités, comme la pauvreté et le sous-développement, qui n’ont guère été traités par le Concile, le problème de la guerre atomique, qui a été traité mais de manière pas assez ferme selon le journal, les rapports dans le couple, le mariage, etc. Le journal devient critique à l’égard de la gestion du Concile par Paul VI, et hostile à un certain nombre de ses positions. Son gauchissement politique, lié à la guerre d’Algérie et à l’hostilité au « pouvoir personnel » du général de Gaulle, s’accompagne ensuite d’un gauchissement religieux, qui est très clair au moment de l’encyclique Humanæ vitæ sur le contrôle des naissances, sur laquelle le journal prend des positions hostiles. Il est de plus en plus situé parmi les chrétiens de gauche.


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Comment évolue Témoignage chrétien à partir Mai 68 ? Il ne prend pas de gants pour critiquer le manque de démocratisation dans l’Église. En 1968, il publie le manifeste « Si le Christ voyait ça », qui critique le Vatican. Il est favorable à Mai 68, et s’engage même avant, puisqu’il y a ce carême à la Mutualité, avec plusieurs associations, qui donne la parole à Jean Cardonnel, un dominicain de Toulouse qui dit que le vrai carême serait une grève générale. Ensuite, la radicalisation produit des effets, comme le ralliement à l’Union de la gauche. En 1965, Montaron refuse de signer pour Mitterrand, mais, à partir de 1968 Témoignage chrétien est parmi tous les signataires en faveur de l’Union de la gauche. Il ne choisit pas entre communistes et socialistes, mais il est plutôt dans le courant qui veut rénover le Parti socialiste. Il y a des gens plutôt proches de Mitterrand, d’autres plutôt de Rocard. TC donne la parole un peu à tout le monde, avec un refus de laisser les communistes de côté. La radicalisation, qui choque de plus en plus de gens, participe à la diminution du lectorat. C’est la raison qui explique, selon vous, le déclin des ventes qui a suivi ? Témoignage chrétien subit, comme d’autres journaux engagés dans l’Union de la gauche et dans les réformes conciliaires, une espèce de dépression psychologique. Il y a le retour à l’orthodoxie économique et financière en 1983, le retour à une orthodoxie religieuse sous Jean Paul II. Tout ça n’est pas mobilisateur, c’est même plutôt démobilisateur. Le lectorat vieillit et Témoignage chrétien ne réussit pas à mobiliser de nouveaux lecteurs. Il y a une fuite des gens plus modérés et ce phénomène démographique de déclin des chrétiens de gauche qui conduisent à un rétrécissement du lectorat. Aujourd’hui, on parle beaucoup moins de « chrétiens de gauche » que de « chrétiens d’ouverture » – selon l’expression de Philippe Portier, qui oppose « catholiques d’ouverture » et « catholiques d’identité ». Que dit ce glissement sémantique de la recomposition des clivages au sein de l’Église ? Au sens strict, des chrétiens de gauche, c’est-à-dire des chrétiens se réclamant de la gauche politique, il n’y en a plus. Si vous étendez catholiques de gauche à catholiques favorables à une ouverture au monde de l’Église catholique, ça existe encore, mais je pense en effet que l’expression « chrétiens d’ouverture » est meilleure. Ce sont des gens que vous trouvez au Secours catholique, dans les ONG, qui militent dans des organismes d’ouverture au monde et sont pour une évolution positive de l’Église catholique. Ils existent, mais je ne pense pas qu’ils accepteraient d’être étiquetés chrétiens de gauche. Une bonne partie des anciens chrétiens de gauche a voté Emmanuel Macron à la dernière présidentielle. Leur marqueur n’est pas la gauche.


Page 8 et ci-contre : collection du musée de la Résistance et de la Déportation de Besançon.

Propos recueillis par Timothée de Rauglaudre.

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Algérie De l’humanisme au soutien à la cause D’abord engagé dans la condamnation de la torture, Témoignage chrétien, au tournant des années 1960, finira par se rallier à l’idée d’une Algérie détachée de la France. Par Frédéric Brillet

S

ur la photo noir et blanc prise par un photographe de L’Humanité, la modeste devanture du 49, rue du Faubourg-Poissonnière n’est plus que ruine. Et de l’enseigne Témoignage Chrétien suspendue au-dessus de l’entrée ne subsiste plus que l’épithète, comme une ultime résistance à la violence. En effet, durant la nuit du samedi 23 septembre 1961, à 1 h 30, un pain de plastic a ravagé les bureaux qui abritent la rédaction et la librairie du journal. L’explosion n’a pas fait de victimes mais brisé de nombreuses vitres dans les immeubles des alentours. TC paie une nouvelle fois le prix de la devise qui figure sous le titre du journal : « Vérité, justice, quoi qu’il en coûte ». Le vendredi 29 septembre, l’hebdomadaire publie sobrement en une un autre cliché des dégâts, avec un titre aujourd’hui déconcertant mais à l’époque

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teinté d’ironie : « Pourvu que les civils tiennent ! » Ce titre fait référence à un dessin du caricaturiste Jean-Louis Forain paru durant la Première Guerre mondiale, dans lequel deux poilus épuisés exprimaient le même vœu dans une tranchée. Transposé à la guerre d’Algérie, ce renversement de perspective montre que TC, interdit de diffusion dans les casernes et souvent poursuivi devant les tribunaux pour atteinte au moral de l’armée, préférait rire de ses déboires plutôt que de s’apitoyer sur son sort. Un esprit préfigurant celui de Charlie en quelque sorte… Habitué à recevoir des lettres de menaces de l’ Organisation de l’armée secrète (OAS), TC est d’autant plus enclin à relativiser l’attentat qu’en cette fin de guerre d’Algérie il s’en produit des centaines chaque année dans l’Hexagone. La destruction des locaux suscite d’ailleurs peu d’émoi chez ses confrères. Y compris parmi ceux qui composaient, avec TC, les « quatre grands de la contre-propagande française » stigmatisés par Jacques Soustelle, partisan de l’Algérie française, France Observateur, Le Monde et L’Express. Ainsi Le Monde se fend tout juste d’une brève, publiée avec trois autres, relatives à d’autres « petits » attentats perpétrés la même nuit à Paris, qui n’occasionnent également que des dégâts matériels…

Même pas peur Pas question donc de se laisser intimider pour si peu : « Cette explosion ne fera pas taire Témoignage chrétien […]. Et dans le faubourg Poissonnière comme ailleurs, l’OAS s’est fait de nouveaux adversaires », prédit TC dans un article non signé publié après l’attentat. L’auteur y déplore que la police manque « d’hommes et de moyens pour lutter efficacement contre ces terroristes » mais, quelques lignes plus loin, tacle les forces de l’ordre : « Il semble qu’à la tête on ne tienne pas tellement à lutter contre l’OAS. Celle-ci a trop de complices dans les rouages de l’État. » Dans son éditorial, intitulé « Libres et responsables », le directeur de la rédaction et de la publication, Georges Montaron, ne prend même pas, quant à lui, la peine de se désoler de la destruction des locaux. Certes, il ironise sur l’OAS « qui cherche à combler le vide de son programme en argumentant à coups de plastic » et évoque un attentat… Mais il s’agit de celui perpétré par les partisans de l’Algérie française contre le général Ailleret, commandant en chef en Algérie… Déjà victime d’une agression par des partisans de l’Algérie française l’année précédente, Georges Montaron a décidément le cuir bien épais. Pour finir, dans une posture très TC qui rechigne à toute allégeance inconditionnelle, il justifie le soutien mitigé du journal à la politique du général de Gaulle, alors même que ce dernier a entrepris de sortir la France du bourbier algérien : « Ce journal n’a pas a priori à être pour ou contre de Gaulle […]. Ce sont les faits que nous jugeons à la lumière du christianisme. »


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Cette ligne éditoriale a permis à TC d’être l’un des rares médias hexagonaux à faire preuve de clairvoyance sur le fait colonial quand tant d’autres s’accrochaient au mythe d’une Algérie française pour l’éternité. En 1946, l’orientaliste Louis ­Massignon, ­professeur au Collège de France, pointait dans les colonnes du journal au retour d’un voyage outre-Méditerranée la « défiance réciproque entre pieds-noirs et musulmans ». Le 12 novembre 1954, qui marque le début de l’insurrection armée, donne encore l’occasion à TC de dénoncer l’impéritie de la France, sous la plume de l’historien et homme politique Charles-André Julien. Ce dernier fustige la non-application du statut de 1947 – qui donnait plus de pouvoir aux Algériens –, la répression, les arrestations, les fraudes électorales. Le 10 juin 1955, Robert Barrat est l’un des premiers à qualifier comme telle cette guerre qui ne veut pas dire son nom et prédit dans TC que « tôt ou tard, il faudra prendre langue avec les représentants du peuple algérien ».

La dénonciation de la torture En février 1957, TC va encore plus loin en publiant le dossier Jean Muller, constitué d’extraits de lettres d’un jeune appelé mort l’année précédente dans une embuscade. Considérant que « l’Évangile [lui] a appris à aimer les déshérités », ce dernier raconte crûment et en détail dans sa correspondance la réalité de cette guerre sale : l’animosité des colons français envers les Arabes, le racisme qui s’installe chez les appelés, les violences gratuites, tortures et pillages qui lui sont relatées ou auxquelles il assiste, les moqueries et menaces que lui valent ses protestations contre ces exactions, tout y passe. En cette même année 1957, le journal franchit un nouveau cap en défendant le droit du peuple algérien à l’autodétermination. TC ne cessera ensuite de plaider pour une sortie rapide du bourbier algérien. En décembre 1960, il déplore une nouvelle fois le sang versé inutilement, les morts « qui pèseront lourd pour l’avenir immédiat de l’Algérie et par conséquent de la France ». À l’approche du référendum sur l’autodétermination du 8 janvier 1961, TC affiche on ne peut plus clairement sa position en reproduisant à sa une un bulletin de vote qui répond « oui » à la question, puis décrète après l’annonce des résultats que « l’Algérie de papa est bien morte ». Quelques mois plus tard, en octobre 1961, alors même que l’indépendance approche, TC dénonce encore les exactions de la police. Le 17, victimes d’attentats commis à leur encontre par le FLN les mois précédents, les forces de l’ordre profitent d’une manifestation interdite mais pacifique de la communauté algérienne de France pour se venger. De cette nuit, qui se soldera par au moins une centaine de victimes côté algérien, demeurent très peu de traces, si ce n’est les clichés d’Élie Kagan publiés dans TC. Celui-ci en demeurera


La façade de TC dévastée. DR – Mémoires d’Humanité / Archives départementales de la Seine-Saint-Denis

traumatisé, évoquant dans les colonnes du journal « les blessés et les morts, et les taches de sang, et ma peur au ventre en faisant ces photos avec le tacata des mitraillettes tout près ». En novembre 1961, TC s’indigne encore contre les conditions de détention des dirigeants algériens prisonniers politiques de la France, à l’instar de Ben Bella. La semaine suivante, la rédaction soutient les avocats algériens qui défendent régulièrement les membres du FLN et que le gouvernement inculpe pour atteinte à la sûreté de l’État.

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Ces prises de position, indignations et dénonciations, dont la plupart ne feraient plus aujourd’hui débat, causent à l’époque bien des soucis à TC. En août 1960, le gouvernement fait saisir un numéro incluant un article relatant le refus d’un appelé de participer à la « pacification » de l’Algérie, arguant qu’il s’agit d’un appel des militaires à la désobéissance. S’ensuivent des inculpations des responsables de la rédaction et des dépôts de plainte pour diffamation ou, plus cocasse, d’atteinte au moral des armées. Les menaces les plus sérieuses viennent tout de même des activistes partisans de l’Algérie française, qui n’ont cessé de s’en prendre au journal, comme le relate l’historienne Malika el-Korso dans son livre La Guerre de libération nationale algérienne à travers le journal Témoignage chrétien (1954-1962) (Anep, Alger, 2014). En 1956, André Mandouze, cofondateur de TC devenu maître de conférences à l’université d’Alger, d’où il écrit encore des articles, est victime d’une tentative d’assassinat. Plus tard, l’OAS, fondée en 1961, condamne officiellement à mort Hervé Bourges, rédacteur en chef de 1956 à 1962. Il y échappera mais verra son appartement plastiqué en 1961.

Vu d’aujourd’hui Pour autant, la position du journal semble rétrospectivement timorée sur certains points, du fait des divisions au sein de la rédaction. Ainsi l’hebdomadaire « ne cautionne pas l’insoumission et le soutien direct au FLN, mais il ne condamne pas non plus tout en bloc », relève Malika el-Korso. Par ailleurs, au début du conflit, Georges Montaron considère qu’une union française d’inspiration fédéraliste et des réformes sociales peuvent suffire à satisfaire les aspirations des Algériens. Et quand bien même le journal donne la parole aux fellaghas, il ne va guère plus loin. En 1955, José de Broucker, suite aux protestations des rappelés en Algérie, signe un article dans lequel il refuse l’objection de conscience tout en jugeant fondées les revendications des Algériens, qui n’ont pas d’autre moyen que la violence pour les faire valoir. La même année, un théologien rappelle dans l’hebdomadaire que la doctrine chrétienne interdit aux appelés qui s’en réclament de participer à des massacres, pillages ou tortures, tout en insistant sur le fait qu’ils ne peuvent refuser de servir en Afrique du Nord. Dans un TC pourtant issu de la Résistance, « l’obéissance aux autorités légitimes » continue de tracasser les consciences, même si la question « Jusqu’où ? » est posée… Au fil des années, la ligne éditoriale évolue cependant progressivement, jusqu’à se rallier à l’idée d’indépendance de l’Algérie sous l’influence d’Hervé Bourges.


TC & moi Jacques

Delors

Cher·e·s ami·e·s, vous m’avez sollicité pour un témoignage à l’occasion des quatre-vingts ans de « TC ». J’y ai dessiné succinctement et virtuellement mon parcours, qui parfois se confond avec celui de TC.

Depuis ses origines, TC n’a cessé d’être un journal engagé. Il a publié de nombreux articles en faveur de la décolonisation. Ces positions lui ont valu d’être censuré pendant la guerre d’Algérie. Aujourd’hui, TC fidèle à ses origines, poursuit ses engagements, notamment auprès des migrants et en soutenant le mariage pour tous, les droits des femmes et autres belles causes comme la solidarité européenne et internationale. TC rassemble aujourd’hui une petite équipe, très professionnelle, qui coordonne et pilote le journal. De nombreux journalistes mais aussi des bénévoles y écrivent régulièrement. Des contributeurs, intellectuels et spécialistes de sujets très divers, des militantes et militants engagés apportent leurs expertises, sur la base de vécus. C’est ce qui a fait la force et l’originalité de TC tout au long de ces quatre-vingts ans. Parmi les collaborateurs célèbres, on peut citer : Georges Bernanos, Jean Boissonnat, Michel Debré, Françoise Dolto, François Mauriac, Henri Nallet, le dessinateur Piem, Jacques Testart, Georges Suffert, Jean ­Ziegler, et modestement, moi-même, si vous le permettez. Bénéfice de l’âge, j’ai pu retrouver des faits qui ont émaillé les quatre-vingts ans de TC partagés et restent gravés dans nos mémoires : les clubs comme « Citoyens 60 » ou « Démocratie 2000 », les mouvements d’action catholique, comme la Jeunesse ouvrière chrétienne, où j’ai retrouvé des gens formidables, notamment Antoine Lejay, un ami, un copain du 11e arrondissement de Paris dont les plus anciens lecteurs se rappelleront certainement, mais aussi, la Jeunesse étudiante chrétienne, La Vie nouvelle, à laquelle j’ai participé activement avec mon épouse, Marie, aujourd’hui décédée malheureusement. Bonne continuation à TC ; qu’il poursuive son adaptation et sa diffusion pour être la voix des sans voix dans notre société et plus particulièrement auprès des Églises.

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TC & moi

Joseph

Doré

Né en 1936, Joseph Doré est ordonné prêtre en 1961. L’année suivante, il intègre la compagnie des prêtres de Saint-Sulpice. Il a été directeur au Séminaire des Carmes, à l’Institut catholique de Paris, où il a également enseigné la théologie. En 1997, il est nommé archevêque de Strasbourg.

J’avais commencé à lire Témoignage chrétien dès mes premières années au grand séminaire de Nantes, quand je fus envoyé en Algérie pour y effectuer quasiment la moitié de mon service militaire… Et pendant les quelque quinze mois que je devais passer dans la fort turbulente vallée de la Soummam, il me fut donné d’avoir régulièrement accès au journal fondé par le père Chaillet – et cela compta beaucoup pour moi ! À cela tient très précisément la reconnaissance que, plus de soixante ans plus tard, veut exprimer ici le prêtre puis l’évêque que je suis devenu. Le premier service que me rendit le lucide et courageux hebdomadaire fut de me faire découvrir définitivement l’importance du politique, y compris dans une perspective chrétienne. Le même désir de servir autrui qui m’avait fait passer de la perspective de la médecine à celle du sacerdoce m’inclina alors à me demander si je ne devais pas chercher à m’orienter plutôt dans un engagement de type politique ou sociopolitique. Car la lecture attentive de TC dans le contexte algérien de mes 22-23 ans me fit réaliser ceci : certes, il est capital de se préoccuper de la santé physique et mentale de ses semblables ; certes aussi il est décisif de chercher à honorer leurs faims d’ordre spirituel et religieux ; mais il ne s’impose pas moins d’avoir soin de leur liberté personnelle et de leur identité « culturelle » au sens large, et de porter le souci de leur capacité effective de décider de façon responsable et collective de leur destin, puis de le conduire par eux-mêmes. Or, tel est bien l’ordre du politique… Mais je n’en restai pas là, car la prise au sérieux du politique me conduisit à une seconde prise de conscience, plus radicale encore. Nous étions en Algérie pour y accomplir une mission que les politiciens d’alors présentaient comme une opération de « maintien de l’ordre », à mener militairement contre ce qu’il « fallait » considérer comme une « rébellion », et qu’il « fallait » donc mater. C’est là qu’à travers les semaines et les mois TC ­contribua à m’ouvrir les yeux. À force de multiplier les visites de surveillance et de contrôle dans les villages de notre environnement, nous nous rendions

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peu à peu à l’évidence que la grande majorité de la population que nous étions censés protéger et servir contre des « ennemis » communs ne voulait en réalité pas – ou plus – de nous. Toutes les portes se fermaient successivement à notre nez au fur et à mesure que nous progressions dans les rues des villages que nous venions à la fois rassurer et contrôler. Le déclic se produisit lorsque je lus dans un article de TC que, s’il s’avérait effectivement que la majorité du peuple algérien souhaitait accéder à son indépendance, l’Église ne serait pas opposée à une telle perspective. Et je me souviens que, un jour de l’été 1959, retentit profondément en moi cet axiome pascalien retrouvé à point nommé dans les colonnes de « mon » hebdomadaire : « Il faut que ce qui est fort soit juste, et ce qui est juste soit fort. » Pourtant lorsque prit fin mon service militaire, je ne m’orientai ni vers le droit ni vers les sciences politiques, mais vers la réflexion éthique et la théologie – et donc de nouveau vers le séminaire. Au-delà de la découverte de l’importance du politique, j’avais réalisé davantage et mieux encore celle de l’éthique. Cela se produisit très précisément à propos de la torture. Un beau matin, nous apprîmes que tout l’effectif de protection d’un proche village, pourtant rallié, venait d’être égorgé. Il s’agissait bien entendu de camarades. Nous étions si indignés, si choqués que la tentation était grande de prendre « les moyens de faire parler » les quelques prisonniers fellaghas que détenait la prison de notre bataillon. Des « renseignements », même extorqués par la violence, nous permettraient-ils d’éviter d’autres massacres, ou bien l’une de ces embuscades si meurtrières que nous craignions tant ? J’ai connu alors un moment de grande perplexité : à certaines conditions certes, cela ne pourrait-il pas s’envisager quand même… ? Providentiellement sans doute, je tombai en ces jours-là sur une recension par TC du Contre la torture de Pierre-Henri Simon. La réflexion qu’elle déclencha chez moi me révéla à l’évidence que la seule « raison politique » ne peut pas suffire à éclairer l’action politique. Il fallait en vérité bel et bien se référer à un « autre ordre », celui des valeurs, donc de l’éthique et, finalement même, celui de la « charité ». C’est ainsi que je revins à Pascal… et donc, je résume, au séminaire – afin, au moins, de tenter de tirer tout cela au clair. On verrait le reste plus tard… En ce temps de commémoration anniversaire, comment pourrais-je omettre de souhaiter à Témoignage chrétien, non seulement une longue vie, mais de ne pas cesser de se réclamer des valeurs qui, ayant conduit à sa fondation il y a quatre-vingts ans, continuent de manquer tellement aujourd’hui à tant de politiques menées à travers toute la planète ? Et comment, enfin, pourrais-je, quant à moi, ne pas y être toujours abonné ?


AUJOURD’HUI // 80 ANS

TC & moi

Joseph Pinard

Professeur agrégé d’histoire et député socialiste (1981-1986), Joseph Pinard, né en 1936, a porté les valeurs catholiques dans l’enseignement public et dans la gauche socialedémocrate. C’est un grand défenseur de la mémoire de Pierre Chaillet, franc-comtois comme lui.

Comment avez-vous entendu parler de Pierre Chaillet et de TC ? J’ai connu des disciples de l’abbé Jean Flory, aumônier dans l’enseignement public et ami du père Chaillet. À Noël 1942, alors curé de Montbéliard, pays protestant luthérien, l’abbé Flory colla des étoiles jaunes sur les personnages de la crèche pour rappeler leur origine juive. Étudiant à l’École normale supérieure de Saint-Cloud en 1955, je lisais et diffusais TC avec quelques copains. Dans cette paroisse très bourgeoise, vendre TC nous valait des insultes. On arrivait à la messe avec nos exemplaires du journal pour les vendre à la sortie. Le milieu de l’éducation n’était pas très accueillant pour les chrétiens. Les communistes étaient hégémoniques et on y défendait une laïcité athée. Comme fondateur du SGEN*, j’ai défendu les thèses de Reconstruction, le courant qui a fait la rupture au sein de la CFTC pour faire naître la CFDT. À cette époque, nombre de prêtres-ouvriers incitaient à se tourner vers la CGT, et donc à avoir l’aval du PC. Avec TC, j’étais sur les positions de ­Mendès-France : sans aucune complaisance pour les communistes, je défendais les sociodémocrates. Qu’appréciez-vous alors dans le journal ? J’ai été très admiratif de Jean XIII, et j’appréciais l’appui de TC au concile ­Vatican II. Le journal avait une très forte influence en Franche-Comté, un pays de cathos républicains. Dans mon livre Laïcité et fraternité [Cêtre, 2016] j’évoque les liens entre gens proches de TC et ceux du camp laïc, comme les relations entre Edmond Michelet et les fondateurs du Syndicat national des instituteurs – lié aux francs-maçons. Chaillet lui-même était resté proche du vénérable maçonnique de Besançon. Je n’ai pas eu de contact personnel avec Georges Montaron, lequel était très chevènementiste, contrairement à moi.


Quels liens avez-vous gardés avec le journal durant vos années de responsabilités politiques ? J’ai continué à être abonné. Durant mon mandat de député, j’ai envoyé des courriers au journal sur différents sujets. J’étais un ami proche d’Alain Savary**. Pendant le débat sur l’école catholique, j’ai fait passer dans TC des textes pour aider au rapprochement des deux camps. Et je lis toujours TC ! Propos recueillis par Philippe Clanché.

Extrait de la communication de Joseph Pinard, « Le père Pierre ­Chaillet, centenaire de sa naissance », prononcée lors de sa réception à l’Académie des sciences, belles-lettres et arts de Besançon et de Franche-Comté, le 7 juin 2000. Au printemps 1941, le père Chaillet rencontre le capitaine Henri Frenay, qui s’est déjà lancé dans l’aventure des feuilles clandestines. Il se charge d’une rubrique religieuse pour le bulletin Vérités. […] Quand, à l’automne 1941, Frenay lance Combat, d’un commun accord il est décidé de ne pas poursuivre une chronique religieuse, les domaines politiques et spirituels devant être séparés. Le père Chaillet n’entend toutefois pas demeurer silencieux. Il faut mobiliser les armes de l’esprit, combattre la propagande nazie. […] Le plus important dossier publié fut peut-être celui qui, tiré à 20 000 exemplaires, parut en avril 1942 sous le titre : « Antisémites ». Il faisait le point de la situation dans chacun des pays occupés. S’agissant de la France, il était rappelé que, du 8 octobre 1940 au 16 septembre 1941, le Journal officiel avait fait paraître « 26 lois, 24 décrets, 6 arrêtés et un règlement concernant les Juifs. 57 textes au moins en moins d’un an, c’est une belle performance antisémite ». […] Le père Chaillet ne sous-estimait pas la portée de son œuvre quand, préfaçant une réimpression des premiers cahiers, il écrivait « Dans le foisonnement de la presse clandestine, le Témoignage chrétien a été la source […] où tous les hommes de bonne volonté purent trouver lumière et force. […] Beaucoup d’autres ont pu aussi découvrir que la cause du Christ se confond en vérité avec la cause de l’homme. »

* SGEN : Syndicat général de l’Éducation nationale / CFTC : Confédération française des travailleurs chrétiens / CFDT : Confédération française démocratique du travail / CGT : Confédération générale du travail. ** Ministre de l’Éducation nationale, il a mené en 1984 le projet de service unifié de l’éducation, avorté suite à la mobilisation de l’Église en défense de l’enseignement catholique.

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AUJOURD’HUI // 80 ANS

TC & moi

Yvon

Né en 1950, Yvon Tranvouez est professeur émérite d’histoire contemporaine à l’Université de Bretagne-occidentale (Brest). Spécialiste d’histoire religieuse, il vient de publier chez Desclée de Brouwer L’Ivresse et le Vertige. Vatican II, le moment 68 et la crise catholique.

Tranvouez

TC a joué un rôle important dans mes années de formation, entre 1966 et 1972. Je le lisais régulièrement alors que j’étais interne à Paris au lycée Henri-IV. Jeune Breton, je découvrais avec étonnement un monde dans lequel les catholiques étaient minoritaires – à l’aumônerie, nous étions peu nombreux – et où la plupart des élèves étaient très politisés à gauche. TC était au carrefour de ces réalités et m’a aidé à comprendre cette complexité. J’ai également participé aux activités du groupe TC de Brest, à l’occasion des vacances. J’y ai connu des militants ouvriers dont plusieurs étaient engagés à la Convention des institutions républicaines [Ndlr : parti fondé par François Mitterrand en 1964, qui fusionnera avec la Section française de l’Internationale ouvrière (SFIO) et d’autres courants pour former le PS en 1971]. Le groupe TC brestois, qui faisait de l’entrisme dans la section locale de la SFIO pour promouvoir une nouvelle gauche, fonctionnait un peu comme ce que l’on appelle aujourd’hui un think tank. On y faisait notamment une critique de l’école libre, très implantée dans l’Ouest, mais on réfléchissait aussi sur des expériences politiques comme celle de l’autogestion en Yougoslavie. Faisant mes études à Paris, j’ai pu participer à plusieurs rencontres nationales. Soit dit en passant, c’est en observant Bernard Schreiner, secrétaire général de la Fédération des groupes TC, que j’ai compris comment on pouvait manipuler un congrès ! Mais je préférais Schreiner à Georges Montaron, qui m’apparaissait un peu pontifiant. Les groupes TC éditaient un mensuel, Notre combat, qui comportait à la fois des dossiers thématiques, politiques ou religieux, et des nouvelles des groupes. Politiquement, TC a accompagné la fondation et l’essor du PS. Je m’en suis alors détaché, parce que je tendais au contraire vers des positions d’extrême gauche. Mais c’est la question religieuse qui m’intéressait le plus : l’évolution de l’Église après Vatican II. Je garde un vif souvenir de la rencontre des groupes TC à Bourges en octobre 1970, sur le thème des communautés de base. Ce fut un grand moment. Je me sentais proche de l’aventure de l’abbaye de Boquen avec Bernard Besret, ou des positions du dominicain Jean Cardonnel : TC

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avait fait un large écho à ses prédications de carême sur l’Évangile et la Révolution, en 1968 à la Mutualité. Quand j’ai découvert la Lettre, un mensuel d’extrême gauche héritier du progressisme chrétien des années 1950, et la revue Frères du monde, publiée par les Franciscains de la province d’Aquitaine et tentée par le maoïsme, TC m’a semblé trop modéré. Je dois aussi évoquer Xavier Grall (1930-1981), qui a été chroniqueur de télévision dans TC. J’étais fasciné par son style, emporté, parfois injuste mais toujours magnifique. Après m’être éloigné du journal, j’ai continué, de temps à autre, à regarder les chroniques de Grall. Mêmes difficilement lisibles aujourd’hui sans une bonne connaissance du contexte de l’époque, elles demeurent pour moi d’une qualité comparable à celles de Mauriac – de 1959 à 1964 à L’Express puis au Figaro littéraire. Enfin, ma carrière d’historien doit beaucoup au dominicain Joseph Robert (1910-1991), qui collaborait à la fois à TC et à la Lettre. Ce prêtre-ouvrier très chaleureux est en effet l’un de ceux qui m’ont poussé à préparer ma thèse sous la direction du sociologue Émile Poulat (1920-2014), ancien prêtre-­ ouvrier. Souvent, par la suite, TC s’est avéré une source très précieuse pour mes travaux d’histoire du catholicisme contemporain. L’évêché de Quimper, dont le bibliothécaire, Yann Celton, est un de mes anciens étudiants, a réuni une collection complète que je peux facilement consulter. Mais, sur le plan militant, j’ai perdu le contact avec TC, sauf à l’occasion de quelques rencontres épisodiques où je suis intervenu au titre de ma spécialité, une à Rennes en 2004 à la demande de Michel Cool, sur le thème « Les Bretons sont-ils encore catholiques ? », une autre à Saint-Jacut-de-la-Mer en 2016, à l’invitation de Yohann Abiven pour une session sur « Vatican II, un concile pour rien ? », avec notamment Christine Pedotti. Propos recueillis par Philippe Clanché.


