Urbania #24 Québec

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URBANIA.CA 24 QUÉBEC

AUTOMNE 2009 / NUMÉRO 24 / QUÉBEC / FABRIQUÉ ICITTE / 9,95 $

ENTREVUE À L’INTÉRIEUR !


CHIFFRES

Je me souviens... de ma première fois sur le futon familial.

3855, Saint-Denis MontrĂŠal 514 499-0438 futondor.com


OK, demain matin, votre parti est ĂŠlu, vous faites quoi ? Je me garde le ministère de la SĂŠcuritĂŠ publique ! Ça veut dire qu’au QuĂŠbec, après 11 heures, les jeunes de moins de 18 ans ne pourraient plus sortir ? ! No-non. J’engagerais juste plus de policiers de la SĂťretĂŠ du QuĂŠbec. Les gens dans les petites rĂŠgions ont soif de patrouille.

StĂŠphane Gendron, le ÂŤ maire Labeaume Âť de Huntingdon, a souvent dit qu’il ferait le saut en politique provinciale et qu’il deviendrait un jour notre leader. Mais en quoi ferait-il un meilleur boss du QuĂŠbec que Jean Charest ? C’est assis au beau milieu de son royaume, sur des chaises de patio, que MC Gilles (maĂŽtre ès sciences politiques) lui a posĂŠ la question.

En ĂŠducation, qu’est-ce que vous prĂŠvoyez ? Le vouvoiement Ă l’Êcole, moi, je suis pour ça. Le port de l’uniforme, ça a ben de l’allure aussi. Avec moi, les p’tites filles auront pu le droit de s’arranger en putain, pis les p’tits gars pourront pu se promener avec le tas de merde dans l’fond des culottes.

TEXTE : MC GILLES PHOTO : MARIE-CLAUDE HAMEL (Leitmotiv Studio) ASSISTANT : DANNY TAILLON

J’ai entendu dire que vous seriez un jour Premier ministre du QuĂŠbec. Est-ce vrai ? C’est une bonne question. Ă€ un moment donnĂŠ, je le voulais, mais aujourd’hui, je ne sais pas si je serais apte pour ça. Peu importe en tout cas, une chose est sĂťre, c’est qu’actuellement, y a pas de leadership inspirant au QuĂŠbec. C’est sĂťr que c’est plus facile d’être le leader d’une ville que d’une province : le maire, c’est comme le ÂŤ p’tit roi de la place Âť, non ? Moi, je pense que c’est pire ĂŞtre maire que Premier ministre ! Quand t’es maire, t’arrĂŞtes pas ! T’es responsable des problèmes de tous les jours : pas comme Ă QuĂŠbec pis Ottawa. Eux autres, y s’occupent pas de ça. Qu’est-ce qu’un maire fait qu’un Premier ministre ne fait pas ? Ă€ Huntingdon, par exemple, on a eu plusieurs cas de suicides y a pas longtemps. Ça a ĂŠtĂŠ un ĂŠpisode assez ĂŠprouvant. Je te le dis, les maires sont devenus les curĂŠs de la place ! Dans les annĂŠes 50-60, tout tournait autour de la paroisse. Aujourd’hui, tout tourne autour de la ville. Quand y a un problème, le maire est le premier Ă ĂŞtre insultĂŠ, pis Ă se faire cracher dans face. 26

Mais, vous imposez ça comment ? Ça se discute mĂŞme pas ! Il faut l’imposer aux parents. C’est eux qui sont responsables. Si le QuĂŠbec veut mettre des enfants au monde, ça va prendre un ministre de la Famille et un Premier ministre qui vont dire comme Barack Obama : ÂŤ On fait pas des enfants pour les planter devant la tĂŠlĂŠvision le soir. Retroussez-vous les manches pis faites-les, les criss de devoirs ! Âť

Finalement, c’est une bonne Êcole pour devenir Premier ministre‌ Oui, mais la diffÊrence, c’est que je ne sais pas si on peut faire changer les affaires quand on est Premier ministre. Au municipal, quand on dÊcide de peinturer, de changer les poteaux, d’imposer le recyclage, de faire une politique pour que les vidanges passent aux trois semaines : on le fait. Pas besoin de consulter Pierre, Jean, Jacques pour savoir si c’est bon.

