Urbania #14 Bouffe

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www.urbania.ca hiver 2007 | numéro 14 | bouffe | fabriqué à montréal | 7,95 $


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Gestion de projet

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En spécial cette semaine le repas du condamné ou la saveur de dieu

rencontres avec des gens qui ont du goût

vox-pop à l’heure du lunch

du bon manger bien de chez-nous

meat market

matières brutes

les bénévoles de l’accueil bonneau

la petite histoire du fast-food

on est ce que l’on mange

à la soupe !

c’est bon du baloney ou sept raisons d’aller chez wilensky

confessions d’une ex-critique

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la détresse culinaire

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les pages de la faim tu l’as dit bouffi !

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foie gras manger une fille

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Il est rare au Québec qu’un chef atteigne le statut de rockstar comme l’a fait Martin Picard — on parle ici de vrais chefs et non d’animateurs de shows de cuisine. C’est peut-être que, avec ses recettes charnues, celui qui n’a pas peur de faire déboutonner le pantalon de ses convives a su toucher une corde sensible des gens d’ici. Épicurien, fier Québécois et chefpropriétaire du restaurant Au Pied de cochon, le truculent héritier des premiers cuistots du pays a accepté de divulguer ses opinions tranchées sur la cuisine québécoise. interview : Simon Beaudry // photos : Jean Longpré // assistant-photographe : Alain Fournier

Martin Picard chef-propriétaire du restaurant Au Pied de cochon

Martin, tu es célèbre pour ta poutine au foie gras et le haut taux de cholestérol que tu causes après une visite à ton restaurant. Comment qualifierais-tu ta cuisine ? ¶ Je cuisine ce que j’aime manger ! J’essaie de revisiter des recettes appartenant aux générations précédentes et de travailler avec les produits d’ici. Je m’approprie des plats sans les dénaturer. L’important, c’est d’avoir du plaisir. ¶ La continuité et la tradition dans la gastronomie, qu’est-ce que ça représente pour toi ? ¶ C’est essentiel. Même si on est extraordinairement jeune comme peuple, on a des racines intéressantes. Plusieurs autres chefs québécois s’intéressent aussi au passé, car il ne faut jamais oublier que les meilleurs plats, c’est à la maison qu’on les a mangés en premier. ¶ Selon toi, les Québécois sont-ils de bons cuisiniers ? ¶ Oui et non. Les Québécois cuisinent mieux que jamais, mais de moins en moins fréquemment. Ils ont la technique, mais pas la pratique. Nos mères et nos grands-mères arrivaient à des résultats extraordinaires lorsqu’elles cuisinaient. Elles n’avaient pas le choix, avec leurs huit enfants et leur homme ! T’as beau être pas très bon dans quelque chose, avec la pratique, tu finis par être moins mauvais! Mais, à table, nous sommes de bons vivants : de bons mangeurs et de bons buveurs. On se permet de parler fort, d’être fâchés et de rire. On n’a pas le trou du cul serré ! Les Québécois sont des jouissifs, on aime ressentir des émotions. Le plaisir, c’est en nous. ¶ Peut-on vraiment dire qu’il existe une cuisine québécoise ? ¶ Elle commence à se définir et je trouve ça important d’ajouter notre petit grain de sable dans le désert. J’ai beaucoup de respect pour les gens qui ont transmis l’amour de la nourriture. Avec l’Expo 67, les Français sont débarqués et ont maquil lé notre bouffe. En enlevant le make-up, on se rend compte qu’on est finalement plus proche

