petit livret divertissant à propos de la collection «l e s g r a n d s a n i m a u x » et du premier livre de cette collection: «et quelquefois j’ai comme une grande idée » de ken kesey
« les grands animaux » Format : 125 x 190 mm. Genre littéraire : tous genres. Rythme : 1 ou 2 par an. Type : semi-poche un peu classe. Typo : Sabon. Prix : 10-15 euros. Papier intérieur : offset Holmen Book 52 gr. Papier jaquette : popset noir 170 gr. Technique d’impression jaquette : dorure. Patterns utilisés : Arts-Déco. Supplément d’amour et de travail : inclus. Postface, préface, introduction : oui. Animaux : pétroglyphes africains†.
† Auxquels on a ajouté des cornes pour les rendre plus menaçants, sinon ils avaient l’air trop sympa.
« les grands animaux » une collection qui rassure monsieur toussaint louverture Chez moi, je possède au mieux un seul exemplaire des livres que j’ai publié. Je ne supporte pas de les voir, je les déteste, ils me rendent triste, ils me renvoient en pleine face ce que je suis. En temps que vrai-faux éditeur, j’ai toujours des regrets sur les livres que je m’efforce de faire vivre. Sitôt en librairie, voire sitôt entre mes mains, voire sitôt la touche «Entrée » enfoncée pour l’envoi du fichier à l’imprimeur, les regrets affluent : mais quelle mauvaise idée cette couverture ! Et maintenant, c’est trop tard… Mais pourquoi n’ai-je pas dépensé un peu plus d’énergie à convaincre les représentants de convaincre les libraires de convaincre les lecteurs de se convaincre entre eux ? Et maintenant, c’est trop tard… Mais qu’est-ce qui m’a pris de parler de ce livre de cette façon aux attachés de presse pour qu’ils en parlent aux journalistes ? On voit bien qu’aucun d’entre eux n’a eu envie de le lire ! Et maintenant, c’est trop tard… Et depuis quand je vends un livre à ce prix et pas à celuilà, comment ai-je pu imaginer que les lecteurs allaient vouloir débourser cette somme et pas celle-là ? Et maintenant, c’est trop tard… Où est passé le temps que j’avais prévu de consacrer à la sept ou huitième relecture de ce livre, car s’il —3—
y avait bien une chose qu’il méritait, c’était ce respect élémentaire ? Et maintenant, c’est trop tard… etc. Si ce livre ne marche pas, s’il ne parvient pas à atteindre les lecteurs, c’est entièrement de ma faute. Quelque part dans ce long et lent processus qui consiste à faire émerger d’un texte un livre parfait alors que nous sommes tous bardés d’imperfections, je n’ai pas assuré, j’ai baissé les bras, j’ai fait preuve de cet étonnant hubris qui consiste à croire que, parce que j’avai fourni un peu d’énergie à quelque chose, ça allait se faire tout seul… Bref, j’ai merdé. Il y a des moments qu’on aimerait revivre, justement pas parce qu’ils étaient parfaits, mais parce qu’ils ne l’étaient pas. On aimerait les revivre pour agir différemment, agir dans un sens que l’on croit être meilleur. Et parfois, bien au contraire, on a tout fait, des checklists, des retroplannings, on a eu les meilleures idées possibles, on a été inventif, on a été pro, on a été malin, on a été jusqu’au bout, mais ça ne marche pas quand même. Tous les éditeurs, je pense, se retrouvent un jour ou l’autre dans l’une de ces deux situations. « Les grands animaux » vont proposer des livres qui pour une raison ou une autre méritent mieux, méritent plus de travail, méritent plus d’investissement, plus d’attention, méritent plus de lecteurs encore. Et ça, c’est rassurant. dominique bordes, pour monsieur toussaint louverture
monsieur toussaint louverture « l e s g r a n d s a n i m a u x », attention grands livres ! par marine durand [article paru dans livres hebdo]
