KEN KESEY l’auteur bouillonnant de Vol au-dessus d’un nid de coucou
ET QUELQUEFOIS J ’AI COMME UNE GRANDE I DÉE Chef-d’œuvre traduit de l’américain
On sait qu’un livre est bon quand on ne peut s’empêcher d’y repenser une fois terminé. Et quelquefois j’ai comme une grande idée ne quittera pas vos pensées avant un moment.
[ PA R U T I O N 3
O C TO B R E
2013]
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M ONSIEUR T OUSSAINT L OUVERTURE Diffusion & distribution : harmonia mundi
L ’ AU T E U R
: Suivre dans ses zigzags la fulgurante trajectoire de Kenneth Elton “Ken” Kesey (1935-2001) entre 1960 et 1967, c’est voir se dérouler à toute vitesse les années soixante aux États-Unis, leurs extravagances, leur fantastique dynamisme, leurs naïvetés, et aussi leurs inquiétantes dérives. Né en 1935 dans le Colorado, le légendaire Ken Kesey a grandi dans le Nord-Ouest, en Oregon, où son père monte, au lendemain de la guerre, une coopérative laitière assez prospère. Athlétique, avec un vague air de Paul Newman en plus musculeux et trapu, c’est un spécialiste de la lutte gréco-romaine, discipline dans laquelle il a failli être sélectionné pour les Jeux Olympiques de 1960. Il arrive dans la baie de San Francisco en 1956, avec une bourse pour l’université Stanford. L’hôpital pour anciens combattants de Menlo Park recrute des cobayes rémunérés pour des expériences de drogues “psychomimétiques”. Ken Kesey découvre les hallucinogènes : le LSD, le peyotl, la mescaline. Il écrit le roman qui va le rendre célèbre, Vol au-dessus d’un nid de coucou (1962). Avec l’argent de son succès, il achète, près de La Honda, une maison, où il termine son second roman, qu’il estime être son chef-d’œuvre, Et quelquefois j’ai comme une grande idée, paru en 1964. Au printemps de la même année, sa vie va complétement changer de direction. Kesey et sa bande de “Joyeux Lurons” – les Merry Pranksters – achètent un vieux bus de ramassage scolaire, le peinturlurent de toutes les couleurs, l’équipent de hauts-parleurs, et prennent la route de l’Est. Au volant, une vieille connaissance : Neal Cassady, l’ancien compagnon de bourlingue de Kerouac. On refait Sur la route, mais dans l’autre sens. Ou plutôt, on s’en repasse le film. Le bus traverse le continent jusqu’à New York, où se tient alors l’Exposition Universelle. À leur retour, la maison de La Honda devient le lieu de rendez-vous de toute la culture qu’on commence à appeler “psychédélique”. Tom Wolfe racontera ses aventures dans Acid Test, que Gus Van Sant (grand admirateur de Kesey) a le projet d’adapter au cinéma. Trop jeune pour être un beatnik, trop vieux pour être un hippie, Ken Kesey était l’embryon d’une contre-culture anticonsumériste, totalement libre, ouvert d’esprit et tentant par tous les moyens de se connecter au monde entier pour en prendre la véritable mesure.
ET QUELQUEFOIS J’AI COMME UNE GRANDE IDÉE [PUBLIÉE DANS HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE AMÉRICAINE] PAR JEAN-YVES PÉTILLON .... Histoire : Et quelquefois j’ai comme une grande idée a des allures de premier roman plus ou moins autobiographique. Cette saga familialle construite autour d’un nœud œdipien qui rappelle beaucoup à À l’est d’Eden de Steinbeck. Le vieux Henry Stamper est le patron d’une petite entreprise familiale : une exploitation forestière en Oregon. « Cède jamais d’un pouce », telle est sa devise (et le titre britannique de l’adaptation de Paul Newman). Il lutte contre les crues de la rivière qui érodent ses terres. Mais il lutte surtout contre le syndicat des bûcherons qui, sous prétexte que la compagnie voisine est en grève, veut lui interdire de livrer son bois. C’est l’Homme de l’Ouest en briseur de grève, un survivant du xixe siècle : on ne lui dicte pas sa loi. Ce patriarche a deux fils. Issu d’un premier mariage, Hank est viril, brutal, entreprenant. L’autre est le fruit de secondes noces, avec une très jeune femme : Lee, sensible, introverti. Hank est resté dans l’Ouest viril. Lee est parti dans l’Est faire des études de Lettres. Le conflit entre le cadet et son aîné, le rival qu’il ne rattrapera jamais, se double d’un traumatisme œdipien. Le roman est un flashback au cours duquel Lee, revenu dans l’Ouest, essaie de surmonter tout ce passé. Flottant au-dessus de la rivière, on a attaché à un fil barbelé le bras d’un ouvrier, amputé à la suite d’un accident. Le majeur levé vers le ciel de ce bras signifie, bien entendu : « Allez tous vous faire foutre ».