de la cuisine irlandaise que française. Il y a aussi eu des influences italiennes et ensuite japonaises, avec l’invasion des sushis, mais les modes passent et les vraies cuisines restent. ¶ Qu’est-ce qui est typique de la cuisine québécoise ? ¶ La générosité des plats et les tables bien remplies. On jouait traditionnellement avec trois épices : la sarriette, le clou de girofle et la cannelle. On a évolué, mais on a toujours aimé les goûts francs, proches de la matière brute. Mais, en même temps, on raffole de la sauce. Dans le temps, tu ne voyais pas de plat sans, il fallait tout le temps saucer son pain. ¶ Depuis les 20 dernières années, il y a des gens qui ont décidé de bien manger et de s’intéresser aux produits qu’ils consomment. Par chance, il existe des artisans d’ici qui développent des produits et des saveurs exclusives, même si ce n’est souvent pas rentable. Ces artisans travaillent avec les ingrédients qu’on peut trouver ici. Par exemple, avec la pomme, on fait de l’alcool comme le cidre, ou le cidre de glace qui est un produit exceptionnel, inventé au Québec. Il faut s’approprier nos produits et les développer, pour rappeler au monde entier que la gastronomie québécoise existe, même si elle est jeune. Il faut être capable de se regrouper et d’avancer. Ça vaut la peine de le faire pour les générations à venir et pour remercier les générations passées. ¶ En terminant, que penses-tu de la cuisine fusion ? ¶ Pour moi, c’est sans intérêt. La seule chose que je vois là-dedans, c’est qu’on est dans un mouvement de mondialisation, alors on unifie tout. Peu importe où tu vas dans le monde, tout se ressemble. C’est assez triste. On s’inspire de n’importe quoi, de ce qui vient de n’importe où, et puis on oublie qu’on a une personnalité et qu’on est pas obligé de cuisiner comme les autres. On peut s’inspirer d’ailleurs, mais il faut surtout rester soi-même.


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rencontres // 06

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J’ai 63 ans et j’aime ça ici, ça passe le temps. Je vais continuer jusqu’à ce que ma santé en décide autrement.

Je suis moi-même un ancien client de l’Accueil Bonneau. Je sais ce que ces gens-là vivent, c’est pas facile tous les jours. J’avais de l’expérience en cuisine et c’est ce que je voulais faire ici. Je suis content de pouvoir retourner l’ascenseur.

Roch Pépin

Normand Wallot

Manutentionnaire

Chef-cuisinier

Gilles Lavallée

Sœur Marguerite

En salle à manger

Responsable de la salle à manger

C’est ici que je trouve la sérénité. Pour recevoir, il faut savoir donner.

Avant d’être ici, j’ai été 19 ans en Afrique. J’en ai vu de la misère, là-bas... Mais ici aussi il faut aider les gens qui sont dans le besoin. Dans une société d’abondance comme la nôtre, c’est important d’aider les plus démunis.


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Avec mes camarades de classe, on a décidé de venir aider à l’Accueil Bonneau. On trouvait que c’était une bonne cause et on sent que notre aide est appréciée.

Avant, j’étais sur le bien-être social, je me cherchais. Mais, depuis que je travaille ici, j’ai rencontré plein de monde et j’ai réussi à remettre de l’ordre dans ma vie.

Marie-Ève

Pierre Duguay

Bénévole avec son école

Aide-cuisinier, plongeur

Ronald Mallette

Sœur Réjeanne

Aide-cuisinier

Responsable de la plonge

J’étais à ma retraite et je ne savais pas trop quoi faire. Je suis venu ici parce que ma fille a été bénévole avec son école. J’ai essayé et je suis resté !

Vous savez, c’est important d’offrir du bonheur aux gens qui viennent manger ici. C’est un lieu de réconfort, un endroit où ils ne sont pas jugés et où ils peuvent partager de bons moments.