« Ce sera une sorte de bibliothèque idéale, à mi-chemin entre le semi-poche et “La Pléiade”. » C’est avec cette formule – plutôt alléchante – que Dominique Bordes décrit la première collection de Monsieur Toussaint Louverture (MTL), attendue pour l’automne. « Dans “Les grands animaux”, on ne trouvera que des grands romans méconnus. Des ouvrages importants qui n’ont pas la visibilité qu’ils méritent et qui s’absentent régulièrement des librairies », précise le fondateur. S’il ne s’interdit aucun achat de droits, il a choisi, pour le premier titre de la collection, de rééditer Et quelquefois j’ai comme une grande idée, agrémenté d’une postface. Déjà traduit par MTL en 2013, et considéré par l’auteur de Vol au-dessus d’un nid de coucou comme son œuvre majeure, ce roman était une bonne façon de présenter la ligne des “Grands animaux”, qui ne comptera qu’une à deux —5—
publications par an en format 12,5 x 19, au prix maximum de 15 euros. Car c’est là aussi la légitimité de sa collection, selon Dominique Bordes : « Je veux trouver un équilibre entre beauté esthétique et accessibilité, proposer des livres assez beaux pour qu’on ait envie de les voler et suffisamment abordables pour qu’on n’ait pas besoin de le faire. » Répondant à une unité visuelle, les couvertures s’inspireront du travail de la graphiste anglaise Coralie Bickford-Smith, et comporteront une jaquette imprimée d’une dorure à chaud. La moindre des choses pour une collection 100 % livres cultes. Marine Durand (article paru le 24 avril 2015, dans Livres Hebdo n° 1039)
et quelquefois j’ai comme une grand idée Alors que la grève installée à Wakonda étrangle cette petite ville forestière de l’Oregon, un clan de bûcherons, les Stampers, bravent l’autorité du syndicat, la vindicte populaire et la violence d’une nature à la beauté sans limite. Mené par Henry, le patriarche incontrôlable, et son fils, l’indestructible Hank, les Stampers serrent les rangs… Mais c’est sans compter sur le retour, après des années d’absence, de Lee, le cadet introverti et toujours plongé dans les livres, dont le seul dessein est d’assouvir une vengeance. Au-delà des rivalités et des amitiés, de la haine et de l’amour, Ken Elton Kesey (1935-2001), auteur légendaire de Vol au-dessus d’un nid de coucou, réussit à bâtir un roman époustouflant qui nous entraîne aux fondements des relations humaines. C’est Faulkner. C’est Dos Passos. C’est Truman Capote et Tom Wolfe. C’est magnifique.
ken kesey Né en 1935 dans le Colorado, Kenneth Elton Kesey a grandi dans le nord-ouest des États-Unis, en Oregon. Athlétique, avec un faux air de Paul Newman, c’est un spécialiste de la lutte —7—
gréco-romaine, discipline dans laquelle il a bien failli représenter son pays aux Jeux olympiques de 1960. Il arrive dans la baie de San Francisco en 1956 avec une bourse pour l’université de Stanford. Là-bas, l’hôpital pour anciens combattants de Menlo Park recrute des volontaires pour tester des hallucinogènes. Ken Kesey y découvre le LSD, le peyotl et la mescaline. Il écrit le roman qui va le rendre célèbre, Vol au-dessus d’un nid de coucou, en 1962. Grâce à ce best-seller, il achète une maison près de La Honda où il termine un second roman, qu’il considère comme son chef-d’œuvre, Et quelquefois j’ai comme une grande idée, qui paraît en 1964. Au printemps de la même année, sa vie prend une toute nouvelle direction. Kesey et ses amis, les Merry Pranksters, achètent un vieux bus de ramassage scolaire, le peinturlurent de toutes les couleurs, l’équipent de haut-parleurs, et prennent la route vers l’est : ils traversent le pays jusqu’à New York, où se tient alors l’Exposition universelle. Tom Wolfe racontera cette aventure dans Acid Test, dont Gus Van Sant – grand admirateur de Kesey – prépare l’adaptation cinémato graphique. Trop jeune pour être un beatnik, trop vieux pour être un hippie, Ken Kesey fut le chantre d’une contre-culture anticonsumériste débridée : totalement libre et ouvert d’esprit, tentant par tous les moyens de se connecter au monde pour en prendre la véritable mesure.
