PREMIER PLAN
Le jour où…
JEAN-MARC PAU POUR JA
Des terroristes ont attaqué la pizzeria de mes parents Sarah El Haïry Alors scolarisée à Casablanca, la future secrétaire d’État française chargée de la Jeunesse et de l’Engagement a vécu les attentats de 2003. Elle raconte ce traumatisme.
C
asablanca. Ce 16 mai 2003 débute comme tous les autres jours pour l’adolescente que je suis. Au collège, les cours s’enchaînent : maths, français, anglais et physique-chimie. Puis retour à la maison avec mon petit frère. Mes parents sont dans leur restaurant, prêts à affronter le service du soir, prêts, comme chaque jour, à donner pour que chacun vive un moment inoubliable. Et en effet, nous n’oublierons jamais. Je n’oublierai jamais ce 16 mai 2003. Il devait être à peine 22 heures quand des jeunes hommes d’environ une vingtaine d’années ont fait couler le sang d’innocents, le sang de ceux qui aiment la vie, le sang de ceux qui représentent une différence. Ce jour-là se produit une série de cinq attentats-suicides dans Casablanca. Cinq attentats islamistes qui ont pris pour cible un hôtel et un restaurant accueillant des clients étrangers, une pizzeria tenue par un
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JEUNE AFRIQUE – N° 3103 – AOUT 2021
juif, le bâtiment social de l’Alliance israélite, le cimetière juif de la ville ainsi que le consulat de Belgique. Il y aura 33 morts, 33 vies prises en quelques minutes par des fous de Dieu qui ne peuvent se réclamer de la religion musulmane.
Souffle de l’explosion La pizzeria, Le Positano, appartient à mes parents. Ils étaient associés à une famille juive. Par miracle, une voiture blindée, garée devant le restaurant, nous a protégés du souffle de l’explosion. Ce soir-là, la mort n’aura pas lieu, pas là, pas chez nous.
Il y aura 33 morts, 33 vies prises en quelques minutes par des fous de Dieu qui ne peuvent se réclamer de la religion musulmane. L’adolescente que je suis, l’enfant que je redeviens à cet instant, se souvient de tout : de ce bruit sourd, de cette odeur, de ces cris d’horreur, de ces images en boucle sur les télévisions locales, de cette peur de perdre les siens, de perdre, lorsque l’on a 14 ans, ceux que l’on aime le
plus au monde : ses parents. Le jour d’après, une fois que la vie vous a prévenu que rien ne peut plus être tenu pour acquis, que l’essentiel peut vous échapper, que rien ne peut plus être futile, que le temps pour s’aimer devient votre bien le plus précieux, alors oui, plus rien ne peut plus être comme avant. Vous ne laisserez pas passer cette seconde chance. Et c’est là que se forge le combat d’une vie.
Croire ou ne pas croire Le combat pour la liberté de chacun, le combat contre l’obscurantisme, le combat pour que ceux qui divisent et qui sèment la mort n’aient pas un seul espace. C’est par instinct maternel, pour protéger ses enfants, que ma mère a décidé, avec courage, de tout quitter pour rejoindre son frère à Thionville, en France. Pour que mon frère et moi puissions vivre dans un cadre serein, loin des guerres de Religion. Dans le pays de l’universalisme, dans le pays de la liberté d’expression, dans le pays où chacun a la liberté de croire ou de ne pas croire, où le fait religieux est un acte privé. C’est en France que nous avons retrouvé une vie apaisée, un sentiment de quiétude. C’est en France que nous nous sommes instruits, soignés et engagés. C’est en France que nous avons construit. Notre chance a été la France. Propos recueillis par Jihâd Gillon