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DÉBAT

DÉBAT

Michel et Alexandra Dumont. Christelle Olivié et Joseph Puzo. Carlos et Virginie Rodriguez de Oliveira.

Industriels DE PÈRES EN FILLES

Rarissimes il y a quelques années, les passages de témoin entre un père industriel et sa fi lle deviennent, sinon banals, du moins fréquents. Des successions qui exigent beaucoup de qualités, tant du côté de la future PDG que de celui qui lui transmet les rênes.

Laurie et Gérard Choquenet « J’AI SENTI QU’ELLE AVAIT LA CAPACITÉ, L’INTELLIGENCE ET L’AUTORITÉ »

L’ancien patron de l’entreprise Choquenet, à Chauny, raconte comment il a passé progressivement les rênes à sa fille qui confie s’être découvert une passion inattendue pour l’industrie.

“Pour mon père, un homme n’est pas plus apte qu’une femme à comprendre comment fonctionne un vérin ou une centrale hydraulique.”

LAURIE CHOQUENET

Après une transition de quatre ans, Gérard Choquenet a confié l’entreprise familiale à sa fille, Laurie, en juillet 2020. C’est la quatrième génération aux commandes depuis 1925.

Plus jeune, Laurie Choquenet ne s’imaginait pas un jour reprendre l’entreprise familiale à son père qui, lui-même, la tenait de son père lequel la tenait également de son père. « Mon ambition première était d’être pilote de ligne mais ma vue n’était absolument pas adaptée à ce métier », explique-telle. Laurie décide de travailler tout de même dans l’aéronautique mais à terre, en tant qu’ingénieur. Diplôme en poche, ses premières expériences en bureau d’études la déçoivent. « On voit rarement des avions. Et surtout, c’est une industrie où il faut produire encore et toujours, l’humain n’est pas pris en considération, j’ai eu du mal à m’adapter ». La Picarde n’a pas encore 30 ans. Il est encore temps de changer de voie. Elle veut créer sa première entreprise dans le secteur… des yaourts glacés. C’est à ce moment que son père Gérard Choquenet, qui s’approchait de l’âge de la retraite, lui propose de reprendre l’entreprise créée à Chauny en 1925. « C’était la seule de mes quatre enfants qui avait fait une école d’ingénieur et qui était apte à reprendre l’entreprise », explique-t-il. « Au début, je ne voulais pas reprendre l’entreprise de mon père, reconnaît-elle. Et puis je me suis dit : allez, je tente. Finalement, je me suis découvert une vocation dans l’industrie. J’ai adoré. Donc, je ne suis pas allée au bout de mon projet de création d’entreprise ».

FILLE OU FILS, C’EST LA MÊME CHOSE POUR LE PÈRE

Il se passe quatre ans avant que Laurie ne prenne pleinement les rênes de l’entreprise Choquenet qui compte 80 salariés. Elle commence par passer sept mois à l’atelier où l’on fabrique la spécialité de la maison : le filtre presse. Cet équipement sert à séparer liquides et solides. On les retrouve dans les sucreries, chez les fabricants de levures ou d’huiles essentielles. « J’ai découvert à quel point le filtre était technique et à quel point il était difficile d’assembler les pièces puis de tout installer chez les clients », témoigne l’ingénieure. Elle passe ensuite au bureau d’études, aux achats comme au commerce. Au fil des mois, Gérard lui laisse progressivement endosser son nouveau rôle avant de s’éclipser en juillet 2020. « Soit Laurie n’était pas capable, et je restais derrière, soit je la sentais capable et je la laissais faire, énumère Gérard. Les gens l’ont bien senti dans l’usine, ils ont vu qu’elle prenait ses décisions et qu’elle n’avait plus besoin de moi. Il fallait partir et la

“Les gens l’ont bien senti dans l’usine, ils ont vu qu’elle prenait ses décisions et qu’elle n’avait plus besoin de moi.”