AUJOURD’HUI // 80 ANS

Q

uand les jésuites sauvaient notre âme

Le premier Cahiers du Témoignage catholique devenu in extremis Cahiers du Témoignage chrétien* déroute de prime abord par sa forme : un très long texte d’environ 75 000 signes rassemblés en petits caractères sur 17 pages sans illustration. Et puis, très vite, sa lecture passionne. Par Bertrand Rivière

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Les Français qui vous présentent ces Cahiers ne font pas de politique pour ou contre ceci ou cela. Ils n’ont d’autre souci que d’empêcher la lente asphyxie des consciences ; ils vous apportent des faits contrôlés et des documents authentiques ; ils vous rappellent des directives doctrinales. Ils s’en remettent à votre ingéniosité […]. À notre ingéniosité ? Diable – si l’on ose dire –, de quoi s’agit-il ? Tout simplement de faire appel à notre raison, loin de toute passion, pour démonter la diabolique machine à exterminer les consciences que représente le national-socialisme depuis ses origines, machine tragiquement mise en œuvre ainsi qu’on le constate en cette fin d’année 1941. Exterminer les consciences pour mieux écraser les corps : les chrétiens doivent absolument s’en rendre compte ; il ne s’agit de rien de moins que d’« ouvrir les yeux de tous les Français soucieux encore des valeurs humaines et chrétiennes ». Et la démonstration se fait implacable. Les faits, rien que les faits, tous argumentés, avec de très longues citations qui forcent l’évidence. I. Sur le caractère foncièrement antichrétien de la mystique qui inspire le nazisme. II. Sur les procédés sournois de pénétration et de persécution employés par l’esprit hitlérien. III. Sur leur application en France et les résultats déjà obtenus. Il s’agit d’une publication construite comme un mémoire universitaire ; il n’est question ni d’impression ni de ressenti, mais d’énoncés, tous justifiés par des preuves. Après avoir listé les violentes persécutions en Pologne, en Autriche, en Alsace et en Allemagne, elle affirme : « Le fait de la persécution est trop patent pour qu’un esprit de bonne foi puisse le mettre en doute. » La vérité est alors déclinée en trois points. A. – Le national-socialisme, avant d’être un régime politique, est une Weltanschauung, une conception du monde, aussi totalitaire et intolérante qu’une religion, parce que fondée sur une mystique. B. – À cette mystique antichrétienne, Rosenberg a donné une justification rationnelle dans le racisme qui fait partie intégrante de la doctrine du national-socialisme. C. – Les buts politiques de Hitler n’étant rien moins que la domination du monde par la force et par la diffusion de la « conception du monde » du national-socialisme, aucune conciliation, aucun partage de zones d’influence n’est possible entre christianisme et nazisme : un des deux doit disparaître.


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Alfred Rosenberg est ce théoricien du nazisme qui prône l’élimination du christianisme et qui est « le seul directeur spirituel de la jeunesse allemande ». Rosenberg est d’ailleurs abondamment cité, ainsi que son idole, Adolf Hitler. Les textes de l’un et de l’autre sont analysés et mis en rapport avec le comportement de l’Allemagne nazie, avant et pendant la guerre. On note aussi la liberté de ton des auteurs par rapport à la traduction politique d’une mystique. Le christianisme aussi est une religion, il pourrait – et a pu – devenir totalitaire et intolérant s’il veut s’ériger en système politique en prônant l’exclusion de tout ce qui n’est pas soi. Le racisme, pierre angulaire du nazisme, pose que « toute culture humaine est le fruit du travail créateur des races nordiques ou aryennes. Toute décadence résulte, au contraire, de la domination des races orientales et du mélange du leur sang avec celui des peuples nordiques ». On le voit, les Zemmour et Le Pen, à la suite de Renaud Camus et de sa théorie du « grand remplacement », n’ont rien inventé, piètres plagiaires qu’ils sont des perpétrateurs du plus atroce des crimes contre l’humanité. Le pape Pie XI, dans son encyclique Mit brennender Sorge (1937), condamnait déjà sans la moindre ambiguïté ces positions en insistant sur le fait que la Révélation du Christ est inconciliable avec le « mythe du sang et de la race ». Ce premier cahier de Témoignage chrétien s’appuie sur les enseignements des papes Pie XI et Pie XII, ainsi que sur les communiqués de Radio V ­ atican, dont les citations – notamment sur la maltraitance des Juifs – occupent une large place. L’honnêteté intellectuelle des rédacteurs les amène à accorder également une large place à la dialectique nationale-socialiste afin de contrer ses arguments sans rien en cacher. La condamnation du communisme y passe au second plan. Autant la persécution du bolchevisme est simple, brutale et patente à tous les yeux, autant celle du national-socialisme est sournoise, dissimulée et perfide. Elle ne répugnera certes pas à aller jusqu’au meurtre, mais visera beaucoup plus qu’à supprimer les corps, à pervertir les âmes. On trouve là la pointe de l’argumentaire. Beaucoup de chrétiens peuvent se sentir perdus devant les mensonges hitlériens. Certains croient que le ­maréchal Pétain agit pour le bien commun. Or, le national-­socialisme agit en trois temps : « séduire », « compromettre » puis « pervertir ou détruire ». Séduction en s’appuyant sur les chrétiens les plus avides d’ordre, notamment dans le clergé et dans l’épiscopat, le cas échéant en faisant miroiter un meilleur statut pour l’enseignement catholique ou des subventions pour les églises. Et


pourtant, rappelle le texte, « un trait de plume a donc fait disparaître Scouts, JOC, JEC, JAC, etc. Perquisitions, amendes, arrestation de militants […] ». Puis compromission, avec la complicité active du maréchal Pétain : « La “­collaboration” n’est en fait qu’un esclavage que le vainqueur exerce sur le vaincu […]. » La censure et l’intimidation rendent difficiles toute expression de la pensée : « Après le bâillon : les menottes. » Et enfin, perversion et destruction, où des chrétiens égarés, y compris prêtres ou évêques, se vautrent, victimes consentantes de leur obsession d’ordre et de leur incapacité à se remettre en cause quant à leur soutien aux forces démentes qui inspirent leurs idéologies. Subtilement, ce premier cahier dénonce Mgr Baudrillart, recteur de l’Institut catholique de Paris, et Mgr Suhard, archevêque de Paris, en citant un article du journal collaborationniste et antisémite Gringoire dans lequel sont directement menacés physiquement tous ceux qui ne suivraient pas leur enseignement pro-« ordre nouveau ». Aussi, Témoignage chrétien appelle-t-il à tout faire pour s’opposer aux conséquences de cette équation qu’il écrit en majuscule : « COLLABORATION AU GOUVERNEMENT DU MARÉCHAL = COLLABORATION À L’ORDRE NOUVEAU = COLLABORATION AU TRIOMPHE DES PRINCIPES NAZIS ». La résistance active devient une évidence. Catholiques et chrétiens de France doivent donc s’attendre à être calomniés, salis, emprisonnés et même à subir un sort pire à proportion de leur courage et de leur fidélité au Christ. […] Pour nous, notre décision est prise. Car autant l’intérêt majeur des Allemands et de leurs serviteurs est d’entretenir et d’étendre l’équivoque, autant notre devoir de Français et de chrétien est de la dissiper. Nous ne cesserons donc de nous opposer au triomphe des principes nazis, quelles que soient les formes qu’ils revêtent. Les peuples ont une âme, celle de la France a ses sources dans une compréhension ouverte du christianisme qui n’accepte pas la subordination de la foi aux visées politiques auxquelles elle servirait de faux nez. L’âme de la France s’affranchit des injonctions iniques de ses prélats : « Heureux encore quand l’évêque ne se charge pas lui-même de faire cesser l’activité des militants de son diocèse. Le cas s’est présenté. » Elle transcende le temps politique des pusillanimes et des suiveurs. Pour conclure, l’exhortation de ce premier cahier cite Pie XII : « L’heure de Dieu viendra. » Mais ajoute ensuite – peut-être avec une certaine ironie – : « En attendant l’heure de Dieu, nous ne cesserons de le crier : FRANCE, PRENDS GARDE DE PERDRE TON ÂME ! »

* www.temoignagechretien.fr/fac-simile-du-premier-cahiers-du-temoignage-chretien

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AUJOURD’HUI // 80 ANS

Témoignage chrétien Le legs et l’avenir

Célébrer un anniversaire, c’est aussi établir un bilan et tracer des perspectives d’avenir. La si riche histoire de TC nous oblige. Et nous voulons ici rendre hommage à nos prédécesseurs, accueillir les forces vives d’aujourd’hui, et déterminer les combats de demain. Par Christine Pedotti

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T

émoignage chrétien ! Le titre même de ce journal est un legs précieux ; précieux et complexe. L’histoire de ce « c » qui, de catholique qu’il était originellement, devint chrétien s’observe dès le premier numéro des Cahiers du Témoignage chrétien. En 1941, à Lyon, le papier est rare et cher. Aussi, lorsque la présence de protestants au sein de la première équipe rend évident et nécessaire ce changement, l’opération copier/coller, désormais bien connue de tous les usagers d’un traitement de texte, se fait-elle à la main. Une petite bande est imprimée, découpée, puis collée sur les couvertures. « Témoignage catholique » est devenu « Témoignage chrétien », conséquence d’un œcuménisme de fait pratiqué à une époque où le mot sent le soufre et où sont rarissimes les rencontres entre ceux qui, durant des siècles, furent frères ennemis jusqu’au fratricide. C’est cette première fraternité en actes qu’institue ce premier numéro. Aujourd’hui, les choses ont beaucoup changé ; il n’est plus que les plus radicaux de l’une ou l’autre confession pour considérer l’autre comme une haïssable hérésie. Nous demeurons profondément attachés à cette particularité qui fait de nous un journal chrétien sans affiliation à aucune Église. Elle nous donne une précieuse liberté de pensée et de parole. Pour autant, la question de l’avenir de ce « c » ne peut pas être séparée de celle de l’avenir du catholicisme. En effet, celui-ci demeure au cœur du christianisme et, en France, être chrétien est souvent synonyme d’être catholique. C’est pourquoi interroger l’avenir du « C » de « TC », c’est largement interroger le devenir du catholicisme.

Un état des lieux catastrophique Si on regarde les chiffres, la situation est en effet très alarmante. Le taux de pratique dominicale ne cesse de baisser et les restrictions liées au Covid ont accéléré le mouvement – il semble assez certain aujourd’hui que nombre de ceux et celles qui ont « décroché » ne reviendront pas. Mais le mouvement touche toute la pratique sacramentelle. Pendant longtemps, on a fait le distinguo entre les pratiquants réguliers et ceux et celles qui ne se présentaient guère dans les églises que lors des baptêmes, mariages et obsèques, et d’une certaine façon on pouvait se « rassurer » à bon compte en considérant encore comme catholiques ces pratiquants des saisons de la vie. Aujourd’hui, on observe une large « désaffiliation », une perte de tout contact avec le catholicisme, ses pratiques, et plus encore sa doctrine, en particulier chez les plus jeunes. Pour le catholicisme français, c’est un tsunami qui s’annonce. Les fameux baby-boomers, ceux et celles qui ont reçu une éducation religieuse et s’en sont détachés, vont disparaître. Leurs enfants et petits-enfants, eux, ne se détachent de rien. Pour eux, le catholicisme et la religion en général sont une


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terre inconnue. Indifférents pour leur propre compte, ils pratiquent le plus souvent la vertu de tolérance à l’égard de ceux et celles qui croient mais ont une forte tendance à considérer que la religion est davantage un facteur de querelles, voire de guerre, que de paix et de fraternité. En ce qui concerne le catholicisme, la révélation des abus et crimes sexuels dans l’Église et de leur dissimulation par son système hiérarchique achève de les convaincre de se tenir à distance et d’en tenir éloignés leurs enfants. Le bilan est lourd. Cet automne, à l’initiative de l’Association des journalistes d’information sur les religions, qui célébrait son centenaire, un sondage commandé à l’IFOP révèle que les Français et Françaises sont désormais une courte majorité (51 %) à déclarer ne pas croire en Dieu ; en 1947, on dénombrait deux tiers de croyants (67 %) et ils étaient encore 56 % il y a dix ans, en 2011. Si cet effacement de la référence à Dieu touche toutes les religions, elle est en France un franc désaveu du christianisme et, parce qu’il est très largement majoritaire, du catholicisme ; ainsi, 35 % de ceux et celles qui se déclarent catholiques disent ne pas croire en Dieu – les protestants ont un score quasi identique à 34 % –, tandis que, côté islam, seuls 3 % de ceux qui se déclarent musulmans se disent non croyants. Seule consolation, si l’on peut dire, il n’y a que 5 % des catholiques pratiquants qui ne croient pas en Dieu.

Un prosélytisme empêché On peut bien sûr regarder le verre presque encore à moitié plein et observer qu’il demeure quand même presque la moitié des gens qui ont une référence de foi, ce qui, de fait, n’est pas rien, mais ne dédouane pas les institutions religieuses et tout particulièrement les autorités catholiques de la question : qu’avons-nous de bon et de juste à annoncer et à partager ? En effet, le système religieux chrétien est par nature « prosélyte ». L’Évangile selon Matthieu est explicite en ses derniers mots : « Allez, de toutes les nations, faites des disciples… » Il ne l’est pas dans une perspective de puissance mais parce qu’il croit avoir reçu un trésor qu’il a le devoir de rendre accessible au plus grand nombre. Quel est ce trésor ? La question est rarement posée. L’Évangile, toujours lui, énonce : « Là où est ton trésor, là aussi est ton cœur. » Hélas, l’épisode de la pandémie nous renseigne de façon pathétique. Il a été revendiqué de pouvoir « dire la messe » : les boutiquiers réclamaient la réouverture de la boutique comme le cœur de leur activité. Les signes de ce qu’il faut, hélas, nommer une faillite du catholicisme sont clairement lisibles. Il y a l’effondrement de la pratique religieuse, l’extrême difficulté à recruter le personnel d’encadrement : les effectifs de prêtres fondent comme neige au soleil depuis soixante-quinze ans, au rythme des


départs, des décès et du fait d’un recrutement de plus en plus limité. La Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église, après presque trois ans d’enquête, vient de rendre un rapport accablant, tant du fait du nombre des agresseurs que de celui, effarant, des victimes. Les préconisations du rapport sont limpides : un changement décisif dans le mode de gouvernance et la fin de la concentration de tous les pouvoirs et de toute l’autorité dans les mains des évêques et des prêtres, qui l’exercent en figure de Dieu lui-même.

Un tournant historique On peut toujours prétendre que l’Église n’a cessé de connaître des difficultés tout au long de son histoire et que, cependant, elle traverse les siècles, même cahin-caha. Pourtant, si l’on recule d’un pas pour observer le long temps historique, force est de constater que la situation actuelle est inédite. En effet, pendant de longs siècles, la société et l’Église ont partagé les mêmes valeurs. Certes, le plus souvent, pas plus l’une que l’autre n’ont su totalement les respecter, mais du moins l’une comme l’autre y tendaient-elles. Souvent aussi, l’Église a promu des valeurs que la société ne considérait pas ou guère mais qui semblaient désirables aux populations ; charité, fraternité, respect des pauvres. Ainsi, même si les sociétés anciennes, comme les sociétés médiévales, étaient profondément inégalitaires, l’Église affirmait que devant Dieu et son jugement, tous et toutes seraient regardés non selon le titre ou la noblesse mais selon la vérité des actes et du cœur. C’est ainsi que l’on vit des Jugements derniers et des danses macabres où les mitrés, voire le pape, rôtissaient en enfer. Aujourd’hui, nous voyons se découpler les valeurs supérieures de nos sociétés et celles que porte l’Église. C’est vrai sur la parité hommes/femmes. Nos sociétés ne sont ni égalitaires, ni paritaires, mais elles veulent y tendre à tous les échelons. L’Église catholique persiste à soutenir une séparation des fonctions selon le genre qui ne permet pas aux femmes d’exercer la moindre autorité dans l’Église, quelles que soient leurs compétences ou leur formation, au seul motif qu’elles sont femmes. Nos sociétés cherchent à assurer dans le cadre démocratique un équilibre des pouvoirs, à contrôler l’exercice de l’autorité en instaurant partout des mécanismes de contre-pouvoir. L’Église catholique considère que la démocratie est un bien pour les autres mais pas pour elle puisqu’elle exerce le pouvoir comme un service et de droit divin. Précisément, la situation du droit

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AUJOURD’HUI // 80 ANS

e g a n g oi

dans l’Église est calamiteuse. La séparation des pouvoirs y est un vain mot, puisque l’évêque est lui-même l’autorité judiciaire. Les droits de la défense 1 4 ne sont pas protégés et les tribunaux 1 9 U I S D E P É S ne sont pas tenus de rendre publics G A N G S , E les attendus de leurs décisions. Évidemment, le manque de contrôle par des instances indépendantes conduit à des faits avérés de corruption, en particulier sur le plan financier : un cardinal est aujourd’hui devant un tribunal du Vatican pour des détournements d’argent considérables. C’est une première ; non la corruption, mais sa mise en cause judiciaire. Dans un autre registre, les abus commis dans l’Église ont mis sous une lumière crue l’absence totale d’intérêt et de compassion pour les victimes. Les coupables le sont par rapport à une norme, la chasteté, et non parce qu’ils ont violé des corps et blessé des consciences. Ce dissensus, cette profonde divergence, rend l’Église fragile comme jamais parce que le débat passe au cœur même de chacun de ses membres, qui vit tout à la fois dans la société civile et dans la société religieuse. Or, le meilleur des normes de la société civile est non seulement ignoré, mais même méprisé et combattu par les autorités ecclésiales. Et, comme le dit l’Évangile, « tout royaume divisé contre lui-même court à la ruine ; et nulle ville, nulle maison divisée contre elle-même, ne saurait se maintenir » (Matthieu 12, 25). Bien sûr, on peut hausser les épaules, secouer la poussière de ses chaussures, et penser que l’Église catholique peut bien aller vers sa perte et sa disparition ; que d’une certaine façon, elle l’aura bien cherché. Mais, au-delà de l’Église catholique, demeure l’Évangile. C’est là que l’engagement de Témoignage chrétien peut et doit être réinterrogé. Oui, chrétiens nous sommes et chrétiens nous allons rester, témoins de l’Évangile, en ce qu’il est une parole qui libère, une parole qui fait vivre, une parole ouverte, une parole qui donne la parole et non des décrets qui font taire.

Tém

n e i t é chr R E L I B

Des engagements clairs Quels engagements prenons-nous alors que déjà plus de vingt années du xxie siècle se sont écoulées ? Quelle vigilance devons-nous avoir afin de ne pas « perdre notre âme » ? Notre premier engagement est celui de la fraternité. C’est l’un des trésors du christianisme de n’être lié ni à un peuple ni à une culture, mais de percevoir tout humain, y compris le plus faible, le plus fragile et même le plus coupable comme un frère. Nous serons le caillou dans la chaussure de tous ceux qui cultivent des sentiments nationalistes étroits et égoïstes, et ­d’autant plus

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qu’ils prétendront le faire au nom de la défense de « racines chrétiennes ». Cette fraternité nous gardera bien sûr vigilants quant aux combats quotidiens de lutte contre l’inégalité et les injustices. L’engagement qui en découle est celui de la défense de l’environnement ­terrestre, et ceci d’autant plus que le pillage de la planète est toujours celui des plus riches aux dépens des plus pauvres, ainsi que le pape François ne cesse de le souligner. Ici s’exerce la fraternité à l’égard des plus pauvres mais aussi à l’égard des générations qui viennent. Notre troisième engagement est celui de contribuer à faire exister une dimension européenne commune. Parce que les grands conflits européens ne sont pas si loin au regard de l’histoire longue, maintenir la paix, la concorde, la coopération à l’échelle de ­l’Europe est un facteur d’apaisement pour le monde. Enfin, nous voulons contribuer à maintenir vivant le christianisme, et c’est pourquoi nous soutenons toutes les initiatives qui concourent à le rendre encore et toujours audible et intéressant, parce que nous croyons toujours à sa puissance émancipatrice et libératrice.


MAINTENANT // ENTRETIEN

Cyberhaine : de Mila à l’antisémitisme Spécialiste de l’antisémitisme, Marc Knobel a publié un ouvrage pertinent, Cyberhaine : propagande et antisémitisme sur Internet. Il éclaire sur la manière dont l’émergence des réseaux sociaux a changé la donne, et même révolutionné la diffusion de la haine et du racisme.

© DR

Quel bilan tirez-vous du procès Mila, qui s’est tenu en juin et qui a abouti à la condamnation de onze prévenus à des peines allant de quatre à six mois de prison avec sursis ? Marc Knobel : Je suis très embarrassé, je dois l’avouer, pour évoquer l’affaire Mila. Les réseaux sociaux sont devenus des fourre-tout, on vient s’y défouler, crier son mal-être, clamer les raisons de son mécontentement. Mais il faudrait avoir en tête les conséquences de ce qu’on y déverse. Pour ma part, je pense que Mila ne les a pas totalement mesurées. La vidéo qu’elle a postée sur Instagram pour critiquer l’islam était virulente. Rapidement, les choses lui ont échappé et sont devenues virales. C’est une personne, me semble-t-il, qui n’est pas suffisamment armée intellectuellement pour résister à une telle poussée de haine. Elle en paie les terribles conséquences, recluse, protégée par la police, craignant pour sa vie. En même temps, c’est une jeune femme de son temps qui utilise les réseaux sociaux pour montrer combien elle est belle, faire part de ses choix de maquillage… La vague l’a complètement submergée.

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Que le procès ait eu lieu est une bonne chose. Ceux qui se sont lâchés sur les réseaux sociaux ont eu à répondre de leur parole devant la société. Cela permet de rappeler que chacun est responsable de ce qu’il y publie. Mais l’un des problèmes majeurs demeure le fait que l’anonymisation et la « pseudonymisation » y constituent encore la règle. Qu’entendez-vous par cyberhaine ? Mila en a-t-elle été la victime ? Oui, incontestablement. Tous les moyens informatiques – du SMS à Internet – ont été utilisés contre elle. C’est aussi simple que cela. L’antisémitisme est-il central dans cette cyberhaine ? Je ne dirai pas les choses comme cela. L’antisémitisme est pour moi une agression parmi d’autres et je ne souhaite pas hiérarchiser ces haines. Mais l’anti­ sémitisme permet d’expliquer le processus. C’est, dans notre société, un sujet ultrasensible qui puise dans des stéréotypes millénaires. Il est aussi très variant, s’adapte, se régénère en fonction de l’actualité.


Dans votre livre, vous expliquez que la diffusion de l’antisémitisme était auparavant restreinte à quelques lieux. Comment les réseaux sociaux ont-ils changé la donne ? Dans les années 1980/1990, la diffusion d’une propagande se faisait dans des lieux ciblés, telles que des librairies d’extrême droite. Il fallait assister à des réunions fermées, des congrès, fréquenter certains lieux. C’est sur ce point que les choses ont changé. Nous avons assisté à une véritable révolution en passant d’une diffusion artisanale à une diffusion mondiale, sans aucun verrou. Les réseaux sociaux expliquent-ils la montée du complotisme ? Le phénomène ne date pas d’hier. Lorsque le général de Gaulle impose en 1964 la vaccination contre la polio, des théories fumeuses voient déjà le jour. Certains étaient persuadés que le vaccin pouvait les tuer, mais la diffusion de cette peur se limitait à l’entourage. L’Inter­ net n’a inventé ni le complotisme, ni l’antisémitisme ; il permet de les diffuser à une échelle considérable. Les gens utilisent les réseaux sociaux, invitent des amis qui leur ressemblent, puisent aux mêmes sources. Les uns se nourrissent des autres, diffusent la même propagande et les mêmes discours complotistes et revanchards, créant un effet de masse. Les réseaux sociaux ont profondément aggravé la situation, à tel point que je les appelle « réseaux asociaux ». L’antisémitisme a ressurgi de façon flagrante lors de la crise du Covid et du mouvement anti-passe sanitaire. Quel lien existe-t-il, selon vous, entre complotisme et antisémitisme ?

L’antisémitisme s’exprime souvent d’une manière différente de celle des autres stéréotypes racistes. Le Juif est toujours plus. Il aurait le pouvoir, tiendrait les médias, etc. Dans la crise du Covid, les premières dénonciations antisémites ont touché Agnès Buzyn, son mari Yves Lévy, le professeur Jérôme Salomon… Très vite, il a été question de pouvoir et d’argent, tout comme de relations avec les laboratoires pharmaceutiques. Il ne s’agissait plus seulement d’une critique de la politique sanitaire ; on accolait à leurs noms le terme « Juif ». Les choses se sont agrégées pour prendre pour cibles les Juifs en tant que tels sur le modèle de dénonciations qui ont eu lieu dans le passé. À plusieurs reprises, les Juifs ont en effet été accusés d’être les vecteurs d’épidémies telles que la peste. Cela en dit long sur les préjugés. En vérité, me semble-t-il, les gens à l’origine de la diffusion de ces thèmes antisémites n’ont rien à faire du Covid. Ils utilisent la crise épidémiologique pour cibler, à nouveau, les Juifs. C’est opportuniste ? Les antisémites cherchent par tous les moyens à convaincre d’autres personnes en rendant les Juifs responsables de cette crise sanitaire et en mettant en avant des noms. Ils cherchent à semer le doute, à désigner un bouc émissaire et utilisent, c’est vrai, tous les moyens technologiques entre leurs mains. L’arsenal juridique existant vous paraît-il suffisant pour lutter contre la cyberhaine ? Il faut faire preuve d’une grande humilité. Il suffit de quelques secondes pour qu’un hashtag apparaisse sur Internet et que des milliers de personnes le répandent à LES CAHIERS DU TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN - AUTOMNE 2021 - 49


MAINTENANT // ENTRETIEN

Marc Knobel Directeur des études au Conseil représentatif des institutions juives de France, ancien vice-président de la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme. Cyberhaine : propagande et antisémitisme sur Internet, Hermann, 240 p., 24 €

travers le monde. En revanche, le temps de la déconstruction est très long. Il faut d’abord comprendre comment et pourquoi cela arrive, quels sont les maux de la société qui sont désignés. Par la suite, il est nécessaire d’opérer un fact-checking, de rectifier des erreurs et donner des arguments intelligibles. Au moment où vous dénoncez une chose, elle est déjà dépassée et remplacée par d’autres. Nous ne sommes pas dans le même espace-temps. Ce travail de déconstruction réclame également des spécialistes, peu nombreux en l’état. Il faut que les enseignants apprennent à leurs élèves à se méfier de certaines sources. Les plateformes se sont souvent développées uniquement pour faire de l’argent, sans éthique. Elles ont créé des jouets sans mettre les garde-fous indispensables. Il ne suffit pas d’édicter une règle pour qu’elle soit opérante. Ces plateformes sont devenues des arènes de combat et n’excellent pas en modération. Elles emploient souvent des modérateurs, basés par exemple

aux Philippines, qui ne connaissent pas grand-chose à notre droit, notre culture, notre histoire. Pour ce qui est des lois, elles ne règlent pas tout. Certes, elles tentent de rappeler les fondamentaux de notre droit, mais entreprendre des actions en justice n’est pas facile. Car il n’y a pas forcément un directeur de la publication derrière chaque site. Les sites sont souvent hébergés à l’étranger. Faire appliquer notre droit réclame du temps et n’a pas forcément d’effet dissuasif immédiat. Ce combat est-il perdu ? Depuis 2000, il y a eu des améliorations, des personnes ont été condamnées et une jurisprudence a émergé. Des plateformes, mais pas toutes, ont opéré des prises de conscience, notamment autour des thématiques terroristes. Mais tout cela demande du temps. C’est le fruit de luttes incessantes. Propos recueillis par Bernadette Sauvaget.

Lors des premières manifestations contre le passe sanitaire, Marc Knobel a constaté que l’étoile jaune de son père, dont la photo avait été publiée dans La Revue civique, avait été falsifiée par des activistes pour servir leur cause. Cette version détournée est vite devenue virale. Marc Knobel a entrepris des démarches pour que les faussaires soient poursuivis.

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voir Qui ment ? Qui dit la vérité ? Où est le faux, où est le vrai ? Bien avant les fake news et leurs ravages sur nos démocraties, les peintres se sont emparés de ce débat. David Brouzet nous a concocté un chemin malicieux mais édifiant sur le traitement de la vérité et du mensonge dans l’art. Mais dit-il vrai ? Loin de nos débats sur la laïcité, les chrétiens du Pakistan vivent en enfer. Dans ce pays musulman qui pratique un islam très strict, la place de la tolérance est infime. Cantonnés aux bidonvilles et aux métiers les plus dégradants, victimes de l’ostracisme de leurs concitoyens, ces hommes et ces femmes tentent envers et contre tout de vivre leur foi. Alexandre Farra les a suivis, et son reportage nous broie le cœur. L’art est politique. Ce trimestre, Boris Grebille interroge une création contemporaine métissée. Barthélémy Toguo et Alia Ali font résonner leurs cultures, voire réinterprètent la nôtre, en réussissant, magie de l’art et espoir pour demain, un universalisme qui porte vraiment son nom et n’est plus l’émanation d’une culture uniquement européenne. « Se faire tirer le portrait » : l’expression ne sonne pas joliment à l’oreille, mais c’est pourtant celle qui décrit le mieux l’acte créateur du photographe qui « fait sortir, révèle, prolonge ». Jean-François Bouthors a arpenté les Rencontres photo­ graphiques d’Arles et s’est arrêté sur plusieurs images, qui, toutes, parlent autant du photographe que du ou des modèles. Subtilement graphiques ou poignantes, en gros plan ou en ellipse, chacune de ces œuvres nous interpelle, qu’elle nous interroge ou nous emporte loin, très loin.


Le Mensonge Giovanni Bellini 1499, Venise, Gallerie dell’Accademia.

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Le Mensonge la Vérité et

Mensonge ou vérité ? Mensonge et vérité ! Les artistes nous les donnent à voir l’un et l’autre. Le Mensonge peut se montrer sous l’aspect d’un monstre ou d’une jolie femme, c’est selon. Moins équivoque, toujours nue, la Vérité, fille du Temps, mère de la Justice et de la Vertu, est quelquefois tout aussi effrayante. Rien n’interdit en outre de se moquer de cette exigence de vérité qui est la nôtre : ainsi, dans le conte illustré par Cranach, la ruse des femmes l’emporte-t-elle sur l’intransigeance inquiète des hommes. Et certains peintres, comme Magritte, de dénoncer jusqu’à la trahison des images et de nous inviter à la prudence. Par David Brouzet

Avec la Persévérance, la Fortune et la Prudence, Le Mensonge de Giovanni Bellini décorait à l’origine un cabinet en noyer appartenant au peintre Vincenzo Catena. Par un décret de 1489, le sénat vénitien tenta de limiter la fabrication de ce type de meuble luxueux souvent orné d’un miroir et d’allégories délivrant un message moral. Traditionnellement représenté sous les traits d’une femme, le Mensonge apparaît tel un homme sortant d’un coquillage, métaphore

de son esprit tortueux. Constituant une lourde charge pour ceux qui le portent, le Mensonge est sur le point d’être mordu à la langue par un serpent. En Italie, le peintre flamand Michiel Coxcie, surnommé « le Raphaël du Nord », assimila une culture humaniste profondément imprégnée par la pensée grecque antique. Sa Grotte de Platon s’inspire de l’« allégorie de la caverne » figurant dans le Livre VII de La République de LES CAHIERS DU TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN - AUTOMNE 2021 - III


Le Mensonge et la Vérité

La Grotte de Platon Michiel Coxcie Vers 1530-1539, Douai, musée de la Chartreuse.