Donc, vous projetez être un leader du même genre qu’Obama ? Je pense que les gens ont soif d’un Premier ministre qui va s’adresser à la nation une fois par semaine. Ça coÝte rien !

Dans le fond, vous auriez peutĂŞtre plus de pouvoir si vous ĂŠtiez ÂŤ prĂŠsident Âť plutĂ´t que ÂŤ Premier ministre Âť du QuĂŠbec ? Pas besoin ! Moi, Premier ministre, je le ferais pendant deux mandats. Premier mandat, je ferais le mĂŠnage. Deuxième, je m’interrogerais sur l’avenir du QuĂŠbec.

Ce serait comme L’Avocat et le Diable, mais avec un Premier ministre ? En tout cas, il n’y aurait pas de Richard Desmarais, ça c’est sĂťr ! Si vous saviez tout ce que je sais sur lui‌ Il ne serait sĂťrement pas ministre de la famille en tout cas.

Vous êtes sÊparatiste ? Je suis pas fermÊ à la souverainetÊ. Je suis sÝr qu’on a tous les outils pour la faire. Eille, viens pas me dire que le QuÊbec peut pas faire mieux que le Canada !

Je n’Êcrirai pas ça‌ Tu peux l’Êcrire !

Vous êtes membre de l’ADQ et grand sympathisant du Bloc. Pour devenir Premier ministre, vous allez devoir vous affilier à un parti. Lequel ? Je me vois dans aucun d’entre eux.

OK. En santĂŠ, qu’est-ce qui se passe ? On privatise tout ? La population vieillit et ça coĂťte cher. Il faut une politique de maisons intergĂŠnĂŠrationnelles. Au lieu de garocher nos enfants

LE MOT ORIGNAL SE TROUVE DANS PRESQUE 200 NOMS DE LIEUX AU QUÉBEC

QU'EST-CE QU'ON MANGE AU FESTIVAL DE LA SAUTERELLE DE SAINT-ETIENNE-DES-GRĂˆS ?

Assistez Ă la rencontre surrĂŠaliste entre MC Gilles et le maire Gendron

dans un cpe Ă six mois, pis nos vieux dans les chsld quand ils pissent au lit Ă 65 ans, on les envoie dans une maison pour les garder tous ensemble. Et financièrement, on va s’en sortir ? Les impĂ´ts devront augmenter, c’est certain. Moi, je dis souvent Ă la blague que le prochain politicien qui se prĂŠsente Ă votre porte pis qui dit qu’il va baisser vos taxes, crissez-y votre coup de poing su’a’ yeule et dites-lui : ÂŤ Cours avant que j’te saute dans face, t’es un maudit menteur ! Âť Quand envisagez-vous prendre le poste de Premier ministre ? J’dirais vers 2012-2013. Selon le calendrier des Mayas, ce sera la fin. La fin de Jean Charest, oui ! Votre slogan, ça sera quoi ? Je ne sais pas encore, mais c’est sĂťr que ce sera un gouvernement Ă la pièce : pas de chapelles d’idĂŠes, pas de dogmes, pas de programmes de parti que les membres embrassent aveuglĂŠment. Si je me lance en politique, c’est pour faire passer la famille en premier. Le QuĂŠbec pourra pas survivre si on n’a pas d’enfants. Ensuite, j’aimerais ça qu’on se dĂŠveloppe de façon rĂŠgionale. Je rĂŞve de voir des autobus pleins d’immigrants se diriger vers les rĂŠgions. Et pourquoi est-ce que je voterais pour vous ? J’ai le potentiel d’aller chercher les gens dans leur salon, de m’identifier Ă leurs problèmes parce que je les ai vĂŠcus. Je suis un gars de ÂŤ cas par cas Âť. Pas Ă gauche ni Ă droite. J’y vais avec le gros bon sens. ĂŠtes-vous prĂŞt Ă accepter la critique ? C’est sĂťr. Eille, ça fait 15 personnes depuis le dĂŠbut de l’entrevue qui passent et qui me traitent de trou d’cul en anglais. Je me suis dĂŠjĂ fait ĂŠtrangler en pleine rue ! Je me suis mĂŞme fait frapper par quelqu’un après avoir annoncĂŠ un budget ! Je vous conseille dĂŠcidĂŠment de devenir Premier ministre, au moins, vous aurez des gardes du corps ! Faut ĂŞtre prĂŞt Ă mourir pour sa patrie ! (rires)