la presse en a parlé en bien, voire en très bien Il y a des livres qui exigent du lecteur qu’il s’abandonne. Qu’il fasse taire, s’il en a, ses exigences de repères bien définis ou d’intrigue univoque. Et quelquefois j’ai comme une grande idée est de ceux-là : il faut accepter de n’y avancer qu’à l’aveugle, en tâtonnant, et de n’en mesurer véritablement la puissance qu’au sortir de ses 800 pages. Pas tout à fait surprenant, bien sûr, quand on sait qu’il est signé du mythique auteur de Vol au-dessus d’un nid de coucou, chantre et icône de la contre-culture américaine dans les années 1960. Ce roman, le second de Ken Kesey, date de 1964, mais vient à peine d’être traduit et édité en français par la maison Monsieur Toussaint Louverture. Et s’il abandonne le décor d’hôpital psychiatrique du premier, il reste fou. Radicalement, superbement. Cela dit, pour poser les jalons. Car le roman de Ken Kesey va bien au-delà. Il est une ode – comme seule la littérature américaine sait en produire – à la beauté de la nature et à l’opiniâtreté de la conquête. Il est une parfaite tragédie œdipienne dont les héros courent droit à leur perte en voulant y échapper. Il est un dynamitage en règle des conventions romanesques, où les focalisations internes se suivent et s’entremêlent – jusqu’à une vieille chienne dont —9—
on suit la chasse à l’ours, halètement après halètement. « C’est Faulkner, écrit l’éditeur dans sa présentation du livre. C’est Dos Passos. C’est Truman Capote et Tom Wolfe. C’est un chef-d’œuvre. » C’est vrai. — Le Point Alors, bien sûr, il y a le style, l’écriture. C’est d’ailleurs ce qui frappe au début, cette écriture torrentielle à plusieurs voix simultanées. Nous sommes dans l’intimité des pensées de chacun des personnages, impliqués, imbriqués dans toute action et toute intention de chacun d’eux (homme ou animal). Effectivement, dans un seul et même paragraphe, parfois même dans une même phrase, on se retrouve lecteur d’une polyphonie de personnages, comme une vision panoramique. Ou comme une illustration des multiples portes de la perception chères à Ken Kesey et aux Merry Pranksters. Ce qui permet de ne pas se fier à une vérité, de saisir toute la complexité des individus. Une virtuosité vertigineuse, et aussi, un lyrisme étourdissant, des références shakespeariennes. De plus, pour un amateur de country, de folksong traditionnels, quelles références ! Mais en rester à ce stade, ce serait tellement réducteur. Il y a aussi, la nature (magnifique et sauvage Oregon, le vol des oies du Canada, la rivière qui bouffe tout sur son passage, berges et maisons, la moiteur du climat qui gangrène les corps) l’Histoire (les pionniers de la conquête de l’Ouest, le mépris pour les Indiens, le retour de la guerre de Corée), le caractère des personnages (bûcherons, commerçants, tenancier de bistrot, musiciens, syndicalistes, putes...), l’histoire familiale, le poids du passé qui s’impose, les non-dits, les rancœurs, les jalousies, les vengeances à assouvir, l’amour sans les mots qu’il faudrait pour le dire, le monde qui change, l’individualisme du rêve Américain qui cède la place au sociétal, au syndicalisme, la bombe atomique qui est une réalité... Fais gaffe. — Mediapart — 10 —
Ce roman grandiose où la nature impose sa loi et noie les êtres, se transforme en expérience physique et poétique. Le lecteur ressent le froid et l’humidité qui collent à la peau, imbibent le moral, rouillent en profondeur. L’alcool, la désespérance, l’avenir réduit à la seule perspective de la journée bornent la périlleuse opiniâtreté de ces défricheurs, burinés par une pluie pénétrante qui, jamais, ne cesse de dégouliner. De même que rien n’arrête la puissance dévastatrice du fleuve, emportant tout dans la violence aveugle de son courant indomptable. Roman d’amour