Style : Et quelquefois j’ai comme une grande idée est plus ancré dans la réalité que Vol au-dessus d’un nid de coucous, mais il est aussi d’une certaine manière plus ambitieux. Il a été comparé au Absolom, Absolom ! de William Faulkner tant pour le fond que pour la forme. L’histoire se déploie successivement à travers le regard des personnages. Le roman est toujours raconté à la première personne, mais ce narrateur change régulièrement, parfois même dans un même paragraphe. Dans les premières pages, le procédé peut paraître artificiel et un peu confus, mais Kesey le maîtrise très bien et laisse toujours des indices pour savoir qui parle. Cela permet à l’auteur de nous révéler les motivations complexes et profondes qui animent les différents personnages au moment même où ils sont incapables de communiquer correctement entre eux. Rapidement, ce procédé donne accès à une réalité d’une rare densité. Observant au plus près la tension qui se noue entre la vérité et l’interprétation, on arrive à la conclusion qu’il n’y a de perspectives qu’individuelles. Une autre conséquence de ce procédé est aussi de mettre le lecteur au centre du texte, le forçant à apporter – dans un premier temps du moins – une attention plus soutenue. Il interroge l’acte même de lire et offre un contenu plus dense que le permet un style linéaire, un narrateur unique.
PRÉFACE IMAGINAIRE [PUBLIÉE EN 2009 DANS COLLECTION IRRAISONNÉE DE PRÉFACES À DES LIVRES FÉTICHES] PAR THEO HAKOLA .... Theo Hakola, né à Spokane (États-Unis) en 1954, est un artiste chanteur, musicien, homme de théâtre et écrivain américain travaillant et résidant en France depuis la fin des années 1970. .... J’étais à cheval... À l’époque, les voitures étaient encore dépourvues de ceintures de sécurité et un garçon pouvait emprunter un cheval et partir en promenade à cru et sans équipements. Ce jour-là, une bande de joyeux lurons avait pris position sur la plage où je galopais et, lorsque je me suis approché d’eux, ils m’ont gentiment proposé un verre de jus de fruit, du Kool-Aid. Il faisait chaud. J’avais soif. J’ai bu... Jadis, un jeune Américain révolté par les cartes que lui avait distribuées le destin pouvait rêver de « s’enfuir avec le cirque » si jamais une troupe passait dans le coin. Mais pas en 1964. Et pas dans mon coin. En revanche, il y avait les Merry Pranksters de Ken Kesey qui passaient par l’immense plage du Pacifique à Neskowin alors que ma famille fracassée y commettait une tentative de vacances. À bord du Furthur, un car de ramassage de 1937 reconverti en trait d’union roulant entre les beatniks et le psychédélisme – entre Sur la route et The Grateful Dead –, les Pranksters ne ressemblaient à rien que personne n’avait jamais vu. Et moi, en cet été 1964, j’y voyais avant tout une famille bien plus attrayante que la mienne. (J’apprendrais plus tard qu’ils revenaient alors de New York où Kesey – auteur déjà célèbre pour son Vol au-dessus d’un nid de coucou – avait dû se rendre pour la
sortie de son deuxième roman.) Ma dernière vision de cette plage a été celle de Deenut, un superbe appaloosa à la robe tacheté dont chaque flanc était coloré d’uneétoile fluorescente : rose, pourpre, vert, jaune... C’était beau ! Beau à pleurer, mais je me suis dit que je ne pourrais jamais rendre ce cheval dans cet état ! Alors je me suis couché sur le toit aménagé et sonorisé de ce bus et me suis réveillé, aux anges, en Californie... où Ken, qui était très gentil, m’a demandé si j’avais bu du jus de fruit, la veille. « Oui, ai-je répondu. Il a secoué la tête. — Qui est le con qui... Neal ! — Ça va, c’était quand même pas de la gnôle ! gémissait ce dernier. Tu vois, Ken, il y avait un cheval. La clef de cette histoire, c’est ce cheval. Puis le gosse, tu vois, puis... Mince ! Au Mexique, on dit qu’un cheval...» Il était gentil, Neal, lui aussi, mais il ne pouvait pas s’arrêter de parler. « Oh, putain...», soupirait Ken en posant sa grosse patte sur mon épaule. Avec ses cheveux tire-bouchonnant sur les côtés et plutôt absents au sommet de son crâne, il me faisait l’effet d’un clown, un Bozo doté d’un physique de demi de mêlée. « T’as quel âge ? m’a-t-il demandé. — Douze ans, lui ai-je menti. — Jééésus... On va te... — Je veux rester avec vous. — C’est pas un cirque, toute cette histoire. — C’est quoi, alors ? — C’est une fête, m’a répondu Ken, une fête d’adultes, malgré la présence de ce nase de Neal. Mais lui, il ressemble à un adulte alors, pour l’instant, on le garde. On le laisse même conduire le bus, tandis que toi, on va te ramener avant de nous faire arrêter pour kidnapping, et... Tu diras que tu t’es perdu, d’accord ? Pour le reste, tu veux bien ne rien dire à personne ? Enfin, attends au moins une douzaine d’années, d’accord ?