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RENCONTRE

SUR URBANIA.CA vidĂŠo

Va falloir que vous fondiez votre propre parti, alors ! J’exclus pas cette possibilitĂŠ. Moi, je rĂŞve d’un parti politique avec une clause crĂŠpusculaire, qui s’engage Ă faire deux mandats et qui se tue politiquement ensuite, comme aux ¸TATS 5NIS


REPORTAGE

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TEXTE : MÉLISSA VERREAULT PHOTOS : LUC ROBITAILLE (robitaillephoto.com)

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La France a sa route des vins, nous, on a notre route des hot-dogs et des guédilles. Chaque village du Québec compte au moins un casse-croûte et chacun d’entre eux se targue d’offrir la meilleure poutine au monde. Le Guide du Routard et tous les autres livres de voyage présentent ces hauts-lieux de la gastronomie rapide comme des destinations touristiques privilégiées, et pour cause, car non seulement font-ils partie du paysage architectural de la Belle Province, mais ils en reflètent également une partie de la culture. Urbania ne pouvait donc pas faire un spécial Québec sans aller en visiter quelques-uns.

INVERNESS EST À L'OUEST DE PLESSISVILLE.

IRLANDE EST DANS LES APPALACHES.

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REPORTAGE

Depuis 56 ÊtÊs, Beauce Carnaval visite les petits et grands recoins du QuÊbec et de l’Ontario. De stationnements de centre d’achats en festivals, ils installent leurs arcades, leurs mini montagnes russes et leur grande roue – la plus grande roue montÊe sur remorque au monde, rien de moins –, pour le plus grand plaisir des amateurs de sensations (semi-)fortes et de toutous fluo fabriquÊs en Chine. Incursion dans l’univers des gypsies quÊbÊcois. TEXTE : ANDRÉ MARTINEAU PHOTOS : DOMINIQUE LAFOND (dominiquelafond.com)

L’

Exposition agricole de Trois-Rivières est une ĂŠtape importante du circuit de ces nomades de la Beauce. Il y a plusieurs annĂŠes dĂŠjĂ que les ados et les parents Ă poussette ne vont plus Ă l’Expo pour voir les vaches Holstein : ce qui attire la foule, aujourd’hui, ce sont les manèges. Et les beaux bruns au regard mystĂŠrieux et au teint basanĂŠ qui les font fonctionner. Les yeux encore petits Ă cause de la veille, SĂŠbastien Minot, 32 ans, vĂŠrifie quelques mĂŠcanismes avant de mettre son manège en marche. Les sièges sont un peu humides, mais tout fonctionne. Depuis quatre ĂŠtĂŠs, SĂŠbastien est opĂŠrateur et DJ de l’Himalaya, un manège oĂš les chariots ne font que tourner autour d’une boule disco. ÂŤ C’est pas un manège qui donne des sensations incroyables, mais les gens ont quand mĂŞme du fun, affirme-t-il. C’est comme un gros party ! Âť Et son party, il le commence AVEC UNE OU DEUX TOUNES D ¸RIC ,APOINTE 1UELQUES VISITEURS SE SONT LAISsĂŠs charmer par la voix du rocker ; une file d’attente se forme tranquillement, les chariots se remplissent. SĂŠbastien pousse le volume et passe Ă la musique dance : ÂŤ Oh, yeah Trois-Rivières, on lève les bras ! Yeah yeah, Trois-Rivières, faites du bruiiit ! Âť