L’Allégorie de la Simulation Lorenzo Lippi Vers 1640, Angers, musée des Beaux-Arts.

Le Temps soustrait la Vérité aux atteintes de l’Envie et de la Discorde Nicolas Poussin 1641, Paris, musée du Louvre.

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Platon. Elle met en scène des hommes enchaînés dans une grotte, tournant le dos à l’entrée et ne voyant que leurs ombres et celles d’objets situés loin derrière eux. Elle expose la quasi-­incapacité pour l’homme d’accéder à la connaissance de la vérité et la difficulté pour le sage d’enseigner les moyens permettant de s’élever jusqu’à elle. À la fois peintre et poète, Lorenzo Lippi, artiste représentatif du Seicento florentin, sut allier le clair-obscur caravagesque à un sens parfait de la ligne. Si l’interprétation de L’Allégorie de la Simulation continue à diviser les historiens de l’art, la seule présence du masque rend le doute impossible. Cette séduisante jeune

femme est bien une figure de la Simulation. La belle cherche à nous abuser par la pureté de ses traits, le bleu céleste de sa robe et la blancheur de son voile. La grenade qu’elle nous tend, gage apparent de fécondité, est traitée littéralement en trompe-l’œil. Le Temps soustrait la Vérité aux atteintes de l’Envie et de la Discorde, tableau de Nicolas Poussin, ornait le Grand Cabinet de Richelieu dans son palais parisien. Le programme en fut élaboré par le commanditaire en personne. La politique du cardinal ministre suscitait alors une incompréhension et une haine générales. Le temps seul en révélerait la grandeur et les bienfaits. Rochers amoncelés et sombres


Le Mensonge et la Vérité

La Vérité Jean-Jacques Henner Dessin préparatoire, entre 1899 et 1902, Paris, musée national Jean-Jacques-Henner. © Tony Querrec / RMN-Grand Palais via AFP.

La Vérité sortant du puits, armée de son martinet pour châtier l’humanité Jean-Léon Gérôme 1986, Moulins, musée Anne-de-Beaujeu.

nuées matérialisent le chaos qui menace le royaume de France. Recourant aux traités d’iconologie en usage à l’époque, Nicolas Poussin a pris soin de doter le dieu et les allégories de leurs attributs. La Vérité est un dessin préparatoire pour une œuvre de Jean-Jacques Henner, commandée en 1896 pour la salle des Autorités de la Sorbonne. Le tableau fut trouvé inachevé à la mort de l’artiste, en 1905. La peinture fut précédée par de nombreuses études. Sensuelle, renvoyant aux modèles de la Renaissance vénitienne, la VI - LES CAHIERS DU TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN - AUTOMNE 2021

Vérité d’Henner, incarnée par une femme nue à la chevelure flamboyante, est exempte de toute considération morale. Le titre complet de l’œuvre renvoie à une phrase du philosophe Démocrite selon laquelle « en réalité, nous ne savons rien, car la vérité est au fond du puits ». Très attaché à son tableau, La Vérité sortant du puits, armée de son martinet pour châtier l’humanité, Jean-Léon Gérôme l’avait accroché au-dessus de son lit. La nudité de cette Vérité n’est pourtant pas agréable à regarder. Prenant modèle sur le puits du musée


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Le Mensonge et la Vérité

Vacances romaines William Wyler 1953.

La Fable de la Bouche de la Vérité Lucas Cranach 1534, Nuremberg, Germanisches Nationalmuseum.

La Trahison des images René Magritte 1929, Los Angeles, Los Angeles County Museum.

de Cluny à Paris, y ajoutant la vigne vierge et des arums, le peintre compose une image empreinte d’étrangeté et de violence. Dernier représentant du courant académique, hostile à toute modernité, Jean-Léon Gérôme délivre sa vérité et dénonce la fausseté du monde. La Bocca della Verità est une sculpture antique en marbre, scellée dans la paroi du portique de l’église Santa Maria in Cosmedin à Rome. Ce disque d’un mètre soixante-quinze centimètres de diamètre, en forme de masque, qui était à l’origine une bouche d’égout, est devenu célèbre en vertu de la légende selon laquelle il aurait tranché la main de tous ceux qui ne disent pas la vérité. En 1953, le lieu, toujours très touristique aujourd’hui, servit de cadre à l’une des plus jolies scènes du film Vacances romaines, une comédie romantique de William Wyler avec Audrey Hepburn et ­Gregory Peck. La Fable de la Bouche de la Vérité, tableau de Cranach, tire son argument d’un conte médiéVIII - LES CAHIERS DU TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN - AUTOMNE 2021

val d’origine nordique. Un automate merveilleux, un lion « détecteur de mensonge », fut inventé à Rome par le mage Virgile pour couper les doigts des épouses infidèles. Un jour, interrogée en présence de son mari et d’un magistrat, une femme adultère se laisse enlacer par son amant déguisé en fou. Jurant qu’aucun autre homme, exceptés son mari et ce fou, ne l’a jamais touchée, elle retire de la sorte sa main intacte de la gueule du lion. De 1928 à 1966, Magritte a abordé à travers plusieurs tableaux la question du rapport entre l’objet et sa représentation. La Trahison des images montre une pipe accompagnée de la légende « Ceci n’est pas une pipe. » Il affirme que, même peinte de la manière la plus photographique possible, une pipe représentée dans un tableau n’est pas une pipe mais demeure la simple image d’une pipe. Par le paradoxe apparent contenu dans ses toiles, Magritte mobilise l’imagination et la réflexion du spectateur sur la réalité des choses.


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Sous la seule protection de Dieu

Le pasteur Majeed Inayat prie dans l’église qu’il a construite au rez-de-chaussée de sa maison il y a vingt ans, dans le quartier de la Joseph Colony à Lahore : chaque dimanche matin, il y célèbre la messe.

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Sous la seule protection de

Dieu Texte et photos : Alexandre Farra

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Sous la seule protection de Dieu Condamnés à exercer les métiers les plus dégradants, de balayeur à briquetier, vivant pour la majorité dans des bidonvilles au milieu des grandes villes, sous la menace constante d’accusations de blasphème, une grande majorité des chrétiens du Pakistan mènent une vie qui s’apparente à un véritable chemin de croix. Un quotidien rendu encore plus difficile par la pandémie actuelle et les mesures sanitaires, pour une communauté vivant en surpopulation et sans autre possibilité que d’aller travailler dehors chaque jour.

A

u milieu des luxueuses villas abritant des ambassadeurs dans le très huppé quartier F-7 d’Islamabad se trouve l’un des bidonvilles les plus pauvres de la ville. Ici, le linge accroché aux fenêtres et les rues inondées de déchets détonnent avec les allées goudronnées de la capitale ultramoderne, au nom signifiant «  capitale de l’Islam  ». Huit mille chrétiens vivent dans la French Colony, sans eau potable. Ce soir-là, des jeunes sont rassemblés dans l’église. « On leur apprend la vie du Christ, on les fait réfléchir sur leur existence, leur avenir : beaucoup ici sont alcooliques ou toxicomanes, on essaye de les sortir de là, car c’est mauvais pour eux et pour l’image de la communauté », explique Isaac, l’un des jeunes de la communauté. Pour ces chrétiens, la situation s’est aggravée après le 11 septembre 2001 et l’invasion de l’Afghanistan par les Américains. Le Pakistan, allié de force à la superpuissance américaine, continue d’être touché par des attaques terroristes et accueille plus de 1,4 million de réfugiés afghans. Les chrétiens se voient souvent assimilés à l’Ouest et aux États-Unis, du fait de leur religion commune, ce qui les expose aux représailles de musulmans fanatiques. Ils sont actuellement trois millions au Pakistan, soit 1,5 % de la population Trois cents kilomètres plus au sud, à Lahore, seconde ville du pays, les chants résonnent dans l’église de la Joseph Colony. Ici, tous essayent d’oublier le traumatisme du 9 mars 2013. Suite aux accusations de blasphème envers un jeune chrétien du quartier, une émeute éclate : le secteur est pillé et incendié par plus d’une centaine de musulmans. « Nous avons juste eu le temps de nous réfugier XII - LES CAHIERS DU TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN - AUTOMNE 2021

dans l’usine d’à côté et de regarder nos maisons brûler », raconte Perwaiz Bhatti, qui se réchauffe auprès d’un feu avec ses petits-fils. « Tout a été réduit en cendres. Nous avons tous dû aller vivre dans des camps. » Sa femme, elle, ne parle plus depuis ce jour-là. « Nous vivons uniquement sous la protection de Dieu », confie le vieil homme. En ce dimanche de janvier, lors de la prière matinale, Sahid Masih monte la garde devant l’église : c’est un « scottie », autrement dit un volontaire veillant à la sécurité de la messe. « L’État veut nous donner des armes, mais nous n’en avons pas besoin », explique le quadragénaire, policier dans le civil. Être accusé de blasphème est la plus grande peur de tous les chrétiens au Pakistan. « Une fois que l’on est dénoncé, souvent à tort, il est très difficile de s’en sortir, et les conséquences sont souvent désastreuses », raconte Napoleon Qayyum, directeur du Pak Center for Law and Justice, une ONG venant en aide aux chrétiens. Au Pakistan, le blasphème est puni de la peine capitale. « De nombreux excès ont lieu avec cette loi : pour se venger d’un collègue de travail ou par jalousie, certains n’hésitent pas à lancer de fausses accusations. » À quelques kilomètres de là, le père Haroon Tazeem finit sa visite dans les maisons faites de bric et de broc d’Essa Nagar, l’un des quartiers les plus pauvres de la ville. Au détour d’une ruelle, quatre jeunes en train de discuter le saluent respectueusement. « Cette année, ils ont installé une guirlande sur cet arbre sans feuilles pour en faire un sapin de Noël », remarque-t-il avant de s’engouffrer dans la maison d’en face. Ce soir, la messe sera célébrée ici, l’église du village étant encore en construction. Aucune croix n’est visible à l’extérieur de la maison,


En haut – Le père Haroon Tazeem sonne à la porte d’une maison pour rendre visite à l’une des deux cent cinquante familles chrétiennes vivant à Essa Nagar, l’un des quartiers chrétiens les plus pauvres du pays, au sud de Lahore. Il est l’une des figures essentielles du quartier : il y bénit les nouveau-nés, tente de rassurer les anciens sur leur santé, organise des chorales avec les adolescents… Ci-dessus à gauche – Le père Haroon Tazeem célèbre une messe dans l’enceinte d’une maison. Ci-dessus à droite – Le père Haroon Tazeem bénit une jeune fille et sa famille. Ci-contre – Une femme dépose un cierge devant la St. John’s Catholic Church, à Youhanabad, le plus grand quartier chrétien de Lahore. Il y a six ans, l’église a été le théâtre d’un attentat suicide faisant 14 morts et plus de 70 blessés, à l’origine d’une vague de manifestations.

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Sous la seule protection de Dieu

l’endroit se veut confidentiel. « C’est mieux ainsi », explique le père Tazeem. Tous se rappellent ici d’Akash Bashir. « Je suis si fière de ce qu’il a fait, et si fière que l’on ne l’oublie pas : il aurait eu 25 ans aujourd’hui », murmure Naaz Bano, sa mère. Chaque jour depuis six ans, elle nettoie et enlève minutieusement la poussière sur les photos et décorations de son fils. Le 15 mars 2015, Akash fait partie des volontaires assurant la sécurité de la St. John’s Catholic Church, à Youhanabad, le plus grand quartier chrétien de Lahore. Un terroriste arrive alors avec une ceinture d’explosifs. Akash s’accroche à lui. XIV - LES CAHIERS DU TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN - AUTOMNE 2021

En haut – Le père Pervez Palos dans son église de la Joseph Colony, à Lahore. Comme le reste de la colonie, l’église fut incendiée le 9 mars 2013. Ci-dessus à gauche – L’entrée de la Joseph Colony. Ci-dessus à droite – Naaz Bano, mère d’Akash, nettoie le portrait de son fils. Dans le salon de sa maison, elle garde toutes les médailles et prix reçus à titre posthume, après le sacrifice du jeune chrétien de 18 ans.


En haut – Nageli, 26 ans, accompagnée par sa famille et ses proches jusqu’à l’église de la Joseph Colony, à Lahore, où l’attend son futur mari. Ci-dessus à gauche – Rashid Mesih, 62 ans, soulève son petit-fils Daud sur le toit de sa maison à Allama Iqbal Town, quartier chrétien d’Islamabad. Derrière lui, son cousin Salim. Tous deux ont été accusés à tort de blasphème. Après cinq années derrière les barreaux, ils ont retrouvé la liberté suite à une lutte acharnée. Ils vivent désormais cachés, craignant des représailles de la part d’extrémistes religieux. Ci-dessus à droite – Sur les hauteurs de la French Colony, deux garçons tentent de faire voler un cerf-volant fabriqué à partir d’un sac plastique et accroché à un fil de verre. Au coucher du soleil ont lieu dans le ciel d’Islamabad des batailles au cours desquelles chacun essaye de couper le fil des autres cerfs-volants. Nichée au cœur des quartiers chics de la capitale pakistanaise, la French Colony demeure minée par la pauvreté, sans accès à l’eau potable.

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Sous la seule protection de Dieu

En haut – Rue de la Joseph Colony, à Lahore.

« Je vais me faire exploser », prévient l’homme. Mais Akash ne lâche rien. Quelques secondes après, une détonation retentit. Son geste évite un véritable massacre dans l’église. Fuyant ces conditions de vie, dix mille chrétiens pakistanais vivent aujourd’hui en Thaïlande, dans des appartements vétustes de la banlieue de Bangkok. Condamnés à vivre là dans la clan­destinité, se cachant la journée, tous attendent que le HautCommissariat des Nations unies pour les réfugiés les aident à rejoindre l’Occident. XVI - LES CAHIERS DU TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN - AUTOMNE 2021

Ci-dessus à gauche – Elishba, 12 ans, finit ses devoirs sur le lit où elle dort avec ses parents et ses trois sœurs. Chaque matin, un bus passe la chercher pour l’emmener à l’école. L’après-midi, elle aide son père et sa mère à la briqueterie, modelant des centaines de rectangles en argile avec les mains par 40 °C. Ci-dessus à droite – Perwaiz Bhatti se réchauffe auprès du feu avec ses deux petits-fils à Joseph Colony. Le 9 mars 2013, lorsque le bidonville a été incendié par des manifestants, lui et sa famille se sont réfugiés dans l’église voisine, regardant leur maison brûler. Ils ont ensuite vécu dans les camps montés par le gouvernement avant de pouvoir retrouver leur quartier. Depuis, il accompagne et va chercher les enfants chaque jour à l’école, craignant pour leur sécurité.


Partage en bleu De l’identité à l’universel Procession de géants, pieds sur la terre, mains caressant le ciel, les échelles de Barthélémy Toguo, à la galerie Lelong & Co (Paris), nous appellent à prendre de la hauteur tout en nous indiquant que nous vivons dans un monde qui avance irrémédiablement vers le futur.

Par Boris Grebille


Partage en bleu, de l’identité à l’universel

Résolument ancré dans l’Afrique, l’artiste camerounais, qui vit entre le centre d’art qu’il a créé, Bandjoun Station, et Paris et qui voyage dans le monde entier, réussit à nous toucher en visant toujours un propos universel. Jeune, émerveillé par la force des grands peintres classiques européens, il décide de devenir artiste. Formé d’abord en Côte d’Ivoire, Barthélémy Toguo viendra poursuivre ses études à Grenoble puis à Düsseldorf. Et ne cessera de se nourrir des formes artistiques contemporaines qu’il découvrira pour faire évoluer sa propre pratique, afin qu’elle réponde au mieux à son besoin d’interpeller le monde pour qu’à son tour il évolue et se transforme. Une double culture qu’il peut s’amuser à citer explicitement, comme ici dans Partage XII où il reprend la célèbre Création d’Adam de Michel-Ange tout

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en en rouvrant le sens par l’ajout d’un symbole, la pomme éponyme aux allures de planète, qui renvoie tout à la fois au péché originel et à une ouverture véritablement mondiale d’une culture qui se vit comme universelle mais est profondément européenne. Comment être plus explicite sur l’inégalité du dialogue d’un universalisme colonial, mais également sur une assimilation qui écarte une partie de la population de ses propres origines. Humaniste, il ne cesse de nouer des dialogues féconds, notamment avec la littérature, comme pour la série « Partage », qu’il présente à sa galerie parisienne jusqu’au 10 novembre et qui s’inspire de la lecture du Livre du Partage (Gallimard, 1987) d’Edmond Jabès, dont on fête cette année le trentième anniversaire de la disparition.


Il y découvre une communauté de pensée et de vision qui nourrit son travail ; crée des liens entre les Bamilékés, peuple des hautes terres de l’ouest du Cameroun, et l’écrivain et poète d’origine égyptienne, lesquels nourrissent sa réflexion sur le génocide, l’errance, la mémoire et l’exil ; et développe une série d’encres bleues qui viennent nous questionner selon les mots mêmes d’Edmond Jabès : « Aborder le partage par cette question : “Qu’est-ce qui m’appartient ?” […] Et si nous ne partagions que le vital désir de partager, unique moyen, pour nous, d’échapper à notre solitude, au néant ? » Des mots qui éclairent ce chemin de création qui part de l’identité pour arriver à l’universel. Mais l’humanisme de Barthélémy Toguo est loin d’être éthéré. L’artiste nourrit son œuvre des réalités du monde, de son empathie face aux effets

Photo d’ouverture : Partage XIII, Barthélémy Toguo, 2021, encre sur toile, 217 x 217 cm. © Barthélémy Toguo. Courtesy Bandjoun Station/Galerie Lelong & Co.  À gauche : La Création d’Adam, Michel-Ange, 1508-1512, fresque, 280 x 570 cm, chapelle Sixtine, Vatican. Ci-dessus : Partage XII, Barthélémy Toguo, 2021, encre sur toile, 46 x 61 cm. © Barthélémy Toguo. Courtesy Bandjoun Station/Galerie Lelong & Co.

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Partage en bleu, de l’identité à l’universel

Ci-dessus : Partage VIII, Barthélémy Toguo, 2020, encre sur toile, 205 x 195 cm © Barthélémy Toguo. Courtesy Bandjoun Station/Galerie Lelong & Co. À droite : Partage XI, Barthélémy Toguo,2021, encre sur toile, 46 x 61 cm © Barthélémy Toguo. Courtesy Bandjoun Station/Galerie Lelong & Co. Barthélémy Toguo est exposé par Galerie Lelong & Co – www.galerie-lelong.com

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des grandes épidémies ou du dérèglement clima­ tique, mais aussi de son émerveillement pour la recherche scientifique et médicale. Cet engagement, ce vital désir de partager l’ont conduit également à faire du centre d’art qu’il a fondé au Cameroun, Bandjoun Station, un véritable lieu de vie partagé avec la population locale, jusqu’à devenir un agriculteur écoresponsable et engagé pour le maintien des graines mères ancestrales face aux semences modifiées offertes par des multi­ nationales à l’Afrique. Une parfaite homogénéité entre les valeurs universelles qu’il défend dans ses œuvres, issues d’un respect de l’identité ancestrale, et de l’action qu’il mène pour la préservation et le développement du territoire dans lequel il s’engage, telle une performance

artistique profondément ancrée dans la réalité du monde. Comme si l’action artistique qu’il développe venait s’enraciner dans le réel pour permettre le partage, à l’image de cet arbre dont le tronc s’élargit dans une belle stabilité pour laisser ses branches se développer et animer le monde dans une chorégraphie silencieuse dont les mains sont autant les symboles d’un langage que de l’action. L’art de Barthélémy Toguo est à l’image de l’homme, discret, sensible et engagé dans ce bleu lavé du monde, mer et ciel, aux lignes comme des vagues ondulantes et calmes, rideau d’un théâtre qui ramène à la réalité notre regard. Une poésie universelle, nourrie par des identités multiples, qui nous permet de grandir au cœur de notre propre identité.

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Partage en bleu, de l’identité à l’universel

Comme en écho à l’œuvre de Barthélémy Toguo, la 193 Gallery organise pour la première fois en France une exposition regroupant les principaux travaux de l’artiste multimédia yéméno-bosno-étasunienne Alia Ali. Elle travaille sur les tissus et des motifs qui aujourd’hui appartiennent à nos différentes cultures visuelles sans que l’on sache souvent de laquelle ou desquelles ils sont issus. Ils sont à eux seuls une allégorie de la mondialisation, de ses partages et de ses violences appropriatives, culturelles et économiques. Alia Ali questionne les récits imposés par le poids des mots et des images, déconstruit nos certitudes, refaçonne des identités anonymes, portraits emballés plus que voilés se détachant de fonds dont ils se

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démarquent sans toutefois s’extraire. Et montre ainsi la distance souvent vertigineuse qu’il peut y avoir entre ce que nous croyons savoir, comprendre et même défendre et la réalité d’identités spoliées ou assimilées au gré de partages inégaux. Comme elle l’écrit, « cette exposition est dédiée aux invisibles de la société, aux assimilés – les migrants –, c’est un rappel de notre royauté qui a été et qui demeure – un rappel de la beauté de nos couleurs, de la poésie de nos mythes et du chant de nos accents ». Sa série « Indigo » en est la parfaite illustration. Teintes différentes, motifs différents, langage quasi mathématique des lignes et des points, elle est le symbole d’une unité qui, dans son Yémen natal,


regroupait toutes les communautés ethniques et religieuses autour de la production des tissus. La couleur devient dans la diversité des formes et des silhouettes qu’elle façonne un chemin d’unité qui nous mène à envisager les autres et nous-même d’une autre manière, peut-être plus généralement, avec moins de mots et de concepts, mais finalement plus profondément. Comme Barthélémy Toguo, Alia Ali a choisi la beauté pour questionner les travers de nos sociétés et propose la contemplation comme chemin d’élévation et d’émancipation. Un chemin qui part des identités pour y revenir par la force d’un langage universel qui devient monde.

À gauche : Stripes, Alia Ali, série « Indigo », 2019, impression pigmentaire sur Photo Rag 310 g laminé UV monté sur Dibond d’aluminium, dans un cadre en bois blanc, 84 x 84 cm, © 193 Gallery. Ci-contre : Steps, Alia Ali, série « Indigo », 2021, impression pigmentaire sur Photo Rag 310 g laminé UV monté sur Dibond d’aluminium, dans un cadre en bois blanc, 84 x 84 cm, © 193 Gallery. Exposition « Mot(if) » – Alia Ali est exposée par 193 Gallery – www.193gallery.com

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RTRAIT(S)

Dana Scruggs Nyadhour, Elevated, vallée de la Mort, Californie, 2019.


Participe passé substantivé de « portraire ». Verbe que l’on n’emploie plus guère, alors qu’on use plus généralement de deux autres – assez laids, à vrai dire –, bricolés après coup sur le mot lui-même : « portraiturer », sans doute par proximité avec « caricaturer », et « portraitiser », où le suffixe « -iser » indique qu’une transformation s’opère. Dans « portraire », on entend le trait, non seulement celui que trace le crayon, la plume ou le pinceau, mais le trait distinctif, celui qui va faire sens, celui par lequel s’affirme la singularité de celui que l’on représente. De fait, le mot vient du verbe latin protraho, qui signifie « faire sortir, révéler, prolonger », lui-même dérivé de traho, « tirer ». Voilà pourquoi les photographes vous « tirent le portrait ». En Arles, cet été, lors des Rencontres de la photographie, les portraits ne manquaient pas… Par Jean-François Bouthors

L’Afro-Américaine Dana Scruggs, basée à New York, efface les frontières entre l’art et la mode en travaillant sur le corps noir. Ce portrait de Nyadhour Deng, réalisé dans la vallée de la Mort en 2019, dans le cadre d’une campagne publicitaire pour une marque de prêt-à-porter, est une perfection graphique. La jambe tendue sur la ligne d’horizon entre ciel et sable inscrit dans l’infini une pose qui évoque la liberté des jeux de LES CAHIERS DU TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN - AUTOMNE 2021 - XXV


VISIBLEinVISIBLE

Ci-contre : Daniel Obasi Instants de jeunesse, Lagos, Nigeria, 2019.

Page de droite : Stephan Gladieu Portraits de Nord-Coréens, Corée du Nord, Pyongyang, juin 2018. Kim Yun Gyong, Han Sol Gyong, Kim Won Gyong, Kang Sun Hwa et Kong Su Hyang au cinéma 3D du SCI Tech Complex. Avec l’aimable autorisation de School Gallery/Olivier Castaing.

l’enfance. Le grain léger du sable blanc contraste avec la limpidité du ciel. La chaleur écrasante du lieu est oubliée et la lumière danse sur la peau noire comme dans un tableau de Soulages. Renversé, le buste dessine un arc souple, et l’ombre portée, presque cachée, de la jambe verticale devient une flèche qui pointe vers l’infini. Élan sans précipitation. Cette célébration de la grâce libre d’un corps dans un espace vierge XXVI - LES CAHIERS DU TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN - AUTOMNE 2021

contraste avec les souvenirs d’autres corps asservis, blessés, rompus… Une étincelle d’éternité passe et nous élève – « Elevated » dit le titre de la photo. Portrait de groupe en figure de proue, avec les Instants de jeunesse du Nigérian Daniel Obasi, image qui apparaît tout d’abord de force et de résolution. Désir d’avenir. La couleur est choisie, assumée, dynamique… Le photographe


détourne les codes du réalisme socialiste naissant au début du xxe siècle et de ses ambitions futuristes. Ici, il s’agit moins de célébrer une doctrine qui prétend maîtriser l’histoire que de témoigner d’une volonté d’aller de l’avant, d’affirmer que l’Afrique et les Africains ont un avenir. La pirogue évoque l’exil et, si le visage du personnage de tête est résolu, presque martial, ses compagnons trahissent quelque inquiétude. Sait-on où l’on va, au moins ? L’Afrique que montre Obasi n’est ni catastrophée ni mythique, mais à la fois positive, courageuse et incertaine quant à ce qui l’attend.

Portrait de groupe encore, ces cinq jeunes filles chaussées de lunettes 3D dans une salle de cinéma en Corée du Nord. C’est pour tenter de percer l’énigme de la permanence du régime malgré les famines, les sanctions internationales et les crises climatiques que Stephan Gladieu a imaginé de proposer aux autorités de Pyongyang de réaliser des portraits de la population. Il voulait « comprendre de quel métal inoxydable était ce peuple ». Les dirigeants du pays le plus fermé du monde ont accepté, sans se douter que l’humour pouvait détourner les codes de la propagande.

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VISIBLEinVISIBLE

Le ­photographe n’a sans doute pas trouvé la réponse à la question qu’il se posait, néanmoins il illustre parfaitement l’uniformité totalitaire dans laquelle se trouve prise la population, y compris les enfants. Comique, mais glaçant ! Grand portraitiste d’hommes et de femmes de plume, de personnalités politiques aussi, JeanLuc Bertini a sillonné les États-Unis en voiture à l’occasion de multiples voyages entre 2008 et 2017. La série « Américaines solitudes » est le portrait d’un pays au fil de la route, dans la tradition humaniste de la photographie française. Le Las Vegas qu’il nous montre n’est pas celui des néons et des casinos, pas celui de la nuit XXVIII - LES CAHIERS DU TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN - AUTOMNE 2021

tonitruante et des rêves de fortunes éphémères, mais son revers : celui d’une vie plus grise, plus monotone, plus silencieuse, celui des murs nus et des rues désolées, presque vides. Cet homme aux jambes interminables, le dos légèrement voûté qui pousse les hanches en avant, les mains dans les poches, qu’attend-il ? Ses lèvres fines et pincées, ses yeux qu’on devine gris-bleu derrière ses paupières mi-closes laissent penser qu’il est absorbé en lui-même. Rien autour de lui ne semble devoir retenir son attention, d’autant que sa position, légèrement tournée vers la gauche, contredit la ligne de fuite qui se trace devant, derrière et au-dessus de lui. L’espace


Page de gauche : Jean-Luc Bertini Las Vegas, Nevada, 2015.

Ci-contre : Karlheinz Weinberger Horseshoe Buckle [Boucle fer à cheval], 1962.

ainsi dessiné à sa droite donne la mesure et le contrepoint du silence intérieur qui l’habite. Nous pensons spontanément qu’un portrait renvoie à un visage. Celui de Karlheinz Weinberger, retenu pour l’impressionnante exposition « Masculinité », n’en montre pas. Weinberger s’était beaucoup intéressé, dès la fin des années 1950, à la jeunesse marginale suisse, notamment au groupe des Halbstarken (à moitié forts), dont le nom disait clairement qu’ils étaient en quête d’affirmation de leur virilité. Leurs codes vestimentaires leur tenaient lieu d’identité. La douille en pendentif, le ceinturon, la chaînette d’agrafes et le fer à cheval sur le pubis, à eux

seuls, en disent long. Nul besoin ici de voir le regard du sujet, la forme de sa bouche, la couleur de ses cheveux. La pause est inspirée de celles des justiciers et autres tueurs à gages des westerns. Celui – ou celle, mais c’est bien improbable en 1962, date à laquelle est prise la photo – dont on ne voit pas la tête nous dit qu’il est prêt à dégainer, à décharger même. Il se veut mâle pour l’éternité, mais le foulard noué à sa jambe gauche vient colorer – si l’on peut parler ainsi d’un tirage en noir et blanc – l’image qu’il veut donner de lui-même d’une autre indication sur l’orientation que pourrait ou voudrait prendre cette masculinité, en un temps où LES CAHIERS DU TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN - AUTOMNE 2021 - XXIX


VISIBLEinVISIBLE l­’homosexualité ne pouvait pas se revendiquer directement. Ainsi, la force de ce portrait tient dans la révélation de l’ambiguïté d’une affirmation viriliste. La fragilité d’une personnalité, Pieter Hugo, photographe sud-africain, sait la saisir avec délicatesse. Sans tenir sous son emprise son sujet ou le spectateur. Il propose le portrait comme

une rencontre. La série « Solus » est née du sentiment que les modèles de rue que lui proposait une agence de casting avec laquelle il travaillait étaient plus intéressants lorsqu’ils se livraient dans leur naturalité. « Présentez-vous simplement et regardez-moi simplement. » Sa conviction : « Il y a de la beauté à être tenu dans le regard de l’autre. » Ainsi le p ­ hotographe ­s’expose-t-il

Ci-contre : Pieter Hugo Alexandra, Londres, 2020, série « Solus ». Avec l’aimable autorisation de l’artiste.