sauvage, roman-monde, roman total, Et quelquefois j’ai comme une grande idée brasse le flux tumultueux de la rivière, le bruissement inquiétant et le fracas ténébreux des forêts, le passage fabuleux des oies du Canada qui annoncent la noirceur de l’hiver. — La Croix À mesure que l’intrigue prend forme et que « tombent les arbres », les personnages sortent de l’ombre, jaillissent en pleine lumière, presque aveuglants d’être si humains – parfois grandioses, parfois minables, jamais en paix. — Le Canard enchainé Magistral roman du défi que cette Grande idée qui, d’un bout à l’autre, grise et emporte le lecteur. — Le Monde Roman spectaculaire et inoubliable, à la verve diabolique. — Le Magazine littéraire On en ressort lessivé mais euphorique, comme nettoyé de tant de lectures médiocres. — Marianne
trop court extrait
Dévalant le versant ouest de la chaîne côtière de l’Oregon... viens voir les cascades hystériques des affluents qui se mêlent aux eaux de la Wakonda Auga. Les premiers ruisselets caracolent comme d’épais courants d’air parmi la petite oseille et le trèfle, les fougères et les orties, bifurquent, se scindent... forment des bras. Puis, à travers les busseroles et les ronces élégantes, les myrtilles et les mûres, les bras cascadent pour fusionner en ruisseaux, en torrents. Enfin, au pied des collines, émergeant entre les mélèzes laricins et les pins à sucre, les acacias et les épicéas – et puis la mosaïque vert et bleu des sapins de Douglas –, la rivière en personne franchit d’un bond cent cinquante mètres... et là, regarde : voici qu’elle prend ses aises à travers champs. Vue de la grand-route en surplomb du rideau d’arbres, elle est d’abord métallique comme un arc-en-ciel d’aluminium, un long copeau d’alliage lunaire. De plus près, elle se fait organique, vaste sourire liquide aux gencives hérissées de pilotis brisés et pourrissants, l’écume aux lèvres. D’encore plus près, elle s’aplanit pour devenir fleuve, aussi plate qu’une rue, grise comme du ciment et tout entière faite de pluie. Aussi plate qu’une rue tout entière faite de — 12 —
pluie, même au plus fort de la saison des crues, en raison d’un chenal si profond et d’un lit si érodé : nul bas-fond pour créer des rapides refluant à contre-courant, nul rocher pour agacer sa surface... rien qui indique le mouvement sinon les grumeaux d’écume jaunâtre tourbillonnant au vent dans leur dérive vers la mer, et les troncs dressés de bosquets noyés que le flot noir et silencieux fait ployer, tendus et tremblants. Une rivière lisse, d’apparence calme, qui dissimule le cruel biseau de son courant sous une surface lisse... apparemment calme. La grand-route longe sa rive nord, et les corniches, sa rive sud. Aucun pont ne l’enjambe sur ses quinze premiers kilomètres. Et pourtant, là-bas, côté sud, une vieille bicoque à un étage repose sur une structure bigarrée de métal enchevêtré, de bois, de terre et de sacs de sable, tel un échassier emplumé de bardeaux, fièrement assis dans l’enchevêtrement de son nid. Regarde... La pluie passe en nappes devant les fenêtres. Elle se mêle à la fumée vaporeuse qui monte d’une cheminée de pierre moussue vers un ciel en pente. Le ciel ruisselle de gris, et la fumée, de jaune mouillé. Derrière la maison, làhaut à l’orée broussailleuse de la montagne, ces couleurs se fondent dans la masse venteuse si bien que le coteau luimême dégouline d’un vert boueux. Sur la rive nue entre le jardin et le bord bourdonnant de la Wakonda, une meute de chiens piétine sans répit, gémissant d’une frustration froide et brutale, couinant et aboyant après un objet qui pendouille hors d’atteinte, qui s’entortille et se détortille au-dessus de l’eau, se balance, roide, au bout d’une ligne nouée à l’extrémité d’une grande perche en bois de sapin qui dépasse d’une fenêtre à l’étage de la maison.
