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DOSSIER
RADIOSCOPIE DU MARCHÉ DE L’OCCASION TRUCK ET VAN
UNE SURCHAUFFE PAS DURABLE
Une demande soutenue, associée à une offre insuffisante, entraîne une conséquence logique : des prix élevés. C’est, en résumé, la réalité du marché d’aujourd’hui. Presque tout le monde s’accorde à dire que la tendance des deux dernières années ne peut pas se poursuivre. Mais le comment et le pourquoi de l’inéluctable revirement sont plus ous.
Michael Vandamme
Pourquoi ces prix exorbitants ? « La situation géopolitique, l’effet post-COVID, le manque de composants électroniques et les matières premières chères ont, comme on le sait, eu un impact signi catif sur les livraisons et le prix des véhicules neufs », analyse Didier Ceulebroeck, Directeur Renault Used Trucks Belux. « Et c’est précisément là qu’il faut chercher l’explication principale des prix si élevés sur le marché de l’occasion. Surtout pour les occasions récentes à faible kilométrage. » Mais à quel point sont-ils élevés ? « Un seul chiffre illustre cette tendance : entre le premier trimestre 2021 et 2022, nous avons constaté une augmentation de 30 % », déclare Thomas Michaux, Head of Used Truck Business chez Mercedes-Benz. « Si on nuance un peu, on remarque que certains types sont particulièrement prisés. Les véhicules avec superstructure en particulier sont devenus une véritable rareté. » « Les prix des camions d’occasion récents avec peu de kilomètres au compteur sont de toute façon artificiellement élevés », explique Nicolas Pirson, directeur de Trucks MPH. « Mais en même temps, le matériel neuf est devenu plus cher. Un modèle qui coûtait 100.000 euros il y a deux ans, avoisine aujourd’hui déjà les 130.000 euros. On ne peut pas comparer des pommes avec des poires : le prix de l’occasion doit être jugé dans ce contexte, mais cela n’enlève rien à la réalité que nous sommes aujourd’hui dans une bulle. »
DEMANDE MONDIALE
« Cette situation ne peut pas durer », af rme Piet Bruyninx, Manager Used Trucks & Rental de Volvo Trucks. « Le marché surchauffe. Aux explications généralement avancées, il fait ajouter une incertitude amenée par le Covid. Au-delà les livraisons dif ciles, de nombreux
transporteurs ont décidé de ne pas renouveler leur flotte et l’effet d’un retour de tendance sur le marché reste un mystère. D’autre part, les spécialistes estiment que la demande mondiale en nouveaux matériels de transport sera bien supérieure à ce que tous les constructeurs pourront construire ensemble. Tant que cette donnée perdure, les camions d’occasion corrects resteront relativement chers. En d’autres termes, on peut s’attendre à une pression sur les prix de marché plus forte que celle à laquelle nous étions habitués jusqu’à aujourd’hui. Pas aussi extrême qu’aujourd’hui, mais cela pourrait bien devenir la nouvelle norme. »
MARCHÉ DE L’OCCASION MATURE
« L’âge moyen des poids lourds de notre otte d’occasion est de trois ans », explique Marty van den Dungen, Sales Director DAF Used Trucks. « Nous n’allons d’ailleurs pas au-delà de cinq ans. Nous les proposons avec une garantie, nous connaissons les véhicules et leur historique, ce qui en font de véritables alternatives au neuf. Surtout quand on sait qu’il vous faudra peut-être attendre jusqu’en 2023 avant d’avoir votre nouveau poids lourd. » Ailleurs aussi, tout est mis en œuvre pour faire de ces occasions récentes des substituts à part entière. « Cela s’accompagne d’une garantie constructeur, d’un contrôle complet et d’une mise à jour avec le dernier logiciel, pour une consommation correcte et une bonne abilité », précise Didier Ceulebroeck. « Les services associés sont aussi importants : nancement, contrat d’entretien… Le client nal ne perçoit pratiquement aucune différence dans l’utilisation de son véhicule par rapport à un modèle neuf acheté. La situation actuelle a certainement apporté de la maturité au marché de l’occasion. »