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’est ĂŠtrange, depuis mon bref sĂŠjour dans la cuisine d’une prison Ă sĂŠcu ritĂŠ maximum, je savoure diffĂŠremment la mienne : je goĂťte le temps qui passe en attendant que l’eau des pâtes bouille, j’observe avec amour la vaisselle qui traĂŽne dans l’Êvier, je souris dans la file d’attente interminable Ă l’Êpicerie du coin et j’Êprouve de la tendresse Ă l’Êgard de mon poissonnier lorsqu’il m’accueille en dĂŠclarant que son turbot est en spĂŠcial. Il est vrai que, contrairement aux locataires du pĂŠnitencier de Donnacona, je n’ai encore jamais tuĂŠ personne et n’ai violĂŠ que des victimes consentantes, ce qui me donne incontestablement le droit de me nourrir comme je l’entends. N’empĂŞche, depuis ma visite dans une cuisine sous haute surveillance, j’Êprouve presque de l’affection pour les truands condamnĂŠs Ă la sentence du ventre et dont la seule ĂŠvasion culinaire possible repose sur une conversion religieuse douteuse. En fait, c’est mon histoire d’accommodement dĂŠraisonnable prĂŠfĂŠrĂŠe, celle de mĂŠchants garçons prĂŞts Ă renier JĂŠsus Christ pour quelques champignons. La première fois que j’ai entendu parler de cette histoire, c’Êtait il y a trois ou quatre ans. En allumant ma tĂŠlĂŠ, je suis tombĂŠe sur un reportage fascinant de ma collègue Françoise Stanton de Second Regard Ă Radio-Canada. On y apprenait que le nombre de conversions religieuses augmentait de façon vertigineuse dans les pĂŠnitenciers et que cette soudaine ferveur avait plus Ă voir avec les nourritures terrestres que spirituelles. L’intĂŠrĂŞt des prisonniers ĂŠtait simple Ă comprendre : soucieux de respecter les libertĂŠs des dĂŠtenus, le service correctionnel octroie aux prisonniers de confession musulmane le droit de cuisiner eux-mĂŞmes leurs aliments conformĂŠment Ă leur foi, les prisonniers juifs ont droit Ă des repas prĂŠparĂŠs par un traiteur cachère, les bouddhistes ont accès Ă une cuisine vĂŠgĂŠtarienne, alors que les catholiques et les prisonniers athĂŠes mangent Ă la cafĂŠtĂŠria et n’ont aucune prĂŠrogative sur leur alimentation. RĂŠsultat : en prison, oĂš la moindre libertĂŠ vaut son pesant d’or, cette libertĂŠ de manger diffĂŠremment a attirĂŠ vers Dieu de nombreux criminels soucieux d’amĂŠliorer leurs sort.