Gérard Choquenet

laisser s’asseoir dans ses responsabilités ». La transition s’est-elle faite plus en douceur parce que c’était une fille ? « Non, répond Gérard. Si mon fils avait fait une école d’ingénieur, cela aurait été pareil, j’ai senti qu’elle avait la capacité, l’intelligence et l’autorité, cela suffisait. Moi-même j’ai fait la transition avec mon père pendant deux ou trois ans. Il est allé aux achats faire du rangement, il m’a laissé prendre les initiatives, cela s’est très bien passé ». Et Laurie d’ajouter : « Pour mon père, un homme n’est pas plus apte qu’une femme à comprendre comment fonctionne un vérin ou une centrale hydraulique ».

UNE TRANSITION EN PLEINE CRISE SANITAIRE

Si elle s’est appropriée la spécialité technique, Laurie a appris beaucoup du management, de la façon de travailler avec les autres. « C’est fou comme on peut se remettre en question et comme on doute, mais de façon positive. J’aime faire participer les gens pour prendre la bonne décision, une chose que je ne faisais pas avant. J’ai appris à faire confiance aux équipes, ce qui est très important pour un chef d’entreprise ». Cet apprentissage s’est pourtant fait à un moment délicat, en juillet 2020, dans la grande incertitude de la crise sanitaire, pendant laquelle il a fallu avoir recours au chômage partiel. « Être dans la difficulté, ça me forme, si c’était facile, j’apprendrais beaucoup moins vite, même si j’ai hâte que cela soit plus simple », conclut la jeune femme.

Julien Bouillé

Joseph Puzo et Christelle Olivié « NOUS CODIRIGEONS L’ENTREPRISE »

Atteint d’un cancer théoriquement mortel en 2001, le président d’Axon’Cable, à Montmirail, désigne sa fille comme successeur. La transition dure depuis 20 ans et a pris la forme d’une codirection du groupe.

Joseph Puzo incarne Axon’Cable, qu’il préside, mais c’est sa fille qui est directrice générale du groupe depuis 2008.

Depuis 1985, année où il a acquis via un LBO (rachat à effet de levier), l’entreprise qu’il dirigeait, Joseph Puzo incarne Axon’Cable. C’est pourtant sa fille, Christelle Olivié, qui est directrice générale de ce groupe de 2 400 salariés dont la spécialité est de transformer des bobines de fils de cuivre et des sacs de billes de plastique en câbles et connecteurs de haute technologie. « Il me cache », plaisante la cinquantenaire qui est une femme discrète bien qu’elle soit plus grande que son père de 74 ans et président du groupe.

DES MANAGERS SE SERAIENT VUS SUCCÉDER AUSSI...

Après des études d’ingénieur en travaux publics - qui ne la destinaient pas naturellement à une carrière dans l’électronique - Christelle était entrée chez Axon en 1998 comme directrice générale adjointe d’une filiale dont le directeur avait exprimé son souhait de partir à la retraite. Puis le scénario a changé de façon inattendue. « Mi-2001 j’ai eu un cancer qui était théoriquement mortel, il fallait que je décide de la suite de l’entreprise et j’ai donc présenté ma fille comme mon successeur », explique Joseph. À 30 ans, l’aînée des trois filles Puzo arrive aux commandes du groupe. Ce n’était pourtant pas écrit d’avance. Avant de tomber malade, le très prévoyant Joseph Puzo avait rangé dans un tiroir de son bureau, à Montmirail, une enveloppe scellée indiquant lequel de ses managers pouvait lui succéder « au cas où ». Le nom écrit sur la feuille blanche pouvait d’ailleurs changer d’un mois à l’autre, sans que personne ne soit au