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S’entortillant puis, après un temps d’arrêt, se détortillant dans les bourrasques de pluie, à deux ou trois mètres audessus du flot rapide, un bras humain, attaché par le poignet (rien que le bras, regarde bien) et déchiqueté à hauteur d’épaule, exécute des pirouettes compliquées, comme mû par une danseuse invisible devant un public fasciné (rien que le bras, qui tourne, là, au-dessus de l’eau)... spectacle à l’intention des chiens sur la rive, de cette satanée pluie, de la fumée, de la maison, des arbres et de la foule qui crie, excédée, depuis l’autre côté de la rivière : « Stammmper ! Va pourrir en enfer, Hank Stammmmmper ! » Et à l’intention de tous ceux qui auraient envie de regarder. À l’est, encore en amont sur la grand-route qui passe le col à l’endroit où torrents et ruisseaux sont toujours en train de rugir et de cascader, le secrétaire général du syndicat, Jonathan Bailey Draeger, descend depuis la ville d’Eugene jusqu’à la côte. D’humeur étrange – en grande partie, il le sait, à cause de la fièvre due à une petite grippe –, il sent son esprit tout à la fois curieusement dérangé et parfaitement lucide. Du reste, il envisage la journée à venir avec un mélange d’allégresse et de désarroi : allégresse, car il s’apprête à quitter ce bourbier gorgé d’eau ; désarroi, car il a promis de partager le repas de Thanksgiving avec Floyd Evenwrite, le responsable de section à Wakonda. Draeger ne s’attend pas à passer un après-midi très agréable chez les Evenwrite – les rares fois où il s’est retrouvé chez Floyd au cours de toute cette affaire Stamper, ça n’a pas été une partie de plaisir – mais il n’en est pas moins de bonne humeur : avec cette visite, finie l’affaire Stamper, finie pour de bon toute cette histoire du secteur Nord-Ouest, touchons du bois. Demain, il pourra repartir vers le Sud et laisser cette bonne vieille vitamine D californienne assécher sa fichue irritation de la peau. On a toujours la peau irritée quand on vient par ici. Sans parler des
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mycoses qui vous atteignent jusqu’à la cheville. L’humidité. Pas étonnant que parmi les gens du pays, chaque mois il s’en trouve deux ou trois pour faire le grand saut dans la rivière – soit on plonge, soit on pourrit sur pied. Et pourtant, finalement (il regarde le paysage inondé qui défile à travers son pare-brise), la région n’a pas l’air si déplaisante, malgré toute cette pluie. Plutôt calme, sans problème. Pas aussi douce que la Californie, mon Dieu ça non, mais le climat est sans aucun doute bien plus clément que sur la côte Est ou dans le Midwest. Et puis, c’est une terre d’abondance, donc il n’est pas difficile de subsister dans le coin. Même ce nom d’origine indienne, musical et paresseux, coule avec facilité : Wakonda Auga. Oua-kon-da-a-gaaa. Et ces maisons bâties le long du fleuve, certaines du côté de la grand-route, d’autres sur la rive opposée... elles ont l’air très agréables, pas du tout le genre qu’on s’imagine abriter une terrible dépression économique. (Des maisons de pharmaciens et de quincaillers à la retraite, monsieur Draeger.) Tous ces gens qui se plaignent des graves ennuis causés par la grève... ces maisons-là semblent raconter une tout autre histoire. (Des maisons de touristes en week-end et de vacanciers qui passent l’hiver dans la vallée et se font assez de pognon pour venir se la couler douce auprès des saumons qui remontent la rivière en automne.) Pas vieillotes avec ça, dans une région qu’on pourrait croire un peu arriérée. De jolies petites propriétés. Modernes, mais de bon goût. Dans le style ranch. Avec suffisamment de terrain entre elles et la rive pour d’éventuelles extensions. (Avec suffisamment de terrain, monsieur Draeger, entre elles et la rive pour laisser la Wakonda Auga rogner les quinze centimètres qu’elle réclame chaque année.) Mais il y a une chose qui a toujours paru bizarre : aucune maison près de l’eau – ou plutôt, aucune maison près de l’eau à l’exception de la fichue baraque des Stamper. On aurait pu penser qu’on aurait construit là par commodité. Voilà une chose qui a toujours paru étrange dans la région...