— D’accord », lui ai-je dit. Puis j’ai attendu 44 ans. Je ne sais pas exactement pourquoi – peut-être parce que cette rencontre invraisemblable est devenue dans mon esprit quelque chose de sacré. J’avais vite perdu la foi dans laquelle j’avais grandi, mais j’avais au moins ça – le souvenir de Kesey et sa bande et son bus, sans parler de Neal Cassady, celui de Kerouac. Vers seize ans j’ai lu Vol au-dessus d’un nid de coucou, ma première rencontre avec un vrai roman – mieux qu’un bon début, plutôt un miracle. Quant aux exploits des Merry Pranksters tels que Tom Wolf les racontera dans Acid Test ; quant à toute cette culture de drogués hirsutes, mis à part la musique qui en sortait, cela finissait par me sembler plutôt futile. Ce qu’on ne dirait pas du deuxième roman de Kesey : Et quelquefois j’ai comme une grande idée, roman au titre tiré d’une chanson de Leadbelly, Goodnight, Irene... Quelquefois j’habite à la campagne Quelquefois c’est en ville que je vis Et quelquefois j’ai comme une grande idée De me noyer dans la rivière aussi Et roman sans grand lien avec la révolution contre-culturelle de son auteur. L’ayant relu afin de composer cette préface, je me pose la même question qu’il y a trente ans : comment a-t-il fait ? Le cerveau explosé par un tas de substances hallucinogènes (devenues illicites seulement en 1966), comment a-t-il fait pour pondre un tel monument, et ce, si vite après la publication de son premier tour de force en 1962 ? C’est une œuvre massive – un roman du grand Nord-Ouest, de forêts, de rivière, bien sûr, et de bûcherons. De la nature belle et violente, assassine et assassinée. De l’individualisme têtu et libertaire (pour ne pas dire foutu et réactionnaire) face à l’action collective, celle des syndicats notamment. C’est la saga des Stamper, une famille coulée dans le moule du vieil Ouest contraint à faire face à l’Amérique nouvelle, à l’Amérique domptée. Une fa-
mille masculine où la place de la femme n’est pas sans rappeler celle que lui donne Kesey lui-même, où l’énergie vitale comme la capacité créatrice sont toujours un truc de mecs, de copains – comme Hunter S. Thompson. Où les Carson McCullers, Toni Morrison, Joyce Carol Oates et compagnie évoluent dans un univers parallèle, voire insoupçonné. Passé ce bémol – banal, mais éternellement irritant – nous avons toujours cette plume miraculeuse, cette histoire où le point de vue, comme le moment raconté, peut changer au détour d’une phrase. La prouesse insensée de l’auteur est de pouvoir exécuter ces virages sans perdre le lecteur. Par son souffle, ce livre, jamais publié en français, vole à côté de ceux des grands Russes du xixe siècle et a le droit de tutoyer Sous le volcan, même si l’auteur lui-même ne s’imaginait jamais à de telles hauteurs Et même si l’auteur, tel Lowry après son chef d’œuvre, n’a jamais pu atteindre à nouveau de telles hauteurs... Grand lutteur universitaire presque qualifié pour l’équipe olympique, Ken Kesey expliquera son manque de productivité après 1964 par l’épuisement, se comparant à un lanceur de baseball qui n’a plus rien dans le bras après avoir tout donné dans deux matchs sans faute consécutifs. Il n’avait que vingt-huit ans lors de la publication de Et quelquefois j’ai comme une grande idée, a mené une vie haute en couleurs jusqu’à sa mort en 2001, mais... plus rien dans la plume. Il faut peut-être lire ce roman pour comprendre pourquoi.