Aujourd’hui, le phĂŠnomène, loin de s’être rĂŠsorbĂŠ, a pris une telle ampleur qu’il a forcĂŠ les autoritĂŠs de certains pĂŠnitenciers Ă prendre des mesures. C’est le cas de la prison de Donnacona, oĂš le quart des prisonniers revendiquent maintenant une diète religieuse. En octobre 2006, le chef des services alimentaires de l’Êtablissement, Jean-Jacques Michaux, a eu l’idĂŠe ingĂŠnieuse de rĂŠamĂŠnager sa cuisine de façon Ă pouvoir prĂŠparer sur place les repas des prisonniers musulmans, les privant ainsi du privilège de cuisiner euxmĂŞmes leur nourriture. L’homme qui a acceptĂŠ de nous faire visiter ses installations est un grand gaillard costaud qui dĂŠgage une autoritĂŠ naturelle. Diriger la cuisine d’un ĂŠtablissement Ă sĂŠcuritĂŠ maximale n’est pas une job pour les mauviettes et Jean-Jacques Michaux n’en est visiblement pas une. ArmĂŠ d’un imposant trousseau de clĂŠs, il ouvre une première grille qui donne sur un genre de sas. N’entre pas qui veut dans cette cuisine oĂš des criminels dangereux manipulent d’immenses couteaux. ÂŤ J’ai 51 couteaux qui sont comptĂŠs cinq fois par jour, nous armons les dĂŠtenus pour qu’ils puissent travailler et ce n’est pas une porte qui va les retenir. Il n’y a donc pas d’accès direct Ă la cuisine et les deux portes ne sont jamais ouvertes en mĂŞme temps Âť, explique le chef. Ă€ l’intĂŠrieur, un gardien perchĂŠ dans un mirador observe les prisonniers, dont les faits et gestes sont filmĂŠs en tout temps par des camĂŠras de surveillance installĂŠes un peu partout dans la pièce. Parmi eux, un ÂŤ criminel dangereux Âť, expression employĂŠe par le système judiciaire pour qualifier ceux qui ne sortiront jamais du système carcĂŠral. Qu’a-t-il fait au juste pour ĂŞtre jugĂŠ de la sorte ? Jean-Jacques Michaux le sait, lui, puisqu’il a accès Ă tous les dossiers. Dans la cuisine d’une prison comme Donnacona, on doit savoir Ă qui on a affaire. Au menu ce midi : une banale pizza au pepperoni sans aucune autre garniture. ÂŤ On ne met plus de champignons et de piments verts dans la pizza, parce que ce sont des aliments très recherchĂŠs que les dĂŠtenus essaient de rapporter dans leur cellule Âť, affirme le chef. ÂŤ Il y a une demande pour ce type de produits et donc un marchĂŠ lucratif Ă l’intĂŠrieur des murs. Les dĂŠtenus qui prĂŠparent Ă manger essaient souvent de se faire des sous en revendant Ă d’autres prisonniers des aliments subtilisĂŠs dans la cuisine. Âť Sur le plancher, une ligne bleue sĂŠpare maintenant le coin destinĂŠ Ă la prĂŠparation des repas religieux du reste de la cuisine. Ici, la plupart des instruments sont bleus afin d’Êviter tout contact possible avec de la nourriture jugĂŠe impure par les musulmans. Pour organiser sa cuisine, Jean-Jacques Michaux a consultĂŠ des imams et a ĂŠtudiĂŠ avec rigueur le Coran pour pouvoir servir une nourriture conforme aux exigences de sa clientèle islamique. Il fait affaire avec des fournisseurs de viande hallal reconnus et il s’est ĂŠgalement mis Ă l’Êtude de la bible perdue des Rastas, puisque de nombreux dĂŠtenus rĂŠclamaient une diète conforme Ă cette religion mĂŠconnue et exigeaient toutes sortes de choses. Or, selon le livre sacrĂŠ qu’il a mis des mois Ă trouver, l’unique prescription alimentaire des rastafaris est l’interdiction de consommer du porc ! Jean-Jacques Michaux, qui observe le phĂŠnomène des conversions depuis quelques annĂŠes, est assez fier de son installation. ÂŤ Il y a eu beaucoup de conversions, parce que ça donnait un avantage alimentaire aux prisonniers d’adopter une religion plutĂ´t qu’une autre. J’espère que ce n’est pas la seule raison, mais je n’en suis pas juge. Tout cela a commencĂŠ bien tranquillement. Au dĂŠpart, quelques dĂŠtenus ont revendiquĂŠ des diètes diffĂŠrentes Ă cause de


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leurs croyances. Peu à peu, on s’est mis à répondre à leurs demandes pour ne pas contrevenir à la Charte des droits et libertés. On leur a dit de s’arranger avec ça, de préparer eux-mêmes leurs repas. On leur livrait un sac d’épicerie et ils cuisinaient à leur guise. On venait donc d’ouvrir la porte à certains privilèges : manger ce que l’on veut, quand on le veut. Du même souffle, la foi musulmane est devenue très populaire. D’autres religions aussi, les rastafaris, par exemple, sont apparus. » C’est une situation qui a été remarquée par tous les chefs de cuisines au Canada, mais le phénomène a pris beaucoup plus d’ampleur dans les pénitenciers à sécurité maximum. À Donnacona, la proportion de prisonniers qui ont des diètes religieuses est près de trois fois supérieure à la moyenne régionale de 11 %. La statistique est éloquente. « Plus la liberté est restreinte, plus on est prêt à prendre les moyens qui s’offrent à nous pour aller en chercher un peu », explique le chef, philosophe. Si le phénomène des conversions alimentaires est évident, la démarche spirituelle, elle, l’est moins. Qui encadre ces conversions au sein du service correctionnel ? Comment expliquer que très peu de détenus aient été convertis au judaïsme alors que les prisonniers de religion juive peuvent se faire livrer des repas préparés par un traiteur ? Les rabbins seraient-ils moins accommodants que certains imams ? La question se pose, mais Jean-Jacques Michaux n’y répondra pas. Lui, il a fait sa job. Il était d’ailleurs temps que ces privilèges religieux s’estompent, puisque la grogne commençait à s’installer parmi la population carcérale. Les détenus réguliers enviaient les détenus musulmans et rastafaris. « Nous nous arrangeons pour que les menus « religieux » ressemblent le plus possible au repas régulier pour qu’il y ait le moins de différences possible entre les groupes. Les différences entre les repas offerts créaient des jalousies et des clivages au sein des détenus et ça pouvait devenir dangereux ! » Déjà, les mesures prises par Monsieur Michaux il y a quelques semaines à peine commencent à donner des résultats. « Le nombre de détenus qui ont des diètes religieuse a baissé. On a rationalisé les denrées auxquelles ils avaient droit, tout en maintenant un approvisionnement