Page de droite : Aline Motta (Autres) Fondations, #3, 2017-2019.

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lui-même à celui que vise son objectif. Ainsi le spectateur se trouve-t-il lui aussi regardé, interrogé et peut-être même dévoilé par la fragilité du sujet photographié. Ce faisant, Pieter Hugo photographie le trouble d’une époque. Les autres portraits de « Solus » expriment un désarroi semblable, une solitude pareille à ceux que véhicule Alexandra, le sentiment d’une différence douloureuse en attente de se faire accepter. On pourrait s’arrêter là, mais Pieter Hugo raconte qu’en regardant ses photos il pense à Œdipe, le fils aux pieds enflés, blessés par les liens qui les nouaient. Œdipe affligé, pour cela, de boiterie, mais doué de ce fait même d’un rapport différent au monde qui lui donne une autre forme d’intelligence, capable de résoudre les énigmes sur lesquelles butent les gens « normaux »…

Brésilienne, la photographe et cinéaste Aline de Souza Motta s’est engagée en 2017 dans un travail sur ses racines. Née à Rio de Janeiro, elle s’est rendue à Cachoeira, dans l’État de Bahia, puis à Lagos au Nigeria, cherchant à renouer des liens avec ses ancêtres. L’eau et la lumière sont comme des ponts entre les trois villes, et par un jeu de miroirs, l’artiste imagine la possibilité d’entrer en communication avec ses aïeux. Ce n’est donc pas un selfie, ni un autoportrait au miroir que l’on voit ici, mais une tentative de dévoilement d’une identité profonde, d’une part de soi qu’il s’agit de faire remonter des profondeurs d’une mémoire qui n’en avait peut-être jamais connu la moindre trace. Si c’est bien une image de soi qui surgit, ce n’est donc pas celle qui se donne immédiatement, mais celle qui vit silencieusement dans les profondeurs de LES CAHIERS DU TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN - AUTOMNE 2021 - XXXI


VISIBLEinVISIBLE

l’âme. Plus largement, elle symbolise la possible reconquête d’une partie refoulée de l’histoire de la nation brésilienne, une reconquête qui ne concerne pas moins de 50 % des familles du pays, dit l’artiste. Ici, le portrait est moins nostalgique que politique. Le regard qui fixe le regardeur dans un silence à peine troublé par la rumeur de l’eau et la main qui tient le miroir nous renvoient à nous-mêmes, à notre propre passé oublié ou en passe de l’être. Qui sommes-nous ? Un fantôme sur une plage. Est-ce encore un portrait ? Oui, bien sûr. Lisa Kohl, photographe luxembourgeoise, s’attache à évoquer l’exil, la fuite, la survie, l’absence… Sa série « Shelter » (abri, refuge) – des corps totalement enveloppés dans des couvertures, photographiés dans des sites célèbres de Californie, ici la plage de Malibu – est une tentative d’affirmer la présence de ceux XXXII - LES CAHIERS DU TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN - AUTOMNE 2021

que l’on s’efforce de ne pas voir, de ceux que l’on cherche à tenir à distance, de ceux que l’on voudrait éloigner de nos rivages et de nos villes. Elle tire en quelque sorte le portrait de l’invisibilité et de l’invisibilisation. Mais, ce faisant, elle va plus loin, car ce ne sont pas des morts que photographie Lisa Kohl, mais des vivants. Cette couverture qui danse sur le sable immaculé est, en effet, une image paradoxalement joyeuse : celle d’une vie qui ne se laisse pas abattre, qui a encore de la ressource… Le portrait, c’est toujours de la vie !

Lisa Kohl Série « Shelter », Los Angeles, États-Unis, 2019. © ADAGP. Courtesy Templon, Paris/Bruxelles.


Allemagne

Des cathos qui se rebiffent Durement éprouvée par les scandales d’abus sexuels et la complaisance de son clergé, l’Église catholique allemande affronte une vague de contestation. Refus de payer l’impôt ecclésiastique, demandes de radiation des registres baptismaux : les paroissiens allemands se révoltent. Par Guillaume de Morant

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REGARDS // ALLEMAGNE, DES CATHOS QUI SE REBIFFENT

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etra, 42 ans, fait quelques pas en sortant du tribunal d’instance de Cologne, éblouie par le soleil de juillet et assourdie par les travaux de la place R ­ eichensperger. « J’étais dans la salle 37, je viens de signer ma Kirchenaustritt », raconte cette employée de magasin, un peu émue. La « salle 37 » et la « Kirchenaustritt », littéralement la « sortie de l’Église », les catholiques de Cologne savent bien de quoi il s’agit : quitter officiellement leur religion et cesser de payer l’impôt ecclésiastique, qui va ici de pair avec toute confession : « J’aime mon Église, mais je pars parce que je ne veux plus la soutenir financièrement telle qu’elle est. Il faut que cela change, trop de scandales ne sont pas pris en compte. » À Cologne, comme partout en Allemagne, le financement des confessions est assuré par une taxe, le Kirchensteuer, l’« impôt de l’église », payé uniquement par les pratiquants. Le système est bien rodé : le fidèle déclare sa religion auprès du service des impôts, et son employeur – s’il est salarié – prélève chaque mois entre 9 et 10 % d’impôts supplémentaires ; l’argent transite par la trésorerie locale, qui le reverse à l’Église concernée. L’Église catholique romaine, les Églises protestantes et certaines communautés protestantes ou juives sont ainsi financées jusqu’à 70 %. Les croyants paient en moyenne 300 euros par an. Des exonérations sont prévues en cas de chômage partiel, et, en cas de licenciement, il est possible de se faire rembourser. « C’est un impôt obligatoire. En principe, on ne peut pas s’y soustraire si on veut continuer à pratiquer », raconte Johannes, 39 ans, qui fréquente la paroisse Saint-Servatius. Né dans une famille catholique pratiquante, il était

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le seul de sa génération d’amis à encore accepter de payer l’impôt confessionnel. En 2020, cet ingénieur agronome a jeté l’éponge, saisissant une perche tendue : « À l’occasion d’une vérification, le service des impôts m’a demandé si je voulais toujours payer pour l’Église. Cette fois-ci, j’ai dit non, parce que j’ai pris une claque avec le comportement du cardinal Woelki, l’archevêque de Cologne. Déjà, j’étais de moins en moins d’accord avec le financement des Églises par l’impôt. Je préfère un système à la française où les fidèles donnent directement au diocèse. Mais, là, ce n’est plus possible, l’archevêque de Cologne a couvert des prêtres pédophiles, on ne peut plus continuer comme ça », explique ce francophile.

Un drame sous-évalué Les problèmes d’abus sur des mineurs au sein de l’Église allemande sont évoqués comme étant l’une des causes importantes des sorties d’Église. Depuis les années 1990, ils ont été illustrés par une série de procès, mais ils sont longtemps restés « derrière le mur du silence ». L’année 2010 a marqué un tournant à la suite d’articles de presse sur des cas d’abus sexuels à Berlin, puis une série de rapports a révélé une large sous-évaluation du problème dans tous les diocèses. Depuis, l’Église catholique allemande est l’objet d’une méfiance croissante. Car, si elle a pris quelques mesures de prévention, de dénonciation des cas à la justice et d’indemnisation des victimes, celles-ci semblent avoir du mal à s’imposer… Symbole de cette Église hésitante, en septembre 2010, l’archevêque de Cologne de l’époque, Joachim Meisner, aujourd’hui décédé, déclarait en évoquant un prêtre pédophile : « Je ne sais que faire de lui. Le laisser t­ravailler dans


une église est impensable, mais je ne peux pas le jeter dans le Rhin. La miséricorde doit s’appliquer à tout le monde, même si c’est parfois difficile. » Or le prélat ne pouvait pas ignorer que, la même année, des révélations fracassantes avaient montré que les abus sexuels dans l’archidiocèse n’étaient pas limités à un cas ou deux « dont on ne saurait quoi faire » et étaient au contraire légion. Par exemple, dans le pensionnat jésuite d’Aloisius-Kolleg, à Bonn, jusqu’à 175 victimes de 18 religieux et 5 laïcs ont été recensées depuis les années 1960. L’archidiocèse se défend de traîner les pieds et affirme dénoncer les cas lorsqu’il en a connaissance. Effectivement, en février 2011, un curé de Morsbach, dans l’arrondissement du Haut-Berg, a été suspendu parce qu’il avait caché à l’archevêché sa condamnation avec sursis vingt ans plus tôt pour avoir abusé sexuellement d’un enfant. L’archi­diocèse a renvoyé l’affaire à la curie à Rome pour qu’elle soit jugée selon le droit canon. Mais, dans l’autre sens, lorsque des religieux ont été poursuivis et sanctionnés par la justice ecclésiastique, l’archevêché de Cologne n’a pas fait suivre à la justice civile. Ainsi, il a fallu attendre octobre 2018 pour que quatre prêtres passés devant la justice ecclésiastique pour atteintes sexuelles sur mineurs dans les années 1970 et 1980, et interdits depuis de service sacerdotal, soient signalés au procureur de la République. Et puis, il y a eu l’affaire de trop, celle du rapport du cabinet d’avocats munichois Westpfahl Spilker Wastl. Soucieux d’établir toute la vérité sur la pédophilie dans le diocèse, le cardinal Rainer Maria Woelki, actuel archevêque, le charge en 2018 de rédiger une étude circonstanciée. Il lui demande notamment de

nommer les responsables diocésains qui auraient pu commettre des erreurs dans la gestion de ces crimes. Mais, en octobre 2020, à la grande surprise des catholiques de Cologne, l’archidiocèse se refuse à publier le travail des avocats, affirmant qu’« ils ont commis des erreurs méthodologiques considérables et que leurs conclusions ne sont pas une base appropriée ». Le cardinal Woelki déclare qu’il publiera une autre enquête, commandée à d’autres experts. Le rapport interdit fait des remous, y compris au sein du Comité central des catholiques allemands, la structure qui représente officiellement les vingtsix millions de pratiquants du pays. L’actuel archevêque de Hambourg, Stefan Heße, en est un membre important. Avant d’être nommé à Hambourg, l’homme a été responsable du personnel du diocèse de Cologne. Or, quand le rapport de Munich commence à fuiter, il y figure comme faisant partie des responsables ayant couvert des faits de pédophilie à Cologne. Et Stefan Heße aurait exercé de nombreuses pressions pour empêcher la divulgation de ces informations.

Une exonération suspecte Le scandale éclabousse le cardinal Woelki lorsque le commissaire du gouvernement fédéral pour les questions d’abus sexuels sur les enfants met directement en cause sa « gestion peu transparente ». Dans deux cas d’abus sexuels à Cologne, de l’argent aurait même été versé afin de faire taire les victimes et dissimuler les faits, ce qui constitue une violation du droit canon. Mgr Woelki annonce une enquête indépendante, commande un nouveau rapport et demande pardon lors de la messe de LES CAHIERS DU TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN - AUTOMNE 2021 - 85


REGARDS // ALLEMAGNE, DES CATHOS QUI SE REBIFFENT

« La structure actuelle de l’Église catholique promeut un système qui discrimine et blesse les gens sur la base de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou de leur mode de vie. »

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© Andreas Rentz / Getty Images via AFP

Wolfgang Schmitz, cofondateur de l’association Umsteuern! Robin Sisterhood


Noël 2020. Mais la fronde gronde, de nombreuses voix chez les laïcs et dans le clergé de Cologne se plaignent d’une grave perte de crédibilité de l’institution. Le 18 mars 2021, une dernière enquête, réalisée par le cabinet d’avocats Gercke Wollschläger, est publiée. Accablante, elle identifie 314 enfants victimes d’abus sexuels entre 1975 et 2018, des faits commis par 202 suspects dont 127 membres du clergé et 66 laïcs. Le rapport révèle que plus de la moitié des victimes d’inconduites sexuelles, d’attouchements ou de viols étaient âgées de moins de 14 ans, garçons et filles. Les noms de vingt-quatre responsables du diocèse sont publiés parce qu’ils n’ont pas « clarifié, puni ou empêché les faits, ni suffisamment fait d’efforts pour aider les victimes ». Un tiers des cas relèvent de la responsabilité de Joachim Meisner, l’ancien archevêque. Les experts découvrent un dossier secret intitulé « Frères dans le brouillard », dans lequel il conservait des documents « exigeant la confidentialité ». Il n’a donc rien fait. Curieusement, le successeur de Meisner, le cardinal Woelki, est totalement dédouané dans ce rapport dit « indépendant ». Mais il est vrai qu’il l’a lui-même commandé… À la suite de ces révélations, des têtes sont tombées : l’ancien vicaire général, Dominikus Schwaderlapp, devenu entretemps évêque auxiliaire, a été démis de ses fonctions ; l’évêque auxiliaire Ansgar Puff a démissionné et Stefan Heße, l’archevêque de Hambourg, a également présenté sa démission au pape. Le mouvement We Are Church a appelé l’archevêque de Cologne à prendre la porte lui aussi. Le cardinal Woelki ne l’envisage pas, sous prétexte que « sa responsabilité morale le conduit à tout faire pour que de telles erreurs ne se produisent plus ».

Mais il a fait acte de contrition, admettant « une dissimulation systémique, un chaos dans l’administration, un système de silence, de secret et d’absence de contrôle ». L’archidiocèse de Cologne se veut désormais vertueux et a annoncé de nouvelles mesures : la création d’une commission indépendante, la revalorisation des indemnités versées aux victimes, le contrôle régulier des ecclésiastiques et des laïcs accusés, le renforcement des structures d’évaluation et de prévention, ainsi que des changements dans la formation des prêtres avec « un bilan psychologique, une année préparatoire avec des activités sociales et une implication plus forte des femmes dans la formation ». L’expert Hans Zollner a immédiatement dénoncé ce qu’il qualifie de « mesurettes » – « C’est un pas bien trop petit avec des perspectives purement juridiques » – et déploré un manque de vision d’ensemble et d’évaluation morale : « Depuis 2002, les évêques allemands avaient des directives pour traiter les abus, pourtant des manquements aux devoirs ont continué à se produire. »

Des défections en série Fin mai, le pape François s’en est mêlé, ordonnant une visite apostolique à Cologne. Un évêque néerlandais et un cardinal suédois sont venus enquêter sur place sur les éventuels agissements des pontes locaux. Leurs entretiens sont restés confidentiels, tout comme leur rapport. Le pape François ne s’est toujours pas prononcé pour dire s’il acceptait ou non la démission de l’archevêque de Hambourg. Et les soupçons sur l’intégrité de ce dernier continuent de planer. À Cologne, tout cela passe très mal et les paroissiens ont trouvé un moyen de faire LES CAHIERS DU TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN - AUTOMNE 2021 - 87


REGARDS // ALLEMAGNE, DES CATHOS QUI SE REBIFFENT

pression : quitter l’Église et ne plus payer pour son financement. Pour ce faire, ils ont le choix entre deux méthodes : passer par un notaire, mais le coût de son intervention est à la charge du requérant, ou s’adresser directement au greffe du tribunal d’instance, dans la fameuse « salle 37 ». En échange du paiement d’une taxe de 30 euros, le catholique est radié des registres de l’Église et son acte de baptême est annoté en conséquence. Pour faire face à une forte demande, le tribunal de district, situé à quelques centaines de mètres du Kölner Dom (la

cathédrale de Cologne) a mis en place de gros moyens : la réservation par Internet, une capacité d’accueil triplée et un personnel renforcé. Malgré tout cela, au moment de la rédaction de cet article, fin juillet, il y avait deux mois d’attente pour obtenir un rendez-vous. Il y a eu environ 7 000 désistements en 2019 contre 10 100 en 2020. Certes, ces chiffres ne tiennent pas compte des confessions, mais Cologne est à majorité catholique. L’année 2021 promet de battre tous les records ; rien qu’au premier trimestre, 3 346 personnes ont quitté les Églises.

Reinhard Marx, porte-parole des réformateurs Après avoir été lourdement mis en cause par des victimes d’agression sexuelle pour avoir fermé les yeux sur des faits commis par un prêtre du diocèse de Trèves à l’époque où il en était l’évêque (20012007), Reinhard Marx, 67 ans, cardinal archevêque de Munich, a effectué un spectaculaire mea culpa et se pose désormais en porte-parole des réformateurs. Il a présenté sa démission le 4 juin dernier. Par ce geste, le cardinal voulait « assumer la coresponsabilité de la catastrophe des agressions sexuelles commises par des représentants de l’Église au cours des dernières décennies ». Celui qui fut président de la Conférence épiscopale allemande de 2014 à 2020 dénonçait dans sa lettre de démission « les défaillances personnelles, les erreurs administratives, mais aussi une défaillance insti­ tutionnelle. L’Église n’a pas su en assumer la responsabilité systémique ». Le 10 juin, le pape François a refusé sa démission, mais l’a encouragé à persévérer dans la réforme contre les abus. Le cardinal Marx est un conseiller proche du pape, l’un des piliers de son « gouvernement », notamment pour la réforme de la Constitution du Saint-Siège et celles économiques et financières de la curie romaine. Reinhard Marx a expliqué « prendre désormais très au sérieux les critiques » et vouloir « élargir la réflexion et l’autocritique ». Geste symbolique, il a renoncé par une lettre au président de la République fédérale d’Allemagne à la croix fédérale du Mérite, l’équivalent de la Légion d’honneur. Et il s’est lancé dans un esprit réformateur dans le « chemin synodal », un dialogue entamé début 2020 par l’Église allemande, organisé conjointement par la Conférence épiscopale allemande et le Comité central des catholiques allemands. Il ne le nomme jamais, mais dans son viseur se trouve le cardinal Woelki, archevêque de Cologne, que l’on reconnaît facilement dans ceux qu’il accuse, dans sa lettre au pape, de ne pas vouloir « accep­ ter la responsabilité et la complicité de l’institution » et de « s’opposer à tout dialogue de réforme et de renouvellement en lien avec la crise des agressions sexuelles ». Contrairement à Marx, Woelki, inflexible, n’a pas cédé aux appels à la démission.

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L’image du diocèse est durablement écornée et cela met une drôle d’ambiance. Martin, 69 ans, n’oubliera pas sa dernière messe de minuit dans sa paroisse de Reine-Sainte-Marie à Cologne. Dans cette assemblée huppée du sud de la ville, certains regards de paroissiens étaient fuyants et ce n’était pas à cause de la pandémie. Certes, tout le monde était masqué et seulement un banc sur deux était occupé, mais, au fond de lui, Martin se sentait peu à l’aise : « En novembre, j’ai signé devant un notaire pour ne plus payer l’impôt ecclésiastique et dénoncer une confrérie d’intouchables », explique-t-il. Cela ne l’empêche pas de fréquenter sa paroisse, car il continue à se sentir connecté à la foi et à la communauté chrétienne.

Des fonds en baisse Ici, le curé refuse de filtrer les paroissiens selon qu’ils paient ou non l’impôt, même s’il en a la possibilité. En théorie, selon un décret de 2012 de la Conférence épiscopale allemande, les paroissiens ayant quitté l’Église perdent leurs droits à la communion et au mariage, celui d’être parrain ou marraine ou de participer à la vie des conseils paroissiaux. En rentrant chez lui pour réveillonner en famille, ce cardiologue a soudain compris tous ces regards gênés : « Beaucoup de paroissiens de cette messe de minuit avaient fait la même démarche que moi. Le pire est que, même entre fidèles, on n’ose pas en parler, on n’ose pas discuter librement. » La fuite des catholiques commence à peser sur les finances du diocèse. En 2020, les recettes fiscales ont chuté de 8 %. Des coupes ont été pratiquées dans ses activités sociales, avec par exemple la fermeture de la maison de loisirs Maria in der Aue pour les familles en dif-

ficulté. Déjà des catholiques s’inquiètent pour la continuation de l’aide aux plus pauvres. En juin dernier a été créée l’association Umsteuern! Robin Sisterhood (Changer de cap, les sœurs de Robin des Bois) pour « reconsacrer la taxe ecclésiastique ». Pour sa cofondatrice Maria Mesrian, de l’association féministe Maria 2.0, qui milite notamment pour l’ordination des femmes, « il s’agit d’inciter les personnes qui ont quitté l’Église à faire un don pour une bonne cause. L’argent sera versé à des associations d’entraide pour les victimes de violence, aux budgets limités. Un autre objectif est le soutien des maisons de protection des femmes et des enfants. Rien qu’à Cologne, 370 femmes qui avaient demandé à être admises dans un foyer ont été refoulées l’année dernière, car il n’y a que 45 places. » L’association est soutenue entre autres par Carolin Kebekus, célèbre comédienne et présentatrice télé, qui dénonce « les terribles dommages causés aux croyants par l’Église catholique par sa gestion calamiteuse des abus sexuels ». Quant à Wolfgang Schmitz, cofondateur de l’association, il déclare que le « processus inqualifiable de traitement des nombreux cas d’abus dont le cardinal Rainer Woelki est responsable » a été un déclencheur et que « la structure actuelle de l’Église catholique promeut un système qui discrimine et blesse les gens sur la base de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou de leur mode de vie ». À Cologne, la crise de confiance tourne à l’indignation… En France, la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église a présenté son rapport le 5 octobre. Sur la période 1950-2020, elle a estimé le nombre de victimes de clercs abuseurs à au moins 216 000 et ces derniers à environ 3 000.

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a voiture de police s’arrête dans la cour arrière d’un grand bâtiment de béton brut, implanté au bord de la RN13 entre une jardinerie et un centre équestre. Il est 18 heures passé, le refuge du Cotentin, à Tollevast, est fermé, mais la maîtresse des lieux, Fabienne Renouf, est encore là. « Bonjour ! Qu’est-ce que vous nous amenez aujourd’hui ? » lance-t-elle aux deux policiers. « Surprise ! » répond l’un des deux en rigolant, avant d’ouvrir la porte arrière du véhicule pour en sortir une petite cage. À l’intérieur, un chat errant, attrapé par les deux policiers cherbourgeois après un signalement des riverains. Scène presque banale au refuge manchois de la Société protectrice des animaux. La ville de Cherbourg n’ayant pas de fourrière, ce sont les policiers municipaux qui se chargent de capturer et de conduire ici les animaux errant dans les rues : des chats, des chiens, mais aussi parfois… des poules. Les deux policiers s’engagent à la suite de Fabienne, qui s’est saisie de la cage. D’une main experte, elle en sort le félin, lequel ne semble pas bien méfiant, ni même très inquiet, alors que les chiens du refuge font un barouf de tous les diables : « Bah alors, qu’est-ce qu'il t’arrive, d’où tu viens ? » Pas de tatouage aux oreilles, pas de collier, aucun bip quand Fabienne passe le lecteur de puce électronique sur le cou de l’animal, premier réflexe quand une bête arrive dans un refuge. « Bon, on va te garder », annonce-t-elle au chat. « On va le garder », traduit-elle

aux policiers. La petite bête dans les bras, Fabienne passe dans une pièce située derrière l’accueil, où une dizaine d’animaux sont déjà installés dans des petites cages turquoise : vieux chats, chatons, chats de gouttière ou chats très stylés. « Ils ne vont pas rester là longtemps, rassure Fabienne, on doit juste les garder en quarantaine quelques jours pour s­ ’assurer qu’ils n’ont aucune maladie contagieuse qu’ils pourraient transmettre aux autres chats. » Cette mise à l’écart terminée, ils iront ensuite prendre leurs quartiers dans l’une des colonies de chats du refuge : trois grandes pièces très lumineuses et parfaitement propres, meublées de paniers, de couvertures et de jouets, avec chacune un accès sur un grand espace extérieur derrière lequel les visiteurs peuvent venir repérer leur futur compagnon.

Un prise en charge temporaire mais aux petits soins

En attendant, le nouveau venu est donc gentiment installé dans l’une des petites cages et doté d’une litière propre, d’une écuelle d’eau fraîche, de quelques croquettes et d’une jolie couverture tricotée main – sous le regard curieux de ses congénères. Demain, Fabienne mettra une annonce sur Pet Alert, un site de petites annonces destiné à aider les propriétaires d’animaux perdus à les retrouver. Si personne ne le réclame, situation la plus courante, il sera confié à l’adoption, comme la majorité des dizaines de milliers d’animaux de compagnie pris en charge chaque année par la SPA.

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é d – ce t ux ro s a oci tr im té t i S x c o é r e – ote an cié an oci ric PA tri au p ma té p de – S d r s o des – S ect x – S tec nim iété ani cié ice PA rice p e S – //icSPA e ux rot au pro s a Soc es So ctr – S tect im été ice dREGARDS A n d x – ote ux ro P ctr ma é p im été de – a r e S t s t c r i an oci trice SPA ctri au é p ima té p de – tec ux – rote s an ocDeiél’accueil s S animaux e –des im iédet comportementaliste n cié ice PA c x – ote une formation p e a S aplus d n e é t d c a m t o dix ans. s – r e à la défense de leurs droits animalier, il y a un peu de tr – S te x i u o o e s S c r p u que n cié rice PA trLongue a ic ahistoire S p celleimde la Société – otePôle ux ro Mais, –à l’époque, té ene de« emploi o ct – S ec protectrice enezd explique-t-elle, x é m é t c S i n i u A i des animaux. Créée m’a ri au en me disant t an cié s a oc ric SP ctr pr queimçaa té p d a é x – rote aux pro esdécembre 1845 t m Étienne e un médecin, i Duiétcoup j’ai ntra- cié ice e d’avenir… c x –n’avaitotpas Sola SPA a dpar n p im té d Pariset, e – Saccueillait t originelle les vaillé dans la restauration, le commercial. c a o ctr s – r e x é u o o e c s S r p u a i A chevaux ét an ocié rice Pvieux S des Paris. il yea quatre ans, j’ai d l’occasion p de im a cochers – ote ux tsesr objectifs d bénévole – ici,iceteçaeus’est téEtdepuis, s S ct – S Depuis, x c é m é t i se sont considéradevenir tellee e n e i u A rbout deaquelques pr ima ad’accueil c ment P qu’au icbien passé t r an : àoclaiémission o s S é rot sélargis  c e d ux – rote aux pblement t S ecmois, quand e abandonim anima– une ét s an ocié teplacead’agent e d n i p a – des animaux deS compagnie x é t o d c m t – r e u libérée, o d! »e – S s l’a S­proposée  im té ni ié iceou maltraités p oneme ux penro lier as’est A tetricleur placement a P é m d an ocié es a Soc ctrnés – t eplu- ux rot S ajoutée c la sensibilisation é de niAprès son m famille s’est embauche, Émilie a suivi é t c i e e i A i – é t S c r n a e c d x – ot laupopulation i devoirss sieurs a ép P ct obtenu i et notamment x ro aux sdroits et aux formations, r a c o – S e t m o S e i r c e n c x – de oconnaissances u p A tri a élespanimaux, ét s an t e S envers y compris celleddes –l’Acacedte(Attestation i a d c a m t – r s d’es-So e c im té ni plusiéjeunes.ce« Quand Ales premiers roles animaux pcompagnie au de ice clubsaux pour d x r c p i P é t m r ote s an ocié es a Sjeunes de Apour – t o ont e i été créés en 1947, l’idéeim était tpèces domestiques), indispensable S c é t é c e n c e i i au t mais c les Sanimaux. e – S e d x – de lesteintéresserx –aux animaux, r n aussicié pouvoir a c P i travailler avec t o r a d o s r c o Elle sde l’aprèsSapprisecà tmieuxx –gérer… tles e a aussi e nim ié au dansé lepcontexte e ce SPA tric au é pderoles occuper S d – t o d m t – ice humains  x : « Il yraodes adoptants u pquir sontes a Soc c im ét guerre,ni raconte Jacques Fombonne, é e u i a e A – c t r n c p i a P ct parfois difficiles, ilsim ont repéré té un eani-d A – ice o cdetrila SPA.– SAujourd’hui, s a président é celui-là ux pro es a Soc el’actuel m é t S i n e i é t nous comptons trente-six clubs jeunes mal et veulent et pas d x – ote ux ro an ci s a oc untricautre, SP ctr é d – t e o que dnous e savons, parcecque nous r onaen a ouvert p neufeens alors u enpFrance, S ene sontuxpas– rote an a – S qu’ils cié trice SPA ctric mpartout é t d m t 2019. » tC’est ainsiique deséadolescents de –connaissons nos chiens, e x é o c x – te ni 11 àié17 ans peuvent upour ceprchien-là. n être i accueillis aParfoisé p es ce tousSPA la cbonne ric famille e c a a i t t m r o a c o i s é t r éett ice d PA Sles refuges im tropiétdans leansentiment e dans ro au é p es Sleso mercredis c e i de la – SPA, aussi, ilsnsont t e c d – a la raison. d – pourcapprendre o ctr – S s unSanimal, im t e ux à respecter ux lespro pasesdans oc dAdopter e rot et soigner a S p rt i loin an ocié trice SPA canimaux, a – é çad ne s’improvise te ux ro deséréseaux sociaux ettdes pas, on prône l’adopm – e x i o m t é c e i r S p c u A tri Nous ane sommes – ote écrans é an oci ric tion responsable. de portable. pas a n e p i P – é x t m a c t i s S é pour tmais o naîtrededes vocations  s quoi faire S ? Émin cié ic ct xlà–pour odistribuer ec ndesimchiens, ux pro mau é pr dDe é t S e a e i – t a c – 39 ans, r unes familleoadaptée.esAutre So ctr x animalier e agent é ni iét ce lie Nedelec, o auau leur trouver t r c p u A i é e abandons. S Dese dgens xqui– te u p r a i c i refuge du Cotentin, voulu trasituation  é : les t imaatoujours d m t – SP avec é i c t é oc des – So ectr –vailler e u pro ma e les animaux, ic unadécès au unAanimalraprès é point deanfaire ocinous amènent c t n i i P t x t r o a c i s S e c é t r x u ric au é pro ima té p des – So e de x – S otec ux – rote anim ciét s an oc nim ciét s an ocié trice SPA ctric mau é pr ima té p des – So e de x – S o a s So de – S tec x – te ni iét an cié ice PA tric au pr – ice ux ro au pro s a oc es So ctr – S ec im té A t an cié s e ne– Ss’improvise e uxon prône d x – otpas, a é p unimanimal, é e dça o t r SP ectr « iAdopter e m t é r c u p i ric PA tri a é p des So de é s an responsable. t n i a c o m c a o S l’adoption Nous ne sommes pas ét pour e PA – trice au pr es So de – S tect x – otec nim iété ani cilà c i cleur d Adistribuer o ctrune– S ec im – ice ux desro chiens, s trouver u prmaises apour o S e e a S c r p im é e d – ce d x – rote ux rot s an oc t maadaptée.  ri – SP famille » t é c t é n ci ic PA tri a é p de ié s aNedelec, au é pSPA im x rote s ani ocÉmilie r t e A–S agent animalier aumrefuge du Cotentin o S t c u t é i e S c n i p e a – m iété e de A – S ce d ux – rote aux prot s an ocié es a Soc ctric – SP ectr c tric SP ctri a é p im té de – S e d x – ote ux rot o S ec x – te nim iét an cié ice PA ric au pr a é p des t t o m r c t a o t s S c i r u m é o i x x s c r im t a ié o an rice ote oc au nim es tec iété – So ux – s an des trice té p – S au e de r t S nim s a e d pro oc PA ma de ice tec cié ux nim ric ec é p – rot iét aux s a de tric été A – S S ani ice ctr ro So ma s a ect