LA FIN D’UN LONG VOYAGE POUR KESEY, DONT LES MOTS CONTINUENT À RESONNER [PUBLIÉE EN 2001 DANS LE NEW-YORK TIMES] PAR SAM HOWE VERHOVEK .... Il paraît que c’est Ken Kesey lui-même qui a publié le message que l’on pouvait lire sur son site web, IntrepridTrips.com, peu de temps après sa mort samedi dernier: « Bon, vous tous là-bas, faites passer le mot : une commémoration en mon honneur aura lieu au McDonald Theater d’Eugene à midi », aurait soi-disant écrit Kesey d’outre-tombe. « Et pour ceux qui n’auront pas pu trouver une place à l’intérieur, des haut-parleurs seront installés sur les trottoirs afin que tout le monde puisse écouter les riffs qui s’échapperont du lieu comme une nuée de phalènes. » Pour sûr, la salle de 750 places était bondée et les gens débordaient jusque sur Willamette Street, où ils collaient leurs oreilles aux enceintes. À l’intérieur, sur une scène baignée de néons verts, jaunes et roses, on rendait hommage à Ken Elton Kesey, icône de l’ère psychédélique morte à 66 ans. Atteint d’un cancer et récemment opéré du foie, l’auteur a succombé à des complications. Ce fut une commémoration éclectique, avec une prière tirée du livre d’Isaïe et une bénédiction sous forme de chanson des Grateful Dead : « And We Bid You Good Night ». La foule aussi était bigarrée. On y trouvait de nombreux Merry Pranksters, ces proto-hippies ayant sillonné le pays en 1964 à bord de leur bus scolaire peinturluré en fluo, qui roulait au LSD et arborait le panneau « Chargement étrange » à l’arrière – voyage relaté par Tom Wolfe dans son livre Acid Test. Beaucoup de hippies sur le retour y assistèrent, tout comme des étudiants branchés de l’université de la ville, dont la plupart, bien sûr, sont nés bien après le voyage en bus et la publication
des deux célèbres romans de Kesey, Vol au-dessus d’un nid de coucou et Et quelquefois j’ai comme une grande idée, parus au début des années 1960. Mais il y avait aussi d’autres personnes ayant côtoyé Kesey durant ses trentes dernières années passées du côté de Pleasant Hill, loin de la célébrité, où il cultivait la terre, faisait partie du conseil d’administration de l’école, entraînait des lutteurs du lycée et élevait quatre enfants avec Norma Faye, son épouse et amour de jeunesse. « En fait, il croyait en des valeurs américaines basiques – la famille, la liberté, l’amour, » d’après Allan Rosenwasser, un peintre venu à la cérémonie. « Mais j’aimais aussi son côté anticonformiste, dans tous les sens du terme. » Kesey fut la cible de nombreuses critiques au fil des ans ; certaines personnes le considéraient comme le barde d’une période décadente ayant une vision irresponsable de la sexualité, ou comme l’apôtre d’une culture de la drogue ayant causé de nombreux dégâts chez les jeunes. D’autres virent de la misogynie dans Vol au-dessus d’un nid de coucou et son portrait de l’autoritaire infirmière Ratched. Mais aucune critique ne se fit entendre aujourd’hui parmi ceux qui connaissaient, aimaient ou simplement admiraient l’homme, glorifié comme un grand esprit libre. « Pour moi, Ken incarnait de nombreuses choses que l’on trouve inscrites dans la Constitution, » nous a confié Carolyn Adams, 55 ans, partenaire de voyage de Kesey et mère de sa fille Sunshine. « Il représentait la liberté individuelle et créative, la capacité à dépasser ses limites, » selon Madame Adams, plus connue sous le nom de Mountain Girl à l’époque où elle vivait avec Jerry Garcia des Grateful Dead dans la maison communautaire de San Francisco. Ou comme l’a souligné Sunshine, 35 ans : « Son cœur battait au rythme de la liberté quasiment tout le temps. Son message était : “Sois aussi puissant que tu t’en crois capable”. »
Son intelligence restera également dans les mémoires. « Il s’amusait et était amusant, » a indiqué Dave Frohnmayer, président de l’Université de l’Oregon et ancien représentant politique républicain de l’État. M. Frohnmayer fut l’un des nombreux amis de Kesey à s’être exprimé lors de la commémoration. « Il disait toujours: “J’aimerais mieux être un paratonnerre qu’un sismographe” », a rappelé M. Frohnmayer. C’est d’ailleurs Kesey lui-même qui fut à l’origine du plus gros éclat de rire, grâce à une vidéo montée par son fils, Zane, 40 ans, et dans laquelle l’auteur parodie un prédicateur et effectue quelques tours de magie, sa passion. Les mots de Kesey résonnèrent d’une autre manière, notamment par la