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conforme aux exigences de la religion. Maintenant, nous préparons tous les repas ici, dans la cuisine sécurisée du pénitencier. » Les autorités de la prison ont profité du ramadan pour instaurer ces changements en douce. Traditionnellement, la cuisine s’occupait déjà des repas des prisonniers musulmans lors de cette période particulière du calendrier islamique. Depuis la fin de cette période, les détenus ont compris qu’ils doivent renoncer à leur sac d’épicerie et certains ont abandonné leur diète religieuse. Ils ont décidé de manger de nouveau comme tout le monde. « Avant de devenir Mohammed Tremblay, t’as sûrement aimé la pizza au peperroni… Mais se les détenus n’ont plus le loisir de préparer eux-mêmes leur pizza, ils préfèrent se rabattre sur la bonne vieille pizza au pepperoni. Le sentiment de liberté, c’est d’avoir un certain pouvoir sur sa nourriture et c’est un pouvoir qu’ils ont perdu. » Les diètes religieuses coûtent beaucoup plus cher que les menus réguliers et, comme les budgets sont restreints, on a cessé de préparer des pâtisseries et les prisonniers sont dorénavant privés de dessert le midi… La foi exige quand même certains sacrifices !


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Matières brutes photos : Benoît Levac // textes : Vianney Tremblay

Lorsque nous consommons viandes et poissons transformés, conditionnés et empaquetés, l’animal est bien loin de notre pensée. Une pièce généreuse et bien saignante peut provoquer des nausées chez un Nord-Américain, mais ouvrir l’appétit d’un Sud-Américain. Même chose pour les abats que l’on consomme volontiers en charcuteries bien tranchées, en oubliant même la présence de ce qui les compose. Le cru est impudique, sans artifices, vrai. Voici quatre morceaux de choix pour voir le monde tel qu’il est.

Pour les non-initiés, une fois coupée, la tête du cochon ne sert plus à rien. Mais les fins palais savent que le festin ne s’arrête pas là, puisqu’on peut également déguster la joue de porc braisée — un must chez les gourmets asiatiques, les oreilles, toujours populaires chez les Chinois, ainsi que la langue de porc, qu’on retrouve dans toutes les bonnes tavernes d’ici, généralement dans un pot de vinaigre derrière le comptoir. Et on utilise même la viande de bajoue (communément appelée double menton), pour fabriquer nos fameux cretons, auxquels elle donne une texture lisse.


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Dans les Îles Samoa, la cervelle de porc est enveloppée de feuilles de bananier et rôtie dans un four de pierre. Les Autrichiens préfèrent la cervelle de veau frite avec des œufs. Les Indonésiens, quant à eux, la laissent mijoter à feu doux dans la crème de noix de coco. En Allemagne, on la déguste en soupe.


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Pizza

Classée au rang de patrimoine mondial de l’humanité, la pizza a longtemps été le symbole de la débrouillardise du petit peuple napolitain. Au 18e siècle, des boulangers ambulants se promenaient aux quatre coins de la ville de Naples avec une poêle en équilibre sur la tête pour vendre à prix modique cette pâte garnie aux ouvriers. Nourriture de rue pas toujours fraîche, exposée à la saleté, à la chaleur et aux mouches, la pizza jouissait d’une mauvaise réputation. Il a fallu attendre le 20e siècle pour que la pizza s’ennoblisse dans des établissements plus modernes, mais c’est surtout le fait de franchir l’océan qui lui a donné son immense popularité. Aujourd’hui, le pays natal de la pizza n’est pas son plus grand consommateur : les Américains engloutissent en moyenne 13 kilos de pizza annuellement, contre moins de 5 kilos pour les Italiens.