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Une affaire de famille

Derrière deux attractions fort populaires, le Vampire et le Raiders, une grosse remorque bleue est stationnĂŠe. En grosses lettres, sur le cĂ´tĂŠ, on peut lire : ÂŤ Beauce Carnaval, attrapez la magie. Âť Ă€ l’intĂŠrieur, la copropriĂŠtaire Paule VallĂŠe est assise Ă son bureau. Les murs autour d’elle sont placardĂŠs de photos, parmi lesquelles un portrait de son père, Florian VallĂŠe, fondateur de la compagnie d’amusement. ÂŤ Il avait toujours des idĂŠes bizarres, affirme l’hĂŠritière avec nostalgie. Mais en mĂŞme temps, il voyait grand. Âť Dans les annĂŠes 1940, Florian VallĂŠe, originaire de Saint-BenoĂŽt-de-Beauce, organisait des matchs de lutte. Ça se dĂŠroulait sur la plage du lac Poulin, tout près de Saint-Georges-de-Beauce. ParaĂŽt mĂŞme que Johnny Rougeau allait y faire son tour de temps en temps. Plus tard, c’est avec des spectacles de saltimbanques et Schultz (l’Allemand capable de lutter Ă mains nues avec un ours de 500 livres) que M. VallĂŠe a conquis les foules.

SCIONS Y ALLAIT AU FESTIVAL FORESTIER SAINT-RAYMOND LA GROSSE BÛCHE (16 AU 19 JUILLET 2009)

C’est Ă l’Exposition agricole de QuĂŠbec de 1948 que le père de Paule a dĂŠcouvert le monde des manèges ambulants, alors dirigĂŠ essentiellement par des forains amĂŠricains. L’hiver suivant, accompagnĂŠ de son beau-frère, LE MARGINAL DE 3AINT "ENOÉT EST ALLĂƒ FAIRE UN TOUR AUX ¸TATS 5NIS POUR SE procurer quelques pièces de manèges usagĂŠes. Il les a raboutĂŠes pour donner naissance Ă de nouveaux engins. Il a ensuite testĂŠ sa première machine, un carrousel composĂŠ de six petits avions. PopularitĂŠ immĂŠdiate. Fort de ce succès, en 1953, il a fondĂŠ la compagnie Beauce Carnaval et a commencĂŠ Ă barouetter famille et travailleurs d’une foire Ă l’autre, aux quatre coins de la province et de l’est du Canada. Mais dans le QuĂŠbec rural des annĂŠes 1950, les bons vieux prĂŠjugĂŠs sur les gens de la route, les ĂŠtrangers et les forains ĂŠtaient bien ancrĂŠs. ÂŤ Quand ils arrivaient quelque part, les gens avaient peur, parce qu’ils pensaient qu’ils ĂŠtaient des voleurs, explique Paule VallĂŠe. Mon père allait donc voir les curĂŠs. C’Êtaient eux les boss. Il leur louait leur terrain et il arrivait Ă les convaincre que ce qu’il faisait ĂŠtait clean. Âť MalgrĂŠ les rĂŠticences de certains habitants, Beauce Carnaval a pris de l’envergure et est rapidement devenu l’une des principales compagnies de manèges ambulants au Canada. Aujourd’hui, c’est Paule et son frère Pascal qui dirigent l’entreprise. La tradition familiale persiste. Tout l’ÊtĂŠ, Paule bourlingue avec son mari, François Paradis, et leurs enfants, qui travaillent tous Ă l’un ou l’autre des manèges.

VENISE EST SUR LE BORD DU LAC MAGOG.