lecture d’un extrait de Et quelquefois j’ai comme une grande idée et l’insertion de quelques-unes de ses réflexions dans le programme. « Le mystère est ce qui m’intéresse vraiment, écrivait-il. Le besoin de mystère est plus fort que le besoin de réponse. » Dans ce lieu où l’ancien étudiant de l’Université de l’Oregon avait un jour offert un spectacle de ventriloque, on pouvait lire « Avec toutes nos condoléances » sur des cartes accompagnant les bouquets tandis que l’hymne « Amazing Grace » résonnait à la cornemuse. On griffonna également des phrases souvenirs dans le cahier placé devant une photographie de Kesey : « C’est à nous de conduire le bus désormais ! » et « Salut Chef ! » La fin de la note, qui semble en réalité avoir été écrite par son ami Ken Babbs, autre Merry Prankster et compagnon de travail, indique que Kesey avait encore des choses à dire : « Il paraît qu’ils vont m’enterrer dans l’intimité. Babbs dit qu’il y a eu des milliers d’emails et il veut que je vous remercie tous d’avoir écrit. En attendant, j’ai encore plein de papiers à remplir et on me cherche une auréole plus grande, mais plutôt brûler en enfer que de jouer de cette fichue harpe ! Je me retiens de toucher à la machine à tonnerre. À plus. – Kesey. »
k e n e lt o n k e s e y [1935-2001]
ENTRETIEN AVEC KESEY [PUBLIÉE EN 1994 DANS THE PARIS REVIEW] PAR ROBERT FAGGEN .... Les œuvres de Kesey regorgent d’« humbles combattants » comme les appelle l’écrivain : des êtres en lutte avec des forces bien plus puissantes qu’eux. Le pouvoir anticonformiste de son travail et le traitement réservé au thème de l’affrontement ont été salués par certains critiques, tandis que d’autres se sont questionnés sur les divagations sauvages et paranoïaques que l’on retrouve dans les récits de l’auteur. Auteur tour à tour étiqueté prophète renégat, technophile subversif ou encore junkie spirituel – des qualificatifs qui ne semblent guère le déranger. (Cette interview a été menée à l’occasion de plusieurs visites dans sa ferme de l’Oregon, entre 1992 et 1993.) INTERVIEWER Quel lien existe-t-il entre Ken Kesey le magicien-farceur et Ken Kesey l’écrivain ? KESEY Le dénominateur commun est le fou. C’est le symbole du farceur. Les spécialistes du tarot disent que sans le fou, aucune autre carte n’existerait. Qu’elles sont là pour le servir. Au tarot, le fou est un être naïf et innocent qui porte un sac sur l’épaule comme Kerouac, regarde vers le ciel comme Yeats et se fait mordre les fesses par son chien tandis qu’il enjambe la falaise. Nous en avons rencontré un une fois lors d’une marche militaire à Santa Cruz. Des milliers de soldats défilaient, et il a suffi d’un fou les pointant du doigt et se marrant au coin d’une rue pour que les soldats commencent à se sentir mal à l’aise, gênés. Le fou de Shakespeare, le comédien Robert Armin, est devenu si populaire que le dramaturge a fini par supprimer son rôle dans Henry IV. Dans un livre appelé A Nest of Ninnies,
Armin évoque la différence entre un fou artificiel et un fou naturel. Et la façon dont il définit les deux est importante ; le personnage de Jack Oates par exemple, voilà un vrai fou naturel. Jamais il n’arrête de l’être pour sauver sa peau, et jamais il n’essaie de faire autre chose que de rendre Sir William furieux. Un fou artificiel est toujours en train d’essayer de plaire ; c’est un laquais. Ronald McDonald est un fou artificiel. Hunter Thompson est un fou naturel. Charlot également. Neal Cassady était un fou naturel, le meilleur que l’on ait connu. INTERVIEWER Que pensez-vous du récit que Wolfe fait de vous et des Pranksters dans Acid Test ? KESEY Quand on a reçu les premières épreuves, on a tout lu d’une traite. Je ne me souviens pas avoir eu un quelconque problème avec le livre, même s’il est vrai que je ne l’ai jamais relu. Wolfe ne prenait aucune note lorsqu’il nous suivait. J’imagine qu’il s’enorgueillit d’une si bonne mémoire. Quant à ses souvenirs, ils sont peut-être exacts, mais ce sont les siens et non les miens. INTERVIEWER Vous avez rencontré Jack Kerouac et Allen Ginsberg lors d’une fête à Manhattan au cours du voyage en bus. Que s’est-il passé lors de cette rencontre ? KESEY C’était la première fois que je rencontrais Kerouac. Ce fut un moment important pour moi. J’avais déjà rencontré Ginsberg et Dick Alpert – avant qu’il devienne Ram Dass – à Perry Lane. Ginsberg était très ami avec Vik Lovell, le type grâce à qui j’ai pu bosser à l’hôpital de Menlo Park et auquel j’ai dédicacé Vol au-dessus d’un nid de coucou. Ginsberg et Alpert faisaient partie de l’IFIF, la Fédération Internationale pour la Liberté Intérieure. C’était le groupe d’expérimentation psychologique qui comptait aussi Timothy Leary. Notre groupe, dans le bus, était connu comme la Recherche Intrépide d’Espace Intérieur. J’ai repensé à cette rencontre des centaines de fois depuis. On voulait que Kerouac soit comme quand il