Poutine

La poutine, porte-étendard de l’identité québécoise ! La genèse de ce mets qui décontenance encore les étrangers est à l’origine d’une éternelle guerre de clochers entre Warwick et Drummondville. En 1957, dans le village de Warwick, aux environs de Victoriaville, Jean-Guy Lainesse demande au restaurateur de sa cantine préférée de lui servir ses frites avec du fromage en grains. Dans son étonnement, le restaurateur se serait exclamé : « Ça va faire toute une poutine ! » Mais ça ne pouvait pas être aussi simple… Cette version est contestée par des sources drummondvilloises qui attribuent l’invention à Jean-Paul Roy, en date de 1964. À cette époque, la «patate-sauce» était déjà une association courante pour les fins connaisseurs de la province. Au RoyJucep, le populaire snack-bar de M. Roy, des clients avaient l’habitude de manger un petit sac de fromage en grains avec leur plat principal. Pour que le fromage se retrouve sur les frites couvertes de sauce, il y avait moins d’un pas à franchir. P uisque ça finit à la même place, pourquoi pas tout mélanger dans l’assiette ? D’ailleurs, le mot «poutine» serait une déformation du mot pouding, qui désignait, dans le jargon de nos grands-mères, n’importe quel mélange étrange.

Sauce tomate La tomate a une telle place dans la gastronomie italienne qu’on la croirait d’origine européenne. Erreur, c’est bel et bien une infiltrée : comme la pomme de terre, la tomate a été introduite par les conquistadors, qui s’étaient d’abord tenu loin de la tomate par peur d’être empoisonnés. Les Européens succombèrent rapidement aux charmes et à la versatilité du fruit et, vers la fin du 18e siècle, l’Italie comptait déjà des usines de transformation de tomates. La pizza nappée de sauce tomate est presque incontournable.

Pâte La galette de pain assaisonnée a des origines très lointaines, qui remontent aux premières civilisations méditerranéennes. Utilisé pour la première fois en 997, le mot pizza désignait un type de boulangerie servi hors du foyer, lors de travaux pénibles, comme le transport de l’eau. Le mot pizza viendrait en fait du latin « picea », qui décrit le noircissement de la croûte par le feu.

Garniture D’abord apparue dans une version sucrée, la pâte à pizza a vu passer sur elle bien des garnitures. La pizza est tour à tour hawaïenne, mexicaine, napolitaine ou alldressed, bref, elle se travestit à l’infini pour flatter les goûts les plus diversifiés. C’est ce qui fait d’elle un des mets les plus consensuels au monde.

Frites La pomme de terre a été ramenée du Nouveau Monde par les conquistadors. Mal perçue par les Européens, la patate servait à nourrir le bétail jusqu’au jour où l’apothicaire Antoine Auguste Parmentier (1737-1813) convainque Louis xvi des vertus du tubercule. Maintenant, les frites constituent le plat le plus consommé au monde. À eux seuls, les Américains en ingurgitent plus de 4 millions de tonnes. Les Français revendiquent la paternité de la frite, mais il semble que ce soit en Belgique, au bord de la Meuse, que ces bâtonnets croustil lants aient été inventés. Les riverains se nourrissaient alors de petits poissons frits dans l’huile. Comme les prises se faisaient rares durant l’hiver, un Belge eut l’idée de découper des pommes de terre en forme de poissons et de les cuire de la même façon. Ce petit subterfuge a donné naissance à la frite. Après la Première Guerre mondiale, les Américains ont ramené au bercail cette nouvelle façon de cuire la pomme de terre, qu’ils avaient savourée aux comptoirs des bistros français, d’où le nom french fries.

Fromage en crottes Les colons de la Nouvelle-France ont traîné en Amérique leur savoir-faire en matière de fromage. Après la Conquête, la production s’est toutefois restreinte au cheddar, une recette typiquement anglaise. Le fromage en grains est apparu au Québec autour des années 1960, lorsque d’énormes surplus de lait ont saturé les usines de transformation. Les producteurs ont décidé d’écouler leur stock à perte, en vendant du fromage qui n’était ni affiné, ni pressé, ni moulé, mais dont la fraîcheur permettait un musical « couic-couic » sous la dent.