courant... Dans ces conditions, l’annonce de la nomination de Christelle aurait donc pu faire des déçus. « Il y avait une certaine tension entre mes principaux managers et, en annonçant que ma fille prendrait la suite, je m’attendais à avoir des démissions, confie Joseph. À ma grande surprise, il n’y en a pas eu et la tension a disparu. Les managers ont vu que s’ils voulaient progresser, la seule solution pour eux était de faire grossir l’entreprise. À des niveaux subalternes, j’ai reçu énormément d’e-mails de salariés me disant qu’ils étaient ravis que ma fille me succède car cela voulait dire que l’entreprise ne serait pas revendue ». Ce qui pouvait, en 2001, apparaître comme une transition pouvant mener rapidement à succession pleine et entière, s’est transformé en un travail en parallèle de deux décennies. Cette longévité tient à un respect mutuel. « Lorsqu’il est revenu, il y a eu une séparation claire des fonctions, précise Christelle. Chacun fait des choses différentes. L’un n’empiète pas sur les sujets de l’autre. Ce n’est pas un tuilage, nous codirigeons l’entreprise ».

PLUS DE CONCURRENCE SI CELA AVAIT ÉTÉ UN FILS ?

Justement qui fait quoi ? Christelle assure l’organisation au quotidien et Joseph est chargé en principe des sujets innovation et international. « En fait, je fais ce qui me plaît et elle fait le reste », sourit le président. La cohabitation longue n’aurait pas été si fluide avec un garçon, pense Joseph. « Quand je regarde mes collègues, je constate qu’il y a vite une compétition qui s’établit entre un fils et son père. Le fils veut montrer qu’il sait faire, et c’est normal. Et le père dit qu’il sait encore un peu faire. Donc si le père reste trop longtemps actif, le fils s’en va au bout de dix ans. Le père a

“Chacun sait admettre que l’autre a raison et prendre la décision la plus sage.”

Christelle Olivié

alors 80 ou 85 ans, personne dans l’entreprise n’est préparé au poste et le père n’a d’autre choix que de vendre ». Tout n’est pas qu’harmonie chez les Puzo. « Il nous arrive d’être en désaccord, dévoile Christelle. Mais on sait discuter, chacun sait admettre que l’autre a raison et prendre la décision la plus sage. Je ne pense pas que ce soit parce que nous sommes dans une relation père-fille. On est comme ça, et c’est peut-être aussi parce qu’il nous a bien élevés. »

TANT QUE LA TÊTE FONCTIONNE

Y a-t-il une limite fixée dans le temps à cette codirection familiale ? « Depuis que j’ai eu mon cancer, j’ai décidé de devenir centenaire, c’est une première limite, répond Joseph. Ensuite, il faut que la tête fonctionne. Si elle ne fonctionne plus, il faudra me faire partir, ma femme y veille aussi ». On l’a compris, Joseph n’est pas pressé de raccrocher. « Je m’amuse donc si je ne travaille plus, il faudra que je trouve autre chose ». À part pour l’organisation d’un bal costumé par an au château de Montmirail, sa passion pour Napoléon ne suffirait pas à l’occuper. Ce qui « amuse » Joseph Puzo, en premier lieu, ce n’est pas d’envoyer des câbles plats et des connecteurs sur la planète Mars mais de transmettre aux jeunes, aux étudiants, ses connaissances sur la gestion d’une entreprise qui depuis

Quelques règles bien apprises

De ses études de management à l’IMD de Lausanne, Joseph Puzo a retenu quelques règles. Il ne faut pas faire entrer ses gendres dans l’entreprise familiale et ce même quand on a trois gendres ingénieurs comme le président d’Axon. Il faut traiter de façon égalitaire les enfants en termes de succession mais les embaucher avec des salaires au niveau du marché. Il ne faut pas embaucher directement ses enfants à leur sortie d’école de façon notamment à ce qu’ils n’entrent pas dans l’entreprise en bas de l’échelle mais plutôt à des postes d’encadrement. plus de quarante ans s’est développée sans cesse malgré les crises et la concurrence.