avait écrit Sur la route. Il m’arrive la même chose aujourd’hui, quand des gens viennent me voir et s’attendent à ce que je sois tel que j’étais vingt-cinq ans plus tôt. On aurait dit que Kerouac était offensé par notre aspect sauvage, en particulier par l’habitude qu’on avait de se mettre un drapeau américain sur la tête. Il pensait qu’on se moquait des États-Unis. Mais ce n’était pas le cas. On aimait juste le look que ça nous faisait. Je me suis déçu en n’allant pas le voir pour lui dire sincèrement tout ce que son œuvre signifiait pour moi. Mais ce n’était pas le bon moment et j’avais besoin de le dire dans une lettre. INTERVIEWER Vous avez travaillé à l’hôpital des vétérans de Menlo Park, où vous avez participé à des expériences qui incluaient la prise de drogues psychédéliques. À quel point ces drogues vous ont-elles influencé ou aidé pour l’écriture de Vol au-dessus d’un nid de coucou ? KESEY Je prenais de la mescaline et du LSD. Ça m’a donné une vision différente des gens qui se trouvaient à l’hôpital psychiatrique ; l’idée qu’ils n’étaient peut-être pas si fous, ou pas aussi mauvais que l’environnement stérile dans lequel ils vivaient. Mais les psychédéliques sont juste des clés d’entrée vers des mondes qui existent déjà. Les images ne se trouvent pas dans les cristaux blancs de la gélule. Les drogues ne créent pas plus de personnages ou d’histoires que les crayons. Elles sont juste des instruments qui aident à mettre tout ça par écrit. INTERVIEWER Prenez-vous du LSD ou d’autres drogues pour écrire ? KESEY Il m’est impossible d’écrire sous LSD – il y a alors des choses plus importantes auxquelles penser. Hunter Thompson peut le faire, mais pas moi. C’est comme quand on plonge pour observer des récifs coralliens. Il faut attendre d’être remonté dans le bateau pour écrire sur ce qu’on a vu. Presque tous les écrivains que je connais boivent pour alléger le fardeau d’être au bord de la falaise, pour ainsi dire. Mais écrire sous l’influence de drogues est un peu comme
un plombier qui essaierait de réparer des tuyaux sans être en mesure de manier la clef à molette. J’ai écrit les premières pages de Vol audessus d’un nid de coucou sous peyotl et les ai très peu modifiées. Ça n’a pas eu beaucoup d’incidence sur l’intrigue, mais le ton – et la voix plus particulièrement – de ces premières pages ont influencé le reste du roman. J’ai aussi écrit quelques passages de Et quelquefois j’ai comme une grande idée après avoir pris des champignons. Là encore, l’effet porte plus sur le ton et la voix que sur l’histoire. Mais la plupart du temps, je n’écris pas sous l’influence du LSD ou d’autres drogues. INTERVIEWER Selon vous, quels auteurs incarnent le mieux l’élégance et le style ? KESEY Hemingway, car il écrivait de manière très rigoureuse et mettait du nerf dans la structure de ses livres. Mais Faulkner est encore meilleur. Dans L’ours, la prose afflue comme de l’eau qui s’échappe d’une source, notamment dans le passage où un homme avec un couteau se tient sur le dos de l’ours en l’enserrant. Il y a de l’élégance chez ce personnage et dans le style. Ça demande un entraînement et une discipline bien supérieurs à ce que pouvait imaginer Hemingway. Faulkner est fidèle à une source profonde et la laisse s’écouler, la laisse aller sans la pervertir. La prose d’Hemingway est un miroir. Il se déplace tout autour et travaille sur le style. La prose de Faulkner n’a pas le temps de tenir un miroir. Elle déferle et déferle encore, et cela demande de la confiance et du courage. INTERVIEWER Et quelquefois j’ai comme une grande idée débute et se termine par l’image du bras amputé de Henry Stamper, avec son majeur levé. Avez-vous construit le livre autour de cette image ? KESEY L’image du bras amputé m’est venue avant que je sache à qui l’attribuer. Écrire ce livre était le moyen de trouver à qui appartenait le bras et pourquoi il était là. Lors de l’écriture, j’ai compris la signification de ce symbole. D’abord, je pensais que le héros, c’était Stamper, cet homme luttant contre un syndicat qui souhaite contrô-