92 - LES CAHIERS DU TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN - AUTOMNE 2021


P r x t t t s S im a d c d a o e m e tec cié SPA x – S imau e de rotec été p ux – s an des trice té pr – So SPA nim ce d ctri tric ro So i c ec é p – ux – au an tri é p oc ima de rice tec cié PA ux – es a ctri ote t c m t A t s S i an rice ect pro – So x – S ima e d rote pr cié cié SP ima an de ote cié – So x – an es ice pr So aux des ect rot té A au an tric p iété So au des ce d ectr iété ux – nim ice prot té p ocié – SP nim des otec ciété Soc ux – es a nim ice ctri rot Soc ma s a ectr été ocié – S aux es a ice pr So x – ima e d ro ctr ote té p x – ani e de rot oci – S SPA im e d ectr iété x – au an tric é p ote é pr cié au des ctric été p A – S SPA ux – es an ctric prot Soc imau anim des rotec ciét A i o P – e s n e e a p P d iét So nim e – c é –S –S oc x – s a tric rot So – S ux im ce rot iét ux s a de tric té au de tec té p A – ux ima s an ctri té p Soc ima e de trice otec ocié SPA aux es nim trice pro cié SP ima an de rote cié x – s an tric tec pr – S x – im ce d ec été So x – an es rice é p So au de tec ro été PA au an ctri é p rot oci A – au es e d ct iét x – im ice ro té p oci – S im es te iét d P m tric rote oc au s an ctr té p cié – S ux s an ce d pro Soc – – S S ni ce – s a tri tec p – S nim de ote cié So PA ima de ctri été x – aux PA x é c u r e x o a t o – e r e a d u – S an rice ote oci au nim es es ric é p – S A P r x im ce rot é p cié a t t t s S nim es a ce d an tri é p iét So nim ce d tec cié PA – S au de tec é p – tec ciét Soc ux – es a ctri pro So – S ux nim ice pro ciét aux es a e d ctri été pro – So ux – ima ce d rote iété PA – aux nima es a tectr iété – So anim ice d ctric rote Soci – i S r ux ima s an ctr té p Soc x – anim es a ce d pro Soc ux es ect rote té p A – aux ma s an e de rote ocié A – au des ce d ectri iété ux – nima rice d prot té p ocié – SP nim de de tric té p – S – SP anim ice ctri rot Soc ima es a ect été ocié – S aux es a ice tec ocié SPA ux es ectr rote té p x – an e d rot oci – S SPA nim e d ectr iét pro – S x – ima ice d rot té p ocié mau des tric té p – S PA x – s a tric rot Soc PA au an ctr té p cié – S ani ice tec cié SPA – S au de tec té p x – an – S anim e des rote ocié – So aux des ectr é pro – So x – aux anim trice é pro ocié mau des i es ric té p – S ux im ice rot iét PA au nim es tec iét – S ani ice ctr e d tect ocié aux ima es an ectr été p Soc x – S anim es a ice d é pro Soc aux des tectr rote ét i t p i u d tr n – – s t ro S d m c a o a de rice tec cié aux anim trice pro iété Soc é p x – ani es ice pr So PA im au des ce d ectr iété A – x – S s an trice tect pro – So nim des otec ciété Soc A – au nim ice ctri rot Soc – SP au de tec pro iété aux es a ice pr So A – – SP anim i ctr ote té p A – ux nim rice pro été Soc im e d ectr iété A – SP ux es ectr ote té pr ocié – SP nima des a tect ciété Soci ux – es an ctric prot Soc – SP ux – nima ice d prot ci a a x – S tr é ro o e é x a a o d ié – e oc PA – mau des ctric été p x – S aux nim rice prot ciét SPA imau anim des otec ciét x – S s r t a o o – e S m ou une s­éparation. Et, parfois, ce sont juste des gens qui en ont marre de leur chien et qui s’en débarrassent. On essaie de ne pas juger, mais, bon… » Comme Émilie, salariés et bénévoles sont donc en contact très fréquent avec le public ; c’est une des particularités de leur travail que de se retrouver en situation de « médiation » entre les humains d’un côté et les animaux de l’autre, qu’il s’agisse de petits animaux ou de plus grands.

Un paradis équin 4 étoiles

Nouvelle étape dans l’Orne, département choisi par la SPA pour y ouvrir en 2015 son « Grand Refuge », sur le territoire de la petite commune de Pervenchères. Trois cent quarante habitants et encore plus de chevaux depuis que la SPA s’est installée sur cette terre de cheval, soit l’endroit parfait pour accueillir et remettre en forme des équidés venant de toute la France. Le lieu pourrait figurer dans une brochure touristique : un très long chemin étroit bordé de haies bocagères ; un terrain vallonné et arboré ; au bout, une ancienne ferme typique du Perche, couleur sable, aux toits de tuiles brique. Tout autour, sur 150 hectares, des champs et des chevaux. C’est Stéphanie Girard, 41 ans, qui préside aux destinées de ce havre vert. Ici travaillent dix-sept salariés à temps plein, en CDI, dont un gardien qui vit sur place, quatre agents techniques pour les espaces verts et une personne à l’accueil. À cette équipe s’ajoutent une vingtaine de bénévoles. Le Grand Refuge est un peu à part au sein de la SPA, puisqu’il n’accueille que de grands animaux, en provenance de toute la France. Ils arrivent ici parce que leur propriétaire ne peut plus s’en occuper et n’a pas trouvé à qui le confier, ou

Société protectrice des animaux 60 refuges.

40 000 animaux pris en charge. 700 salariés.

4 000 bénévoles.

16 894 animaux abandonnés de début mai à fin août 2021, dont une majorité de chats et de « Nac », les nouveaux animaux de compagnie – lapins, cochons d’Inde, etc. Un sinistre record. 72,2 millions d’euros de budget en 2020, dont 9,7 millions de frais d’adoption, le reste provenant principalement de dons et de legs. www.la-spa.fr

après une saisie judiciaire. « On ne peut pas accueillir tous les animaux pour lesquels les gens nous appellent, nous serions débordés, souligne Stéphanie. Donc, on commence toujours par inciter les propriétaires à essayer de trouver une solution par eux-mêmes pour leur animal. On privilégie ceux qui nous ont été signalés, qui arrivent ici après enquête des délégués enquêteurs. Il faut bien comprendre comment on fonctionne, on ne débarque pas comme ça pour enlever un animal ! Mais on reçoit des signalements pour des animaux, par exemple un cheval qui semble un peu laissé de côté dans un champ, et on prend contact avec le propriétaire pour essayer de comprendre ce qui se passe. On cherche ensemble une solution, on essaie d’aider et de conseiller. Souvent, les personnes en profitent pour se débarrasser de leur cheval. Mais parfois la personne ne veut rien entendre, dans ce cas, si elle refuse de nous le céder, on fait un dépôt de plainte et on attend la décision de la justice. » Stéphanie souligne cependant qu’il y a peu de vrais cas de maltraitance chez les animaux accueillis dans l’Orne,

LES CAHIERS DU TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN - AUTOMNE 2021 - 93


S

é d – ce t ux ro s a oci tr im té t i S x c o é r e – ote an cié an oci ric PA tri au p ma té p de – S d r s o des – S ect x – S tec nim iété ani cié ice PA rice p e S – //icSPA e ux rot au pro s a Soc es So ctr – S tect im été ice dREGARDS A n d x – ote ux ro P ctr ma é p im été de – a r e S t s t c r i ié an ci ice PA tri au p a é p de tec ux – rote s an ocplutôt m r – t o s S i é c t m S e de la négligence, comme un che- te enfant.i Certainsétn’hésitent pas àiéécrire ce n c A p – a e S a d n i e c – ot un pré, é c edes demandes a les formulaires o qu’ils ro dans est xoublié dans tri – SP te ux jamais o cequi ajamais s S c r p u vermifugé, nim ciét rice d PA – trval a ibrossé, S d tondre p imet qui ne – la pelouse  âne e pour te ! » ux ro deveulent –unchevaux té voit o ct – S ec jamaisimde maréchal-ferrant x é o é t c r S e n i u A i – autant de Quelques disponibles à l’adopt an cié s a oc ric SP ctr p ima té p d a é x – rote aux pro essoins t m être t maisanc’est cié ice o sontdindispensables e – S pour i montés, c le x –tion opeuvent épour te ce cas, Squi n i p im té d garder e t en bonne santé. rare. Dans comme les c a s adop-So ctr – r e x é u o o e c aussi s r p u a ét an ocié rice PLeA refugetrireçoit S e ou– de chats, dune présenp desimani- tétions dedchiens a parfois – ote ux el’animal s S ct – S mauxtesur x c réquisition. é m é t c i Ainsi, il y a peu, une tation est organisée entre et sa r e e n i u A i r d’équitation p ima a oauc future ié sonts arrivés a P et lecniveau ic famille, t r c S é ro s ande pur-sang e d ux – rote aux pquarantaine t o de on– Sa eu ecaffichéxpar imou la future – le futur ét s an ocié te cavalier e n i p a GranddRefuge. « DSès le lendemain, é t o c a m t – r e o de – S s un éthologue. im té ni ié icecentaines pévalué par ux pdero cavalière au est icde propriétaires A d’appels S e r a P é t m d an ocié es a Soc ctrdes – t e ux rot c eu l’info é ni ié ce m chevauxSqui avaient et sentaient t c i e A i – é t S r n a e c d x – ot laubonne i Ons Desobénévoles P ct ma é p i heureux x affaire, o sourit Stéphanie. r a c – S r e t o s S e i : iét an r c c autrexparticularité p qu’on u p – ote de laanSPA  A tri a a expliqué e S leur castrait les mâles, Encore tune d e a – é d c es m t – r les salariés e auxux la grande u entre c im été ni et qu’on o proximité c s leurs papiers etSo e retirer r p ié pouvait a e i A c e t d x r n c p i a a i P ne servent é 54 ans, t plus m Fabrice, r qu’elles o s a oc es Sfemelles, d estA l’un – t o ctpour e i à tles bénévoles. S c é m é c i e n e i –et ça aofait t un scandale  cc’est unSPamou-ctri au e – S e d x – la reproduction, n !cié d’eux.s aChauffeur e c i de bus, x t r a d o r o reux s beaucoup S chiens, e des gros ro on a aussi e nim ié ctmais xil ne p à coup – peutopas au euétout t e ce SPA tric au é pMais S d e – t d m t – Il ice se permettre r en s a Soc x d’en c im ét moinsnide volontaires o avoirauun chezplui, pour l’adoption. é e r u i e A – c t r n c p i a P retroué dile – ce t iappartement. pas Au refuge du tCotentin, m o contrine veut i s acomprendre, S c é ux pro es a Soc efaut m é t S n e nest en itrain i ice PA tri – unocentre é t ver nos– équidés épuisésxdans de adevenir l’indispensable e c d t é a d c o – s t r attends homme e ux c’est tr entre– S tec u qu’on o à dtout e faire. S Aujourd’hui, ro une retraite c p a e S p e a – cié trice SPA ctric méquestre, x la ro s an équi arrived et –deux visites t il répare t pour eux. Alors, laim personne auxxanimaux, e é u o t é c e i r p e c u n i a e – ot an nousciédit “Je veux c le plusSPA porte rid’entrée a: « Quand e c p a i le plus vieuxrou on arrive les preé t x t m t o i s c é t r é ice d PA t lesasalariés o d!”,eon l’accueille S à bras imau refuge, ro au é p es Smalade  n c e i ouverts  ! ». mières fois nous – é t n e c i – a pourocvoir comment d – Systématiquement, s onSseo com-ctr – S im t e ux avant uxadop-pro observent s e rot chaque a e S d p rt icest organisée an ocié trice SPA ction, a – Fabrice, é porte te ux ro une prévisite du futur avec–les animaux, raconte d m t e x é i o m t é c e i r S p c u i ric et ensuite i autoriséa à s’occuper A on est – ote lieuaden vie deciél'animal a:n« On demande de a r e c p P – é t x t m t o i s S té en foncs pourSoun lama, S un poney, imde chiens, e1 500 pour n cié ic ct xtelle eccatégorie ux pro mau é pr d500 m – ou telle é t e n a e d i – t o a c –Stéphanie, s les So ctr » Àola SPA, e tous x qu’ilsrodoiventau tion deprnotreeaisance.  e sachant é ni iét ce détaille t s c u A i é S d p r a i a êtreéheureux,icar – ote u c i êtrePau moins chiens é sontden effet–classésceen fonction t deuximpour m t x c t é oc des – So ectr –ceSsonttdes e nque cide leurriccaractère, e animaux i au pr ma A doux,trlunatique, etc. grégaires. é Il faut n i a P x t o a c o s S et cdet leur –puissance S tecphysique, e r es d’accueil x u pconditions o soientdeconformes im cariélaté ani c S n e ric au é pro ima téles – t ux d’unrodogues ane requiert aux besoins soitxpour opromenade d deAl’animal, c es So – icque eduçaterrain, m t o é r e i p n u i a é e l’espace, la configuration la pas les mêmes biscotos que celle c S n ci s a oc tri SP ctr ma é p im té d – d’une d x – o a t achihuahua. c au pr e cages, i ivégés So de – S teprésence c x –d’une mare n cié Prèsricdes e ou d’espèces A à côtétrides é t n P o a c o – nous donc m S affiche r Pareexemple, utoxiques… o n’als fourbu, S un egrand i iété es laisses, ct tableau ec chien, p a A trice aux pro tales – t S n d – lons pas confier un animal qui les pastilles attribuées à chaque P x t é o a d m éent se déplaçant, – personne S ec im été nisouffre ro bleu,aurouge é: lespr« verts e»ssont Soc des e PAà une ce auxvert, jeune, i i c t p r a n i c i d sortis– ce u oa un terrain S Généralement, im et ipeuvent tr très–pentu. ct im les téplus afaciles ét iceêtre S c n pro es a Soc des –qui e A tri a é t n e c i Ptrois x les genst comprennent notre démarche, par lessbénévoles qui ont plus de r o a c d o – S e c im t r x u o s actionSo moisded’expérience, S les rcertainsaconfondent c « rouges  p – bonne », pluste e n c e p – ir ce SPA ctric mau tmais x t é o a d m – t r i x e é o u o s et bonne affaire  : ils veulent un poney aux difficiles, sont réservées aux agents anié r e c u p a é p de – ote ani cié an ci ric PA tri S a x m t – yeux bleus pour le faire monter par leur maliers ou aux éducateurs canins. Le S ec im té ni ié u pr s o es So ct e ma iété e de A – S ce d ux – rote aux – prot s an ocié es a Soc ctric – SPA ectr c tric SP ctri a é p im té de – S e d x – ote ux rot o S ec x – te nim iét an cié ice PA ric au pr a é p des t t o m r c t a o t s S c i r u m é o 94 - LES CAHIERS DU TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN - AUTOMNE 2021

i x x s c r im t a ié o an rice ote oc au nim es tec iété – So ux – s an des trice té p – S au e de r t S nim s a e d pro oc PA ma de ice tec cié ux nim ric ec é p – rot iét aux s a de tric été A – S S ani ice ctr ro So ma s a ect

2


P r x t t t s S im a d c d a o e m e tec cié SPA x – S imau e de rotec été p ux – s an des trice té pr – So SPA nim ce d ctri tric ro So i c ec é p – ux – au an tri é p oc ima de rice tec cié PA ux – es a ctri ote t c m t A t s S i an rice ect pro – So x – S ima e d rote pr cié cié SP ima an de ote cié – So x – an es ice pr So aux des ect rot té A au an tric p iété So au des ce d ectr iété ux – nim ice prot té p ocié – SP nim des otec ciété Soc ux – es a nim ice ctri rot Soc ma s a ectr été ocié – S aux es a ice pr So x – ima e d ro ctr ote té p x – ani e de rot oci – S SPA im e d ectr iété x – au an tric é p ote é pr cié au des ctric été p A – S SPA ux – es an ctric prot Soc imau anim des rotec ciét A i o P – e s n e e a p P d iét So nim e – c é –S –S oc x – s a tric rot So – S ux im ce rot iét ux s a de tric té au de tec té p A – ux ima s an ctri té p Soc ima e de trice otec ocié SPA aux es nim trice pro cié SP ima an de rote cié x – s an tric tec pr – S x – im ce d ec été So x – an es rice é p So au de tec ro été PA au an ctri é p rot oci A – au es e d ct iét x – im ice ro té p oci – S im es te iét d P m tric rote oc au s an ctr té p cié – S ux s an ce d pro Soc – – S S ni ce – s a tri tec p – S nim de ote cié So PA ima de ctri été x – aux PA x é c u r e x o a t o – e r e a d u – S an rice ote oci au nim es es ric é p – S A P r x im ce rot é p cié a t t t s S nim es a ce d an tri é p iét So nim ce d tec cié PA – S au de tec é p – tec ciét Soc ux – es a ctri pro So – S ux nim ice pro ciét aux es a e d ctri été pro – So ux – ima ce d rote iété PA – aux nima es a tectr iété – So anim ice d ctric rote Soci – i S r ux ima s an ctr té p Soc x – anim es a ce d pro Soc ux es ect rote té p A – aux ma s an e de rote ocié A – au des ce d ectri iété ux – nima rice d prot té p ocié – SP nim de de tric té p – S – SP anim ice ctri rot Soc ima es a ect été ocié – S aux es a ice tec ocié SPA ux es ectr rote té p x – an e d rot oci – S SPA nim e d ectr iét pro – S x – ima ice d rot té p ocié mau des tric té p – S PA x – s a tric rot Soc PA au an ctr té p cié – S ani ice tec cié SPA – S au de tec té p x – an – S anim e des rote ocié – So aux des ectr é pro – So x – aux anim trice é pro ocié mau des i es ric té p – S ux im ice rot iét PA au nim es tec iét – S ani ice ctr e d tect ocié aux ima es an ectr été p Soc x – S anim es a ice d é pro Soc aux des tectr rote ét i t p i u d tr n – – s t ro S d m c a o a de rice tec cié aux anim trice pro iété Soc é p x – ani es ice pr So PA im au des ce d ectr iété A – x – S s an trice tect pro – So nim des otec ciété Soc A – au nim ice ctri rot Soc – SP au de tec pro iété aux es a ice pr So A – – SP anim i ctr ote té p A – ux nim rice pro été Soc im e d ectr iété A – SP ux es ectr ote té pr ocié – SP nima des a tect ciété Soci ux – es an ctric prot Soc – SP ux – nima ice d prot ci a a x – S tr é ro o e é x a a o d ié – e oc PA – mau des ctric été p x – S aux nim rice prot ciét SPA imau anim des otec ciét x – S s r t a o o – e S m f­eeling du bénévole compte aussi : « Il y a des animaux qu’on sent plus ou moins, témoigne Fabrice, qui vient au refuge deux à trois fois par semaine. Avec l’expérience, j’ai appris à distinguer le chien qui aboie pour t’avertir que tu ne dois pas aller le voir de celui qui est juste frustré et impatient de sortir. » À Cherbourg, les chiens, petits comme grands, peuvent sortir dans trois très grands enclos herbus, à tour de rôle ; dans d’autres refuges, comme à Hermeray, dans les Yvelines, ils peuvent aussi faire des promenades dans les champs autour du refuge. Mais être bénévole ne consiste pas uniquement à sortir les animaux : il faut aussi nettoyer les cages, ou vider les litières, ce qui est un peu moins plaisant. Le tout sans trop s’attacher aux bêtes, qui ne sont pas au refuge pour y rester ad vitam aeternam. Les agents animaliers y veillent : « On nous conseille de ne pas trop faire de câlins aux animaux, pour ne pas compliquer l’adoption, il faut trouver la bonne distance, témoigne Fabrice, que son bénévolat à la SPA rend visiblement très heureux. Ici je m’aère l’esprit, ça me fait du bien et je suis utile, c’est parfait. Il y a une super bonne ambiance, les bénévoles ne sont pas moins considérés que les autres. » « Sans les bénévoles, la SPA ne serait pas la SPA », résume Fabienne, la responsable du refuge cherbourgeois. Comme Fabrice, Dominique parle d’un « grand bonheur » quand elle évoque son activité de bénévole au Grand Refuge de Pervenchères. Elle s’est proposée dès l’ouverture, après avoir vu dans le journal que la SPA cherchait des bénévoles. Attachée commerciale tout juste à la retraite, elle ne connaissait pourtant rien aux chevaux en arrivant : « Je faisais toutes les petites choses, mettre du foin, changer l’eau… Je suis ensuite devenue

déléguée enquêteur, je vais faire les prévisites avant les adoptions, et les post-visites, six mois à un an après. C’est très chouette parce qu’on fait de belles rencontres avec des gens très impliqués dans la cause animale. » Aujourd’hui, à 67 ans, Dominique ne va plus dans les boxes des chevaux pour manier la fourche, mais elle aide Noémie, qui travaille à l’accueil, et prépare notamment les papiers destinés à l’adoption.

Une nouvelle vie pour Sunny

Aujourd’hui, c’est le grand départ pour un chaton du refuge du Cotentin. Toute la famille de quatre personnes est présente. La mère, Françoise, remplit les papiers avec Fabienne, et règle les frais – 150 euros. Ils ont déjà eu deux chattes par le passé, Choupette, puis Chipie, adoptée adulte, il y a deux ans, déjà à la SPA. « C’était une chatte super gentille, mais elle a disparu, nos voisins ont fait des travaux, c’est peut-être ce qui lui a fait peur. On l’a cherchée partout, mis des affiches, sans succès », se désole Gérald, le père. Aujourd’hui, la famille va donc repartir avec Sunny, adorable chaton blanc à tâches colorés. Un coup de foudre mutuel : quand la petite boule de poils leur a été présentée par un bénévole, elle s’est tout de suite offerte aux caresses, un bon signe. « On voulait prendre un chat avec une robe peu commune pour que, si jamais il disparaissait, on puisse le retrouver plus facilement », précise Gérald. Dans sa cage de transport, le nouveau membre de la famille pousse un petit miaulement discret, et aussitôt toute la famille s’attendrit. Les deux grands ados, Loïc et Yohann, sont aussi émus que les parents. Sunny est bien tombé, sa nouvelle vie de chat choyé peut commencer.

LES CAHIERS DU TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN - AUTOMNE 2021 - 95


REGARDS REGARDS

Fraternités

Les associations multiplient les initiatives et débordent d’idées pour donner corps à la fraternité. Chaque saison, vous trouverez ici des idées, des noms et des pistes. Par Philippe Clanché

Vichy – Ordinateurs pour tous « Former et équiper des populations en difficulté ou défavorisées pour permettre l’accès à l’informatique et à Internet à tous. » Tel est le projet de l’association Libraisol, acronyme de LIBRe Association Informatique SOlidaire Linux, lancée en 2019 dans la préfecture de l’Allier. Ses adhérents récupèrent et recyclent des ordinateurs inutilisés. Une fois remis en état et équipés de logiciels libres comme Linux, ils sont gratuitement mis à disposition de foyers modestes, adressés par des associations caritatives ou des organismes sociaux. Au-delà du prêt de l’appareil,

les informaticiens militants de Libraisol assurent la formation des nouveaux usagers, lesquels sont invités à participer ensuite à la diffusion de leur nouveau savoir-faire auprès d’autres bénéficiaires. On devine le succès de l’association auprès des familles quand l’an passé l’outil numérique est devenu indispensable pour la scolarité ou le travail des adultes. L’association agit en partenariat avec les collectivités locales, Les Restos du cœur, le centre d’affaires L’Atrium et une entreprise de transports. libraisol.fr

Liban – Rentrée scolaire solidaire Comme chaque année, Solidarité laïque appelle à vivre une rentrée solidaire. Après la République démocratique du Congo en 2019 et Haïti l’an passé – 60 000 jeunes s’étaient mobilisés au sein de 400 structures –, c’est le Liban qui est au cœur de toutes les attentions. Depuis le début de la crise sanitaire en mars 2020, le nombre de jeunes Libanais déscolarisés a doublé, atteignant 1,2 million d’enfants. Si les particuliers peuvent contribuer, ce sont avant tout les communautés éducatives qui sont invitées à se mobiliser. Il s’agit de récupérer du matériel scolaire neuf ou en très bon état pour le déposer dans les antennes locales de la MAIF ou de la MAE. On peut également récolter de l’argent qui permettra des achats sur place, au bénéfice de l’économie locale. La rentrée solidaire permet aussi de discuter en classe des problématiques liées à la rupture éducative causée par les crises sanitaires, politiques ou encore économiques, et de sensibiliser à la solidarité internationale. rentreesolidaire.org ou 01 45 35 13 13 96 - LES CAHIERS DU TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN - AUTOMNE 2021


Paris – Aux côtés des enfants handicapés Depuis plus de dix ans, Sophie de Sainte Maresville connaît le quotidien d’une mère qui accompagne son enfant handicapée. Elle a fondé l’association S.A.S.H.A (Structure d’accompagnement de la surdité et des handicaps associés), à partir du nom de sa fille, sourde profonde, pour améliorer l’existence de tant de parents qui vivent « l’isolement, des agendas surbookés, l’oubli de soi, le regard des autres ou une inclusion difficile ». L’association propose des activités – ateliers cuisine ou peinture, yoga, éveil musical, cours de langue des signes (en visio), visites de lieux culturels –, toutes étant l’occasion de se détendre, de se rencontrer entre familles et entre enfants touchés par divers types de handicap. Elle est en lien avec un réseau de neuropsychiatres pour favoriser l’accès à des bilans spécialisés, non remboursés par la Sécurité sociale. Au service pour l’heure d’une centaine de familles, S.A.S.H.A est prête à en accueillir de nouvelles, mais aussi des professionnels et des parents accompagnants pour multiplier les projets en région parisienne – par exemple dans le domaine du sport –, voire accompagner des structures similaires ailleurs. sasha-assoc.com ou 06 13 82 88 02

Nice – Un vélo cargo pour servir des repas Depuis 1926, l’Armée du Salut vient en aide aux nécessiteux de Nice. Chaque jour, entre 100 et 120 repas sont préparés au restaurant social Béthanie, grâce à une équipe comprenant trois salariés, deux bénévoles et un employé de l’entreprise qui conçoit les repas. « Comme il nous restait souvent des repas, nous avons cherché comment les apporter aux personnes éloignées ou qui ne peuvent se déplacer », explique le capitaine Rodrigue Mounguengui, pasteur et responsable du poste. De ce constat est né le projet d’acheter un vélo cargo pour apporter au plus près les repas. Le quartier général a validé l’idée et financé le véhicule. Ce ser-

vice s’ajoutera aux multiples autres activités menées par ­l’Armée du Salut dans les Alpes-Maritimes : colis aux familles – avec la Banque alimentaire –, maraudes du soir et soupe de nuit, vestiaire, aide aux devoirs scolaires, cours de français, accompagnement des personnes à héberger en lien avec la ville. Église membre de la Fédération protestante et organisation humanitaire à travers sa fondation, l’Armée du Salut compte en France 23 postes (ou paroisses) comme celui de Nice et 220 établissements et services. www.armeedusalut.fr/postes/postenice ou 04 93 85 88 97

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Sociologue, éditeur, prospectiviste, Jean Viard ne s’est pas contenté de commenter les polémiques qui se sont succédé sur la manière de combattre le coronavirus ou de suivre les courbes statistiques de la pandémie. Il s’est demandé ce qu’elle produisait : des mutations accélérées qui ne sont pas seulement celles des variants, mais celles de la société française… et du monde.

© Denis Dalmasso / Hans Lucas via AFP

La révolution du virus


Témoignage chrétien – Comment décririez-vous ce que nous vivons depuis presque deux ans maintenant ? Jean Viard – Pour moi, c’est une tragédie créatrice. Pendant la tragédie, on voit la souffrance, la mort, les gens abandonnés, le surmenage des médecins et des soignants, toutes les difficultés, tous les drames. On est encore dedans. Après une guerre, il faut en moyenne deux à trois ans pour que les entreprises retrouvent leur équilibre. Aujourd’hui, beaucoup sont flottantes et ne savent pas si elles pourront rembourser les emprunts qui leur ont été accordés. Il ne sera pas possible de mettre en faillite toutes celles qui n’y parviendront pas. Mais il n’y a pas que l’économie. Un million deux cent mille couples déclarent vouloir se séparer… Combien le feront ? De même, deux millions de personnes se préparent à déménager, certaines ont déjà franchi le pas, mais les autres ? On peut aussi s’attendre à de nombreux suicides, en particulier chez les jeunes… On peut cependant faire un autre récit, en constatant que pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, cinq milliards d’êtres humains – si on ne compte pas les enfants – se sont enfermés chez eux pour protéger les plus vieux, les plus fragiles, les plus gros… On ne peut plus dire que les gens ne pensent qu’au fric, que seule l’économie compte. Ce n’était jamais arrivé auparavant. Il a suffi de trois mois pour constater, puisque le virus se transmet de personne à personne, que tous les hommes se touchent. L’humanité s’est réunifiée ! Elle est en train de le faire. C’était déjà en marche avec le tourisme, puisqu’en 1968 on ne comptait que 60 millions de touristes internationaux par an et qu’aujourd’hui on est autour d’un milliard et demi, et qu’on atteindra bientôt les deux ou trois milliards. La pandémie a montré que l’humanité fait corps ! Mais le virus n’est pas la seule cause de bouleversement… Le numérique joue un grand rôle. Le tournant s’était amorcé en 2004 avec l’arrivée de Facebook, suivi en 2006 de Twitter. Mais la pandémie a considérablement accéléré le mouvement : tout d’un coup, avec le confinement et le retour brutal des frontières pour des raisons sanitaires, nous avons découvert que notre lien avec les autres passait par le numérique. C’est un basculement gigantesque, qui touche évidemment la vie professionnelle. Nous avons fait l’expérience massive, en grandeur réelle, du télétravail. 50 % du travail s’est organisé de cette façon. On a vu qu’un Parisien sur quatre avait quitté Paris pendant le premier confinement ! Et, aujourd’hui, 78 % des personnes interrogées disent vouloir rester en télétravail au moins deux jours par semaine. 48 % souhaitent même trois jours par semaine. Et on a découvert qu’on est plus productif de 22 % en télétravail ! Du coup, en travaillant à Tours, vous pouvez habiter à Orléans, à Mortagne… Cela crée un effet « petites villes » : 700 000 ou 800 000 personnes sont en train d’acheter une deuxième maison, là où les prix sont abordables. Elles se préparent pour une nouvelle pandémie, qui pourrait peut-être s’en prendre aux enfants, ce qui serait bien pire.