UNE ENTREPRISE « PÉRENNE » AVANT TOUT

Christelle se félicite de constater qu’elle et son père ont « la même vision de là où doit aller l’entreprise ». Le plan « Solon » prévoit d’atteindre le chiffre d’affaires de 225 millions en 2025, contre 170 attendus fin 2021. Mais ce n’est qu’une étape, le but ultime étant tout simplement de faire d’Axon Cable, une « entreprise pérenne » grâce à une croissance régulière et une innovation permanente. Pour cela, il faudra d’autres générations. La troisième est née. Sur les cinq petits-enfants, les trois plus grands sont déjà en école d’ingénieur. Ils ne font pas la spécialité maison mais l’histoire a montré que ce n’était pas un obstacle à la continuité des choses chez Axon.

Julien Bouillé

“En fait, je fais ce qui me plaît et elle fait le reste”

Michel et Alexandra Dumont « ON SE PARTAGE LES TÂCHES »

À 60 ans, le président de Lebronze Alloys, à Suippes, laisse une nouvelle génération monter en puissance dans le groupe à commencer par sa fille nommée, à 30 ans, directrice générale.

Alexandra Dumont a été nommée, en juillet 2021, à 30 ans, directrice générale du groupe Lebronze Alloys, l’un des spécialistes mondiaux des alliages haute performance présidé par son père, Michel Dumont, 60 ans. En reprenant, en 2006, avec des associés, l’ex-usine Le Bronze Industriel, à Suippes, ce consultant de nationalité belge a bâti un groupe comptant aujourd’hui 8 usines, 850 salariés pour 190 millions d’euros de chiffre d’affaires. Mais sa fille n’est pas arrivée aux affaires du jour au lendemain et a même mis la main à la pâte très tôt. « Pendant qu’elle faisait ses études, Alexandra avait un contrat et travaillait déjà avec nous, dévoile son père. Elle a donc commencé par être un peu comme ma directrice de cabinet dès ses 19 ans. Dès le début elle a su si elle aimait ou pas ce type de travail, cela a influencé beaucoup de choses ».

UN ATTACHEMENT À L’INDUSTRIE

Formée au management et à la stratégie à la Sorbonne, la jeune femme a commencé dans le consulting et ne se destinait pas forcément à prendre la tête d’un lot d’usines métallurgiques. C’était avant qu’elle ne fasse ses premières visites en atelier. « J’ai été surprise par les applications finales de l’industrie, j’ai découvert que nos pièces pouvaient se retrouver dans des sacs à main de luxe ou sur la pointe du stylo que j’utilise depuis que j’ai trois ans », témoigne-t-elle. Il y a aussi une dimension historique. « On sent que les choses sont là depuis des années, que ce sera là encore longtemps et ça donne envie de mettre sa pierre à l’édifice. Il y a un côté grisant et valorisant ». Alexandra est entrée véritablement au sein de Lebronze Alloys, au contrôle de gestion, en 2013, avant de prendre en main les systèmes d’information. Elle est devenue directrice adjointe, « DGA », en

« On sent que les choses sont là depuis des années, que ce sera là encore longtemps et ça donne envie de mettre sa pierre à l’édifice ». Alexandra Dumont

2020, avant de s’alléger du « A » un an plus tard. À la tête de Lebronze Alloys, l’organigramme n’est pas dessiné verticalement, avec un(e) président(e) en haut, et une directrice ou un directeur en bas. « On travaille depuis des années par partage de tâches, explique Michel Dumont. Je lui confie donc de plus en plus de responsabilités, ce qui fait que la nomination d’Alexandra a été poussée

“La nomination d’Alexandra a été poussée par l’encadrement et les actionnaires qui trouvaient cette évolution naturelle.”

Michel Dumont

« Elle a donc commencé par être un peu comme ma directrice de cabinet dès ses 19 ans ». Michel Dumont

par l’encadrement et les actionnaires, qui trouvaient cette évolution naturelle, plus que par nous ». Il ne s’agit pourtant pas d’un tuilage voué à enclencher une succession rapide. « Une nouvelle génération de cadres de 25 à 40 ans prend de plus en plus de poids dans le groupe, explique le président. Les plus de cinquante ans, qui ont démarré il y a quinze ans

“Il faut être transparent aussi : pour un groupe de notre taille, il est difficile d’être à la fois président et DG.”