ler sa famille. Mais, rétrospectivement, la force principale contre laquelle se bat la famille est la rivière. Les frères Stamper, Hank et Lee, se battent comme des coqs pour Vivian, et lorsqu’elle part à la fin du livre, elle quitte les gens qu’elle aime pour un futur sombre mais dans lequel personne ne la contrôlera. Mère Nature, elle, se débarrasse des forces qui essaient de la contrôler. L’ancien féminisme, le MLF, avait quelque chose à voir là-dedans, mais à l’époque je ne m’en rendais pas compte. INTERVIEWER Et quelquefois j’ai comme une grande idée est bien plus ambitieux que Vol au-dessus d’un nid de coucou. Pensez-vous qu’il est aussi réussi ? KESEY C’est ma meilleure œuvre, et jamais plus je n’écrirai quelque chose d’aussi bon. C’est une question de temps passé dessus. J’ai travaillé sur Idée pendant deux ans sans interruption, en explorant les symboles et les personnages et en laissant la narration suivre son cours. INTERVIEWER Aviez-vous un modèle pour l’expérimentation narrative de Et quelquefois j’ai comme une grande idée ? KESEY Le film La Splendeur des Amberson d’Orson Welles a beaucoup influencé Et quelquefois j’ai comme une grande idée, notamment par sa capacité à faire avancer la narration en passant d’une situation à l’autre grâce à quelques phrases prononcées par un personnage. Quelqu’un dit ce que l’on a besoin de savoir pour la suite et on passe à l’autre scène. La première partie de La Splendeur des Amberson couvre une très longue période en peu de temps, et on découvre les personnages d’une façon structurée et stylisée – ils entrent en scène et tiennent un discours qui permet de mettre l’histoire en place. Ça m’a influencé en termes de structure.
« Et quelquefois j’ai comme une grande idée, un grand livre dans tous les sens du terme, qui capte l’atmosphère d’une Amérique d’après-guerre (de Corée) comme aucun autre bouquin auparavant. Kesey nous présente dans cette œuvre riche des gens qui perpétuent un mode de vie passé, au-delà des associations de parents, des pubs pour la bière ou encore de l’immense aura de l’époque. » — The New York Times Book Review « Avec son premier roman, Kesey a prouvé qu’il était un grand écrivain, à la fois inventif et ambitieux – des qualités qui s’avèrent encore plus manifestes dans Et quelquefois j’ai comme une grande idée. L’auteur y développe un récit fascinant par le biais d’une technique tout aussi fascinante : le changement rapide de points de vue, stratégie expérimentée par de nombreux romanciers, dont certains ont même tenté de mélanger passé et présent. Selon moi, Kesey est celui qui est allé le plus loin dans l’expérimentation, et l’utilisation de cette technique lui permet d’atteindre son but : suggérer la complexité de la vie et l’absence de vérité absolue. » — Saturday Review « Un roman plein de vie et de relief. Kesey est un grand auteur qui possède son propre mode d’expression. Quiconque intéressé par les trésors littéraires américains devrait avoir envie de le lire. » — Chicago Tribune « Le lecteur ferait mieux d’enfiler un cache-nez et un ciré avant d’entamer la lecture de ce roman : l’Oregon est un territoire froid et humide, et Kesey un auteur au réalisme saisissant ! Il se révèle à la fois poète et paysan, aussi riche et vorace que peuvent l’être la rivière et les bois. » — Los Angeles Times
ET QUELQUEFOIS J’AI COMME UNE GRANDE IDÉE : Alors que la grève installée à Wakonda étrangle cette petite ville forestière de l’Oregon, un clan de bûcherons, les Stampers, bravent l’autorité du syndicat, la vindicte populaire et la violence d’une nature à la beauté sans limite. Mené par Henry, le patriarche incontrôlable, et son fils, l’indestructible Hank, les Stampers serrent les rang… Mais c’est sans compter sur le retour, après des années d’absence, de Lee, le cadet introverti et toujours plongé dans les livres, dont le seul dessein est d’assouvir une vengeance. Au-delà des rivalités et des amitiés, de la haine et de l’amour, Ken Kesey, auteur légendaire de Vol au-dessus d’un nid de coucou, réussit à bâtir un roman époustouflant qui nous entraîne aux fondements des relations humaines. C’est Faulkner. C’est Dos Passos. C’est Truman Capote et Tom Wolfe. C’est un chef-d’œuvre.