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REPORTAGE

Au Québec, la culture western est une création de la classe ouvrière d’origine rurale. Par vagues successives des années 1930 aux années 1960, plusieurs fils de pêcheurs et de cultivateurs quittent massivement la campagne pour trouver un emploi dans les villes industrielles régionales et les grands centres. Après avoir connu la mer et les grands espaces, ils se retrouvent confinés dans des manufactures, où les conditions de travail sont très pénibles. Victimes de cette dure réalité, ces expatriés éprouvent le besoin de s’accrocher à quelque chose, de trouver une bouée de sauvetage pour échapper à l’univers des shops. Le western devient alors un outil de survie, un monde d’évasion et une manière indirecte de protester contre les conditions ouvrières complètement intolérables. Ainsi, les ouvriers se créent un univers imaginaire, une culture propre à partir des images mythiques du cow-boy et de la cow-girl. Ils portent le chapeau, même s’ils n’ont jamais vu de ranch de leur vie. Encore aujourd’hui, même si le Québec compte peu de ranchs et encore moins de cactus, il a toujours le western collé à ses semelles. Le photographe Mathieu Laverdière a immortalisé cette histoire d'amour avec le Far West.

PHOTOS : MATHIEU LAVERDIÈRE (alt-6.com) | TEXTE : CLAUDIE GRAVEL

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GLEN LIVET, GLEN SUTTON, ÇA SONNE WHISKY

ARRÊTEZ-VOUS À KAZABUZUA-STATION, PRÈS DE HAM.

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REPORTAGE

À pied d’œuvre au Saguenay-Lac-Saint-Jean, des bûcherons africains font un travail que les Québécois ne font plus volontiers. TEXTE : MICHEL ARSENEAULT PHOTOS : GUILLAUME SIMONEAU (zetaproduction.com)

Sur cette photo : Jean-Pierre Murangira

QUI A MIS ÇA À KIAMIKA ?

À ÎLE-DONDAINE, LA RIDAINE À MA TAPATALIMATOU.

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FICTION

U

n champ Ă l’abandon, l’herbe haute, les dĂŠbris, les clĂ´tures dĂŠfoncĂŠes et les ĂŠcrans jaunis. Puis, un autre champ. Et un autre. Des fantĂ´mes de banquettes arrière tachĂŠes, des arbres Ă popcorn pas arrosĂŠs, l’Êcho d’une mauvaise traduction. Il y a, dans ces terrains vagues, de vagues relents d’une ĂŠpoque que j’ai tuĂŠe. Parce que c’est moi qui ai dĂŠtruit, un Ă un, les cinĂŠ-parcs. Je suis responsable de tout ça. Je le sais. Je suis dĂŠsolĂŠ. La première fois, c’Êtait en mille neuf s’en fout, je devais avoir une douzaine d’annĂŠes. Ma mère VENAIT DE ME DONNER DIX DOLLARS J ĂƒTAIS RICHE :OĂƒ allait baver devant le bling de mon bolo, achetĂŠ plus tĂ´t au magasin de l’autre coin. Je lui paierais une trois-sirops, la Slush Puppie des sultans. Oui, elle allait baver.