Alexandra Dumont

ensemble, prennent plaisir à former ces jeunes qui sont brillants et sur lesquels on compte beaucoup ». « Il faut être transparent aussi : pour un groupe de notre taille, il est difficile d’être à la fois président et DG, ajoute Alexandra. Les expertises que Michel a sur la finance et ses capacités à avoir des idées nouvelles, à penser en dehors du cercle, ont beaucoup de valeur ». Alexandra Dumont pense donc qu’il « faut trouver un équilibre pour que le binôme puisse marcher très longtemps ». Alexandra a deux frères. L’aîné travaille dans le numérique et n’a pas la fibre industrielle. Son cadet a la bosse du commerce, matière qu’il apprend en Angleterre. Il y a historiquement plusieurs Dumont dans le groupe. Le frère de Michel est aux RH et son épouse gère la holding. Ce n’est pourtant pas une chasse gardée des Dumont. « On est plutôt ouverts à faire venir des enfants et membres d’une même famille dans l’entreprise », assure pour finir l’entrepreneur.

Julien Bouillé

Carlos et Virginie Rodrigues de Oliveira « POUR REPRENDRE UNE ENTREPRISE COMME CELLE-CI, IL FAUT DU CARACTÈRE »

Le fondateur de Fixation Techniques de Vireux a mis du temps avant d’accepter que sa fille reprenne une entreprise qui avait été fragilisée financièrement par un mauvais client. Il admire aujourd’hui les virages qu’elle a osé prendre.

Chez les Rodrigues de Oliveira, on a l’entreprise dans le sang. Carlos monte la sienne, Fixation Technique de Vireux (FTV), en 1985, à l’âge de 30 ans. Soit 15 ans après avoir quitté, avec ses parents, le Portugal, et un service militaire inquiétant en ces années de guerres coloniales, pour atterrir à Sedan où son grandpère maternel avait une entreprise de plâtrerie. Avec un « appétit d’aller de l’avant », Carlos rachète donc un lot de machines avec lesquelles il fabrique, par frappe à froid, des vis et des boulons spéciaux, sur plan, répondant à des commandes de 100 à 1 million d’unités. En une quinzaine d’années, l’entreprise de Vireux-Molhain atteint l’effectif de 24 personnes. Des quatre enfants de Carlos, Virginie, impliquée très tôt dans l’activité de FTV, et créatrice de sa propre société de contrôle qualité, semble la plus apte à reprendre le flambeau le jour venu.

REMBOURSER LES DETTES AVANT DE TRANSMETTRE

En 2010, Virginie aborde sérieusement la question de la transmission avec son père. Ce dernier n’adhère pas. « C’était trop tôt, nous n’étions pas prêts, ni l’un, ni l’autre », explique-t-elle. Il faut préciser que le cours de FTV n’est pas aussi tranquille que celui de la Meuse voisine. En 2003, la pépite est fauchée dans sa croissance par un gros impayé d’un demi million d’euros qui la conduit fatalement au redressement judiciaire, puis deux ans plus tard à un plan de continuation fixé pour 10 ans. FTV doit licencier la moitié de son effectif et se serrer la ceinture. « Mon objectif, à partir de 2005, est de construire quelque chose afin de tout rembourser et que ma famille ne soit pas impactée par ce désastre psychologique. En bon père de famille, je ne voulais pas transmettre un cadeau empoisonné », confie Carlos. Devant le refus de son père, Virginie reconnaît « prendre une claque ». À 30 ans, elle a besoin de se projeter et décide finalement d’accélérer dans son activité de consulting. « C’est un service qu’il me rend, considère-t-elle aujourd’hui. Dans le conseil, je découvre plein d’entreprises, plein de chefs d’entreprise. En traînant mes guêtres ailleurs, en me confrontant à d’autres pensées et d’autres façons de faire, je me prépare tout simplement à mon métier de chef d’entreprise ». En 2015, les ingrédients du scénario changent. L’entreprise sort de convalescence, Carlos a 60 ans et envisage la vie autrement. « J’étais fatigué d’avoir tant travaillé pour rembourser mes