SECTEUR PROFESSIONNALISÉ
« La situation de rareté et de prix élevés que nous connaissons aujourd’hui a des conséquences sur l’ensemble du secteur », déclare Patrick Godart, directeur de DIF-RENT. « Je crains que cela ne soit plus tenable pour un certain nombre d’acteurs. Nous avons parlé du coût des véhicules, mais il y a aussi le prix du diesel. Les grands transporteurs ont pu répercuter leur coût ; pour les plus petits, c’est moins évident. Est-ce que les jeunes pousses survivront dans ces circonstances ? Ce n’est pas un hasard si de nombreuses faillites sont attendues début septembre. » « Ces circonstances difficiles mettent en
« Moins forte qu’aujourd’hui, mais une certaine pression sur les prix devient la nouvelle norme sur ce marché. »
lumière quelques points délicats en termes de professionnalisme », déclare Piet Bruyninx. « Un délai de livraison d’un an n’est pas un problème si vous avez une plani cation à long terme. Un élément d’échelle joue souvent ici : les petits acteurs plani ent moins. Pour la livraison de neuf, nous ne faisons pas de distinction au niveau de taille d’une entreprise, nous suivons la chronologie. Et on réalise alors vite qui sera le plus touché. »
DES ATTENTES INCERTAINES POUR L’AVENIR Quelles sont les attentes pour l’avenir ? « Le secteur des transports est très sensible à la conjoncture économique », souligne Nicolas Pirson. « Quand, dans d’autres secteurs, le prix de certains produits - je ne cite que le béton comme exemple - a augmenté à tel point que certains travaux sont reportés, alors on peut s’attendre à ce que cela
Les longs délais de livraison ont accru la pression sur le marché de l’occasion. Les prix des occasions récentes avec peu de kilomètres sont arti ciellement élevés.
in uence la demande. Et puis il y a la perspective d’une récession. Comme mentionné, le prix des occasions récentes reste très élevé, mais je vois déjà une baisse dans le segment juste en dessous. » « Le TCO d’un véhicule doit bien sûr être intégré dans un business plan », déclare Tom Nuyts, Top Used Manager chez MAN. « Je perçois pourtant les premiers signes d’une baisse des prix ou du moins d’une stabilisation. Le fait que les livraisons de véhicules neufs s’améliorent n’y est sans doute pas étranger. » « Au début de la guerre en Ukraine déjà, nous avons constaté une certaine stabilisation », indique Thomas Michaux. « Je m’attends à ce que cela continue dans les mois à venir. Notre dé sera d’avoir un maximum de véhicules écologiques dans notre offre. Cette demande va augmenter, et leur vente restera lucrative. » « En toute honnêteté, je ne vois aucun changement pour le moment », souligne Wilco de Ruiter, Sales Manager pre-owned Iveco Benelux. « Mais je peux imaginer que le tableau sera différent à la n de cette année. Ce que le marché a dû endurer ces deux dernières années n’est pas rien. Il est important que nous en tirions les leçons. Les fabricants de puces ont commencé à chercher d’autres marchés à l’époque du Covid et c’est compréhensible. Mais ce qui me frappe, c’est qu’après plus de deux ans, nous n’avons pas encore réussi à rattraper complètement notre retard. »
PROBLÈME DU CÔTÉ DE L’OFFRE