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Ce soir, je suis Ă Val-d’Or. Ici, le cinĂŠ-parc est fermĂŠ depuis longtemps. Ici, je ne suis pas un danger. SoirĂŠe tranquille, il y a Annie, Ă mes cĂ´tĂŠs, qui pose sa main sur ma cuisse, ses lèvres dans mon cou. On est au bar, quelques quilles vides sous les yeux, il fait chaud, ses cheveux sont beaux. J’ai envie de ses lèvres. De sa main sur ma nuque. De sa bouche au complet. pour ne pas dire n’importe quoi, Ă moitiĂŠ pour M ĂƒCHAUFFER :OĂƒ M A TRAÉNĂƒ DANS LE BED D UN pick-up, en silence. On s’est blottis dans un coin, pour passer inaperçus, et on voyait juste une petite partie de l’Êcran. Pendant une heure, on n’a pas bougĂŠ. Pendant une heure, j’ai voulu, j’ai voulu, mais je n’ai pas ĂŠtĂŠ capable d’embrasser :OĂƒ 4ROP CHICKEN 0UIS LE lLM S EST TERMINĂƒ LE Damn. Le plan de slush romantique tombait pick-up a dĂŠmarrĂŠ, on a sautĂŠ sans trop se casser Ă l’eau. Il faut toujours penser plus. Un plan la gueule, en riant un peu. " *USQU ½ : DES PLANS TOUT LE TOUR DE LA TĂ…TE Ă‚A prend toujours des plans avec les filles. Je n’en On est rentrĂŠs au village sans dire un mot. avais pas. J’ai donc lancĂŠ la première idĂŠe qui m’a Quand on s’est sĂŠparĂŠs, chemin Duguay, traversĂŠ le vide du crâne. Ce jour-lĂ , le jour du dix :OĂƒ M A FAIT UN TOUT PETIT SOURIRE PRESQUE PLAT DOLLARS DANS MA POCHE J AI EMMENĂƒ :OĂƒ AU CINĂƒ et a dit ÂŤ bye Âť, platement. Je m’Êtais plantĂŠ. parc. Ă€ pied. Dans le royaume des lèvres collĂŠes, j’avais chokĂŠ. En quinze ans, j’Êtais le premier gars Ă n’avoir pas On a sautĂŠ par-dessus la clĂ´ture en riant, et on frenchĂŠ au cinĂŠ-parc de mon village. Deux mois s’est retrouvĂŠs dans le champ aux grands ĂŠcrans. plus tard, le cinĂŠ-parc fermait. Un an plus tard, Il faisait noir pâle, dĂŠbut de fin de soirĂŠe, milieu :OĂƒ NE ME SALUAIT MĂ…ME PLUS QUAND ON SE CROISAIT du dĂŠbut du programme double. Van Damme donnait des coups de pied partout tout le temps. J’ai attendu quatre ans avant de remettre les :OĂƒ TENAIT MA MAIN MOITE ET MOI LA SIENNE SĂ„CHE pieds dans un cinĂŠ-parc. On avait dĂŠmĂŠnagĂŠ Ă Mon cĹ“ur battait fort, mĂŠlange d’infraction Ă la Vaudreuil, j’avais 16 ans, des poils un peu partout loi des cinĂŠ-parcs et de cette ĂŠtrange impression et les clĂŠs de l’auto de ma mère dans les mains. QUE :OĂƒ ME BOULEVERSAIT UN PEU PLUS CHAQUE JOUR Il n’y avait plus dans ma tĂŞte que des traces pâlies et que j’aurais mal pour l’ÊternitĂŠ. DE :OĂƒ DES VAPEURS D ĂƒCHEC RIEN POUR ME RETENIR de rĂŠpandre mes hormones sur la peau de la On a fouinĂŠ autour des autos, en silence, sulfureuse MĂŠlanie. regardant Ă travers les vitres en essayant de ne pas ĂŞtre vus. Tout le monde frenchait. – Embarque, je t’emmène au cinĂŠ-parc. C’Êtait ça, le cinĂŠ-parc de mon village. Un haut J’Êtais sĂťr de moi. DĂŠterminĂŠ Ă conjurer le sort, LIEU DE FRENCHAGE ¸CHANGES DE BAVE :OĂƒ SOURIAIT Ă redonner au cinĂŠma en plein air ses lettres J’avais envie d’essayer, moi aussi. Je n’avais lumineuses de noblesse dĂŠgoulinante. MĂŠlanie jamais embrassĂŠ une fille de ma vie. J’Êtais gĂŞnĂŠ. me voulait, je le savais parce que le grand Je tournais ma langue dans ma bouche, Ă moitiĂŠ StĂŠphane me l’avait dit. On allait frencher.

– Beau bolo, qu’elle avait dit en me voyant sur le trottoir devant chez elle, après souper. – Merci. – On fait quoi ? – As-tu soif ? As-tu chaud ? – Non, pas vraiment.

TÉMISCOUATA SIGNIFIE LAC PROFOND.