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GRAND ENTRETIEN // LA RÉVOLUTION DU VIRUS

Mais une partie de ces changements ne datent pas d’hier… On était à la fin d’un cycle. Alors que, pendant cent cinquante ans, nous étions tous d’accord sur les bienfaits du progrès, depuis une grosse vingtaine d’années, on n’a plus confiance. Pourtant, on a gagné huit ans d’espérance de vie depuis l’élection de François Mitterrand, et vingt-cinq ans depuis la guerre, c’est-à-dire autant que ce qu’on avait gagné depuis Jésus-Christ ! C’est considérable. Quand la vie est longue, on peut en vivre plusieurs en termes professionnels, affectifs, géographiques… Nous sommes entrés dans une société de discontinuité. Nous devons en tirer des leçons. Cependant, avec la crise écologique, nous nous sommes aussi rendu compte – et le virus l’a rendu encore plus évident – que les humains ne sont ni maîtres ni possesseurs de la nature. Au contraire, les transformations que nous lui avons imposées font qu’elle peut nous détruire. Qu’est-ce qui change avec la pandémie ? Le travail nous est apparu sous un jour positif : c’est du lien, de la créativité et même de l’affection. Nous sommes capables de coopérer. Ce qui s’est passé avec la mise au point si rapide des vaccins est remarquable, même si tout n’a pas été parfait. On s’est aussi aperçu que les chaînes de valeurs dans la production ne sont pas la seule chose qui compte – ce qui va à l’encontre des choix de délocalisation qui avaient été faits. Les frontières nous sont apparues utiles. Il est possible d’articuler des « bouts » de frontières pour se protéger, avec une collaboration internationale. On sort de l’opposition société ouverte/société fermée pour aller vers des sociétés semi-fermées qui travaillent ensemble. Nous avons appris que nul ne peut s’en sortir seul, pas même les riches. C’est encore plus vrai avec le changement climatique : soit les sociétés vont entreprendre de se battre ensemble contre le réchauffement – il faut le maintenir en dessous de deux degrés – soit deux tiers de l’humanité risquent de disparaître à moyen terme. La question climatique risque de créer des phénomènes de panique, très vite. Quelles en sont les conséquences politiques ? La pandémie n’a pas favorisé les extrêmes. Trump n’a pas été réélu, le Rassemblement national recule, comme l’AFD en Allemagne. Les régimes populistes ont été lamentables. Mais nous avons le choix entre deux modèles qui ont montré des formes d’efficacité différentes : celui des démocraties et celui du totalitarisme chinois. Deux récits de la pandémie sont en concurrence : celui de l’humanisme démocratique et celui de l’efficacité chinoise. Mais, à vrai dire, on ne sait pas ce qui se passe en Chine, ni comment les Chinois ont été eux aussi transformés par la pandémie. Il y a donc une bataille importante qui se livre sur le marché des convictions et elle est planétaire. Quel modèle allons-nous choisir ? Par ailleurs, indépendamment de la pandémie, la baisse de la natalité est un souci majeur à l’avenir. Le modèle féminin qui s’est imposé sur presque toute la planète est celui des séries américaines : pas plus de deux enfants et… le ventre plat ! Mais

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Penseur, entrepreneur et néorural « La vie, ce n’est pas d’apprendre que les orages passent, c’est d’apprendre à danser sous la pluie. » Cette parole de Sénèque est presque un autoportrait de Jean Viard, qui l’a placée en exergue de son dernier livre. À 13 ans, lorsque les pieds-noirs arrivent à Marseille, il est sur le port pour les accueillir, non qu’il regrette l’Algérie française – son père, enseignant, est proche du FLN – mais « pour le respect qu’on devait à ces gens-là ». L’année suivante, il travaille l’été comme manœuvre sur des chantiers. Il y apprend à se servir de ses mains, ce qui lui sera bien utile lorsqu’il achètera plus tard une « ruine au milieu des cailloux » dans le Luberon et une bétonneuse. Il est alors assistant à la fac d’Aix, où il a étudié l’économie. Il fera de cette maison son domicile en 1975, après avoir perdu un fils. Cette confrontation à la mort, dit-il, l’a fait mûrir et, très certainement, poussé à « devenir acteur de la réalité ». Un an plus tard, il entre au CNRS, où il aura un parcours pour le moins atypique. En 1980, Jean Viard soutient une thèse de sociologie dont Edgar Morin a accepté d’être le directeur. Quand il veut publier son premier livre, La Campagne inventée (1978, coécrit avec Michel Marié), il croise Hubert Nyssen, qui cherche un premier auteur pour lancer Actes Sud. Il deviendra secrétaire général de la maison d’édition avant de fonder Les éditions de l’Aube en 1987. Il publie Václav Havel, Gao Xingjian, prix Nobel de littérature en 2000, des auteurs afghans, algériens… Il y a plus de 1 800 titres au catalogue à ce jour ! Directeur de recherche au CNRS et à Sciences Po, il exerce son regard décalé sur la société française et considère qu’« étant payé par les impôts de gens pour penser », il se doit de porter les fruits de sa réflexion « là où cela agit ». Élu socialiste à Marseille en 2008, il a été vice-président de la Communauté urbaine Marseille-Provence-Métropole. À l’approche de l’élection présidentielle de 2017, ce proche de François Hollande considère, avant bien d’autres, que l’avenir est du côté d’Emmanuel Macron… Parce qu’il faut que cela bouge : même s’il s’est installé à la campagne, Jean Viard n’est pas du genre à rester les deux pieds dans le même sabot. J.-F. B.

la question de l’enfant, c’est aussi celle de la transmission culturelle. Je pense qu’il faut encourager les naissances pour assurer la reproduction… des cultures. Et quelles leçons pour la France ? La pandémie nous oblige à sortir des visions qui prévalaient jusqu’ici. Il y en avait plusieurs : celle du modèle de l’activité économique divisée en primaire/ secondaire/tertiaire ; celle de l’opposition grandes villes/petites villes ; celle de

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GRAND ENTRETIEN // LA RÉVOLUTION DU VIRUS

la société de classe capital/travail. On voit aujourd’hui apparaître trois groupes sociaux très différents. Tout d’abord, les gens de ce qu’on peut appeler, de manière très large, le care : les gens du service, depuis les soignants jusqu’aux caissières, en passant par les livreurs, les chauffeurs et les enseignants. Ils sont essentiels et on devrait créer un Smic social, car leurs contraintes ne sont pas celles du monde de la production. Il faut repenser le logement social, de sorte que le revenu ne soit pas le seul critère d’attribution, mais qu’intervienne aussi l’endroit où l’on travaille. Il est inadmissible que des infirmier·e·s ou des ­instituteur·rice·s soient contraints de se loger à une heure et demie de trajet de leur lieu d’activité ! Le second groupe social, c’est celui du monde de la production, celui des usines et des paysans. Ils vont avoir le sentiment d’y gagner, parce qu’on va recréer de l’activité locale. Mais c’est un monde qui est sur le recul : l’industrie, c’est seulement 13 % des emplois. Il n’y a plus que 440 000 fermes, alors qu’il y en avait trois millions en 1960. Enfin, 50 % de la population se rattache au monde du télétravail. On considère que cela peut concerner 60 % de la population à raison d’un jour par semaine. Ce n’est évidemment pas tout rose. Il y a des problèmes de limites, de conflits familiaux. Les femmes risquent de perdre une partie de ce qu’elles ont gagné, en étant assignées au télétravail en même temps qu’à la garde des enfants à la maison ! Les déménagements qui s’annoncent peuvent aussi créer des tensions locales, dans des régions où la question de l’identité culturelle est prégnante. Pour ma part, je crois qu’il faut créer cent mille « lieux tiers », où se côtoiraient la possibilité de coworking, des accès aux services publics – pouvoir être aidé pour les impôts, par exemple –, une sorte de maison du peuple au niveau local, avec la possibilité de manger un morceau, et aussi la présence d’artistes, de musiciens, avec des spectacles le soir ou des cours de danse, de peinture ou autre… On a besoin d’espaces vivants, créatifs…

« Mai 68, puissance cent » Jean Viard a pensé qu’après un peu plus d’un an de crise sanitaire, il était urgent d’en tirer les leçons pour ne pas rater le train des changements résultant de la Covid-19. Il le fait avec son regard de sociologue prospectiviste, en homme solidement implanté dans le territoire. Son livre dresse le portrait d’une France qui n’est pas regardée depuis la capitale. Il propose « seize leçons pour avancer » et dessine « douze utopies pour réenraciner la démocratie ». Cet ouvrage qui fourmille d’informations bouscule les lieux communs et les fausses certitudes. « Ce que nous venons de vivre, écrit-il, [c’est] une révolution mentale. » La révolution que l’on attendait est arrivée. Le réenchantement du territoire, Éditions de l’Aube/Fondation Jean-Jaurès, 240 p., 17 €. J.-F. B.

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Les injustices sociales comptent-elles encore ? Aux extrêmes, là où les différences se sont beaucoup creusées, bien sûr, car elles sont insupportables. Mais pour tous les autres, l’immense majorité, en réalité, nous n’avons jamais été aussi homogènes, aussi semblables, avec les mêmes modèles de consommation, les mêmes comportements, les mêmes voitures… Avec le prélèvement à la source, on voit bien que l’écart de revenu, en net, n’est pas si grand. Après redistribution, il était, fin 2020, selon l’Insee, de 1 à 5,8 – dans les années 1960, les syndicats demandaient qu’il soit limité de 1 à 8. Mais il ne faut pas regarder seulement les choses du point de vue économique. Dans un contexte de très forte homogénéité, ceux qui sont différents dérangent, et c’est, entre autres, ce qui arrive aux musulmans. Comment cela donne-t-il une nouvelle vision de la France ? En termes d’appartenance, ce qui compte désormais, c’est d’un côté le lieu et de l’autre le corps – c’est-à-dire le genre, la « race », le sport et même d’une certaine façon la religion – plus que la classe sociale. Il faut réorganiser notre vie démocratique à partir des nouvelles réalités. Je comprends les abstentionnistes. Les gens se positionnent comme vivant à l’extérieur de la ville. Ils vous disent, par exemple : « J’habite à une heure de Paris », et non : « Je vis à Méru. » Ils ne se sentent pas concernés par le vote. D’autant moins qu’on a empilé les structures démocratiques les unes sur les autres au point de les rendre peu compréhensibles, on a multiplié le nombre d’élus et les règles pour les choisir… Pour ma part, je suis favorable à ce que les gens disposent d’un double vote : là où ils habitent et là où ils travaillent. Pensez que Paris ne compte que 700 000 actifs – sur près de 2,2 millions d’habitants – et beaucoup de retraités qui disposent d’une résidence secondaire, alors qu’un million de personnes viennent de banlieue pour y travailler et font vivre Paris, sans parler des millions de touristes. Ceux qui y travaillent devraient avoir voix au chapitre. En fait, l’espace français se divise désormais en trois zones : une grosse dizaine de métropoles produisant 61 % du PIB ; les terres arables et forestières, qui sont le cœur d’un modèle écologique ; et, entre les deux, les lieux où l’on habite. 30 % seulement des Français vivent en appartement – et une partie non négligeable d’entre eux dispose d’une résidence secondaire, qui peut être celle de leurs parents – contre 65 % dans une maison avec jardin ! On a deux modèles résidentiels et il faudrait, à partir de là, proposer un nouveau maillage du territoire. Il y a donc beaucoup de choses à faire bouger. D’autant plus que la clé écologique se trouve dans les territoires. Or, désormais, la toile de fond de la vie politique sera la question du réchauffement climatique. On sera tous d’accord là-dessus, après quoi il y aura des divergences et des oppositions sur la manière d’agir. Mais cet accord sur « la toile de fond » va inverser les objectifs et nous allons pouvoir refaire de la bonne politique. Propos recueillis par Jean-François Bouthors.

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été 2021 laisse sur l’impression de curieux télescopages. La fraîcheur sur les plages de ­l’Atlantique, les canicules en Grèce et en Afrique du Nord ; des trombes de pluie, des inondations dans le Nord et des incendies dans le Sud. Sans compter, ici et là, quelques tempêtes, typhons et autres ouragans. Les climatosceptiques sont-ils toujours convaincus d’avoir raison ? Bien sûr que oui, pourquoi voudriez-vous qu’ils changent d’avis ? Et les antivaccins ? Le fait est qu’il y a des esprits obtus, incapables de reconnaître leurs errements, même quand on leur met les évidences sous le nez. ­Rassurez-vous, ce défaut de fabrication de l’esprit, cette bêtise de la croyance, cette obstination dans l’erreur, tout cela dure depuis le début de l’humanité et n’est pas près de cesser. Télescopages, disais-je. Dans nos contrées riantes, épargnées, tempérées, nous recevons des images de l’Afghanistan reconquis par les talibans. La nuit retombe sur le pays, qui avait brièvement goûté à un semblant de lumière : presse un peu plus libre, éducation des filles, émancipation des femmes. Et retour des obscurantistes moyenâgeux, après le lamentable déballonnage des Américains, qui ont

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tout de même fini par comprendre qu’on n’impose pas, au moyen de la force et de l’occupation militaire, un modèle honni par une grande partie d’un peuple irréductible. Comme le fait remarquer un général yankee, les Afghans dans leur ensemble sont sans doute plus proches des talibans que des Américains. Si les dirigeants incultes qui gouvernent l’Amérique avaient lu Les Cavaliers de Joseph Kessel, ce que j’ai fait en cet été pluvieux, ils auraient gagné du temps. Dans ce grand roman d’aventures, aux descriptions somptueuses, aux personnages sublimes d’héroïsme, Kessel décrit un Afghanistan prodigieux de beauté, de violence, et de valeurs archaïques. Grandeur de la littérature : ce roman situé dans les années 1950, qui nous parle de traditions venues du fond des âges, de courage, d’honneur, toutes ces choses un peu ringardes à nos yeux d’Occidentaux, nous explique exactement la situation d’aujourd’hui, et peut-être le futur : si les Afghans se libèrent un jour du joug de ces abrutis pathologiques marinant dans leur crasse et leurs croyances stupides que sont les fondamentalistes religieux, cela viendra de leur propre soulèvement. Déjà, la révolte gronde, des femmes se révoltent, des esprits éclairés, la petite partie évoluée de la population, risquent leur vie en résistant. Il n’est


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pas certain que cela suffise à chasser à nouveau des fanatiques chauffés à blanc, dirigés par des chefs ivres de pouvoir et de vengeance, sauf à les tuer jusqu’au dernier. Mais une chose est sûre : si la liberté revient dans ce pays meurtri, qui fut au cours de l’histoire récente massacré par les communistes, étouffé par les religieux, ce sera par le combat des Afghans eux-mêmes, par un lent processus de prise de conscience et d’émancipation. Telle est la loi de l’histoire : la liberté se gagne toujours par le combat de la culture et du savoir, et non dans l’illusion imbécile d’un « droit d’ingérence », dont on a vu les brillants résultats en Irak ou en Libye – merci aux « intellectuels » mondains irresponsables qui, en leur temps, défendirent ces théories absurdes. On peut croire à l’universalité des valeurs, non à leur uniformité dans toutes les civilisations… L’Afghanistan redevient l’un des trous noirs de l’humanité ; chez nous, on a ressorti l’étoile jaune pour protester contre la dictature sanitaire et l’imposition du « passe » du même nom. J’ai même entendu Nicolas Dupont-Aignan gagner ses galons d’imbécile national, ce qui le hisse au niveau de Francis Lalanne, en exprimant son « opinion » sur l’épidémie que vous savez, comme si une opinion avait la moindre valeur sur un sujet qui relève de la com-

pétence scientifique. Je crois avoir de l’humour, et même goûter assez l’humour noir, mais j’avoue qu’en la circonstance je n’ai pas ri du tout. Colère froide, assortie d’un mépris sans fond pour tant de bêtise. Un peu de tristesse aussi, en constatant une fois de plus que l’école a bien mal fait son travail – en particulier concernant l’enseignement de l’histoire. Cette obscénité va d’ailleurs de pair avec la maladie qui commence à gangrener la société tout entière, avec le dévoiement de la notion de liberté : la confusion, l’ignorance, la violence incontrôlée des réactions épidermiques. Dans le petit village du centre de la France où je séjourne régulièrement avec bonheur, des imbéciles ont écrit sur la place de l’église, en lettres majuscules : « DICTATURE ». J’ai pensé à Flaubert en Orient qui, à Alexandrie, avait vu le nom d’un certain Thompson écrit sur la colonne de Pompée « en lettres de six pieds de haut. Ce crétin s’est incorporé au monument et se perpétue avec lui ». Si j’en avais le temps, je lancerais volontiers une souscription pour envoyer d’autres crétins bien de chez nous effectuer un petit voyage en Turquie, en Syrie, en Bélarus. Et même, tiens, en Russie ou en Chine. Ces Chinois sont épatants. Ils sont en train de régler le problème de l’abrutissement généralisé des cerveaux juvéniles par la surconsommation des LES CAHIERS DU TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN - AUTOMNE 2021 - 105


SAISONS // DISSIDENCES

jeux vidéo en limitant leur usage à trois heures par semaine, le week-end, s’ils sont sages. Et gare aux tricheurs, les systèmes de reconnaissance faciale ne sont pas faits pour les pangolins. Les Chinois savent se servir de l’État. De temps en temps, des milliardaires qui se croient un peu trop les rois du monde disparaissent pour une petite cure de réédu­cation et ils reviennent, quand ils reviennent, doux comme des agneaux. Voilà une vraie dictature, capable d’envoyer au monde un virus ravageur, mais qui ne rigole pas avec ses propres mesures sanitaires. Le genre de régime qui nous pend au nez si quelques abrutis continuent à descendre dans la rue en arborant l’étoile jaune et à brailler : « Macron Hitler, passe sanitaire SS. » Peut-être devrions-nous de temps en temps, sans tomber dans la niaiserie béni-oui-ouiste, mesurer le tout petit privilège d’être depuis si longtemps ce que nous sommes, là où nous sommes, d’être les premières générations à n’avoir pas connu la guerre, d’être libres d’aimer comme nous l’entendons, de ne pas croire en un dieu absent si cela nous chante, de lire et de voir ce que nous voulons, au lieu de claboter dans le ressentiment. Je dois avoir pris un coup de vieux.

Ressentiment

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n me disait justement le plus grand bien du dernier livre de Cynthia Fleury, Ci-gît l’amer. Guérir du ressentiment. J’en ai donc fait l’une de mes lectures d’été. L’ouvrage est un peu poussif, sinon scolaire et jargonnant, criblé de références à Montaigne, Nietzsche, Freud, Sartre, Deleuze, Bourdieu, Platon, beaucoup d’autres, ce qui en fait un objet certes instructif, on est en bonne compagnie, mais d’une lecture parfois ingrate, sinon confuse. Un livre fait d’autres livres, ce qui n’est pas condamnable si les guillemets sont en bonne place, car, comme disait Montaigne, « nous ne faisons que nous entregloser ». Reste le sujet du livre, trouvaille brillante qui débusque l’un des maux de l’époque avec

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pertinence car le ressentiment, cette maladie de l’âme, est souvent une grille de lecture performante pour décrypter l’actualité. Je ne sais si l’on guérit du ressentiment, les recettes sentent un peu le feel good book culturel et chic, sinon le cabinet de psychanalyste, mais les réalités sont là, et on peut aisément interpréter quelques faits récents à la lumière de ces thèses. Le ressentiment, le mal-être, l’envie, la jalousie, la frustration, toutes ces passions tristes éclatent dans des phénomènes qui s’amplifient à des niveaux divers ; en vrac : le refus de l’autorité – je ne parle pas de l’autorité de l’adjudant ou du petit chef, mais de celle du savoir et de la compétence – ; le rejet de la connaissance au nom de la « pensée magique » – des médecins frisant le charlatanisme, frustrés de pouvoir et de gloriole pour n’avoir pas inventé eux-mêmes le vaccin, qui proposent des remèdes inutiles – ; le refus de reconnaître la validité d’un suffrage dans une élection ; les rivalités tribales d’une cité à l’autre – Nice méprisant Marseille, qui déteste Paris, ce qui transforme un match de foot en guerre picrocholine ; etc. Amusez-vous à lire le présent à cette aune, c’est fort instructif. Il y en a en tout de même qui demeurent insensibles à ce poison du ressentiment, à l’envie, à la jalousie, toutes ces vilaines choses, ce sont les supporters du PSG, qui, cet été, ont accueilli Lionel Messi comme… non, je ne vais pas vous la resservir. Sont-ce les mêmes qui défilent dans la rue contre la dictature, dans la détestation des « élites », mais qui se réjouissent qu’un joueur de baballe payé 45 millions d’euros par an nets d’impôts, sans compter les à-côtés, arrive en France acheté par un club qatari ? Le Qatar, pays tenu par les Frères musulmans, qui investit massivement en France et ailleurs, qui corrompt à tour de bras, où des dizaines d’ouvriers immigrés meurent sur les chantiers en construisant les installations de la prochaine coupe du monde de football… avec Messi, bien sûr. Cela n’a rien à voir avec du ressentiment, mais, je ne sais pourquoi, certains jours un découragement vous saisit.


Climat et migration, une équation complexe S’il est avéré que le changement climatique fragilise les lieux de vie et de travail d’une partie de la population mondiale, le concept de migrants climatiques, lui, est encore flou. Peut-on et faut-il faire de ces déplacés une catégorie à part ? Par Morgane Pellennec

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n 2018, le quotidien économique La Tribune titrait : « Migrations : la bombe à retardement climatique ». L’introduction de l’article ne laissait pas non plus beaucoup de place à la nuance. « Les flux de migrants plongent aujourd’hui l’Europe dans une crise profonde. Mais les politiques et les outils actuels sont encore moins adaptés aux migrations climatiques annoncées, d’une tout autre ampleur », écrivait ainsi la journaliste. Deux ans plus tard, plusieurs grands médias internationaux ont

relayé une information tirée du « Registre des menaces écologiques » (Ecological Threat Register), un rapport rédigé par le think tank australien Institute for Economics & Peace. « La crise climatique pourrait déplacer 1,2 milliard de personnes au cours des trente prochaines années » pouvait-on par exemple lire dans le journal britannique The Guardian, tandis que France Info annonçait : « Les changements climatiques et les conflits risquent de déplacer plus d’un milliard de personnes dans le monde d’ici à 2050 ». LES CAHIERS DU TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN - AUTOMNE 2021 - 107


SAISONS // CLIMAT ET MIGRATION, UNE ÉQUATION COMPLEXE

C’est indiscutable : des hommes et des femmes sont et seront affectés par le changement climatique. Des phénomènes météorologiques extrêmes – dont la fréquence et l’intensité sont modifiées par l’évolution du climat, comme le rapporte le Giec – peuvent les faire fuir dans l’urgence. Et la dégradation plus lente de l’environnement – désertification, acidification des océans, élévation du niveau de la mer, etc. – peut menacer leurs foyers ou leurs moyens de subsistance et les pousser à partir pour pouvoir survivre. Pourtant, le concept de migration climatique reste flou, puisqu’il est impossible d’établir un lien entre climat et migration. Souvent, il charrie par ailleurs l’idée fausse que ces migrations seront massives et internationales. « Nous avons en tête le modèle des îles océaniques, où l’on constate qu’avec l’élévation du niveau de la mer les habitants seront forcés de partir et de s’installer ailleurs, illustre Jacques Véron, démographe et directeur de recherche émérite à l’Institut national d’études démographiques. Il s’agirait là d’une “pure” migration climatique. Il n’y aurait pas de facteurs économiques ou politiques, les insulaires ne pourraient physiquement plus survivre. Et cet exemple est extrapolé au reste du monde. Or, les situations sont généralement bien plus complexes. » Ainsi, les migrations sont souvent multi­ factorielles et causes climatiques, économiques et politiques s’entremêlent. Pour beaucoup, l’économie dépend directement de l’environnement, luimême influencé par des décisions politiques. Si un agriculteur du Sahel est contraint à l’exil parce que ses terres sont devenues inutilisables à cause de la dégradation et de la sécheresse, sera108 - LES CAHIERS DU TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN - AUTOMNE 2021

t-il considéré comme un migrant économique ou comme un migrant climatique ? « De nombreuses études ont pour but de mieux saisir la dimension environnementale des migrations, mais il est quasiment impossible d’extraire ce seul facteur, explique Dina Ionesco, directrice de la division Migration, Environnement et Changement climatique à l’Organisation internationale pour les migrations (OIM). Les données et les statistiques que nous avons indiquent le nombre de personnes qui vivent dans des zones à risques. Mais il n’y a pas de lien de cause à effet, ces personnes ne vont pas automatiquement devenir des migrants. »

Des actions de prévention

La mise en place de politiques d’adaptation ou de gestion des risques peut réduire l’impact des phénomènes de dérèglement climatique sur les populations, qui seront alors moins sujettes aux déplacements forcés. Suite au tsunami de 2011, qui avait provoqué la mort de plus de 18 000 personnes, le Japon a par exemple érigé des digues de plus de dix mètres de haut pour protéger son littoral. Les Pays-Bas, menacés par la montée des eaux, se préparent depuis des années via des politiques d’aménagement et de protection des côtes. « Lorsque l’on parle de migrations environnementales, on tend à oublier qu’il n’y a pas de désastre sans responsabilité politique », rappelle Benoit Mayer, maître de conférences à l’université chinoise de Hong Kong, dont les recherches portent sur les relations entre changement climatique et mobilité humaine. Lorsque les personnes migrent effectivement, les déplacements sont majoritairement internes, c’est-à-dire qu’ils ont lieu à l’intérieur des frontières du pays.


L’OIM estime qu’il y avait 281 millions de migrants internationaux – toutes causes confondues – dans le monde en 2020 mais 740 millions de migrants internes en 2009. « Les migrants internationaux ne représentent que la partie émergée de l’iceberg, rappelle Benoit Mayer. La majorité des personnes poussés à l’exil n’a pas la possibilité de prendre un billet d’avion, de voyager, de payer un trafiquant pour passer les frontières. » Qu’ils soient internes ou internationaux, les déplacés pour raisons climatiques n’entrent pas dans la catégorie des réfugiés telle que définie par la Convention de Genève de 1951, qui suppose une persécution et la traversée des frontières de son pays. L’OIM propose le terme de migrants environnementaux, qu’elle définit ainsi : « Des personnes ou groupes de personnes qui, essentiellement pour des raisons liées à un changement environnemental soudain ou progressif influant négativement sur leur vie ou leurs conditions de vie, sont contraintes de quitter leur foyer habituel ou le quittent de leur propre initiative, temporairement ou définitivement, et qui, de ce fait, se déplacent à l’intérieur de leur pays ou en sortent. » Hors de toute catégorie juridique, comment protéger ces personnes forcées au départ ? Au niveau régional, certains programmes de libre circulation des personnes ou de migration de maind’œuvre circulaire – qui permettent par exemple à des Colombiens d’aller travailler en Espagne plusieurs mois puis

de rentrer dans leur pays – sécurisent les migrations. Au niveau international, certains préconisent la création d’un statut juridique qui offrirait aux migrants climatiques une protection particulière. « Ceux qui ont quitté leur pays pour des raisons climatiques doivent bénéficier d’un statut international, comme les apatrides ou les réfugiés », estime par exemple la politologue Catherine ­Wihtol de Wenden, directrice de recherche émérite au CNRS et spécialiste des questions de migrations.

Un statut particulier ?

D’autres se méfient des limites d’un tel concept. « Nous ne sommes pas nécessairement favorables à l’instauration d’un statut à part, qui nous paraît trop limitant. Nous sommes partisans d’une vision plus fluide et innovante de la migration », explique Dina Ionesco. Pour Benoit Mayer, une protection juridique particulière serait difficile à mettre en place et, surtout, dangereuse. « Comment définir des migrants climatiques ? Si l’on estime que toute personne quittant un pays affecté est un migrant climatique, le tiers de la population de Tuvalu qui a migré en Nouvelle-Zélande pour des raisons économiques serait considéré comme tel, ce qui serait un peu curieux ! Cela me paraît surtout dangereux parce que cela créerait un sentiment d’exception, l’idée que seuls les migrants climatiques devraient être protégés. Il me semble que la cause de la migration n’est pas pertinente pour définir le droit à la protection. »

LES CAHIERS DU TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN - AUTOMNE 2021 - 109


n de N o t e ot l l

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SAISONS // LE FEUILLETON DE NOTRE-DAME

Par Bernadette Sauvaget

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« À quelque chose malheur est bon », dit le proverbe. De fait, l’incendie de Notre-Dame, dramatique par essence, a permis à de nombreux scientifiques d’étudier de tout près des éléments jusque-là hors de portée, comme les vestiges de ses peintures murales ou les détails de ses plus belles roses. Parallèlement, ils ont fourni de précieux conseils quant à la reconstruction de l’édifice.