Quelle est la situation du marché des véhicules utilitaires légers ? « C’est unique », explique Pierre Leburton, directeur du garage du même nom. « On peut imaginer une crise à la suite d’une baisse ou même d’une implosion de la demande. Aujourd’hui, le problème se situe du côté de l’offre. » « Une forte demande et une offre moindre », c’est en effet ainsi que l’on peut résumer la situation, précise Peter Steeno, Sales Manager Belgium du spécialiste du remarketing ADESA Europe. « N’oublions pas que notre économie alimente aussi fortement cette demande avec l’augmentation de l’e-commerce. Vous ne pouvez pas dissocier cela des délais de livraison des véhicules neufs, qui à leur tour résultent de la rareté des semi-conducteurs et d’autres pièces. Pour les véhicules neufs, les délais de livraison sont d’au moins 7 à 8 mois, voire un an ou plus. Le record que j’ai constaté était de 24 mois. Soudain, le marché de l’occasion devient alors une alternative très attractive. » « Le gros problème, c’est que vous avez des stocks trop faibles pour répondre à cette demande », ajoute Pierre Leburton. « Ce que vous vendez part à un prix attractif, mais il faut d’abord le vendre. Celui qui a acheté un véhicule neuf il y a 3 ans avec remise peut le revendre aujourd’hui exactement au même prix. C’est un dilemme : comment faire fonctionner votre entreprise si vous n’avez pas les véhicules pour ? » « Dans notre cas, le grand dé réside dans l’approvisionnement », déclare Peter Steeno. « Nous cherchons nos véhicules auprès d’entreprises, de sociétés de leasing et de concessionnaires. En raison du fait que l’on roule plus longtemps avec, l’offre des deux premiers a fortement diminué. Les commerçants deviennent donc plus importants pour nous. Nous bénéficions aussi de notre fonctionnement international. »
OPPORTUNITÉ DE RENOUVELLEMENT DE LA FLOTTE
Peter Steeno (ADESA) : « Entre juin 2021 et aujourd’hui, l’augmentation moyenne est de 35 %, et je ne parle bien sûr que des véhicules que nous vendons nous-mêmes. Mais entre 2020 et 2021 il y a une différence de 20 %. 55 % d’augmentation en deux ans, c’est sans précédent. Cela pourrait être une opportunité pour un gestionnaire de otte, notamment dans la perspective de l’électri cation de sa otte. Il est peut-être temps de franchir le pas maintenant que les véhicules à moteur à combustion conventionnel atteignent des prix élevés. Même si je me rends compte que le problème des délais de livraison se posera à nouveau. C’est une décision dif cile. La situation actuelle est unique, mais aussi provisoire. À terme, le marché de l’occasion redeviendra sain, mais il n’est pas facile de xer un timing. Un autre facteur important est la pénurie de semi-conducteurs. J’entends dire que cette situation va s’améliorer, mais probablement pas avant la n de 2022. En tournant la page Covid, tout peut revenir à la normale. La guerre en Ukraine, en revanche, reste une inconnue. Pourtant, il serait utopique de croire que ces délais de livraison faciliteront soudainement les choses à court terme. Ce qui signi e pour nous que ce qu’on nous propose sera vendu à des conditions favorables pendant un certain temps encore. » cules utilitaires légers ? « C’est unique », explique Pierre Leburton, directeur du garage du même nom. « On peut imaginer une crise à la suite d’une baisse ou même d’une implosion de la demande. Aujourd’hui, le problème se situe du côté de l’offre. » « Une forte demande et une offre moindre », c’est en effet ainsi que l’on peut résumer la situation, précise vous vendez part à un prix attractif, mais il faut d’abord le vendre. Celui qui a acheté un véhicule neuf il y a 3 ans avec remise peut le revendre aujourd’hui exactement au même prix. C’est un dilemme : comment faire fonctionner votre entreprise si vous n’avez pas les véhicules pour ? » « Dans notre cas, le grand dé réside dans l’approvisionnement », déclare Peter Steeno. « Nous cherchons nos véhicules auprès d’entreprises, de sociétés de leasing et de concessionnaires. En raison du fait que l’on roule plus longtemps avec, l’offre des deux premiers a fortement diminué. Les commerçants deviennent donc plus importants pour nous. Nous bénéficions aussi de notre fonctionnement international. »
« Le marché mature de l’occasion est devenu une alternative à part entière au neuf. »