– Suis-moi, que je lui dis. – On va oĂš ? – ChĂŠri, il faut qu’on se parle. Mais on n’a pas frenchĂŠ. Elle m’a repoussĂŠ, s’est poussĂŠe. J’y ĂŠtais allĂŠ un Je la guide jusqu’à mon camion. Elle monte. peu fort, un peu fringant, un peu trop confiant. Le cinĂŠ-parc de Beauport a fermĂŠ ses portes en Je me suis retrouvĂŠ seul dans la voiture de ma septembre 1998. – Es-tu en ĂŠtat de conduire ? mère, devant un film de guerre, avec l’envie de Celui de Grand-Mère, en 2000, quelques – Non. vomir toutes les rĂŠglisses rouges du monde. semaines après que ÂŤ j’aimerais mieux qu’on reste Je dĂŠmarre. On roule croche pendant quelques Un mois plus tard, ĂŠtĂŠ 1988, le cinĂŠ-parc de juste amis Âť. Celui de Laval, en 2004, deux mois minutes, jusqu’au cinĂŠ-parc abandonnĂŠ. J’avance Vaudreuil fermait dĂŠfinitivement ses portes. après que ÂŤ mon chum le prendrait pas Âť. Celui de doucement, renverse la grille rouillĂŠe, et stationne le camion devant l’Êcran. C’est ce soir Pendant dix ans, après ça, je me suis tenu Châteauguay, en 2005, trois jours après que ÂŤ je loin de ces temples de la salive — celle des peux pas croire que tu pensais que j’Êtais hĂŠtĂŠro Âť. que ça se passe. J’Êteins le moteur et me tourne vers Annie. Elle me regarde sans trop savoir ce autres, manifestement. Je me suis contentĂŠ Celui de Saint-Georges, en 2008, un mois après qui arrive. d’embrasser des filles dans le confort des motels, que ÂŤ hahaha, t’es drĂ´le, toi Âť. des backstores de quincailleries, des planchers Et celui de Sainte-Luce, la semaine passĂŠe, cinq chauffants, des bars en bois rond et des toilettes – Embrasse-moi, que je lui demande doucement. semaines après que j’y sois allĂŠ seul, pour me de stations-service. changer les idĂŠes. Jusqu’en 1998. Cet ĂŠtĂŠ-lĂ , je sortais steady Tout ça, c’est ma faute. Je les ai tous jinxĂŠs. Dans Elle se penche vers moi en souriant. On frenche. avec Marie-Claude, menue merveille pleine un cinĂŠ-parc, on frenche. Pas moi. J’ai dĂŠtruit le Longtemps. Le temps d’un programme double. d’Ênergie et de sexe, qui me suivait sur la route du karma de l’industrie du cinĂŠma Ă ciel ouvert. La Le temps pour Van Damme de tuer mille mĂŠchants. QuĂŠbec pour le plaisir de me suivre. De passage fin d’une ère, par ma faute. Je suis dĂŠsolĂŠ. On frenche et c’est bon, dans un cinĂŠ-parc qui Ă Beauport, un soir oĂš il ne se passait rien, elle a n’existe plus, au milieu des mauvaises herbes et suggĂŠrĂŠ qu’on aille au cinĂŠ-parc. J’ai dit oui, des enseignes rouillĂŠes. Tout est lĂ , tout ce que je cave que je suis. J’ai mĂŞme poussĂŠ l’audace n’ai jamais eu. jusqu’à imaginer qu’elle voudrait me frencher. Que je n’avais qu’à laisser la soirĂŠe passer, et – As-tu soif ? As-tu chaud ? qu’elle se pencherait vers moi et m’arracherait – Oui, un peu. la langue avec ses lèvres, qu’il s’en suivrait – Veux-tu une slush ? des cochonneries susceptibles de briser une suspension. Quand elle s’est tournĂŠe vers moi, entre les deux films au programme, j’Êtais sĂťr que ça y ĂŠtait. J’allais frencher dans un cinĂŠ-parc.

BAIE INNOMMÉE SIGNIFIE MANQUE D’INSPIRATION.

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