« En cinq ans elle fait quelque chose de rare pour une femme qui n’est pas technicienne à la base ».

dettes », explique-t-il. Après des années de conseil, Virginie ronge son frein, elle a besoin de passer à l’opérationnel. Et vient ce moment où un groupe se propose de racheter l’entreprise assainie comptant 8 collaborateurs avec, dans le « package », Virginie en tant que dirigeante salariée. La combine ne convainc pas dans le bureau de Vireux. C’est - enfin - le déclic. Carlos se dit

“On se dit que, c’est toi ou c’est moi mais pas les deux, j’ai envie qu’on travaille ensemble mais pas qu’on se batte.”

Virginie Rodrigues de Oliveira

que, finalement, « la petite peut peut-être reprendre la boîte ». En fait, il le savait depuis toujours. « Depuis sa plus tendre enfance, j’ai toujours dit de Virginie qu’elle était un garçon manqué. C’était une fille dynamique, courageuse, téméraire, fonceuse, parfois casse-cou, elle avait de grandes qualités ». Après une double expertise de la valorisation de l’entreprise, Virginie rachète les parts. « Il y a eu un contrat de cession comme si on était des étrangers ». Il est prévu que pendant six mois, Carlos accompagne Virginie « à la demande » sur la partie commerciale. « On se dit que, c’est toi ou c’est moi mais pas les deux, j’ai envie qu’on travaille ensemble mais pas qu’on se batte », relate Virginie. « C’est indispensable, on ne met pas deux coqs dans un poulailler, confirme Carlos. Pour reprendre une entreprise comme celle-ci, il faut du caractère ». En réalité, Carlos sera là plus longtemps. D’abord, il crée sa propre structure de R&D dans son métier, qui intervient pour FTV comme d’autres. Ensuite, Virginie, qui n’a pas froid aux yeux et met rapidement son entreprise à l’épreuve. Elle rachète à la barre de tribunaux de commerce les actifs de deux entreprises du même secteur quasiment coup sur coup. Carlos viendra à la rescousse pour l’intégration des outils à Vireux. Carlos mettra quelques temps à libérer son grand bureau chez FTV. C’est un symbole. « Au début, il craignait que je ne m’en sorte pas car il savait que chef d’une TPE dans l’industrie ce n’est pas facile, se souvient Virginie. Je ressentais un gros doute de sa part sur ma capacité à faire bosser l’équipe et à ne pas me faire rouler dans la farine techniquement comme il disait ». Les craintes maintenant sont dissipées. « En cinq ans, elle a pris des positions diverses et variées dans la stratégie de l’entreprise, elle fait des changements d’orientation technique pour aller vers de nouveaux clients, elle a engagé de nouvelles méthodes de production, elle fait quelque chose de rare pour une femme qui n’est pas technicienne à la base », admire son père.

UN ENFANT EN PLEIN CONFINEMENT

Attaché à ce que l’« histoire FTP » perdure, Carlos semble serein désormais. Un jour Virginie devra penser elle aussi à la suite. Elle a eu un enfant en 2020 en pleine crise sanitaire. Au matin du premier confinement, alors qu’elle est sur le pied de guerre pour réorganiser l’entreprise, les salariés de FTP interdisent à leur patronne au ventre bien rebondi d’entrer dans les locaux, pour protéger sa santé. Le bonheur personnel et très accaparant de Virginie arrive donc au moment d’une nouvelle épreuve pour l’entreprise. C’est dur mais ce n’est pas la fin du monde. Plutôt, le début d’un autre.

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