Sauce brune C’est souvent la sauce qui fait l’apanage d’une bonne poutine. Si la poutine s’est répandue si rapidement à travers le Québec, c’est entre autres grâce à une nouvelle génération de casseaux imperméable, qui évitait que le carton ne se détrempe sous la généreuse louche de sauce.


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Pain Outre la boulette de viande, les Allemands apportèrent aussi dans leurs bagages le « Rundstück », petit pain rond et lisse en farine de froment. Le surnommé « steak des pauvres » était-il alors servi nu ou habillé d’un pain ? L’ambiguïté plane encore plus d’un siècle plus tard.

Condiments Le ketchup, condiment presque indissociable du hamburger, est une autre innovation diffusée par les Américains. Au 17e siècle, les Anglais ont essayé de copier la recette d’un mélange de saumure de poisson, d’herbes et d’épices utilisé dans le sud-est asiatique, le ke-tsiap. N’ayant pas sous la main certains ingrédients exotiques, ils ont substitué ceuxci par des noix, des champignons et des concombres. Ce n’est que plus tard que la tomate et le sucre se sont retrouvées dans le mélange. Le premier ketchup industriel est apparu aux États-Unis en 1876, manufacturé par F. & J. Heinz.

Boulette de viande Vers la fin du 19e siècle, une vague d’émigrants allemands quittent le port d’Hambourg pour se rendre en Amérique. Tout au long de la traversée, ils pouvaient compter sur un précieux stock de steak de bœuf haché. En 1891, la recette de la boulette de viande est apparue pour la première fois dans un livre de cuisine américain sous le nom de « hamburger », pour rappeler sa provenance germanique.

Hamburger

Saucisse Bien avant que les casseroles soient inventées, on emplissait les tripes et les intestins d’animaux d’aliments pour les faire cuire. L’élasticité et l’imperméabilité de la membrane animale en faisaient un excellent support. C’est là l’ancêtre le plus lointain de la saucisse. Le mot saucisse vient du latin salsus. La salaison a longtemps été le moyen le plus efficace pour conserver les morceaux de viande. 1500 avant j.-c., les Babyloniens et les Chinois mangeaient déjà des saucisses.

Moutarde La graine de moutarde était déjà utilisée chez les Romains et chez les Grecs, autant pour des usages médicinaux que culinaires. Moins chère que le poivre et facile à cultiver, la moutarde s’est répandue comme une traînée de moutarde… en poudre!

Pain Selon la légende, un vendeur new-yorkais servait ses saucisses très chaudes. Pour éviter que ses clients ne se brûlent, il leur donnait des petits gants de plastique. Un jour où il avait épuisé son stock de gants, il a eu l’idée de demander au boulanger du coin de lui confectionner des petits pains blancs assez longs pour accueillir la saucisse.

En 1904, lors d’une exposition universelle qui se tenait à St-Louis, dans l’État du Missouri, le hamburger est officiellement présenté à des goûteurs perplexes. Le New York Times fait alors mention de l’audacieuse invention. Pourtant, en 1885, Charlie Nagreen, un jeune camelot de 15 ans originaire du Wisconsin, prétendait déjà avoir créé le hamburger alors qu’il vendait des boulettes de viande hachée dans des pains à la foire annuelle. Il est difficile de retracer le véritable acte de naissance de l’icône culinaire par excellence de l’Amérique, puisqu’au moins 12 états américains clament en être l’inventeur. Cependant, tous s’entendent pour dire que le premier restaurant de hamburgers a ouvert ses portes en 1921 au Kansas.