N

otre-Dame de Paris ressemble désormais au labyrinthe du Minotaure. L’œil est désemparé tant les repères habituels ont disparu derrière des milliers de tubes d’acier. Un dédale d’échafaudages a germé à l’intérieur de la cathédrale. Judicieusement agencée, l’immense structure de métal, comme un bardage couvrant tous les recoins de l’édifice, a été montée pour les derniers travaux de sécurisation. Ceux-ci s’achèvent. Dès cet automne – si tout va bien car un tel chantier, titanesque, réserve à chaque moment sa part d’inattendu –, la reconstruction de la cathédrale va enfin démarrer. « Les échafaudages sont utiles autant pour la sécurisation que pour la reconstruction », précise, chaque fois qu’il le peut, Philippe Villeneuve, l’intrépide et gouailleur architecte en chef des monuments historiques qui pilote les opérations. Il prend garde à utiliser avec parcimonie les fonds alloués, essentiellement l’argent de milliers de donateurs. Ce jour de juillet 2021, il s’agit de rejoindre ­Élisabeth Pillet et Michel Hérold, deux spécialistes reconnus des vitraux, rattachés au Centre André-Chastel, en mission dans l’édifice. Pour trouver le bon escalier ou le bon ascenseur, il faut être guidé. Cette fois-ci, Jonathan Truillet, directeur adjoint des opérations à l’Établissement public chargé de la restauration et de la conservation de la cathédrale Notre-Dame de Paris (EPRNDP), est notre pilote, notre ange gardien. Pour les chercheurs, les échafaudages dressés à l’intérieur de la cathédrale, sans doute jusqu’à l’achèvement en 2024 de la première tranche des travaux, sont une incroyable aubaine. Ils leur donnent l’occasion inespérée d’accéder à

des lieux inatteignables en temps ordinaire, de mener leurs recherches au plus de près de leur objet d’études. « Depuis le mois de mai, nous venons une à deux fois par semaine », précise l’historienne d’art Élisabeth Pillet, conservatrice du patrimoine. Sur le chantier, les scientifiques n’échappent pas aux contraintes liées à la présence des poussières de plomb dans la cathédrale, conséquence de l’incendie de la toiture et de la flèche. Élisabeth Pillet est vêtue de la combinaison blanche de rigueur. Pour entrer dans l’édifice, le protocole demeure très strict. À l’entrée, il faut se déshabiller intégralement, enfiler des sous-­vêtements de chantier, revêtir la combinaison, se chausser de bottes, mettre un casque… À la sortie, il faut à nouveau se déshabiller, prendre une douche avec shampoing pour se débarrasser des poussières de plomb, enfermer combinaisons et sous-vêtements usagés dans un sac en plastique. À intervalles réguliers, la polémique concernant la pollution ressurgit. « La cathédrale n’est plus émissive », assure-t-on à l’établissement public. En clair, elle ne pollue plus son environnement, son voisinage. Mais la dépollution de l’édifice, elle, n’est pas encore enclenchée. Certes, l’incendie du 15 avril 2019 a irrémédiablement détruit la charpente médiévale de la cathédrale, une catastrophe patrimoniale. Mais la médaille a son revers, enthousiasmant à bien des égards. À pied d’œuvre depuis le printemps, les chercheurs de différentes disciplines vont étendre et affiner les connaissances que l’on a de Notre-Dame de Paris. « Les recherches actuelles sur les vitraux sont menées dans le cadre du chantier scientifique mis en place en collaboration avec le ministère de la Culture, le CNRS et l’établissement public. L’opération mobilise une centaine de chercheurs, œuvrant tous à l’étude de la cathédrale. Le chantier scientifique nourrit le projet de restauration et enrichit à la fois les connaissances du monument », explique Jonathan Truillet. Huit groupes de chercheurs, issus la plupart du CNRS, travaillent sur des sujets thématiques : LES CAHIERS DU TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN - AUTOMNE 2021 - 111


SAISONS // LE FEUILLETON DE NOTRE-DAME

le bois, la pierre, les vitraux, l’acoustique, etc. Certaines études viennent consolider le choix des architectes pour la reconstruction : c’est de la recherche appliquée. Comme le raconte Jonathan Truillet, des spécialistes de la pierre ont examiné les voûtes endommagées de NotreDame dès que cela a été possible en termes de sécurité. Ils ont ensuite fourni des conseils sur le choix des carrières où extraire les pierres destinées à la reconstruction. Sur le parvis de Notre-Dame, des barnums blancs ont occupé, de longs mois, l’essentiel de l’espace disponible. Au grand dam d’associations écologistes, préoccupées par la pollution au plomb, les vestiges de l’incendie y ont été entreposés : les bois brûlés de la charpente, des pierres portant parfois quelques traces de polychromie. Les chercheurs, eux, les considèrent comme du matériel archéologique. D’un point de vue juridique, comme la cathédrale est classée monument historique, ces vestiges sont devenus, à leur tour, monuments historiques. Et, de ce fait, ils ne peuvent pas, du moins pour le moment, être dispersés, vendus ou détruits. Finalement, le grand déménagement a eu lieu. Les vestiges sont désormais stockés dans de 112 - LES CAHIERS DU TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN - AUTOMNE 2021

vastes entrepôts à Saint-Witz (Val-d’Oise), près de Roissy. Pour le moment, l’établissement public en protège jalousement l’accès. À l’horizon de quelques mois, les équipes de chercheurs s’y installeront pour mener leurs investigations. Sur place, un spécialiste des charpentes médiévales et un expert de la dendrochronologie – datation d’un arbre grâce à l’étude de ses cernes annuels de croissance, méthode appliquée aussi aux charpentes de châteaux et d’églises – ont constitué, au début de l’été, une sorte de petit avant-poste. Ils ont pour mission de travailler sur les vestiges de la souche de la flèche. Il s’agit également de recherche appliquée. Élever la nouvelle flèche de Notre-Dame, copie de celle édifiée au xixe siècle par Eugène Viollet-le-Duc lors de sa grande campagne de restauration de la cathédrale, sera l’un des grands défis, l’une des opérations les plus spectaculaires de la reconstruction. Les travaux de l’archéologue Jean-Yves Hunot et du dendrochronologue Olivier Girardclos à Saint-Witz vont donner de précieuses indications à l’équipe de Philippe Villeneuve.

L’œil rivés aux vitraux À l’intérieur de la cathédrale, un ascenseur nous permet d’éviter les fatigants escaliers métalliques des échafaudages et d’accéder rapidement aux grandes roses, à une vingtaine de mètres au-dessus du sol. Elles restent les vitraux emblématiques du monument. Sur le chantier, chacun est prompt à parler de miracles. En particulier en ce qui les concerne, car elles n’ont subi aucun dommage lors de l’incendie ravageur du 15 avril 2019. Impressionnantes par leur taille, les roses sont les derniers vitraux datant de l’époque médiévale encore en place dans la cathédrale. Chacune est un vaste ensemble composite, des dizaines de panneaux, de médaillons s’étalant sur plusieurs époques. Au fil des siècles, les autres vitraux ont été remplacés par des vitreries claires. Dès le xviie siècle, les goûts ont changé. Ceux datant du Moyen Âge sont passés de mode. Lors de sa


grande campagne de restauration deux cents ans plus tard, Viollet-le-Duc, fervent admirateur du Moyen Âge, a refait l’ensemble des vitraux des chapelles du chœur, en s’inspirant, de manière plus ou moins heureuse, de motifs médiévaux. Munis de masques, Élisabeth Pillet et Michel Hérold sont au chevet de la rose sud, la plus remaniée depuis le xiiie siècle. D’une dimension de 12,90 m de diamètre, elle comporte quatrevingt-quinze panneaux. Les deux historiens d’art sont émerveillés l’un et l’autre de ce face-à-face inédit – et impensable avant l’incendie – avec le vitrail. Ils se livrent à une critique d’authenticité, c’est-à-dire à la datation la plus fiable et la plus précise possible des dizaines et dizaines d’éléments qui composent la rose. « C’est un travail fastidieux… Mais un simple relevé par drone n’aurait pas suffi. Rien ne remplace l’expérience concrète du regard », note Jonathan Truillet. Avec assurance, Michel Hérold évalue d’un coup d’œil la qualité d’une couleur, le dessin d’un visage, autant de paramètres pour établir une datation. C’en est impressionnant. Démontés pour être mis à l’abri pendant la Seconde Guerre mondiale, les vitraux avaient été réinstallés dans la cathédrale en 1949. Cinq ans plus tard, l’historien d’art Jean Lafond s’était livré à une première critique d’authenticité. « Il avait étudié tout cela depuis le sol, aux jumelles, explique Michel Hérold. Notre travail est de vérifier un à un les éléments pour les dater. » En 2021, les échafaudages rendent évidemment exceptionnelles les conditions pour effectuer ce travail. Pour Élisabeth Pillet et Michel Hérold, l’essentiel est de faire le tri entre ce qui relève de l’époque médiévale et les très nombreux ajouts de Violletle-Duc au xixe siècle. Lors de la campagne de res-

tauration de la rose sud, l’architecte, qui estimait qu’elle n’était pas correctement centrée, l’avait fait complètement démonter puis remonter en la faisant pivoter d’un demi-rayon. À chaque visite dans Notre-Dame, les deux ­historiens d’art s’émerveillent des trésors qu’ils découvrent. Grimpant quelques échafaudages, Élisabeth Pillet nous conduit vers un magnifique médaillon représentant le motif évangélique de la fuite en Égypte. Ailleurs, c’est un ensemble reconstituant, selon ses hypothèses, la vie de l’évangéliste Matthieu. À l’œil, les spécialistes datent ces éléments du xiie siècle, c’està-dire d’avant la construction de la cathédrale gothique, commencée en 1263. Une énigme ? Comment des vitraux du xiie siècle se retrouventils dans une rosace datant, elle, du xiiie siècle ? « Ce sont probablement des réemplois de l’édifice antérieur, mais nous ne savons pas à quelle époque ils ont été intégrés à la rose sud », explique Élisabeth Pillet. Malheureusement, les transformations et les ajouts qu’a subis la rose sud ont fait du tort à sa cohérence narrative, ce qui n’est pas le cas pour la rose nord, mieux préservée.

Des chantiers dans le chantier ? À l’intérieur de la cathédrale, les recherches scientifiques se multiplient. Aux abords de l’immense sacristie, une équipe est chargée d’opérer un inventaire précis du mobilier de Notre-Dame. À moins d’être dûment équipé d’un masque « APR », c’est-à-dire à protection respiratoire, personne n’entre dans la salle du Trésor. Toujours à cause de la pollution au plomb. La porte ouverte laisse entrevoir un bric-à-brac étonnant : des chandeliers, des tableaux – dont l’un représente le pape Jean XXIII –, des statues, des r­ eliquaires,

« Un simple relevé par drone n’aurait pas suffi. Rien ne remplace l’expérience concrète du regard. » Jonathan Truillet, EPRNDP LES CAHIERS DU TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN - AUTOMNE 2021 - 113


SAISONS // LE FEUILLETON DE NOTRE-DAME

des vêtements liturgiques… « Le soir de l’incendie de la cathédrale, les éléments les plus précieux ont été évacués par une brigade spéciale de pompiers », rappelle Marjorie Dorsemaine, cheffe de projet à l’EPRNDP. Mais des centaines d’objets sont restés sur place. Amélie Strack, conservatrice et restauratrice de biens culturels, consulte les listes de l’inventaire, mille sept cents objets soigneusement répertoriés, qui constituent le patrimoine de NotreDame de Paris. À quelques pas, Florian Routier, son collègue de l’entreprise Socra, spécialisée dans la conservation et la restauration d’œuvres d’art – qui, dans ses ateliers de Périgueux, a ­restauré les douze statues de la flèche – aspire, à genoux, la poussière de plomb qui s’est abondamment déposée sur un chandelier, comme sur la plupart des objets qui se trouvaient dans le chœur de la cathédrale. Une fois le nettoyage terminé, Amélie Strack vérifie si le chandelier porte un numéro et s’il est répertorié dans l’inventaire. « Si ce n’est pas le cas, nous prévenons le régisseur de la cathédrale et nous créons une fiche », explique-t-elle.

Un casse-tête pour les conservateurs Ce n’est pas rare. Générations après générations, un ensemble assez hétéroclite d’objets et d’éléments d’architecture ou de mobilier s’est accumulé. Comme dans une maison où les greniers n’auraient jamais été vidés. Dans ce bric-à-brac, se trouvent des calices qui, démodés, n’étaient plus utilisés par le clergé, des livres liturgiques et même des vitraux, comme certains commandés dans les années 1930 qui n’ont jamais été installés. « Nous n’avions pas de panorama global de cet ensemble d’objets », souligne Jonathan Truillet. Pour gagner les tribunes de la cathédrale, il faut emprunter un minuscule escalier en pierre. Jouxtant celles-ci, les arrières-tribunes servaient, avant l’incendie, de lieux de stockage. Cet été, un vaste tri y a eu lieu. Mais quand nous les arpentons, il en reste encore. Là, une dizaine de portes en bois est entassée. « La conservatrice géné114 - LES CAHIERS DU TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN - AUTOMNE 2021

rale des monuments historiques en charge de la cathédrale, Marie-Hélène Didier, viendra les examiner pour déterminer si elles présentent un intérêt patrimonial ou historique », explique Marjorie Dorsemaine. L’inventaire des objets permettra, comme dans un déménagement, de trier ce qui est à conserver ou non. Ce qui n’est pas rien. Dans l’une des travées, on croise une poignée de grandes sculptures. L’une d’elles porte des traces de brûlures, stigmates de l’incendie car la bâche qui l’enveloppait a brûlé ce soir-là. Dans le dépôt lapidaire, on découvre des fragments d’ornements architecturaux, des bouts de sculptures, un homard en pierre ou une petite chimère – que l’on a d’abord pris bêtement pour un chien. L’équipe s’arrête pour détailler le buste d’un ecclésiastique. Tous ceux-là, introuvables dans l’inventaire, n’ont pas encore été répertoriés. Le reste a déjà été mis en caisse. Après un dernier tri, l’ensemble partira dans des entrepôts à Saint-Witz pour être restauré ou simplement conservé.

À suivre…

Photos : p. 110 © Sputnik p. 112 © Stefano Rellandini / AFP p. 114 © Thomas Samson / Pool / AFP


PENSER LA LAÏCITÉ

Ph. : ©Hannah Assouline-Opale

SPIRITUELLEMENT

Le génie de la France tient pour une part essentielle à la laïcité. Une laïcité qui est peut-être la condition politique de la vie spirituelle la plus haute. Car, en séparant l’État des religions, elle « fait le vide », ce vide qui est au cœur de toute destruction prophétique des idoles.


SAISONS // SAINT-JULIEN-CHAPTEUIL

l i u e t p a h C n e i l Un village u J au pied des sucs t n i Sa

Par Agnès Willaume 116 - LES CAHIERS DU TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN - AUTOMNE 2021


D’aucuns l’appellent le Saint-Paul-de-Vence local. Avec ses presque deux mille âmes, ce petit village auvergnat déploie une énergie peu commune pour porter haut ses couleurs.

E

t revoici François au guidon de sa rutilante Moto Guzzi trail de 850 cm3, dont il n’est pas peu fier, bientôt en route pour Barcelonnette. Tout début septembre, le jeune retraité a décidé de laisser derrière lui les moulins à restaurer, les immeubles de coworking en construction, l’espace culturel en chantier… Tout quitter pour le salon Alpes Aventure Moto­festival. Un vrai programme de vie pour le conseiller municipal, qui a décidément sans cesse la route qui le démange ! Quelques jours d’évasion bien mérités après cette année bien remplie… Il faut dire qu’à Saint-Julien-Chapteuil l’été a été dense. Comme chaque année, les fêtes de l’été ont mobilisé de nombreux bénévoles. À l’initiative de la principale association culturelle locale, l’Agora, les « mercredis de l’été » ont réuni quelque deux mille personnes, seules ou en famille, résidents ou vacanciers, qui ont investi les rues du village pour assister à des spectacles de rue divers et variés : concerts, cirque, théâtre, danse… il y en a eu pour tous les âges et pour tous les goûts ! Avec un programme de sept soirées officielles, précédées pour la première fois cette année de « racontines », lectures de contes pour les enfants dans l’après-midi, et de spectacles en « off », au chapeau, à 18 heures. « Pour beaucoup de compagnies, la possibilité de jouer pour le off a été l’occasion de se confronter au public ou de roder un nouveau spectacle », constate Loïc Bardiot, président de l’Agora, qui tenait beaucoup à développer la dimension « spectacles de rue », très peu connue dans le département, avec des spectacles gratuits, ouverts à tous, et surtout « qui décoiffent et bousculent le rapport traditionnel scène/public ». La mairie finance et soutient l’évènement depuis le début. La préparation de l’initiative, qui a dépassé de loin cette année les espérances de l’Agora, a reposé cette année en grande partie sur une poignée de copains,

passionnés par le spectacle de rue. Cela vient interroger les structures de bénévolat en place, parfois encore trop hiérarchiques et chronophages face aux nouveaux visages de l’engagement, plus ponctuel et motivé par des thématiques plus que par des boutiques. En attendant, cette réussite des soirées estivales conforte la conviction des élus que le nouveau pôle culturel en chantier et les propositions à venir dans la nouvelle salle de spectacle du village ont de l’avenir ! Tout naturellement, les conseillers municipaux sont donc une fois de plus venus appuyer les bénévoles des associations mobilisées pendant l’été. Malgré le temps peu clément, presque tous les spectacles ont pu avoir lieu, parfois reportés dans des lieux clos… « Du coup, on s’est transformés en contrôleurs de passes sanitaires ! » s’amuse François. Mais le public était au rendez-vous ! Il était là également lorsque François et ses collègues ont organisé un grand pique-nique au moulin de Guérin, dont le projet de restauration et d’entretien a été retenu par le tout récent club des mécènes de Haute-Loire de la Fondation du patrimoine. Une centaine d’habitants de Neyzac, le hameau qui abrite la plupart des moulins de SaintJulien-­Chapteuil, sont venus célébrer l’événement en présence de sénateurs et d’officiels du cru au milieu des bois, dans le joyeux tumulte des clés à molette du groupe de polyphonie rurale Les Mécanos. Un choix avisé de François. Dans un autre registre, le petit village, situé sur le chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle, a, cette année encore, accueilli bon nombre de pèlerins et voyageurs d’un soir en transit entre Genève et Le Puy-en-Velay. Habituellement, les « jacquards », comme on les appelle, sont une vingtaine chaque jour à transiter par le village, où ils sont toujours bien accueillis. En général, c’est de Saint-Jeures, à 21 km LES CAHIERS DU TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN - AUTOMNE 2021 - 117


SAISONS // SAINT-JULIEN-CHAPTEUIL

de là, qu’ils arrivent, soit cinq à six bonnes heures de marche en slalom entre les sucs volcaniques qui composent le paysage du Velay oriental. Il leur faut aussi traverser la foisonnante forêt du Meygal, à l’intersection des monts du Forez et du Vivarais, des massifs du Mézenc, du Pilat et du Devès… un panorama hors du commun pour ce gigantesque manteau d’épines réputé pour la richesse de sa flore, où se côtoient digitales, épilobes à épi, achillées, ancolies communes, serpolets, gentianes… sans oublier de belles poêlées de cèpes, morilles et girolles pour qui a l’œil averti. L’hiver, nos pèlerins peuvent même y croiser les amateurs de ski de fond. C’est alors que les marcheurs atteignent le point culminant du voyage, Raffy, à 1 276 mètres d’altitude. La descente qui suit passe par le village de Queyrières, niché au pied des orgues basaltiques, avant de rejoindre enfin Saint-Julien-Chapteuil, le Graal après une telle épopée !

À la bonne étape

Sur place, ils sont accueillis selon les disponibilités en gîte ou en dortoir pour les plus jeunes et les plus téméraires, en hôtel ou en chambre d’hôtes pour ceux qui sont plus sensibles au confort ou au calme. Ils atterrissent alors éventuellement chez Marinette Roubin, qui, depuis une dizaine d’années, avec son mari Roger, un ancien pompier volontaire et ami de François, héberge régulièrement les jacquards, comme le faisait sa grand-mère avant elle. « Ce que j’aime, c’est retrouver cet “esprit pèlerin” », explique Marinette avec entrain. À près de 80 ans, elle marche encore régulièrement pour retrouver cette atmosphère de fraternité et d’entraide qu’elle a connue quand elle a elle-même fait le chemin de SaintJacques. Chez ses visiteurs d’un soir, elle retrouve une même quête de spiritualité, une recherche personnelle et un besoin de prendre le temps de réfléchir, de se poser pour prendre du recul sur sa vie. « C’est une démarche très gratifiante, parce que les pèlerins sont toujours très agréables et respectueux, reconnaissants d’être accueillis ! » ajoute Marinette. Même constat pour André Gallien, qui accueille depuis 2011, dans les anciennes chambres de ses 118 - LES CAHIERS DU TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN - AUTOMNE 2021

enfants, les marcheurs venus de Suisse, d’Autriche, d’Allemagne, mais aussi d’autres régions de France. « Ce qui me plaît, c’est de manger avec eux en toute simplicité dans notre cuisine et d’entendre leurs histoires de route : d’où ils viennent, la situation de leur pays, leur métier, leur motivation… On voit de tout ! » Beaucoup de jeunes en burn-out professionnel, des personnes en rupture avec une ancienne vie, comme ce couple qui avait vendu tous ses biens personnels en Suisse pour prendre la route dans l’espoir de racheter un gîte en chemin. André se souvient de cette famille qui faisait le chemin avec des ânes depuis des mois et qu’il a recueillie au cœur d’un orage qui les a obligés à rester plus longtemps que prévu. Arrivés à Santiago, ils ont envoyé une carte touchante pour dire leur reconnaissance. Il y a eu aussi cette femme, dont le mari handicapé ne pouvait faire le chemin avec elle. Elle avait décidé de lui peindre un tableau par jour des plus beaux paysages rencontrés. Pour André, ça ne fait aucun doute, la marche est une excellente thérapie : comme il le dit souvent, « la thérapie des pieds vaut la thérapie de la tête ! » Au petit matin, les pèlerins peuvent reprendre la route en longeant la Sumène, traversant Eynac et son splendide rocher d’orgues basaltiques pour rejoindre Le Puy-en-Velay, dont le piton rocheux et la pharaonique statue de vierge semblent scruter de loin leur arrivée. Il n’est pas rare qu’ils envoient une carte postale à leurs hôtes d’un soir en signe d’amitié, comme pour leur rappeler qu’ils les ont un peu emmenés dans leur sac à dos… François, qui aime tant le voyage, a déjà fait quelques morceaux du parcours, à pied ou à vélo, mais jamais la totalité. Cependant, il sait toute l’importance de ce statut d’étape pour les jacquards, un attrait touristique important du village, au même titre que les activités de pleine nature. Il y a à Saint-Julien-Chapteuil un autre voyageur qui a dû faire une longue route pour atteindre les sucs : c’est le curé de l’ensemble paroissial Saint-Régis Mézenc-Meygal, Martin Randriamamory, jeune Malgache de 44 ans très apprécié de ses paroissiens. En trois ans, il a fait siens cette


Ainsi va la vie dans ce petit coin de France, un petit village dont chacun des habitants est, consciemment ou non, une pièce maîtresse du vivre-ensemble.

terre et ses ­habitants, dont il se dit fier de partager la vie. Il est aussi convaincu que cette expérience humaine et pastorale enrichira considérablement son ministère et compte bien rapporter au pays des idées, des pratiques et des réflexions pour son diocèse d’origine. À son arrivée en 2018, le père Martin a d’abord dû se familiariser avec le climat un peu rude de la HauteLoire, et quelque quatorze clochers. Un jeu d’enfant pas si dépaysant que ça pour le quadragénaire, qui arrive tout droit d’Antsirabe, ville de trenteneuf clochers nichée à 1 200 mètres d’altitude dans les hauts plateaux du centre de Madagascar. En revanche, il reconnaît avoir été quelque peu surpris par le nombre de pratiquants et la moyenne d’âge : « Chez nous, c’est exactement l’inverse ! Ce sont les plus âgés qui ne viennent plus à la messe, faute de route praticable pour s’y rendre en général, et les assemblées dominicales sont très jeunes ! » témoigne le père Martin, qui ne boude néanmoins pas la présence de musiciens, de chorales et de laïcs prêts à s’engager sur son nouveau lieu de ministère. Dans son déracinement, il apprécie beaucoup leur accueil, leur aide et leur soutien. « Pour mes dix ans de sacerdoce en janvier, ils se sont même cotisés pour m’offrir une partie du billet pour ma prochaine visite familiale au pays ! » Le père Martin, qui ne parle pas encore parfaitement le français et a parfois du mal à se faire comprendre, peut compter sur de nombreux adultes relais, des « veilleurs », qui, dans chaque clocher, prennent en charge le fonctionnement matériel du lieu de culte et établissent des ponts entre le quartier ou le hameau et l’Église, quand ils ont connaissance de personnes en demande de présence, de sacrements ou de

rencontres ou quand ils sont face à des situations auxquelles ils pensent que l’Église pourrait apporter son aide. Une feuille de route ambitieuse que chacun s’approprie du mieux qu’il peut dans un dynamisme collectif, dont le prêtre, quelque peu écartelé entre ses quatorze clochers, se félicite.

Une présence bénéfique

Le conseil paroissial est tenu au courant de tout et consulté régulièrement. Et, cependant, le père Martin a le sentiment d’avoir beaucoup plus de temps ici qu’à Madagascar : « Le téléphone, ça change tout », reconnaît le curé, attaché à préserver du temps pour la prière mais aussi pour les visites aux habitants, à travers lesquelles il apprend tant de choses. « Jamais il ne s’impose. Avec la barrière de la langue, ce n’est pas l’érudition ou les grands discours qui prennent le dessus : seule sa bonté rejaillit de sa personne », s’émerveille Cécile Crespy, qui fait partie de l’équipe d’animation pastorale et se trouve aussi être l’épouse du conseiller municipal Jo Crespy. « Au mois de juin, après les différents confinements, et à l’occasion de la fête de saint François Régis, patron de l’ensemble paroissial et très estimé dans notre région, Martin a donné le sacrement des malades à plus de trente personnes à la demande de l’aumônerie de la maison de retraite, célébré à l’église de Saint-Julien-Chapteuil une messe pour les malades organisée avec covoiturage, et fait en sorte de visiter les personnes isolées et malades que nous lui avions signalées. » Elle apprécie particulièrement ce fonctionnement profondément colla­ boratif. L’ancien évêque, Luc Crepy, n’y est pas étranger. Il a fait beaucoup pour la synodalité sur le diocèse, donnant toujours la première place à ceux qui en LES CAHIERS DU TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN - AUTOMNE 2021 - 119


SAISONS // SAINT-JULIEN-CHAPTEUIL

prenaient le moins. « Lors de sa visite p ­ astorale, il est venu rencontrer cinq familles de réfugiés sur l’ensemble paroissial », se souvient Cécile, qui se demande qui va prendre la place du père Crepy, parti rejoindre le diocèse des Yvelines début 2021. Pendant longtemps, elle s’est sentie chrétienne mais rebutée par l’institution. L’évêque fait partie de ces personnes qui l’ont un peu réconciliée avec l’Église. « Ce qui compte pour moi maintenant, c’est de partir des plus démunis pour trouver le Christ », résume Cécile. Entre autres responsabilités, Cécile s’occupe en équipe de l’accueil des familles en deuil et des obsèques. « Quand quelqu’un perd un proche, je suis à chaque fois étonnée et touchée de la façon dont les familles ont à cœur d’honorer leurs défunts, de cueillir le fruit mûr de cette vie », lâche Cécile. Alors, non, elle n’est jamais triste et elle tient à cet engagement. Pour les rencontres, pour le visage d’Église qu’elle a l’occasion de donner à des hommes et des femmes qui en sont souvent bien éloignés. Un visage souriant et ouvert qui donne envie de croire à la résurrection ! C’est peut-être pour ça que François aime bien ce couple. Dans sa vie passée de pompier, il a souvent été confronté à la violence. Les secours d’urgence aux personnes représentent 85 % des interventions – de l’activité opérationnelle des sapeurs-­pompiers de France pour être précis – et, dans le monde rural, on est vite amené à intervenir chez des gens qui nous ressemblent, voire chez des proches. Il en a trop vu, des morts, pendant toutes ces années. Des comportements à risque, liés à l’alcool, même quand il est support de convivialité. Des accidents et des décès prématurés. Des suicides de collègues ou de leurs proches, trop souvent. François, qui ne se dit plus chrétien depuis bien des années, peut en témoigner : « Pendant toutes ces années, dans les événements difficiles, l’Église était toujours là. » La petite et la grande, parce que François a été de beaucoup de célébrations, des enterrements pour l’essentiel. Et c’est grâce à des gens comme Cécile qu’il ne lui a pas complètement tourné le dos. 120 - LES CAHIERS DU TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN - AUTOMNE 2021

C’est peut-être aussi grâce à des gens comme eux que les relations entre la paroisse et la municipalité sont aussi paisibles. Le curé est invité aux vœux et aux célébrations du 11 novembre, et le maire aux rencontres du comité de soutien aux réfugiés, dont fait partie son épouse.

D’un village à l’autre

Car la paroisse est aussi lieu de solidarité concrète. Chaque année, elle aide financièrement une association humanitaire par les dons des paroissiens lors des quêtes de Noël dans les églises. C’est ainsi que la somme de 1 700 euros a été reversée à une récente association capitolienne : Zazakely mada 43. Derrière cette association, il y a l’histoire de deux rencontres, une grande, celle du père Martin avec sa paroisse, d’ores et déjà solidaire de ses origines, d’une part, et, d’autre part, celle du père Martin avec… sa coiffeuse ! Dans les premiers temps, quand il allait se faire couper les cheveux, Laurie Anne, qui n’est pourtant pas une paroissienne, l’interrogeait beaucoup sur la vie à Madagascar et les difficultés rencontrées par la population de l’île. Très touchée par ses récits, elle a alors décidé de se mobiliser en créant la petite association capitolienne, qui apporte un soutien non négligeable en matière d’alimentation, d’éducation, d’hygiène et de santé aux enfants d’Antsahanandriana, village natal du prêtre. De quoi achever de convaincre ce dernier d’adopter et de se laisser adopter, comme François Cabanes l’a fait à son arrivée, par Saint-­ Julien-Chapteuil, son village de cœur ! Et ainsi va la vie dans le petit village de Saint-­JulienChapteuil, au gré des saisons et des hameaux. Ainsi va la vie dans ce petit coin de France, semblable à beaucoup d’autres et néanmoins unique en son genre, un petit village dont chacun des habitants – François, Cécile, Marinette, Martin, André et les autres – est, consciemment ou non, une pièce maîtresse du vivre-ensemble !

Fin


LES LIVRES DE L’AUTOMNE Pierre Rosanvallon propose, dans son dernier livre, une approche radicalement nouvelle pour appréhender et analyser les maux de la société française. C’est pourquoi, exceptionnellement, nous consacrons trois pages à son ouvrage. Mais vous trouverez aussi dans notre sélection d’automne de quoi rire, réfléchir, vous divertir ou vous évader. Bonne lecture.