« Je pense que Et quelquefois j’ai comme une grande idée est la meilleure œuvre que je n’aie jamais écrite. Les gens me demandent parfois pourquoi je n’écris pas autre chose de ce style et je leur réponds que je ne peux tout simplement pas. Je ne peux plus contenir tout ça à la fois dans ma tête. Pour Idée, j’écrivais jusqu’à 30 heures d’affilées – il faut être jeune pour y parvenir. » — Ken Kesey « Avec son premier roman, Kesey a prouvé qu’il était un grand écrivain, à la fois inventif et ambitieux – des qualités qui s’avèrent encore plus manifestes dans Et quelquefois j’ai comme une grande idée. L’auteur y développe un récit fascinant par le biais d’une technique tout aussi fascinante : le changement rapide de points de vue, stratégie expérimentée par de nombreux romanciers. Selon moi, Kesey est le plus habile, et l’utilisation de cette technique lui permet d’atteindre son but : suggérer la complexité de la vie et l’absence de vérité absolue. » — Saturday Review
AV I S P R E S S E
AV I S L E C T E U R S
« Après Vol au-dessus d’un nid de coucou, Kesey donne une fois de plus vie à des personnages inoubliables. Pénétrer dans Et quelquefois j’ai comme une grande idée, c’est pénétrer dans le monde fou et fascinant d’une famille elle-même folle et fascinante, au quotidien exaltant et à l’attachement forcené à la vie. On y retrouve ce don exceptionnel pour la comédie et une écriture tout simplement sensationnelle. Lorsque Kesey décrit le vol d’oies du Canada au-dessus des bois, on est presque en mesure de les voir ; lorsqu’il évoque l’odeur de l’herbe et le goût des fraises, on sent, on goûte et on ressent. » — San Francisco Chronicle
« Regorgeant de personnages complexes et tout en nuances, Et quelquefois j’ai comme une grande idée se lit comme un hymne jazzy à l’audace et l’ingéniosité américaines, rendant hommage au mythe de l’individualisme acharné. Brillant. »
« Un roman plein de vie et de relief. Kesey est un grand auteur qui possède son propre mode d’expression. Quiconque intéressé par les trésors littéraires américains devrait avoir envie de le lire. » — Chicago Tribune « Une immense réussite. Avec pour arrière-plan l’environnement moite et rude d’une communauté de bûcherons de l’Oregon, ce livre laisse échapper halètements, souffles, cris, hurlements… Impossible de ne pas admirer la vigueur de Kesey et sa maîtrise prodigue de la langue. Quant à la capacité de l’auteur à créer des personnages, elle est époustouflante. » — The Cleveland Plain Dealer
« Vous ressortirez de cette œuvre extraordinaire abasourdi et émerveillé par les talents créatifs de l’auteur. Pas étonnant qu’il n’ait pas écrit d’autre livre en vingt ans ; il n’y avait plus rien à dire ou à prouver après un tel roman. » « Bien que Vol au-dessus d’un nid de coucou soit son livre le plus connu, Et quelquefois j’ai comme une grande idée est le vrai chef d’œuvre de Kesey. » « Et quelquefois j’ai comme une grande idée est non seulement le meilleur roman de Kesey, c’est également l’un des meilleurs romans qu’un Américain ait écrit au cours du XXe siècle. » « On a trouvé le “grand roman américain”. » « Plus on avance dans le roman, moins on est capable de le reposer. »
Illustration de couverture : Blexbolex.
800 pages / 24,50 €
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Traduit de l’anglais (États-Unis) par Antoine Cazé
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