Hot-dog

Parmi les mets du fast-food, le hot-dog fait figure de résistant : contrairement aux burgers, pizzas, sous-marins et compagnie, il n’a pas encore été englobé par les grandes chaînes corporatives. Il n’en reste pas moins sacrément populaire : seulement aux États-Unis, 20 milliards de hot-dogs sont consommés chaque année, soit 77 fois la circonférence de la Terre à l’équateur s’ils sont mis bout à bout. Comme pour le hamburger, l’apparition du hot-dog est liée à l’immigration d’Allemands en sol américain à la fin du 19e siècle. En plus de leurs particularités alimentaires, ils ont apporté leurs chiens teckel, à la forme de saucisses. La table était mise pour une raillerie sur l’origine douteuse de la viande utilisée pour façonner les saucisses. La blague a fait mouche et l’emploi du mot « dog » pour qualifier cette nourriture à la forme oblongue s’est répandu. En 1871, un boucher dénommé Charles Feltman servait déjà des hot-dogs dans un kiosque à la fête foraine de Coney Island. Vers 1890, les vendeurs tentaient d’attirer les clients à leurs stands ambulants, les dog-carts, en scandant : « Hot dog ! »


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Le dernier repas Dès que les lumières du bar s’allument pour éviter que nous sombrions dans un coma éthylique, le besoin de fast-food nous revient en tête aussi vite que l’espoir de trouver quelqu’un pour baiser s’amenuise. À défaut de se faire manger, allons manger. texte : Catherine Perreault-Lessard // photos : Nina Lehmann À 4 heures du matin, il flotte la même vibe à La Banquise que dans une cafétéria de polyvalente à l’heure du lunch. Un mélange d’euphorie, de gravy et de vomi. Au premier rang de cette joyeuse orgie, on retrouve toujours la même gang de caves. Vêtu d’un chandail Point Zero, le leader de la bande commande généralement quelque chose qui n’est pas sur le menu — genre, des cuisses de grenouille — juste pour faire rire ses ti-namis. À côté de lui, il y a le gars de Lachenaie qui essaye de cruiser la serveuse en désespoir de cause et son ami de Terrebonne qui trouve ça ben drôle de dévisser la salière… Juste à côté, il y a la table de filles saoules qui les regardent de haut : les pitounes. Pour elles, l’heure n’est pas aux enfantillages, mais bien au debriefing. Devant leur poutine, elles évaluent la réussite de leur soirée en fonction du nombre de gars qu’elles ont repoussés et de ceux qu’elles ont frenchés. Quand elles mangent leurs émotions, chaque bouchée devient un acte sexuel, un affront au foodisme, un coup de pied balancé directement dans les couilles de Montignac. Le petit couple qui s’est formé durant la soirée et qui s’offre un traitement de canal est aussi un incontournable de la bouffe nocturne. Lorsqu’on les regarde aller, ce n’est pas une érection que l’on sent tranquillement monter, mais bien une terrible envie de

crier : « Get a room, câlisse ! ». Rappelons que bien des tourtereaux d’un soir ne se rendront même pas jusqu’à la banquette, la lumière des néons révèlant souvent des détails restés cachés dans la pénombre du bar. Le grain de beauté avec un poil, le léger désaxement du globe oculaire ou encore le surplus de pilosité au menton de notre nouvelle bien-aimée sont ainsi révélés au grand jour. Dieu bénisse les néons. Y a aussi la serveuse qu’on imagine roulant des ustensiles dans des napkins en buvant un Coke diète comme dans une pièce de Michel Tremblay. Elle a les cheveux blonds cendrés et elle appelle systématiquement les gars « cher » et les filles « ma belle ». Même les laides. En la regardant travailler, on comprend mal pourquoi elle prend plaisir à servir de la poutine à des gens paquetés. Dans un coin sombre, y a le vieux bonhomme avec un sourire en coin qui n’arrive pas à dormir et qui chantonne du Daniel Bélanger en complétant ses mots croisés. Y a les avocats en complet-cravate qui ont prolongé leur 5 à 7, les cuisiniers de chez Toqué ! sans leur toque, la fille qui dort la bouche ouverte avec de la bave qui coule dans son assiette, les cinquantenaires nostalgiques qui reviennent d’un hommage à Pink Floyd au Medley et pis des fois, Nicola Ciccone, quand on est ben chanceux…


urbania 14 // bouffe

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