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CULTURE // LES LIVRES DE L’AUTOMNE

Les épreuves de la vie au cœur de la refondation politique Les sciences sociales ne jurent décidément pas que par les données statistiques. La preuve, les affects passionnent de plus en plus les sociologues, qui scrutent leur rôle dans les mouvements sociaux. Dernière en date, au centre de plusieurs travaux récents : la colère. C’est dans cette évolution que s’inscrit l’ouvrage de Pierre Rosanvallon Les Épreuves de la vie. Comprendre autrement les Français, dans la foulée de la collection « Raconter la vie » qu’il avait lancée aux éditions du Seuil en 2014. Dans ce livre, le sociologue et historien explore dans toutes ses variations la palette des émotions vécues par les Français : colère, mais aussi ressentiment, humiliation, indignation, rage, amertume, anxiété, défiance… Les sondages « ont certes bien documenté la réorganisa‐ tion des clivages politiques avec la montée en puissance des populismes et l’instauration d’un climat de défiance généralisée. Mais ils n’ont pas déchiffré la boîte noire des attentes, des colères et des peurs qui les fondaient », déplore Pierre Rosanvallon. Son essai « pro‐ pose des outils pour ouvrir et décrypter cette boîte noire. Il appréhende le pays de façon plus subjective, en partant de la perception que les Français ont de leur situation person‐ nelle et de l’état de la société ». Cartographier ainsi le paysage émotionnel du pays exige de se pencher sur les « épreuves » qu’il traverse et auxquelles il s’affronte. Cette notion opère un déplacement : des théories géné122 - LES CAHIERS DU TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN - AUTOMNE 2021

rales sur les grandes structures, elle permet de décaler le regard vers ce que ressentent les individus. En effet, elle renvoie d’abord à « l’expérience d’une souffrance, d’une diffi‐ culté, de la confrontation à un obstacle qui ébranle au plus profond les personnes ». Sans condamner ces dernières à la passivité, car une épreuve est aussi « une façon d’appré‐ hender le monde, de le comprendre et de le critiquer sur un mode directement sensible, et de réagir en conséquence ». Ainsi Pierre Rosanvallon fait-il le pari de s’attarder sur ce qui est ressenti par la population pour comprendre – et en tirer des leçons politiques, à quelques mois de l’élection présidentielle – les soubresauts qui ont agité la société ces dernières années : l’occupation des rondspoints par les gilets jaunes, l’onde de choc #MeToo et l’écho rencontré par la révélation des violences sexuelles dans l’Église catholique, la greffe réussie du mouvement Black Lives Matter dans l’Hexagone, la montée en puissance de la dénonciation des contrôles d’identité au faciès ainsi que les débats sur l’héritage colonial ou les mobilisations de jeunes sur le climat. Même des protestations qui rappellent l’histoire des manifestations syndicales, comme celle contre le projet de loi sur la réforme des retraites, révèlent peut-être moins une conscience de classe que l’incertitude généralisée face à l’avenir de chacun. « Si la lutte des classes, dans son format d’origine, s’est érodée, les luttes,


elles, subsistent sous les nouveaux atours des épreuves. Et de même que les luttes produi‐ saient les classes dans la théorie marxiste, on peut dire aujourd’hui que ce sont les épreuves qui redessinent la carte du social », observe l’auteur. Quelle différence entre ces expériences sensibles du mépris, de l’injustice, de la discrimination, de l’incertitude et la connaissance objective des inégalités ? « Les inégalités, économiques et sociales au premier chef, sont mesurables et mesurées. Chacun peut les rattacher à des mécanismes économiques, à des pesanteurs historiques, à des déterminations sociales. Et du même coup les subir, les déplorer, les considérer comme obscènes, mais sans que cela soit une blessure personnelle, car elles ont un caractère objectif. Elles peuvent être consi‐ dérées comme scandaleuses sans humilier pour autant ceux qui se situent en bas d’une distribution », explique Pierre Rosanvallon. « Il en va tout autrement pour les injustices, qui sont immédiatement ressenties comme un affront personnel, l’expression d’une déné‐ gation de ce qu’on est, de ce qu’on vaut, de ce qu’on apporte à la société. Elles entraînent du même coup des réactions qui sont davan‐ tage du registre de l’émotion, car il y a tou‐ jours un auteur de l’injustice que l’on peut nommer et détester, alors que c’est une puis‐ sance anonyme, le système capitaliste ou le néolibéralisme, voire les pesanteurs de l’his‐ toire ou de la nature humaine, qui semblent fabriquer les inégalités », poursuit-il. Cette attention portée aux épreuves de la vie serait le symptôme de l’entrée dans un nouvel âge de l’individualisme. Si la célébration de l’individu a pu par le passé receler des attentes d’universalité envers des sujets porteurs de droits inaliénables, elle exprimerait aujourd’hui davantage le désir d’accéder à une existence pleinement personnelle. « Il y a l’aspiration à être important aux yeux d’autrui, à être unique. Il y a la formula‐

tion implicite d’un droit égal pour chacun à être considéré comme une star, un expert ou un artiste ; à voir ses idées et ses jugements pris en compte, reconnus comme ayant une valeur », estime Pierre Rosanvallon. Si l’on veut encore être reconnu comme un semblable dans une société des égaux, on refuse en même temps d’être considéré comme un numéro. On espère être quelqu’un. « C’est toujours au singulier, à partir de leur expérience personnelle que s’exprimaient ceux des gilets jaunes qui se trouvaient être interviewés. Ils ne disaient jamais “Nous, les gilets jaunes”, mais “Je travaille dur et je ne boucle pas mes fins de mois”, “Quand j’ai payé mes factures et la nourriture, je n’ai plus de quoi me payer un restau ou un ciné”, “Je ne peux même pas me chauffer correcte‐ ment”, etc. », rappelle le sociologue. Si l’expérience du mépris et de l’injustice traduit un déni de reconnaissance qui ne demande qu’à être entendu et comblé, l’épreuve de la discrimination est sans doute celle qui remet le plus en cause l’être profond de la personne. En enfermant dans un stéréotype les femmes comme les personnes de couleurs et les homosexuel·le·s – catégories auxquelles s’ajoutent désormais les handicapés, les gros et les personnes âgées –, on refuse à ces personnes d’être quelconques… mais, surtout, quelqu’un. « La personne discriminée est de cette façon doublement exclue de la société des sem‐ blables autant que de la société des sin‐ gularités », en déduit l’auteur. Contre ce LES CAHIERS DU TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN - AUTOMNE 2021 - 123


CULTURE // LES LIVRES DE L’AUTOMNE sentiment d’exclusion, les pouvoirs publics mettent en avant des exceptions dans le recrutement des grandes écoles, la nomination à des postes de pouvoir, la valorisation du monde sportif. Et occultent ainsi les problèmes au lieu de les résoudre, à la manière des climatosceptiques face à l’anxiété que suscite le réchauffement de la planète. « Si l’incertitude nous ronge, il y a en effet aussi des moyens illusoires de la conjurer. En niant la réalité, comme s’acharnent à le faire les climatosceptiques par exemple », relève Pierre Rosanvallon. La promesse d’un avenir radieux n’est plus une réponse possible aux incertitudes qui minent les individus. « Les conditions de gestion de la pandémie de la Covid‐19 ont posé des problèmes de même nature lorsque le gouvernement n’a pas exposé avec suffisamment de clarté la nature des incertitudes auxquelles il était confronté. Gouverner l’anxiété implique de permettre aux citoyens d’appréhender objec‐ tivement les incertitudes. Les dissimuler ou les minimiser pour donner le sentiment que les pouvoirs publics maîtrisaient la situation s’est révélé contre‐productif. » C’est dire combien les décideurs politiques peinent à prendre en compte le vécu des individus, arc-boutés qu’ils sont sur de vieux schémas indifférents aux particularités de chacun. Voilà qui explique pourquoi ils n’ont pas su répondre, par exemple, aux attentes des gilets jaunes : « L’aveuglement des déci‐ deurs parisiens aux réalités vécues par les millions de Français obligés d’utiliser quoti‐ diennement leur automobile avait ainsi été considéré comme choquant. Car, lorsqu’on vit à la campagne ou dans un petit bourg, la voiture n’est pas un bien de consomma‐ tion : elle est un attribut de la personne ellemême, elle est ce qui constitue l’individu en sujet autonome. “Sans voiture, je ne suis plus rien”, avait-on ainsi pu entendre sur les ronds‐ points », analyse l’auteur des Épreuves de la 124 - LES CAHIERS DU TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN - AUTOMNE 2021

vie. Les élites technocratiques défendent une politique de la raison qui les rend insensibles aux émotions qui secouent le pays et aveugles aux épreuves qui fabriquent ces affects. À la différence des populistes, qui ont bien compris, eux, le rôle central des émotions en politique. C’est aussi le cas de la philosophe Chantal Mouffe, qui a inspiré Jean-Luc Mélenchon : « La gauche est trop rationaliste pour le comprendre ; pour elle, les arguments et les chiffres corrects suffisent. Or, ce qui pousse les gens à agir, ce sont les affects », théorise-t-elle. « Les populismes de droite et d’extrême droite ont, quant à eux, plus instinctivement appréhendé les choses. Mais ils ont eux aussi pensé sur ce mode la redéfinition des clivages politiques », soutient Pierre Rosanvallon, qui reproche aux populistes, de droite comme de gauche, d’être les « champions d’une politique négative », prompts à exprimer une démocratie de rejet mais incapables de réformer le pays. Lui est partisan d’une troisième voie. Une politique démocratique des épreuves, centrées sur le respect et la dignité, qui prête attention aux réalités sensiblement vécues. Encore faut-il développer des indicateurs comme les tests à grande échelle sur l’accès au logement ou à l’emploi au regard des différences de sexe et d’origine, qui restent peu nombreux, ou les enquêtes qualitatives permettant de mieux comprendre les ressorts et l’ampleur des souffrances sociales liées à l’injustice et au mépris. Autant dire que Pierre Rosanvallon a de l’ambition : « C’est un nouvel art de gouvernement, avec son langage et ses ins‐ truments d’appréhension de la réalité, qui est là à inventer. » Marion Rousset Pierre Rosanvallon, Les Épreuves de la vie. Comprendre autrement les Français, Seuil, 224 p., 12,50 €


Dieu, les poules et moi

Ce petit livre, sélectionné pour les prix Décembre et Duras, est un « olni », objet littéraire non identifiable. Ni récit, ni roman, ni essai, il mêle cependant les trois. Au commencement étaient les rurbains, deux Parisiens qui travaillent à la capitale, mais vivent à la campagne. L’auteur de l’ouvrage avait un rêve, une bassecour. Le récit de ses aventures est désopilant. Mais très vite, cet intellectuel professeur des universités va utiliser le support de

son poulailler pour nous offrir une série de réflexions, des plus métaphysiques aux plus triviales, sur la vie, la mort, et le sens de la vie, car, oui, même une poule peut se poser la question. D’autant que le maître du poulailler est provident, tout-­puissant, et use de son droit de vie et de mort – notons que la poule n’est pas totalement en reste quand elle regarde le ver de terre qu’elle s’apprête à gober. En un mot, c’est Dieu. Ou ça pourrait. Qui naquit le premier, l’œuf ou la poule ? Dieu a-t-il créé l’homme, ou l’homme a-t-il inventé Dieu ?

Sommes-nous toujours le Dieu de quelqu’un ? Et qu’est ce qui rapproche l’humain d’une poule, quel est ce lien qui les unit ? « Je me dis sou‐ vent que j’ai le même rapport envers mes poules que Dieu doit avoir envers moi. Un peu d’émer‐ veillement, un peu de hauteur, un peu de pitié. » À travers ses mots, Xavier Galmiche explore les notions de partage, de communication, d’altérité, d’empathie. Quand il raconte comment il est devenu « rodeur-glaneur », ces chasseurs-cueilleurs des grandes villes qui explorent et font les poubelles, il livre une extraordinaire description d’un monde qui existe de 5 à 7 heures du matin, « la nuit du chasseur », et traque le rebut de la surconsommation. Des humains qui courent, s’arrêtent, prennent, piochent, trient, gardent, rejettent, avec la concentration et l’affairement d’une poule dans son champ. Nulle leçon de morale, nul angélisme. La nature est cruelle, la campagne, c’est – aussi – boueux et froid, et un poulailler, ça pue. Mais, que ce soit une poule qui fasse part de ses réflexions philosophiques ou l’apprenti fermier qui narre ses déboires, le lien qui relie les êtres vivants est bien l’empathie et l’impuissance face à l’arbitraire du monde. Avec ou sans l’aide de Dieu. Sophie Bajos de Hérédia Xavier Galmiche, Le Poulailler métaphysique, Le Pommier, 160 p., 15 €

Pour une Église décentrée

En ces temps déclinistes pour les observateurs de la réalité catholique, voici un propos revigorant. Il nous vient de Robert Scholtus, prêtre du diocèse de Metz, jadis supérieur du séminaire des Carmes, au temps où ce lieu représentait une oasis d’ouverture. « L’incroyance, écrit le théologien en introduction, n’est plus une calamité sur laquelle pleurnichent les dévots. Et la foi n’est plus une gâterie spirituelle pour les privi‐ légiés de l’existence, ni une certi‐ tude de plomb qui permet d’avoir raison contre les impies. » Repoussant le choix mortifère entre la guerre culturelle contre le monde prônée par certains et l’autosécularisation que revendiquent d’autres, il cherche une ligne de crête, une voie médiane. Pour lui, l’Église a un avenir et peut « renou‐

veler sa vitalité dans la mesure où elle se décentre d’elle-même et de ses problèmes de survie insti‐ tutionnelle pour devenir mission‐ naire, tournée vers l’autre, tournée vers le Royaume à venir ». Pour lui, la question est donc : « Comment vivre la d ­ ifférence chrétienne sans

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CULTURE // LES LIVRES DE L’AUTOMNE arrogance, dans l’hospitalité et le dialogue ? » Et d’inviter cette Église institutionnelle qu’il ne connaît que trop bien à se prémunir contre « les déclarations péremptoires, les simplismes moralisateurs ». Voyant dans le christianisme un « acte de communication », il veut s’appuyer sur la question du style de la proposition de la foi théorisée par le jésuite Christoph Theobald. Dans un texte exigeant, qui fera grincer des dents, le théologien aère et nourrit son propos en multipliant les pas de côté vers la philosophie ou la poésie. Loin de tomber dans l’amertume, Robert Scholtus renonce à toute résignation devant les défis du temps et s’obstine à ouvrir des portes.

clair, compréhensible et attrayant le monde dématérialisé d’Internet. À ce titre, l’ouvrage de Guillaume Pitron L’Enfer numérique, voyage au bout d’un like se révèle remarquable. L’enquête se lit comme un polar, où l’on voyage de Chine – dans les mines de graphite, matériau indispensable au fonctionnement de nos smartphones et ordinateurs – en Laponie suédoise, où sont déployés sur trois hectares les centres de stockage de données européens de Facebook. Petit à petit, on s’aperçoit que cet espace numérique, que l’on pensait intouchable, impalpable et insaisissable s’avère extrêmement concret. Ainsi, l’auteur

Philippe Clanché Robert Scholtus, Danser en plein séisme ou l’Énergie de la foi, Lessius, 150 p., 15 €

Le réel du dématériel

Saviez-vous que 12,5 % de la production mondiale de cuivre était dédiée à Internet, aux câbles nécessaires pour son infrastructure, au développement de ses centres de données ? Que nos habitudes de consommation, en particulier numérique, modifient la composition de l’écorce terrestre, à cause des résidus miniers et des déchets électroniques enfouis ? Qu’en louant une trottinette partagée, vous partagez tous vos déplacements avec un tracker, qui pourra ensuite quasiment tout dire de vos habitudes de vie ? Il en fallait du talent pour rendre

nous emmène à la rencontre de « l’homme qui a tenté d’assoiffer la NSA ». Cette agence américaine à l’affût du moindre renseignement stocke « chaque minute autant d’informations que celles conte‐ nues dans la [bibliothèque] du Congrès américain ». Pour les sauvegarder, elle a donc besoin de serveurs extrêmement puissants, très gourmands en énergie et… en eau, afin d’éviter la surchauffe.

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Voilà donc un politicien local parti en guerre pour ne pas avoir à lui fournir cette eau. Au-delà de toutes ces histoires à hauteur d’homme qui donnent chair à un monde dématérialisé, le livre regorge de données, toutes mises en perspective de manière pédagogique. Et tire la sonnette d’alarme sur les enjeux écologiques et géopolitiques de cette technologie bien réelle. Cécile Andrzejewski Guillaume Pitron, L’Enfer numérique, voyage au bout d’un like, Les liens qui libèrent, 352 pages, 21€

Le credo des business schools

En mai 2018, une campagne publicitaire envahit les murs du métro parisien. « Entrez rêveur, sor‐ tez manager » : voilà la promesse de l’Inseec Business School. Maurice Midena, journaliste à Arrêt sur images, a pris au mot le slogan de l’école et en a fait le titre de son premier livre. Dans cette enquête très détaillée, appuyée de dizaines de témoignages d’étudiants ou anciens étudiants, de statistiques et travaux de chercheurs, il décrypte les désillusions des élites économiques de demain, « confrontées, de gré ou de force, à la réalité du marché du travail et happées par le carcan de l’idéologie néolibérale ». Un univers qu’il connaît bien pour avoir été un « étudiant d’école de com‐ merce typique ». Ces écoles, nées au début du xixe siècle à l’initiative de la bour-


geoisie marchande, ont connu une montée en puissance depuis la seconde moitié des années 1980, avec le soutien, y compris financier, de l’État. Celui-ci en reconnaît officiellement vingt-six, aux frais de scolarité exorbitants, qui viennent grossir les rangs des cabinets de conseil, des instances dirigeantes du CAC 40 et, de plus

décourageraient la dissidence intellectuelle. « Nous, on par‐ lait très peu politique, de toute manière les gens étaient plutôt libéraux, quoique y avait quelques personnes un peu perchées qui adhéraient pas trop, trop », décrit une ancienne étudiante à Grenoble. Des « ouailles » biberonnées à l’« orthodoxie » économique, des « réfractaires » recadrés : dans son ouvrage, essentiel pour comprendre la fabrique du consentement au sein même de la future caste du marché, Maurice Midena multiplie les emprunts au lexique religieux pour décrire la « théolo‐ gie du management » prêchée en école de commerce. Timothée de Rauglaudre

en plus, de l’Assemblée nationale. Après l’épanouissement intellectuel de la classe préparatoire, les admis en école de commerce sont confrontés, d’après Maurice Midena, à la « défaite de la pensée ». Le terme le plus utilisé par les étudiants pour décrire les enseignements est celui de « bullshit » : en management des organisations ou en finance de marché, on apprend à accroître la rentabilité et limiter la masse salariale, à grand renfort de diaporamas PowerPoint et d’études de cas. L’investissement croissant dans la recherche et les discours sur la moralisation de l’économie n’y changent rien. Derrière une dépolitisation de façade, ces business schools

Maurice Midena, Entrez rêveurs, sortez manageurs. Formation et formatage en école de commerce, La Découverte, 312 p., 20 €

et divine ».Christian Delahaye a proposé des années durant ses services et ses compétences à son diocèse de Séez (Orne) et à divers instituts de formation. Après deux rendez-vous avec des responsables, sans avoir pu dire un mot de la nature, certes originale, de son offre de service comme laïc, il voit son nom apposé sur une chambre du séminaire des Carmes ! Pour l’institution, servir l’Église signifie devenir prêtre, comme une évidence. Il déclinera. Quelques années plus tard, enfin reconnu comme enseignant – en histoire de l’Église et dialogue interreligieux –, et heureux, il sera viré pour avoir commis un livre dénonçant les scandales, de pédophilie notamment, qui ternissent l’institution. Cette histoire d’amour raté est un coup de poing. On est saisi par l’abîme entre l’érudition et la générosité

Un combat contre le cléricalisme

Christian Delahaye, journaliste, célibataire, est un drôle de catholique, qui aime l’Église, laquelle ne le lui rend guère ! Ouvrage étonnant, Adieu curé mêle argumentaire théologique et journal personnel. Formé à l’Institut catholique de Paris, l’auteur met sérieusement en cause la volonté de Jésus et de ses premiers fidèles de faire de la Cène un sacrifice, principe sur lequel sera fondé le pouvoir central du prêtre. Il pourfend cette vision transformant « la nature humaine du prêtre » pour la rendre « sacrée

de son auteur et la violence – verbale et psychologique – de ses détracteurs. Porté par une belle plume, le récit de cet amoureux déçu d’une Église qui ne veut pas de son projet, pourtant pas si hétérodoxe, se révèle un docu-

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CULTURE // LES LIVRES DE L’AUTOMNE ment important. D’autant que, chose rare, des protagonistes, évêques et prêtres reconnus, sont nommés ou identifiables.

seller mondial. À Los Angeles aussi qu’il assumera définitivement sa vocation d’écrivain, démissionnant in fine du Quai d’Orsay.

Philippe Clanché Christian Delahaye, Adieu curé, Empreinte Temps présent, 256 p., 18 €

Henri Lastenouse

Kerwin Spire, Monsieur Romain Gary, consul général de France, Gallimard, 324 p., 20 €

Un Goncourt à Los Angeles

Merci à la plume qui se cache sous le pseudonyme « Kerwin Spire » ! Elle justifie la présence de Romain Gary à la table des 80 ans de Témoignage chrétien. Et ce n’est que justice. À l’heure où Pierre Chaillet faisait résonner la voix d’une conscience chrétienne, alors que trop de plumes se perdaient à Vichy ou dans la collaboration, Romain Gary parcourait les cieux de la France libre. Par ailleurs, écho singulier aux engagements récents de Témoignage chrétien, Romain Gary déclarait au soir de sa vie : « Si le christia‐ nisme n’était pas tombé entre les mains des hommes, mais entre les mains des femmes, on aurait eu aujourd’hui une tout autre vie, une tout autre société, une tout autre civilisation »…. C’est une tout autre époque que saisit la plume de Kerwin Spire en retraçant l’épopée de Romain Gary, alors consul général à Los Angeles, entre 1956 et 1960, à l’aube de la France gaullienne. Une période clef dans le destin de l’écrivain. C’est depuis Los Angeles qu’il publie Les Racines du ciel, prix Goncourt 1956, mais aussi La Promesse de l’aube, éternel best-­

hauteurs de Los Angeles. Odette sera la confidente des samedis californiens de Gary… et un peu plus aussi ! Elle est toujours en vie, et ses entretiens avec l’auteur ont visiblement nourri la musique intime du récit.

Maman, papa, j’ai sauté une classe Entre-temps, sur un territoire aussi vaste que l’Hexagone, Romain Gary va incarner seul une France que l’Amérique admire sans vraiment la comprendre. Dans le théâtre hollywoodien, le personnage Romain Gary va séduire, précédé par la part de légende personnelle que lui autorise alors le Quai d’Orsay. Et puis, last but not least, il y a ce physique à la Gary Cooper… Voilà un cocktail qui va le hisser au faîte de la célébrité outre-Atlantique. Au fil des archives du Quai d’Orsay, l’auteur nous présente un Gary « diplo‐ mate patriote », aux prises avec la crise de Suez, l’affaire algérienne et la montée du terrorisme FLN… À ce titre, son prix Goncourt Les Racines du ciel se lit aussi comme une synthèse entre son action diplomatique, sa propre pensée politique et son œuvre littéraire. Enfin, le récit dévoile la figure bien réelle d’Odette, secrétaire au 1919 Outpost Drive, la résidence bureau du consul sur les

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« Un truc que j’ai mesuré seule‐ ment en grandissant : c’est vertigi‐ neux ce qu’ils ont fait pour nous », proclame Youssef Badr. Le magistrat, ancien porte-­parole du ministère de la Justice, aujourd’hui enseignant à l’École nationale de la magistrature est, avec sa mère Ijjou Badr, femme de ménage, un des personnages du livre d’Adrien Naselli Et tes parents, ils font quoi ? Enquête sur les transfuges de classe et leurs parents. Lui-même fils d’une secrétaire et d’un conducteur de bus, passé ensuite par l’École normale supérieure, puis par une prestigieuse école de journalisme, l’auteur a traversé les classes sociales au fil de ses études et de ses expériences professionnelles. Et, au fur et à mesure de ses rencontres, il se met à tenir une liste de noms de « gens comme [lui]. Des noms de filles et de garçons qui sont les premiers de leur famille à faire des études supérieures. Ils n’ont aucune raison d’être là ». Car, la méritocratie a beau être vantée à longueur


de discours ministériels, dans les faits « on ne change pas de classe sociale en France ». Alors comment le vivent ceux qui, malgré tout, y arrivent ? Et, surtout, comment le prennent leurs parents ? À l’heure où ces récits de transfuges de classe, écrits à la première personne, commencent à devenir un style littéraire propre, l’originalité de cet ouvrage réside dans sa volonté de redonner la parole aux parents. « Écoutons-les, ces gens qui ont vu partir leurs enfants vers des mondes inconnus. » Sans surprise, les interlocuteurs de l’auteur se révèlent avant tout interlocutrices, un bataillon de mères. Elles disent, avec pudeur et franchise, la distance qui se creuse parfois, les incompréhensions, les disputes, mais aussi la fierté et l’importance pour elles

de voir leurs enfants conserver les valeurs qui leur ont été inculquées : le travail, évidemment, et surtout l’importance de ne pas se faire mousser. On y croise par exemple, Odette Filippetti, mère de la ministre de la Culture du même nom, à la cérémonie d’investiture de sa fille. Et on entend,

comme en écho, Aurélie Filippetti s’indigner contre « cette sociabilité des très riches […] qui racontent qu’ils se sont faits tout seuls et que les classes populaires ne sont pas assez mobiles ! » Cécile Andrzejewski Adrien Naselli, Et tes parents, ils font quoi ? Enquête sur les transfuges de classe et leurs parents, JC Lattès, 288 p., 19 €

À la loupe

L’auteur de ce bref et succulent roman est un maître pataphysicien, virtuose des jeux langagiers, dans le sillage fécond d’Alfred Jarry, Raymond Queneau, Georges Perec et quelques autres. On a eu récemment le privilège de lire sa « suite » à L’École des femmes de Molière, un festival d’intelligence littéraire et de drôlerie, écrit en alexandrins dans la langue de Molière avec une perfection troublante, dont on espère qu’il sera promptement monté au théâtre. Avec Les Mains propres, Jean-Louis Bailly se penche sur le cas d’un certain Anthelme, ombre portée du grand entomologiste Jean-Henri Fabre. Qu’est-ce qui, diable, a pu suggérer à l’auteur de faire un personnage de roman de ce savant exemplaire, dont l’œuvre, les Sou‐ venirs entomologiques, reste d’ailleurs un régal de lecture, comme une version savante et lumineuse de quelques fables de La Fontaine ? Peut-être bien le diable, justement, car Bailly imagine que cet honnête homme, ce grand

scientifique autodidacte, cet époux aimant – on le suppose – deux fois veuf, cachait un terrible secret. Un secret qui est étroitement en rapport, bien entendu, avec sa fréquentation assidue des insectes, ce monde de violence et de guerres larvées, si l’on ose dire, et que l’on se gardera de déflorer. Toute vie, même celles qui prêtent le plus à l’hagiographie, recèle le soupçon de zones plus sombres, de mystères peu avouables. L’auteur s’en justifie, et semble même s’en excuser dans une postface, petit chef-d’œuvre goguenard d’un diablotin pas

dupe des pulsions humaines qui peuvent hanter les êtres les plus irréprochables, au point d’en être agaçants. Anthelme, alias Têtede-mouche, a-t-il vraiment perpétré l’acte que Bailly lui prête ? La nature enchanteresse est aussi le lieu de cruautés qui suscitent l’effroi si on les observe à la loupe. Un roman noir en forme de fable, illuminé par une langue de haute tenue. Un petit bijou. Bernard Fauconnier Jean-Louis Bailly, Les Mains propres, Éditions de l’arbre vengeur, 120 p., 13 €

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Fondé en 1941 dans la clandestinité par Pierre Chaillet (s.j.), Témoignage chrétien est édité par Les Cahiers du Témoignage chrétien, 5, rue de la Harpe – 75005 Paris. Tél. 06 72 44 00 23. contacttc@temoignagechretien.fr Courriels : initialeduprénom.nom@temoignagechretien.fr Directrice de la publication et de la rédaction : Christine Pedotti Rédactrice en chef adjointe : Sophie Bajos de Hérédia Secrétariat de rédaction et réalisation graphique : Pascal Tilche Direction artistique : Fred Demarquette, avec Émilie Nasse pour le cahier central – La Vie du Rail Direction technique : Robin Loison – La Vie du Rail

Ont collaboré à ce numéro : Cécile Andrzejewski, Jean-François Bouthors, Frédéric Brillet, David Brouzet, Sandrine Chesnel, Philippe Clanché, Jacques Delors, Joseph Doré, Alexandre Farra, Bernard Fauconnier, Anthony Favier, Boris Grebille, Henri Lastenouse, Guillaume de Morant, Morgane Pellennec, Timothée de Rauglaudre, Bertrand Rivière, Marion Rousset, Bernadette Sauvaget, Cécile Vast, Agnès Willaume.

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Diffusion, abonnements : Service Abonnement Témoignage chrétien 56, rue du Rocher 75008 Paris Tél. 06 72 44 00 23 abonnement@temoignagechretien.fr Vente au numéro/VPC : contacttc@temoignagechretien.fr Imprimerie : Corlet Imprimeur, Condé-sur-Noireau (France). ISSN : 0244-1462 / No CPPAP : 1024 C 82904


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Les défis de la fraternité

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« Vieillir, c’est encore le seul moyen qu’on ait trouvé de vivre longtemps. » Sainte-Beuve (1804-1869)

Image de couverture : Pierre Chaillet en 1931.


Cyberhaine L’historien Marc Knobel éclaire la façon dont les réseaux sociaux ont révolutionné la diffusion du racisme et de l’antisémitisme ÉGLISE CATHOLIQUE Les cathos allemands se rebiffent LA SPA Avec un record d’animaux abandonnés cette année, la SPA ne chôme pas

Supplément au no 3936 de Témoignage chrétien

GRAND ENTRETIEN Le sociologue et prospectiviste Jean Viard s'attache à analyser les mutations sociologiques et philosophiques que génère le covid-19

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Et aussi : Pierre Rosanvallon propose une lecture de notre société à travers les épreuves de la vie de chacun, Notre-Dame offre un terrain d’exploration inédit aux chercheurs, et Saint-Julien-Chapteuil décline la solidarité sous toutes ses formes Notre dossier : 80 ans la résistance dans les gênes Étienne Fouilloux : l’histoire mouvementée de TC La guerre d’algérie, la condamnation de la torture Jacques Delors, Joseph Doré, Joseph Pinard, Yvan Tranvouez racontent leur tc novembre 1941 : « France, prends garde de perdre ton âme » le legs et l’avenir Les Cahiers du Témoignage chrétien – Automne 2021 – Supplément au no 3936 – 11,90 € – ISBN 978-2-490646-04-3

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PAKISTAN Plongée glaçante dans la vie des chrétiens pakistanais

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